Et si la somme d'intelligences individuelles entrainait irrémédiablement une bêtise collective ? Un exemple à méditer la prochaine fois que vous jugerez d'une création publicitaire

1. @PPC
Voici comment
l'intelligence individuelle
peut générer une stupidité
collective.

2. @PPC
Je suis tombé il y a plusieurs années sur ce texte,
l'œuvre géniale d'un créatif de talent qui a
visiblement beaucoup d'expérience dans la
publicité ou le marketing direct.
J'adore ce traité humoristique pour parler de la
bêtise collective... c'est criant de vérité.
Prenez donc le temps de lire l'intégralité de cette
prose, vous ne le regretterez jamais.

3. Mardi 8 juin 1663, 15h30.
"

4. Le concepteur-rédacteur Jean de La Fontaine
arrive au château de Vaux.

5. Il est en retard, il gare son carrosse en double file.

6. Son client, le surintendant Fouquet, l’attend.

7. Avant d’entrer dans la salle, Jean de la Fontaine
se remet sa body-copy en mémoire.
Elle répond parfaitement au problème posé.

8. Stratégie :
prouver au lecteur que les poètes
n’ont pas les pieds sur terre.

9. Ton à employer : allégorique.

10. Media : gazette grand public.

11. Jean de La Fontaine se rassure, “La cigale et la
fourmi” est pile dans la plaque.

12. C’est très sûr de lui qu’il pénètre dans la salle de
réunions du château.

13. Soudain, il déchante.

14. Le surintendant n’est pas seul.

15. Il est entouré d’un responsable des études, d’un
directeur marketing et d’un directeur des ventes.

16. Par le passé ces gens très érudits, très
intelligents ont déjà modifié ses textes
d’une manière très érudite, très intelligente
... mais très empoisonnante aussi.

17. A chaque fois, les fables rafistolées par ces
experts ont fait un bide.

18. Jean de La Fontaine songe à tourner les talons,
mais il songe aussi que son loyer
lui coûte 50 louis par mois.

19. Il reste ...

20. Un peu tremblant, Jean de La Fontaine lit son
titre: “la cigale et la fourmi”.

21. Le directeur des ventes lève déjà les yeux au ciel.
“Trop ciblé ! Cet insecte ne vit que dans le sud !
Nous voulons aussi toucher tout le pays.

22. Qui est sensible aux cigales en Bretagne ?
Je ne fais pas de création, mais je mettrais
quelque chose comme grillon ou sauterelle”.

23. Il est fier de sa sortie, il jette un œil sur son
patron. Il a tiré plus vite que les deux autres.
Il ne vole pas son salaire.

24. Vexé de n’avoir pas ouvert la bouche le premier, le
directeur marketing suggère de mettre “abeille”.

25. Le responsable des études bondit comme un ressort.
Dans l’inconscient du public, “abeille” veut dire
travailleuse obstinée privée de toute vie sexuelle.
C’est négatif.

26. Le surintendant Fouquet, suggère “mouche”. C’est
selon lui plus quotidien, plus simple, plus vécu.

27. On applaudit le patron.

28. Nouveau titre : “La mouche et la fourmi”.

29. Comme on a repoussé son grillon et sa sauterelle, le
directeur des ventes suggère de remplacer “fourmi”
par “coccinelle” qui est plus poétique selon lui.

30. On trouve l’idée judicieuse.

31. En secret, il voit la fable déjà imprimée et
rêve de dire à sa femme : “C’est moi qui ait
trouvé la moitié du titre”.

32. On vote.

33. Nouveau titre : “La mouche et la coccinelle”.

34. L’épreuve du titre passée, Jean de La Fontaine lit le
démarrage de sa body-copy.

35. “La mouche ayant chanté tout l’été, se trouva fort
dépourvue quand la bise fut venue”.

36. Le surintendant Fouquet le coupe.

37. “Une mouche ne chante pas. Je comprends que ça allait
bien avec la cigale, mais maintenant, il faut écrire :
ayant bourdonné”.

38. La Fontaine rature en pensant à son carrosse
qu’il n’a pas fini de payer.

39. Il relit.

40. “La mouche ayant bourdonné tout l’été ...”

41. Le directeur des ventes le coupe.
"Tout l’été est vague, mieux vaudrait dire “du 21
juin au 22 septembre inclus”".

42. Tout le brain-trust acquiesce.

43. Tout le brain-trust acquiesce.

44. On relit.
“La mouche ayant bourdonné du 21 juin
au 22 septembre inclus se trouva fort
dépourvue...”.

45. Le surintendant Fouquet prend la parole.

46. “Se trouva fort dépourvue” est une belle
tournure, mais trop élitiste.
La bergère lambda ne la comprendra pas.

47. Il faut être beaucoup plus au ras des fleurs de lys,
le peuple a besoin de style direct.
Il faudrait écrire “fut bien emmerdée”.

48. C’est certes un peu trivial, mais il ne faut pas
perdre de vue les gens auxquels on s’adresse.

49. “La mouche ayant bourdonné du 21 juin au
22 septembre inclus fut bien emmerdée
lorsque la bise fut venue”.

50. Le directeur des ventes se lève. “Bise” est
très bon, mais ce mot lui fait très peur.
Les gens sont très premier degré.

51. Ils ne comprendront pas “bise - vent du
Nord” mais “bise - un baiser”.

52. Il faudrait tester mais il est déjà certain que le public
interprétera que la mouche est emmerdée quand la
bise arrive parce qu’elle est homosexuelle.

53. Le français est d’ailleurs trop imprécis à propos
de cet insecte.
On écrit toujours “la” mouche et jamais “le” mouche.

54. Le directeur des études crie casse-cou.
Le groupe frissonne... On revient de loin.

55. Jean de La Fontaine relit.

56. “La mouche et la coccinelle”. “La mouche ayant
bourdonné du 21 juin au 22 septembre inclus fut
bien emmerdée lorsque l’hiver arriva”.

57. Les bravos fusent.

58. Le directeur des ventes glisse à l’oreille du
surintendant Fouquet que La Fontaine a un talent
fou. Il a eu raison de faire appel à lui.

59. Sans le dire, Jean de La Fontaine a honte.

60. Il trouve son texte plat, impersonnel
et dépourvu d’impact.

61. Il se tait cependant. Le crépi de sa
maison doit être refait.

62. Jean de La Fontaine fut, peu après, chassé
de chez le surintendant Fouquet.

63. Car après des tests, le public jugeait “La
mouche et la coccinelle” plate, impersonnelle
et dépourvue d’impact.

64. Dieu merci, cette histoire a plus de trois
cent cinquante ans."

65. Alors ?
Ça vous rappelle quelque chose ?
@PPC