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1911Le 23 juillet, on inaugure le
collège de jeunes filles devant
le gratin : ministre de l’Ins-
truction publique, recteur de
l’académie de Lille, élus...
2005Le conseil général rétrocède
l’endroit à la Ville.
2009Le 17 octobre, un incendie
spectaculaire dévaste la toi-
ture. L’avenir du site reste in-
certain.
EN CHIFFRES®
ᔡ Survivant.- Décembre 2003 :
une aile de l’ancien collège de jeu-
nes filles est abattue. Elle n’était
plus conforme aux normes de sécu-
rité ; les réserves du musée d’Ethno-
logie ont eu chaud, réfugiées dans
un entrepôt plus adapté, avenue
Kennedy. L’aile abritant la concier-
gerie et le dortoir est épargnée.
ᔡ Les projets.- Après la destruc-
tion du bâtiment (ex-hôpital mili-
taire durant la Grande Guerre), Jac-
ques Mellick cherche une vocation
à l’aile épargnée. Daniel Boys, pre-
mier adjoint,y voit un lieu d’échan-
ges entre architectes, universitai-
res, spécialistes des travaux pu-
blics... On évoque des expos tempo-
raires du musée d’Ethnologie, voire
de bâtir une extension sur l’espace
béant voisin. Fin 2004, on parle
d’élargir la liste des occupants au
SCOT et à l’Agence d’urbanisme.
ᔡ L’Arlésienne.- On l’avait pour-
tant dit : en 2007, le musée d’Eth-
nologie régionale ne serait plus un
serpent de mer. Mais si. Daniel
Boys repousse l’échéance à 2010,
espérant faire résonner l’ouverture
avec la capitale régionale de la
culture. Le « learning center » est
toujours dans les cartons.
ᔡ Au feu.- Le 17 octobre 2009,
dans la lueur du brasier, Stéphane
Saint-André s’interroge sur l’ori-
gine du sinistre. Reparle du gaz et
de l’électricité coupés. « Il ne faut
pas condamner sans preuves mais
c’est quand même étrange ! » Au
conseil municipal de septembre, il
s’était interrogé sur la nature réelle
de travaux de toiture faits avant
son arrivée. 500 000 €. Coïnci-
dence ? L’enquête n’a rien donné.
ᔡ Renaissance ou destruction ? -
L’incendie a aggravé la vétusté des
lieux et même si les assurances
vont permettre de les remettre au
sec, une restauration complète coû-
terait une fortune. Le maire a deux
options. « Béthune compte plus de
100 bâtiments dans son patrimoine
architectural. » Trop lourd de tout
entretenir. Le dortoir, « on va le ven-
dre. Je l’ai proposé au conseil régio-
nal pour y accueillir le Centre régio-
nal des lettres et du livre. » C’est ça
ou la destruction. Il n’a pas reçu de
réponse à son courrier mais qu’il se
rassure : la lettre est arrivée à bon
port et la Région assure que le lieu
fait partie des pistes étudiées. On
en parlait aussi au Lab-Labanque.
Bref, l’avenir du dortoir tient en
sept lettres : MYSTÈRE ! ᔡ
Les initiés appellent ça de
« l’urbex ». Comprenez
« exploration urbaine ». Le jeu
consiste à s’introduire sans
effraction dans des friches et à
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émotions plein la besace. Ça
reste illégal, alors c’est en
compagnie des propriétaires
qu’on vous emmène jeter un
œil derrière ces portes closes.
Après-midi pyjama dans
l’ancien dortoir des filles...
PAR ISABELLE MASTIN
bethune@info-artois.fr
Malgré une rangée de palissades
peu amènes et des fenêtres brisées,
l’endroit en jette encore. Le pignon
fanfaronne sur une façade en bri-
que d’ordonnance classique. C’est
que la nuit du 17 octobre 2009, il
a eu chaud : un incendie d’une
rare intensité a tiré les riverains de
la rue Berthelot du sommeil. L’an-
cien dortoir des jeunes filles était la
proie d’un brasier. Des flammes ra-
geuses de 7 à 8 m, visibles à plu-
sieurs kilomètres. L’électricité et le
gaz étaient coupés, le maire y allait
de ses soupçons quant à l’origine
du sinistre (lire ci-dessous).
Été 2011 : on n’en sait pas plus sur
les causes de l’incendie. Et pas da-
vantage sur l’avenir d’une bâtisse
défiant le quartier de sa masse. Les
dégâts se sont concentrés sur les
hauteurs et c’est sans trop de ris-
ques qu’on en fait encore le tour.
Sous les semelles crissent des gra-
vats tombés des plafonds rongés
d’humidité et on n’a pas fait trois
pas qu’on tombe sur le seul élé-
ment fidèle aux origines : la plaque
commémorative de l’inauguration
du collège de jeunes filles. C’était le
23 juillet 1911 et le ministre de
l’Instruction était là. Un siècle plus
tôt jour pour jour, presque. Ils se-
raient surpris, le recteur d’acadé-
mie et le maire Jules Sénis de voir
comme le vernis s’est craquelé.
Dans les vastes et hautes pièces du
rez-de-chaussée, des cheminées de
marbre reflètent l’élégance bour-
geoise persistante et ce n’est pas
que l’escalier monumental qui des-
sert trois étages ait perdu de son
galbe, mais ni les pigeons ni les se-
cours ne l’ont épargné. Personne
n’est passé faire le ménage et c’est
le pas mal assuré qu’on l’escalade.
De longs couloirs, un lavabo (rare
pièce de mobilier encore en place)
et soudain, un bruit inattendu fait
sursauter. En dépit d’une signaléti-
que au feutre (« SQUAT »), les im-
portuns n’ont pas l’air d’avoir
gardé des habitudes ici et le dépla-
cement d’air n’était dû qu’à un vo-
latile troublé dans sa retraite.
Dans le hall, on a souri de pantou-
fles dépareillées traînant dans la sa-
leté. Pas d’époque, mais clin d’œil
à ce temps où les collégiennes dor-
maient ici. Plus réaliste, ce dortoir
où une tapisserie rose girly par-
vient de moins en moins à s’accro-
cher au mur. Ici et là, des caches
rappellent que l’installation électri-
que a déjà failli être refaite.
Se rapprocher du ciel augure de
l’enfer vécu par les lieux. De plus
en plus de restes de plafonds au sol,
des cheminées de marbre joliment
moulurées, pied de nez à la ruine.
La toiture a disparu. Le bon côté,
c’est que la vue sur le boulevard
Hugo est imprenable. Même sous
la pluie, parce que tout de même,
on est en juillet.
Les assurances doivent permettre
de remettre la bâtisse hors d’eau
mais en attendant, le carrelage
ruisselle et, au milieu de rien, un
radiateur se ferait passer pour un
chef d’œuvre d’art contemporain.
Plus artistique encore, cette fenê-
tre. Entre deux battements d’un ri-
deau en guenilles, la tour Borel
s’encadre, défi à la modernité. ᔡ
Suivez notre visite guidée
en photos sur la page
Facebook de la rédaction
de Béthune : « Photos ».
L’ancien dortoir des filles ose
à peine encore faire de beaux rêves
La renaissance ou la destruction ?
FRICHES : RETOUR VERS LE FUTUR (2)
Rue Berthelot, un cordon de barrières sécurise les abords d’un
bâtiment en souffrance.
Au rez-de-chaussée, une enfilade de belles pièces aux plafonds hauts
et aux cheminées de marbre suggèrent le lustre d’antan.
La cage d’escalier n’a pas trop pâti de l’incendie. Plutôt des gravats
et des pigeons... La rampe est intacte.
Plus de toit, plus de vitres aux fenêtres... Au dernier étage, la vue est
dégagée. Au loin, la tour Borel affiche une insolente modernité.
8 BÉTHUNE
LA VOIX DU NORD
VENDREDI 29 JUILLET 2011
2219.

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  • 1. 1911Le 23 juillet, on inaugure le collège de jeunes filles devant le gratin : ministre de l’Ins- truction publique, recteur de l’académie de Lille, élus... 2005Le conseil général rétrocède l’endroit à la Ville. 2009Le 17 octobre, un incendie spectaculaire dévaste la toi- ture. L’avenir du site reste in- certain. EN CHIFFRES® ᔡ Survivant.- Décembre 2003 : une aile de l’ancien collège de jeu- nes filles est abattue. Elle n’était plus conforme aux normes de sécu- rité ; les réserves du musée d’Ethno- logie ont eu chaud, réfugiées dans un entrepôt plus adapté, avenue Kennedy. L’aile abritant la concier- gerie et le dortoir est épargnée. ᔡ Les projets.- Après la destruc- tion du bâtiment (ex-hôpital mili- taire durant la Grande Guerre), Jac- ques Mellick cherche une vocation à l’aile épargnée. Daniel Boys, pre- mier adjoint,y voit un lieu d’échan- ges entre architectes, universitai- res, spécialistes des travaux pu- blics... On évoque des expos tempo- raires du musée d’Ethnologie, voire de bâtir une extension sur l’espace béant voisin. Fin 2004, on parle d’élargir la liste des occupants au SCOT et à l’Agence d’urbanisme. ᔡ L’Arlésienne.- On l’avait pour- tant dit : en 2007, le musée d’Eth- nologie régionale ne serait plus un serpent de mer. Mais si. Daniel Boys repousse l’échéance à 2010, espérant faire résonner l’ouverture avec la capitale régionale de la culture. Le « learning center » est toujours dans les cartons. ᔡ Au feu.- Le 17 octobre 2009, dans la lueur du brasier, Stéphane Saint-André s’interroge sur l’ori- gine du sinistre. Reparle du gaz et de l’électricité coupés. « Il ne faut pas condamner sans preuves mais c’est quand même étrange ! » Au conseil municipal de septembre, il s’était interrogé sur la nature réelle de travaux de toiture faits avant son arrivée. 500 000 €. Coïnci- dence ? L’enquête n’a rien donné. ᔡ Renaissance ou destruction ? - L’incendie a aggravé la vétusté des lieux et même si les assurances vont permettre de les remettre au sec, une restauration complète coû- terait une fortune. Le maire a deux options. « Béthune compte plus de 100 bâtiments dans son patrimoine architectural. » Trop lourd de tout entretenir. Le dortoir, « on va le ven- dre. Je l’ai proposé au conseil régio- nal pour y accueillir le Centre régio- nal des lettres et du livre. » C’est ça ou la destruction. Il n’a pas reçu de réponse à son courrier mais qu’il se rassure : la lettre est arrivée à bon port et la Région assure que le lieu fait partie des pistes étudiées. On en parlait aussi au Lab-Labanque. Bref, l’avenir du dortoir tient en sept lettres : MYSTÈRE ! ᔡ Les initiés appellent ça de « l’urbex ». Comprenez « exploration urbaine ». Le jeu consiste à s’introduire sans effraction dans des friches et à en ressortir des photos et des émotions plein la besace. Ça reste illégal, alors c’est en compagnie des propriétaires qu’on vous emmène jeter un œil derrière ces portes closes. Après-midi pyjama dans l’ancien dortoir des filles... PAR ISABELLE MASTIN bethune@info-artois.fr Malgré une rangée de palissades peu amènes et des fenêtres brisées, l’endroit en jette encore. Le pignon fanfaronne sur une façade en bri- que d’ordonnance classique. C’est que la nuit du 17 octobre 2009, il a eu chaud : un incendie d’une rare intensité a tiré les riverains de la rue Berthelot du sommeil. L’an- cien dortoir des jeunes filles était la proie d’un brasier. Des flammes ra- geuses de 7 à 8 m, visibles à plu- sieurs kilomètres. L’électricité et le gaz étaient coupés, le maire y allait de ses soupçons quant à l’origine du sinistre (lire ci-dessous). Été 2011 : on n’en sait pas plus sur les causes de l’incendie. Et pas da- vantage sur l’avenir d’une bâtisse défiant le quartier de sa masse. Les dégâts se sont concentrés sur les hauteurs et c’est sans trop de ris- ques qu’on en fait encore le tour. Sous les semelles crissent des gra- vats tombés des plafonds rongés d’humidité et on n’a pas fait trois pas qu’on tombe sur le seul élé- ment fidèle aux origines : la plaque commémorative de l’inauguration du collège de jeunes filles. C’était le 23 juillet 1911 et le ministre de l’Instruction était là. Un siècle plus tôt jour pour jour, presque. Ils se- raient surpris, le recteur d’acadé- mie et le maire Jules Sénis de voir comme le vernis s’est craquelé. Dans les vastes et hautes pièces du rez-de-chaussée, des cheminées de marbre reflètent l’élégance bour- geoise persistante et ce n’est pas que l’escalier monumental qui des- sert trois étages ait perdu de son galbe, mais ni les pigeons ni les se- cours ne l’ont épargné. Personne n’est passé faire le ménage et c’est le pas mal assuré qu’on l’escalade. De longs couloirs, un lavabo (rare pièce de mobilier encore en place) et soudain, un bruit inattendu fait sursauter. En dépit d’une signaléti- que au feutre (« SQUAT »), les im- portuns n’ont pas l’air d’avoir gardé des habitudes ici et le dépla- cement d’air n’était dû qu’à un vo- latile troublé dans sa retraite. Dans le hall, on a souri de pantou- fles dépareillées traînant dans la sa- leté. Pas d’époque, mais clin d’œil à ce temps où les collégiennes dor- maient ici. Plus réaliste, ce dortoir où une tapisserie rose girly par- vient de moins en moins à s’accro- cher au mur. Ici et là, des caches rappellent que l’installation électri- que a déjà failli être refaite. Se rapprocher du ciel augure de l’enfer vécu par les lieux. De plus en plus de restes de plafonds au sol, des cheminées de marbre joliment moulurées, pied de nez à la ruine. La toiture a disparu. Le bon côté, c’est que la vue sur le boulevard Hugo est imprenable. Même sous la pluie, parce que tout de même, on est en juillet. Les assurances doivent permettre de remettre la bâtisse hors d’eau mais en attendant, le carrelage ruisselle et, au milieu de rien, un radiateur se ferait passer pour un chef d’œuvre d’art contemporain. Plus artistique encore, cette fenê- tre. Entre deux battements d’un ri- deau en guenilles, la tour Borel s’encadre, défi à la modernité. ᔡ Suivez notre visite guidée en photos sur la page Facebook de la rédaction de Béthune : « Photos ». L’ancien dortoir des filles ose à peine encore faire de beaux rêves La renaissance ou la destruction ? FRICHES : RETOUR VERS LE FUTUR (2) Rue Berthelot, un cordon de barrières sécurise les abords d’un bâtiment en souffrance. Au rez-de-chaussée, une enfilade de belles pièces aux plafonds hauts et aux cheminées de marbre suggèrent le lustre d’antan. La cage d’escalier n’a pas trop pâti de l’incendie. Plutôt des gravats et des pigeons... La rampe est intacte. Plus de toit, plus de vitres aux fenêtres... Au dernier étage, la vue est dégagée. Au loin, la tour Borel affiche une insolente modernité. 8 BÉTHUNE LA VOIX DU NORD VENDREDI 29 JUILLET 2011 2219.