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Les echos - la "dé-rafalisation" définitive des relations France-Brésil 01.01.2014 par frédéric donier
1. La "dé-rafalisation" finale des relations France-Brésil
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La "dé-rafalisation" finale des relations France-Brésil
Par Frédéric Donier | 01/01/2014 | 14:00 | 1
réagissez
Acte 1 : La pseudo-victoire du Rafale annoncée par Nicolas Sarkozy
Brasilia, le 7 septembre 2009. En cette matinée de printemps austral, alors que Brasilia
célèbre le 187ème anniversaire de l’indépendance du Brésil, la communauté française est
conviée à une réception offerte par Nicolas Sarkozy à la Résidence de France.
L’ambiance y est électrique, depuis plusieurs mois les Brésiliens sont sous le charme de
Carla Bruni, qui a déclaré sont amour pour le Brésil, son 3ème pays après la France et
l’Italie. Les relations bilatérales sont au beau fixe, c’est l’Année de la France au Brésil et
deux contrats majeurs de défense ont été signés fin 2008 portant sur 4 sous-marins
Scorpene et 50 hélicoptères EC725. N. Sarkozy nous apprend qu’après de longues
tractations tard dans la nuit, il a obtenu l’accord de Lula pour engager des négociations
exclusives pour l’acquisition du Rafale. Tonnerre d’applaudissements de l’assemblée : la
France aurait remporté le concours du FX-2.
Très rapidement arrivent néanmoins des nouvelles contradictoires de l’état-major de
l’Armée de l’Air Brésilienne (FAB). Le Brigadier Juniti Saito aurait remis sa démission à
Lula, refusée par ce dernier, dans la nuit du 6 au 7 septembre, s’opposant frontalement à
l’acquisition du Rafale. L’analyse technique de la FAB classe le Grippen en première
position et le Rafale en troisième. En mai 2010, les choses s’enveniment encore plus,
avec l’affaire du nucléaire iranien. La tentative diplomatique conjointe du Brésil et de la
Turquie est bloquée par les Etats-Unis avec l’appui de la Grande Bretagne et de la
France. Certains analystes brésiliens considèrent que cet épisode a marqué un tournant
décisif dans le refroidissement de la relation personnelle Sarkozy-Lula, ce dernier s’étant
senti alors désengagé vis-à-vis de sa parole donnée en faveur du Rafale et contre l’avis
de la FAB le 7 septembre 2009.
Dans les mois qui suivent, j’entends souvent de source officielle brésilienne l’expression ‘il
faut dé-Rafaliser les relations franco-brésiliennes. J’écris le 14 décembre 2010, dans ce
même blog des Echos un article « Prolongations pour le Rafale », pronostiquant les
chances réduites du Rafale à ce stade du concours.
Acte 2 : Le discret mais redoutable lobbying suédois
São Paulo, le 23 novembre 2011. Dans les salons de l’Hôtel Hyatt se tient le séminaire
annuel de l’Open Innovation, sur un thème à forte symbologie : « Croissance durable
appuyée sur les réseaux d’innovation : un agenda pour le Brésil ». Je suis surtout frappé
par la présence suédoise, non ostentatoire mais intense, sur ce séminaire : universitaires,
officiels, militaires et industriels suédois, SAAB en tête, se sont tous donnés rendez-vous,
semble-t-il. Dans le fond du hall d’accueil, un pilote de chasse suédois accueille le public
avec le grand sourire et propose un tour de simulateur de vol du Grippen, explications à la
clé. Dans les couloirs, une hôtesse blonde parlant un portugais irréprochable m’explique
l’importance stratégique du Centre de Recherche et Innovation Brésil-Suède (CIBS)
inauguré en mai 2011 à São Bernardo do Campo, le bastion historique des syndicalistes
métallurgiques, tels que Lula et de Luiz Marinho, le maire de la ville.
Acte 3 : La gueule de bois de Boeing
São Paulo, le 3 septembre 2013. Ce matin je suis à l’aéroport de Congonhas en partance
vers Rio, et j’aperçois dans le salon VIP, Donna Hrinak, ancienne ambassadrice des EUA
au Brésil et présidente de Boeing Brésil. Ces derniers mois, elle a été omniprésente dans
les médias brésiliens, orchestrant une intense campagne de lobbying en faveur du F18
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avec l’aide de Joe Biden et John Kerry. Ses efforts semblent pouvoir être couronnés de
succès. Ce matin, cependant, elle a la mine des très mauvais jours. Il faut dire que la
veille au soir, TV Globo a révélé au grand public les informations d’E. Snowden sur
l’affaire d’espionnage par la NSA des conversations personnelles de Dilma Rousseff. La
une des journaux traduit l’exaspération patriotique de tout un peuple ; les chances du F18
se retrouvent réduites à néant quelques jours plus tard, quand Dilma annonce à Obama
l’annulation de sa visite d’Etat aux EUA prévue fin octobre.
Acte 4 : la coopération économique franco-brésilienne suit son cours au large du
Rafale
São Paulo, le 12 décembre 2013. Nous revenons dans les salons de l’hotel Hyatt cette
fois-ci pour écouter le président François Hollande qui s’adresse à la communauté
française. Sont cités plusieurs contrats stratégiques concernant les industriels français,
Total (champ pétrolier de Libra), Areva (usine nucléaire Angra III), Bull (super-calculateur)
et Thales (satellite géostationnaire dual) signés le matin même en présence de Dilma
Rousseff et qui renforcent encore la position de la France de 5ème investisseur au Brésil.
Pas un seul mot cependant sur le Rafale, même si Eric Trappier fait partie de la
délégation présidentielle. Cette visite d’Etat se termine de manière très positive, Dilma
Rousseff déclare le lendemain en conclusion du séminaire à la FIESP que cette visite a
été l’une des meilleures de ces derniers temps pour le Brésil et qu’ elle compte sur la
France sur d’autres dossiers stratégiques, dont la défense cybernétique.
A ce stade, les principaux observateurs français commentent encore que Dilma ne
prendra pas de décision sur le FX2 avant la fin de son mandat fin 2014 pour des raisons
électorales liées aux mouvements de juin 2013. C’est une appréciation que Dilma va très
vite prendre totalement à contre-pied.
Acte 5 : le dénouement
Brasilia, le 18 décembre 2013. Le ministre de la Défense Celson Amorim, flanqué de
l’inoxydable Brigadier Juniti Saito, annonce la victoire du Grippen NG. Saito jubile
visiblement. Le VP de Saab Lennart Sindahl se réjouit le lendemain de ce très beau
‘cadeau de Noël’ du Brésil.
La mise à la retraite des Mirage 2000, signal faible du timing de la décision
La FAB a annoncé début août 2013 la mise à la retraite définitive le 31/12/2013 des 12
Mirage 2000 d’occasion achetés à la France en 2005. C’était la clé pour obtenir une
décision en 2013 de la présidente D.Rousseff. A dix mois des élections présidentielles,
Dilma a récupéré une bonne partie de son capital politique (47% d’opinions favorables
contre 30% fin juin) perdu après les manifestations de rue de juin 2013, alors que ses
deux principaux opposants Aecio Neves et Eduardo Campos stagnent dans les sondages
(19 et 11% respectivement).
Il semble donc que Dilma se soit sentie suffisamment forte sur le plan politique pour
prendre cette decision de 4,5 milliards d’US$, qui comportaient des risques sociaux. Le
timing retenu, qui correspond au début des congés d’été, limite ce risque car le pays se
met à vivre au ralenti jusqu’à début février, voire le carnaval. Sur le plan budgétaire,
l’impact est nul sur 2014, les premiers paiements à Saab n’interviendront pas avant 2015.
Par ailleurs, depuis l’accession du PT au pouvoir en 2003, les divers gouvernements ont
tous eu à cœur de maintenir des relations de bon voisinage avec les Forces armées en
accélérant les investissements dans les programmes de défense : la décision du 18
décembre suit cette logique, pas de tension avec les Forces en année électorale.
Une défaite stratégique de Dassault plus qu’une défaite politique de la France
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Il est étonnant de constater que bien que disposant de l’atout compétitif de sa relation de
plus de 40 ans en continu avec la FAB (fourniture du Mirage III puis du Mirage 2000),
Dassault Aviation n’a pas réussi à développer une offre technico-commerciale compétitive
et sur-mesure pour le réel besoin de son client (pas de conflit de haute intensité prévisible
en Amérique du Sud, concurrence se limitant aux F16 chiliens et Su-30 vénézuéliens ) et
considérant surtout ses contraintes budgétaires. Les militaires brésiliens vivent sous la
pression permanente des coupes inopinées des budgets de fonctionnement ; détenir un
avion à bas coût horaire d’opération est pour eux un élément clé différenciant : le Grippen
a bien exploité ce point.
Par ailleurs, se mettre au diapason de la nouvelle Stratégie Nationale de Défense de 2008
et jouer sur la corde nationaliste brésilienne n’était pas une option pour remporter le FX2.
Les Suédois là encore ont manoeuvré de façon objective en proposant très tôt des
partenariats industriels à Embraer (prime contractor), mais aussi à des équipementiers
locaux tels que Akaer dont ils acquièrent 15% du capital avec une option à 40% (fuselage
et ailes), Mectron/Odebrecht (missiles), AEL/Elbit (électronique) et Atech (software).
L’offre suédoise prévoit la création d’une usine Saab à São Bernardo do Campo, fief
historique et lieu de résidence de Lula, ainsi que le montage final dans les installations
d’Embraer Défense & Sécurité à Gavião Peixotoà 300 kms de São Paulo. Finalement,
l’accord prévoit que le Brésil pourra exporter le Grippen NG vers des pays amis en
Amérique du Sud, Afrique et dans le Pacifique. La co-propríété intellectuelle offerte par
Saab au Brésil est un argument qui caresse très favorablement l’esprit patriotique de cette
puissance émergente souhaitant développer son industrie de défense.
Les partenariats industriels, dorénavant clé de voute des marchés de défense au
Brésil
Dassault a, selon plusieurs experts français installés au Brésil, agi de manière réactive,
défensive, voire même assez arrogante vis-à-vis des partenariats industriels au Brésil.
Ainsi, le groupe qui possédait encore 5% du capital d’Embraer jusqu’en 2007 (aux côtés
des 3 groupes Thales, Scnecma et EADS détenant au total 20%) n’a pas su construire de
partenariat fort avec le troisième avionneur mondial alors que des complémentarités de
gamme auraient pu se développer, par exemple sur l’aviation exécutive. Dassault Aviation
n’a jamais réussi à démontrer une véritable brésilianisation de ses activités et de sa
culture, étant perçu par les Brésiliens comme un éternel exportateur franco-français,
distant, possédant un sympathique mais isolé bureau de représentation à Brasilia, à 1000
km des acteurs industriels brésiliens de poids. Pendant ce temps, Saab et Marcus
Wallenberg, son principal actionnaire, mettaient en avant l’historique plus que centenaire
des relations industrielles avec le Brésil des sociétés du groupe Wallenberg telles que
Scania, SKF, Alfa Laval, Ericsson, Astra Zeneca et ABB. São Paulo est souvent citée
comme ‘la plus grande ville industrielle de la Suède’.
Dassault a axé sa stratégie sur une vente gré a gré entre gouvernements avec l’appui
directe des autorités françaises. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont fait ce qu’ils ont
pu, chacun dans son style, le problème ne semble pas être la. Les relations bilatérale
économiques franco-brésiliennes continuent de prospérer avec le doublement des
échanges commerciaux entre 2003 et 2013 et plus de 500.000 emplois sont générés par
les entreprises françaises au Brésil.
La déclaration de Dassault du 19/12 après la défaite insistant encore lourdement sur la
supériorité technique du Rafale et sur la dépendance du Grippen vis a vis de technologies
non-suédoises confirme l’aveuglement stratégique. Cette déclaration est analysée par les
observateurs locaux comme celle du mauvais perdant, alors que la réaction de Boeing,
plus sobre, tente de préserver les ponts pour des collaborations futures. Espérons que les
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enseignements de cette défaite au Brésil pourront être tirés véritablement par Dassault
Aviation pour un rebond sur les prochaines échéances du Rafale en Asie. Il n’est jamais
trop tard pour bien faire.
FREDERIC DONIER
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