1. Mont
Elbrouz
–
Juillet
2015
De
la
Pointe
du
Raz
aux
Monts
Oural,
des
volcans
d’Islande
au
détroit
du
Bosphore,
il
n’existe
nul
point
plus
haut
que
le
Mont
Elbrouz,
situé
en
Russie,
dans
le
massif
du
Caucase
à
5.642
mètres.
Coincé
entre
la
Tchétchénie,
la
Géorgie
et
la
mer
Noire,
l’Elbrouz
est
un
volcan
venu
d’ailleurs,
d’un
autre
temps,
mais
quel
volcan
!
Jean-‐Gabriel
Chelala,
entrepreneur
aventurier
s’est
lancé
en
juillet
2015
pour
un
planté
de
drapeau
sur
le
toit
de
l’Europe…
ou
presque…
Au
commencement
une
salle
d’accouchement
Tout
commence
le
12
juin
2015
en
salle
d’accouchement
à
l’hôpital
Sud
de
Rennes.
Jean-‐Gabriel
et
sa
femme
viennent
d’avoir
leur
second
petit
garçon
:
Joachim.
Sans
doute
par
émotion,
certainement
par
passion,
Jean-‐Gabriel
se
dit
qu’il
faut
marquer
le
coup.
Rien
d’exceptionnel
jusque
là.
Tout
le
monde
répondrait
qu’une
soirée
bien
arrosée
contribue
indéniablement
à
marquer
l’événement,
mais
Jean-‐Gabriel
se
voit
plutôt
gravir
le
sommet
de
l’Europe
pour
l’occasion.
Ben
voyons
!
Il
faut
dire
que
le
garçon
n’est
pas
à
son
coup
d’essai.
Franco-‐libanais
âgé
de
34
ans
et
père
de
deux
enfants,
il
a
à
son
actif
le
Mont
Blanc
(4.808
mètres)
par
trois
fois,
le
Kilimandjaro
(5.895
mètres)
en
Tanzanie,
l’Aconcagua
(6.962
mètres)
en
Argentine
et
quelques
autres
sommets
ça
et
là.
En
2004,
il
boucle
un
tour
du
monde
à
la
rencontre
de
la
population
et
de
l’habitat
traditionnel.
En
2008,
il
se
lance
dans
une
aventure
folle
:
faire
le
tour
du
monde
en
n’utilisant
rien
d’autre
que
sa
propre
force.
Vélo
sur
terre,
mais
vel’eau
(engin
mu
par
un
pédalier)
sur
mer
!
Deux
ans
d’expédition,
deux
records
du
monde
et
seulement
deux
kilos
de
perdu
après
quatre
mois
et
5.000
milles
nautiques
(9.250
kilomètres)
d’une
traversée
de
l’Atlantique
du
Portugal
à
la
Floride.
Si
vous
aviez
deux
heures
devant
vous
les
anecdotes
ne
manquent
pas,
mais
là
n’est
pas
le
sujet
du
jour,
revenons
donc
sur
les
pentes
enneigées
du
Mont
Elbrouz.
Un
départ
in
extremis
Après
une
rapide
analyse
de
la
situation,
le
sommet
se
présente
plutôt
bien.
Les
conditions
climatiques
sont
ce
qu’elles
sont,
mais
à
pareille
altitude,
elles
peuvent
être
qualifiées
de
convenables.
Une
ascension
en
solitaire
avec
tente,
réchaud
et
autonomie
alimentaire
ne
semble
pas
présenter
de
difficultés
pour
Jean-‐Gabriel.
Notre
aventurier
se
lance
donc
dans
les
démarches
administratives
pour
l’obtention
d’un
visa.
Formalité
bégnine
au
regard
de
la
montagne
restant
à
gravir,
oui
mais
on
parle
de
la
Russie.
Et
on
parle
d’un
massif
à
200
kilomètres
de
la
capitale
tchétchène,
Grozny.
Qu’importe,
le
billet
d’avion
est
acheté,
le
matériel
rassemblé
et
le
départ
fixé
au
15
juillet
2015.
C’est
que
notre
ingénieur
en
bâtiment
est
un
homme
pressé
!
J-‐9,
la
demande
de
visa
est
rejetée
au
motif
que
le
voyageur
doit
être
muni
d’un
programme
détaillé,
heure
par
heure
depuis
la
descente
de
l’avion
et
jusqu’au
retour
dans
la
cabine
par
une
agence
locale.
L’état
d’urgence
est
décrété.
Notre
alpiniste
prend
contact
avec
tout
ce
qui
peut
ressembler
de
près
ou
de
loin
à
une
agence
locale.
La
grimpette
ne
se
fera
pas
en
solitaire,
ou
ne
se
fera
pas
tout
court.
Par
chance,
Jean-‐Gabriel
tombe
sur
une
agence
russe
qui
emmène
un
groupe
de
singapouriens
exactement
aux
mêmes
dates,
c’est-‐à-‐dire
du
15
au
24
juillet.
J-‐6,
les
documents
reçus
de
l’agence
russes
sont
transmis
au
consulat.
Commence
alors
l’attente.
Non
pas
celles
des
alpinistes
qui
attendent
au
camp
de
base
les
aléas
des
météos
rigoureuses.
Non,
nous
parlons
de
celles
des
voyageurs
qui
attendent
les
aléas
des
administrations
capricieuses
!
L’avion
décolle
le
15
juillet
à
7h00
du
matin.
Le
14
juillet
est
fête
nationale.
Soutenu
par
l’agence
se
chargeant
des
formalités,
Jean-‐Gabriel
récupère
le
«
Graal
»
le
13
juillet
à
18h25,
cinq
minutes
avant
la
fermeture
des
bureaux
!
On
se
croirait
dans
un
film
hollywoodien
où
la
bombe
est
toujours
désamorcée
deux
secondes
avant
l’explosion.
Improbable.
2.
Fleur
au
piolet,
crampons
aux
pieds,
notre
chef
d’entreprises
embarque
destination
Moscou,
puis
Mineralnye
Vody
où
il
retrouve
le
groupe
de
singapouriens
à
qui
il
doit
sa
présence.
Trois
femmes
âgées
de
45
à
55
ans
et
un
homme
de
53
ans.
Ensemble,
ils
prennent
la
direction
de
Terskol
le
dernier
village
au
pied
du
sommet
de
l’Europe.
Il
est
3
heures
du
matin
en
ce
jeudi
16
juillet,
Jean-‐
Gabriel
est
opérationnel.
L’acclimatation
On
serait
presque
épuisé
par
cette
première
partie
de
l’expédition,
cette
aventure
dans
l’aventure
si
on
n’avait
pas
à
l’esprit
le
chemin
qu’il
reste
à
parcourir.
Après
5
heures
d’un
sommeil
salvateur,
notre
entrepreneur-‐aventurier
commence
par
une
première
marche
d’entrainement
avec
ses
nouveaux
compagnons
de
voyage,
ces
futurs
compagnons
de
cordée
:
Mei
Fong,
Corinne,
Daphné,
Liau.
Pas
de
difficultés
majeures,
une
ascension
de
500
mètres
de
dénivelé
pour
atteindre
3.100
mètres
d’altitude.
L’acclimatation
est
bonne,
le
soleil
est
là
et
la
vue
sur
le
sommet
est
incroyable.
La
vallée
de
Terskol
est
une
longue
saignée
au
cœur
d’un
massif
dont
les
sommets
culminent
entre
4.800
et
5.642
mètres
d’altitude.
3.000
mètres
séparent
la
vallée
des
cimes
enneigées,
un
spectacle
féérique.
Le
lendemain,
on
prend
les
mêmes
et
on
recommence.
Cette
fois
1.100
mètres
de
dénivelé
pour
atteindre
3.500
mètres
d’altitude.
Jean-‐Gabriel
s’impose
comme
l’expérimenté
de
l’expédition.
Nos
amis
singapouriens
atteignent
pour
la
première
fois
cette
altitude.
Il
faut
dire
qu’à
Singapour
le
plus
important
dénivelé
connu
est
celui
qui
consiste
à
monter
sur
un
pont
!
Et
malgré
leurs
différentes
aventures
respectives
qu’ils
ont
entrepris
dans
les
Alpes
françaises,
en
Malaisie
ou
ailleurs,
la
haute
altitude
était
restée
jusqu’à
ce
jour
une
aventure
«
pour
les
autres
».
Les
voilà
lancés
dans
le
grand
bain.
Le
soir
notre
guide
Kazbek
contrôle
le
matériel
de
chacun.
A
sa
grande
surprise
les
singapouriens
n’ont
pris
que
des
chaussures
de
randonnée
classiques.
Horreur
!
Kazbek
explique
qu’il
peut
faire
jusqu’à
-‐50
°C
et
le
tout
en
un
instant,
mais
surtout
qu’il
s’agit
de
marcher
sur
la
glace,
ce
qui
veut
dire
marcher
avec
des
crampons
!
Pour
les
vêtements
chauds,
la
team
asiatique
explique
s’être
équipée
de
«
ce
qui
se
fait
de
plus
chaud
à
Singapour
».
Là
encore,
Kazbek
trouve
des
vêtements
de
ville,
certes
d’hiver,
mais
de
ville
!
Passage
à
la
boutique
de
location
de
matériels
dès
le
lendemain
matin
avant
de
rejoindre
le
camp
de
base
situé
à
3.800
mètres
d’altitude.
Sur
le
visage
de
Kazbek
on
peut
déceler
un
mélange
de
curiosité,
d’incompréhension
et
d’inquiétude.
On
serait
tenté
de
dire
:
Normal
!
Pas
le
temps
de
chaumer,
dans
la
lancée
de
son
arrivée
au
camp
de
base,
notre
équipe
se
lance
dans
une
première
marche
d’acclimatation
pour
atteindre
l’altitude
de
4.100
mètres.
Nouveau
record
pour
les
singapouriens,
nouveau
mitraillage
de
photos
pour
fêter
l’événement.
La
redescente
se
fait
dans
une
brume
épaisse
venue
de
nulle
part
comme
souvent
en
montagne.
La
température
chute
en
quelques
minutes
pour
se
stabiliser
à
-‐10°C.
Il
est
19h00,
l’équipe
est
clairement
prévenue.
3. Au
débriefing
du
premier
soir,
la
team
se
réunit
autour
d’une
bonne
soupe
et
d’un
thé
bien
chaud.
Ici,
tout
prend
une
autre
saveur.
On
se
découvre
aimer
comme
jamais
la
soupe,
on
boit
du
thé
comme
on
boirait
un
grand
cru,
on
savoure
la
moindre
miette
de
pain
comme
si
c’était
la
dernière.
Réflexe
de
survie
ou
plaisir
de
vivre
?
La
haute
montagne
a
en
tout
cas
cette
capacité
à
rappeler
à
chacun
sa
place,
son
insignifiance
face
à
la
puissance
de
la
nature.
Plus
loin
de
tout,
plus
proche
de
l’essentiel
pourrait-‐on
dire.
C’est
peut-‐être
en
ça
que
les
marins,
les
alpinistes,
les
explorateurs
polaires
ou
les
explorateurs
lunaires
trouvent
un
sens
à
leur
vie
:
Partir
loin
pour
se
rappeler
que
la
vie
ne
tient
à
rien
et
que
chaque
instant
est
une
chance,
une
opportunité
à
saisir.
Vivre.
On
est
samedi
soir.
Kazbek
explique
que
l’ascension
prévue
initialement
le
mercredi
doit
être
avancée
au
mardi.
Une
dépression
s’approche
et
rendra
impossible
l’accès
au
sommet
entre
mercredi
et
vendredi.
L’équipe
perd
un
jour
d’acclimatation…
Dimanche.
L’objectif
est
d’atteindre
l’altitude
du
Mont
Blanc
:
4.808
mètres.
Jean-‐Gabriel
joue
le
rôle
d’assistant
technique
et
aide
les
singapouriens
à
chausser
leurs
crampons.
Dans
la
montée,
Kazbek
gère
deux
singapouriens,
tandis
que
notre
rotarien
se
charge
des
deux
autres.
Il
leur
apprend
à
marcher
avec
des
crampons,
à
mettre
du
rythme
dans
leurs
pas,
à
utiliser
leur
souffle
plutôt
que
leur
physique,
à
marcher
avec
leur
mental
plutôt
que
leurs
jambes,
à
écouter
leur
corps
pour
avancer
pas
à
pas.
Rien
à
signaler
du
côté
de
notre
aventurier
membre
de
la
Société
des
Explorateurs
Français,
si
ce
n’est
la
fatigue
et
le
mal
de
tête
habituel.
Le
natif
de
Beyrouth
se
sent
bien
et
son
rôle
de
formateur
improvisé
rend
son
aventure
plus
piquante.
Trois
semaines
plus
tôt,
il
préparait
une
expédition
en
solitaire
et
sous
tente,
à
manger
des
repas
lyophilisés
–
cette
nourriture
asséchée
qui
a
profondément
transformé
les
expéditions
modernes
–
le
voilà
dans
un
groupe
aux
antipodes
de
notre
culture
et
de
nos
régions
à
partager
son
expérience
de
la
haute
montagne.
Les
singapouriens
vont
bien.
Mais
Kazbek
reste
dubitatif
en
repensant
à
cette
journée
et
au
rythme
du
groupe.
Dans
ses
yeux
cette
fois-‐ci
plus
de
doute,
il
n’y
croit
pas.
M’enfin
après
tout
se
dit-‐il,
on
peut
toujours
tenter
de
monter,
au
pire
il
suffit
de
redescendre.
CQFD.
Lundi
repos.
Manger,
dormir,
boire,
manger,
dormir,
boire,
manger,
dormir,
boire.
Sportif
le
programme
!
En
fin
de
journée
chacun
prépare
son
sac
à
dos,
le
départ
est
prévu
à
4
heures
du
matin.
L’ascension
3
heures,
les
réveils
sonnent
le
glas.
Tout
le
monde
a
son
poste,
chacun
s’active
à
sa
tâche.
Dehors
il
fait
froid
ou
plutôt
frais.
Une
légère
brise
caresse
le
visage
et
se
disperse
dans
les
cheveux.
La
nature
dort
encore
profondément.
Au-‐dessus
de
leur
tête,
des
milliers
de
milliers
d’étoiles
brillent
et
dessinent
toutes
sortes
d’images
perceptibles
à
ceux
qui
trouvent
l’imagination
pour
les
construire.
La
lumière
des
étoiles
est
tellement
intense
qu’elle
réussit
à
illuminer
les
dizaines
de
sommets
qui
font
face
au
camp
de
base
offrant
un
spectacle
ahurissant
dans
un
décor
noir
et
blanc.
Si
l’expédition
devait
s’arrêter
à
cet
instant
précis,
elle
serait
déjà
un
succès.
Car
pouvoir
contempler
d’aussi
près
la
beauté
de
la
nature
est
une
chance,
un
luxe
même,
une
expérience
hors
du
temps.
4
heures,
toute
l’équipe
embarque
à
l’arrière
d’une
dameuse
aménagée
de
banquettes
direction
5.100
mètres.
Et
oui,
même
ici,
les
russes
ont
la
capacité
à
4. adapter
leurs
équipements
pour
apporter
un
service,
moyennant
quelques
milliers
de
roubles
bien
évidemment.
Après
45
minutes
de
dameuse-‐bus,
la
cordée
franco-‐libano-‐singapourienne
se
lance,
lampes
frontales
sur
les
bonnets.
Jean-‐Gabriel
subit
un
important
mal
de
crâne
depuis
le
réveil,
ce
qui
ne
l’empêche
pas
de
rester
concentré
sur
chacun
de
ses
pas.
Les
maux
de
crâne,
il
connaît.
La
progression
est
lente,
mais
efficace.
Derrière
eux,
le
soleil
se
découvre.
A
mesure
que
les
minutes
avancent,
la
ligne
d’ombre
se
rapproche
et
réchauffe
l’air
glacial
qui
les
entoure.
Marcher
à
cette
altitude,
ce
n’est
pas
marcher
comme
nous
le
faisons
chaque
jour.
Pour
marcher
à
5.000
mètres,
il
faut
se
déconnecter,
ne
pas
réfléchir,
«
s’automatiser
»
et
ne
se
concentrer
que
sur
la
zone
qui
sera
foulée
par
le
prochain
pas.
Chaque
pas
doit
être
sécurisé.
On
ne
pose
pas
un
pied
à
5.000
mètres,
on
l’ancre
littéralement.
De
cet
ancrage
peut
dépendre
la
survie,
une
vie
accrochée
à
huit
pics
métalliques
collés
sous
la
semelle.
Subitement
–
ou
peut-‐être
sans
avoir
remarqué
la
progression
des
symptômes
–
Jean-‐Gabriel
se
sent
physiquement
affaibli.
Il
réussit
à
manger
une
barre
de
céréales
avec
un
certain
écoeurement
et
bois
une
gorgée
d’eau
tout
aussi
difficile
à
avaler.
Il
connaît
ces
signaux
inquiétants,
synonymes
d’un
début
de
mal
des
montagnes.
En
2003,
lors
de
l’ascension
de
l’Aconcagua
en
solitaire,
notre
aventurier
avait
été
au
bord
de
l’œdème
pulmonaire
à
5.500
mètres
et
était
redescendu
en
urgence
au
camp
de
base.
Mais
les
symptômes
s’amplifient
et
il
devient
de
plus
en
plus
difficile
d’avaler
quelque
chose.
Jean-‐
Gabriel
voit
des
étoiles
et
fait
deux
pas
sur
trois
les
yeux
fermés.
A
5.500
mètres,
notre
alpiniste
doit
faire
un
arrêt.
Il
ne
trouve
plus
ni
l’énergie
dans
les
jambes,
ni
le
souffle
dans
la
bouche
pour
le
porter
au
pas
suivant.
Il
tombe
sur
place
et
sans
demi-‐mesure.
Et
qu’importe
que
ce
soit
sur
de
la
glace,
de
toute
façon,
il
ne
réussit
plus
à
tenir
debout.
Pas
moi
se
dit-‐il.
Pas
ici
et
pas
maintenant
surtout.
Il
réussit
à
convaincre
ses
compagnons
de
poursuivre
la
route
vers
le
sommet
assurant
qu’il
les
rejoint
d’ici
quelques
minutes.
Les
deux
cordées
repartent.
Un
crève-‐cœur.
Un
mélange
d’injustice
et
de
soulagement.
Parce
que
le
MAM
(mal
des
montagnes)
peut
arriver
à
tout
le
monde
et
parce
qu’être
responsable
de
l’échec
d’une
expédition
est
difficile
à
supporter.
Jean-‐Gabriel
voit
s’éloigner
pas
après
pas
ses
compagnons
de
cordée
et
assiste
impuissant
à
l’ascension
des
derniers
mètres.
C’est
fou
la
distance
qu’on
peut
parcourir
en
mettant
un
pied
devant
l’autre
se
dit-‐il,
mais
encore
faut-‐il
poser
le
pas
suivant
!
Jean-‐Gabriel
s’allonge
sur
le
sol.
La
violence
de
ce
MAM
est
telle
qu’il
doit
se
concentrer
pour
chacun
de
ses
gestes.
Tourner
simplement
la
tête
demande
une
énergie
qu’il
n’a
plus.
Tranquillement,
il
alterne
eau
et
barres
de
céréales,
ferme
les
yeux,
respire,
se
concentre
pour
éviter
l’œdème
qui
approche
à
grand
pas.
Assit,
seul
à
5.500
mètres,
il
pleure
comme
un
enfant,
sans
retenue,
sans
fierté,
rempli
d’un
mélange
de
tristesse
et
de
honte.
C’est
lui
qui
leur
a
appris
à
chausser
des
crampons,
à
marcher,
à
respirer
à
haute
altitude.
Et
c’est
lui
qui
reste
sur
le
carreau.
Mais
l’émotion
laisse
progressivement
place
au
réalisme
de
la
montagne,
de
la
nature
et
des
limites
du
corps
humain,
Jean-‐Gabriel
se
calme.
5. Après
2
heures
de
travail
sur
soi,
le
MAM
est
contenu.
Le
franco-‐libanais
n’a
plus
d’énergie,
mais
après
tout,
il
suffit
de
mettre
un
pied
devant
l’autre
se
dit-‐il.
Il
repart,
avance
péniblement,
mais
avance.
N’est-‐il
pas
en
train
de
se
rapprocher
du
sommet
à
chacun
de
ses
pas
?
A
5.553
mètres,
il
n’arrive
plus
à
poser
le
pas
suivant.
Plusieurs
minutes
de
concentration,
de
respiration,
mais
le
pas
suivant
ne
vient
pas.
Vous
avez
du
mal
à
imaginer
qu’on
ne
puisse
plus
poser
le
«
pas
suivant
»
?
Essayez
de
pousser
votre
corps
à
l’extrême
limite
de
ses
capacités,
vous
verrez
qu’il
existe
un
«
dernier
pas
».
5.553
mètres.
Le
sommet
n’est
plus
qu’à
89
mètres
de
dénivelé.
89
petits
mètres,
à
mettre
en
comparaison
avec
le
parcours
administratif
russe
pour
obtenir
le
visa,
les
milliers
de
kilomètres
en
avion,
puis
les
heures
de
route
jusqu’à
Terskol,
puis
les
heures
de
marche,
puis
enfin
cette
dernière
montée.
89
mètres,
c’est
insignifiant,
oui
mais
ce
sont
les
derniers
pas.
Et
les
derniers
pas
sont
toujours
les
plus
durs.
Une
belle
histoire
Au
pied
du
sommet,
Jean-‐Gabriel
fait
demi-‐tour
et
redescend.
Une
descente
terrible.
Il
enchaine
dix
pas
et
s’arrête
plusieurs
minutes,
puis
recommence
et
ainsi
de
suite
jusqu’au
camp
de
base.
En
redescendant,
Jean-‐Gabriel
retrouve
ses
esprits
et
repense
à
ses
5.553
mètres.
Il
imagine
ses
compagnons
se
serrant
dans
les
bras
au
sommet
de
l’Europe.
Il
imagine
les
photos,
les
doigts
en
V
en
signe
de
victoire,
il
imagine
que
ses
compagnons
ont
une
pensée
pour
lui,
ou
du
moins
il
l’espère.
En
tout
cas,
lui
pense
bien
à
eux.
De
la
déception
d’avoir
échoué,
il
est
maintenant
fier
d’eux,
fier
de
leur
parcours,
de
leur
détermination.
Il
repense
aux
yeux
perplexes
de
Kazbek
et
il
y
avait
de
quoi.
Seulement
voilà
ils
ont
réussi.
Trois
jours
avant
ils
ne
savaient
pas
chausser
de
crampons,
les
voilà
sur
le
point
le
plus
haut
de
toute
l’Europe,
de
la
Pointe
du
Raz
aux
Monts
Oural,
des
volcans
d’Islande
au
détroit
du
Bosphore.
Epatant
ces
singapouriens
se
dit-‐il.
Du
sentiment
de
déception
et
de
honte,
d’injustice
et
de
frustration
nait
progressivement
un
certain
plaisir
à
avoir
échoué.
Bien
sur
qu’il
aurait
préféré
lui
aussi
fouler
le
sommet,
mais
progressivement
cette
joie
partagée
pour
ses
amis
singapouriens
se
mue
en
une
satisfaction
personnelle.
Je
ne
perds
jamais
disait
Nelson
Mandela,
soit
je
gagne,
soit
j’apprends.
Et
il
a
raison.
Je
n’ai
pas
gagné
aujourd’hui,
j’ai
fait
mieux
que
ça
se
dit
Jean-‐Gabriel.
J’ai
appris.
Appris
que
la
montagne
n’est
pas
injuste,
mais
qu’elle
est
implacable.
Qu’elle
donne
sa
chance
à
celui
qui
s’en
donne
les
moyens.
Qu’elle
récompense
les
efforts
de
ceux
qui
vont
jusqu’au
bout.
Qu’elle
rappelle
à
ceux
qui
n’atteignent
pas
le
sommet,
qu’au
fond
ce
n’est
pas
si
grave.
Qu’elle
reste
fabuleuse
de
plaisir
et
d’humilité.
Et
finalement
qu’elle
ne
demande
qu’à
vous
revoir.
Notre
aventurier
verse
une
larme
en
se
disant
qu’il
vient
sans
doute
d’écrire
une
belle
histoire.
Pas
celle
qu’il
avait
imaginé
au
départ,
mais
une
histoire
qui
s’est
écrite
d’elle-‐même.
L’histoire
de
quatre
personnes
inexpérimentées
et
d’une
autre
qui
n’a
rien
à
prouver.
L’histoire
de
quatre
personnes
qu’on
a
peine
à
voir
au
sommet
et
d’une
autre
dont
on
ne
doute
pas.
L’histoire
d’un
sommet
perdu,
mais
d’une
montagne
d’apprentissage.
6.
Biographie
Jean-‐Gabriel
Chelala
Jean-‐Gabriel
Chelala
est
franco-‐libanais,
breton
d’adoption,
marié
et
père
de
deux
enfants.
Il
rejoint
la
France
en
1990
avec
sa
sœur
et
ses
parents
qui
s’installent
en
Normandie.
Jean-‐Gabriel
intègre
l’Ecole
Spéciale
des
Travaux
Publics
(ESTP)
à
Paris
après
les
classes
préparatoires.
De
1998
à
2004,
il
multiplie
les
expéditions
au
long
court.
En
2005,
il
commence
une
carrière
d’ingénieur
bâtiment,
mais
dès
2007
il
quitte
l’entreprise
pour
se
lancer
dans
un
tour
du
monde
à
la
force
humaine,
une
première
mondiale.
En
2010,
le
tour
du
monde
achevé,
il
crée
une
entreprise
dans
les
énergies
renouvelables
qu’il
dirige
toujours.