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L’économie de l’espace orbital et des débris spatiaux
Yann ARNAUD ∗
, Université Clermont-Auvergne & CERDI, France
Février 2021
La pollution spatiale provient majoritairement des débris. Selon la NASA, ces déchets sont tous les
objets non opérationnels fabriqués par l’Homme et résidant dans l’orbite de la Terre. Ils sont issus
principalement des lancements de fusées et des collisions entre les satellites et les débris eux-mêmes.
Aujourd’hui, plus de 21 000 débris de taille supérieure à 10 centimètres de diamètre sont répertoriés dans
l’orbite terrestre.
En se référant à la typologie des biens de Samuelson, l’espace orbital est un bien commun. Il est
caractérisé par sa non-exclusivité, car on ne peut exclure aucun agent de la consommation de ce bien,
et par sa non-rivalité, puisque l’on ne peut utiliser l’espace orbital déjà utilisée par une autre nation ou
organisation. Selon Hardin [1], les biens satisfaisant ces propriétés sont sujets à la tragédie des communs.
L’absence de droit de propriétés bien établies, et/ou leur non-respect, engendrent une surexploitation des
ressources, ou une pollution importante comme dans le cas de l’espace orbital.
Du Syndrome physique de Kessler au Syndrome économique de Kessler
À la fin des années soixante-dix, Donald Kessler démontre que le risque de collisions augmente avec le
nombre de satellites artificiels. Ces chocs produisent des fragments de tailles variables, qui eux-mêmes,
augmentent la probabilité d’autres collisions [2]. La multiplication des déchets forme une ceinture de
débris autour de la Terre et rend inaccessibles certains espaces orbitaux. On appelle ce phénomène le
Syndrome de Kessler.
D’un point de vue économique, cette situation provoque des externalités négatives. L’utilisation de
l’espace orbital par un opérateur entraîne une action négative (des débris spatiaux) sur la production
ou la consommation d’un autre agent (un satellite, des découvertes scientifiques). Deux sources de ces
externalités négatives sont principalement évoquées [3] Premièrement, les compagnies spatiales lancent un
nombre excessif de satellites (par rapport à l’optimum social) car elles n’intègrent pas les coûts occasionnés
par les déchets. De ce fait, l’accumulation de ces derniers accélère la formation de la ceinture de débris.
Deuxièmement, les technologies d’atténuation des résidus orbitaux sont coûteuses et les entreprises sous
investissent dans ces dernières. Bien que les incidents se multiplient et que l’ISS doit régulièrement
modifier ses trajectoires de vols pour éviter des chocs, peu de décisions sont engagées à l’heure actuelle
pour traiter ces problèmes.
Pourtant, les externalités entraînent des dommages importants. Ils sont caractérisés par des coûts
économiques supplémentaires tels que l’augmentation des coûts d’exploitations, des coûts d’assurances,
des coûts de surveillance, des coûts de blindage et de maintenance [4]. Le Syndrome économique de Kessler
fait l’hypothèse que l’espace orbital reste praticable mais il devient économiquement non rentable. En
d’autres termes, il existe un seuil de débris à partir duquel les recettes supplémentaires attendues (le
revenu marginal) du lancement d’un satellite seront inférieures aux coûts supplémentaires prévus (le coût
marginal).
∗yann.arnaud63@gmail.com
1
Les politiques économiques de lutte contre la pollution appliquées aux débris spatiaux
L’objectif des politiques économiques est d’obtenir un niveau de pollution socialement optimal. Les
organismes chargés de la régulation font un arbitrage entre les dommages et les bénéfices.
Tout d’abord, ces politiques peuvent se traduire par des négociations et des recommandations. En
2010, le Bureau des Nations Unies pour les affaires spatiales a publié des lignes directrices d’atténuation
pour les compagnies spatiales [5]. Ces lignes directrices sont des recommandations qu’aucun État membre
ou exploitant n’est obligé de suivre. Comme le démontre Adilov et al. [6], si la confirmé de ces règles
atteignait un taux de 95 pour cent, l’accumulation des débris ralentirait drastiquement. Cependant, ces
directives ont un coût direct pour les opérateurs. En effet, les coûts marginaux de mise en conformité seront
supérieurs aux bénéfices marginaux. Les exploitants ne seront pas incités à changer de comportement et
il est peu probable que ces instructions soient efficaces sur le long terme. L’approche Ordre et Contrôle
(Order Control) imposerait aux exploitants une réglementation stricte à l’aide de normes d’émissions
et/ou de normes technologiques. L’efficacité serait accrue, mais le manque de flexibilité de ces mesures
serait un frein au développement économique de ce secteur.
Ensuite, la littérature économique évoque fréquemment la taxation quand il s’agit d’internaliser les
pollutions. En appliquant cet instrument prix, l’externalité négative devient tarifée et l’opérateur doit
alors prendre en compte cette dernière dans son calcul économique. C’est dans ce sens qu’une taxe sur les
débris, de type pigouvienne (ou taxe carbone), permettrait l’abaissement des débris spatiaux en fixant
un prix selon la quantité de déchets ou de lancements spatiaux. Il est nécessaire que les niveaux de ces
taxes soient assez corrélés avec le dommage marginal pour modifier le comportement des opérateurs et
ainsi diminuer la pollution de débris.
Enfin, un marché de permis d’émissions pourrait être instauré par une autorité suprême en fixant la
quantité maximale de pollution qu’elle souhaite ne pas dépasser pour une période donnée. En fractionnant
ce plafond de pollution sous forme de quotas d’émissions, le régulateur ordonne aux entreprises de justifier
leurs émissions de débris spatiaux par un montant équivalent aux quotas. De plus, le régulateur pourrait
recycler la rente issue de la distribution des quotas pour dédommager les individus impactés par les débris
spatiaux. Néanmoins, le périmètre et la distribution des quotas ne sont pas toujours aisés à implémenter,
d’autant plus que le marché de l’espace n’est pas concurrentiel au sens de la théorie de la concurrence
pure et parfaite.
Applications politiques et économiques
L’environnement spatial devient encombrant et une gouvernance cohérente est nécessaire pour assurer la
durabilité de l’environnement spatial. En 2012, Weeden et Johnoson Freese [7] appliquent les huit principes
d’Elinor Ostrom relatifs aux ressources communes pour identifier les mécanismes actuels de gouvernance
spatiale. Il en ressort principalement une défaillance, voire une absence d’institutions pour améliorer les
régimes de droits spatiaux développés pendant la guerre froide. De plus, les auteurs soulignent le fait que
les recommandations d’Ostrom s’appliquent principalement à la gestion locale des ressources. Les règles
de sanctions graduées seraient difficilement applicables en réalité. Cependant, ces principes semblent
pouvoir fournir une première feuille de route nécessaire pour développer des mécanismes institutionnels
stables.
En 2018, Adilov et al. [8] construisent des modèles dynamiques des débris orbitaux en formulant
plusieurs scénarios. Premièrement, ils démontrent que l’espace orbital deviendra inutilisable dans le futur
car les coûts deviendront trop importants. De ce fait, le Syndrome économique de Kessler se produirait
probablement avant le Syndrome physique de Kessler. Ensuite, les auteurs démontrent qu’il existe une
relation non linéaire entre la quantité de débris et le nombre de lancements. En effet, à un seuil donné
de débris, la croissance des lancements dans l’espace diminuera car il sera nécessaire de remplacer les
satellites détruits. Le nombre de satellites opérationnels est une fonction décroissante de la quantité
de débris. Cela implique que l’augmentation des lancements ne compensera pas entièrement la perte de
satellites. En résumé, la quantité d’appareils spatiaux en fonctionnement diminuera à un rythme croissant.
2
Les outils économiques permettront de modéliser plusieurs scénarios et de modifier les comportements
de l’industrie spatiale. Cependant, il est nécessaire qu’une politique active d’enlèvement de déchets soit
mise en place au préalable car trop de débris sont actuellement présents. Il est également important de
bien définir les droits de propriétés des espaces orbitaux et les instances légales qui les régissent. Une fois
ces obstacles soulevés, les instruments économiques peuvent permettre d’assurer un bon équilibre entre
les activités spatiales et les débris orbitaux.
Références
[1] Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”. Science (13 décembre 1968), vol. 162. no 3859, p.
1243-1248
[2] Kessler, Donald J., and Burton G. Cour-Palais. "Collision frequency of artificial satellites : The crea-
tion of a debris belt." Journal of Geophysical Research : Space Physics 83.A6 (1978) : 2637-2646.
[3] Adilov, Nodir, Peter J. Alexander, and Brendan M. Cunningham. "An economic analysis of earth
orbit pollution." Environmental and Resource Economics 60.1 (2015) : 81-98.
[4] Undseth, Marit, Claire Jolly, and Mattia Olivari. "Space sustainability : The economics of space debris
in perspective." (2020).
[5] United Nations Office for Outer Space Affairs. "Space Debris Mitigation Guidelines of the Committee
on the Peaceful Uses of Outer Space." (2010).
[6] Adilov, Nodir, Peter J. Alexander, and Brendan M. Cunningham. "The economics of orbital debris ge-
neration, accumulation, mitigation, and remediation." Journal of Space Safety Engineering 7.3 (2020) :
447-450.
[7] Weeden, Brian C., and Tiffany Chow. "Taking a common-pool resources approach to space sustaina-
bility : A framework and potential policies." Space Policy 28.3 (2012) : 166-172.
[8] Adilov, Nodir, Peter J. Alexander, and Brendan M. Cunningham. "An economic “Kessler Syndrome” :
A dynamic model of earth orbit debris." Economics Letters 166 (2018) : 79-82.
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L’économie de l’espace orbital et des débris spatiaux

  • 1. L’économie de l’espace orbital et des débris spatiaux Yann ARNAUD ∗ , Université Clermont-Auvergne & CERDI, France Février 2021 La pollution spatiale provient majoritairement des débris. Selon la NASA, ces déchets sont tous les objets non opérationnels fabriqués par l’Homme et résidant dans l’orbite de la Terre. Ils sont issus principalement des lancements de fusées et des collisions entre les satellites et les débris eux-mêmes. Aujourd’hui, plus de 21 000 débris de taille supérieure à 10 centimètres de diamètre sont répertoriés dans l’orbite terrestre. En se référant à la typologie des biens de Samuelson, l’espace orbital est un bien commun. Il est caractérisé par sa non-exclusivité, car on ne peut exclure aucun agent de la consommation de ce bien, et par sa non-rivalité, puisque l’on ne peut utiliser l’espace orbital déjà utilisée par une autre nation ou organisation. Selon Hardin [1], les biens satisfaisant ces propriétés sont sujets à la tragédie des communs. L’absence de droit de propriétés bien établies, et/ou leur non-respect, engendrent une surexploitation des ressources, ou une pollution importante comme dans le cas de l’espace orbital. Du Syndrome physique de Kessler au Syndrome économique de Kessler À la fin des années soixante-dix, Donald Kessler démontre que le risque de collisions augmente avec le nombre de satellites artificiels. Ces chocs produisent des fragments de tailles variables, qui eux-mêmes, augmentent la probabilité d’autres collisions [2]. La multiplication des déchets forme une ceinture de débris autour de la Terre et rend inaccessibles certains espaces orbitaux. On appelle ce phénomène le Syndrome de Kessler. D’un point de vue économique, cette situation provoque des externalités négatives. L’utilisation de l’espace orbital par un opérateur entraîne une action négative (des débris spatiaux) sur la production ou la consommation d’un autre agent (un satellite, des découvertes scientifiques). Deux sources de ces externalités négatives sont principalement évoquées [3] Premièrement, les compagnies spatiales lancent un nombre excessif de satellites (par rapport à l’optimum social) car elles n’intègrent pas les coûts occasionnés par les déchets. De ce fait, l’accumulation de ces derniers accélère la formation de la ceinture de débris. Deuxièmement, les technologies d’atténuation des résidus orbitaux sont coûteuses et les entreprises sous investissent dans ces dernières. Bien que les incidents se multiplient et que l’ISS doit régulièrement modifier ses trajectoires de vols pour éviter des chocs, peu de décisions sont engagées à l’heure actuelle pour traiter ces problèmes. Pourtant, les externalités entraînent des dommages importants. Ils sont caractérisés par des coûts économiques supplémentaires tels que l’augmentation des coûts d’exploitations, des coûts d’assurances, des coûts de surveillance, des coûts de blindage et de maintenance [4]. Le Syndrome économique de Kessler fait l’hypothèse que l’espace orbital reste praticable mais il devient économiquement non rentable. En d’autres termes, il existe un seuil de débris à partir duquel les recettes supplémentaires attendues (le revenu marginal) du lancement d’un satellite seront inférieures aux coûts supplémentaires prévus (le coût marginal). ∗yann.arnaud63@gmail.com 1
  • 2. Les politiques économiques de lutte contre la pollution appliquées aux débris spatiaux L’objectif des politiques économiques est d’obtenir un niveau de pollution socialement optimal. Les organismes chargés de la régulation font un arbitrage entre les dommages et les bénéfices. Tout d’abord, ces politiques peuvent se traduire par des négociations et des recommandations. En 2010, le Bureau des Nations Unies pour les affaires spatiales a publié des lignes directrices d’atténuation pour les compagnies spatiales [5]. Ces lignes directrices sont des recommandations qu’aucun État membre ou exploitant n’est obligé de suivre. Comme le démontre Adilov et al. [6], si la confirmé de ces règles atteignait un taux de 95 pour cent, l’accumulation des débris ralentirait drastiquement. Cependant, ces directives ont un coût direct pour les opérateurs. En effet, les coûts marginaux de mise en conformité seront supérieurs aux bénéfices marginaux. Les exploitants ne seront pas incités à changer de comportement et il est peu probable que ces instructions soient efficaces sur le long terme. L’approche Ordre et Contrôle (Order Control) imposerait aux exploitants une réglementation stricte à l’aide de normes d’émissions et/ou de normes technologiques. L’efficacité serait accrue, mais le manque de flexibilité de ces mesures serait un frein au développement économique de ce secteur. Ensuite, la littérature économique évoque fréquemment la taxation quand il s’agit d’internaliser les pollutions. En appliquant cet instrument prix, l’externalité négative devient tarifée et l’opérateur doit alors prendre en compte cette dernière dans son calcul économique. C’est dans ce sens qu’une taxe sur les débris, de type pigouvienne (ou taxe carbone), permettrait l’abaissement des débris spatiaux en fixant un prix selon la quantité de déchets ou de lancements spatiaux. Il est nécessaire que les niveaux de ces taxes soient assez corrélés avec le dommage marginal pour modifier le comportement des opérateurs et ainsi diminuer la pollution de débris. Enfin, un marché de permis d’émissions pourrait être instauré par une autorité suprême en fixant la quantité maximale de pollution qu’elle souhaite ne pas dépasser pour une période donnée. En fractionnant ce plafond de pollution sous forme de quotas d’émissions, le régulateur ordonne aux entreprises de justifier leurs émissions de débris spatiaux par un montant équivalent aux quotas. De plus, le régulateur pourrait recycler la rente issue de la distribution des quotas pour dédommager les individus impactés par les débris spatiaux. Néanmoins, le périmètre et la distribution des quotas ne sont pas toujours aisés à implémenter, d’autant plus que le marché de l’espace n’est pas concurrentiel au sens de la théorie de la concurrence pure et parfaite. Applications politiques et économiques L’environnement spatial devient encombrant et une gouvernance cohérente est nécessaire pour assurer la durabilité de l’environnement spatial. En 2012, Weeden et Johnoson Freese [7] appliquent les huit principes d’Elinor Ostrom relatifs aux ressources communes pour identifier les mécanismes actuels de gouvernance spatiale. Il en ressort principalement une défaillance, voire une absence d’institutions pour améliorer les régimes de droits spatiaux développés pendant la guerre froide. De plus, les auteurs soulignent le fait que les recommandations d’Ostrom s’appliquent principalement à la gestion locale des ressources. Les règles de sanctions graduées seraient difficilement applicables en réalité. Cependant, ces principes semblent pouvoir fournir une première feuille de route nécessaire pour développer des mécanismes institutionnels stables. En 2018, Adilov et al. [8] construisent des modèles dynamiques des débris orbitaux en formulant plusieurs scénarios. Premièrement, ils démontrent que l’espace orbital deviendra inutilisable dans le futur car les coûts deviendront trop importants. De ce fait, le Syndrome économique de Kessler se produirait probablement avant le Syndrome physique de Kessler. Ensuite, les auteurs démontrent qu’il existe une relation non linéaire entre la quantité de débris et le nombre de lancements. En effet, à un seuil donné de débris, la croissance des lancements dans l’espace diminuera car il sera nécessaire de remplacer les satellites détruits. Le nombre de satellites opérationnels est une fonction décroissante de la quantité de débris. Cela implique que l’augmentation des lancements ne compensera pas entièrement la perte de satellites. En résumé, la quantité d’appareils spatiaux en fonctionnement diminuera à un rythme croissant. 2
  • 3. Les outils économiques permettront de modéliser plusieurs scénarios et de modifier les comportements de l’industrie spatiale. Cependant, il est nécessaire qu’une politique active d’enlèvement de déchets soit mise en place au préalable car trop de débris sont actuellement présents. Il est également important de bien définir les droits de propriétés des espaces orbitaux et les instances légales qui les régissent. Une fois ces obstacles soulevés, les instruments économiques peuvent permettre d’assurer un bon équilibre entre les activités spatiales et les débris orbitaux. Références [1] Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”. Science (13 décembre 1968), vol. 162. no 3859, p. 1243-1248 [2] Kessler, Donald J., and Burton G. Cour-Palais. "Collision frequency of artificial satellites : The crea- tion of a debris belt." Journal of Geophysical Research : Space Physics 83.A6 (1978) : 2637-2646. [3] Adilov, Nodir, Peter J. Alexander, and Brendan M. Cunningham. "An economic analysis of earth orbit pollution." Environmental and Resource Economics 60.1 (2015) : 81-98. [4] Undseth, Marit, Claire Jolly, and Mattia Olivari. "Space sustainability : The economics of space debris in perspective." (2020). [5] United Nations Office for Outer Space Affairs. "Space Debris Mitigation Guidelines of the Committee on the Peaceful Uses of Outer Space." (2010). [6] Adilov, Nodir, Peter J. Alexander, and Brendan M. Cunningham. "The economics of orbital debris ge- neration, accumulation, mitigation, and remediation." Journal of Space Safety Engineering 7.3 (2020) : 447-450. [7] Weeden, Brian C., and Tiffany Chow. "Taking a common-pool resources approach to space sustaina- bility : A framework and potential policies." Space Policy 28.3 (2012) : 166-172. [8] Adilov, Nodir, Peter J. Alexander, and Brendan M. Cunningham. "An economic “Kessler Syndrome” : A dynamic model of earth orbit debris." Economics Letters 166 (2018) : 79-82. 3