Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...ConectaDEL
El presente documento describe la experiencia de Mercedes, una pequeña ciudad de la
provincia de Corrientes, que se propuso integrar a través del acceso a las Tecnologías de
la Información y la Comunicación (TICs) a grupos sociales excluidos de las mismas. La
claridad del objetivo planteado y las acciones implementadas para alcanzarlo, se traducen
en una experiencia sencilla e innovadora para su medio.
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13joobernard
La Fête de la Vigne & des Terroirs de France aura lieu les 17 et 18 mai 2014 Cette date n’a pas été choisie au hasard puisque c’est la VINgtième semaine de l'année. Celle qui suit les saints de glace, quand la nature se réveille et sort de son repos végétatif. Les premiers bourgeons éclosent. C’est le moment où le vigneron retrouve sa vigne.
C’est la première manifestation qui réunira l’ensemble du paysage vitivinicole français. Cette fête sera la plus grande manifestation grand public autour de la filière vin jamais réalisée !
Avec un événement de lancement à Paris, qui assemblera un large public autour d’expériences uniques et originales à travers un parcours initiatique dans un espace restigieux de la capitale.
Ces expériences seront liées à l’éducation au vin et l’innovation œnologique et viticole, la valorisation de son patrimoine viticole, l’affirmation des métiers et des savoirs faire et leurs transmissions et l’expérience du repas français et du vin.
En province, des événements multi régionaux fédéreront
des manifestations dans toutes les régions (de production ou non), pour mettre en avant les spécificités et le savoir-faire de chaque appellation.
Le 17 mai sera aussi le lancement d’un programme pluriannuel national, mais aussi multi régional à vocation internationale, de valorisation du patrimoine et du secteur vitivinicole français.
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...ConectaDEL
El presente documento describe la experiencia de Mercedes, una pequeña ciudad de la
provincia de Corrientes, que se propuso integrar a través del acceso a las Tecnologías de
la Información y la Comunicación (TICs) a grupos sociales excluidos de las mismas. La
claridad del objetivo planteado y las acciones implementadas para alcanzarlo, se traducen
en una experiencia sencilla e innovadora para su medio.
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13joobernard
La Fête de la Vigne & des Terroirs de France aura lieu les 17 et 18 mai 2014 Cette date n’a pas été choisie au hasard puisque c’est la VINgtième semaine de l'année. Celle qui suit les saints de glace, quand la nature se réveille et sort de son repos végétatif. Les premiers bourgeons éclosent. C’est le moment où le vigneron retrouve sa vigne.
C’est la première manifestation qui réunira l’ensemble du paysage vitivinicole français. Cette fête sera la plus grande manifestation grand public autour de la filière vin jamais réalisée !
Avec un événement de lancement à Paris, qui assemblera un large public autour d’expériences uniques et originales à travers un parcours initiatique dans un espace restigieux de la capitale.
Ces expériences seront liées à l’éducation au vin et l’innovation œnologique et viticole, la valorisation de son patrimoine viticole, l’affirmation des métiers et des savoirs faire et leurs transmissions et l’expérience du repas français et du vin.
En province, des événements multi régionaux fédéreront
des manifestations dans toutes les régions (de production ou non), pour mettre en avant les spécificités et le savoir-faire de chaque appellation.
Le 17 mai sera aussi le lancement d’un programme pluriannuel national, mais aussi multi régional à vocation internationale, de valorisation du patrimoine et du secteur vitivinicole français.
Activité pédagogique sur le thème de l'alimentation. Menu littéraire. Carnet de lecture et sélection thématique. Suggestions littéraires. Par Emmanuelle Rousseau, conseillère pédagogique chez Messageries ADP. Tous les détails sur www.adp-pedago.com
M2i Webinar - « Participation Financière Obligatoire » et CPF : une opportuni...M2i Formation
Suite à l'entrée en vigueur de la « Participation Financière Obligatoire » le 2 mai dernier, les règles du jeu ont changé !
Pour les entreprises, cette révolution du dispositif est l'occasion de revoir sa stratégie de formation pour co-construire avec ses salariés un plan de formation alliant performance de l'organisation et engagement des équipes.
Au cours de ce webinar de 20 minutes, co-animé avec la Caisse des Dépôts et Consignations, découvrez tous les détails actualisés sur les dotations et les exonérations, les meilleures pratiques, et comment maximiser les avantages pour les entreprises et leurs salariés.
Au programme :
- Principe et détails de la « Participation Financière Obligatoire » entrée en vigueur
- La dotation : une opportunité à saisir pour co-construire sa stratégie de formation
- Mise en pratique : comment doter ?
- Quelles incidences pour les titulaires ?
Webinar exclusif animé à distance en coanimation avec la CDC
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 03-06-24BenotGeorges3
Les informations et évènements agricoles en province du Luxembourg et en Wallonie susceptibles de vous intéresser et diffusés par le SPW Agriculture, Direction de la Recherche et du Développement, Service extérieur de Libramont.
https://agriculture.wallonie.be/home/recherche-developpement/acteurs-du-developpement-et-de-la-vulgarisation/les-services-exterieurs-de-la-direction-de-la-recherche-et-du-developpement/newsletters-des-services-exterieurs-de-la-vulgarisation/newsletters-du-se-de-libramont.html
Bonne lecture et bienvenue aux activités proposées.
#Agriculture #Wallonie #Newsletter #Recherche #Développement #Vulgarisation #Evènement #Information #Formation #Innovation #Législation #PAC #SPW #ServicepublicdeWallonie
Méthodologie de recherche et de rédaction de mémoire.pptx
Guilhen journal d'un orphelin programme
1. Guilhen
Journal d'un orphelin
programmé
- Collection Romans / Nouvelles -
Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur
http://www.inlibroveritas.net
2.
3. Table des matières
Journal d'un orphelin programmé...........................................................1
1...........................................................................................................2
2.........................................................................................................72
i
4. Journal d'un orphelin programmé
Auteur : Guilhen
Catégorie : Romans / Nouvelles
C'est un enfant qui découvre un peu trop tôt le sens du mot "mort".
C'est un enfant qui aime les comic-books et son chien.
C'est un enfant qui va grandir et s'enfermer dans une obsession irréversible.
Voici son journal, jour après jour et année après année...
(roman écrit en 2006)
Licence : Licence Creative Commons (by-nc-nd)
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/
1
5. 1
15 septembre 1986
Je ne savais pas trop quand commencer ce journal alors j'ai décidé que
ce serait aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui j'ai dix ans et que pour la
première fois depuis deux ans, maman était là pour le fêter. Maman va
revenir habiter avec nous. Je sais pas encore si je comprends tout ce que ça
veut dire mais je crois pas. Parce que j'ai dix ans et à dix ans on peut pas
tout comprendre. C'est comme ça que le médecin m'a parlé. Il m'a dit ça.
Enfin, à peu près. Et il a dit aussi que je devrais écrire les choses que je
ressentais, que ça m'aiderait. Il a dit comme ça, de prendre un cahier et de
noter les jours avec ce que je pensais. Je comprends pas, c'est pas moi qui
suis malade. Et si maman est revenue, c'est qu'elle n'est plus malade alors
je comprends pas ce docteur. Papa m'a demandé d'obéir et comme j'aime
bien écrire, j'ai dit okay. J'écris sur un cahier bleu à spirales avec des lignes
bleues et une ligne rouge de marge. J'aime pas les petits carreaux et ce
cahier en a, des petits carreaux. Mais ils n'en avaient pas d'autres à
l'épicerie. C'est là qu'on les achète, les cahiers, et puis les boîtes de
conserve aussi. Avec papa, on en a bouffé des tas de boites de conserve
quand maman était pas là. Du coup, peut-être que j'ai trop de fer dans le
corps, maintenant ? Je voulais faire des examens pour être sûr, mais le
docteur m'a touché la poitrine, il m'a dit « tousse, allons, plus fort ! » et
puis c'est tout. C'était fini la visite. Ensuite il a dit à papa : « vous savez, le
retour de votre épouse Catherine ne sera pas facile » mais je ne sais pas
trop pourquoi il a dit ça. Maman, ça fait deux ans qu'elle ne vit plus avec
nous. Il est bizarre ce docteur.
Je crois qu'il est pas normal en vrai.
16 septembre 1986
1 2
6. Journal d'un orphelin programmé
Il faut que je continue à parler de mon anniversaire. Parce que les
anniversaires, ça arrive pas très souvent. Et après il faut attendre très
longtemps pour que ça soit encore là.
Pour mon anniversaire, j'ai dix ans, j'ai eu un chien. C'était bizarre, papa
l'avait mis dans une boîte trouée pour qu'il respire, avec du papier cadeau
autour. C'est un chien de berger, ça veut dire qu'il est fait pour garder les
moutons mais où on habite, y'a pas de mouton. On habite à Lyon, et dans
la ville y'a jamais de mouton. Je crois que c'est à cause des voitures, ils
auraient trop peur sinon. Le chien que j'ai eu s'appelle Marcel, parce que
cette année, c'est la lettre M qu'il faut. Papa m'a expliqué qu'on était obligé
de choisir un prénom en M et moi j'aime pas trop le M mais tant pis, si on
est obligé, faut bien prendre un M. Alors du coup moi j'ai décidé que ce
serait Marcel qu'il s'appellerait. Papa avait pas l'air très content quand je lui
ai dit le nom que j'avais choisi. Il a secoué la tête comme si j'avais fait une
bêtise et puis il a dit que c'était un prénom ridicule pour un chien. Moi j'ai
dit que Marcel c'était bien pour un chien. Alors ensuite maman a dit que ça
changeait pas grand-chose. Maman elle a été chouette parce qu'elle a dit à
papa « laisse tomber, c'est son chien... ». Alors voilà, avant d'aller me
coucher, je voulais juste écrire ça pour m'en souvenir plus tard : j'ai eu dix
ans et maintenant à la maison on est quatre avec maman et Marcel.
21 septembre 1986
Je crois que Marcel est idiot. Je pense que les chiens idiots ça existe,
comme les gens. Et je pense que Marcel il l'est, idiot. J'essaye de lui
apprendre à faire des tours, mais y'a rien qui marche, il comprend vraiment
rien.
1 3
7. Journal d'un orphelin programmé
22 septembre 1986
J'ai compris pourquoi Marcel comprend rien. C'est un colley, un chien
de berger qui vient d'Ecosse. Et forcément en Ecosse on parle pas français.
Il faut que j'apprenne à parler l'Ecossais pour que Marcel puisse m'obéir.
Ca va pas être facile, j'ai demandé à papa et il m'a dit qu'on n'apprenait pas
l'Ecossais mais l'Anglais. Et l'Anglais j'en fais cette année à l'école, parce
que je commence le collège. Pour l'instant je sais pas parler anglais parce
qu'on n'a pas encore commencé les cours. Le prof est malade et il n'est pas
remplacé car il paraît que c'est pas grave et qu'il sera là la semaine
prochaine. Je sais pas trop si Marcel comprendra l'anglais parce que c'est
quand même un berger écossais et pas un berger anglais. Et mon père n'y
connaît pas grand-chose en chien, alors comment il peut savoir quelle
langue comprend Marcel ? Maman n'a pas d'avis. Elle a dit qu'elle s'en
foutait du chien et de la langue qu'il comprenait. Elle a même dit que du
moment qu'il salopait pas tout à l'intérieur de la maison, c'était tout ce qui
comptait. Maman a dit « si ce foutu clébard entre avec ses pattes mouillés,
je lui file un coup de pied au cul, ça sera pas de l'anglais ni du français,
mais je te jure qu'il comprendra ! ».
Maman s'énerve beaucoup. Je me souviens pas trop comment elle était
avant de partir de la maison. C'était y a deux ans et j'étais petit, j'avais huit
ans. Je me souviens pas trop, mais je crois bien qu'elle criait moins.
26 septembre 1986
On a fait notre premier cours d'anglais à l'école. J'ai pas trouvé ça super.
La prof est une grosse femme et son visage ressemble à une pastèque
molle. Quand elle nous parle en anglais, elle postillonne partout et on
comprend rien. Enfin, moi je comprends rien, et les autres non plus je crois
bien. Pour l'instant je sais pas dire grand chose en anglais et j'ai essayé
avec Marcel. Je lui ai dit « Hello, my name is Benjamin », mais il n'a pas
eu l'air de comprendre plus. Je devrais essayer l'Écossais plutôt, mais papa
voudra jamais m'acheter un manuel d'écossais.
1 4
8. Journal d'un orphelin programmé
2 octobre 1986
Maman pleure beaucoup. Elle et papa se crient souvent dessus alors moi
je préfère rester dans le jardin et apprendre des tours à Marcel. Pour les
tours, Marcel semble mieux me comprendre. Il creuse partout dans la
pelouse et ça rend papa complètement dingue. Mais qu'est ce qu'on a à
faire de la pelouse ? Des pelouses, y'en a partout dans le quartier, toutes les
maisons en ont et les immeubles aussi. À la télé, ils disent que c'est bien
les pelouses, que ça fait du bien aux gens, surtout à ceux qui habitent dans
les villes. Nous on habite Lyon qui est une très grande ville et j'ai pas le
droit de sortir seul.
Pourtant Marcel est un chien de berger et il saurait bien me garder mais
papa veut pas. Maman elle, je sais pas. Je lui ai pas demandé, j'ai pas
envie.
4 octobre 1986
Papa et maman commencent déjà à parler de noël. Noël c'est à la fin du
premier trimestre et je crois que ça va pas être terrible cette année pour
moi. En anglais je suis nul, en math je suis nul et en sport, c'est pire. Y'a
qu'en français que ça va à peu près, j'ai la meilleure note de la classe en
français. C'est peut-être à cause... Grâce à ce journal ? En tout cas c'est
marrant. Au début j'avais pas trop envie d'écrire là-dedans. Mais bon
pourquoi pas ? Et puis maintenant je trouve ça marrant. Pas rigolo, mais
marrant. C'est pas la même chose. Rigolo c'est pour les gamins et moi je
suis plus un gamin, j'ai dix ans et j'ai presque failli être orphelin. Les autres
gosses, ils savent pas ce que c'est. Je pense à ça parce que le docteur
Croizic qui m'a demandé d'écrire ce journal, il m'a demandé où j'en suis. Il
m'a dit que ça serait bien d'écrire sur la maladie de maman. Il a dit
« Benjamin, il faut que tu puisses sortir toute la douleur que tu as
1 5
9. Journal d'un orphelin programmé
accumulée pendant ces deux années. Et c'est certainement par l'écriture que
tu y parviendras ». Ensuite il m'a demandé si je me sentais capable de le
faire. Je suis peut-être nul en anglais, dernier en maths et tout le monde se
fiche de moi en sport, je suis le premier en français. Alors voilà, le docteur
il les aura ses commentaires sur la maladie de maman. Même si j'en ai pas
forcément envie, que je trouve ça un peu débile. Sortir des choses
accumulées en écrivant, c'est aussi con qu'un berger écossais qui comprend
pas le français.
8 octobre 1986
Mais qu'est ce qu'ils ont tous avec noël ? Papa et maman n'arrêtent pas
d'en parler, pour savoir chez qui on va aller. Il y a les parents de papa qui
habitent à Cannes et puis les parents de maman qui habitent en Bourgogne.
Avant, on allait tout le temps en Bourgogne parce que c'est pas loin de
Lyon. Et cette année papa veut aller à Cannes et maman veut pas. Ils en
ont parlé ce soir au repas et puis maman a dit « Pour une fois que je suis
pas dans un putain de lit d'hôpital pour la noël, j'aimerais bien voir mes
parents ! ». Elle a dit ça en criant presque, en tout cas, avec une voix super
bizarre comme si elle allait pleurer. Moi je me suis arrêté de manger et je
l'ai regardée. Papa l'a regardée aussi et il a fait une tête toute drôle. Y'a que
Marcel qui n'a rien remarqué et qui a continué à respirer fort, allongé sur le
tapis du salon. Je me demande en quelle langue rêve Marcel. Maman
ensuite, elle s'est mise à vraiment pleurer et elle est partie sans finir de
manger. Papa il est resté là, sans rien dire, il m'a regardé bizarre et j'ai
compris qu'il valait mieux rien dire. Alors j'ai continué à manger et ensuite
je suis monté dans ma chambre. Maintenant j'écris ce journal et je me
demande bien ce qu'a maman pour être toute bizarre depuis qu'elle est
revenue. Peut-être que le docteur Croizic le sait. En tout cas pour ce soir,
j'en ai assez. En revenant du collège, j'ai acheté le dernier "Strange" alors
je vais vite aller dans mon lit pour le lire. Demain j'ai un contrôle d'anglais
et j'ai rien appris. De toute façon je m'en fous, c'est pas en lui parlant en
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10. anglais que Marcel saura faire des tours nouveaux.
9 octobre 1986
Le contrôle d'anglais s'est pas bien passé du tout. Peut-être qu'il faudrait
que je lise les Strange en anglais pour m'entraîner. Mais j'y comprendrai
plus rien et en ce moment c'est pas le moment de rater ce qui se passe.
Spiderman a plein de problèmes : tante May est tout le temps malade et
elle va habiter chez la voisine, et puis Mary Jane croit que Peter est un
peureux alors que c'est Spiderman mais ça bien sûr personne le sait parce
qu'il doit pas dire son secret. Marcel lui, il s'en fout je crois, des problèmes
de Spiderman. J'ai essayé d'expliquer la situation de Spiderman à Marcel,
mais il m'a regardé avec des yeux tout mous et il a continué de dormir. Par
contre il semble un peu plus comprendre quand je lui parle des trucs
faciles : donner la patte c'est pas encore ça, mais ça devrait bientôt.
10 octobre 1986
Dans trois jours, il faut qu'on aille tous voir le docteur Croizic, enfin
sauf Marcel bien sûr parce que les chiens ne sont pas autorisés chez les
docteurs. Le docteur Croizic connaît bien maman, c'est lui qui l'a aidée
pendant toute sa maladie. Il avait dit à maman qu'il pourrait continuer à
nous aider après aussi. Cette fois il faut qu'on y aille tous et je sais pas bien
pourquoi mais bon, on verra bien.
11 octobre 1986
Journal d'un orphelin programmé
1 7
11. Journal d'un orphelin programmé
Il a plu. Même que ça a duré toute la journée. C'était de la pluie qui
faisait plein de bruit en tombant contre les vitres, à cause du vent. Marcel a
du rester toute la journée dedans et chaque fois que je voulais aller le
promener, papa me criait dessus. Il disait que c'était une idée
complètement débile. N'empêche que Marcel il a fini par faire pipi sur le
tapis du salon et ça c'est un truc complètement débile. C'est bien fait pour
papa. Maman elle a voulu nettoyer alors que c'était pas à elle de le faire,
papa lui a dit qu'elle devait se reposer. Et là maman elle s'est énervée et
elle a criée. Elle a dit : « Tu m'emmerdes Jean-Paul ! J'ai passé deux ans à
rien faire alors maintenant fous-moi la paix ! Je suis pas handicapée ni
malade alors je peux nettoyer ! » Moi j'aime pas trop quand maman dit des
gros mots et quand maman crie comme ça alors je suis monté m'allonger
sur mon lit. C'était pas une chouette journée.
12 octobre 1986
Demain il faut aller voir le docteur Croizic. Ca doit se passer à six
heures et papa et maman passent me chercher après l'école pour y aller.
J'aime pas quand ils viennent me chercher à l'école. Enfin je crois que
j'aime pas parce que ça fait longtemps que c'est pas arrivé. Et justement je
suis plus un gamin, j'ai dix ans et ma mère a failli mourir. En plus ils
veulent pas emmener Marcel. Tante May est plus gentille avec Peter que
mes parents avec moi, je trouve. Et pourtant elle sait même pas que son
neveu c'est Spiderman.
Je crois que moi, si j'étais Spiderman, je le lui dirai.
13 octobre 1986
On est rentré de chez le docteur Croizic tout à l'heure. Il a parlé très
longtemps avec nous et puis il nous a demandé de sortir, d'abord moi puis
papa. Je me demande de quoi ils ont bien pu parler avec maman tout ce
1 8
12. Journal d'un orphelin programmé
temps. Le docteur Croizic a lu mon journal, il m'avait demandé de penser à
l'emmener et il a dit : « Mmm, c'est très intéressant. Absolument instructif,
je crois qu'il faut vraiment que tu continues Benjamin. Tu as une facilité
d'écriture certaine... Et c'est une très bonne thérapie pour refermer l'épisode
douloureux de la maladie de ta maman ». Même s'il a parlé de la maladie
de maman, j'étais content qu'il dise ça. Il dit qu'il faut que je parle plus de
ces deux dernières années si je veux que ça me fasse du bien. Je comprends
pas trop ce que le docteur veut dire mais bon papa et maman avaient l'air
d'accord avec lui. Les deux dernières années elles étaient pas très chouettes
justement et j'ai pas vraiment envie d'en parler dans mon journal. Il paraît
que le docteur m'avait déjà demandé d'écrire ce journal au début de la
maladie de maman mais je m'en souviens pas trop. Peut-être que papa me
l'avait pas dit. Des fois, papa me dit pas tout, il garde des choses pour lui
parce qu'il a peur que je l'apprenne. Mais ça, il aurait quand même pu me
le dire. Quand je serais grand, je pourrais lui dire ce que j'en pense et ça
sera bien. Pour l'instant je suis peut-être un enfant mais je suis quand
même pas un gamin ! J'ai dix ans.
15 octobre
Aujourd'hui j'ai décidé que j'allais faire ce que le docteur Croizic a dit.
Alors au début, maman a commencé à avoir mal au ventre. Je crois que
ça a commencé comme ça mais je suis pas très sûr, je me souviens pas très
bien, c'était il y a deux ans. Le docteur Croizic c'est le docteur qui soigne
toute la famille depuis tout le temps. Il a donné des médicaments à maman
et puis voilà. Mais ça a rien fait. Et puis je sais plus quand ça s'est passé
mais Croizic a envoyé maman chez un copain à lui, un autre docteur, mais
dans un hôpital cette fois-ci. J'aime pas l'hôpital, c'est tout blanc. Mais au
début j'y suis pas allé, maman revenait à la maison chaque fois qu'elle avait
fini. Maman avait plus mal au ventre mais plus haut, dans les seins (j'ai
cherché dans un dictionnaire pour savoir comme ça s'écrit, et savoir la
1 9
13. Journal d'un orphelin programmé
différence avec les saints). Et là y' a un docteur de l'hôpital qui a trouvé ce
qu'elle avait. C'est papa qui m'a rappelé tout ça pour que je sache quoi
écrire pour expliquer le début. Papa il m'a dit qu'il fallait que j'explique le
début comme si je racontais l'histoire à quelqu'un. Mais le docteur Croizic
il a bien dit que papa devait pas lire mon journal, ni maman, parce que ça
risquait de me bloquer sinon. Moi je suis bien content que papa puisse pas
lire mon journal. Pour maman, je sais pas. Bon je continue l'histoire. Alors
maman on lui a dit ce qu'elle avait et ensuite on a commencé à la soigner.
Mais c'était très long et il fallait qu'elle aille souvent à l'hôpital et ça la
fatiguait tellement qu'elle restait longtemps là-bas.
Elle a laissé son travail le temps d'être soignée et puis elle n'a plus rien fait
d'autre. A la maison elle était de moins en moins là. Papa travaillait
beaucoup, et on mangeait quand il rentrait du travail, souvent il faisait nuit.
C'était pas très marrant ça. Et puis aller voir maman à l'hôpital c'était pas
marrant non plus. J'aimais pas ça. Il y avait plein de gens qui marchaient
partout, des vieux et des pas vieux, des enfants et d'autres mamans mais
pas la mienne. Elle était couchée dans ce lit et elle avait une toque sur la
tête et des tuyaux branchés sur elle. On la reconnaissait presque pas. On y
restait un moment et papa lui parlait de son travail, de la maison et moi il
fallait que je raconte des choses sur l'école. Papa racontait toujours plein de
choses et il rigolait beaucoup. Et puis ensuite quand on rentrait à la maison
tous les deux, papa était tout bizarre et il finissait par pleurer. Et ça c'était
le pire. Parce que pleurer c'est pas un truc pour les papas. Et puis ça a duré
deux ans comme ça et c'était super long. Et puis un jour maman est
revenue à la maison, c'était pour mon anniversaire. Mais de ça, j'en ai déjà
parlé...
18 octobre 1986
Marcel grandit. Et moi aussi sauf que moi ça se voit moins que mon
chien. Quand Marcel sera grand, il aura plus de poils partout, des poils
longs couleur caramel et chocolat, et puis blanc aussi, exactement comme
Lassie. Et il paraît que quand il sera vieux, il aura des problèmes dans le
1 10
14. dos et que son derrière sera paralysé. C'est Eric qui me l'a dit. Eric c'est le
prénom de l'encyclopédie des chiens que j'ai eu pour la noël l'an dernier.
C'est un gros livre où tout est expliqué sur les chiens, depuis qu'ils sont des
chiots avec ce qu'il faut leur donner à manger et tout. C'est un livre
rudement chouette et c'est ma mémé de Bourgogne qui me l'a offert. J'aime
bien les chiens. Ils parlent pas.
20 octobre 1986
Maman a beaucoup pleuré aujourd'hui et je sais même pas pourquoi. J'ai
demandé à papa mais il m'a dit d'aller me promener. J'aurais bien voulu
savoir ce qu'elle avait maman mais papa a dit : « Ce n'est pas un truc pour
les enfants Benjamin, pourquoi ne prendrais-tu pas Marcel pour aller te
promener dans le jardin public ? Tu ne risques rien maintenant avec lui... »
Sauf que moi j'avais pas envie d'aller me promener dans le jardin public. Et
puis y'a toujours plein de monde dans ce jardin et moi je voulais savoir ce
que maman avait alors je suis remonté dans ma chambre et j'ai terminé le
Strange. Demain j'en achèterai un nouveau avec Daredevil dedans. C'est
mon argent de poche alors je fais ce que je veux avec...
25 octobre 1986
Dans deux mois c'est noël. Finalement papa a accepté d'aller en
Bourgogne cette année. Maman n'a pas pleuré depuis deux jours, on dirait
que les choses sont plus calmes. Je pense que ça va pas durer.
26 octobre 1986
Journal d'un orphelin programmé
1 11
15. Journal d'un orphelin programmé
J'avais raison. Aujourd'hui maman a pleuré à nouveau et j'ai compris
pourquoi. Enfin je crois. Maman a eu des opérations pendant sa maladie et
aujourd'hui j'ai vu quoi. Quand maman est sortie de la douche je l'ai vue
parce que la porte était entrouverte. Je suis resté sans bouger. Elle pouvait
pas me voir. Et j'ai vu maman et à la place de ses seins il y a deux grosses
cicatrices rouges maintenant. Elle les a touchées et elle les a regardées dans
la glace de la salle de bains. Et moi aussi je les ai regardées parce que c'est
bizarre. Ca m'a fait peur et quand maman les regarde, son visage change,
c'est comme si c'était plus maman. Et après elle a pleuré et moi je suis
rentré dans ma chambre. Heureusement dans le nouveau Strange que j'ai
acheté il y avait Daredevil et lui il est chouette.
29 octobre 1986
J'ai finis le Strange. C'était rudement bien, surtout grâce à Daredevil. Il
est aveugle à cause d'un accident qu'il a eu quand il était petit, en voulant
sauver un vieux qui traversait la route. Mais après son accident il a eu plein
de nouveaux pouvoirs et il combat les méchants toutes les nuits. Et surtout
le gros caïd qui est très gros et le plus méchant de tous. Et dans la journée
Daredevil est avocat et il a une canne d'aveugle qui est son arme la nuit,
aussi. J'aime bien quand Daredevil se bat contre le gros caïd. On a toujours
l'impression qu'il va perdre mais il gagne toujours. Le gros caïd il me fait
penser au docteur Croizic sauf que le docteur il est moins gros.
Mais il est chauve et il porte aussi une veste blanche. J'aime pas trop le
blanc, ça me fait bizarre. On dirait que ces gens sont malades...
30 octobre 1986
J'ai fais un cauchemar terrible cette nuit. J'ai rêvé que les cicatrices de
maman s'ouvraient et que plein de petits lézards en sortaient. Ils étaient
vraiment beaucoup et ils tombaient sur le sol de la salle de bains. Il y en
1 12
16. Journal d'un orphelin programmé
avait qui tombaient aussi sur le lavabo, sur le rebord et après ils rampaient
pour entrer dans le trou du lavabo. Et à chaque fois que des lézards
sortaient par les cicatrices de maman, il y avait du sang qui coulait de ses
yeux, comme si maman pleurait du sang. Je me suis réveillé dans la nuit et
je sais pas quelle heure c'était parce que quand j'ai voulu regarder le réveil
j'ai vu les chiffres rouges et ça m'a rappelé le sang. Alors j'ai mis la tête
sous les couvertures, j'ai pensé à Spiderman et après je me suis rendormi.
Parce qu'encore après, quand j'ai ouvert les yeux, il y avait plein de lumière
du soleil dans la chambre. Ensuite j'ai été fatigué toute la journée à l'école
et j'ai rien compris à la leçon de math. Il va falloir que j'aille me coucher
tout à l'heure mais j'ai peur de refaire le même rêve alors je vais relire un
vieux Strange de ma collection pour penser à des choses bien. Je vais relire
un des Strange où Spiderman se bat contre le docteur Octopus et que tout
un immeuble lui tombe dessus, même que Spiderman est bloqué et que sa
force d'araignée lui sert à rien. J'aime bien quand les héros sont bloqués, ça
change de quand c'est trop facile pour eux.
Parce que pour moi c'est jamais facile quand j'y arrive pas.
4 novembre 1986
Cette nuit j'ai refais un cauchemar avec des flammes qui sortaient du
corps de maman et quand papa voulait l'éteindre, il ouvrait la bouche et
c'était plein de boue qui coulait. Et quand la boue de papa tombait sur
maman, les flammes devenaient plus fortes. Et ses cicatrices devenaient
bleu et se tordaient, comme une bouche avec plein de dents qui souriaient
et même, qui rigolaient.
6 novembre 1986
Marcel aime beaucoup la viande. Ce soir je lui ai donné un peu de mon
steak haché et il avait l'air drôlement content. Quand Marcel est content il
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17. Journal d'un orphelin programmé
remue la queue, comme tous les chiens. Mais les chiens ont le coeur qui bat
plus vite que celui des gens, et c'est pour ça aussi qu'ils vivent moins.
Alors c'est important que Marcel mange de la viande pour devenir fort
mais le lait par contre il aime pas du tout. Pourtant dans le lait il y a plein
de choses pour qu'on grandisse alors ça serait mieux si Marcel pouvait en
boire mais bon voilà, il aime pas ça du tout. Sûrement que ça lui ferait
penser qu'il est un chat s'il buvait du lait et là ça rendrait malade tous les
chiens. Je peux comprendre ça...
7 novembre 1986
C'est pas facile d'écrire tous les jours. Le docteur Croizic a dit que
c'était pas grave mais qu'il fallait que j'essaye. Mais des fois je préfère
regarder la télé et les dessins animés ou lire "Strange" ou "Spectral".
"Spectral" c'est bien aussi, dedans y'a la chose du marais qui est un ancien
scientifique qui a du se jeter dans un marais pour pas brûler dans
l'explosion de son laboratoire. Et comme il avait plein de produits
chimiques sur lui, ça a fait une réaction avec la vase et les choses qui sont
dans le marais. Et tout le monde le croyait mort alors que pas du tout : il
est ressorti du marais transformé en la chose du marais. C'est rudement
chouette comme histoire et y'en a tout plein. Alors voilà, y'a souvent des
trucs que j'ai à faire au lieu d'écrire sur ce cahier. Y'a juste que, avant de
dormir j'aime bien écrire. Il faut que je m'entraîne à écrire parce qu'à
l'école c'est la seule chose que j'aime faire.
8 novembre 1986
Aujourd'hui il ne s'est rien passé. J'ai même pas joué avec Marcel.
Maman a encore pleuré, elle est toute bizarre depuis qu'elle est revenue de
l'hôpital, c'est comme si c'était une autre personne.
1 14
18. 9 novembre 1986
Journal d'un orphelin programmé
Aujourd'hui il ne s'est rien passé. Je me demande si je dois écrire ça pour
écrire tous les jours, je trouve pas ça très marrant. Je crois que je vais
arrêter. Ah si, aujourd'hui Marcel a vomi. Je sais pas pourquoi il a fait ça :
c'est bizarre les chiens, des fois...
11 novembre 1986
Le 11 novembre est une date que j'aime parce qu'on va pas à l'école et
qu'on nous montre plein de vieilles images à la télé. Il faut se rappeler de la
guerre de 14-18 qui s'est arrêtée un 11 novembre. A l'époque il fallait avoir
plein de barbe pour être soldat. Papa avait de la barbe pendant un moment
et puis maintenant il l'a rasée. Je crois qu'il avait la barbe pendant que
maman était à l'hôpital. Il a du la raser avant que maman rentre il y a deux
mois, je me souviens plus trop bien.
En tous cas il y a plein de choses bizarres depuis que maman est revenue
à la maison. Avant quand elle n'était pas là, c'était plus facile parce qu'on
était seuls avec papa. C'était dur mais on savait ce qu'on avait à faire. Et
maintenant il faut se réhabituer à voir maman à la maison tous les jours.
Mais je me souviens quand papa disait que peut être maman ne reviendrait
pas à la maison. Il disait que peut être on ne reverrait plus jamais maman.
Je m'en souviens parce que je me rappelle que ça m'a fait drôlement peur.
C'était il y a deux ans, j'étais petit, j'avais huit ans. Et puis papa m'a plus
rien dit et puis un jour maman est revenue, c'était il y a deux mois.
Maintenant il faut que je m'habitue à elle, comme Marcel a du s'habituer à
nous.
1 15
19. Journal d'un orphelin programmé
Sauf que Marcel il pensait pas qu'il ne nous reverrait jamais puisqu'il nous
connaissait pas avant. C'est plus facile.
15 novembre 1986
Aujourd'hui j'ai pile dix ans et deux mois. Il a plu toute la journée et j'ai
passé la journée à l'école à regarder par la fenêtre. J'ai regardé tomber la
pluie et j'ai essayé de compter les gouttes mais il y en avait beaucoup trop.
Si j'étais comme Daredevil je pourrais le savoir rien qu'en écoutant. Parce
que Daredevil, il est peut être aveugle, n'empêche qu'il entend super bien.
Et la pluie ça fait un sacré bruit quand ça tombe.
16 novembre 1986
Marcel continue à grandir, maman continue à pleurer, papa continue à
crier. C'est pas très intéressant à la maison, presque aussi mauvais qu'à
l'école.
20 novembre 1986
Dans un mois c'est le conseil de classe et les bulletins qui vont arriver
chez les parents. Pour l'instant j'ai pu tout cacher mais ils vont bien s'en
rendre compte quand ils recevront le bulletin. Je pense pas que maman dise
quelque chose, elle est trop occupée à pleurer. Mais papa va être sacrément
en colère. Mais j'y peux rien, j'aime pas les maths, ni l'anglais, ni le sport.
Et puis y'a toujours tous les autres qui regardent et qui rigolent. J'aime pas
ça.
Des fois je sens qu'ils me regardent dans mon dos et qu'ils se moquent de
moi. Ils disent du mal sur moi, je suis sûr qu'ils savent pour maman et
1 16
20. Journal d'un orphelin programmé
qu'ils se moquent de moi à cause de ça. C'est comme Spiderman, il est
toujours au milieu des autres élèves qui le regardent en se moquant de lui
et personne comprend que c'est dur. Après plusieurs années, il finit par être
copain avec des autres élèves mais je suis sûr que c'est juste un piège des
autres.
22 novembre 1986
On reparle de noël à la maison et les coups de téléphone commencent.
Papa a pas l'air très content d'aller chez les parents de maman pour la noël.
Maman quand elle leur téléphone, elle est toute contente après. C'est
comme si elle n'avait pas changé. Peut-être que les médecins lui ont mis
quelque chose dans le cerveau pour la faire changer mais que ça fonctionne
encore pas trop, ou pas tout le temps. Je vais devoir ouvrir l'oeil pour
comprendre le truc. Faudrait pas que ce soit un piège...
23 novembre 1986
J'ai fais un nouveau cauchemar cette nuit. Et même que cette fois il a
duré plusieurs fois, je veux dire qu'il a recommencé alors que je m'étais
réveillé et rendormi. Il y avait des marteaux qui tombaient du ciel, des
marteaux vraiment très gros. Quand ils tombaient sur le sol, ça faisait tout
trembler. Moi je courais au milieu d'une forêt et les arbres avaient des têtes
d'humains et il y avait maman, ma maman d'avant la maladie qui courait
avec moi.
Là c'était bien. Elle me tenait par la main et je me sentais vraiment bien.
C'était très chouette. Mais après les marteaux grossissaient et il y en avait
vraiment tout plein qui tombaient autour de nous. Et les arbres rigolaient,
ils se moquaient de moi. Ils avaient des têtes de l'école. Et à un moment y'a
un marteau qui a touché la tête de maman. Alors elle a changé et elle est
devenue la maman de maintenant et ses cicatrices se sont ouvertes et il y
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21. Journal d'un orphelin programmé
avait du sang partout sous nos pieds. Et les arbres riaient tellement fort
qu'il fallait courir en se bouchant les oreilles. Et j'étais tout seul.
25 novembre 1986
Voilà, dans un mois c'est noël. Papa voulait m'acheter un vélo mais je lui
ai dit que c'était pas la peine. Dehors c'est trop dangereux. Y'a le parc qui
est pas loin de la maison mais y'a quand même le pont à traverser et là c'est
plein de voitures. Des fois quand je vais à l'école et que je traverse le pont,
je les regarde les voitures. Elles brillent même quand il fait presque nuit et
derrière les vitres je vois les gens. Ils me regardent tous et j'aime pas ça.
J'aime pas ça du tout. Ce que je pense c'est qu'ils sont dans le truc. Ils sont
au courant pour maman et les opérations qui ont mis le truc dans la tête de
maman pour qu'elle change. Les gens qui sont dans les voitures me
laisseraient pas tranquille si j'avais un vélo. Alors je préfère pas. Et pour la
noël je m'en moque un peu parce que j'ai plus de dix ans maintenant, je
suis plus un petit et les cadeaux c'est surtout pour les petits. En plus à
l'école ceux que j'aime le moins ils ont tous un vélo et ils viennent avec,
alors j'aime pas les vélos.
Ah oui, et j'aime pas du tout le blanc non plus, quand je pense aux vélos, je
pense aux gens dans les voitures et puis aussi au blanc. Et j'aime pas le
blanc. C'est tout. Pas la peine d'essayer...
26 novembre 1986
Aujourd'hui j'ai vu une émission drôlement chouette à la télé. Ils
expliquaient comment on pouvait faire des opérations dans la tête des gens
pour les changer. C'est drôlement facile de changer les gens comme ça. Ils
disaient qu'ils avaient d'abord fait ça sur des singes pour essayer mais que
ça devait être pareil pour les humains. Ils disaient que ce serait chouette
pour les gens qui ont eu un accident sur la route et qui bougent plus et qui
1 18
22. Journal d'un orphelin programmé
parlent plus. Mais moi j'ai compris qu'en fait ils l'avaient déjà fait pour de
vrai sur des vrais gens comme maman. Peut-être que papa est au courant
mais je dois faire attention à pas faire voir que j'ai tout compris. Il faut être
prudent, c'est comme ces gens dans les voitures et les arbres qui ont des
visages, des fois.
Marcel a encore vomi, je sais vraiment pas ce qu'il a et papa veut pas
qu'on l'emmène voir un docteur de l'estomac des chiens. C'est dommage, je
suis sûr qu'il aurait pu lui prendre l'estomac en photo et comprendre ce
qu'il se passe. Maman a dit : « C'est normal qu'il vomisse ce chien avec
toutes les saloperies qu'il mange à longueur de journée ! Il est énorme !
Quelle idée on a eu de t'acheter un chien pareil pour ton anniversaire, je te
jure ! » C'était pas très gentil de dire ça surtout devant Marcel. Marcel il est
comme Daredevil, il entend tout, même des choses très aigues que nous on
peut pas entendre.
Alors quand nous on entend, lui il entend super bien. Mais comme il est
gentil, il a fait comme si ça le gênait pas ce qu'a dit maman. Marcel c'est
un chouette chien.
27 novembre 1986
Finalement on a emmené Marcel chez un vétérinaire. Il était vraiment
pas du tout comme le docteur Croizic. J'étais déçu, il était plus grand. Mais
le vétérinaire a été gentil avec Marcel, il l'a regardé partout et à la fin
Marcel était tout content. Le vétérinaire a dit : « Rien de bien grave mais
ce chien a un régime alimentaire complètement perturbé ! Vous devez
absolument le mettre à la diète où il va devenir énorme ! Ce n'est encore
qu'un chiot, il a besoin de forces pour grandir mais pas pour grossir ! » Et
puis le vétérinaire nous a donné un petit livre sur la nourriture des chiots et
un autre sur la nourriture des chiens. Il a dit que c'était pour nous aider à
donner à manger exactement ce qu'il fallait et habituer Marcel à manger
normalement. Il a dit : « Les chiots c'est comme les gosses, si on n'est pas
derrière eux, ils mangent uniquement ce qu'ils aiment et en quantités
1 19
23. Journal d'un orphelin programmé
démesurées ». Voilà, et après on est revenu à la maison et quand papa a
expliqué tout ça à maman, elle a dit qu'elle le savait et que c'était toujours
pareil et que jamais personne ne voulait l'écouter dans cette maison. Et
puis plein d'autres choses que j'ai pas écoutées parce que je suis monté
dans ma chambre. J'aime bien être dans ma chambre, je suis bien tranquille
et souvent il y a Marcel qui vient avec moi et qui reste là à faire semblant
de dormir. Marcel il aime bien faire semblant de dormir mais il aime bien
dormir aussi.
C'est un chouette chien.
28 novembre 1986
Je suis tout à fait comme Spiderman. Des fois Spiderman a envie de tout
arrêter et d'autres fois il est content d'être Spiderman. Faut dire que c'est
pas facile pour lui, encore moins que pour moi je crois bien. Mais bon lui il
a un pouvoir terrible et pas moi. J'aimerai bien avoir un pouvoir, moi-aussi.
30 novembre 1986
Encore un cauchemar cette nuit. Mais heureusement j'ai pu me
rendormir et ne plus y penser. C'était plus vite que les autres fois. Il y avait
des militaires qui sautaient en parachutes et qui arrivaient au milieu de la
maison. C'était la nuit et il y avait papa qui faisait plein de travaux dans la
maison pour les empêcher de rentrer. Mais le toit était tout cassé et c'était
par là que les militaires entraient. Ensuite ils empêchaient papa de bouger
et ils tiraient à la mitraillette sur Marcel pour qu'il n'aboie plus. Et Marcel
était mort. Et puis après les militaires attrapaient maman et l'obligeaient à
s'allonger sur la table de la cuisine. Là, ils trafiquaient dans sa tête avec des
outils et puis maman se levait et elle marchait tout bizarre. C'était comme
si maman était un robot qui était en panne. Il y avait des fils qui sortaient
de sa tête et des lumières qui clignotaient sous son visage. Alors les
1 20
24. Journal d'un orphelin programmé
militaires refaisaient des choses dans sa tête avec des outils et cette fois
maman redevenait la maman d'avant les opérations, celle qui me tenait par
la main dans la forêt de l'autre nuit.
Et puis après je me suis réveillé. Dommage...
4 décembre 1986
Aujourd'hui j'ai fais mon dernier contrôle de maths de l'année. Je
déteste les maths mais moins que le sport quand même. Et demain il y a un
contrôle de sport. En maths je pense que j'aurais pas plus de sept ou huit
sur vingt mais en sport, pour l'instant j'ai toujours zéro ou deux. Je
comprends pas comment ça se fait que j'ai des zéros en sport. Le prof dit
que c'est parce que je fais pas d'effort mais comment il peut savoir, il est
pas à ma place ! J'aime pas ce prof de sport, je suis sûr que c'est un ancien
militaire. Il a du se faire mettre dehors de l'armée parce qu'il avait tué trop
de gens et du coup il se retrouve prof de sport au collège. C'est pas possible
autrement. N'importe qui d'autre mettrait pas un zéro en sport, c'est débile.
Il le fait exprès pour que tout le monde puisse se moquer de moi. Lui aussi,
il est dans le coup.
6 décembre 1986
Papa et maman se sont disputés. Marcel a commencé à couiner et à faire
plein de trucs bizarres, comme si ça lui plaisait pas. Il est marrant Marcel.
Mais maman et papa arrêtaient pas de crier à cause de la noël. J'aime pas
aller à Cannes, et j'aime pas aller en Bourgogne mais au moins à Cannes
y'a la mer et ça c'est quand même chouette. Avant, papa et maman se
disputaient pas trop. C'est que depuis que maman est revenue que ça arrive.
Je sais que les militaires ont mis ce truc dans sa tête mais peut-être y'a pas
que ça.
1 21
25. Journal d'un orphelin programmé
Dans un numéro de Strange que j'ai lu au début de l'année, je me souviens
que le Docteur Fatalis avait fabriqué un faux Ben, des Quatre Fantastiques.
Les autres croyaient tous que c'était leur Ben parce que le vrai avait
disparu et tout le monde s'est fait avoir. Alors je crois que c'est un truc
pareil qu'ils ont fait avec maman. C'est pas ma vraie maman ça, c'est une
copie, peut être un robot ou alors une vraie femme qu'ils ont transformé
pour qu'elle soit comme maman. Et c'est pour ça que tout est tellement
bizarre depuis qu'elle est revenue à la maison. Et aussi que papa se dispute
avec elle. Marcel lui il peut pas comprendre tout ça mais voilà : la femme
qui est chez nous c'est pas maman.
7 décembre 1986
Pourquoi cette femme a des cicatrices si c'est pas maman ? Il doit y
avoir un truc rudement méchant là-dessous. Ca veut dire qu'y a des gens
capables de faire ça exprès à une femme pour que nous avec papa on croit
que c'est maman. Mais moi j'ai tout bien compris. Maman elle est morte, et
puis c'est tout.
8 décembre 1986
Dans les rues aujourd'hui y'avait plein de lumières aux fenêtres parce
que c'est la fête à Lyon. Avec papa et cette femme, on est allé voir ça après
l'école. On a laissé Marcel tout seul à la maison et on est parti à pied. Il a
fait très froid et on avait tous des bonnets et des gants comme s'il neigeait
sauf qu'il neigeait pas. Dommage, j'aime bien la neige même si c'est blanc
au début.
Y'avait pas beaucoup de gens dans la rue parce qu'il faisait super froid.
Y'avait des fenêtres avec des petites bougies et d'autres qui en avaient pas.
Moi j'avais froid et j'avais faim heureusement au bout d'un moment on est
allé au restaurant parce que papa voulait pas manger à la maison. Catherine
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26. Journal d'un orphelin programmé
(le même prénom que maman, comme par hasard) était pas très d'accord au
début mais après elle a dit : « Bon d'accord Jean-Paul, si tu veux... De toute
façon le frigo est vide ». Et ça c'est vrai, le frigo il est toujours vide
maintenant. Avant, quand maman était à l'hôpital, papa s'occupait bien du
frigo mais maintenant que Catherine a remplacé maman, on mange pas
bien. Alors on est allé au restaurant et j'ai mangé du poulet avec des
pommes de terre en rond. Papa il a bu une bouteille de vin et Catherine a
commencé à faire la tête et à lui dire de moins boire mais papa il a
continué quand même. Après on est rentré à la maison avec le métro et je
me suis endormi je crois bien parce que je me souviens plus très bien.
Après on est arrivé à la maison et Marcel était content de me voir alors
maintenant il est dans ma chambre. Il est allongé par terre au pied du lit. Il
me regarde comme s'il savait que j'écris sur lui mais il peut pas savoir.
Demain on va voir le docteur Croizic pour parler de... je sais pas qui mais
pas de maman en tous cas.
9 décembre 1986
Le docteur Croizic était pas content. Il m'a demandé si j'avais fait exprès
d'oublier mon cahier où j'écris ce journal. Je lui ai dit que non, mais je
crois bien qu'il m'a pas cru. Il est pas bête le docteur Croizic même s'il
s'habille en blanc.
J'aime pas le blanc. Il a dit : « Benjamin, il faut que tu apportes ce cahier
chaque fois que nous nous voyons. C'est important. Il faut que je puisse
voir que tout va bien parce qu'avoir une maman qui a été malade comme la
tienne pendant aussi longtemps, ça peut être difficile pour un petit garçon.
Alors la prochaine fois, n'oublie pas ce cahier, d'accord ? » J'aime pas
comme il me parle. J'ai dix ans, je suis plus un petit garçon. Et puis maman
est morte alors je vois pas pourquoi il veut savoir tout ça, qu'est ce que ça
peut lui faire ? Le docteur Croizic c'est juste un docteur qui soigne les gens
qui ont des petites maladies. C'est pas un super docteur, alors qu'il s'occupe
de ses fesses.
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27. Journal d'un orphelin programmé
11 décembre 1986
Cette nuit le docteur Croizic était dans mes rêves. Et j'ai compris un truc
terrible. Il avait un visage tout flou mais c'était lui quand même. Et y'avait
un chien aussi mais c'était pas Marcel mais c'était quand même un chien à
moi. Dans le rêve que j'ai fait au début, le docteur était vraiment très gros,
encore plus gros que le caïd dans Strange. Et pourtant le caïd est gros mais
il est musclé parce que des fois il s'entraîne et on le voit battre plein
d'autres hommes. Ensuite y'avait le chien qui m'échappait et qui courait
derrière le docteur Croizic. Lui, il était tellement gros qu'il roulait. Mais
mon chien aboyait et il courait encore plus vite. Et puis à un moment le
chien sautait sur le docteur et il se mettait à le mordre au visage. Et là le
visage était plus flou du tout et on reconnaissait bien le docteur Croizic. Et
le chien commençait à vraiment le mordre parce que le docteur criait super
fort.
Moi j'essayais de crier pour dire au chien d'arrêter mais y'avait rien qui
sortait, j'étais muet. Alors du coup j'essayais d'attraper le chien et de le tirer
en arrière pour qu'il comprenne qu'il fallait arrêter. Mais le chien était trop
musclé et j'arrivais même pas à le faire bouger. Et sous le chien y'avait le
docteur Croizic qui maigrissait parce que le chien en mangeait des bouts.
Y'avait plein de sang qui coulait sous le chien et sous mes chaussures ça
faisait « splatch ! splatch ! » quand je marchais dedans. Et après le docteur
Croizic se relevait et il était tout maigre et le chien se mettait à couiner et
d'un coup il tombait par terre et il était mort. Le docteur Croizic était à
moitié mangé et son visage était flou d'un côté et mangé de l'autre côté,
comme Double Face dans Batman.
Et je me suis réveillé et j'ai compris que le docteur Croizic c'était Double
Face et que je pourrais jamais lui apporter ce journal. Maintenant je me dis
que le docteur doit s'être mis d'accord avec les militaires pour se mettre
contre moi. Il faudra jamais qu'on retourne voir ce docteur et puis d'abord
on n'en a pas besoin parce qu'on est pas malade.
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28. 12 décembre 1986
J'ai voulu dire à papa pour le docteur Croizic mais il a pas voulu
m'écouter parler. Tant pis, je me ferai pas prendre au piège, je connais bien
Double Face parce qu'au début c'était un copain de Batman mais après il
est dans le camp des méchants. C'est bien que je sache tout ça et que je l'ai
compris. Il faut que je cache mon journal parce que sûrement que les
militaires vont vouloir me le voler et qu'ils vont lire que je sais tout.
Après, ils vont venir me prendre...
20 décembre 1986
Ca faisait longtemps que j'avais pas écrit dans ce journal. Mais j'ai eu
peur que les militaires viennent alors j'ai caché le cahier quelque part dans
la maison. Je voulais voir s'ils avaient pas mis des caméras dans ma
chambre. Avec tout ce que j'ai compris sur Double Face et cette femme,
Catherine, qui remplace maman qui est morte, je suis devenu dangereux
pour eux. Alors je leur ai tendu un piège en écrivant tout ça pour vérifier
s'il y avait pas des caméras mais ils sont pas venus alors je pense qu'il y a
pas de caméras. En tous cas y'en a pas dans ma chambre. Heureusement on
va partir demain chez pépé et mémé et là ils viendront pas nous chercher.
Je vais prendre mon journal et Marcel avec moi. Marcel est jamais allé en
Bourgogne, ça va lui faire tout drôle d'aller dans la maison de pépé et
mémé, j'espère qu'il y aura des bols pour lui donner ses croquettes parce
que Catherine veut pas qu'on emporte son bol. J'ai rien voulu dire parce
que je veux pas trop parler avec cette femme mais c'est pas très gentil
parce que Marcel il y est pour rien dans toute cette histoire.
21 décembre 1986
Journal d'un orphelin programmé
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29. Journal d'un orphelin programmé
Voilà, on est en Bourgogne chez pépé et mémé et il fait encore plus
froid qu'à la maison mais ici au moins il y a la cheminée alors on peut
avoir un peu chaud. Il a neigé dehors pendant qu'on mangeait ce soir et
j'aime ça la neige même si au début c'est blanc.
Et moi, j'aime pas le blanc.
23 décembre 1986
Pépé et mémé sont tombés dans le piège des militaires et de Double
Face. Ils ont pas compris que c'était pas maman mais Catherine, une autre
femme qui ressemble beaucoup à maman. Et comme papa fait comme s'il
avait pas compris non plus c'est comme si rien avait changé. Sauf que
Catherine sourit jamais alors que maman riait tout le temps et aussi qu'elle
fait toujours les choses très vite alors que maman était plus calme. Maman
elle s'énervait jamais, et Catherine elle est toujours super énervée. Le
docteur Croizic a dit que c'était un effet secondaire des deux ans de la
maladie mais c'est juste une fausse piste. Pépé et mémé en ont parlé à un
moment avec papa pendant que Catherine était aux cabinets. Mémé a dit :
« Elle a changé ! Elle semble avoir repris des forces, en tous cas, elle a
repris quelques kilos. Mais la pauvre, elle était tellement maigre à
l'hôpital... ». Et puis ensuite pépé a dit : « Pauvre petite, elle qui était si
calme et si détendue... Elle est tellement pressée maintenant... ». Alors
papa a répondu : « Le médecin qui nous suit tous depuis la naissance de
Benjamin explique que c'est un effet secondaire. Les chimiothérapies et les
médicaments, ça lui a quand même bien détraqué le système. J'essaye de
faire avec mais c'est pas facile de trouver sa femme autant changée. Mais
c'est tellement beau qu'elle soit là, avec nous... ». Papa est vraiment bête, il
veut bien croire tout ce qu'on lui dit. Alors avec Marcel on est sorti jouer
au ballon dans la cour de la ferme de pépé et de mémé. Parce que la neige
a fondu un peu et qu'avec la terre, ça fait de la boue et que le blanc est
maintenant marron et c'est mieux.
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30. Journal d'un orphelin programmé
25 décembre 1986
La noël c'était hier soir et on a du aller à l'église mais j'aime pas l'église
et papa non plus mais il a pas trop osé le dire. Depuis que Catherine vit à la
maison avec nous, il arrête pas de dire que la guérison c'est un miracle et il
commence à croire en dieu alors on risque d'aller à l'église maintenant. Je
suis pas allé beaucoup à l'église et d'habitude j'y vais une fois par an
pendant la noël. Alors hier soir avec pépé, mémé, papa et Catherine on y
est allé avec la voiture de pépé qui est une camionnette qui fait plein de
bruit. L'église c'est dans le village à côté et il y avait plein de monde.
J'aime bien les églises parce qu'y a pas de bruit. Et j'aime bien quand y'a
pas de bruit. On est allé s'asseoir au début là où y'avait encore des places et
puis le curé est arrivé et y'a eu de la musique. Tout le monde s'est levé.
Moi ce que j'aime pas à l'église c'est qu'on se lève tout le temps alors que si
y'a plein de chaises, c'est fait pour s'asseoir. Je suis sûr que c'est pour
économiser les chaises que les curés obligent à rester debout longtemps.
En plus après que ça ait commencé, il y a des corbeilles qui passent et il
faut mettre de l'argent dedans. Ca aussi j'aime pas trop mais mémé elle dit
que c'est une bonne action et qu'il faut toujours donner des sous. Pépé et
mémé ils vont à l'église tous les dimanches et ils disent tout le temps à
papa qu'il devrait faire pareil et que moi je devrais aller au catéchisme.
N'importe quoi, comme idée débile ; bravo !
Après l'église on est revenu à la maison et on a mangé du saumon, j'aime
bien le saumon surtout parce qu'y a plein de citron. Marcel il a pas le droit
d'aller à l'église et il a pas le droit au saumon ni au citron. Mais on lui a
quand même donné plus de croquettes aujourd'hui parce que c'était noël.
C'est Catherine qui a décidé ça et ça m'a vraiment fait bizarre qu'elle dise
ça. Mais je crois qu'elle a fait ça exprès pour essayer de me tendre un
piège, pour m'amadouer. Dans un numéro de Strange, le prince des mers
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31. Journal d'un orphelin programmé
fait la même chose à la femme des Quatre Fantastiques : il est d'un coup
super gentil mais c'est rien qu'un piège alors moi je vais pas me faire avoir.
Mais Marcel il s'en fiche lui parce qu'il a eu deux fois des croquettes alors
il était content. Ensuite on est allé voir le sapin de noël que mémé avait
préparé et aux pieds, y'avait plein de cadeaux. Y'avait vraiment plein de
cadeaux avec marqué "Catherine" dessus. Tout le monde rigolait et papa a
pris des photos avec son vieil appareil que j'avais pas vu depuis longtemps
parce qu'il s'en servait plus depuis longtemps. Moi j'aime pas trop quand
tout le monde rigole comme ça parce que ça cache des choses et en plus je
sais bien toute l'histoire avec Catherine. Et puis je trouve que c'est pas très
gentil de faire la fête comme ça alors que maman est morte. Je voudrais
être triste mais j'y arrive pas et je veux pas être content et ça j'y arrive.
Alors j'ai ouvert mes cadeaux comme ça, sans rien dire, et j'ai embrassé
pépé et mémé parce que papa et Catherine m'ont regardé méchamment.
Mes cadeaux étaient pas terribles, c'était des livres d'histoire et des habits.
Les autres aussi ont eu des cadeaux mais comme j'en avais assez j'ai dit
que j'étais fatigué.
Mémé a dit : « Oh, pauvre petit, il a pas l'habitude de se coucher tard...
Mais il n'est pas si tard... Cathy, ne le couche pas tout de suite, pour une
fois qu'on est tous ensemble ! » Quelle idiote mémé ! Alors j'ai du rester
encore avec tout le monde et je me suis assis avec Marcel mais il avait pas
très envie parce qu'il a fait comme si j'étais pas là et il a dormi en ronflant.
On a mangé du gâteau au chocolat et pépé a dit qu'il l'avait préparé mais je
suis pas sûr parce que d'habitude pépé il fait jamais de gâteaux. Ensuite j'ai
pu aller dans la chambre et maintenant j'écris sur mon journal. Maintenant
je vais dormir.
27 décembre 1986
On est revenus de chez pépé et mémé aujourd'hui et sur la route on a
failli avoir un accident. Catherine a crié après papa et elle a dit : « Enfin tu
vois bien que tu les suis de trop près ! ». Et là, d'un coup, la voiture devant
nous est partie en travers de la route et elle a fait tout plein de zigzags et
1 28
32. Journal d'un orphelin programmé
papa a du freiner pour pas qu'on lui rentre dedans. Notre voiture a fait plein
de bruit et Marcel ça l'a réveillé et il a voulu se lever pour voir ce qui
arrivait mais ça bougeait trop alors il est tombé sur moi. Il commence à
être lourd Marcel mais il va encore grandir, c'est Eric qui me l'a dit. Alors
après Catherine a crié et papa a dit : « Merde putain merde ! » et puis on
s'est arrêté au milieu de la route. Et derrière, les gens dans les autres
voitures, ils ont fait pareil que nous. Et la voiture de devant nous elle est
sortie dans l'herbe et elle a fait un tonneau. Alors Catherine je sais pas
pourquoi, elle a commencé à pleurer.
Et puis dans la voiture derrière nous, y'avait un docteur qui a couru dans
l'herbe pour aider les gens à sortir de la voiture. Après on a redémarré et on
a continué la route. Je me demande s'ils étaient morts les gens dans la
voiture.
29 décembre 1986
C'est encore les vacances de noël. Ca veut dire que je vais pas à l'école
et ça c'est chouette parce que j'aime vraiment pas aller au collège. Sur mon
bulletin ils disent que si j'ai pas de meilleures notes je pourrais pas aller en
cinquième. J'ai pas encore donné le bulletin à papa mais il faut qu'il le
signe pour la semaine prochaine. Papa est très énervé en ce moment à
cause de son travail. Quand il est rentré aujourd'hui, il a crié et Catherine et
lui se sont encore disputés. J'ai pas entendu ce qu'ils disaient parce que
j'étais dans ma chambre mais j'ai entendu qu'ils criaient et ensuite papa est
monté dans leur chambre et je l'ai entendu téléphoner au docteur. Il hurlait
alors j'ai bien entendu parce que leur chambre est juste à côté de la mienne.
Papa criait au téléphone. Il a dit : « Je m'en fous de ses vacances ! Il faut
absolument que je voie le docteur Croizic ! Si c'est pas demain ce sera
après-demain ! Je veux que vous me donniez un rendez-vous c'est quand
même pas bien difficile ! Je gère plus de cinquante personnes tous les jours
alors n'essayez pas de m'embrouiller avec des histoires à la con sur les
emplois du temps ! » Marcel s'est levé à ce moment-là de derrière la porte
pour venir près de moi. Il m'a regardé et a remué la queue comme lorsqu'il
1 29
33. Journal d'un orphelin programmé
est content. Je sais pas bien ce qu'il voulait me faire comprendre mais
peut-être qu'il commence à se rendre compte qu'il y a quelque chose de pas
très normal dans cette maison.
Les chiens sont pas bêtes. Surtout Marcel...
31 décembre 1986
Aujourd'hui c'est le dernier jour de l'année. Tout le monde est bien
habillé à la télévision. Et à la fenêtre de ma chambre je vois plein de
voitures qui roulent dans les rues. Il fait nuit et pourtant y'a plein de gens
qui bougent. Papa et Catherine sont invités alors ils s'habillent bien,
comme les gens à la télévision. Ils vont partir chez des amis de travail de
papa et ils me laissent avec Marcel et j'aime bien ça parce que c'est pas
souvent qu'ils me laissent tout seul. J'aime bien être seul, je peux faire tout
ce que je veux, regarder la télé ou pas la regarder, dormir ou pas dormir,
manger ou pas manger, lire ou pas lire. Mais la télé j'aime pas bien la
regarder très longtemps parce qu'après ça fait comme si les images
restaient dans ma tête. Et puis on sait jamais si quand on regarde la télé
c'est la vérité ou si c'est inventé par les gens qui font la télé. Alors que
quand je lis Strange je sais que c'est vrai. Et puis à la télé c'est toujours la
même chose et souvent les gens font que mentir. Papa m'a bien expliqué
que tout ce qu'ils voulaient c'était qu'on regarde la télé pour acheter les
trucs qu'ils vendent pendant la réclame. Papa dit que c'est juste ça le but de
la télé et moi j'aime pas trop ça parce qu'à la réclame y'a jamais rien que je
trouve bien. Ils parlent jamais des choses qui me plaisent. Papa et
Catherine m'ont demandé de pas me coucher tard et il a fallu que je les
embrasse quand ils sont partis. J'aime pas trop embrasser les gens, on sait
jamais ce qu'ils ont touché avant, on peut attraper des maladies et j'ai pas
envie d'attraper des maladies parce qu'après on meurt, comme maman.
Je crois que je vais regarder un peu la télé avec Marcel et après j'irai lire un
vieux Strange que j'aime bien.
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34. Journal d'un orphelin programmé
1er janvier 1987
Voilà on a changé l'année alors je me suis dit que ça serait bien de
donner mon bulletin à papa. Il a lu mon bulletin et Catherine est venue
voir, comme si ça la regardait, elle ! J'aime pas trop qu'elle essaye de
s'occuper de moi, qu'elle s'occupe de ses fesses ! Des fois je vois bien
qu'elle essaye de faire comme faisait maman mais moi je me fais pas avoir,
je suis plus un gamin, j'ai plus de dix ans. En tous cas papa a pas trop aimé
le bulletin de notes et ce qu'avaient écrits les professeurs. Le prof de math
a marqué : « Elève qui n'a ni compétences ni volonté » et le prof de sport a
marqué : « Elève mou et renfermé sans aucune aptitude physique » et le
prof d'anglais a marqué : « Quelques éclairs mais dans l'ensemble un élève
bien morose » et le prof de biologie a marqué : « Elève que rien ne semble
intéresser ». Heureusement y'a la prof de français qui a écrit : « Benjamin
possède une grande aisance rédactionnelle, dommage que l'oral ne suive
pas ». Du coup papa a beaucoup crié, il m'a dit qu'il était vraiment déçu et
même très déçu. Il a dit : « A ton âge j'étais premier ou second dans toutes
les matières et je m'intéressais à tout. Je voulais réussir et c'est pour cela
que j'ai réussi. Mais qu'est ce que tu crois ? Tu crois peut-être que tu vas
avoir un métier plus tard en étant aussi mauvais à l'école ? Mais mon
pauvre ! Tu n'arriveras jamais à rien ! Je te conseille de te ressaisir au
deuxième trimestre où je te préviens, je te colle chez les curés ! Eux, ils
t'obligeront à travailler ! » Il est bizarre papa de vouloir que j'aille à l'école
chez les curés parce qu'il a toujours dit qu'il comprendrait jamais les gens
qui voulaient être curé.
Et moi non plus, même si les curés portent des robes noires et ça, c'est
plutôt classe.
3 janvier 1987
Papa m'a tendu un piège. Quand je me suis levé ce matin il a fait comme
si c'était un jour normal et puis il a dit qu'il allait pas travailler. Quand j'ai
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35. Journal d'un orphelin programmé
eu fini mon petit-déjeuner, il m'a demandé de le suivre et puis on a pris la
voiture et Catherine était avec nous. J'ai demandé où on allait et je croyais
que ça allait être un truc chouette mais en fait on est allé voir Double Face.
Papa continue à l'appeler le docteur Croizic, il n'a toujours rien compris,
tant pis pour lui, je pouvais pas lui expliquer avec Catherine dans la
voiture, c'était trop dangereux. Double Face avait pas l'air très content de
nous voir au début et papa a dit : « il fallait que nous puissions vous voir
vite docteur. Catherine et moi nous nous hurlons dessus de plus en plus
souvent ». Et là Double Face a dit : « Je comprends... Mais à part vous
prescrire des calmants, ce que je ne pense pas être la meilleure solution, je
ne vois pas ce que je peux faire pour vous. Mes compétences en matière de
psychologie ne vont pas bien plus loin que ce que quinze ans de pratique
de la médecine généraliste m'ont enseigné ». Catherine a fait oui avec la
tête et elle m'a regardé avec un grand sourire qui ressemblait beaucoup à
celui de maman. Alors j'ai regardé ailleurs mais c'était trop tard, j'avais de
la sueur dans le dos. J'aime pas quand Catherine regarde comme ça, on
dirait vraiment maman et ça me rappelle qu'elle est morte. Double Face a
donné un petit papier à papa et il a dit : « Je vous suggère d'aller voir le
docteur Poiré, un confrère psychiatre.
Je sais, le mot vous fait peur, il fait peur à tout le monde. Mais je vous
assure que c'est un homme charmant doublé d'un professionnel d'une rare
compétence. Il s'est fait une spécialité de tout ce qui touche à la
psychologie des couples, il a une approche très douce de la chose. Le mot
ne doit pas vous heurter, il sert surtout à décorer sa plaque professionnelle
vous savez.... Il est très fort pour ces problèmes de reconstruction après un
deuil ou une longue maladie. Tout ce que je peux vous dire c'est d'aller le
voir de ma part ». Papa a dit merci, puis il a prit le papier, il la regardé et
puis il l'a rangé dans son portefeuille. Alors Catherine a dit : « Vous pensez
que nous pourrons obtenir un rendez-vous rapidement ? » et Double Face a
fait un petit rire et il a dit : « Comme tout bon spécialiste, le docteur Poiré
a une longue liste de patients. Je lui parlerai de vous pour faire accélérer
les choses ». Ensuite on est rentré à la maison. Je sais pas bien pourquoi ils
m'ont emmené voir Double Face. Il m'a regardé plusieurs fois comme s'il
savait que j'avais tout compris et ça m'a fait drôlement peur. J'aime
vraiment pas ça.
1 32
36. Journal d'un orphelin programmé
5 janvier 1987
J'ai fait un nouveau cauchemar. Y'avait Double Face qui était sur un
cheval blanc et le cheval me regardait avec des yeux rouges et il rigolait. Il
avait des dents jaunes le cheval et chaque fois qu'il rigolait les gens qui
passaient autour disaient que ça sentait pas bon. Ils disaient que ça sentait
comme un cadavre. Et Double Face caressait son cheval et ses mains
étaient pleines de sang et il disait que c'était pas gentil de se moquer des
chevaux morts.
Moi à un moment j'essayais de courir pour partir mais le cheval me suivait
et si je courrais vite alors il faisait pareil. Je pouvais pas lui échapper ;
j'étais coincé.
7 janvier 1987
L'école a recommencé. Il faut que je retourne voir tous les professeurs
qui ont écrit toutes ces choses sur moi. Je sais pas pourquoi ils ont dit ça, je
les ai jamais embêtés. Y'en a qui discutent pendant la classe, y'en a qui
répondent aux professeurs mais pas moi. Et pourtant les professeurs
racontent toutes ces choses sur mon bulletin. Ils font ça pour que j'ai des
problèmes. Ils sont dans l'histoire avec les militaires, Double Face et
Catherine.
Je suis obligé d'aller à l'école mais peut-être que je devrais partir un jour
pour m'échapper. Parce que je crois pas qu'ils vont me laisser tranquille
pour ce trimestre. Ca veut dire qu'ils écriront le même genre de choses sur
mon prochain bulletin et que papa sera tout énervé et qu'il voudra encore
que je sois curé. Et moi j'ai pas envie d'être curé parce que je crois pas à
toutes ces histoires avec Jésus et la croix, Jésus qui est mort et puis qui est
revenu. Les morts ça revient pas ou alors dans les rêves et puis c'est tout.
1 33
37. Journal d'un orphelin programmé
Maman des fois je la vois en rêve mais ça dure pas très longtemps. Des
fois aussi je l'entends me parler, j'entends sa voix alors je sais plus trop si
les morts peuvent pas revenir. Aujourd'hui je l'ai pas entendue par
exemple...
15 janvier 1987
Ca fait quatre mois que j'ai commencé ce journal comme Double Face
avait demandé. Maintenant je crois qu'on lui a échappé sauf si j'ai des
maladies. Alors finalement il est pas bien loin, il faut que je fasse très
attention à pas être malade. Mais ça va pas être facile parce qu'à l'école
y'en a plein qui toussent et qui sont malades. Si je suis malade il faut pas
que papa ou encore moins Catherine s'en rendent compte. Sinon je devrai
aller chez Double Face et il essayera de me faire parler.
J'ai décidé que je devais continuer à écrire dans ce cahier parce qu'après
j'ai qu'à lire pour me souvenir exactement des choses, c'est très facile...
Parce que sinon j'oublie. C'est comme la date de la mort de maman, je me
rends compte que je l'ai oubliée. Et comme je l'ai pas notée, je peux pas la
retrouver. Et je peux pas demander à papa parce qu'il le sait pas non plus.
Il est tellement triste que maman soit morte qu'il veut pas y croire. J'ai lu
un truc comme ça dans un des premiers Spiderman. C'était le Bouffon
Vert, le père du copain de Spiderman, qui était pareil après la mort de sa
femme. Il voulait pas le croire alors il a fait que travailler. Et après il est
devenu le méchant.
17 janvier 1987
Papa a réussi à avoir un rendez-vous chez l'autre docteur. Il a parlé
pendant un moment au téléphone mais je crois qu'il parlait même pas au
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38. Journal d'un orphelin programmé
docteur. En tous cas il avait l'air drôlement content après le coup de
téléphone.
Il m'a demandé comment ça allait à l'école. J'ai dit que ça allait bien parce
que sinon il m'aurait embêté. Mais j'ai eu un zéro en maths hier. J'aime
vraiment pas ça, je comprends pas pourquoi je dois aller à cette fichue
école. Je voudrais bien rester à la maison à la place mais avec papa c'est
pas possible. Pourtant je serais mieux ici qu'à l'école. Et je pourrais quand
même apprendre des choses. Il y a des cours à domicile, par exemple...
19 janvier 1987
Cette nuit, encore un cauchemar. J'étais dans un bateau, enfermé dans la
cale avec plein de caisses en bois. Et j'étais malade. Et puis le bateau a
commencé à drôlement bouger et j'ai vomi. Et là il y a Double Face qui est
arrivé et il a beaucoup ri. Il a nettoyé mon vomi avec une serviette en
éponge et ensuite il me l'a jetée dessus. Elle a glissé sur mon visage et
j'avais plein de boutons et j'étais encore plus malade. Et après le bateau a
commencé à couler, je l'ai compris parce qu'il y avait de l'eau qui
commençait à rentrer dans la cale. L'eau est montée drôlement vite et
Double Face était plus là. Et puis j'étais sous l'eau et je pouvais plus
respirer et j'étais bloqué et j'allais mourir mais y'a une sirène qui est arrivée
et c'était maman, avec des cicatrices partout sur le ventre. Mais c'était
maman et elle a fait un sourire, comme celui qu'imite Catherine. Et là, elle
m'a libéré et on a pu nager ensemble en dehors du bateau mais y'avait pas
de surface, c'était de l'eau partout en haut et en bas. Partout c'était noir et je
pouvais pas respirer alors j'étais mort et j'étais content parce que je savais
que j'irai plus à l'école.
Mais j'étais triste aussi parce que je voulais pas mourir. Et puis je me suis
réveillé. C'était la nuit encore et j'avais plus vraiment sommeil. Alors j'ai lu
un épisode des Quatre Fantastiques. Et là c'était encore plus bizarre parce
que c'était exactement ce que j'avais rêvé. Les Quatre Fantastiques
devaient aller dans le palais de Namor, le prince des mers et ils devaient
délivrer Jane Storm qui était prisonnière et finalement ils sont prisonniers
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39. Journal d'un orphelin programmé
eux aussi et c'est une sirène qui vient les sauver. J'avais jamais lu cette
histoire alors je me dis que c'est peut-être parce que j'ai rêvé ça que je l'ai
lu. Je sais pas comment ils font les gens qui dessinent mais ils doivent
savoir ce que je rêve.
22 janvier 1987
Maman m'a parlé. Je l'ai entendue très bien mais j'ai pas compris ce
qu'elle me disait. Elle parlait très doucement, c'est pour ça. Je revenais de
l'école quand je l'ai entendue alors je pense qu'elle me disait de plus y aller.
Dommage que papa ait pas été là lui aussi. Il aurait compris la vérité.
23 janvier 1987
Un nouveau cauchemar. Des militaires sont entrés dans ma chambre par
la ventilation. Et pourtant c'est rudement petit mais ils ont réussi à rentrer
quand même. Heureusement j'ai vite compris que c'était un rêve. Mais
quand même j'ai eu rudement peur quand je les ai vus sauter autour de mon
lit avec leurs armes et des rayons rouges qui partaient de leurs yeux.
Y'en avait un qui fumait un cigare qui faisait tout plein de fumée et les
autres toussaient et moi aussi et alors il a enlevé son masque et j'ai vu que
c'était le chef. Il m'a dit de m'habiller et de les suivre. Marcel était là aussi
mais il était endormi à cause de toute la viande empoisonnée qu'ils
l'avaient obligé à manger. J'ai demandé s'ils avaient bien enlevé les os
avant et le chef a dit que oui, qu'il avait un chien lui aussi alors qu'il faisait
attention. Et puis on a marché sur le toit de la maison et c'était bien ma
maison sauf que c'était pas le même toit : celui-là était tout plat. Il était tout
plat et tout noir mais sur les bords il était relevé et d'un coup j'ai vu
Catherine au-dessus de nous mais vraiment très grande, c'était une géante.
Et j'ai eu vraiment très chaud et les militaires aussi, ils ont commencé à se
déshabiller parce qu'ils avaient trop chaud. Et ensuite j'ai vu des oeufs
1 36
40. Journal d'un orphelin programmé
vraiment très gros qui tombaient des mains de Catherine. Elle les casser
avant de les renverser sur nous. Elle les lâchait de haut et les jaunes quand
ils tombaient, ils avaient la tête de Double Face : flous d'un côté et mangés
de l'autre côté. Ensuite Marcel a aboyé et je me suis réveillé. Je crois bien
que Marcel a fait un cauchemar lui aussi. Il est chouette Marcel.
28 janvier 1987
En ce moment j'ai pas très envie d'écrire dans le journal, je sais pas
pourquoi. Je préfère lire et écouter de la musique. J'écoute des disques de
papa que j'aime bien, des disques de Pink Floyd, c'est un groupe anglais et
j'aime bien leur musique. Marcel aussi il aime bien même s'il peut pas le
dire, évidemment.
Mais je le connais Marcel parce que c'est mon chien et je sais qu'il aime
bien Pink Floyd lui aussi.
15 février 1987
Aujourd'hui papa a dit qu'on allait voir le docteur Poiré. Il a dit qu'il
nous aiderait tous à aller mieux. Il a dit : « Il faut qu'on se sorte de ces
deux années traumatisantes et qu'on avance. On est une famille, alors il
faut aller de l'avant ensemble. Le docteur Croizic était un bon généraliste
mais il nous faut l'aide d'un véritable psychologue ». Et là Catherine a dit :
« Tu crois pas qu'on devrait plutôt rester entre nous et essayer d'avancer
ensemble sans l'aide de tous ces gens étrangers à la famille ? » Je suis pas
sûr d'avoir compris tout ce qu'elle voulait dire mais j'étais plutôt d'accord.
C'est bizarre, des fois Catherine je trouve qu'elle a raison, mais je suis pas
sûr que ces fois-là elle le fasse exprès pour me tendre un piège. Des fois
j'ai l'impression qu'elle dit ce qu'elle pense mais je suis pas vraiment très
sûr. Je pense que même si on le voit plus, Double Face est toujours là,
quelque part, et qu'il dit à Catherine ce qu'elle doit faire. Il tire les ficelles
1 37
41. du piège.
Journal d'un orphelin programmé
19 février 1987
Papa a trouvé mon journal. Quand je suis revenu de l'école, y'avait sa
voiture garée devant la maison, et ça c'était pas normal. Et puis l'autre truc
pas normal c'est que papa était dans ma chambre. Il était assis sur mon lit
et il lisait mon journal. Quand je suis entré il m'a pas vu au début, et puis il
m'a regardé comme quand il est vraiment en colère.
Il a dit : « Benjamin ! Mais qu'est ce que c'est que toutes ces conneries ?
Tu débloques complètement, ma parole ! » Et ensuite il est sorti de la
chambre avec mon journal. Il a crié « Cathy ! Cathy ! » et puis c'est tout. Je
suis resté un moment dans ma chambre avec Marcel et on a lu un ou deux
"Strange" mais cette fois j'y ai rien trouvé qui soit arrivé dans ma vie avant
qu'ils fassent la BD. Bon ensuite on a mangé et papa avait une drôle de tête
et Catherine me regardait et pleurait tout le temps. Y'a pas grand monde
qui avait faim. Ca me faisait bizarre que papa lise mon journal parce que
Double Face avait dit que le journal ça doit servir à soi et au docteur. Et
c'est tout, personne d'autre doit le lire. Moi je me sens pas malade, mais
peut-être que si, je sais pas. En tous cas j'écris pas ça pour Double Face ou
pour un autre docteur. C'est juste que j'aime bien, ça m'amuse et puis à
l'école ils disent que je suis pas mauvais en français alors c'est chouette,
drôlement plus chouette que de faire des maths ou du sport. En sport les
garçons me poussent tout le temps pour me faire tomber et si je dis quelque
chose y'en a un qui me tient et un autre qui me tape. Et les filles rigolent et
me traitent de poule mouillée et de tapette. Alors voilà, moi je préfère
écrire et Double Face a rien à voir là-dedans. En tous cas après le repas
papa m'a dit : « On a rendez-vous tous les trois dans deux jours chez le
docteur Poiré. Tiens-toi à carreau d'ici-là. » Et il a pas voulu me rendre
mon cahier mais c'est pas très grave parce que j'en ai pris un autre pour
écrire tout ce que j'ai écrit aujourd'hui. J'espère quand même qu'il me
rendra mon journal. J'aime bien voir tout ce que j'ai déjà écrit et puis ça me
rappelle les choses parce qu'après je m'en souviens plus.
1 38
42. Journal d'un orphelin programmé
21 février 1987
Aujourd'hui on a pris la voiture et on est allé voir le docteur Poiré. C'est
pas loin de la maison chez le docteur Poiré, c'est de l'autre côté du Rhône
et juste à côté du grand parc. Là où papa dit tout le temps que ça serait bien
d'habiter et qu'avec un peu de bol on pourrait bien y habiter d'ici deux ou
trois ans. On est entré dans une maison blanche avec des murs très propres
mais ils étaient tout blanc alors j'ai pas trop aimé. Quand on est entré dans
la maison, y'avait une dame qui lavait par terre. On a dit bonjour parce
qu'il faut toujours dire bonjour aux gens et après on est monté dans
l'ascenseur qui était tout petit avec plein de bois dedans. On est monté au
dernier étage mais je me souviens plus lequel c'était. Et là y'avait la porte
fermée avec un gros tapis devant et une plaque en or qui brillait drôlement.
Papa a sonné et y'a une dame qui a ouvert et papa a dit qui on était alors
elle a dit : « Très bien, entrez, je vais vous conduire à la salle d'attente, le
docteur va vous recevoir... » C'était très chouette à l'intérieur parce qu'il y
avait plein de bibliothèques partout. Si le docteur a lu tous les livres qu'il y
a dedans, il doit être rudement intelligent. Et puis on a attendu mais pas
très longtemps parce que le docteur est venu nous chercher. Le docteur
Poiré est grand et il a plein de cheveux gris, il ressemble à Magnéto, le
chef des méchants dans les X-Men. Je sais pas encore si c'est lui ou pas.
Parce que pour l'instant on a pas beaucoup discuté. Les docteurs ils aiment
bien discuter mais moi j'aime pas trop. Papa a beaucoup parlé, et le docteur
écrivait plein de choses en même temps dans un cahier.
J'ai bien aimé ça, ça veut dire que lui aussi il fait un journal, comme moi.
Le docteur Poiré me regardait souvent et puis après papa lui a tendu mon
journal. J'ai pas trop aimé ça. Le docteur s'est arrêté d'écrire dans le sien
pour lire un peu le mien. Mais je peux pas trop savoir ce qu'il a lu. Ensuite
le docteur a posé mon journal sur son bureau et il a dit en me regardant :
« Voilà qui est très intéressant ». Catherine a dit : « Qu'est ce que nous
pouvons faire docteur ? » et sa voix était toute tremblante, j'ai cru qu'elle
1 39
43. Journal d'un orphelin programmé
allait pleurer encore une fois. Cette femme est de plus en plus bizarre. Le
docteur Poiré a dit : « La première chose à faire c'est de ne pas s'inquiéter.
Vous venez de traverser une rude épreuve. Votre maladie a été un véritable
traumatisme pour votre petite famille. Benjamin est jeune, il est en plein
développement. Les manifestations de troubles sont normales, cela fait
partie de l'évolution, on ne peut pas y voir une quelconque alarme
pathologique. Les traits névrotiques de l'enfance sont quelque chose de
totalement normal. Beaucoup de choses se mettent en place à cet âge là,
beaucoup de choses se sont déjà mises en place et d'autres sont encore à
venir. Vous ne devez pas vous inquiéter ». Papa a souri et il a montré le
journal sur le bureau du docteur et il a dit : « Quand même docteur, je veux
bien mais il y a des choses qui me paraissent étonnantes là-dessus ». Et le
docteur a repris mon journal, il l'a encore regardé et il a relu un autre
morceau. Puis il l'a reposé et il a dit : « Je ne dis pas le contraire monsieur
Leroy. Il y a, c'est vrai, des éléments auxquels il faut être attentif. Je ne
peux toutefois pas en dire davantage à l'heure actuelle. Il va falloir suivre
l'évolution de Benjamin.
Et l'idée du journal est une brillante idée, je suggère de continuer. Mais
n'interférez pas dans ce processus monsieur Leroy, laissez-le écrire en
paix ». Et là le docteur m'a regardé et m'a parlé pour la première fois, il a
dit : « Quand tu reviendras me voir Benjamin, tu penseras à apporter ton
journal, n'est-ce pas ? ». J'ai dit oui ou alors j'ai fais oui avec la tête, je me
souviens plus trop bien mais il a comprit que j'étais d'accord. Alors il a dit :
« Tu écris très bien Benjamin, c'est un vrai don que tu as là, il faut que tu
continues, n'est-ce pas ? ». Là j'ai dit : « Oui m'sieur » et papa et Catherine
m'ont regardé avec des grands yeux mais je sais pas pourquoi. Je voulais
juste être poli avec le docteur parce qu'il avait été gentil. Et ensuite le
docteur a arrêté de parler de moi et avec papa et Catherine ils ont parlé
d'autres choses. J'ai dit : « Je pourrais avoir mon journal maintenant ? » et
papa m'a regardé avec les sourcils méchants. Heureusement le docteur a
dit : « Mais naturellement. Monsieur Leroy, pas d'opposition ; n'est-ce
pas ? » et papa a fait oui avec la tête et c'est Catherine qui me l'a rendu.
Elle a dit : « tiens mon chéri, on te le rend ». J'aime pas quand Catherine
m'appelle mon chéri parce que je suis pas son chéri. C'est maman qui
m'appelait comme ça, pas elle !
1 40
44. Journal d'un orphelin programmé
26 février 1987
Je crois qu'on reverra pas Double Face. C'est comme s'il était bien
enfermé dans l'asile d'Arkham et qu'il ne puisse plus nous voir. Mais à la
place on va voir ce nouveau docteur et je sais toujours pas si c'est
Magnéto. Pourtant je crois bien que oui parce que c'est un psychiatre, j'ai
bien vu le mot, il était marqué en gros sur la plaque en or.
Et ensuite à la maison, j'ai cherché sur le dictionnaire et j'ai trouvé le mot.
Ca veut dire qu'il soigne les cerveaux des gens, et Magnéto il peut prendre
le contrôle sur le cerveau des gens. Ca me fait un peu peur tout ça, j'espère
que le docteur Poiré est pas déjà entré à l'intérieur de ma tête pour regarder
dedans.
28 février 1987
J'aimerai pas qu'on regarde dans ma tête parce que c'est ma tête et qu'y a
rien à y voir. Pourquoi on doit aller voir tous ces médecins de mes fesses ?
Pourquoi on pourrait pas rester à la maison et puis c'est tout ? Les autres à
l'école je crois pas qu'ils aillent voir autant de docteurs que moi. Et
pourtant ils sont nuls en français. Mais on leur dit rien à eux, c'est juste que
moi à qui ils font tout ça. C'est le piège qui se referme... Magnéto, Double
Face, Catherine : mais qu'est ce qu'ils me veulent tous, à la fin ?
2 mars 1987
J'ai fais un autre cauchemar. J'étais dans une grande maison avec des
toits pointus et plein d'arbres morts autour. Et j'étais attaché sur une chaise
toute vieille et toute cassée. Et sur ma tête il y avait un appareil en métal
1 41
45. Journal d'un orphelin programmé
qui faisait plein de bruits d'électricité. Et il y avait une femme au-dessus de
moi mais je voyais que ses mains et tout le reste était dans l'ombre mais j'ai
compris que c'était Catherine. Parce qu'elle était nue et que je voyais ses
deux grosses cicatrices sur le devant, là. Et il y avait plein d'instruments
comme chez le dentiste et j'aime pas trop ça moi, le dentiste.
Elle a prit un des instruments et j'ai senti des choses sur ma tête, comme
des petites dents très dures. Ensuite y'a eu un bruit et y'a du sang chaud qui
me coulait dans les yeux mais je pouvais pas m'essuyer parce que j'avais
les mains attachées. J'ai bien senti que ça continuait sur ma tête et
j'entendais bien les dents qui faisaient comme si elles mangeaient. Et après
j'ai senti tout plein d'air dans ma tête et j'ai eu très froid et après j'ai senti
des doigts qui me touchaient à l'intérieur de la tête. Et je voyais plus rien à
cause du sang qui me coulait sur les yeux. Et après je me suis réveillé et
c'était la nuit. Et j'ai pas pu me rendormir alors j'ai allumé la lumière et je
viens d'écrire tout ça sur mon cahier que j'ai récupéré. C'est quand même
chouette que j'ai de nouveau mon cahier pour mon journal parce que j'avais
déjà écrit plein d'autres choses et que ça m'aurait embêté de plus les avoir.
Il va falloir que je le cache tout le temps ce cahier. Je fais pas confiance à
papa...
15 mars 1987
J'ai du sortir Marcel aujourd'hui parce que papa est en voyage pour son
travail et que Catherine avait trop froid. Elle m'a aidé à fermer mon
blouson et elle m'a embrassé. J'aime pas trop ça quand les gens
s'embrassent à cause des microbes qu'on peut attraper. Alors je suis bien
allé me laver les mains et la figure après. Et ça a pas eu l'air de lui plaire à
Catherine. Elle m'a dit : « Dis donc, je suis pas sale hein ! Bon, sois gentil,
ne t'éloigne pas trop de la maison et reviens vite ». Moi j'ai fais oui mais
j'avais pas très envie de faire comme elle avait dit.
Il faut qu'elle comprenne que je sais tout. Un jour je vais le lui dire, que j'ai
tout compris et que je sais pour ma maman qui est morte et qu'elle essaye
de prendre sa place mais que ça marche pas. Papa le sait maintenant parce
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46. Journal d'un orphelin programmé
qu'il a lu le journal alors j'espère qu'il est de mon côté. Parce que si tout le
monde est contre moi, j'ai aucune chance de m'en sortir. C'est comme
Wolverine quand on nous dit tout ce qu'ils ont mis dans son corps : c'était
des militaires, évidemment ! Exactement comme pour moi. A un moment
j'ai cru que les militaires avaient peut-être pas fait grand chose à maman
mais en vrai c'est eux qui ont tout fait. Ils ont juste été commandés par
Double Face et sûrement qu'il y en avait d'autres qui l'ont aidé. Mais
maintenant il faut que je leur échappe. Je suis content parce que Double
Face est dans l'asile d'Arkham et là il pourra pas s'évader sauf si le Joker
vient s'en mêler. Le Joker il arrive toujours à s'évader d'Arkham.
18 mars 1987
Papa est revenu de son voyage et ça a pas été facile pendant trois jours
de rester tout seul avec Catherine parce que je sais jamais ce qu'il faut que
je lui dise et comment je dois lui répondre. J'essaye d'être gentil parce que
papa veut que je sois gentil mais c'est difficile parce que je sais toute la
vérité. Marcel au moins il a pas tous ces problèmes, il est content parce
qu'on lui donne à manger et puis c'est tout. Des fois je pense que si j'étais
un chien ça serait plus facile pour faire semblant.
20 mars 1987
Bientôt c'est le bulletin du deuxième trimestre et je crois pas que j'ai de
très bonnes notes. Papa va me crier dessus. J'aime pas trop l'école et
j'aimerai bien que papa me dise que je suis plus obligé d'y aller. Et puis ça
m'énerve l'école alors j'ai eu quelques zéros à cause de ça. Les profs disent
que j'ai pas à m'énerver parce qu'il y a pas d'injustice, que c'est comme ça
et puis c'est tout. Mais moi je suis pas d'accord ! Moi je voudrais bien aller
dans une école où y'a juste du français et puis rien d'autre. En plus le
1 43
47. français c'est important puisque tous les gens se parlent. Sauf ceux qui sont
morts. Enfin, normalement... Parce que cette nuit j'ai encore entendu
maman qui me parlait. C'est comme l'autre fois, j'ai pas bien compris parce
qu'elle parlait super doucement mais c'était bien elle. Je sais pas comment
elle fait pour me parler du paradis mais elle y arrive drôlement bien.
Peut-être qu'elle pourra tout m'expliquer et me dire qui a monté ce truc
avec Double Face, Catherine, Magnéto (je suis sûr qu'il est dans le truc lui
aussi).
Avant maman me lisait des histoires, mais c'était quand j'étais petit, elle
me lisait des histoires du gros livre avec tout plein d'histoires dedans.
J'aimais bien avant de dormir. Maintenant je suis grand et elle est morte
alors plus personne ne me lit des histoires. C'est dommage, moi j'aimais
bien. Mais il paraît que c'est normal. Je suis grand maintenant, j'ai plus de
dix ans, je suis plus un gamin.
23 mars 1987
C'est quand le printemps ? Tout le monde parle du printemps mais moi
je vois rien changer. Les gens disent qu'il fait plus chaud mais moi je
trouve pas. En tous cas j'aimerai surtout qu'il reneige pas parce qu'on a déjà
eu plein de neige cette année et que j'aime pas ça, au début, la neige parce
que c'est tout blanc. Et j'aime pas le blanc. Il paraît qu'en Espagne il y a
une ville qui a un zoo avec un singe blanc dedans. C'est une maladie de la
peau. Les gens qui ont ça peuvent pas rester au soleil. J'espère que je
l'attraperai jamais parce que j'aime bien le soleil.
24 mars 1987
Journal d'un orphelin programmé
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48. Marcel a été malade, il a vomi et je me suis fait punir. Papa a dit que
c'était à cause de moi et de toutes les croûtes de fromage que je lui donne à
manger. Mais je sais que Marcel il aime bien les croûtes de fromage et moi
j'aime pas ça. Marcel a vomi sur le tapis et c'est Catherine qui a nettoyé en
disant que c'était pas grave mais papa était très énervé, il a dit : « je sais
pas ce qu'on va pouvoir faire de toi Benjamin ! En plus d'être à moitié
dingue tu fais bêtise sur bêtise ! » Et là Catherine a dit : « Enfin chéri, ne
lui parle pas comme ça ! C'est ton fils ! ». Et papa s'est levé de la table et il
avait l'air drôlement en pétard. Il a jeté sa serviette sur sa chaise et il a dit
plein de gros mots. Il a dit « Merde à la fin, mon fils ? Si ça c'est mon fils,
je suis pas sûr d'en vouloir, merci bien ! » Et papa est parti dans son bureau
et il a mit un disque de musique très fort.
Marcel m'a regardé comme s'il était très embêté. Il est chouette Marcel.
Alors je suis monté dans ma chambre et j'ai lu un "Strange" que j'aime
bien, celui où il y a la créature des marais qui revient et qui se venge de
ceux qui ont fait sauter son laboratoire à l'époque où c'était pas une bête
mais un chercheur.
26 mars 1987
On nous a donné nos bulletins du trimestre et ça va pas être du gâteau
pour le faire signer à papa parce qu'il y a plein de mauvaises choses sur le
mien. Déjà y'a les notes qui sont pas bonnes et en plus les profs marquent
des trucs vraiment pas gentils. Je comprends pas ce que je leur ai fait moi !
Ils s'acharnent tous sur moi alors que je leur ai rien fait, ils pourraient s'en
prendre à d'autres parce que moi déjà ma maman est morte et on a voulu
me faire croire que non en la remplaçant par une autre femme qui a des
cicatrices. Et en plus après Double Face ils m'ont mis Magnéto pour qu'il
puisse fouiller dans ma tête. J'aimerai bien qu'on me laisse tranquille.
28 mars 1987
Journal d'un orphelin programmé
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49. Journal d'un orphelin programmé
Aujourd'hui papa avait rendez-vous avec la directrice du collège. C'est
elle qui a demandé à voir mes parents et je lui avais pourtant dit que pour
ma maman ça serait pas possible. Elle avait pas l'air de comprendre cette
imbécile. Alors je lui ai dit : « Ben pour mon père y'aura pas de souci, il
viendra vous voir mais ma mère est morte, vous savez... » Elle avait l'air
très embêtée quand je lui ai dit ça.
Elle devait le faire exprès pour avoir l'air sympa mais je suis pas tombé
dans le panneau. Je commence à les connaître les pièges des adultes, j'ai
dix ans et demi maintenant. Mais enfin il fallait bien que quelqu'un le lui
dise. Alors pourquoi pas moi ? C'était ma maman quand même, j'ai bien le
droit de le lui dire. La directrice a dit : « Oh mon dieu, je suis désolée, je
l'ignorais... Tu sais Benjamin, j'imagine combien ce doit être difficile pour
toi ». Et puis après c'était chouette : elle m'a laissé tranquille. Mais quand
papa est revenu ce soir, il rigolait pas du tout. Il est monté dans ma
chambre directement et il a dit : « Je viens de voir ta directrice et il faut
qu'on parle sérieusement toi et moi... » J'ai compris que ça allait être ma
fête. Il a dit : « D'abord, qu'est-ce que c'est que ces conneries sur la mort de
maman ? Tu veux te faire plaindre ? Tu crois que tes professeurs seront
plus indulgents avec toi en leur faisant gober une telle horreur ? » Je savais
pas trop ce qu'il fallait répondre alors j'ai rien répondu et papa a dit en
criant : « Putain tu vas me répondre oui ! » J'ai dit : « Il fallait que
quelqu'un leur dise, papa, c'est important ». Et là, papa a fait de gros yeux
plein de blanc et ça m'a fait un peu peur parce que c'est pas souvent qu'il
est comme ça papa. Et puis j'aime pas le blanc. Alors papa est resté un
moment là à me regarder et puis il est ressorti.
31 mars 1987
On m'a emmené voir Magnéto que papa continue à appeler Docteur
Poiré parce qu'il comprend rien. Magnéto nous a dit de nous installer et il a
parlé avec papa et Catherine.
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50. Journal d'un orphelin programmé
Moi je comprenais pas trop ce qu'elle faisait là, elle. Elle fait tout pour
m'embêter. Le docteur a dit : « Alors Benjamin, comment tu vas ? » et j'ai
dit : « Bien ». Ensuite il a surtout parlé avec papa, et ils parlaient souvent
de moi mais j'écoutais pas trop parce que c'était pas intéressant. Et puis
après le docteur a dit : « Bien, je crois que je vais pouvoir rester seul avec
Benjamin. Vous pouvez m'attendre en salle d'attente, ma secrétaire va vous
conduire ». Et papa a eu l'air tout étonné et une femme est venue et elle a
dit à papa et à Catherine de les suivre et ils sont tous partis. Alors du coup
dans la salle pleine de livres où il y a le bureau du docteur, y'avait plus que
Magnéto et moi, assis de l'autre côté. Il a lu quelques pages de mon journal
que papa m'avait dit d'apporter. J'aime bien écrire dans mon journal et le
docteur a expliqué à papa que c'était important et qu'il devait me le laisser.
Alors je me dis que ce docteur est peut-être pas mal, même si je sais que
c'est Magnéto. Mais je sais pas encore ce qu'il va me faire. C'est sûr qu'il
va me faire du mal mais je sais pas encore comment et peut-être bien que
lui non plus il le sait pas. Le docteur a dit : « C'est fascinant tout ce que tu
racontes dans ton journal. Et puis tu me sembles avoir une bonne mémoire,
je me trompe ? » J'ai dit : « Je sais pas trop ». Il a dit : « Et en classe
pourtant, ce n'est pas trop ça, comment tu expliques ça ? ». J'ai dit : « Je
sais pas trop ». Alors le docteur m'a regardé et il a souri, y'avait plein de
reflets dorés dans ses dents, ça m'a fait un peu peur. Il a dit : « Avant toute
chose, tu ne dois pas me craindre Benjamin, parce que je suis un docteur et
rien d'autre. Je ne sais pas qui est ce Magnéto auquel tu sembles me
comparer dans ton journal.
Si tu m'expliquais ? ». Je me suis demandé s'il mentait ou pas. Et puis je
me suis dit qu'il devait sûrement mentir mais pour faire semblant je lui ai
expliqué : « Magnéto c'est le chef des méchants dans les X-Men, c'est un
ancien copain du professeur Charles-Xavier qui est le chef des X-Men. Les
deux, c'est des mutants et ils se battent tout le temps ». Le docteur a écrit
des choses pendant que je parlais et au début je croyais qu'il m'écoutait
même pas, j'ai pas du tout aimé. Il a dit : « Ne t'inquiète pas, je t'écoute et
je prends même des notes pour m'en souvenir après, quand tu seras parti,
un peu comme tu fais dans ton cahier, tu vois... » J'ai dis oui avec la tête
mais je m'en moquais, qu'il s'occupe de ses fesses ! Alors le docteur a dit :
« Et ce Magnéto, pourquoi il s'appelle ainsi ? » et j'ai dit : « à cause du
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51. Journal d'un orphelin programmé
contrôle qu'il a sur tout ce qui est magnétique ». Le docteur a noté encore
des choses et puis il a dit : « Tout ça c'est dans ces Strange que tu les lis,
c'est bien ça ? » J'ai dit que oui et il a dit : « J'aimerais bien que tu
m'apportes une de ces revues la prochaine fois, tu veux bien ? » J'ai dit que
oui même si je comprenais pas trop ce qu'il voulait en faire. Mais ensuite
j'ai réfléchi et j'ai compris. En fait Magnéto veut savoir ce que deviennent
les autres héros qu'il connaît pas comme Spiderman, la chose des marais,
Daredevil et les Quatre Fantastiques. S'il sait tout ça, il deviendra encore
plus fort. Je sais pas trop si je dois le lui amener le Strange, alors...
Le docteur ensuite il m'a demandé plein de choses sur maman, sur papa
et sur Catherine, surtout. Je me souviens plus mais il m'a posé plein de
questions et chaque fois il écrivait sur son journal.
Et après il a dit : « Et bien c'est tout pour aujourd'hui Benjamin. Je pense
qu'on a bien travaillé, qu'en penses-tu ? » et j'ai pas répondu. Alors y'a sa
secrétaire qui est rentrée et papa et Catherine aussi et puis moi je suis sorti.
On m'a donné un verre de limonade mais j'aime pas trop ça, la limonade.
J'ai du attendre encore avant que papa et Catherine sortent de chez
Magnéto et puis après, enfin on est parti.
8 avril 1987
Il faut que je retourne encore chez le docteur, c'est papa qui me l'a
expliqué. Il a dit que j'étais encore fragile à cause de maman qui est morte
et qu'il fallait qu'on m'aide. Il a dit : « le docteur Poiré est un bon docteur,
il pourra t'aider, lui. Alors tu vas aller lui rendre une petite visite chaque
semaine, l'après midi après l'école. Tu veux bien ? » J'ai dit que je
comprenais pas trop pourquoi et papa a dit : « S'il te plait Benjamin, je suis
encore ton père alors si je te dis que c'est pour ton bien, c'est que ça l'est. Il
faut que tu parles, que les choses qui sont à l'intérieur de toi puissent sortir.
C'est important. Tu ne fais pas de sport en dehors de l'école, tu n'as pas de
copains qui viennent à la maison ou chez qui tu vas, tu restes dans ta
chambre à lire tes magazines de BD. C'est pas très sain pour un garçon de
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52. Journal d'un orphelin programmé
ton âge, on te l'a déjà dit mille fois avec maman. Alors si tu ne nous
écoutes pas, peut-être que le docteur lui, saura trouver les mots qu'il faut ».
Je me suis dit que c'était peut-être un nouveau piège mais papa me ferait
quand même pas un truc pareil. Alors j'ai dit : « Bon si c'est important,
alors d'accord » et là papa il a souri il m'a décoiffé avec sa main comme on
fait avec les gamins.
Mais moi je suis plus un gamin, cette année je vais avoir onze ans.
16 avril 1987
C'est la troisième fois que je vais voir le docteur Poiré. J'ai demandé si je
pouvais emmener Marcel mais papa a pas voulu, il a dit que c'était pas un
endroit pour les chiens. Mais je crois quand même qu'il faudrait que
Marcel sorte plus parce qu'il fait toujours le même tour dans le quartier, il
doit en avoir marre quand même. J'aimerais bien qu'on emmène Marcel
chez un vétérinaire comme moi je vais chez le docteur Poiré. Il pourrait lui
parler et lui dire s'il en a marre de faire toujours le même tour dans le
quartier. Les vétérinaires c'est comme les docteurs sauf que c'est pour les
chiens. Et puis leurs habits sont pas blancs aux vétérinaires mais verts et je
préfère ça parce que j'aime pas le blanc.
26 avril 1987
Je suis encore allé voir le docteur Magnéto et cette fois on a un peu plus
discuté mais j'ai surtout lu les nouveaux épisodes de Spiderman. En ce
moment j'aime moins Spiderman parce qu'ils ont changé le dessinateur et
je trouve qu'on reconnaît moins les gens. Je comprends pas pourquoi ils
changent les dessinateurs comme ça alors que quand même c'est quelque
chose d'important. Moi je ferais pas ça si j'étais eux.
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53. Journal d'un orphelin programmé
30 avril 1987
Voilà un nouveau cauchemar que j'ai fait cette nuit. Je suis dans un
camion et je conduis et c'est difficile parce que les pédales sont loin et que
je les touche pas bien avec mes pieds. Je conduis et ça va super vite et les
gens se jettent par terre pour pas que je les écrase. Mais j'ai pas envie de
les écraser, c'est le camion qui veut et moi j'essaye de pas le faire. Et
j'entends maman qui me dit d'être sage et de rentrer à la maison. Elle me
demande si j'ai bien finis tous mes devoirs. Et je lui dis que non parce que
c'est dur et que je comprends pas ce qu'il faut faire. Et puis là d'un coup y'a
Double Face qui est assis dans le camion à côté et qui rigole. Il rigole super
fort et super aigu alors du coup les vitres du camion explose et je reçois
plein d'éclats dans le visage et les bras et puis les mains aussi. Y'a plein de
sang qui coule sur mes yeux et dans ma bouche, c'est chaud. Double Face
me parle, il dit : « Alors, comment tu le trouves mon copain Magnéto ? Il
écrit tout ce que tu lui dis, hein ? Et les taches qu'il te fait voir, tu lui dis
tout ce que tu vois ou tu inventes au fur et à mesure ? Il faut faire ces tests
sérieusement tu sais, sinon ta maman continuera à errer comme un fantôme
jusqu'à la fin des temps ». Et puis il recommence à rigoler et puis j'ai très
mal au bras à cause du verre qui est entré dans ma peau et qui me fait
saigner. Après je suis tellement fatigué que je peux plus accélérer alors le
camion ralentit et puis il s'arrête. Je tombe sur le volant et j'ai toujours tout
plein de sang qui coule de partout. Et là y'a la portière qui s'ouvre et y'a
maman qui me prend dans ses bras et elle dit : « Allez, on rentre à la
maison maintenant ! » Alors je me suis réveillé et j'étais pas bien, j'arrivais
pas à me rendormir.
Maman me manquait beaucoup. Alors j'ai lu un épisode où Batman veut
plus faire le justicier parce que ses parents lui manquent depuis qu'ils sont
morts quand il était petit, en revenant du cinéma. J'aimerai pas que ça me
soit arrivé comme ça. Lui il a pas eu de chance du tout mais c'est quand
même Batman alors après il a de la chance quand même.
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