Forum ATENA 2010: Facebook et liberté d'expression
1. FACEBOOK ET LIBERTÉ
D’EXPRESSION
DE LA QUESTION DE LA FRONTIÈRE
ENTRE SPHÈRE PUBLIQUE ET VIE PRIVÉE
Par Sadry PORLON
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
Un livre blanc de Forum ATENA
2. LES FAITS
Il est de ces sujets qui touchent à la fois au droit du travail et au droit des nouvelles
technologies.
Le récent jugement, en date du 19 novembre 2010, du Conseil des prud’hommes de
Boulogne Billancourt en est une illustration.
Dans cette affaire, trois salariés de la société A...1 avaient créé une page Facebook « privée »
sur laquelle ils avaient critiqué leur hiérarchie tout en se plaignant de leurs conditions de
travail.
Cette page n’était accessible qu’aux amis invités à participer à la discussion, ainsi qu’aux amis
desdits amis.
L’affaire s’est corsée quand l’un des salariés, qui était considéré comme un « ami » habilité à
consulter cette page, a décidé de procéder à des captures d’écran des pages Facebook
litigieuses avant de les transmettre à sa hiérarchie.
Parce que la direction de l’entreprise a peu goûté lesdites critiques, elle a mis à pied les
salariés avant de les licencier pour faute grave. Deux des trois salariés licenciés ont décidé de
contester leur licenciement devant les prud’hommes.
Après un jugement du Conseil des prud’hommes qui a abouti à un partage des voix, les deux
affaires ont donc été renvoyées devant un juge départiteur.
L’AUDIENCE
Les arguments mis en avant par les parties lors de l’audience publique devant la formation de
départage et le jugement prononcé le 19 novembre 2010 contribuent à faire avancer le débat
autour du régime juridique des conversations tenues sur Facebook.
Les anciens employés de la société A... mettaient notamment en avant le fait que le
licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse puisque « les faits reprochés concernent des
propos échangés un samedi soir sur un forum de discussion du site internet Facebook et sur la page personnelle
de M. C…, salarié de la société A..., cette page n’étant pas accessible à l’ensemble des internautes… ».
Sur ce point, la société A... a quant à elle exposé que « le licenciement pour faute grave est justifié et
(qu’) elle n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de Madame … l’usage de Facebook permettant
d’avoir accès à des informations sur la vie privée lue par des personnes auxquelles elles ne sont pas destinées ;
elle a eu en effet connaissance de la discussion sur le site Facebook par l’intermédiaire d’un des salariés qui a
fait une copie d’écran sur le profil de M. C…. ».
2
Le juge retient quant à lui « que Monsieur C… a choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa
page Facebook avec « ses amis et leurs amis » permettant ainsi un accès ouvert, notamment par les salariés ou
anciens salariés de la société A... » avant d’ajouter qu’ : « il en résulte que ce mode d’accès à Facebook
dépasse la sphère privée et qu’ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés
constitue un moyen de preuve licite du caractère bien fondé du licenciement » et de conclure que : « Dès
lors, l’employeur n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de la salariée ».
1
Toutes les personnes physiques et morales auxquelles il est fait référence dans ce livre blanc ont fait l’objet d’une
anonymisation.
2
NDLR : Créateur de la page de Facebook litigieuse
Facebook et liberté d’expression 2/4
3. LE JUGEMENT
En clair, dans cette affaire, le juge départiteur s’est appuyé sur la configuration du compte de
l’initiateur de la page Facebook sur laquelle figure les propos pour raisonner de la façon
suivante :
Même si l’accès au compte est restreint et non consultable par l’ensemble des internautes, il a
été décidé par le créateur dudit compte, lui-même, que les éléments y figurant pouvaient être
connus des « amis des amis » qui y avaient accès directement.
Dès lors, si la direction de la société A..., « amie » de l’ami qui était autorisé à consulter les
pages litigieuses a pu se les procurer par son biais, il ne pourra valablement lui être reproché
de les utiliser dans le cadre d’un contentieux social.
Le juge départiteur semble tenir le raisonnement suivant lequel si le responsable de la page
Facebook litigieuse a ouvert cette page « aux amis des amis » c’est que par essence, il a
accepté l’idée (et le risque) que cette page et les messages rédigés par ses membres ne
relèvent plus de la sphère privée, eu égard aux multitudes « d’amis d’amis » qui peuvent
exister.
L’article 9 du Code civil relatif au droit au respect de la vie privée et l'article 226-18 du Code
pénal qui incrimine « le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux,
déloyal ou illicite » sont dès lors inopposables à la société A....
CONCLUSION
Déduire de ce jugement que Facebook est, par principe, un espace public ou privé serait
inexact, un contentieux en la matière ne pouvant faire l’économie d’une analyse au cas par
cas.
Il y a fort à parier que les affaires de ce type se multiplient. Pour un premier exemple, notez
qu’un arrêt de la chambre sociale de la Cour d’Appel de Reims en date du 9 juin 2010 avait
déjà retenu dans une affaire qui concernait également des propos tenus sur le réseau
Facebook que « toutefois en mettant un message sur le mur d'une autre personne dénommée « ami », il
(ndlr : le salarié) s'expose à ce que cette personne ait des centaines d' « amis » ou n'ait pas bloqué les accès à
son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations (coordonnées,
mur, messages, photos) ; que dans ces conditions, contrairement à ce qu'avance le salarié, il ne s'agit pas d'une
atteinte à la sphère privée au regard de tous les individus, amis ou non qui peuvent voir le profil d'une
personne et accéder à son mur et aux messages qu'elle écrit ou qui lui sont adressés (…) ».
En attendant que la Cour d’appel de Versailles prenne position en se penchant sur le sort des
anciens salariés de la société A..., l’un des principaux enseignements de ce jugement est qu’il
convient de prendre le temps de configurer correctement son compte Facebook, mais aussi
celui de tout réseau social auquel vous entendez participer, puisque faute de l’avoir fait, dès
l’instant où vous vous exprimerez « tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous ».
A PROPOS DE L’AUTEUR
Sadry PORLON est avocat au Barreau de Paris
Docteur en droit, il est également chargé d’enseignements, au sein d’une école de commerce,
notamment, en droit des médias et de la communication, en droit du commerce électronique
et du multimédia ainsi qu’en droit des marques.
avocat (at) porlon.net
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