1. La Mission climatique
Oui ! Cette personne have, sale, dépeignée et vêtue de haillons que vous apercevez sur les
pentes du mont Charvin en Maurienne, c’est bien moi, la Ginette, que vous connaissez bien.
Et ce gros rocher que je traîne en ahanant jusqu’au sommet du Charvin par la Combe Genin,
dans la neige, les tempêtes et les canicules qui se succèdent, tour à tour, c’est mon calvaire.
En effet, lorsque j’atteins après mille efforts surhumains, ce sommet abrupt, le roc que je
transporte m’échappe et dévale la pente de la Combe Genin où je n’ai plus qu’à le saisir et à
recommencer à gravir cette montagne pour l’éternité...Quelle punition terrible et sans espoir.
Et pourtant ! Tout avait si bien commencé.
J’avais reçu, un beau jour, un coup de téléphone :
-Mademoiselle Ginette !
-Allo ? Bonjour oui, qui m’appelle ?
- C’est moi Zeus, le Dieu suprême de l’Olympe. Vous devez remplacer une déesse à l’Olympe.
-A l’Olympe ? Sur le mont Olympe en Grèce? Le domaine des Dieux ? Quoi ? Remplacer une
déesse ? C’est une blague. Mon Dieu ! Vous êtes tombé sur la tête ou quoi ?
-Mais non ! Pas du tout ! Je vous ai choisie pour remplacer la Déesse Demeter. Notre déesse,
celle qui s’occupe de la végétation et des moissons, boude depuis Décembre... Elle a décidé
de ne pas revenir sur la terre au printemps pour réveiller la nature qui restera ainsi dans un
éternel hiver.
-M… heu… Flûte ! Moi qui pensais prendre aussi quelques jours de vacances...
-Il n’en est pas question ! D’ailleurs ce n’est l’affaire que de quelques jours. Vous devez être
fière car c’est une mission d’importance que je ne donne pas à n’importe qui. Vous
trouverez tous les détails du contrat dans votre boîte courriel.
Sur ce, dans un bruit de tonnerre, Zeus raccroche un peu vivement. Après quelques instants
d’étonnement, je me sens, ma foi, toute ragaillardie et pleine d’allant. Quelle belle mission
que de remettre en marche la nature avec l’arrivée du printemps !
Ayant passé en revue mon contrat, je sais que je dispose du don d’ubiquité. Et, bien
entendu, Zeus, le Dieu suprême de tous les Dieux de l’Olympe, me prête la baguette
magique de la boudeuse et flemmarde Déméter. J’aurais donc tous pouvoirs. Il ne me reste
plus qu’à établir mon programme.
Pour cela, prenons de la hauteur. D’un coup de talon, me voici propulsée dans l’espace, au
niveau de la Station Spatiale Internationale. Oh ! Gaïa, ma planète bleue, frileusement
2. blottie sous de nombreux nuages d’un blanc éclatant, tu es sublime et digne d’être adorée
de Ginette, ta déesse remplaçante préférée !
Bon ! Première tâche à accomplir : remonter la température, pour établir la saison du
printemps. De combien ? Un degré ? Deux degrés ? Allons Ginette, ne sois pas avare ! Dix
degrés aujourd’hui et si cela ne suffit pas, dix degrés de plus demain. Cela fera fondre toute
cette neige inutile.
-Mais nous sommes en janvier, me souffle une petite voix, c’est peut-être trop tôt pour la
remontée de température...Tutute...Je la fais taire. Pour que la végétation pousse, il faut bien
réchauffer la terre, non ?
Effectivement ! Ces dix degrés sont miraculeux : en quelques jours, tout pousse et reverdit.
On se croirait en Mars. Les amandiers sont poudrés de blanc, les pêchers, les pommiers
étalent leur rose floraison. Mésanges, verdiers, chardonnerets et autres oiseaux, se
bousculent à la recherche de chenilles. Il y a même quelques hirondelles. Les maïs lèvent
déjà dans la plaine du Grésivaudan ainsi que les bourgeons de la vigne sur les pentes des
Abymes de Myans. Toute cette vie qui éclate avec tant de vigueur, me remplit de joie et de
fierté
Finalement, me dis-je, cette besogne est très simple : pourquoi Déméter en fait-elle tout un
fromage ? Quelques degrés de plus de température et hop ! Tout s’enchaîne.
Je me réjouis à l’avance de tous les compliments qui m’attendent de la part des Dieux de
l’Olympe, et de la part de la terre entière également. Pour cela, je décide d’installer un
compte spécial « Instagram » sur mon ordinateur qui me permettra de charger et de
canaliser les milliers de photos et remarques élogieuses qui ne manqueront pas d’affluer...
Hop ! Je me propulse en Amazonie. Bigre ! Qu’il fait chaud ! Flûte ! J’avais oublié que dans
l’hémisphère sud, les saisons sont inversées et que commence la saison froide. Vite ! Un
thermomètre, que je consulte rapidement : 70 °! Je n’en reviens pas. Il faut absolument que
je refroidisse cet hémisphère sinon toute la banquise du pôle Sud va fondre.
Ginette, calme-toi : un peu de réflexion te permettrait de réfléchir aux conséquences de tes
actes.
Ouf ! Voilà, après quelques tâtonnements, je réussis à rétablir un peu la météo habituelle en
ajustant les températures mais ce ne fut pas sans mal. Il me fallut pratiquement, travailler au
cas par cas. En terre Adélie ? Faisons chuter le thermomètre. A Ushuaia ? Rajoutons de
nombreuses précipitations. Attention au Bangladesh : calmons le jeu de pluie des
moussons...
Finalement, je ne peux guère m’amuser avec « mes semelles de vent » et ma baguette
magique : je suis au four et au moulin toute la sainte journée... J’ai pourtant bien envie de
transformer le Sahara en une immense oasis. Pourquoi pas ? Plantons des milliers de
3. palmiers dattiers ici et là, autour de sources bienvenues. Voilà qui remplacera les mines
d’uranium si polluantes du Niger. Et pourquoi ne pas ajouter des séquoias et des ours blancs
pour le fun ?
Non, bien sûr, pas de séquoias ni d’ours blancs, le climat ne leur conviendrait pas, me susurre
la petite voix de ma conscience que j’écoute à regret.
Quelques jours plus tard, ayant observé les résultats de mes actions et les ayant jugés
convenables, je décidai de consulter « Instagram ». Avec joie, j’ouvris mon compte sur les
réseaux sociaux. Hélas ! Quelle déconvenue ! Les messages de félicitations que j’attendais
avec impatience s’étaient mués en insultes et plaintes venues du monde entier. Mais
pourquoi donc ? Catastrophée, je les fis défiler à la suite. Quelle honte, je ressentis à les lire :
Scorpion :
-Qu’est-ce qui vous a pris de changer de température à tout bout de champ ? J’ai failli
vendanger ma récolte de Jacquères et de gamay au mois d’avril, et ensuite tout a été
entièrement perdu par une énorme chute de neige en juin !
Niagara (du journal le “New York Times”):
-New York est pratiquement sous les eaux, la Louisiane détruite par un gigantesque typhon…
Bohla :
-Rien à cirer de vos fariboles ! Le moustique tigre nous pique à tout va ! Débarrassez-nous de
lui !
Béée :
-Encore un coup des bobos qui vont cacher leur fric dans les paradis fiscaux.
G360pro :
-Réveillez-vous ! Rebellez-vous ! Qui peut accepter ce holdup basé sur une fausse théorie du
dérèglement climatique ? Tous au Capitole à Washington !
Mushe :
-Du bla bla, c’est tout ! Vous me faites tous rigoler avec vos commentaires. Ah ! Là ! Là !
Vous êtes tous très forts pour la parlotte !
Needy :
-Je vois qu’il y a toujours des fous furieux complotistes. Je dirais même des trolls ...
Boko Haram :
4. -Tu vas nous faire le plaisir de nous rendre nos mines d’uranium, espèce de folle. Sinon, on
t’enlève, toi et ta famille et on vous fait crever de soif à petit feu !
Les bras m’en tombent : ai-je commis autant de bêtises et d’étourderies? Un coup d’œil aux
photos et aux vidéos venues du monde entier, affichées sur mon compte, me tétanisent :
défilent devant mes yeux, des inondations, des tremblements de terre, des incendies et
nombre de récoltes ravagées par le froid, la chaleur, la mer, les sauterelles et j’en
passe...Miséricorde ! Et tout cela est de ma faute. Je devine que je vais passer un mauvais
quart d’heure lorsque je serai convoquée sur le mont Olympe, chez Zeus.
Effectivement, un éclair et quelques coups de tonnerre plus tard, je me retrouve transportée
devant l’Assemblée des Dieux au grand complet...
Que vous dire ? Ce procès fut terrifiant : je fus traînée plus bas que terre et j’écopais de la
plus extrême condamnation : l’éternité.
« Vu le paragraphe 36, alinéa 4, du code de procédure pénale, appliqué à la mise en
danger du monde et de la vie sur terre, perpétrée par l’accusée, Ginette P…, condamnons
la dénommée Ginette P…, à transporter et à remonter éternellement au sommet du mont
Charvin par la Combe Genin, en Maurienne, le bloc de lave, ci-après, pris sur le Vésuve... »
Et me voici, depuis ce temps, à remonter cette belle Combe Genin que j’admirais tant
autrefois : j’arrive en vue des cheminées des fées, il me reste à longer la crête pour accéder
au Mont Charvin et recommencer...
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