1. Petite dernière de neuf enfants issus
d’un couple de la bourgeoisie laborieuse
solidement ancrée dans la foi, Thérèse
Martin naît à Alençon le 2 janvier
1873. Intelligente, vive, sensible et
volontaire, choyée par sa famille qui ne
compte plus que cinq filles, elle est très tôt confrontée à
la souffrance. Deux expériences de mort laissent en son
cœur des traces douloureuses :
* elle a à peine quatre ans quand sa mère meurt du
cancer : quittant la maison natale d’Alençon, la famille
s’installe à Lisieux, plus proche de l’oncle Guérin, « ce
solide donneur de conseils ».
* elle a neuf ans quand sa sœur Pauline, sa « seconde
mère », comme elle l’appelle, entre au Carmel : Thérèse
ressent ce départ comme une véritable « mort » et
restera longtemps blessée par ce choc affectif.
2. Malheureuse à l’école chez les Bénédictines, Thérèse
subit le revers de sa trop grande délicatesse de
conscience : elle est infantile, pleurnicharde,
hypersensible, scrupuleuse. Une maladie psychique aigue
se déclenche. Thérèse, lucide sur son comportement
étrange, se tourne alors vers Notre-Dame pour implorer
sa guérison. Le « ravissant sourire de la Vierge » la
libère de ses troubles.
Mais le retournement complet de sa sensibilité se fait en
la nuit de Noël 1886 : le Verbe s’abaisse pour devenir
enfant et Thérèse sort des « langes de l’enfance »
charnelle et entre dans sa voie d’enfance spirituelle.
Thérèse devient « adulte » … à treize ans.
Dévorée par « la soif des âmes », elle se
lie au Christ qui « change son cœur ».
Désormais le besoin d’aimer sera plus fort
que celui d’être aimée. C’est alors qu’elle
adopte spirituellement « son premier
enfant » en la personne du criminel Pranzini, à qui elle
obtient par ses prières et ses sacrifices une mort qui
laissait entrevoir un retour à Dieu.
3. A peine achevée la lutte pour la
libération affective, une autre lutte non
moins dure commence pour elle : entrer
au Carmel à quinze ans en réponse à
l’appel du Christ dans sa vie. Assoiffée
de se donner en don total à Dieu, elle
franchira toutes les oppositions qui lui viendront de son
père, de son oncle, de l’aumônier du Carmel, de l’Evêque
de Bayeux et même du pape Léon XIII, qu’elle supplie
elle-même pour obtenir l’autorisation d’entrée, lors d’un
pèlerinage à Rome. Elle écrira plus tard qu’elle a
« conquis la forteresse du Carmel à la pointe de l’épée ».
Le 9 avril 1888, son père, héroïque dans sa foi, conduit
« sa petite reine » au Carmel de Lisieux où deux de ses
sœurs, Pauline et Marie, l’ont précédée. Céline,
confidente de Thérèse et de quelques années son aînée,
la suivra plus tard.
Au monastère, Thérèse rencontre
« plus d’épines que de roses » :
l’internement de son père gravement
atteint d’une maladie cérébrale qui
constitue la plus grande épreuve de sa
vie et le rythme exigeant d’une vie
communautaire. Elle offre tout avec le sourire « pour
4. sauver les âmes et prier pour les prêtres ». Sa fidélité
aux temps de prière maintient son cœur dans la paix. A
l’âge de vingt ans, elle est désignée comme aide-
formatrice des jeunes sœurs, tâche qu’elle accomplit avec
un sens psychologique très sûr. Par obéissance à Mère
Agnès, sa sœur Pauline devenue prieure, elle rédige ses
premiers souvenirs d’enfance et « chante les miséricordes
du Seigneur » à son égard.
Par obéissance aussi, elle rédige
des poèmes et des pièces récréatives
pour la joie de la communauté.
De nombreuses lettres à sa famille,
à ses deux frères missionnaires
retracent son portrait spirituel.
Durant ses neuf ans de vie au Carmel, sa voie personnelle
se précise. Sa petitesse naturelle de petite dernière aux
Buissonnets comme au Carmel, a pu devenir le tremplin
vers l’enfance spirituelle.
5. Thérèse ne brisera pas son élan par
la vue de sa propre misère, elle
restera petite entre les bras de
Dieu et elle le deviendra de plus en
plus. Telle est la nouveauté de sa
découverte cherchée et trouvée
dans l’Ecriture.
Elle atteint son apogée dans son Acte d’Offrande à
l’Amour Miséricordieux, que Thérèse rédige le dimanche
de la Trinité, 9 juin 1895. En contraste avec les âmes
héroïques qui s’offrent à la Justice de Dieu, sa voie à
elle est « bien droite, bien courte, toute nouvelle » :
avec la confiance vraie de l’enfant, elle se présente « les
mains vides » devant le Père miséricordieux qui les
remplira de l’infini trésor de son amour.
6. Dans la nuit précédant le Vendredi Saint 1896, Thérèse
accueille en sa première hémoptysie une annonce de
l’arrivée du Christ. Ni la maladie de la tuberculose qui
diminue inexorablement ses forces, ni l’épreuve spirituelle
de sa foi et de son espérance n’arrêtent son audacieuse
confiance en Jésus seul.
Elle pousse la charité fraternelle
et l’oubli de soi
jusqu’à l’héroïsme.
Son troisième manuscrit autobiographique, écrit durant
les derniers mois de sa vie à la demande de Mère Marie
de Gonzague, en témoigne. Ses dernières paroles sont le
résumé de toute sa vie : « Je m’élève à Lui par la
confiance et par l’amour » (Ms C).
7. La solitude de la créature en face de la souffrance et de
la mort ne lui sera pas épargnée malgré la tendre
affection de ses trois sœurs carmélites. Celles-ci notent
au jour le jour ce qui deviendra les Derniers Entretiens.
Son cœur est habité tour à tour par des cris de détresse
et une confiance sereine.
Sa foi demeure inébranlable. « Je ne meurs pas, j’entre
dans la Vie », écrit-elle le 9 juin 1897 à son frère
missionnaire Maurice Bellière.
Au soir du 30 septembre 1897,
son ultime parole laisse voir en
transparence l’être de Thérèse
configuré à Jésus en croix :
« Oh, je l’aime… Mon Dieu, je vous aime ! »
8. En quoi Thérèse de l’Enfant-Jésus demeure-t-elle une
« Parole de Dieu » pour nous aujourd’hui ?
De façon originale, Thérèse met en œuvre toutes les
richesses de la tradition du Carmel :
elle est dévorée d’ardeur apostolique en vraie fille de
Thérèse d’Avila.
A dix-sept ans, elle n’a d’autre lecture que les écrits de
Jean de la Croix, le « Docteur de l’Amour ».
Elle a enrichi l’héritage du Carmel en mettant en lumière
une vie spirituelle dépouillée, souple et solide, branchée
sur l’essentiel du message évangélique : le primat de
l’amour qui garde les yeux fixés sur Dieu et non sur soi.
9. La sainteté n’est pas une performance
humaine, c’est un don de Dieu accueilli avec
un cœur disponible, conscient de sa
faiblesse et « confiant jusqu’à l’audace en
la bonté du Père ». Thérèse a poussé très
loin l’abandon à la miséricorde du Père.
Elle sait que dans l’amour entre deux êtres aussi distants
que Dieu et sa créature, c’est le plus grand qui tend la
main au plus petit. Dans sa confiante certitude d’être
ainsi aimée, elle, l’enfant du Père, ne cesse jamais de
poser des actes d’amour cachés, généreux et concrets.
Elle aime sans limites dans une vie pleine de limites. Le
climat vital et intérieur de Thérèse est l’amour.
« C’est l’Amour seul qui m’attire. »
C’est l’Amour qui est le cœur de l’Eglise et la boussole de
son propre cœur en quête de sa vocation essentielle :
« Je compris que l’Amour renfermait toutes les vocations,
que l’Amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et
tous les lieux… en un mot qu’il est éternel ! O Jésus mon
Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation,
10. c’est l’Amour. Dans le cœur de l’Eglise, ma Mère, je serai
l’Amour… ainsi je serai tout ! » (Ms B, 3v°)
Etre l’Amour au cœur de l’Eglise,
c’est garder ouverte
et toujours vide
une main
qui ne cesse de donner aux autres
ce qu’elle vient de recevoir.