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Faculté des sciences sociales et politiques
Département de science politique
L’impact des opportunités de financements européens sur le
secteur associatif.
Le cas des associations de jeunesse à Wroclaw
Présenté par
Charlotte MARTIN
sous la direction du Professeur Ramona COMAN
Assesseur : Amandine CRESPY
En vue de l’obtention du grade de
Master en Sciences Politiques, finalité Politique et société en Europe centrale,
Russie, Caucase
Année académique 2012-2013
  ii	
  
Remerciements
Avant toute chose, j’aimerais remercier toutes les personnes qui ont participé de loin
ou de près à l’élaboration de ce travail.
Je tiens d’abord à remercier mon directeur de mémoire, le professeur Ramona Coman,
qui aura su guider ma recherche et se montrer disponible, à l’écoute et de bon conseil malgré
mes innombrables requêtes. Toute ma gratitude va aussi à Cédric Pellen, pour ses remarques
critiques et ses suggestions qui m’auront permis d’avancer dans cette entreprise complexe
qu’est la rédaction d’un mémoire. Leur encadrement pédagogique m’aura été précieux tout au
long de ce travail.
Je remercie également les représentants des associations Semper Avanti et Angelus
Silesius et de la Fondation Krzyzowa pour le temps qu’ils m’ont accordé, mais aussi pour leur
confiance. Mes remerciements vont aussi à Anna Paczesniak et Ida Orchewska de
l’Université de Wroclaw pour leurs contacts au début des entretiens.
Merci enfin à toutes les personnes qui auront su m’écouter, me conseiller et me
soutenir lors de cette période stressante : Anny, Coco, France, Géraldine, Mr K., …
  iii	
  
Résumé
Face au caractère contraignant des critères conditionnant l’accès aux financements
communautaires depuis 1999 suite à la crise de la Commission Santer, ce travail a pour but
d’interroger les effets des programmes européens de financement sur les acteurs associatifs
qui en bénéficient dans la société polonaise dite « post-communiste ». Nous nous sommes
ainsi posé la question de savoir dans quelle mesure les conditions d’octroi des fonds
européens entraînent la professionnalisation des acteurs associatifs polonais qui en
bénéficient.
	
  
La recherche menée ici tente de démontrer que les opportunités de financements
européens entraînent une professionnalisation du monde associatif polonais de par les
modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Pour ce faire, l’étude
se base sur l’analyse de trois organisations de jeunesse à Wroclaw et ce, à travers une
catégorisation de deux indicateurs de la professionnalisation : une technicisation des
méthodes de gestion des projets d’une part, et une sélectivité accrue des critères de
recrutement d’autre part.
	
  
Les observations recueillies dans le cadre d’entretiens avec les représentants de ces
trois organisations démontrent que les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds
communautaires influent davantage sur les pratiques des acteurs que sur les logiques présidant
à leur entrée au sein des organisations. Après les avoir mises en perspective, nous avons en
effet montré que l’acquisition des compétences techniques requises au sein des organisations
étudiées pour répondre aux exigences européennes ne résulte que partiellement des
dispositions, parcours et propriétés sociales des acteurs qui y travaillent.
Ce faisant, nous en avons conclu que le processus de professionnalisation comme
résultat des conditions d’octroi des financements européens opère davantage au sein même
des organisations, par le biais de la gestion des projets, qu’en amont de ces dernières, comme
le laissaient supposer jusqu’ici les travaux sur la question. Nous avons ainsi montré l’intérêt
de porter une attention particulière aux processus d’apprentissage internes à l’organisation
assurés par le groupe de pairs pour saisir les modalités par lesquelles les acteurs parviennent à
maîtriser ces nouvelles techniques de gestion.
  iv	
  
Table des Matières
Introduction ........................................................................................................ 1
I. Le secteur associatif en Pologne............................................................. 8
1. LA NOTION DE SECTEUR ASSOCIATIF ..............................................................8
2. LE SECTEUR ASSOCIATIF POLONAIS : SON HISTOIRE, SES
SPECIFICITES .........................................................................................................11
2.1. Le secteur associatif polonais en chiffres............................................................12
2.2. De l’association civique à la gestion du social postcommuniste ........................15
2.3. La dépendance aux donateurs étrangers..............................................................17
II. La professionnalisation comme angle d’approche du secteur
associatif polonais ......................................................................................... 21
1. QU’EST-CE QUE LA PROFESSIONNALISATION?............................................21
1.1. Les origines wébériennes d’un concept ..............................................................22
1.2. Une professionnalisation sans profession ?.........................................................24
2. SAISIR LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE CADRE
DES FINANCEMENTS COMMUNAUTAIRES ....................................................27
2.1. Des pratiques, des savoir-faire et des savoir-être transformés............................29
2.2. De nouveaux critères de recrutement..................................................................33
III. Méthodologie.......................................................................................... 38
1. STRATEGIE DE RECHERCHE ..............................................................................38
2. PRESENTATION DU TERRAIN ............................................................................39
3. LE DEROULEMENT DE L’ENQUETE QUALITATIVE......................................43
IV. Les fonds européens, quel effet professionnalisant ? ......................... 47
1. LOGIQUES DE RECRUTEMENT DES ACTEURS ASSOCIATIFS ....................47
2. TECHNICISATION DES PRATIQUES ASSOCIATIVES.....................................53
  5	
  
2.1. L’expertise comme mode d’investissement des pratiques associatives..............54
2.2. La diffusion de la pratique du partenariat et « l’ouverture internationale »........60
	
  
3. MODES D’ACQUISITION DES SAVOIRS ...........................................................66
3.1. La formation des acteurs par les programmes de financement comme
« facilitateur »......................................................................................................66
3.2. L’apprentissage informel : les collègues, les partenaires, les mentors................68
	
  
Conclusion......................................................................................................... 72
Bibliographie..................................................................................................... 77
Annexes – Entretiens........................................................................................ 84
  1	
  
Introduction
Joining the EU was definitely a turning point for the Third sector in Poland. It changed
the situation a lot. Even though we were already benefiting from European funds before
entering the EU, it’s good to remember that there is a difference between the very first
EU funds and the one we are applying for nowadays. It was easier at the beginning,
also in the youth field. The financial rules were more relaxed. But then, they got more
and more complicated and we sometimes put more efforts in the administrative part of
the work, which makes no sense1
.
Cet extrait d’entretien avec un responsable associatif polonais illustre le tournant décisif
qu’a pu constituer l’intégration à l’Union européenne (UE) pour le secteur associatif polonais,
d’autant plus que celui-ci n’était qu’au début de sa recomposition lorsque le pays a commencé
son chemin vers l’adhésion. Plus généralement, ces propos illustrent également l’évolution de
la politique européenne envers les organisations du secteur associatif. Dans le cadre du
processus de réforme initié par le président de la Commission européenne Romano Prodi en
1999 suite à la crise de la Commission Santer, une série de nouveaux critères conditionnant
l’accès aux financements communautaires est imposée aux acteurs associatifs. A titre
d’exemple, on peut retenir l’importance de la qualité du personnel de l’association, la
rentabilité du projet, l’approche de gestion du cycle du projet, l’évaluation, la transparence ou
encore l’audit budgétaire.
Par le caractère contraignant des critères sur lesquels elles reposent, les conditions
générales d’accès aux financements européens invitent à interroger les effets de l’intégration
européenne sur les acteurs associatifs qui en bénéficient dans la société polonaise dite « post-
communiste ». Différents travaux menés depuis le début des années 2000 contribuent à la
compréhension de l’impact des opportunités de financements européens sur leurs
bénéficiaires2
. Ces études considèrent, de manière générale, que la spécificité des exigences
européennes entraîne une professionnalisation de ces derniers3
.
Dans le cadre de cette recherche, la « professionnalisation des acteurs associatifs »
sera entendue à travers une double acceptation. Nous suivons d’abord Sabine Saurugger et
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
1
Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, Wroclaw, p.50
2
Par « opportunités de financements européens », il faut comprendre le soutien financier apporté par la
Commission européenne à un ensemble d’organisations établies dans les Etats membres. Ces financements
permettent à leurs bénéficiaires de mettre en œuvre des projets ou des activités en rapport avec des politiques de
l’UE dans différents domaines (recherche, éducation, santé, aide humanitaire, protection des consommateurs ou
de l’environnement, etc.).
3
SANCHEZ-SALGADO, R., « NGO Structural Adaptation to Funding Requirements and Prospects for
Democracy : The Case of the European Union », Global Society, vol.24, n°4, 2010, p.512
  2	
  
Wolf Eberwein dans leur définition minimale de la professionnalisation comme « le processus
par lequel l’objectif normatif [de l’organisation] est complété par les connaissances et
compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées
par cette dernière4
». Nous avons choisi cette définition car elle illustre bien une des premières
composantes du processus qu’est la spécialisation des pratiques associatives, opposée à
l’amateurisme5
auquel elles sont souvent associées. A cette première définition, nous ajoutons
néanmoins un indicateur supplémentaire dont l’importance est soulignée dans les travaux de
Matthieu Hély6
. En plus de l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés dont les acteurs
sont amenés à faire un apprentissage contrôlé, le processus de professionnalisation du secteur
désigne également, selon lui, son émergence comme nouvelle filière d’emploi pour laquelle
un certain nombre d’acteurs vont être amenés à consacrer une part substantielle de leur temps
et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus financiers.
Comme le souligne Rosa Sanchez-Salgado7
, les recherches menées depuis le début des
années 2000 sur les effets structurants des fonds européens en termes de professionnalisation
ont davantage vocation à étudier l’impact d’un tel processus sur le potentiel démocratique de
leurs bénéficiaires – en termes de participation au processus d’élaboration des politiques
publiques8
ou à leur mise en œuvre 9
– que les recompositions organisationnelles internes qui
en résultent. Ces travaux tendent par ailleurs à limiter leur champ d’étude aux mouvements
sociaux et groupes d’intérêt évoluant dans l’arène européenne uniquement10
.
Les objectifs qui motivent notre étude relèvent plutôt d’une échelle différente. Au lieu
de considérer les organisations de la société civile au niveau européen comme acteur social
clé, l’analyse se penche sur les organisations du secteur associatif au niveau national11
en vue
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
4
EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., « Professionalization and Participation : NGOs and Global Participatory
Democracy ? A Research Agenda », Paper presented at the IPSA Biannual Congress, Santiago, July 2009, pp.2-
3
5
Par amateurisme, nous faisons ici référence à l’ignorance ou à l’empirisme de celui qui pratique une activité de
manière occasionnelle et sans préoccupation d’efficacité ou de rendement.
6
HELY, M., Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009, p.69
7
SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.512
8
SMISMANS, S. (ed.), Civil Society and Legitimate European Governance, Cheltenham, Edward Elgar, 2006 ;
KOHLER-KOCH, B. FINKE, B., « The Institutional Shaping of EU-Society Relations: A contribution to
Democracy via Participation? », Journal of Civil Society Studies, 2007, pp.205-221.
9
SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.509
10
MICHEL, H. (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne. Trajectoires, formations et pratiques des
représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006 ; SAURUGGER, S., « The
Professionalization of Interest Representation : A Legitimacy Problem for Civil Society in the EU ? », in
SMISMANS, S. (ed.), op. cit., pp.260-276 ; MCCARTHY, J., ZALD, M. (dir.), Social Movements in an
Organizational Society. Collected Essays, New Brunswick, Transaction Publishers, 1987
11
Les organisations opérant au niveau national se distinguent des réseaux européens et autres euro-groupes de
par la nature de leurs activités qui se rapprochent davantage des prestations de service que des campagnes de
sensibilisation et d’« advocacy ».
  3	
  
de questionner les potentiels liens entre leur professionnalisation et les financements
communautaires. En employant le terme de « secteur associatif », nous renverrons aux formes
légales des associations et des fondations, excluant de ce fait de notre champ d’analyse les
syndicats, les organisations professionnelles, les partis politiques ou les organismes
confessionnels. Les raisons de ce choix seront exposées plus en détail dans la suite de ce
travail.
Nous aimerions toutefois préciser dès à présent qu’en employant le terme de « secteur
associatif », cette recherche tend à se démarquer des approches en termes de « société civile »,
devenu l’outil d’analyse privilégié dans les études sur le post-communisme pour désigner les
initiatives collectives qui ne relèvent pas de l’Etat et ainsi témoigner du « retour réussi aux
règles de la démocratie12
». Si ces approches ne sont pas forcément inintéressantes en soi,
elles tendent à laisser dans l’inanalysé les logiques organisationnelles de transformation des
organisations en se concentrant sur leur rôle de contrepouvoir. Aussi, en choisissant le secteur
associatif comme angle d’approche de l’impact des opportunités de financements européens,
nous avons la volonté de saisir la dynamique des changements à l’œuvre en termes
organisationnels – sur les modes de fonctionnement interne, les profils et les pratiques
concrètes des acteurs étudiés – et non en termes démocratiques – sur leur capacité de
participation aux processus décisionnels.
Aussi, l’interrogation principale à laquelle nous nous efforcerons de fournir des
éléments de réponse dans le cadre de cette recherche est la suivante : « Dans quelle mesure
les opportunités de financement européen conduisent-elles à la professionnalisation du
secteur associatif polonais ? ». En d’autres termes, ce mémoire questionnera l’impact des
contraintes liées aux conditions générales de financements européens sur les modalités de
recrutement des travailleurs associatifs polonais, et donc sur leur profil et la nature de leurs
compétences, ainsi que sur leurs méthodes concrètes de travail et leurs techniques de gestion
des projets.
En s’appuyant sur la littérature existante, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement,
nous avançons l’hypothèse générale que les opportunités de financement européen entraînent
une professionnalisation du monde associatif polonais de par les modalités pratiques
d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Nous pensons que l’accès aux
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
12
DEVAUX, S., Engagements associatifs et postcommunisme. Le cas de la République tchèque, Paris, Belin,
2005, p.11
  4	
  
financements communautaires constitue un « vecteur »13
de professionnalisation pour leurs
bénéficiaires en diffusant les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître
l’efficacité et la performance des activités menées par les organisations bénéficiaires.
De cette hypothèse générale découlent deux autres hypothèses qui sous-tendront
également notre analyse. D’une part, concernant le profil des travailleurs associatifs, l’accès
aux financements européens entraîne une sélectivité accrue des critères de recrutement par
l’emploi de spécialistes détenant des savoirs dans un domaine déterminé et utiles au
fonctionnement de l’organisation. D’autre part, concernant leurs méthodes de travail, la
conformité aux critères d’octroi des fonds communautaires se traduit par une technicisation14
des pratiques associatives.
Le choix de ces hypothèses ne relève pas du hasard : il reflète les conclusions de la
majorité des recherches réalisées sur la professionnalisation comme résultat des financements
communautaires qui désignent les critères d’octroi des fonds européens comme le facteur
déterminant de la structure organisationnelle et sociale des organisations bénéficiaires15
.
L’intérêt même de cette étude réside donc dans la question de savoir, si oui ou non, ces
hypothèses largement partagées s’appliquent au cas de la République de Pologne.
La démarche adoptée dans cette étude prend donc la forme d’une approche déductive,
partant d’un modèle général et explicatif pour aboutir au cas particulier. En effet, l’idée n’est
pas ici de se servir d’une étude de cas – la République de Pologne – pour dégager des
régularités variables en d’autres lieux mais bien d’appliquer un modèle à un cas concret.
Autrement dit, le cas de la Pologne est analysé à travers une catégorisation d’indicateurs de la
professionnalisation, indicateurs qui représentent une généralisation et une conceptualisation
de l’état de l’art sur la question de l’impact des opportunités de financements européens.
Pour vérifier ces hypothèses, nous avons choisi de réaliser une enquête empirique
qualitative par entretiens portant sur le secteur associatif polonais, un des plus importants pays
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
13
Par « vecteur », il faut comprendre tout ce qui sert à véhiculer un message ou des informations. Dans le cadre
de cette étude, le terme « vecteur » renvoie au fait de diffuser les connaissances et compétences nécessaires afin
d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées par les organisations bénéficiaires.
14
Le terme « technicisation » est ici entendu comme un processus désignant l’ensemble de pratiques visant à
faire en sorte qu’une problématique soit appréhendée moins comme une question de société que comme une
question technique, c’est-à-dire nécessitant des grilles de lecture et la mobilisation de ressources alternatives ou
différentes de celles que nécessiterait l’approche habituellement mobilisée.
15
EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., pp.1-26 ; SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, pp.507-
527 ; WEISBEIN, J., « La Fédération française des maisons de l’Europe (1960-2000). La trajectoire d’un
militantisme européen de terrain », in ALDRIN P., DAKOWSKA D. (dir.), « Promouvoir l’Europe en actes. Une
analyse des petits entrepreneurs de la cause européenne », politique européenne, n°34, 2011, pp.37-62.
  5	
  
bénéficiaires des fonds européens de la région depuis la « chute » du régime communiste16
.
Face à la diversité des organisations et à l’impossibilité matérielle de réaliser un travail
empirique de qualité sur l’ensemble du territoire, notre analyse portera sur trois organisations
actives dans le domaine de la jeunesse et ayant leur siège dans la région de Wroclaw. Le
choix du type d’organisations que nous avons étudiées se justifie de la manière suivante : pour
neutraliser autant que possible les interférences liées à une diversité des sources européennes
de financements, et donc des exigences auxquelles les bénéficiaires doivent se conformer17
,
nous avons retenu des organisations bénéficiant toutes du même type de financement : le
programme d’initiative communautaire Jeunesse en action qui a financé, de 2000 à 2006 puis
de 2007 à 2013, des projets pour la promotion de la coopération européenne dans le domaine
de la jeunesse18
. C’est en ce sens que Wroclaw se révèle être un cas d’étude pertinent et
représentatif. Quatrième ville de Pologne par sa population (633 000 habitants) et troisième
ville étudiante du pays, la capitale de la voïvodie de Basse-Silésie compte en effet aujourd’hui
certains des plus gros bénéficiaires de fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse
en Action dans la région19
.
Plus précisément, notre analyse du secteur associatif de Wroclaw a porté sur les trois
organisations suivantes : l’association Dom spotkan im. Angelusa Silesiusa20
et l’association
Semper Avanti21
, d’une part, et la Fondation Krzyzowa dla Porozumenia Europejskiego22
(Fondation « chemin de croix » pour la compréhension mutuelle en Europe) d’autre part.
Celles-ci ont pour objectif affiché d’aider au développement personnel et professionnel des
jeunes. Elles visent notamment à les familiariser avec les divers moyens et outils pouvant leur
permettre de s’épanouir sur le plan scolaire, culturel mais aussi parfois politique. Ces trois
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
16
La Pologne perçut en effet plus de la moitié des fonds structurels (13,8 milliards d’€ sur un total de 20
milliards) alloués aux dix nouveaux Etats membres pour la période 2004-2006. Pour plus de détails, voir
AÏSSAOUI, H., « L'élargissement européen au prisme des fonds structurels : vers une européanisation de la
gestion publique du territoire en Pologne ? », Politique européenne, n° 15, 2005/1, pp. 61-84.
17
Il s’agit en effet de faire la distinction entre les fonds directement administrés par la Commission européenne,
dont les programmes communautaires tels que Jeunesse en Action font partie, et les fonds redistribués par les
autorités nationales et régionales, tels que le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds
social européen (FSE), aussi appelés « fonds structurels » ou « fonds de cohésion ». Dans ce dernier cas, les
exigences européennes ne viennent pas directement du niveau européen mais sont relayées par les Etats
membres.
18
Un tel programme s’adresse aussi à d’autres types d’acteurs comme les collectivités territoriales, les entités
parapubliques, les organismes de formation et les entreprises. Mais l’usage des fonds européens fait par ces
derniers n’entre pas dans le cadre de cette analyse dont le champ d’étude se limite aux organisations du secteur
associatif.
19
D’après le site Internet http://eacea.ec.europa.eu/youth/results_compendia/results_en.php (page consultée le 25
juin 2013)
20
http://www.silesius.org.pl/
21
http://semperavanti.org/
22
http://www.krzyzowa.org.pl/
  6	
  
organisations bénéficiant toutes des fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse en
Action depuis le début des années 200023
, elles paraissaient constituer des observatoires
privilégiés des potentiels liens entre la professionnalisation des acteurs associatifs et les
financements communautaires, en permettant de neutraliser autant que possible les
interférences liées à un degré d’ancienneté différent de leur statut de bénéficiaire.
Pour analyser l’impact des opportunités de financement sur la transformation des
organisations du secteur associatif, quatre étapes jalonneront ce mémoire. La première
s’attachera à replacer notre recherche dans la littérature scientifique sur le secteur associatif
en Pologne. Il s’agira de présenter les questionnements qui ont traversé la littérature sur le
sujet et d’inscrire ainsi notre étude dans un cadre scientifique particulier. La seconde
présentera le cadre théorique dans lequel s’inscrit la problématique au centre de ce travail en
référence aux opportunités de financement découlant de l’intégration européenne et permettra
ainsi de préciser l’objet de la recherche. Dix ans après l’adhésion à l’Union européenne, de
telles opportunités de financement sont à prendre en compte dans l’étude du secteur associatif.
Les méthodes de gestion des projets que ces dernières imposent de manière plus ou moins
implicite nous serviront de grille de lecture. Il s’agira donc d’identifier des indicateurs
permettant de caractériser objectivement la professionnalisation d’une association face au
système de financement européen.
Dans un troisième temps, nous décrirons la méthodologie utilisée pour mener à bien la
réalisation de la recherche. Y seront explicités les méthodes de recueil d’informations, le
choix des acteurs ainsi que les limites associées à la recherche. Finalement, le quatrième et
dernier chapitre tentera de mettre en avant les effets de l’usage des fonds européens sur les
acteurs associatifs polonais au niveau local. Il retracera le processus de leur
professionnalisation sous deux dimensions : la structure sociographique des groupes d’une
part, et l’investissement par les acteurs associatifs de nouvelles pratiques d’autre part.
L’objectif sera alors d’identifier les éléments majeurs des opportunités de financements
européens ayant exercé une influence sur l’état de professionnalisation du secteur associatif
polonais. En d’autres termes, cette dernière partie tendra à mettre en évidence, à la lumière de
la catégorisation fournie dans le deuxième chapitre du mémoire, le degré d’influence des
critères de financements européens sur les pratiques adoptées par l’objet d’étude principal –
les associations de jeunesse à Wroclaw – afin d’infirmer ou confirmer l’hypothèse : les
opportunités de financement européen conduisent à la professionnalisation du secteur
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
23
Pour la période 2000-2006, le programme européen dans le domaine de la jeunesse portait le nom de
« Programme Jeunesse ».
  7	
  
associatif polonais post-communiste de par les modalités pratiques d’obtention et de gestion
des fonds communautaires.
  8	
  
I. Le secteur associatif en Pologne
L’existence d’un secteur associatif en Pologne est antérieure à la chute du régime
communiste et ne procède nullement d’une création ex nihilo. Ce qui a changé, cependant,
c’est son ampleur et sa nature. Ainsi, avant même d’aborder l’enjeu crucial des effets de
l’impact des financements européens sur le secteur associatif polonais, nous commencerons
par préciser le sens qui lui sera conféré ici. Nous nous pencherons ensuite sur l’évolution du
rôle et de la place du secteur associatif sur la scène polonaise. En regard de sa recomposition
depuis la « chute » du régime communiste, nous essayerons de confronter la manière dont la
trajectoire du secteur associatif polonais fut communément appréhendée dans la littérature
dans les vingt dernières années. Une fois que nous aurons retracé l’évolution de la littérature
portant sur ce dernier, nous pourrons ainsi préciser l’approche théorique et méthodologique
qui sera la nôtre.
1. LA NOTION DE SECTEUR ASSOCIATIF
Le secteur associatif dans le contexte post-communiste a été essentiellement étudié
dans le cadre de la littérature sur la société civile. Dès les premières années de la transition
démocratique, ce concept devient l’outil d’analyse privilégié pour désigner les initiatives
collectives qui ne relèvent pas de l’Etat et ainsi mesurer la « réussite » de la démocratie24
. En
Pologne, comme dans toute la région, la notion de société civile s’est ainsi imposée en tant
que critère d’appréciation de la démocratisation25
.
A travers toutes ces études, l’idée essentielle est que la consolidation démocratique ne
peut se faire sans une société civile active constituée en contre-pouvoir fort26
. Plutôt que de
prendre les organisations qui la composent et leurs modes de fonctionnement interne comme
objet d’étude, ces travaux questionnent avant tout l’existence d’une société civile libérale, au
sens d’un contrepouvoir indépendant entre l’Etat et le marché27
. Aussi, la question que ces
approches en termes de société civile tendent à poser en conclusion de leurs analyses des
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
24
BERNHARD, M., “Civil society and democratic transition in East Central Europe”, Political science quaterly,
vol.108, n°2, 1993, pp.307-326 ; MOLNAR, M., La Démocratie se lève à l’Est. Société civile et communiste en
Europe de l’Est : Pologne et Hongrie, Paris, PUF, 1990
25
DEVAUX, S., op. cit., p.12
26
LEFEBVRE, S., « Les changements dans les Etats communistes : l’importance de la société civile », Revue
française de science politique, vol.40, n°4, 1990, pp.607-622
27
DI PALMA, G., “Legitimation from the top to civil society: politico-cultural change in Eastern Europe”,
World Politics, vol.44, n°44, 1991, pp.49-80
  9	
  
nouvelles tendances à l’œuvre dans le secteur demeure immanquablement celle de leurs effets
sur la consolidation démocratique du pays étudié.
Face à la croissance numérique des associations et des fondations dans les années
1990, les auteurs font reposer leurs travaux sur une approche quantitative pour étudier ce qui
est souvent décrit comme « le réveil des sociétés civiles28
». Mais cet enthousiasme est vite
retombé passé la période d’émerveillement de la fin des régimes communistes et du début de
la période de transition. Et c’est une lecture quelque peu « désenchantée29
» qui semble avoir
dominé la littérature par la suite. Les chiffres révélant un manque d’activisme et d’implication
citoyenne dans les pays de la région, les auteurs questionnent alors les différents facteurs
susceptibles d’influencer ce qu’ils appellent « la faiblesse » de la société civile et mettent en
perspective les statistiques de la région avec ce qui peut se passer dans les démocraties
occidentales, avec l’idée d’un « rattrapage » des pays de l’Est par rapport à l’Europe
occidentale30
.
Si elles ne sont pas inintéressantes en soi, ces démarches ne permettent pas
d’appréhender les acteurs eux-mêmes, leur mode de fonctionnement interne, leurs objectifs,
les moyens humains et financiers qu’ils mobilisent pour les atteindre et les difficultés
auxquelles ils sont confrontés. Le propos de notre recherche consistant à interroger les effets
de l’intégration européenne en termes organisationnels, nous avons fait le choix de nous
départir du concept de société civile pour privilégier celui de « secteur associatif ». Nous
avons ainsi la volonté de mettre davantage l’accent sur les logiques organisationnelles de
transformation internes du secteur que sur son rôle de contrepouvoir et sa capacité de
participation aux processus décisionnels.
Pour réaliser cette recherche, nous avons choisi d’utiliser la définition du secteur
associatif résultant de l’enquête réalisée dans le cadre du programme John Hopkins de
comparaison internationale du secteur dans 22 pays. Il en ressort que les entités qui le
composent partagent cinq caractéristiques essentielles qui nous autorisent à en parler comme
d’un secteur social à part entière :
Tout d'abord, ce sont des organisations, c’est-à-dire qu’elles ont une identité
institutionnelle. Deuxièmement, elles sont privées, c'est à dire qu’elles ne font pas partie
de l'appareil de l'Etat. Troisièmement, elles sont sans but lucratif, elles peuvent réaliser
des profits, mais elles ne les distribuent pas à leurs propriétaires ou administrateurs.
Quatrièmement, elles sont autonomes, c'est à dire qu'elles jouissent d'un degré
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
28
MOLNAR, M., op. cit., p.65
29
PIROTTE, G., « La société civile roumaine post-communiste », Autrepart, vol.4, n°48, 2008, p.154
30
MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), Developments in Central and East
European politics, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2007, p.227
  10	
  
significatif d'autonomie par rapport à l’Etat. Enfin, elles sont volontaires, la
participation en leur sein n'est pas obligatoire et elles mobilisent les énergies et les
ressources des personnes librement données31
.
En rappelant les conditions nécessaires à l’existence des organisations composant le
secteur associatif, cette définition présente l’intérêt de placer leurs caractéristiques
organisationnelles au centre de l’analyse et nous permet ainsi de les distinguer d’autres
groupements. Celles-ci doivent d’abord se constituer de façon indépendante par rapport à
l’Etat. Leurs membres ne sont donc ni rémunérés par celui-ci ni recrutés sur base de concours.
Leur caractère volontaire implique ensuite que ces organisations résultent d’un acte délibéré
et intentionnel. Cette caractéristique ne fait donc pas référence à l’absence de personnel
rémunéré en leur sein mais à l’absence de contraintes ayant précédé leur formation. Enfin,
elles doivent être institutionnalisées et généralisées au travers de lois garantissant leur
existence.
Face à la spécificité de la loi polonaise concernant le statut des membres du secteur
associatif, nous aimerions préciser cette définition à l’aide du critère juridique. D’une part,
deux lois principales réglementent aujourd’hui le secteur associatif en Pologne. Il s’agit des
lois de 1984 et de 1990 qui introduisent respectivement le statut de fondation (fundacja) et
d’association (stowarzyszenia) 32
. L’absence de législation concernant les associations
jusqu’en 1990 a entraîné pendant plusieurs années un usage assez lâche de la catégorie des
fondations, introduisant une confusion entre ce statut et celui des associations civiques.
L’appellation « fondation » recouvrait alors souvent une organisation qui relevait de la
catégorie des associations. Cela a faussé la répartition des organisations selon leur statut mais
aussi selon leurs fonctions, « les associations étant censées fournir des services d’utilité
sociale à leurs membres alors que les fondations soutiennent les initiatives civiques33
».
D’autre part, il est important de souligner que les nouveaux dispositifs juridiques relatifs
à la liberté d’association établis au début des années 1990 reposent sur une distinction entre le
statut des associations civiques et celui des congrégations religieuses d’une part, et des partis
politiques d’autre part. Alors que dans certains pays, comme en France, les partis politiques
ont relevé pendant longtemps de la seule loi de 1901 sur les associations, le système polonais
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
31
Cité in MAYER, N., BELORGEY, J-M., JEANTET, T. et al., Les associations et l’Europe en devenir, Paris,
Documentation française, 2001, p.67
32
LES, E., The voluntary sector in post-communist East Central Europe: from small circles of freedom to civil
society, Washington, CIVICUS, 1994, pp.23-24
33
DEVAUX, S. (dir.), Les nouveaux militantismes dans l’Europe élargie, Paris, L’Harmattan, 2005, p.81
  11	
  
a rapidement distingué les deux types de regroupements34
. Selon Sandrine Devaux, « cela
tient à l’amalgame qu’avait produit l’usage politique des organisations sociales sous le
système communiste35
».
En employant le terme de secteur associatif, nous renverrons donc aux formes légales
des associations et des fondations, excluant de ce fait de notre champ d’analyse les syndicats,
les organisations professionnelles, les partis politiques ou les organismes confessionnels, ces
derniers faisant l’objet d’une autre législation36
. C’est à l’évolution du rôle et de la place du
secteur associatif sur la scène polonaise depuis la « chute » du régime communiste que la
prochaine section sera consacrée.
2. LE SECTEUR ASSOCIATIF POLONAIS : SON HISTOIRE, SES
SPECIFICITES
Loin d’être « un phénomène post-198937
», le paysage associatif de la Pologne
communiste ne se limitait pas aux organisations de masse centralisées. Au-delà des
organisations formelles et professionnelles contrôlées par l’Etat38
, la vie associative se
composait également d’un secteur partiellement indépendant d’organisations politiques,
religieuses et culturelles informelles39
. Un nombre non négligeable d’organisations pré-
communistes ont en effet survécu sous le régime communiste au niveau local, principalement
dans le domaine des loisirs, de l’éducation et de la culture, sans avoir à subir d’ingérence
politique directe40
. La Pologne a par ailleurs connu à plusieurs reprises d’importantes
mobilisations « par le bas » par les différents segments de la société (travailleurs, étudiants,
intellectuels, paysans, catholiques) revendiquant une plus grande autonomie des organisations
existantes. En 1980, celles-ci aboutissent à l'émergence du mouvement Solidarność et à sa
suppression en 1981. Cette vie sociale non étatique ne constituait pas pour autant une sphère
pleinement autonome de la sphère politique et régie par un cadre légal garantissant son
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
34
HEURTAUX, J., « Démocratisation en Pologne: la première loi sur les partis (1989-1990) », Critique
Internationale, n°30, 2006, pp.171-172
35
DEVAUX, S., op. cit., p.75
36
ABELE, C., Civil society assistance in Central and Eastern Europe. The cases of Poland and Slovakia, PhD
thesis, Humboldt University, Berlin. 2006, p.154
37
REGULSKA, J., « NGOs and Their Vulnerabilities During the Time of Transition. The Case of Poland »,
Voluntas, vol.10, n°1, 1999, pp.61-71
38
Parmi celles-ci, on retrouve des organisations de jeunesse, des syndicats, des associations professionnelles, des
clubs de sport, des organisations de loisirs et de détente, …
39
Parmi celles-ci, on retrouve des structures souterraines du mouvement Solidarnosc, des organisations
religieuses, des droits de l’homme, des membres de l’opposition politique illégale, des mouvements artistiques et
culturels, …
40
Pour une présentation de ces organisations, voir GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Polish Tradition of
Self-organization, Social Capital and the Challenge of Europeanisation » in FRAN, A. (ed.), Social Capital and
Governance, Berlin, Lit Verlag, 2006, pp.255-256
  12	
  
existence. Ce qui a changé avec la « chute » du régime communiste, c’est donc sa nature et
son ampleur.
Sur la base de la littérature sur le secteur associatif polonais dans les vingt dernières
années, il est possible de conclure à l’existence de plusieurs grandes tendances qui ont jalonné
la recomposition de celui-ci depuis 1989. Nous en relèverons trois : la première correspond,
au début des années 1990, à la prolifération des structures associatives suite au recouvrement
de la liberté d’association. La seconde renvoie à la détérioration de l’Etat providence
socialiste. Face aux vides institutionnels conséquents dans le système de protection sociale et
le déclin de la couverture des services pendant la transition, les organisations composant le
secteur deviennent des compléments à l’Etat. Enfin, les donateurs étrangers et les
organisations internationales comme l’Union européenne ont également joué un rôle
important dans la recomposition du secteur, leurs financements étant devenus une source
essentielle de revenus.
2.1. Le secteur associatif polonais en chiffres
Les premières années de la transition en Pologne ont été marquées par un processus de
reconstitution et de recomposition du secteur associatif. Celui-ci se traduit par l’adaptation
des organisations sociales héritées du régime communiste au nouveau contexte démocratique
d’une part, et par l’émergence rapide de nouvelles organisations dans tous les secteur de la vie
associative d’autre part41
. Aux quelques organisations autorisées par le gouvernement
polonais a succédé dans les années 1990, suite au recouvrement de la liberté d’association, ce
que Gauthier Pirotte appelle « une floraison associative42
». C’est dans les premières années
post-communistes que le taux de croissance du nombre d’organisations est en effet le plus
élevé. On observe ainsi une croissance de 400% du nombre d’ONG enregistrées entre 1989 et
199343
. La croissance se stabilise à partir de 1994 et le pays compte environ 53 000 ONG
enregistrées (45 891 associations et 7 210 fondations) en 2004, date à laquelle l’étude
nationale la plus récente a été réalisée44
. C’est le constat de cette croissance rapide du nombre
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
41
Dans le cas de la Pologne, on observe l’apparition d’un large spectre d’ONG, de fondation, d’organisation de
charité, religieuses et de défense des minorités ethniques.
42
PIROTTE, G., loc. cit., p.158
43
EKIERT, G., FOA, R., « Civil Society Weakness in Post-Communist Europe: A Preliminary Assessment »,
Carlos Alberto Notebooks, n°198, 2011, pp.24-25
44
Ces données proviennent d’un sondage organisé par la Klon / Jawor Association, la principale organisation de
recherche sur le secteur sans but lucratif en Pologne. NGO in Poland – basic facts, Warsaw, Klon/Jawor
Association, 2004, disponible sur http://www.ngo.pl/files/01english.ngo.pl/public/Basic_facts_2004.pdf (page
consultée le 14 juillet 2013). Il s’agit de préciser que le sondage sur lequel reposent ces données se concentre
principalement sur les organisations constituées en associations et en fondations privées. Ces chiffres n’incluent
  13	
  
d’associations et de fondations peu après la « chute » du régime qui est à l’origine de
l’enthousiasme des premiers travaux face à ce qui est souvent décrit comme le « réveil naturel
des sociétés civiles 45
». Mais cet enthousiasme est vite retombé passé la période
d’émerveillement de la fin des régimes communistes et du début de la période de transition.
Et c’est une lecture quelque peu « désenchantée46
» qui semble avoir dominé la littérature par
la suite.
Les changements ayant affecté le secteur associatif en Europe centrale et orientale à la
suite de la « chute » du communisme ont entraîné une multitude de travaux, reflétant des
influences théoriques d’une grande diversité. De manière générale, il est toutefois possible
d’identifier deux types d’approche dominant cette littérature. Celles-ci se distinguent
principalement par la manière de mesurer la nature des changements affectant ce secteur dans
les anciennes Républiques populaires. Alors que les auteurs se rattachant à la première
interprètent ces changements récents en termes quantitatifs et développent dès lors une lecture
quelque peu pessimiste de ces derniers47
, ceux s’inscrivant dans la seconde tendent à l’inverse
à insister sur l’importance de ce qui se trouve sous les statistiques. Les auteurs appartenant à
cette deuxième catégorie adoptent ainsi une approche dite plus « qualitative » du phénomène
de recomposition du secteur associatif, plaçant la focale sur les acteurs, leurs objectifs et les
enjeux auxquels ils doivent faire face48
.
Les études quantitatives reposent généralement sur un des deux indicateurs suivants :
le nombre d’organisations non-gouvernementales (ONG) ou le niveau de participation des
citoyens 49
. Si chacun vient nourrir cette idée de faiblesse du secteur mentionnée
précédemment, c’est surtout le deuxième qui est source d’inquiétude. En effet, en termes de
nombre d’ONG, « Central and Eastern Europe seems to have a fairly vibrant civil society50
».
Ainsi, entre 1992 et 1997, le nombre de fondations a presque doublé en Pologne, et le nombre
d’associations quadruplé51
.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
donc pas les syndicats, les partis politiques, les associations religieuses, les pompiers volontaires, les comités de
parents et d’autres types d’associations informelles qui auraient considérablement augmenté ce résultat.
45
MOLNAR, M., op. cit., p.65
46
PIROTTE, G., loc. cit., p.154
47
HOWARD, M., The weakness of civil society in post-Communist Europe, New-York, Cambridge University
Press, 2003 ; COLAS, D., op. cit., pp.29-55 ; GLENN, J., Framing Democracy : Civil Society and Civic
Movement in Easter, Europe, Stanford. CA, Stanford University Press, 2001
48
EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., pp.1-45 ; MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S.
(dir.), op. cit., pp.213-228 ; PIROTTE, G., loc. cit., pp.153-164
49
MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.216
50
Ibidem.
51
LES, E., « Defining the Nonprofit Sector: Poland », Working Papers of the Johns Hopkins Comparative
Nonprofit Sector Project, n°36, edited by SALAMON, L., ANHEIER, Baltimore, The Johns Hopkins Center for
Civil Society Studies, 2000, p.12
  14	
  
Toutefois, cette croissance du nombre d’ONG enregistrées n’est désormais plus
considérée par les chercheurs comme un indicateur pertinent de l’état réel du secteur dans la
région. Le cas de la Pologne est assez exemplaire à cet égard puisque, comme le rappelle
Anna Gasor-Niemiec et Piotr Glinski dans leur étude sur l’européanisation de la société civile
polonaise, on peut supposer que « more than ¼ of the NGOs registered in Poland are not
functioning or are even non-existent (…)52
». C’est dès lors davantage sur le taux de
participation à la vie associative que la majorité des auteurs se basent pour dénoncer la
faiblesse de la société civile en Europe centrale et orientale53
.
Qu’il s’agisse d’une étude basée sur les European Value Surveys (EVS) ou sur le
World Values Survey (WVS), « the degree of activity and membership of civil society
organizations in Central and Eastern Europe is extremely low, both in absolute and relative
terms54
». Si l’adhésion aux organisations non-gouvernementales passe de 5,5% de la
population en 1990 à 13,7% en 1995 et 16% en 199755
, certaines données suggèrent que le
taux d’adhésion aux organisations est exceptionnellement bas en Pologne aujourd’hui en
comparaison avec les pays de l’Europe de l’ouest mais aussi avec les autres pays
postcommunistes56
. Par exemple, selon le European Social Survey 2005, seuls 5% de la
population déclarait appartenir à une organisation sportive, artistique ou caritative pour
31,9% en Finlande et 21,2% en Autriche. En République tchèque, 9,8% des répondants
déclarent être membres de telles organisations57
. En termes de taux d’adhésion et de
participation, la vie associative polonaise se retrouve au bas des classements internationaux58
.
C’est sous l’angle de l’ensemble de ces données que la période postcommuniste a
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
52
GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Europeanization of Civil Society in Poland », Rev. Soc. Polit.,
vol.14, n°1, 2007, p.32
53
A titre d’exemple de travaux se plaçant dans cette perspective, on peut retenir : ROSE-ACKERMAN, S.,
From Elections to Democracy : Building Accountable Government in Hungary and Poland, Cambridge and New
Yord, Cambridge University Press, 2005 ; BASHIKOROVA, E., « Political Participation in Central and Eastern
Europe. Results of the 1999 European Values Surveys » in FUCHS D., ROLLER, E., WESSELS, B. (eds.),
Burger und Demokratie in Ost und West : Studien zur politischen Kultur und zum politischen Prozess.
Festschrift fur Hans-Dieter Klingemann. Opladen : Westdeutscher, 2002, pp.319-322
54
MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.217
55
GLINSKI, P., « The Development of the Third Sector in Poland – The relationship between the Third Sector
and Other Sectors », Conference paper at the 1999 Voluntas Symposium : Ten Years After : Civil Society and
the Third Sector in Central and Eastern Europe. Prague, October 15-16, 1999, p.9
56
HOWARD, M., op. cit., p.58
57
Cité dans EKIERT, G., KUBIK, J., WENZEL, M., « Civil Society in Poland after the fall of communism : A
diachronic perspective », Paper presented at the 20th
International Conference of Europeanists, Amsterdam, 25-
27 June 2013, p.11
58
Pour une étude générale et plus approfondie sur le sujet, voir JASINSKA-KANIA, A., MARODY, M. (eds.),
Poles among Europeans, Warszawa, Wydawnictwo Naukowe Scholar, 2004 ; GAWIN, D., GLINSKI, P. (eds.),
Civil society in the making, Warsaw, IFiS Publishers, 2006 ; GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Polish
Tradition of Self-organization, Social Capital and the Challenge of Europeanisation » in FRAN, A. (ed.), op. cit.,
pp.237-266
  15	
  
généralement été étudiée comme celle d’un secteur associatif en pleine reconstruction
particulièrement faible.
Bien que continuant à imprégner de nombreux travaux, les lectures quantitatives du
secteur associatif ont été l’objet de vives critiques ces dernières années59
. Elles ont notamment
été remises en cause par des auteurs qui, refusant d’interpréter les changements récents en ne
prenant en compte que le poids numérique des organisations ou leur nombre de membres,
considèrent, pour reprendre les termes d’Ekiert, qu’une telle approche ne permet de
développer qu’« une vision unidimensionnelle60
» de la vie associative. Seule l’étude de
différentes dimensions de la vie associative à l’aide de sources variées – autres que les
sondages d’opinion publique – permet d’abandonner les généralisations au sujet de la
faiblesse des organisations du secteur associatif post-communiste61
.
Dans cette perspective, une attention particulière est accordée aux acteurs eux-mêmes,
à leurs objectifs et aux difficultés auxquelles ils sont confrontés. Cherchant à adopter une
démarche dite « qualitative », ces auteurs s’attachent plus spécifiquement à débattre de la
question de la vie associative dans son contexte politique et social plus large. Ils examinent
ainsi les logique internes – stratégies des acteurs répondant à la nouvelle donne économique,
politique ou sociale postcommuniste –, mais aussi externes – politiques de soutien à certaines
organisations du secteur par les partenaires occidentaux –, à la jonction desquelles elle se
trouve62
. C’est dans cette dernière tendance que nous aimerions inscrire la présente recherche.
2.2. De l’association civique à la gestion du social postcommuniste
Cette prolifération associative « post-1989 » doit s’appréhender en tenant compte d’un
autre changement, celui du déclin de l’Etat providence socialiste. Les vides institutionnels
conséquents dans le système de protection sociale et le déclin de la couverture des services
pendant la transition ont en effet largement façonné la reconstruction du secteur associatif,
composé initialement des organisations existant déjà sous le régime communiste ou tolérées
par ce dernier d’une part, et des associations civiques des premières heures postcommunistes
d’autre part63
. Ce repli aboutit au développement d’un secteur associatif cherchant à
« répondre aux défaillances du marché et de l’Etat dans l’approvisionnement de services
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
59
Pour une critique rigoureuse des approches quantitatives, voir l’ouvrage de KOPECKI, P., MUDDE, C. (eds.),
Uncivil Society ? Contentious politics in post-communist Europe, London, Routledge, 2005
60
EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.37
61
Ibid., p.38
62
PIROTTE, G., loc. cit., p.155
63
LES, E., loc. cit., p.20
  16	
  
sociaux et l’accès à un minimum de bien-être pour tous64
» et prenant en charge les coûts
sociaux de la transition, sans toutefois que celui-ci soit considéré comme un secteur autonome
pour autant65
.
Contrairement à la situation observée chez son voisin roumain66
, la fin du régime
communiste en Pologne a été marquée par la structuration et le renforcement d’un réseau
d’organisations contestataires – généralement qualifiées d’associations civiques67
– capable
d’exercer une pression sur l’appareil d’Etat68
. Comme évoqué précédemment, ce qui
différencie la Pologne, comme la Hongrie, des autres pays de la région c’est l’existence d’un
secteur partiellement indépendant d’organisations politiques, religieuses et culturelles
informelles. Cette vie associative relativement autonome ainsi que les interventions de
l’Eglise catholique – principale force d’opposition au système communiste qui devint par la
suite un acteur essentiel dans la renaissance du secteur en Pologne69
– influencèrent
directement le mode de démocratisation et de transfert du pouvoir en 1989 qui prit, en
Pologne comme en Hongrie, la forme d’une transition négociée70
.
De nos jours, beaucoup de ces associations citoyennes ou de « révolutionnaires » ont
disparu. Mais celles qui sont restées actives au sein de la société locale ont subi une évolution
intéressante. De manière générale, l’augmentation constante du nombre d’organisations au
cours des deux dernières décennies s’est en effet doublée de changements importants dans la
composition sectorielle de ces dernières, entraînant ainsi la fragmentation et la spécialisation
du secteur associatif71
. Les données polonaises reflètent cette tendance. Un examen de la
composition du secteur associatif en Pologne entre 1996 et 1997 révèle que la plus grande
partie des organisations sont actives dans le domaine des services sociaux (51%), les soins de
santé et l’assistance sociale y constituant leur champ d’activité principal, suivis par la
jeunesse, la culture et l'éducation (24%), le développement local et régional (17%), et le
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
64
PIROTTE, G., loc. cti., p.162
65
LES, E., loc. cit., pp.20-21
66
PIROTTE, G., loc. cit., p.155
67
Par association civique, il faut entendre des groupements qui se mobilisent autour de la question des droits
(politiques, économiques, sociaux et culturels) des citoyens et de leur statut.
68
POTEL, J-Y., « Solidarnosc. La société en dissidence » in BAFOIL, F. (dir.), La Pologne, Fayard, 2007, p.229
69
FAMULICKI, J-C., « La société et l'Eglise catholique en Pologne », Matériaux pour l'histoire de notre temps,
2001, n°61- 62. pp. 80-87
70
MILLARD, F., « The Czech Republic, Hungary and Poland », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op.
cit., p.37
71
EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.27
  17	
  
développement économique (10%). Les activités liées aux sports et aux loisirs constituent
d’autres domaines d’activité importants72
.
Dans ce contexte, comme l’explique Grzegorz Ekiert, « the majority of organizations
are no longer ever single-issue organizations73
». Il s’agit plutôt des petites cellules
spécialisées dans un domaine de compétences, engageant des professionnels et développant
un rapport de service auprès des populations bénéficiaires. Le secteur offre ainsi des nouvelles
opportunités d’emplois notamment pour les jeunes diplômés universitaires. Toutefois, les
services individuels fournis par ce dernier doivent rester compétitifs par rapport aux anciens
services fournis par l’Etat. Faute de récoltes suffisantes de fonds locaux, une telle évolution
est donc souvent jugée responsable de la dépendance accrue des organisations aux fonds
octroyés par l’Etat, l’administration locale ou les acteurs extérieurs74
.
2.3. La dépendance aux donateurs étrangers
Cette situation fait donc apparaître une caractéristique importante du secteur associatif
polonais. L’analyse de son évolution révèle la création d’un réseau d’organisations répondant
certes à certains besoins de la société polonaise postcommuniste mais tout en restant
financièrement dépendant des fonds occidentaux. En effet, si la fin des années 1980 est
marquée par une vague d’autonomisation financière à l’égard des instances étatiques75
, on
observe, de manière presque concomitante, la mise en place de politiques de soutien aux
acteurs de la société civile par les partenaires occidentaux. L’Eglise joue également un rôle
déterminant dans la renaissance du secteur en Pologne en devenant tour à tour pour les
organisations qui le composent un fondateur, un commanditaire ou un partenaire 76
.
Totalement dépendants des ressources financières fournies par le gouvernement sous le
régime communiste77
, les acteurs associatifs ne sont plus contraints, au début de la
transformation, de se tourner vers l’Etat qui, suite au mouvement de libéralisation de
l’économie, n’a plus le monopole de la distribution des ressources financières78
.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
72
Ces données proviennent d’un sondage organisé par la Klon / Jawor Association, la principale organisation de
recherche sur le secteur sans but lucratif en Pologne. NGO in Poland – basic facts, Waesaw, Klon/Jawor
Association, 2004, disponible sur http://www.ngo.pl/files/01english.ngo.pl/public/Basic_facts_2004.pdf (page
consultée le 14 juillet 2013).
73
EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.22
74
PIROTTE, G., loc. cti., p.161
75
PACZESNIAK, A., « Les relations entre l’administration publique et les ONG après l’adhésion de la Pologne
à l’Union européenne », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol.40, n°2, 2009, p.114
76
LES, E., op. cit., p.39
77
Il s’agit ici de mentionner l’exception que constituent les organisations religieuses qui ont toujours bénéficié
d’une autonomie interne.
78
LES, E., loc. cit., p.11
  18	
  
Face à la prolifération associative des premiers mois de la transition, les partenaires
occidentaux mettent ainsi en place « des politiques de renforcement des nouveaux acteurs de
la société civile79
». L'Union européenne, la Banque mondiale et les Etats-Unis deviennent
parmi les principaux bailleurs de fonds en Europe centrale et orientale, même si le
pourcentage du budget de l'aide américaine et européenne à la démocratie réservée à la société
civile n'était pas particulièrement élevé80
. La Pologne devint ainsi un des principaux
bénéficiaires de l'aide occidentale dans la région81
et les organisations polonaises ont pu, dans
un premier temps, « s’exprimer et accomplir leur mission sans trop se préoccuper des
questions économiques82
».
Si les années 1990 sont marquées par l’intervention d’organisations étrangères telles
que l’Open Society Institute (OSI) ou l’United States Agency for International Development
(USAID)83
, l’arrivée des fonds européens avec l’ouverture des négociations d’adhésion à
l’UE à la fin de la décennie a provoqué le départ progressif des bailleurs de fonds américains
vers des destinataires encore plus à l’Est. Le budget du programme d’aide communautaire aux
Pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en vue de leur adhésion – Poland and Hungary
Aid for Reconstruction of Economy (PHARE) – prévoyait une ligne accordée au soutien à la
société civile.
Toutefois, ces programmes européens de financement se sont montrés très sélectifs et,
à la fin des années 1990, on trouve une répartition des revenus en circulation au sein du
secteur ONG polonais pour le moins inégalitaire. Les procédures d’octroi varient en effet d’un
donateur à l’autre. Alors que les Américains concèdent les fonds en amont du projet, l’UE ne
les libère qu’une fois celui-ci accompli. Or, face à ce système de remboursement de projets,
les organisations polonaises ne sont pas capables d’avancer les fonds financièrement. En effet,
seuls 20% des organisations polonaises ont des réserves financières, le reste du secteur ne
présentant aucun actif significatif84
. Parallèlement, le secteur associatif polonais présente une
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
79
PIROTTE, G., loc. cit., p.159
80
L’aide directe accordée aux ONG par l’USAID et l’UE constitue un objet financier mineur qui représente
moins de 2% de l'aide globale accordée : RAIK, K., Promoting Democracy through Civil Society : How to Step
Up the EU’s Policy towards the Eastern Neighbourhood, Brussels, Centre for European Policy Studies, CEPS
Working Document 237, 2006, p.15
81
WEDEL, J., Collision and Collusion – The strange case of Western aid to Eastern Europe 1989 – 1998, New
York, St. Martin’s Press, 1998, p.205.
82
PACZESNIAK, A., loc. cit., p.115
83
Entre 1990 et 2000, l’USAID a ainsi dépensé un budget de 128 millions de dollars pour financer le
développement des ONG en Pologne : ABELE, C., Civil society assistance in Central and Eastern Europe. The
cases of Poland and Slovakia, PhD thesis, Humboldt University, Berlin. 2006, p.329
84
GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.32
  19	
  
faiblesse récurrente à développer des activités génératrices de revenus et la situation
économique de celui-ci, déjà médiocre, s’est détériorée au fil des ans85
.
Ainsi, étant donné la nature erratique et à court-terme de l’aide financière extérieure,
c’est donc de manière presque inévitable que le problème de la viabilité financière se pose dès
199886
. La totale indépendance du secteur associatif est donc une utopie du point de vue
financier et 35 % des revenus des ONG proviennent de fonds publics (soit des collectivités
locales soit de l’État) au tournant des années 200087
. Cependant, certains auteurs insistent sur
la nécessité de relativiser l’importance de leur rôle dans le développement du secteur
associatif, la récolte des fonds locaux demeurant toujours un exercice délicat en Pologne88
.
Outre le scepticisme des organisations du secteur associatif à l’égard des financements
étatiques dès le début des transformations, qui redoutent de perdre une indépendance
récemment gagnée, le flou du cadre légal régissant les relations entre le secteur associatif et
étatique permet également de relativiser l’importance du rôle de l’Etat dans le développement
du secteur non-gouvernemental. La plupart des dispositions fiscales et financières ayant été
introduites furent généralement soit supprimées peu de temps après soit rendues inapplicables
par des procédures bureaucratiques89
. Ainsi, comme l’explique Anna Paczesniak, « la
collaboration entre les ONG et les pouvoirs locaux se limite, dans le meilleur des cas, à des
exonérations fiscales ou à l’attribution de locaux plutôt qu’au versement concret de fonds.
Rares sont ceux qui se décident à déterminer le montant à affecter au financement des
ONG90
». De tels comportements se soldent dès lors par « la faiblesse des ressources
financières allouées par les budgets municipaux pour soutenir le fonctionnement des ONG
(…)91
».
Enfin, pour favoriser le don aux associations, la loi polonaise de 2003 « sur les
activités d’utilité publique et le volontariat » (Ustawa o działano ci, 2003)92
permet à présent
au contribuable de verser jusqu’à 1% de son imposition aux ONG locales. Mais en 2004,
seulement 80 000 contribuables, soit environ 0,25% des polonais adultes et 0,35% des
contribuables, ont eu recours à cette option93
.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
85
Le budget de la moitié des ONG est passé de 19 000 PLN (nouveaux zlotys) en 2001 à 13 000 PLN en 2003 et
10 000 PLN en 2005. 10 % des organisations n’avaient aucun revenu en 2005 et 20 % d’entre elles devaient se
contenter d’un budget annuel de 1 000 PLN (environ 300 euros) : PACZESNIAK, A., loc. cit., p.117
86
EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.16
87
GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.32
88
REGULSKA, J., loc. cit., p.66
89
Ibid., p.67
90
PACZESNIAK, A., loc. cit., pp.118-119
91
Ibidem.
92
Cette loi réglemente la collaboration des institutions étatiques et des collectivités territoriales avec les ONG.
93
GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.36
  20	
  
Pour résumer, la réorientation des programmes de financements étrangers de soutien à
la société civile vers d’autres pays, à laquelle s’ajoute la rareté et la parcimonie des fonds
publics polonais marque le début d’une nouvelle problématique : trouver des fonds. L’une des
principales pistes pour les acteurs de la société civile au tournant des années 2000 réside alors
dans les fonds structurels européens94
. Le rapport « NGO sustainability Index 2004 » de
l’USAID explique ainsi que « more and more organizations have (…) great expectations of
EU funding that has come available – more than 70% say that they plan to submit
proposals95
». Or, « the capacity of the organisation to secure sustainable sources of income96
»
est souvent décrite comme une composante essentielle de sa professionnalisation dans la
mesure où les compétences demandées par ces organisations deviennent de plus en plus
précises et techniques97
. La soumission à l’agenda des donateurs constituant un des seuls
moyens de subsistance de ces organisations, ces dernières se perfectionnent en vue d’être dans
les critères d’octroi des fonds et des différentes subventions. Ainsi, pour la Pologne, comme
pour d’autres pays postcommunistes, on peut supposer, comme le souligne Grzegorz Ekiert,
que le processus d'élargissement de l'UE a constitué un tournant critique dans le modèle de
transformation des organisations de la société civile98
. Il rejoint en cela l’analyse de Rosa
Sanchez-Salgado selon laquelle les pressions européennes sont plus importantes lorsque les
organisations ne sont pas encore parvenues à développer une dynamique de croissance stable.
Or, le secteur associatif n’était encore qu’au début de sa recomposition lorsque la Pologne
commence son chemin vers l’adhésion. Par conséquent, il lui était impossible, si l’on suit le
raisonnement de Rosa Sanchez-Salgado, d’absorber les opportunités européennes sans que
leur propre dynamique de développement n’en soit modifiée.
Le propos de notre recherche consistant à interroger les effets des programmes de
financements européens sur les recompositions organisationnelles internes du secteur
associatif en termes de professionnalisation, c’est sur ce point que portera le prochain
chapitre.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
94
Voir le programme des fonds structurels européens:
http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docoffic/official/regulation/newreg/-10713_fr.htm (page consultée le
8 juin 2013)
95
USAID [2004], The 2003 NGO Sustainability Index Report, Washington, USAID, pp.196-197
96
FAGAN, A., « The new Kids on the block – Building environmental governance in the Western Balkans »,
Acta Politica, vol.45, n°1/2, 2010, p.215
97
PIROTTE, G., « La greffe d’une société civile en Europe de l’Est et en Afrique subsaharienne. Réflexions à
partir d’expériences transitionnelles en Roumanie et au Bénin », Civil society network workshop, Allocution à la
Maison des sciences de l’Homme, Paris, 12-14 juin 2003. Disponible à l’adresse URL suivante
http://cisonet.wzb.eu/download/workshop12-140603pirotte.pdf (page consultée le 17 juillet 2013)
98
EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.21
  21	
  
II. La professionnalisation comme angle d’approche du secteur associatif
polonais
L’objet de notre recherche est d’étudier les effets de l’intégration européenne sur le
secteur associatif dans une optique organisationnelle. Nous l’avons vu, répondre à cette
question implique d’en restituer l’étude dans le cadre d’une démarche scientifique allant au-
delà des considérations de faiblesse du secteur. En se démarquant des visions normatives pour
étudier les enjeux qui marquent l’évolution du monde associatif depuis la « chute » du régime
communiste, une telle approche permet en effet de mettre à jour l’enjeu sous l’angle duquel
nous souhaitons aborder ce secteur : celui de l’impact des opportunités de financements
européens. Dans cette optique, l’apport théorique du concept de « professionnalisation » nous
permettra d’aborder l’analyse du secteur associatif de Wroclaw sous l’angle des logiques
organisationnelles de sa recomposition.
Il convient donc maintenant de présenter l’outil que nous utiliserons comme cadre et
comme référence théorique à notre étude de cas. Le terme « professionnalisation » pouvant
avoir de multiples acceptions d’une étude à l’autre99
, nous nous attacherons dans un premier
temps à préciser le sens qui lui sera conféré ici. Il conviendra, dans un deuxième temps, de
questionner les liens entre les opportunités de financements européens et la
professionnalisation de leurs bénéficiaires dans le monde associatif, ceux-ci étant
généralement davantage considérés – comme nous le verrons plus en détail dans la suite de ce
chapitre – comme des volontaires ou des activistes. Autrement dit, il s’agira de poser la
question de savoir dans quelle mesure ce processus de professionnalisation peut être
attribuable aux opportunités de financements européens.
1. QU’EST-CE QUE LA PROFESSIONNALISATION?
Le concept de « professionnalisation » est souvent évoqué lorsque l’on traite de
l’évolution du secteur associatif100
. Loin d’avoir été initialement forgé par les chercheurs
désireux de saisir les transformations à l’œuvre dans les secteurs associatifs « post-
communistes », la notion a en effet été mobilisée auparavant à l’égard de phénomènes sociaux
se développant dans des contextes socio-politiques variables. La conceptualisation du terme
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
99
LE NAËLOU, A., « Pour comprendre la professionnalisation dans les ONG : quelques apports d'une
sociologie des professions », Revue Tiers Monde, n° 180, 2004/4, pp.777
100
LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., « Quelle professionnalisation pour le monde associatif ?.
Entretien avec Matthieu Hély », La Vie des idées, 25 novembre 2011. Disponible à l’adresse URL
suivant: http://www.laviedesidees.fr/Quelle-professionnalisation-pour.html (page consultée le 15 avril 2013), pas
de pagination
  22	
  
dans la littérature portant sur ce secteur fait son apparition à la fin des années 1980. Les
travaux sur la question se développent alors surtout à propos de l’étude des ONG dans
l’hémisphère nord, plaçant la focale sur les organisations actives dans l’humanitaire et le
développement international101
. La réduction du périmètre d’intervention de l’Etat social et la
libéralisation de la société civile dans les années 1980102
, suivis par le mouvement de
salarisation et la croissance de leurs capacités organisationnelles sont autant d’éléments sur
lesquels s’est construite la théorisation du mouvement de professionnalisation du secteur
associatif.
Bien que l’émergence et le développement d’un phénomène de professionnalisation
aient suscité une attention soutenue de la communauté scientifique, certains axes de réflexion
concernant la définition de la professionnalisation ainsi que les raisons de son renforcement
restent controversés. C’est donc ce dernier point qu’entend développer cette première section.
1.1. Les origines wébériennes d’un concept
Les travaux du sociologue allemand Max Weber sont fondateurs pour l’étude de la
professionnalisation et l’analyse de celle-ci comme un fait social103
. C’est Weber le premier
qui, suivi par Talcott Parsons, souligne l’importance des professions dans la société
occidentale moderne, et définit le processus de professionnalisation comme « le passage d’un
ordre social traditionnel à un ordre social où le statut de chacun dépend des tâches qu’il
accomplit, et où elles sont allouées selon les critères « rationnels » de compétence et de
spécialisation104
». Cette définition est le résultat d’une étude sur l’apparition de la politique
comme activité professionnelle spécifique au début du 20e
siècle, dans laquelle Weber y
décrit la professionnalisation des élus comme un processus par lequel des acteurs vivant
« pour » la politique en arrivent à vivre « de » celle-ci.
Malgré la nature différente de notre objet d’étude, le concept de la professionnalisation
politique issu de la sociologie wébérienne et interactionniste pose un élément essentiel à notre
travail. Il permet en effet l’étude de l’émergence de nouvelles catégories d’acteurs que
plusieurs éléments viennent spécifier : des intérêts propres (liés à ceux de leurs bénéficiaires),
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
101
LEWIS, D., The management of NGDOs : An introduction, London, Routledge, 2001 ; FROELICH, A.,
« Diversification of revenue strategies : Evolving resources dependence in nonprofit organizations », Nonprofit
and Voluntary Sector Quaterly, n°28, 1999, pp.246-268 ; DAUVIN, P., SIMEANT, J., Le travail humanitaire.
Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp.113-132
102
LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit.
103
WEBER Max, Le savant et le politique, Préface de Raymond Aron, Paris, Editions 10-18, 1996 (1ère édition
originale 1919)
104
BOUDON, R., BOURRICAUD, F., Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, Presses universitaires de
France, 2011, p.472
  23	
  
de nouvelles conceptions des formes de l’action, de nouveaux types de compétences, de
savoir-faire et de ressources (ajustés aux spécificités de l’action associative financée par les
donateurs internationaux et découlant aussi des trajectoires et propriétés qui sont les leurs) et
de nouvelles carrières professionnelles. Comme le montrent les études sur les acteurs
associatifs, certains d’entre eux deviennent en effet des « spécialistes » et vivent de leur
activité au sein du secteur. On observe ainsi le recul du bénévolat105
au profit de formes
salariées d’activité et d’une valorisation d’un panel de compétences diverses nécessaires au
fonctionnement de l’organisation
Bien que le concept serve désormais de point d’appui aux études visant à étudier des
processus par lesquels se différencient des espaces de l’activité sociale ou politique, il s’agit
néanmoins de relever les ambiguïtés intrinsèques au concept lorsque ce dernier se voit
appliqué au monde associatif. L’approche fonctionnaliste anglo-saxonne, qui domine la
sociologie des groupes professionnels, définit en effet la professionnalisation de certains
emplois ou activités (occupations en anglais) comme « le processus historique à travers lequel
un groupe professionnel quelconque (occupational group) se fait reconnaître comme une
profession, tout en se dotant progressivement des attributs « fonctionnels » de ce type de
groupement 106
». Pour être reconnue comme profession, une occupation doit adopter
successivement six caractères : l’exercice à plein temps, une réglementation de l’activité, la
formation scientifique des membres avant tout exercice de l’activité par des écoles
spécialisées, l’association professionnelle permettant la participation des membres, une
protection légale du monopole et un code de déontologie107
. Cette définition du processus de
professionnalisation permet de différencier les emplois qualifiés reposant sur des acquis
scientifiques, des emplois peu qualifiés, essentiellement pratiques. Selon Wilensky, n’importe
quel type d’activité ne peut acquérir l’ensemble de ces attributs. Il considère qu’une
spécificité professionnelle est difficilement reconnue comme une discipline universitaire, ce
qui rend difficile, voire utopique « la professionnalisation de n’importe qui ». Aussi, « il
existe des activités qui peuvent devenir des professions et se référer à des savoirs théoriques
et d’autres qui ne le peuvent pas108
».
L’action associative n’étant généralement pas considérée comme aboutissant à
l’institutionnalisation d’une profession spécifique, la désignation de ce processus par le terme
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
105
Le terme de « bénévolat » fait ici référence à la situation d’une personne qui accomplit un travail gratuitement
et sans y être obligée.
106
DUBAR, C., TRIPIER, P., Sociologie des professions, Paris, Armand Colin, 1998, p.90
107
WILENSKY, H., « The professionalization of everyone ? », American Journal of Sociology, n°2, 1964,
p.139. Cité dans DUBAR, C., TRIPIER, P., op. cit., p.90
108
DUBAR, C., TRIPIER, P., op. cit., p.91
  24	
  
de « professionnalisation » est jugée inappropriée par certains. C’est face à cette ambiguïté
conceptuelle que certains auteurs parlent de « professionnalisation sans profession », comme
le font Anne Le Naëlou109
et Jean Freyss dans son analyse historique et sociopolitique des
mouvements de solidarité internationale en 2004, pour désigner « la mobilisation de
professions socialement constituées, chacune ayant, en dehors du monde associatif, son
existence propre, son domaine de compétences, [...] son marché du travail110
».
1.2. Une professionnalisation sans profession ?
Face à ces difficultés conceptuelles, Matthieu Hély nous explique – en reprenant les
termes de Demazière et Gadéa – que mobiliser la notion de professionnalisation dans
l’univers associatif permet d’étudier les dynamiques professionnelles comme « des processus
évolutifs, vulnérables, ouverts, instables111
» qui ne conduisent pas nécessairement pour un
groupe professionnel à se constituer en une profession au sens strict du terme. On retrouve la
même idée dans les travaux de Pascal Ughetto et de Marie-Christine Combes pour qui
« la professionnalisation du secteur peut s’entendre de différentes manières qui n’ont que très
peu à voir avec les fameuses professions, au sens développé par la sociologie du même
nom 112
». Ainsi, pour le dire autrement, les enjeux liés à l’apparition du mot
« professionnalisation » dans l’univers associatif ne concernent pas tant le résultat auquel peut
aboutir le processus – la constitution d’une profession – mais surtout ses effets en termes
d’efficacité et de mobilisation des personnes dans de nouveaux contextes de travail ainsi que
leur capacité à vivre de cette activité113
.
Comme l’observent P. Ughetto et M-C. Combes, la professionnalisation désigne alors
« soit l’importation de méthodes se voulant professionnelles par opposition à un amateurisme
associé aux bénévoles, soit l’embauche de spécialistes [...] dûment formés aux techniques
utiles dans les « fonctions » de l’entreprise comme le marketing, la communication, les
ressources humaines etc114
». C’est la raison pour laquelle le terme est fréquemment employé
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
109
LE NAËLOU, A., loc. cit., p.775
110
FREYSS, J., « La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambiguïtés de la
professionnalisation », Revue Tiers Monde, vol. 4, n°180, 2004, p.771
111
DEMAZIERE, D., GADEA, C. (dir.), Sociologie des groupes de professionnels, Paris, La Découverte, 2009,
p.20
112
MACDONALD, M., The Sociology of the Professions, Londres, Sage, 1995
113
WITTORSKI, R., Professionnalisation et développement professionnel, Paris, L’Harmattan, 2007, pp.21-22
114
UGHETTO, P., COMBES, M-C., « Entre les valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un
chaînon manquant ? », Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie, n°5, 2010, mis en ligne le 08
juin 2010. Disponible à l’adresse URL suivante : http://socio-logos.revues.org/2462 (page consultée le 27 avril
2013), pas de pagination
  25	
  
comme un équivalent de celui de salarisation115
. Selon Maud Dussuet, il s’agit cependant de
deux processus distincts. Le terme de salarisation est souvent interprété comme décrivant « le
passage d’un travail bénévole, non rémunéré, à un travail qui, parce qu’il est rétribué par un
salaire, serait d’emblée, et dans le même mouvement, reconnu comme professionnel116
». Or,
ce qui différencie le travail professionnel des autres formes de travail, c’est surtout « la mise
en œuvre de l’expertise détenue dans un domaine déterminé117
».
Cette acception du terme fait ainsi clairement apparaître que la professionnalisation du
monde associatif renvoie prioritairement aux transformations de la pratique du bénévolat, ce
processus renvoyant lui-même à une rationalisation et une technicisation118
des activités
pratiques et gestionnaires [...]119
. C’est pour cette raison que ce dernier est souvent associé à
celui de bureaucratisation. Mais pour l’auteur Sabine Saurugger, il s’agit toutefois de
distinguer ces deux termes. S’ils supposent tous deux le développement de connaissances
spécialisées, « les systèmes de contrôle auxquels les bureaucrates et les professionnels sont
soumis diffèrent120
» : le premier prend la forme d’une hiérarchie, le second celle d’une
évaluation par les pairs.
Pour résumer, qu’on l’associe à une salarisation ou à une bureaucratisation, l’idée
d’une professionnalisation du monde associatif repose avant tout sur la recherche de
l’efficacité accrue des actions menées par l’organisation et donc sur le recul des pratiques
bénévoles généralement associées à de l’amateurisme. De manière générale, comme le
résume Ughetto et Combes, « professionnalisation » s’oppose surtout à « amateur » – « c’est-
à-dire à l’ignorance ou à l’empirisme de celui qui pratique l’activité de manière occasionnelle
et sans préoccupation d’efficacité ou de rendement » – et devient synonyme de méthodes,
systématicité, connaissances profondes des bases du métier, .... C’est pour cette raison que la
notion de professionnalisation du secteur associatif est souvent considérée comme résultant de
l’adoption de méthodes importées du monde de l’entreprise. Ainsi, la professionnalisation fait
souvent prévaloir l’idée d’ « un processus d’adaptation des structures sur un modèle ayant de
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
115
LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit.
116
DUSSUET, A., FLAHAULT, E., « Entre professionnalisation et salarisation, quelle reconnaissance du travail
dans le monde associatif ? », Formation emploi, n°111, 2010, p.37
117
Ibid., p.40
118
Le terme « technicisation » est ici entendu comme un processus désignant l’ensemble de pratiques visant à
faire en sorte qu’une problématique soit appréhendée moins comme une question sociale que comme une
question technique, c’est-à-dire nécessitant des grilles de lecture et la mobilisation de ressources alternatives ou
différentes de celles que nécessiterait une approche associative.
119
LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit.
120
SAURUGGER, S., « Analyzing Civil Society Organizations. Changing Structures in the EU. Lessons from
the social movement and party politics literature », Paper presented at the ECPR Joint Sessions, « The
Professionalization and Individualized Collective Action : Analysing New ‘Participatory’ Dimensions in Civil
Society », 15-19 April 2009, Lisbon, Workshop 5, p.7
  26	
  
nombreux point communs à celui d’autres prestataires de services privés liés aux contrats et
financements publics121
». Cela s’explique par la capacité qui est la leur de proposer, sans
considération pour les spécificités associatives, des méthodes éprouvées et efficaces122
.
Cependant, la professionnalisation des membres du secteur associatif constitue un
processus complexe, non linéaire et bien plus multi-facettes qu’on ne pourrait le penser123
; un
processus qui ne peut être réduit entièrement à la capacité des acteurs associatifs à accroître
leur efficience. En définissant et utilisant le concept de professionnalisation pour les fins de
cette recherche, il est important de préciser que ce processus est ainsi souvent associé au
déclin de l’activisme radical et de la participation de masse124
. Aux yeux des critiques, la
professionnalisation croissante conduit à une réorientation du secteur : l’accent est moins mis
sur l’engagement et la réalisation des objectifs normatifs de l’organisation que sur la
maintenance et le développement organisationnel125
.
En définitive, comme le rappelle Anne Le Naëlou, « les phénomènes désignés sous le
terme de professionnalisation sont d’une grande complexité126
», tout comme l’exercice de sa
définition. Néanmoins, nous suivons Sabine Saurugger et de Wolf Eberwein dans leur
définition de la professionnalisation – qu’ils qualifient eux-mêmes de « minimale » – comme
« le processus par lequel l’objectif normatif [de l’organisation] est complété par les
connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des
activités menées par cette dernière127
». Nous avons choisi cette définition car elle est plus
simple que celles que proposent certains auteurs qui tentent d’intégrer toutes les
caractéristiques du processus et qui rendent la grille de lecture illisible. A cette définition,
nous ajoutons néanmoins un indicateur supplémentaire dont l’importance est soulignée dans
les travaux de Matthieu Hély128
. En plus de l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés
dont les acteurs sont amenés à faire un apprentissage contrôlé, le processus de
professionnalisation du secteur désigne également, selon lui, son émergence comme nouvelle
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
121
LE NAËLOU, A., loc. cit., pp.775-776. Dans cette perspective, le processus fait référence à une gestion
administrative performante, des stratégies financières, une salarisation croissante et une politique de recrutement
sur définition de postes et de profils, une gestion rationnelle du temps de travail, un fonctionnement adapté au
marché en tant que prestataire de services pour des « clients », …
122
UGHETTO, P., COMBES, M-C., loc. cit.
123
LE NAËLOU, A., « ONG : les pièges de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, n°180, 2004, p.729
124
FREYSS, J., loc. cit., p.735 ; EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., p.3 ; SAURUGGER, S., “The
Professionalisation of Interest Representation: A legitimacy Problem for Civil Society in the EU?”, in
SMISMANS, S. (ed.), op. cit., pp.260-276
125
LE NAËLOU, A., « ONG : les pièges de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, n°180, 2004, p.729 ;
SIMONET, M., « Le monde associatif : entre travail et engagement », in ALTER, N. (dir.), Sociologie du monde
du travail, Paris, PUF, 2006, pp.191-207
126
LE NAËLOU, A., loc. cit., p.777
127
EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., pp.2-3
128
HELY, M., op. cit., p.69
  27	
  
filière d’emploi pour laquelle un certain nombre d’acteurs vont être amenés à consacrer une
part substantielle de leur temps et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus
financiers. Cet élément fait ici écho au processus identifié pour la première fois par Max
Weber dans son étude sur la professionnalisation des élus comme renvoyant à un processus
par lequel les acteurs vivant « pour » la politique en arrivaient à vivre « de » celle-ci. La
« professionnalisation des acteurs associatifs polonais » sera donc entendue à travers cette
double acception que l’on tentera de restituer tout au long de ce travail.
Parvenant à la fin de cette première section consacrée à la présentation des enjeux
entourant la notion de professionnalisation, essayons maintenant d’apporter quelques réponses
théoriques à la question qui nous guide depuis le début. Dans la section suivante, il s’agira de
se poser la question de savoir dans quelle mesure ce processus de professionnalisation peut
être attribuable aux opportunités de financements européens.
2. SAISIR LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE CADRE
DES FINANCEMENTS COMMUNAUTAIRES
Si la littérature met généralement l’accent sur le rôle de l’Etat dans la
professionnalisation des acteurs associatifs en Europe dans les années 1990, elle insiste
davantage sur le rôle des donateurs publics internationaux au tournant des années 2000. Les
chercheurs ne parlent désormais plus de « government-driven professionalization129
» mais
bien d’un phénomène survenant dans le cadre et de façon subordonnée à la structure
d’opportunité politique et économique que constitue l’Union européenne130
. Chez certains
auteurs, on retrouve ainsi l’idée que « the European Union promotes a very specific version of
professionalization131
».
La société civile étant désormais pensée par les responsables européens comme un
facteur de légitimation du système politique européen de par sa capacité à rapprocher l’UE de
ses citoyens132
, les différentes études menées depuis le début des années 2000 en termes de
professionnalisation du secteur ont d’abord vocation à évaluer leur potentiel démocratique et
donc légitimateur de l’UE. Celle-ci est en effet généralement décrite comme impliquant un
transfert de pouvoir des volontaires et activistes aux experts et donc la monopolisation de la
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
129
FROELICH, A., loc. cit., p.256
130
FAGAN, A., loc. cit., p.208
131
SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.512
132
KOHLER-KOCH, B., « Organised interest in European Integration : the evolution of a New type of
Governance ? », in WALLACE, H., YOUNG, A. (ed.), op. cit., pp.42-68 ; GROSSMAN, E., SAURUGGER, S.,
Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation, Paris, Armand Colin, 2006
Mémoire_Charlotte Martin
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  • 1.   i         Faculté des sciences sociales et politiques Département de science politique L’impact des opportunités de financements européens sur le secteur associatif. Le cas des associations de jeunesse à Wroclaw Présenté par Charlotte MARTIN sous la direction du Professeur Ramona COMAN Assesseur : Amandine CRESPY En vue de l’obtention du grade de Master en Sciences Politiques, finalité Politique et société en Europe centrale, Russie, Caucase Année académique 2012-2013
  • 2.   ii   Remerciements Avant toute chose, j’aimerais remercier toutes les personnes qui ont participé de loin ou de près à l’élaboration de ce travail. Je tiens d’abord à remercier mon directeur de mémoire, le professeur Ramona Coman, qui aura su guider ma recherche et se montrer disponible, à l’écoute et de bon conseil malgré mes innombrables requêtes. Toute ma gratitude va aussi à Cédric Pellen, pour ses remarques critiques et ses suggestions qui m’auront permis d’avancer dans cette entreprise complexe qu’est la rédaction d’un mémoire. Leur encadrement pédagogique m’aura été précieux tout au long de ce travail. Je remercie également les représentants des associations Semper Avanti et Angelus Silesius et de la Fondation Krzyzowa pour le temps qu’ils m’ont accordé, mais aussi pour leur confiance. Mes remerciements vont aussi à Anna Paczesniak et Ida Orchewska de l’Université de Wroclaw pour leurs contacts au début des entretiens. Merci enfin à toutes les personnes qui auront su m’écouter, me conseiller et me soutenir lors de cette période stressante : Anny, Coco, France, Géraldine, Mr K., …
  • 3.   iii   Résumé Face au caractère contraignant des critères conditionnant l’accès aux financements communautaires depuis 1999 suite à la crise de la Commission Santer, ce travail a pour but d’interroger les effets des programmes européens de financement sur les acteurs associatifs qui en bénéficient dans la société polonaise dite « post-communiste ». Nous nous sommes ainsi posé la question de savoir dans quelle mesure les conditions d’octroi des fonds européens entraînent la professionnalisation des acteurs associatifs polonais qui en bénéficient.   La recherche menée ici tente de démontrer que les opportunités de financements européens entraînent une professionnalisation du monde associatif polonais de par les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Pour ce faire, l’étude se base sur l’analyse de trois organisations de jeunesse à Wroclaw et ce, à travers une catégorisation de deux indicateurs de la professionnalisation : une technicisation des méthodes de gestion des projets d’une part, et une sélectivité accrue des critères de recrutement d’autre part.   Les observations recueillies dans le cadre d’entretiens avec les représentants de ces trois organisations démontrent que les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires influent davantage sur les pratiques des acteurs que sur les logiques présidant à leur entrée au sein des organisations. Après les avoir mises en perspective, nous avons en effet montré que l’acquisition des compétences techniques requises au sein des organisations étudiées pour répondre aux exigences européennes ne résulte que partiellement des dispositions, parcours et propriétés sociales des acteurs qui y travaillent. Ce faisant, nous en avons conclu que le processus de professionnalisation comme résultat des conditions d’octroi des financements européens opère davantage au sein même des organisations, par le biais de la gestion des projets, qu’en amont de ces dernières, comme le laissaient supposer jusqu’ici les travaux sur la question. Nous avons ainsi montré l’intérêt de porter une attention particulière aux processus d’apprentissage internes à l’organisation assurés par le groupe de pairs pour saisir les modalités par lesquelles les acteurs parviennent à maîtriser ces nouvelles techniques de gestion.
  • 4.   iv   Table des Matières Introduction ........................................................................................................ 1 I. Le secteur associatif en Pologne............................................................. 8 1. LA NOTION DE SECTEUR ASSOCIATIF ..............................................................8 2. LE SECTEUR ASSOCIATIF POLONAIS : SON HISTOIRE, SES SPECIFICITES .........................................................................................................11 2.1. Le secteur associatif polonais en chiffres............................................................12 2.2. De l’association civique à la gestion du social postcommuniste ........................15 2.3. La dépendance aux donateurs étrangers..............................................................17 II. La professionnalisation comme angle d’approche du secteur associatif polonais ......................................................................................... 21 1. QU’EST-CE QUE LA PROFESSIONNALISATION?............................................21 1.1. Les origines wébériennes d’un concept ..............................................................22 1.2. Une professionnalisation sans profession ?.........................................................24 2. SAISIR LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE CADRE DES FINANCEMENTS COMMUNAUTAIRES ....................................................27 2.1. Des pratiques, des savoir-faire et des savoir-être transformés............................29 2.2. De nouveaux critères de recrutement..................................................................33 III. Méthodologie.......................................................................................... 38 1. STRATEGIE DE RECHERCHE ..............................................................................38 2. PRESENTATION DU TERRAIN ............................................................................39 3. LE DEROULEMENT DE L’ENQUETE QUALITATIVE......................................43 IV. Les fonds européens, quel effet professionnalisant ? ......................... 47 1. LOGIQUES DE RECRUTEMENT DES ACTEURS ASSOCIATIFS ....................47 2. TECHNICISATION DES PRATIQUES ASSOCIATIVES.....................................53
  • 5.   5   2.1. L’expertise comme mode d’investissement des pratiques associatives..............54 2.2. La diffusion de la pratique du partenariat et « l’ouverture internationale »........60   3. MODES D’ACQUISITION DES SAVOIRS ...........................................................66 3.1. La formation des acteurs par les programmes de financement comme « facilitateur »......................................................................................................66 3.2. L’apprentissage informel : les collègues, les partenaires, les mentors................68   Conclusion......................................................................................................... 72 Bibliographie..................................................................................................... 77 Annexes – Entretiens........................................................................................ 84
  • 6.   1   Introduction Joining the EU was definitely a turning point for the Third sector in Poland. It changed the situation a lot. Even though we were already benefiting from European funds before entering the EU, it’s good to remember that there is a difference between the very first EU funds and the one we are applying for nowadays. It was easier at the beginning, also in the youth field. The financial rules were more relaxed. But then, they got more and more complicated and we sometimes put more efforts in the administrative part of the work, which makes no sense1 . Cet extrait d’entretien avec un responsable associatif polonais illustre le tournant décisif qu’a pu constituer l’intégration à l’Union européenne (UE) pour le secteur associatif polonais, d’autant plus que celui-ci n’était qu’au début de sa recomposition lorsque le pays a commencé son chemin vers l’adhésion. Plus généralement, ces propos illustrent également l’évolution de la politique européenne envers les organisations du secteur associatif. Dans le cadre du processus de réforme initié par le président de la Commission européenne Romano Prodi en 1999 suite à la crise de la Commission Santer, une série de nouveaux critères conditionnant l’accès aux financements communautaires est imposée aux acteurs associatifs. A titre d’exemple, on peut retenir l’importance de la qualité du personnel de l’association, la rentabilité du projet, l’approche de gestion du cycle du projet, l’évaluation, la transparence ou encore l’audit budgétaire. Par le caractère contraignant des critères sur lesquels elles reposent, les conditions générales d’accès aux financements européens invitent à interroger les effets de l’intégration européenne sur les acteurs associatifs qui en bénéficient dans la société polonaise dite « post- communiste ». Différents travaux menés depuis le début des années 2000 contribuent à la compréhension de l’impact des opportunités de financements européens sur leurs bénéficiaires2 . Ces études considèrent, de manière générale, que la spécificité des exigences européennes entraîne une professionnalisation de ces derniers3 . Dans le cadre de cette recherche, la « professionnalisation des acteurs associatifs » sera entendue à travers une double acceptation. Nous suivons d’abord Sabine Saurugger et                                                                                                                 1 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, Wroclaw, p.50 2 Par « opportunités de financements européens », il faut comprendre le soutien financier apporté par la Commission européenne à un ensemble d’organisations établies dans les Etats membres. Ces financements permettent à leurs bénéficiaires de mettre en œuvre des projets ou des activités en rapport avec des politiques de l’UE dans différents domaines (recherche, éducation, santé, aide humanitaire, protection des consommateurs ou de l’environnement, etc.). 3 SANCHEZ-SALGADO, R., « NGO Structural Adaptation to Funding Requirements and Prospects for Democracy : The Case of the European Union », Global Society, vol.24, n°4, 2010, p.512
  • 7.   2   Wolf Eberwein dans leur définition minimale de la professionnalisation comme « le processus par lequel l’objectif normatif [de l’organisation] est complété par les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées par cette dernière4 ». Nous avons choisi cette définition car elle illustre bien une des premières composantes du processus qu’est la spécialisation des pratiques associatives, opposée à l’amateurisme5 auquel elles sont souvent associées. A cette première définition, nous ajoutons néanmoins un indicateur supplémentaire dont l’importance est soulignée dans les travaux de Matthieu Hély6 . En plus de l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés dont les acteurs sont amenés à faire un apprentissage contrôlé, le processus de professionnalisation du secteur désigne également, selon lui, son émergence comme nouvelle filière d’emploi pour laquelle un certain nombre d’acteurs vont être amenés à consacrer une part substantielle de leur temps et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus financiers. Comme le souligne Rosa Sanchez-Salgado7 , les recherches menées depuis le début des années 2000 sur les effets structurants des fonds européens en termes de professionnalisation ont davantage vocation à étudier l’impact d’un tel processus sur le potentiel démocratique de leurs bénéficiaires – en termes de participation au processus d’élaboration des politiques publiques8 ou à leur mise en œuvre 9 – que les recompositions organisationnelles internes qui en résultent. Ces travaux tendent par ailleurs à limiter leur champ d’étude aux mouvements sociaux et groupes d’intérêt évoluant dans l’arène européenne uniquement10 . Les objectifs qui motivent notre étude relèvent plutôt d’une échelle différente. Au lieu de considérer les organisations de la société civile au niveau européen comme acteur social clé, l’analyse se penche sur les organisations du secteur associatif au niveau national11 en vue                                                                                                                 4 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., « Professionalization and Participation : NGOs and Global Participatory Democracy ? A Research Agenda », Paper presented at the IPSA Biannual Congress, Santiago, July 2009, pp.2- 3 5 Par amateurisme, nous faisons ici référence à l’ignorance ou à l’empirisme de celui qui pratique une activité de manière occasionnelle et sans préoccupation d’efficacité ou de rendement. 6 HELY, M., Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009, p.69 7 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.512 8 SMISMANS, S. (ed.), Civil Society and Legitimate European Governance, Cheltenham, Edward Elgar, 2006 ; KOHLER-KOCH, B. FINKE, B., « The Institutional Shaping of EU-Society Relations: A contribution to Democracy via Participation? », Journal of Civil Society Studies, 2007, pp.205-221. 9 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.509 10 MICHEL, H. (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne. Trajectoires, formations et pratiques des représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006 ; SAURUGGER, S., « The Professionalization of Interest Representation : A Legitimacy Problem for Civil Society in the EU ? », in SMISMANS, S. (ed.), op. cit., pp.260-276 ; MCCARTHY, J., ZALD, M. (dir.), Social Movements in an Organizational Society. Collected Essays, New Brunswick, Transaction Publishers, 1987 11 Les organisations opérant au niveau national se distinguent des réseaux européens et autres euro-groupes de par la nature de leurs activités qui se rapprochent davantage des prestations de service que des campagnes de sensibilisation et d’« advocacy ».
  • 8.   3   de questionner les potentiels liens entre leur professionnalisation et les financements communautaires. En employant le terme de « secteur associatif », nous renverrons aux formes légales des associations et des fondations, excluant de ce fait de notre champ d’analyse les syndicats, les organisations professionnelles, les partis politiques ou les organismes confessionnels. Les raisons de ce choix seront exposées plus en détail dans la suite de ce travail. Nous aimerions toutefois préciser dès à présent qu’en employant le terme de « secteur associatif », cette recherche tend à se démarquer des approches en termes de « société civile », devenu l’outil d’analyse privilégié dans les études sur le post-communisme pour désigner les initiatives collectives qui ne relèvent pas de l’Etat et ainsi témoigner du « retour réussi aux règles de la démocratie12 ». Si ces approches ne sont pas forcément inintéressantes en soi, elles tendent à laisser dans l’inanalysé les logiques organisationnelles de transformation des organisations en se concentrant sur leur rôle de contrepouvoir. Aussi, en choisissant le secteur associatif comme angle d’approche de l’impact des opportunités de financements européens, nous avons la volonté de saisir la dynamique des changements à l’œuvre en termes organisationnels – sur les modes de fonctionnement interne, les profils et les pratiques concrètes des acteurs étudiés – et non en termes démocratiques – sur leur capacité de participation aux processus décisionnels. Aussi, l’interrogation principale à laquelle nous nous efforcerons de fournir des éléments de réponse dans le cadre de cette recherche est la suivante : « Dans quelle mesure les opportunités de financement européen conduisent-elles à la professionnalisation du secteur associatif polonais ? ». En d’autres termes, ce mémoire questionnera l’impact des contraintes liées aux conditions générales de financements européens sur les modalités de recrutement des travailleurs associatifs polonais, et donc sur leur profil et la nature de leurs compétences, ainsi que sur leurs méthodes concrètes de travail et leurs techniques de gestion des projets. En s’appuyant sur la littérature existante, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, nous avançons l’hypothèse générale que les opportunités de financement européen entraînent une professionnalisation du monde associatif polonais de par les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Nous pensons que l’accès aux                                                                                                                 12 DEVAUX, S., Engagements associatifs et postcommunisme. Le cas de la République tchèque, Paris, Belin, 2005, p.11
  • 9.   4   financements communautaires constitue un « vecteur »13 de professionnalisation pour leurs bénéficiaires en diffusant les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées par les organisations bénéficiaires. De cette hypothèse générale découlent deux autres hypothèses qui sous-tendront également notre analyse. D’une part, concernant le profil des travailleurs associatifs, l’accès aux financements européens entraîne une sélectivité accrue des critères de recrutement par l’emploi de spécialistes détenant des savoirs dans un domaine déterminé et utiles au fonctionnement de l’organisation. D’autre part, concernant leurs méthodes de travail, la conformité aux critères d’octroi des fonds communautaires se traduit par une technicisation14 des pratiques associatives. Le choix de ces hypothèses ne relève pas du hasard : il reflète les conclusions de la majorité des recherches réalisées sur la professionnalisation comme résultat des financements communautaires qui désignent les critères d’octroi des fonds européens comme le facteur déterminant de la structure organisationnelle et sociale des organisations bénéficiaires15 . L’intérêt même de cette étude réside donc dans la question de savoir, si oui ou non, ces hypothèses largement partagées s’appliquent au cas de la République de Pologne. La démarche adoptée dans cette étude prend donc la forme d’une approche déductive, partant d’un modèle général et explicatif pour aboutir au cas particulier. En effet, l’idée n’est pas ici de se servir d’une étude de cas – la République de Pologne – pour dégager des régularités variables en d’autres lieux mais bien d’appliquer un modèle à un cas concret. Autrement dit, le cas de la Pologne est analysé à travers une catégorisation d’indicateurs de la professionnalisation, indicateurs qui représentent une généralisation et une conceptualisation de l’état de l’art sur la question de l’impact des opportunités de financements européens. Pour vérifier ces hypothèses, nous avons choisi de réaliser une enquête empirique qualitative par entretiens portant sur le secteur associatif polonais, un des plus importants pays                                                                                                                 13 Par « vecteur », il faut comprendre tout ce qui sert à véhiculer un message ou des informations. Dans le cadre de cette étude, le terme « vecteur » renvoie au fait de diffuser les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées par les organisations bénéficiaires. 14 Le terme « technicisation » est ici entendu comme un processus désignant l’ensemble de pratiques visant à faire en sorte qu’une problématique soit appréhendée moins comme une question de société que comme une question technique, c’est-à-dire nécessitant des grilles de lecture et la mobilisation de ressources alternatives ou différentes de celles que nécessiterait l’approche habituellement mobilisée. 15 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., pp.1-26 ; SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, pp.507- 527 ; WEISBEIN, J., « La Fédération française des maisons de l’Europe (1960-2000). La trajectoire d’un militantisme européen de terrain », in ALDRIN P., DAKOWSKA D. (dir.), « Promouvoir l’Europe en actes. Une analyse des petits entrepreneurs de la cause européenne », politique européenne, n°34, 2011, pp.37-62.
  • 10.   5   bénéficiaires des fonds européens de la région depuis la « chute » du régime communiste16 . Face à la diversité des organisations et à l’impossibilité matérielle de réaliser un travail empirique de qualité sur l’ensemble du territoire, notre analyse portera sur trois organisations actives dans le domaine de la jeunesse et ayant leur siège dans la région de Wroclaw. Le choix du type d’organisations que nous avons étudiées se justifie de la manière suivante : pour neutraliser autant que possible les interférences liées à une diversité des sources européennes de financements, et donc des exigences auxquelles les bénéficiaires doivent se conformer17 , nous avons retenu des organisations bénéficiant toutes du même type de financement : le programme d’initiative communautaire Jeunesse en action qui a financé, de 2000 à 2006 puis de 2007 à 2013, des projets pour la promotion de la coopération européenne dans le domaine de la jeunesse18 . C’est en ce sens que Wroclaw se révèle être un cas d’étude pertinent et représentatif. Quatrième ville de Pologne par sa population (633 000 habitants) et troisième ville étudiante du pays, la capitale de la voïvodie de Basse-Silésie compte en effet aujourd’hui certains des plus gros bénéficiaires de fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse en Action dans la région19 . Plus précisément, notre analyse du secteur associatif de Wroclaw a porté sur les trois organisations suivantes : l’association Dom spotkan im. Angelusa Silesiusa20 et l’association Semper Avanti21 , d’une part, et la Fondation Krzyzowa dla Porozumenia Europejskiego22 (Fondation « chemin de croix » pour la compréhension mutuelle en Europe) d’autre part. Celles-ci ont pour objectif affiché d’aider au développement personnel et professionnel des jeunes. Elles visent notamment à les familiariser avec les divers moyens et outils pouvant leur permettre de s’épanouir sur le plan scolaire, culturel mais aussi parfois politique. Ces trois                                                                                                                 16 La Pologne perçut en effet plus de la moitié des fonds structurels (13,8 milliards d’€ sur un total de 20 milliards) alloués aux dix nouveaux Etats membres pour la période 2004-2006. Pour plus de détails, voir AÏSSAOUI, H., « L'élargissement européen au prisme des fonds structurels : vers une européanisation de la gestion publique du territoire en Pologne ? », Politique européenne, n° 15, 2005/1, pp. 61-84. 17 Il s’agit en effet de faire la distinction entre les fonds directement administrés par la Commission européenne, dont les programmes communautaires tels que Jeunesse en Action font partie, et les fonds redistribués par les autorités nationales et régionales, tels que le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), aussi appelés « fonds structurels » ou « fonds de cohésion ». Dans ce dernier cas, les exigences européennes ne viennent pas directement du niveau européen mais sont relayées par les Etats membres. 18 Un tel programme s’adresse aussi à d’autres types d’acteurs comme les collectivités territoriales, les entités parapubliques, les organismes de formation et les entreprises. Mais l’usage des fonds européens fait par ces derniers n’entre pas dans le cadre de cette analyse dont le champ d’étude se limite aux organisations du secteur associatif. 19 D’après le site Internet http://eacea.ec.europa.eu/youth/results_compendia/results_en.php (page consultée le 25 juin 2013) 20 http://www.silesius.org.pl/ 21 http://semperavanti.org/ 22 http://www.krzyzowa.org.pl/
  • 11.   6   organisations bénéficiant toutes des fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse en Action depuis le début des années 200023 , elles paraissaient constituer des observatoires privilégiés des potentiels liens entre la professionnalisation des acteurs associatifs et les financements communautaires, en permettant de neutraliser autant que possible les interférences liées à un degré d’ancienneté différent de leur statut de bénéficiaire. Pour analyser l’impact des opportunités de financement sur la transformation des organisations du secteur associatif, quatre étapes jalonneront ce mémoire. La première s’attachera à replacer notre recherche dans la littérature scientifique sur le secteur associatif en Pologne. Il s’agira de présenter les questionnements qui ont traversé la littérature sur le sujet et d’inscrire ainsi notre étude dans un cadre scientifique particulier. La seconde présentera le cadre théorique dans lequel s’inscrit la problématique au centre de ce travail en référence aux opportunités de financement découlant de l’intégration européenne et permettra ainsi de préciser l’objet de la recherche. Dix ans après l’adhésion à l’Union européenne, de telles opportunités de financement sont à prendre en compte dans l’étude du secteur associatif. Les méthodes de gestion des projets que ces dernières imposent de manière plus ou moins implicite nous serviront de grille de lecture. Il s’agira donc d’identifier des indicateurs permettant de caractériser objectivement la professionnalisation d’une association face au système de financement européen. Dans un troisième temps, nous décrirons la méthodologie utilisée pour mener à bien la réalisation de la recherche. Y seront explicités les méthodes de recueil d’informations, le choix des acteurs ainsi que les limites associées à la recherche. Finalement, le quatrième et dernier chapitre tentera de mettre en avant les effets de l’usage des fonds européens sur les acteurs associatifs polonais au niveau local. Il retracera le processus de leur professionnalisation sous deux dimensions : la structure sociographique des groupes d’une part, et l’investissement par les acteurs associatifs de nouvelles pratiques d’autre part. L’objectif sera alors d’identifier les éléments majeurs des opportunités de financements européens ayant exercé une influence sur l’état de professionnalisation du secteur associatif polonais. En d’autres termes, cette dernière partie tendra à mettre en évidence, à la lumière de la catégorisation fournie dans le deuxième chapitre du mémoire, le degré d’influence des critères de financements européens sur les pratiques adoptées par l’objet d’étude principal – les associations de jeunesse à Wroclaw – afin d’infirmer ou confirmer l’hypothèse : les opportunités de financement européen conduisent à la professionnalisation du secteur                                                                                                                 23 Pour la période 2000-2006, le programme européen dans le domaine de la jeunesse portait le nom de « Programme Jeunesse ».
  • 12.   7   associatif polonais post-communiste de par les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires.
  • 13.   8   I. Le secteur associatif en Pologne L’existence d’un secteur associatif en Pologne est antérieure à la chute du régime communiste et ne procède nullement d’une création ex nihilo. Ce qui a changé, cependant, c’est son ampleur et sa nature. Ainsi, avant même d’aborder l’enjeu crucial des effets de l’impact des financements européens sur le secteur associatif polonais, nous commencerons par préciser le sens qui lui sera conféré ici. Nous nous pencherons ensuite sur l’évolution du rôle et de la place du secteur associatif sur la scène polonaise. En regard de sa recomposition depuis la « chute » du régime communiste, nous essayerons de confronter la manière dont la trajectoire du secteur associatif polonais fut communément appréhendée dans la littérature dans les vingt dernières années. Une fois que nous aurons retracé l’évolution de la littérature portant sur ce dernier, nous pourrons ainsi préciser l’approche théorique et méthodologique qui sera la nôtre. 1. LA NOTION DE SECTEUR ASSOCIATIF Le secteur associatif dans le contexte post-communiste a été essentiellement étudié dans le cadre de la littérature sur la société civile. Dès les premières années de la transition démocratique, ce concept devient l’outil d’analyse privilégié pour désigner les initiatives collectives qui ne relèvent pas de l’Etat et ainsi mesurer la « réussite » de la démocratie24 . En Pologne, comme dans toute la région, la notion de société civile s’est ainsi imposée en tant que critère d’appréciation de la démocratisation25 . A travers toutes ces études, l’idée essentielle est que la consolidation démocratique ne peut se faire sans une société civile active constituée en contre-pouvoir fort26 . Plutôt que de prendre les organisations qui la composent et leurs modes de fonctionnement interne comme objet d’étude, ces travaux questionnent avant tout l’existence d’une société civile libérale, au sens d’un contrepouvoir indépendant entre l’Etat et le marché27 . Aussi, la question que ces approches en termes de société civile tendent à poser en conclusion de leurs analyses des                                                                                                                 24 BERNHARD, M., “Civil society and democratic transition in East Central Europe”, Political science quaterly, vol.108, n°2, 1993, pp.307-326 ; MOLNAR, M., La Démocratie se lève à l’Est. Société civile et communiste en Europe de l’Est : Pologne et Hongrie, Paris, PUF, 1990 25 DEVAUX, S., op. cit., p.12 26 LEFEBVRE, S., « Les changements dans les Etats communistes : l’importance de la société civile », Revue française de science politique, vol.40, n°4, 1990, pp.607-622 27 DI PALMA, G., “Legitimation from the top to civil society: politico-cultural change in Eastern Europe”, World Politics, vol.44, n°44, 1991, pp.49-80
  • 14.   9   nouvelles tendances à l’œuvre dans le secteur demeure immanquablement celle de leurs effets sur la consolidation démocratique du pays étudié. Face à la croissance numérique des associations et des fondations dans les années 1990, les auteurs font reposer leurs travaux sur une approche quantitative pour étudier ce qui est souvent décrit comme « le réveil des sociétés civiles28 ». Mais cet enthousiasme est vite retombé passé la période d’émerveillement de la fin des régimes communistes et du début de la période de transition. Et c’est une lecture quelque peu « désenchantée29 » qui semble avoir dominé la littérature par la suite. Les chiffres révélant un manque d’activisme et d’implication citoyenne dans les pays de la région, les auteurs questionnent alors les différents facteurs susceptibles d’influencer ce qu’ils appellent « la faiblesse » de la société civile et mettent en perspective les statistiques de la région avec ce qui peut se passer dans les démocraties occidentales, avec l’idée d’un « rattrapage » des pays de l’Est par rapport à l’Europe occidentale30 . Si elles ne sont pas inintéressantes en soi, ces démarches ne permettent pas d’appréhender les acteurs eux-mêmes, leur mode de fonctionnement interne, leurs objectifs, les moyens humains et financiers qu’ils mobilisent pour les atteindre et les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Le propos de notre recherche consistant à interroger les effets de l’intégration européenne en termes organisationnels, nous avons fait le choix de nous départir du concept de société civile pour privilégier celui de « secteur associatif ». Nous avons ainsi la volonté de mettre davantage l’accent sur les logiques organisationnelles de transformation internes du secteur que sur son rôle de contrepouvoir et sa capacité de participation aux processus décisionnels. Pour réaliser cette recherche, nous avons choisi d’utiliser la définition du secteur associatif résultant de l’enquête réalisée dans le cadre du programme John Hopkins de comparaison internationale du secteur dans 22 pays. Il en ressort que les entités qui le composent partagent cinq caractéristiques essentielles qui nous autorisent à en parler comme d’un secteur social à part entière : Tout d'abord, ce sont des organisations, c’est-à-dire qu’elles ont une identité institutionnelle. Deuxièmement, elles sont privées, c'est à dire qu’elles ne font pas partie de l'appareil de l'Etat. Troisièmement, elles sont sans but lucratif, elles peuvent réaliser des profits, mais elles ne les distribuent pas à leurs propriétaires ou administrateurs. Quatrièmement, elles sont autonomes, c'est à dire qu'elles jouissent d'un degré                                                                                                                 28 MOLNAR, M., op. cit., p.65 29 PIROTTE, G., « La société civile roumaine post-communiste », Autrepart, vol.4, n°48, 2008, p.154 30 MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), Developments in Central and East European politics, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2007, p.227
  • 15.   10   significatif d'autonomie par rapport à l’Etat. Enfin, elles sont volontaires, la participation en leur sein n'est pas obligatoire et elles mobilisent les énergies et les ressources des personnes librement données31 . En rappelant les conditions nécessaires à l’existence des organisations composant le secteur associatif, cette définition présente l’intérêt de placer leurs caractéristiques organisationnelles au centre de l’analyse et nous permet ainsi de les distinguer d’autres groupements. Celles-ci doivent d’abord se constituer de façon indépendante par rapport à l’Etat. Leurs membres ne sont donc ni rémunérés par celui-ci ni recrutés sur base de concours. Leur caractère volontaire implique ensuite que ces organisations résultent d’un acte délibéré et intentionnel. Cette caractéristique ne fait donc pas référence à l’absence de personnel rémunéré en leur sein mais à l’absence de contraintes ayant précédé leur formation. Enfin, elles doivent être institutionnalisées et généralisées au travers de lois garantissant leur existence. Face à la spécificité de la loi polonaise concernant le statut des membres du secteur associatif, nous aimerions préciser cette définition à l’aide du critère juridique. D’une part, deux lois principales réglementent aujourd’hui le secteur associatif en Pologne. Il s’agit des lois de 1984 et de 1990 qui introduisent respectivement le statut de fondation (fundacja) et d’association (stowarzyszenia) 32 . L’absence de législation concernant les associations jusqu’en 1990 a entraîné pendant plusieurs années un usage assez lâche de la catégorie des fondations, introduisant une confusion entre ce statut et celui des associations civiques. L’appellation « fondation » recouvrait alors souvent une organisation qui relevait de la catégorie des associations. Cela a faussé la répartition des organisations selon leur statut mais aussi selon leurs fonctions, « les associations étant censées fournir des services d’utilité sociale à leurs membres alors que les fondations soutiennent les initiatives civiques33 ». D’autre part, il est important de souligner que les nouveaux dispositifs juridiques relatifs à la liberté d’association établis au début des années 1990 reposent sur une distinction entre le statut des associations civiques et celui des congrégations religieuses d’une part, et des partis politiques d’autre part. Alors que dans certains pays, comme en France, les partis politiques ont relevé pendant longtemps de la seule loi de 1901 sur les associations, le système polonais                                                                                                                 31 Cité in MAYER, N., BELORGEY, J-M., JEANTET, T. et al., Les associations et l’Europe en devenir, Paris, Documentation française, 2001, p.67 32 LES, E., The voluntary sector in post-communist East Central Europe: from small circles of freedom to civil society, Washington, CIVICUS, 1994, pp.23-24 33 DEVAUX, S. (dir.), Les nouveaux militantismes dans l’Europe élargie, Paris, L’Harmattan, 2005, p.81
  • 16.   11   a rapidement distingué les deux types de regroupements34 . Selon Sandrine Devaux, « cela tient à l’amalgame qu’avait produit l’usage politique des organisations sociales sous le système communiste35 ». En employant le terme de secteur associatif, nous renverrons donc aux formes légales des associations et des fondations, excluant de ce fait de notre champ d’analyse les syndicats, les organisations professionnelles, les partis politiques ou les organismes confessionnels, ces derniers faisant l’objet d’une autre législation36 . C’est à l’évolution du rôle et de la place du secteur associatif sur la scène polonaise depuis la « chute » du régime communiste que la prochaine section sera consacrée. 2. LE SECTEUR ASSOCIATIF POLONAIS : SON HISTOIRE, SES SPECIFICITES Loin d’être « un phénomène post-198937 », le paysage associatif de la Pologne communiste ne se limitait pas aux organisations de masse centralisées. Au-delà des organisations formelles et professionnelles contrôlées par l’Etat38 , la vie associative se composait également d’un secteur partiellement indépendant d’organisations politiques, religieuses et culturelles informelles39 . Un nombre non négligeable d’organisations pré- communistes ont en effet survécu sous le régime communiste au niveau local, principalement dans le domaine des loisirs, de l’éducation et de la culture, sans avoir à subir d’ingérence politique directe40 . La Pologne a par ailleurs connu à plusieurs reprises d’importantes mobilisations « par le bas » par les différents segments de la société (travailleurs, étudiants, intellectuels, paysans, catholiques) revendiquant une plus grande autonomie des organisations existantes. En 1980, celles-ci aboutissent à l'émergence du mouvement Solidarność et à sa suppression en 1981. Cette vie sociale non étatique ne constituait pas pour autant une sphère pleinement autonome de la sphère politique et régie par un cadre légal garantissant son                                                                                                                 34 HEURTAUX, J., « Démocratisation en Pologne: la première loi sur les partis (1989-1990) », Critique Internationale, n°30, 2006, pp.171-172 35 DEVAUX, S., op. cit., p.75 36 ABELE, C., Civil society assistance in Central and Eastern Europe. The cases of Poland and Slovakia, PhD thesis, Humboldt University, Berlin. 2006, p.154 37 REGULSKA, J., « NGOs and Their Vulnerabilities During the Time of Transition. The Case of Poland », Voluntas, vol.10, n°1, 1999, pp.61-71 38 Parmi celles-ci, on retrouve des organisations de jeunesse, des syndicats, des associations professionnelles, des clubs de sport, des organisations de loisirs et de détente, … 39 Parmi celles-ci, on retrouve des structures souterraines du mouvement Solidarnosc, des organisations religieuses, des droits de l’homme, des membres de l’opposition politique illégale, des mouvements artistiques et culturels, … 40 Pour une présentation de ces organisations, voir GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Polish Tradition of Self-organization, Social Capital and the Challenge of Europeanisation » in FRAN, A. (ed.), Social Capital and Governance, Berlin, Lit Verlag, 2006, pp.255-256
  • 17.   12   existence. Ce qui a changé avec la « chute » du régime communiste, c’est donc sa nature et son ampleur. Sur la base de la littérature sur le secteur associatif polonais dans les vingt dernières années, il est possible de conclure à l’existence de plusieurs grandes tendances qui ont jalonné la recomposition de celui-ci depuis 1989. Nous en relèverons trois : la première correspond, au début des années 1990, à la prolifération des structures associatives suite au recouvrement de la liberté d’association. La seconde renvoie à la détérioration de l’Etat providence socialiste. Face aux vides institutionnels conséquents dans le système de protection sociale et le déclin de la couverture des services pendant la transition, les organisations composant le secteur deviennent des compléments à l’Etat. Enfin, les donateurs étrangers et les organisations internationales comme l’Union européenne ont également joué un rôle important dans la recomposition du secteur, leurs financements étant devenus une source essentielle de revenus. 2.1. Le secteur associatif polonais en chiffres Les premières années de la transition en Pologne ont été marquées par un processus de reconstitution et de recomposition du secteur associatif. Celui-ci se traduit par l’adaptation des organisations sociales héritées du régime communiste au nouveau contexte démocratique d’une part, et par l’émergence rapide de nouvelles organisations dans tous les secteur de la vie associative d’autre part41 . Aux quelques organisations autorisées par le gouvernement polonais a succédé dans les années 1990, suite au recouvrement de la liberté d’association, ce que Gauthier Pirotte appelle « une floraison associative42 ». C’est dans les premières années post-communistes que le taux de croissance du nombre d’organisations est en effet le plus élevé. On observe ainsi une croissance de 400% du nombre d’ONG enregistrées entre 1989 et 199343 . La croissance se stabilise à partir de 1994 et le pays compte environ 53 000 ONG enregistrées (45 891 associations et 7 210 fondations) en 2004, date à laquelle l’étude nationale la plus récente a été réalisée44 . C’est le constat de cette croissance rapide du nombre                                                                                                                 41 Dans le cas de la Pologne, on observe l’apparition d’un large spectre d’ONG, de fondation, d’organisation de charité, religieuses et de défense des minorités ethniques. 42 PIROTTE, G., loc. cit., p.158 43 EKIERT, G., FOA, R., « Civil Society Weakness in Post-Communist Europe: A Preliminary Assessment », Carlos Alberto Notebooks, n°198, 2011, pp.24-25 44 Ces données proviennent d’un sondage organisé par la Klon / Jawor Association, la principale organisation de recherche sur le secteur sans but lucratif en Pologne. NGO in Poland – basic facts, Warsaw, Klon/Jawor Association, 2004, disponible sur http://www.ngo.pl/files/01english.ngo.pl/public/Basic_facts_2004.pdf (page consultée le 14 juillet 2013). Il s’agit de préciser que le sondage sur lequel reposent ces données se concentre principalement sur les organisations constituées en associations et en fondations privées. Ces chiffres n’incluent
  • 18.   13   d’associations et de fondations peu après la « chute » du régime qui est à l’origine de l’enthousiasme des premiers travaux face à ce qui est souvent décrit comme le « réveil naturel des sociétés civiles 45 ». Mais cet enthousiasme est vite retombé passé la période d’émerveillement de la fin des régimes communistes et du début de la période de transition. Et c’est une lecture quelque peu « désenchantée46 » qui semble avoir dominé la littérature par la suite. Les changements ayant affecté le secteur associatif en Europe centrale et orientale à la suite de la « chute » du communisme ont entraîné une multitude de travaux, reflétant des influences théoriques d’une grande diversité. De manière générale, il est toutefois possible d’identifier deux types d’approche dominant cette littérature. Celles-ci se distinguent principalement par la manière de mesurer la nature des changements affectant ce secteur dans les anciennes Républiques populaires. Alors que les auteurs se rattachant à la première interprètent ces changements récents en termes quantitatifs et développent dès lors une lecture quelque peu pessimiste de ces derniers47 , ceux s’inscrivant dans la seconde tendent à l’inverse à insister sur l’importance de ce qui se trouve sous les statistiques. Les auteurs appartenant à cette deuxième catégorie adoptent ainsi une approche dite plus « qualitative » du phénomène de recomposition du secteur associatif, plaçant la focale sur les acteurs, leurs objectifs et les enjeux auxquels ils doivent faire face48 . Les études quantitatives reposent généralement sur un des deux indicateurs suivants : le nombre d’organisations non-gouvernementales (ONG) ou le niveau de participation des citoyens 49 . Si chacun vient nourrir cette idée de faiblesse du secteur mentionnée précédemment, c’est surtout le deuxième qui est source d’inquiétude. En effet, en termes de nombre d’ONG, « Central and Eastern Europe seems to have a fairly vibrant civil society50 ». Ainsi, entre 1992 et 1997, le nombre de fondations a presque doublé en Pologne, et le nombre d’associations quadruplé51 .                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           donc pas les syndicats, les partis politiques, les associations religieuses, les pompiers volontaires, les comités de parents et d’autres types d’associations informelles qui auraient considérablement augmenté ce résultat. 45 MOLNAR, M., op. cit., p.65 46 PIROTTE, G., loc. cit., p.154 47 HOWARD, M., The weakness of civil society in post-Communist Europe, New-York, Cambridge University Press, 2003 ; COLAS, D., op. cit., pp.29-55 ; GLENN, J., Framing Democracy : Civil Society and Civic Movement in Easter, Europe, Stanford. CA, Stanford University Press, 2001 48 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., pp.1-45 ; MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., pp.213-228 ; PIROTTE, G., loc. cit., pp.153-164 49 MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.216 50 Ibidem. 51 LES, E., « Defining the Nonprofit Sector: Poland », Working Papers of the Johns Hopkins Comparative Nonprofit Sector Project, n°36, edited by SALAMON, L., ANHEIER, Baltimore, The Johns Hopkins Center for Civil Society Studies, 2000, p.12
  • 19.   14   Toutefois, cette croissance du nombre d’ONG enregistrées n’est désormais plus considérée par les chercheurs comme un indicateur pertinent de l’état réel du secteur dans la région. Le cas de la Pologne est assez exemplaire à cet égard puisque, comme le rappelle Anna Gasor-Niemiec et Piotr Glinski dans leur étude sur l’européanisation de la société civile polonaise, on peut supposer que « more than ¼ of the NGOs registered in Poland are not functioning or are even non-existent (…)52 ». C’est dès lors davantage sur le taux de participation à la vie associative que la majorité des auteurs se basent pour dénoncer la faiblesse de la société civile en Europe centrale et orientale53 . Qu’il s’agisse d’une étude basée sur les European Value Surveys (EVS) ou sur le World Values Survey (WVS), « the degree of activity and membership of civil society organizations in Central and Eastern Europe is extremely low, both in absolute and relative terms54 ». Si l’adhésion aux organisations non-gouvernementales passe de 5,5% de la population en 1990 à 13,7% en 1995 et 16% en 199755 , certaines données suggèrent que le taux d’adhésion aux organisations est exceptionnellement bas en Pologne aujourd’hui en comparaison avec les pays de l’Europe de l’ouest mais aussi avec les autres pays postcommunistes56 . Par exemple, selon le European Social Survey 2005, seuls 5% de la population déclarait appartenir à une organisation sportive, artistique ou caritative pour 31,9% en Finlande et 21,2% en Autriche. En République tchèque, 9,8% des répondants déclarent être membres de telles organisations57 . En termes de taux d’adhésion et de participation, la vie associative polonaise se retrouve au bas des classements internationaux58 . C’est sous l’angle de l’ensemble de ces données que la période postcommuniste a                                                                                                                 52 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Europeanization of Civil Society in Poland », Rev. Soc. Polit., vol.14, n°1, 2007, p.32 53 A titre d’exemple de travaux se plaçant dans cette perspective, on peut retenir : ROSE-ACKERMAN, S., From Elections to Democracy : Building Accountable Government in Hungary and Poland, Cambridge and New Yord, Cambridge University Press, 2005 ; BASHIKOROVA, E., « Political Participation in Central and Eastern Europe. Results of the 1999 European Values Surveys » in FUCHS D., ROLLER, E., WESSELS, B. (eds.), Burger und Demokratie in Ost und West : Studien zur politischen Kultur und zum politischen Prozess. Festschrift fur Hans-Dieter Klingemann. Opladen : Westdeutscher, 2002, pp.319-322 54 MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.217 55 GLINSKI, P., « The Development of the Third Sector in Poland – The relationship between the Third Sector and Other Sectors », Conference paper at the 1999 Voluntas Symposium : Ten Years After : Civil Society and the Third Sector in Central and Eastern Europe. Prague, October 15-16, 1999, p.9 56 HOWARD, M., op. cit., p.58 57 Cité dans EKIERT, G., KUBIK, J., WENZEL, M., « Civil Society in Poland after the fall of communism : A diachronic perspective », Paper presented at the 20th International Conference of Europeanists, Amsterdam, 25- 27 June 2013, p.11 58 Pour une étude générale et plus approfondie sur le sujet, voir JASINSKA-KANIA, A., MARODY, M. (eds.), Poles among Europeans, Warszawa, Wydawnictwo Naukowe Scholar, 2004 ; GAWIN, D., GLINSKI, P. (eds.), Civil society in the making, Warsaw, IFiS Publishers, 2006 ; GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Polish Tradition of Self-organization, Social Capital and the Challenge of Europeanisation » in FRAN, A. (ed.), op. cit., pp.237-266
  • 20.   15   généralement été étudiée comme celle d’un secteur associatif en pleine reconstruction particulièrement faible. Bien que continuant à imprégner de nombreux travaux, les lectures quantitatives du secteur associatif ont été l’objet de vives critiques ces dernières années59 . Elles ont notamment été remises en cause par des auteurs qui, refusant d’interpréter les changements récents en ne prenant en compte que le poids numérique des organisations ou leur nombre de membres, considèrent, pour reprendre les termes d’Ekiert, qu’une telle approche ne permet de développer qu’« une vision unidimensionnelle60 » de la vie associative. Seule l’étude de différentes dimensions de la vie associative à l’aide de sources variées – autres que les sondages d’opinion publique – permet d’abandonner les généralisations au sujet de la faiblesse des organisations du secteur associatif post-communiste61 . Dans cette perspective, une attention particulière est accordée aux acteurs eux-mêmes, à leurs objectifs et aux difficultés auxquelles ils sont confrontés. Cherchant à adopter une démarche dite « qualitative », ces auteurs s’attachent plus spécifiquement à débattre de la question de la vie associative dans son contexte politique et social plus large. Ils examinent ainsi les logique internes – stratégies des acteurs répondant à la nouvelle donne économique, politique ou sociale postcommuniste –, mais aussi externes – politiques de soutien à certaines organisations du secteur par les partenaires occidentaux –, à la jonction desquelles elle se trouve62 . C’est dans cette dernière tendance que nous aimerions inscrire la présente recherche. 2.2. De l’association civique à la gestion du social postcommuniste Cette prolifération associative « post-1989 » doit s’appréhender en tenant compte d’un autre changement, celui du déclin de l’Etat providence socialiste. Les vides institutionnels conséquents dans le système de protection sociale et le déclin de la couverture des services pendant la transition ont en effet largement façonné la reconstruction du secteur associatif, composé initialement des organisations existant déjà sous le régime communiste ou tolérées par ce dernier d’une part, et des associations civiques des premières heures postcommunistes d’autre part63 . Ce repli aboutit au développement d’un secteur associatif cherchant à « répondre aux défaillances du marché et de l’Etat dans l’approvisionnement de services                                                                                                                 59 Pour une critique rigoureuse des approches quantitatives, voir l’ouvrage de KOPECKI, P., MUDDE, C. (eds.), Uncivil Society ? Contentious politics in post-communist Europe, London, Routledge, 2005 60 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.37 61 Ibid., p.38 62 PIROTTE, G., loc. cit., p.155 63 LES, E., loc. cit., p.20
  • 21.   16   sociaux et l’accès à un minimum de bien-être pour tous64 » et prenant en charge les coûts sociaux de la transition, sans toutefois que celui-ci soit considéré comme un secteur autonome pour autant65 . Contrairement à la situation observée chez son voisin roumain66 , la fin du régime communiste en Pologne a été marquée par la structuration et le renforcement d’un réseau d’organisations contestataires – généralement qualifiées d’associations civiques67 – capable d’exercer une pression sur l’appareil d’Etat68 . Comme évoqué précédemment, ce qui différencie la Pologne, comme la Hongrie, des autres pays de la région c’est l’existence d’un secteur partiellement indépendant d’organisations politiques, religieuses et culturelles informelles. Cette vie associative relativement autonome ainsi que les interventions de l’Eglise catholique – principale force d’opposition au système communiste qui devint par la suite un acteur essentiel dans la renaissance du secteur en Pologne69 – influencèrent directement le mode de démocratisation et de transfert du pouvoir en 1989 qui prit, en Pologne comme en Hongrie, la forme d’une transition négociée70 . De nos jours, beaucoup de ces associations citoyennes ou de « révolutionnaires » ont disparu. Mais celles qui sont restées actives au sein de la société locale ont subi une évolution intéressante. De manière générale, l’augmentation constante du nombre d’organisations au cours des deux dernières décennies s’est en effet doublée de changements importants dans la composition sectorielle de ces dernières, entraînant ainsi la fragmentation et la spécialisation du secteur associatif71 . Les données polonaises reflètent cette tendance. Un examen de la composition du secteur associatif en Pologne entre 1996 et 1997 révèle que la plus grande partie des organisations sont actives dans le domaine des services sociaux (51%), les soins de santé et l’assistance sociale y constituant leur champ d’activité principal, suivis par la jeunesse, la culture et l'éducation (24%), le développement local et régional (17%), et le                                                                                                                 64 PIROTTE, G., loc. cti., p.162 65 LES, E., loc. cit., pp.20-21 66 PIROTTE, G., loc. cit., p.155 67 Par association civique, il faut entendre des groupements qui se mobilisent autour de la question des droits (politiques, économiques, sociaux et culturels) des citoyens et de leur statut. 68 POTEL, J-Y., « Solidarnosc. La société en dissidence » in BAFOIL, F. (dir.), La Pologne, Fayard, 2007, p.229 69 FAMULICKI, J-C., « La société et l'Eglise catholique en Pologne », Matériaux pour l'histoire de notre temps, 2001, n°61- 62. pp. 80-87 70 MILLARD, F., « The Czech Republic, Hungary and Poland », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.37 71 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.27
  • 22.   17   développement économique (10%). Les activités liées aux sports et aux loisirs constituent d’autres domaines d’activité importants72 . Dans ce contexte, comme l’explique Grzegorz Ekiert, « the majority of organizations are no longer ever single-issue organizations73 ». Il s’agit plutôt des petites cellules spécialisées dans un domaine de compétences, engageant des professionnels et développant un rapport de service auprès des populations bénéficiaires. Le secteur offre ainsi des nouvelles opportunités d’emplois notamment pour les jeunes diplômés universitaires. Toutefois, les services individuels fournis par ce dernier doivent rester compétitifs par rapport aux anciens services fournis par l’Etat. Faute de récoltes suffisantes de fonds locaux, une telle évolution est donc souvent jugée responsable de la dépendance accrue des organisations aux fonds octroyés par l’Etat, l’administration locale ou les acteurs extérieurs74 . 2.3. La dépendance aux donateurs étrangers Cette situation fait donc apparaître une caractéristique importante du secteur associatif polonais. L’analyse de son évolution révèle la création d’un réseau d’organisations répondant certes à certains besoins de la société polonaise postcommuniste mais tout en restant financièrement dépendant des fonds occidentaux. En effet, si la fin des années 1980 est marquée par une vague d’autonomisation financière à l’égard des instances étatiques75 , on observe, de manière presque concomitante, la mise en place de politiques de soutien aux acteurs de la société civile par les partenaires occidentaux. L’Eglise joue également un rôle déterminant dans la renaissance du secteur en Pologne en devenant tour à tour pour les organisations qui le composent un fondateur, un commanditaire ou un partenaire 76 . Totalement dépendants des ressources financières fournies par le gouvernement sous le régime communiste77 , les acteurs associatifs ne sont plus contraints, au début de la transformation, de se tourner vers l’Etat qui, suite au mouvement de libéralisation de l’économie, n’a plus le monopole de la distribution des ressources financières78 .                                                                                                                 72 Ces données proviennent d’un sondage organisé par la Klon / Jawor Association, la principale organisation de recherche sur le secteur sans but lucratif en Pologne. NGO in Poland – basic facts, Waesaw, Klon/Jawor Association, 2004, disponible sur http://www.ngo.pl/files/01english.ngo.pl/public/Basic_facts_2004.pdf (page consultée le 14 juillet 2013). 73 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.22 74 PIROTTE, G., loc. cti., p.161 75 PACZESNIAK, A., « Les relations entre l’administration publique et les ONG après l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol.40, n°2, 2009, p.114 76 LES, E., op. cit., p.39 77 Il s’agit ici de mentionner l’exception que constituent les organisations religieuses qui ont toujours bénéficié d’une autonomie interne. 78 LES, E., loc. cit., p.11
  • 23.   18   Face à la prolifération associative des premiers mois de la transition, les partenaires occidentaux mettent ainsi en place « des politiques de renforcement des nouveaux acteurs de la société civile79 ». L'Union européenne, la Banque mondiale et les Etats-Unis deviennent parmi les principaux bailleurs de fonds en Europe centrale et orientale, même si le pourcentage du budget de l'aide américaine et européenne à la démocratie réservée à la société civile n'était pas particulièrement élevé80 . La Pologne devint ainsi un des principaux bénéficiaires de l'aide occidentale dans la région81 et les organisations polonaises ont pu, dans un premier temps, « s’exprimer et accomplir leur mission sans trop se préoccuper des questions économiques82 ». Si les années 1990 sont marquées par l’intervention d’organisations étrangères telles que l’Open Society Institute (OSI) ou l’United States Agency for International Development (USAID)83 , l’arrivée des fonds européens avec l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE à la fin de la décennie a provoqué le départ progressif des bailleurs de fonds américains vers des destinataires encore plus à l’Est. Le budget du programme d’aide communautaire aux Pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en vue de leur adhésion – Poland and Hungary Aid for Reconstruction of Economy (PHARE) – prévoyait une ligne accordée au soutien à la société civile. Toutefois, ces programmes européens de financement se sont montrés très sélectifs et, à la fin des années 1990, on trouve une répartition des revenus en circulation au sein du secteur ONG polonais pour le moins inégalitaire. Les procédures d’octroi varient en effet d’un donateur à l’autre. Alors que les Américains concèdent les fonds en amont du projet, l’UE ne les libère qu’une fois celui-ci accompli. Or, face à ce système de remboursement de projets, les organisations polonaises ne sont pas capables d’avancer les fonds financièrement. En effet, seuls 20% des organisations polonaises ont des réserves financières, le reste du secteur ne présentant aucun actif significatif84 . Parallèlement, le secteur associatif polonais présente une                                                                                                                 79 PIROTTE, G., loc. cit., p.159 80 L’aide directe accordée aux ONG par l’USAID et l’UE constitue un objet financier mineur qui représente moins de 2% de l'aide globale accordée : RAIK, K., Promoting Democracy through Civil Society : How to Step Up the EU’s Policy towards the Eastern Neighbourhood, Brussels, Centre for European Policy Studies, CEPS Working Document 237, 2006, p.15 81 WEDEL, J., Collision and Collusion – The strange case of Western aid to Eastern Europe 1989 – 1998, New York, St. Martin’s Press, 1998, p.205. 82 PACZESNIAK, A., loc. cit., p.115 83 Entre 1990 et 2000, l’USAID a ainsi dépensé un budget de 128 millions de dollars pour financer le développement des ONG en Pologne : ABELE, C., Civil society assistance in Central and Eastern Europe. The cases of Poland and Slovakia, PhD thesis, Humboldt University, Berlin. 2006, p.329 84 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.32
  • 24.   19   faiblesse récurrente à développer des activités génératrices de revenus et la situation économique de celui-ci, déjà médiocre, s’est détériorée au fil des ans85 . Ainsi, étant donné la nature erratique et à court-terme de l’aide financière extérieure, c’est donc de manière presque inévitable que le problème de la viabilité financière se pose dès 199886 . La totale indépendance du secteur associatif est donc une utopie du point de vue financier et 35 % des revenus des ONG proviennent de fonds publics (soit des collectivités locales soit de l’État) au tournant des années 200087 . Cependant, certains auteurs insistent sur la nécessité de relativiser l’importance de leur rôle dans le développement du secteur associatif, la récolte des fonds locaux demeurant toujours un exercice délicat en Pologne88 . Outre le scepticisme des organisations du secteur associatif à l’égard des financements étatiques dès le début des transformations, qui redoutent de perdre une indépendance récemment gagnée, le flou du cadre légal régissant les relations entre le secteur associatif et étatique permet également de relativiser l’importance du rôle de l’Etat dans le développement du secteur non-gouvernemental. La plupart des dispositions fiscales et financières ayant été introduites furent généralement soit supprimées peu de temps après soit rendues inapplicables par des procédures bureaucratiques89 . Ainsi, comme l’explique Anna Paczesniak, « la collaboration entre les ONG et les pouvoirs locaux se limite, dans le meilleur des cas, à des exonérations fiscales ou à l’attribution de locaux plutôt qu’au versement concret de fonds. Rares sont ceux qui se décident à déterminer le montant à affecter au financement des ONG90 ». De tels comportements se soldent dès lors par « la faiblesse des ressources financières allouées par les budgets municipaux pour soutenir le fonctionnement des ONG (…)91 ». Enfin, pour favoriser le don aux associations, la loi polonaise de 2003 « sur les activités d’utilité publique et le volontariat » (Ustawa o działano ci, 2003)92 permet à présent au contribuable de verser jusqu’à 1% de son imposition aux ONG locales. Mais en 2004, seulement 80 000 contribuables, soit environ 0,25% des polonais adultes et 0,35% des contribuables, ont eu recours à cette option93 .                                                                                                                 85 Le budget de la moitié des ONG est passé de 19 000 PLN (nouveaux zlotys) en 2001 à 13 000 PLN en 2003 et 10 000 PLN en 2005. 10 % des organisations n’avaient aucun revenu en 2005 et 20 % d’entre elles devaient se contenter d’un budget annuel de 1 000 PLN (environ 300 euros) : PACZESNIAK, A., loc. cit., p.117 86 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.16 87 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.32 88 REGULSKA, J., loc. cit., p.66 89 Ibid., p.67 90 PACZESNIAK, A., loc. cit., pp.118-119 91 Ibidem. 92 Cette loi réglemente la collaboration des institutions étatiques et des collectivités territoriales avec les ONG. 93 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.36
  • 25.   20   Pour résumer, la réorientation des programmes de financements étrangers de soutien à la société civile vers d’autres pays, à laquelle s’ajoute la rareté et la parcimonie des fonds publics polonais marque le début d’une nouvelle problématique : trouver des fonds. L’une des principales pistes pour les acteurs de la société civile au tournant des années 2000 réside alors dans les fonds structurels européens94 . Le rapport « NGO sustainability Index 2004 » de l’USAID explique ainsi que « more and more organizations have (…) great expectations of EU funding that has come available – more than 70% say that they plan to submit proposals95 ». Or, « the capacity of the organisation to secure sustainable sources of income96 » est souvent décrite comme une composante essentielle de sa professionnalisation dans la mesure où les compétences demandées par ces organisations deviennent de plus en plus précises et techniques97 . La soumission à l’agenda des donateurs constituant un des seuls moyens de subsistance de ces organisations, ces dernières se perfectionnent en vue d’être dans les critères d’octroi des fonds et des différentes subventions. Ainsi, pour la Pologne, comme pour d’autres pays postcommunistes, on peut supposer, comme le souligne Grzegorz Ekiert, que le processus d'élargissement de l'UE a constitué un tournant critique dans le modèle de transformation des organisations de la société civile98 . Il rejoint en cela l’analyse de Rosa Sanchez-Salgado selon laquelle les pressions européennes sont plus importantes lorsque les organisations ne sont pas encore parvenues à développer une dynamique de croissance stable. Or, le secteur associatif n’était encore qu’au début de sa recomposition lorsque la Pologne commence son chemin vers l’adhésion. Par conséquent, il lui était impossible, si l’on suit le raisonnement de Rosa Sanchez-Salgado, d’absorber les opportunités européennes sans que leur propre dynamique de développement n’en soit modifiée. Le propos de notre recherche consistant à interroger les effets des programmes de financements européens sur les recompositions organisationnelles internes du secteur associatif en termes de professionnalisation, c’est sur ce point que portera le prochain chapitre.                                                                                                                 94 Voir le programme des fonds structurels européens: http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docoffic/official/regulation/newreg/-10713_fr.htm (page consultée le 8 juin 2013) 95 USAID [2004], The 2003 NGO Sustainability Index Report, Washington, USAID, pp.196-197 96 FAGAN, A., « The new Kids on the block – Building environmental governance in the Western Balkans », Acta Politica, vol.45, n°1/2, 2010, p.215 97 PIROTTE, G., « La greffe d’une société civile en Europe de l’Est et en Afrique subsaharienne. Réflexions à partir d’expériences transitionnelles en Roumanie et au Bénin », Civil society network workshop, Allocution à la Maison des sciences de l’Homme, Paris, 12-14 juin 2003. Disponible à l’adresse URL suivante http://cisonet.wzb.eu/download/workshop12-140603pirotte.pdf (page consultée le 17 juillet 2013) 98 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.21
  • 26.   21   II. La professionnalisation comme angle d’approche du secteur associatif polonais L’objet de notre recherche est d’étudier les effets de l’intégration européenne sur le secteur associatif dans une optique organisationnelle. Nous l’avons vu, répondre à cette question implique d’en restituer l’étude dans le cadre d’une démarche scientifique allant au- delà des considérations de faiblesse du secteur. En se démarquant des visions normatives pour étudier les enjeux qui marquent l’évolution du monde associatif depuis la « chute » du régime communiste, une telle approche permet en effet de mettre à jour l’enjeu sous l’angle duquel nous souhaitons aborder ce secteur : celui de l’impact des opportunités de financements européens. Dans cette optique, l’apport théorique du concept de « professionnalisation » nous permettra d’aborder l’analyse du secteur associatif de Wroclaw sous l’angle des logiques organisationnelles de sa recomposition. Il convient donc maintenant de présenter l’outil que nous utiliserons comme cadre et comme référence théorique à notre étude de cas. Le terme « professionnalisation » pouvant avoir de multiples acceptions d’une étude à l’autre99 , nous nous attacherons dans un premier temps à préciser le sens qui lui sera conféré ici. Il conviendra, dans un deuxième temps, de questionner les liens entre les opportunités de financements européens et la professionnalisation de leurs bénéficiaires dans le monde associatif, ceux-ci étant généralement davantage considérés – comme nous le verrons plus en détail dans la suite de ce chapitre – comme des volontaires ou des activistes. Autrement dit, il s’agira de poser la question de savoir dans quelle mesure ce processus de professionnalisation peut être attribuable aux opportunités de financements européens. 1. QU’EST-CE QUE LA PROFESSIONNALISATION? Le concept de « professionnalisation » est souvent évoqué lorsque l’on traite de l’évolution du secteur associatif100 . Loin d’avoir été initialement forgé par les chercheurs désireux de saisir les transformations à l’œuvre dans les secteurs associatifs « post- communistes », la notion a en effet été mobilisée auparavant à l’égard de phénomènes sociaux se développant dans des contextes socio-politiques variables. La conceptualisation du terme                                                                                                                 99 LE NAËLOU, A., « Pour comprendre la professionnalisation dans les ONG : quelques apports d'une sociologie des professions », Revue Tiers Monde, n° 180, 2004/4, pp.777 100 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., « Quelle professionnalisation pour le monde associatif ?. Entretien avec Matthieu Hély », La Vie des idées, 25 novembre 2011. Disponible à l’adresse URL suivant: http://www.laviedesidees.fr/Quelle-professionnalisation-pour.html (page consultée le 15 avril 2013), pas de pagination
  • 27.   22   dans la littérature portant sur ce secteur fait son apparition à la fin des années 1980. Les travaux sur la question se développent alors surtout à propos de l’étude des ONG dans l’hémisphère nord, plaçant la focale sur les organisations actives dans l’humanitaire et le développement international101 . La réduction du périmètre d’intervention de l’Etat social et la libéralisation de la société civile dans les années 1980102 , suivis par le mouvement de salarisation et la croissance de leurs capacités organisationnelles sont autant d’éléments sur lesquels s’est construite la théorisation du mouvement de professionnalisation du secteur associatif. Bien que l’émergence et le développement d’un phénomène de professionnalisation aient suscité une attention soutenue de la communauté scientifique, certains axes de réflexion concernant la définition de la professionnalisation ainsi que les raisons de son renforcement restent controversés. C’est donc ce dernier point qu’entend développer cette première section. 1.1. Les origines wébériennes d’un concept Les travaux du sociologue allemand Max Weber sont fondateurs pour l’étude de la professionnalisation et l’analyse de celle-ci comme un fait social103 . C’est Weber le premier qui, suivi par Talcott Parsons, souligne l’importance des professions dans la société occidentale moderne, et définit le processus de professionnalisation comme « le passage d’un ordre social traditionnel à un ordre social où le statut de chacun dépend des tâches qu’il accomplit, et où elles sont allouées selon les critères « rationnels » de compétence et de spécialisation104 ». Cette définition est le résultat d’une étude sur l’apparition de la politique comme activité professionnelle spécifique au début du 20e siècle, dans laquelle Weber y décrit la professionnalisation des élus comme un processus par lequel des acteurs vivant « pour » la politique en arrivent à vivre « de » celle-ci. Malgré la nature différente de notre objet d’étude, le concept de la professionnalisation politique issu de la sociologie wébérienne et interactionniste pose un élément essentiel à notre travail. Il permet en effet l’étude de l’émergence de nouvelles catégories d’acteurs que plusieurs éléments viennent spécifier : des intérêts propres (liés à ceux de leurs bénéficiaires),                                                                                                                 101 LEWIS, D., The management of NGDOs : An introduction, London, Routledge, 2001 ; FROELICH, A., « Diversification of revenue strategies : Evolving resources dependence in nonprofit organizations », Nonprofit and Voluntary Sector Quaterly, n°28, 1999, pp.246-268 ; DAUVIN, P., SIMEANT, J., Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp.113-132 102 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit. 103 WEBER Max, Le savant et le politique, Préface de Raymond Aron, Paris, Editions 10-18, 1996 (1ère édition originale 1919) 104 BOUDON, R., BOURRICAUD, F., Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, 2011, p.472
  • 28.   23   de nouvelles conceptions des formes de l’action, de nouveaux types de compétences, de savoir-faire et de ressources (ajustés aux spécificités de l’action associative financée par les donateurs internationaux et découlant aussi des trajectoires et propriétés qui sont les leurs) et de nouvelles carrières professionnelles. Comme le montrent les études sur les acteurs associatifs, certains d’entre eux deviennent en effet des « spécialistes » et vivent de leur activité au sein du secteur. On observe ainsi le recul du bénévolat105 au profit de formes salariées d’activité et d’une valorisation d’un panel de compétences diverses nécessaires au fonctionnement de l’organisation Bien que le concept serve désormais de point d’appui aux études visant à étudier des processus par lesquels se différencient des espaces de l’activité sociale ou politique, il s’agit néanmoins de relever les ambiguïtés intrinsèques au concept lorsque ce dernier se voit appliqué au monde associatif. L’approche fonctionnaliste anglo-saxonne, qui domine la sociologie des groupes professionnels, définit en effet la professionnalisation de certains emplois ou activités (occupations en anglais) comme « le processus historique à travers lequel un groupe professionnel quelconque (occupational group) se fait reconnaître comme une profession, tout en se dotant progressivement des attributs « fonctionnels » de ce type de groupement 106 ». Pour être reconnue comme profession, une occupation doit adopter successivement six caractères : l’exercice à plein temps, une réglementation de l’activité, la formation scientifique des membres avant tout exercice de l’activité par des écoles spécialisées, l’association professionnelle permettant la participation des membres, une protection légale du monopole et un code de déontologie107 . Cette définition du processus de professionnalisation permet de différencier les emplois qualifiés reposant sur des acquis scientifiques, des emplois peu qualifiés, essentiellement pratiques. Selon Wilensky, n’importe quel type d’activité ne peut acquérir l’ensemble de ces attributs. Il considère qu’une spécificité professionnelle est difficilement reconnue comme une discipline universitaire, ce qui rend difficile, voire utopique « la professionnalisation de n’importe qui ». Aussi, « il existe des activités qui peuvent devenir des professions et se référer à des savoirs théoriques et d’autres qui ne le peuvent pas108 ». L’action associative n’étant généralement pas considérée comme aboutissant à l’institutionnalisation d’une profession spécifique, la désignation de ce processus par le terme                                                                                                                 105 Le terme de « bénévolat » fait ici référence à la situation d’une personne qui accomplit un travail gratuitement et sans y être obligée. 106 DUBAR, C., TRIPIER, P., Sociologie des professions, Paris, Armand Colin, 1998, p.90 107 WILENSKY, H., « The professionalization of everyone ? », American Journal of Sociology, n°2, 1964, p.139. Cité dans DUBAR, C., TRIPIER, P., op. cit., p.90 108 DUBAR, C., TRIPIER, P., op. cit., p.91
  • 29.   24   de « professionnalisation » est jugée inappropriée par certains. C’est face à cette ambiguïté conceptuelle que certains auteurs parlent de « professionnalisation sans profession », comme le font Anne Le Naëlou109 et Jean Freyss dans son analyse historique et sociopolitique des mouvements de solidarité internationale en 2004, pour désigner « la mobilisation de professions socialement constituées, chacune ayant, en dehors du monde associatif, son existence propre, son domaine de compétences, [...] son marché du travail110 ». 1.2. Une professionnalisation sans profession ? Face à ces difficultés conceptuelles, Matthieu Hély nous explique – en reprenant les termes de Demazière et Gadéa – que mobiliser la notion de professionnalisation dans l’univers associatif permet d’étudier les dynamiques professionnelles comme « des processus évolutifs, vulnérables, ouverts, instables111 » qui ne conduisent pas nécessairement pour un groupe professionnel à se constituer en une profession au sens strict du terme. On retrouve la même idée dans les travaux de Pascal Ughetto et de Marie-Christine Combes pour qui « la professionnalisation du secteur peut s’entendre de différentes manières qui n’ont que très peu à voir avec les fameuses professions, au sens développé par la sociologie du même nom 112 ». Ainsi, pour le dire autrement, les enjeux liés à l’apparition du mot « professionnalisation » dans l’univers associatif ne concernent pas tant le résultat auquel peut aboutir le processus – la constitution d’une profession – mais surtout ses effets en termes d’efficacité et de mobilisation des personnes dans de nouveaux contextes de travail ainsi que leur capacité à vivre de cette activité113 . Comme l’observent P. Ughetto et M-C. Combes, la professionnalisation désigne alors « soit l’importation de méthodes se voulant professionnelles par opposition à un amateurisme associé aux bénévoles, soit l’embauche de spécialistes [...] dûment formés aux techniques utiles dans les « fonctions » de l’entreprise comme le marketing, la communication, les ressources humaines etc114 ». C’est la raison pour laquelle le terme est fréquemment employé                                                                                                                 109 LE NAËLOU, A., loc. cit., p.775 110 FREYSS, J., « La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambiguïtés de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, vol. 4, n°180, 2004, p.771 111 DEMAZIERE, D., GADEA, C. (dir.), Sociologie des groupes de professionnels, Paris, La Découverte, 2009, p.20 112 MACDONALD, M., The Sociology of the Professions, Londres, Sage, 1995 113 WITTORSKI, R., Professionnalisation et développement professionnel, Paris, L’Harmattan, 2007, pp.21-22 114 UGHETTO, P., COMBES, M-C., « Entre les valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un chaînon manquant ? », Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie, n°5, 2010, mis en ligne le 08 juin 2010. Disponible à l’adresse URL suivante : http://socio-logos.revues.org/2462 (page consultée le 27 avril 2013), pas de pagination
  • 30.   25   comme un équivalent de celui de salarisation115 . Selon Maud Dussuet, il s’agit cependant de deux processus distincts. Le terme de salarisation est souvent interprété comme décrivant « le passage d’un travail bénévole, non rémunéré, à un travail qui, parce qu’il est rétribué par un salaire, serait d’emblée, et dans le même mouvement, reconnu comme professionnel116 ». Or, ce qui différencie le travail professionnel des autres formes de travail, c’est surtout « la mise en œuvre de l’expertise détenue dans un domaine déterminé117 ». Cette acception du terme fait ainsi clairement apparaître que la professionnalisation du monde associatif renvoie prioritairement aux transformations de la pratique du bénévolat, ce processus renvoyant lui-même à une rationalisation et une technicisation118 des activités pratiques et gestionnaires [...]119 . C’est pour cette raison que ce dernier est souvent associé à celui de bureaucratisation. Mais pour l’auteur Sabine Saurugger, il s’agit toutefois de distinguer ces deux termes. S’ils supposent tous deux le développement de connaissances spécialisées, « les systèmes de contrôle auxquels les bureaucrates et les professionnels sont soumis diffèrent120 » : le premier prend la forme d’une hiérarchie, le second celle d’une évaluation par les pairs. Pour résumer, qu’on l’associe à une salarisation ou à une bureaucratisation, l’idée d’une professionnalisation du monde associatif repose avant tout sur la recherche de l’efficacité accrue des actions menées par l’organisation et donc sur le recul des pratiques bénévoles généralement associées à de l’amateurisme. De manière générale, comme le résume Ughetto et Combes, « professionnalisation » s’oppose surtout à « amateur » – « c’est- à-dire à l’ignorance ou à l’empirisme de celui qui pratique l’activité de manière occasionnelle et sans préoccupation d’efficacité ou de rendement » – et devient synonyme de méthodes, systématicité, connaissances profondes des bases du métier, .... C’est pour cette raison que la notion de professionnalisation du secteur associatif est souvent considérée comme résultant de l’adoption de méthodes importées du monde de l’entreprise. Ainsi, la professionnalisation fait souvent prévaloir l’idée d’ « un processus d’adaptation des structures sur un modèle ayant de                                                                                                                 115 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit. 116 DUSSUET, A., FLAHAULT, E., « Entre professionnalisation et salarisation, quelle reconnaissance du travail dans le monde associatif ? », Formation emploi, n°111, 2010, p.37 117 Ibid., p.40 118 Le terme « technicisation » est ici entendu comme un processus désignant l’ensemble de pratiques visant à faire en sorte qu’une problématique soit appréhendée moins comme une question sociale que comme une question technique, c’est-à-dire nécessitant des grilles de lecture et la mobilisation de ressources alternatives ou différentes de celles que nécessiterait une approche associative. 119 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit. 120 SAURUGGER, S., « Analyzing Civil Society Organizations. Changing Structures in the EU. Lessons from the social movement and party politics literature », Paper presented at the ECPR Joint Sessions, « The Professionalization and Individualized Collective Action : Analysing New ‘Participatory’ Dimensions in Civil Society », 15-19 April 2009, Lisbon, Workshop 5, p.7
  • 31.   26   nombreux point communs à celui d’autres prestataires de services privés liés aux contrats et financements publics121 ». Cela s’explique par la capacité qui est la leur de proposer, sans considération pour les spécificités associatives, des méthodes éprouvées et efficaces122 . Cependant, la professionnalisation des membres du secteur associatif constitue un processus complexe, non linéaire et bien plus multi-facettes qu’on ne pourrait le penser123 ; un processus qui ne peut être réduit entièrement à la capacité des acteurs associatifs à accroître leur efficience. En définissant et utilisant le concept de professionnalisation pour les fins de cette recherche, il est important de préciser que ce processus est ainsi souvent associé au déclin de l’activisme radical et de la participation de masse124 . Aux yeux des critiques, la professionnalisation croissante conduit à une réorientation du secteur : l’accent est moins mis sur l’engagement et la réalisation des objectifs normatifs de l’organisation que sur la maintenance et le développement organisationnel125 . En définitive, comme le rappelle Anne Le Naëlou, « les phénomènes désignés sous le terme de professionnalisation sont d’une grande complexité126 », tout comme l’exercice de sa définition. Néanmoins, nous suivons Sabine Saurugger et de Wolf Eberwein dans leur définition de la professionnalisation – qu’ils qualifient eux-mêmes de « minimale » – comme « le processus par lequel l’objectif normatif [de l’organisation] est complété par les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées par cette dernière127 ». Nous avons choisi cette définition car elle est plus simple que celles que proposent certains auteurs qui tentent d’intégrer toutes les caractéristiques du processus et qui rendent la grille de lecture illisible. A cette définition, nous ajoutons néanmoins un indicateur supplémentaire dont l’importance est soulignée dans les travaux de Matthieu Hély128 . En plus de l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés dont les acteurs sont amenés à faire un apprentissage contrôlé, le processus de professionnalisation du secteur désigne également, selon lui, son émergence comme nouvelle                                                                                                                 121 LE NAËLOU, A., loc. cit., pp.775-776. Dans cette perspective, le processus fait référence à une gestion administrative performante, des stratégies financières, une salarisation croissante et une politique de recrutement sur définition de postes et de profils, une gestion rationnelle du temps de travail, un fonctionnement adapté au marché en tant que prestataire de services pour des « clients », … 122 UGHETTO, P., COMBES, M-C., loc. cit. 123 LE NAËLOU, A., « ONG : les pièges de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, n°180, 2004, p.729 124 FREYSS, J., loc. cit., p.735 ; EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., p.3 ; SAURUGGER, S., “The Professionalisation of Interest Representation: A legitimacy Problem for Civil Society in the EU?”, in SMISMANS, S. (ed.), op. cit., pp.260-276 125 LE NAËLOU, A., « ONG : les pièges de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, n°180, 2004, p.729 ; SIMONET, M., « Le monde associatif : entre travail et engagement », in ALTER, N. (dir.), Sociologie du monde du travail, Paris, PUF, 2006, pp.191-207 126 LE NAËLOU, A., loc. cit., p.777 127 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., pp.2-3 128 HELY, M., op. cit., p.69
  • 32.   27   filière d’emploi pour laquelle un certain nombre d’acteurs vont être amenés à consacrer une part substantielle de leur temps et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus financiers. Cet élément fait ici écho au processus identifié pour la première fois par Max Weber dans son étude sur la professionnalisation des élus comme renvoyant à un processus par lequel les acteurs vivant « pour » la politique en arrivaient à vivre « de » celle-ci. La « professionnalisation des acteurs associatifs polonais » sera donc entendue à travers cette double acception que l’on tentera de restituer tout au long de ce travail. Parvenant à la fin de cette première section consacrée à la présentation des enjeux entourant la notion de professionnalisation, essayons maintenant d’apporter quelques réponses théoriques à la question qui nous guide depuis le début. Dans la section suivante, il s’agira de se poser la question de savoir dans quelle mesure ce processus de professionnalisation peut être attribuable aux opportunités de financements européens. 2. SAISIR LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE CADRE DES FINANCEMENTS COMMUNAUTAIRES Si la littérature met généralement l’accent sur le rôle de l’Etat dans la professionnalisation des acteurs associatifs en Europe dans les années 1990, elle insiste davantage sur le rôle des donateurs publics internationaux au tournant des années 2000. Les chercheurs ne parlent désormais plus de « government-driven professionalization129 » mais bien d’un phénomène survenant dans le cadre et de façon subordonnée à la structure d’opportunité politique et économique que constitue l’Union européenne130 . Chez certains auteurs, on retrouve ainsi l’idée que « the European Union promotes a very specific version of professionalization131 ». La société civile étant désormais pensée par les responsables européens comme un facteur de légitimation du système politique européen de par sa capacité à rapprocher l’UE de ses citoyens132 , les différentes études menées depuis le début des années 2000 en termes de professionnalisation du secteur ont d’abord vocation à évaluer leur potentiel démocratique et donc légitimateur de l’UE. Celle-ci est en effet généralement décrite comme impliquant un transfert de pouvoir des volontaires et activistes aux experts et donc la monopolisation de la                                                                                                                 129 FROELICH, A., loc. cit., p.256 130 FAGAN, A., loc. cit., p.208 131 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.512 132 KOHLER-KOCH, B., « Organised interest in European Integration : the evolution of a New type of Governance ? », in WALLACE, H., YOUNG, A. (ed.), op. cit., pp.42-68 ; GROSSMAN, E., SAURUGGER, S., Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation, Paris, Armand Colin, 2006