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ACTUALITÉS LE PERSONNAGE
20 01/08/2012
Au prince noir du téléchargement illégal via Megaupload,
on promettait 20 ans de prison.
Kim n’a pas changé, mais son procès est quasi enterré.
AL CAPONE OU
ROBIN DES BOIS?
KIM DOTCOM
ImageGlobe
MOU_3112_020_REG_Megaup_MST.indd 20 30/07/12 15:21
21
POUR REMER-
CIER SA VILLE
D’ADOPTION,
IL OFFRE
À AUCKLAND
UN FEU
D’ARTIFICE
DE 500.000
DOLLARS.
e 19 janvier 2012, le FBI démembrait
Megaupload, la plus populaire plate-
forme de stockage de fichiers en
ligne. Pour des millions d’internautes,
le pays des merveilles du télécharge-
ment illégal de musique, de films et
de séries américaines disparaissait.
Le jour même, son fondateur, Kim
Dotcom était arrêté en Nouvelle-
Zélande, pour viol de droits d’auteur,
racket et blanchiment d’argent. Ce coup de filet specta-
culaire ramenait dans la lumière un gros, très gros pois-
son des profondeurs du Web (150 kilos pour pas loin de
deux mètres). Sous la pression des majors musicales et
d’Hollywood qui parlent d’un préjudice de 500 millions
de dollars, la justice américaine était bien déterminée à
faire comprendre à Big Kim le sens du mot “copyright”.
Mais alors qu’on lui promettait la peine maximale, son
procès, déjà présenté comme celui de la décennie, est
en train de tourner au fiasco.
ROBIN DU WEB?
Ennemi public n°1 pour les uns, Che Guevara moderne
pour les autres, Kim Dotcom cristallise le conflit qui op-
pose deux mondes: l’internet libre, celui du partage
gratuit de la culture, face à un internet censeur, celui de
la propriété intellectuelle. Dotcom se réclame évidem-
ment du premier camp, oubliant un peu vite qu’il s’en est
surtout mis plein les poches grâce à la galaxie Mega-
upload, ses comptes premium payants et ses publicités.
Ses hold-up en ligne lui auraient amassé un butin de
près de 42 millions de dollars, ce qui fait dire à certains
qu’il est le Al Capone d’une nouvelle prohibition. Et
même si la loi est injuste et inapplicable, la violer fait de
vous un hors-la-loi.
Né Kim Schmitz en 1974 à Kiel, en Allemagne, notre
homme n’a pas toujours vécu dans le faste. Sa petite
enfance se passe auprès d’un père alcoolique et violent,
battant comme plâtre femme et enfants. Élevé par sa
mère, il bidouille des jeux vidéo dès l’âge de 9 ans et en
vend les copies pirates contre quelques marks. Dans les
années 90, il intègre un groupe de hackers et se fait
appeler “Sa Majesté Royale Kimble 1er”
, en hommage à
Richard Kimble, héros de la série Le fugitif. Une référence
prophétique…
Après quelques coups d’éclat (il pénètre par exemple le
système de la Nasa), viennent ses premiers soucis avec
la justice. Il prend deux ans avec sursis pour revente au
détail de numéros de cartes bancaires. En 2001, il
passe au délit d’initié. Résultats de l’opération: 1,5 mil-
lion de dollars. Kim se fait la belle en Thaïlande, après
avoir annoncé son suicide sur le Net. Rattrapé, il écope
de vingt mois de prison avec sursis.
En 2005, il fonde Megaupload à Hong Kong, sous le nom
de Kim Tim Jim Vestor, hérité de sa nouvelle nationalité
finlandaise. Il jongle désormais avec les identités et les
passeports pour bâtir en Asie les fondations de son
empire. Cinq ans plus tard, il devient officiellement Kim
Dotcom (“PointCom” en français) et achète à Auckland
la maison la plus chère de Nouvelle-Zélande. Pour remer-
cier sa ville d’adoption de son hospitalité, il offre le soir
du réveillon 2011 un feu d’artifice à 500.000 dollars et
l’observe depuis son hélico privé.
HOME TWEET HOME
L’empereur mégalo se veut aussi roi de l’esbroufe. Après
le 11 septembre 2001, il demande aux hackers de tra-
quer Ben Laden et leur promet 10 millions de dollars
pour tout renseignement. Il oublie juste de rappeler que
le FBI en propose 25! Dans cette période bling-bling, il
publie des photos où il apparaît entouré de top-modèles,
aux commandes de yachts ou de jets privés. Il se serait
depuis un peu assagi, préférant vivre paisiblement entre
femme, enfants et Rolls-Royce Phantom (immatriculée
“Dieu” bien sûr). Son manoir à 30 millions de dollars est,
lui, modestement baptisé “Dotcom Mansion” et compte
plusieurs piscines, des courts de tennis, un labyrinthe…
Et puis aussi une chambre forte, dans laquelle il s’était
barricadé muni d’un fusil de chasse à canon scié lors de
son arrestation.
Aujourd’hui dans l’attente d’être extradé aux États-Unis,
son assignation à résidence n’est donc pas la plus incon-
fortable qui soit. Il y mène un train royal à 4.500 euros
par jour pour payer gardes du corps, majordomes, nurses
et loyer. Du coup, les photos de famille, les plongeons
dans sa piscine et les visites d’amis aussi illustres que
Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple, deviennent au-
tant de pieds de nez à la justice américaine, des farces
qu’il partage sur Twitter avec ses 100.000 followers.
MARTIN LUTHER KIM
Le bonhomme est passé maître en provocation. C’est un
art qu’il décline même en chansons. Tout récemment, il
a interpellé Barack Obama à l’aide d’un clip musical vu
700.000 fois sur Youtube. Discours à la Martin Luther
King en intro, slogans contestataires façon Anonymous,
musique électro-pop sur des images dignes de 1984, la
vidéo propagandiste propose rien de moins qu’un
“monde de bonheur”, c’est-à-dire débarrassé du copy-
right. Une “philanthropie” davantage destinée à servir la
cause du magnat déchu qu’à alimenter un réel débat.
D’autant que ce hacker autoproclamé n’est pas apprécié
par ses pairs. Ils lui reprochent sa cupidité et sa folie
des grandeurs.
À coup sûr, cette absence de reconnaissance affecte
davantage le multimillionnaire que son procès pour
lequel il se montre très confiant. La preuve: il pense
déjà à sa reconversion et a annoncé le lancement de
Megabox, une plateforme musicale, gratuite et légale,
où les artistes seront rémunérés sans passer par
aucun intermédiaire. Une manière jouissive de “tuer”
les labels musicaux pour un Kim Dotcom revanchard
qui a également adressé à l’industrie du cinéma une
lettre pas piquée des hannetons. Il s’y est dit convain-
cu de voir tous ses déboires se terminer sur un happy
end. Le comble serait qu’Hollywood décide d’en faire
un film…
h Pierre Scheurette
UN FAUX
PROCÈS?
19 janvier. Arrestation de
Kim Dotcom et perquisi-
tion de sa maison.
2 mars. Les États-Unis
déposent leur dossier
d’extradition.
28 juin. Une juge estime
que les mandats de per-
quisition et de saisie de
biens de Kim Dotcom sont
illégaux.
10 juillet. L’extradition
est repoussée à mars
2013, suite à une ribam-
belle de vices de procé-
dure qui vont de l’absence
de mandat à la violence de
l’arrestation.
L’intéressé propose de se
rendre aux États-Unis pour
en finir.
18 juillet. Le juge néo-
zélandais chargé de l’af-
faire démissionne après
avoir désigné publique-
ment les États-Unis
comme “l’ennemi”.
U
?
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  • 1. ACTUALITÉS LE PERSONNAGE 20 01/08/2012 Au prince noir du téléchargement illégal via Megaupload, on promettait 20 ans de prison. Kim n’a pas changé, mais son procès est quasi enterré. AL CAPONE OU ROBIN DES BOIS? KIM DOTCOM ImageGlobe MOU_3112_020_REG_Megaup_MST.indd 20 30/07/12 15:21
  • 2. 21 POUR REMER- CIER SA VILLE D’ADOPTION, IL OFFRE À AUCKLAND UN FEU D’ARTIFICE DE 500.000 DOLLARS. e 19 janvier 2012, le FBI démembrait Megaupload, la plus populaire plate- forme de stockage de fichiers en ligne. Pour des millions d’internautes, le pays des merveilles du télécharge- ment illégal de musique, de films et de séries américaines disparaissait. Le jour même, son fondateur, Kim Dotcom était arrêté en Nouvelle- Zélande, pour viol de droits d’auteur, racket et blanchiment d’argent. Ce coup de filet specta- culaire ramenait dans la lumière un gros, très gros pois- son des profondeurs du Web (150 kilos pour pas loin de deux mètres). Sous la pression des majors musicales et d’Hollywood qui parlent d’un préjudice de 500 millions de dollars, la justice américaine était bien déterminée à faire comprendre à Big Kim le sens du mot “copyright”. Mais alors qu’on lui promettait la peine maximale, son procès, déjà présenté comme celui de la décennie, est en train de tourner au fiasco. ROBIN DU WEB? Ennemi public n°1 pour les uns, Che Guevara moderne pour les autres, Kim Dotcom cristallise le conflit qui op- pose deux mondes: l’internet libre, celui du partage gratuit de la culture, face à un internet censeur, celui de la propriété intellectuelle. Dotcom se réclame évidem- ment du premier camp, oubliant un peu vite qu’il s’en est surtout mis plein les poches grâce à la galaxie Mega- upload, ses comptes premium payants et ses publicités. Ses hold-up en ligne lui auraient amassé un butin de près de 42 millions de dollars, ce qui fait dire à certains qu’il est le Al Capone d’une nouvelle prohibition. Et même si la loi est injuste et inapplicable, la violer fait de vous un hors-la-loi. Né Kim Schmitz en 1974 à Kiel, en Allemagne, notre homme n’a pas toujours vécu dans le faste. Sa petite enfance se passe auprès d’un père alcoolique et violent, battant comme plâtre femme et enfants. Élevé par sa mère, il bidouille des jeux vidéo dès l’âge de 9 ans et en vend les copies pirates contre quelques marks. Dans les années 90, il intègre un groupe de hackers et se fait appeler “Sa Majesté Royale Kimble 1er” , en hommage à Richard Kimble, héros de la série Le fugitif. Une référence prophétique… Après quelques coups d’éclat (il pénètre par exemple le système de la Nasa), viennent ses premiers soucis avec la justice. Il prend deux ans avec sursis pour revente au détail de numéros de cartes bancaires. En 2001, il passe au délit d’initié. Résultats de l’opération: 1,5 mil- lion de dollars. Kim se fait la belle en Thaïlande, après avoir annoncé son suicide sur le Net. Rattrapé, il écope de vingt mois de prison avec sursis. En 2005, il fonde Megaupload à Hong Kong, sous le nom de Kim Tim Jim Vestor, hérité de sa nouvelle nationalité finlandaise. Il jongle désormais avec les identités et les passeports pour bâtir en Asie les fondations de son empire. Cinq ans plus tard, il devient officiellement Kim Dotcom (“PointCom” en français) et achète à Auckland la maison la plus chère de Nouvelle-Zélande. Pour remer- cier sa ville d’adoption de son hospitalité, il offre le soir du réveillon 2011 un feu d’artifice à 500.000 dollars et l’observe depuis son hélico privé. HOME TWEET HOME L’empereur mégalo se veut aussi roi de l’esbroufe. Après le 11 septembre 2001, il demande aux hackers de tra- quer Ben Laden et leur promet 10 millions de dollars pour tout renseignement. Il oublie juste de rappeler que le FBI en propose 25! Dans cette période bling-bling, il publie des photos où il apparaît entouré de top-modèles, aux commandes de yachts ou de jets privés. Il se serait depuis un peu assagi, préférant vivre paisiblement entre femme, enfants et Rolls-Royce Phantom (immatriculée “Dieu” bien sûr). Son manoir à 30 millions de dollars est, lui, modestement baptisé “Dotcom Mansion” et compte plusieurs piscines, des courts de tennis, un labyrinthe… Et puis aussi une chambre forte, dans laquelle il s’était barricadé muni d’un fusil de chasse à canon scié lors de son arrestation. Aujourd’hui dans l’attente d’être extradé aux États-Unis, son assignation à résidence n’est donc pas la plus incon- fortable qui soit. Il y mène un train royal à 4.500 euros par jour pour payer gardes du corps, majordomes, nurses et loyer. Du coup, les photos de famille, les plongeons dans sa piscine et les visites d’amis aussi illustres que Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple, deviennent au- tant de pieds de nez à la justice américaine, des farces qu’il partage sur Twitter avec ses 100.000 followers. MARTIN LUTHER KIM Le bonhomme est passé maître en provocation. C’est un art qu’il décline même en chansons. Tout récemment, il a interpellé Barack Obama à l’aide d’un clip musical vu 700.000 fois sur Youtube. Discours à la Martin Luther King en intro, slogans contestataires façon Anonymous, musique électro-pop sur des images dignes de 1984, la vidéo propagandiste propose rien de moins qu’un “monde de bonheur”, c’est-à-dire débarrassé du copy- right. Une “philanthropie” davantage destinée à servir la cause du magnat déchu qu’à alimenter un réel débat. D’autant que ce hacker autoproclamé n’est pas apprécié par ses pairs. Ils lui reprochent sa cupidité et sa folie des grandeurs. À coup sûr, cette absence de reconnaissance affecte davantage le multimillionnaire que son procès pour lequel il se montre très confiant. La preuve: il pense déjà à sa reconversion et a annoncé le lancement de Megabox, une plateforme musicale, gratuite et légale, où les artistes seront rémunérés sans passer par aucun intermédiaire. Une manière jouissive de “tuer” les labels musicaux pour un Kim Dotcom revanchard qui a également adressé à l’industrie du cinéma une lettre pas piquée des hannetons. Il s’y est dit convain- cu de voir tous ses déboires se terminer sur un happy end. Le comble serait qu’Hollywood décide d’en faire un film… h Pierre Scheurette UN FAUX PROCÈS? 19 janvier. Arrestation de Kim Dotcom et perquisi- tion de sa maison. 2 mars. Les États-Unis déposent leur dossier d’extradition. 28 juin. Une juge estime que les mandats de per- quisition et de saisie de biens de Kim Dotcom sont illégaux. 10 juillet. L’extradition est repoussée à mars 2013, suite à une ribam- belle de vices de procé- dure qui vont de l’absence de mandat à la violence de l’arrestation. L’intéressé propose de se rendre aux États-Unis pour en finir. 18 juillet. Le juge néo- zélandais chargé de l’af- faire démissionne après avoir désigné publique- ment les États-Unis comme “l’ennemi”. U ? ImageGlobe MOU_3112_020_REG_Megaup_MST.indd 21 30/07/12 14:16