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L’HÉRITIER
Je suis arrivé à huit heures moins le quart devant la société du géant de
l’éolien français. Je me suis allumé une cigarette. Insuffler cette nicotine
m’offrit un instant de détente appréciable. Je recrachais la fumée dans un long
soupir. Opaque, l’émanation octroyait aux décors une ambiance vaporeuse.
J’ai écrasé mon mégot sur la chambre à air de ma vieille bicyclette. Je suis
resté un moment à parcourir la devanture des lieux. Sur l’aile droite de
l’édifice, des maçons semblaient ravaler la façade. L’un d’eux criait, tout en
faisant de grands gestes incompréhensibles. Quand il s’est senti observé, il
s’est retourné en ma direction.
— Qu’est- ce qu’il regarde lui ? Ne veux pas nous aider au lieu de buller ?
J’ai souri, puis suis rentré dans le hall du bâtiment. Je me présentais à
l’accueil. Un vieil homme se tenait assis à tapoter violemment sur les touches
d’un clavier. Je toussais pour faire valoir ma présence. Il leva les yeux en ma
direction, tout en caressant frénétiquement le piano à lettres.
— Bonjour. Carmen Judiye. Je viens pour le job.
— Comme tous ceux qui patientent à côté. Vous êtes le numéro treize.
Bonne chance monsieur.
Il me tendit un coupon. Et d’un mouvement de tête, il m’indiqua la pièce
à proximité. Je lui rendis son amabilité d’un sourire en me dirigeant à la salle
d’attente. J’ouvris la porte.
— Bonjour, lançais-je.
Pas de réponse. Il y avait une dizaine de gars de tous âges qui siégeaient
sur des fauteuils en cuir rouge. Tous me regardaient joindre ma place.
L’ambiance était tendue. Le vieil homme en face de moi avait mauvaise allure.
Sa barbe n’était pas rasée, et il sentait la bière bon marché qu’on aurait laissé
macérer plus de deux semaines dans une canette rouillée, sur une table de
chevet de chambre d’hôtel. Je savais de quoi je parlais. J’ai déjà eu à faire ça.
Croyez-moi, ça n’a rien de dégoutant de boire ça, surtout après une dure
journée. Suffit de ne pas être trop exigeant avec l’alcool.
Au bout d’une demi-heure, un homme en costume trois pièces est entré.
— Bonjour à tous, a-t-il dit.
L’individu inspirait le respect. Veston impeccable, pantalon repassé et
chaussures noires cirées. La perfection dans le monde du travail. Sa présence
apporta une fragrance agréable aux lieux. Les autres candidats semblaient
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éhontés devant cette situation. Moi, je m’en fichais un peu. J’étais là
uniquement sur la demande de Carla Brown, la mère de Bobby, un fidèle ami
depuis le collège. Sa vieille, c’était la femme parfaite. Intelligente, drôle,
manuelle, bonne cuisinière. Et elle avait un physique qui traduisait à merveille
toutes les qualités précédentes. Je crois qu’un jour, j’avais dit à Bobby que sa
mère me plaisait, et que je pourrai la rendre heureuse toutes les heures avec
un rien. On s’est battu pour cette remarque. Puis on a bu ensemble pour en
rire. Il n’empêche que Carla, c’était une chouette femme. Sa bienveillance
m’avait sauvé dans bien des situations. Et si j’étais là ce matin, face au
recruteur, c’était bien grâce à elle. Tout ça pour vous dire que je n’étais pas là
pour étaler ma richesse ou autre à tous les désespérés de l’assemblée. Je ne
savais même pas si l’emploi m’intéressait. Quel poste visais-je d’ailleurs ?
Pour le savoir, j’ai fouillé dans ma poche droite. J’en ai sorti un article et
un morceau du chewing-gum usé. Pour lire l’annonce, il me fallait décoller le
bonbon du papier. J’ai tiré un grand coup. Le coupon a cédé et s’est déchiré
en deux parties. En joignant les deux bouts, je pus déchiffrer « Entreprise
recherche manutentionnaire pour remplacement urgent ». L’intitulé me
décrocha un sourire de motivation. J’étais fin prête pour me battre face aux
autres candidats. Le travail ne semblait pas si compliqué. Et avec ma chance,
je serais affecté avec Bobby.
Après quelques heures d’attente, ce fut mon tour. L’entretien n’a pas
dépassé les dix minutes. Lorsque je traversai le hall d’entrée, l’hôte des lieux
ne tapotait plus sur sa machine. Dehors, la pluie s’abattait avec violence sur le
bitume. La ville était recouverte d’une brume glaciale. La chaleur du foehn
autrichien semblait si loin de ma réalité présente. Je pris ma bicyclette, puis je
traçais les dix kilomètres nécessaires jusqu’à mon hôtel du centre-ville.
Une fois rentré, je composais le numéro de Carla Brown.
— Carmen, c’est toi ? répondit-elle.
— Oui Madame Brown.
— Alors cet entretien ?
— Vous auriez pu me prévenir pour Bobby…
Je raccrochais avant une réplique de sa part. Le recruteur m’avait appris
que Bobby était mort écrasé par une presse plus tôt dans la semaine. C’est lui
que je devais remplacer le lendemain à l’usine.
Sur la table de chevet siégeait une bière ouverte depuis quelques jours.
J’en bus un peu. Le goût de macération me fit déglutir.