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UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III
FACULTE DE DROIT
Master 2 relations internationales
Parcours relations internationales et diplomatie (RID)
LA MER DE CHINE MERIDIONALE PIVOT DE LA STRATEGIE DE PEKIN VERS 2049
Charles-Eric CANONNE
Sous la direction de Monsieur David Cumin
Maître de conférences (HDR) à l’Université Jean Moulin Lyon 3
CANONNE Charles-Eric - charles-eric.canonne@univ-lyon3.fr
N° étudiant : 3209646
Année universitaire 2020-2021
2
« Être une puissance mondiale, cela veut
dire être une puissance maritime. »
Georges Leygues
Ministre de la marine (1917-1920)
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION……………………………………………………………………………..5
Titre I : Géographie de la mer de Chine méridionale………………………………………...23
Chapitre 1 : La géographie de la MCM…………………………………………...….24
Chapitre 2 : Les ressources naturelles de la MCM…………………………….……..30
Chapitre 3 : Une zone de transit vitale pour l’économie…………………………...…41
Chapitre 4 : Les fonds sous-marins de la MCM………………………………...……52
Titre II : Géopolitique chinoise dans la mer de Chine méridionale…………………………..59
Chapitre 1 : Accords pour l’exploitation commune des ressources naturelles……….60
Chapitre 2 : ASEAN et élaboration d’un code de conduite en MCM………………...66
Chapitre 3 : Relations et coopération avec les pays riverains………………………...75
Chapitre 4 : Appropriation, poldérisation, militarisation des îlots en MCM…..……..85
Titre III : Géostratégie chinoise dans la mer de Chine méridionale………………………….95
Chapitre 1 : Stratégie globale de la RPC………………………………...……………96
Chapitre 2 : Stratégie défensive de la RPC……………………………...……..……100
Chapitre 3 : La puissance navale chinoise………………………………..…………105
Chapitre 4 : Utilisation par la RPC de moyens non militaires………………………117
CONCLUSION GÉNÉRALE…………………………...………………………………..…131
4
LISTE DES ACRONYMES
ADMM ASEAN Defence Minister’s Meeting
AMTI Asian Maritime Transparency Initiative
ANASE Association des Nations de l’Asie du Sud-Est
ASEAN Association of South East Asian Nations
BRI Belt and road initiative
B3W Build Back Better World
CCG China Coast Guard
CEMM Chef d'état-major de la Marine
CNUDM Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
CMC Commission militaire centrale
COC Code of conduct
CPA Cour permanente d’arbitrage
DOC Declaration of conduct
FAO Food and agriculture organization
GAN Groupe aéronaval
MCM Mer de Chine méridionale
MINAE Ministre des Armées
OMI Organisation maritime internationale
PCC Parti communiste chinois
PCV Parti communiste vietnamien
PIB Produit intérieur brut
PLAN People’s liberation army navy
PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement
QUAD Quadrilateral security dialogue
RPC République populaire de Chine
RMN Route maritime du Nord
SCS South China Sea
SNA Sous-marin nucléaire d’attaque
SNLE Sous-marin nucléaire lanceur d’engins
SOSUS SOund SUrveillance System
ZEE Zone économique exclusive
5
INTRODUCTION
Depuis plus d’une dizaine d’années, la mer de Chine méridionale1
occupe une place importante
dans l’actualité médiatique ainsi que dans les sujets traités par de nombreux stratèges,
historiens, ou géographes. Ces études décrivent et expliquent le comportement conquérant de
Pékin en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale, soulignent la montée en
puissance de ses forces navales, et l’utilisation déguisée de nombreuses milices de pêcheurs
pour occuper l’espace maritime. L’Occident reproche à la Chine son mépris du droit
international qui se manifeste par la revendication de la quasi-totalité de la mer de Chine
méridionale, par l’application de lois chinoises sur cet espace maritime, par l’appropriation puis
la militarisation d’îlots dans des zones contestées, ainsi que par des incursions de plus en plus
fréquentes dans les eaux territoriales et dans l’espace aérien de Taïwan. La mer de Chine
méridionale est au cœur de la mondialisation pour trois raisons principales ; des raisons
économiques liées à l’exploitation des ressources et au trafic maritime ; des raisons
géopolitiques conséquences d’une logique d’affirmation de puissances ; des raisons militaires
liées à la sécurisation des voies maritimes et à la liberté de passage du commerce.
Les États-Unis ont délaissé cette partie du globe depuis 2001 et ont concentré leurs efforts dans
la guerre contre le terrorisme en Afghanistan et en Irak. La Chine a profité de cette absence
pour affirmer ses ambitions de puissance grâce à une forte croissance économique soutenue par
l’essor du commerce maritime. Les États-Unis ont à nouveau focalisé leur attention vers
l’Indopacifique2
en 2010 lorsque le président Obama a dévoilé son concept de pivot vers l’Asie.
Washington veut empêcher Pékin de prendre trop d’importance sur la scène internationale, ce
qui lui permettrait de prétendre changer l’ordre international. Les principaux axes de la
politique américaine dans cette zone sont de renforcer la solidité des alliances régionales, d’en
nouer de nouvelles, d’assurer les partenaires régionaux du soutien des États-Unis, ainsi que de
promouvoir la défense et le respect du droit international. L’Europe, et la France en particulier,
1
La mer de Chine méridionale est nommée South China Sea dans la littérature anglo-saxonne.
2
C'est au Premier ministre japonais Shinzo Abe qu'est attribuée la première utilisation dans un contexte
géopolitique de la notion d'Indopacifique. Les États-Unis intègreront ce terme dès 2010 en évoquant l’importance
des voies de communication maritimes dans le bassin indopacifique, l’Australie le mentionnera dans son livre
blanc pour la défense en 2013, l’Inde y fera référence en 2015 dans sa stratégie maritime pour la sécurité des mers.
En 2017 le président Trump l’intègrera à la stratégie de sécurité nationale des États-Unis. En 2018 la France
publiera un livre blanc sur la stratégie française en Asie-Océanie à l’horizon 2030, puis en 2019 sera diffusée la
stratégie de défense française en Indopacifique.
6
s’intéressent à la mer de Chine méridionale qui est un espace stratégique majeur car il abrite la
croissance de l’économie mondiale et héberge des voies maritimes capitales pour les
approvisionnements. La France dispose de territoires, de ressortissants et de forces armées dans
l’espace indopacifique qui justifient ses actions de défense du droit international et son action
diplomatique et politique ferme mais coopérative vis-à-vis de la Chine, car la France est une
puissance maritime de l’Indopacifique.
L’Indopacifique héberge environ 60% de la population mondiale. C’est un lieu de création de
richesses, soutenu par une croissance économique robuste, qui fournit environ 40% du PIB
mondial. Cette performance économique tend à s’améliorer, grâce à une intensification de la
coopération régionale et du rôle structurant de l’Association of South East Asian Nations
(ASEAN). Le centre de gravité de l'économie mondiale s'est déplacé vers l'Indopacifique, et
l’on dénombre six membres du G20 (Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon)
dans cet espace. Les principales artères du commerce mondial traversent l’océan Indien, et le
détroit de Malacca. Elles alimentent l’Inde, la Chine, le Japon, la Corée en matières premières
et envoient les produits manufacturés vers l’Europe. Au cœur de la maritimisation des
économies, l’océan Indien est aujourd’hui le lieu de passage de 25% du trafic maritime mondial.
Cette maritimisation se caractérise par des flux énergétiques (pétrole et gaz) en provenance des
pays producteurs et exportateurs du golfe Persique à destination principalement de l’Asie (82%
du pétrole et 56% du gaz), ainsi que par des flux de marchandises et de biens en provenance
d’Asie et à destination de l’Europe.
Grande puissance depuis cinq millénaires, la Chine a conservé ce statut jusqu’à la moitié du
XIXe siècle ; en 1839 avec les guerres de l’opium3
débute une période aride qui va s’étendre
sur plus d’un siècle où la Chine perd sa grandeur, est occupée puis partiellement démembrée
d’abord par les Occidentaux puis par les Japonais en 1937. Cette longue période d’humiliation
a laissé des cicatrices durables au sein du peuple chinois, et ses conséquences influent toujours
sur la politique internationale chinoise4
. Xi Jinping a évoqué cette période douloureuse pour le
3
Il y a eu deux guerres de l’opium : la première avec l’Angleterre seule (1839-1842), puis la seconde avec
l’Angleterre associée à la France (1858-1860). Depuis 1773, le Royaume-Uni a obtenu le monopole de la vente
d'opium en Chine. Ce trafic de drogue à grande échelle se révèle particulièrement lucratif pour les Britanniques,
qui en vendent plusieurs milliers de tonnes chaque année. En 1839, la Chine interdit l'importation et la
consommation d'opium et détruit un stock de plus de mille tonnes dans la ville de Canton. C'est le début de la
guerre de l'opium. Le 29 août 1842, le traité de Nankin officialise la victoire des Britanniques, qui obtiennent le
droit de vendre de l'opium en Chine et la gestion de la ville de Hong Kong.
4
Les guerres de l’opium sont évoquées dans l’intervention de Xi Jinping lors du lors du 19ème congrès national
du parti communiste chinois, 18 octobre 2017. Il souligne la résilience du peuple chinois et sa capacité à surmonter
les épreuves.
7
peuple chinois lors de son dernier discours prononcé à l’occasion des cent ans du parti
communiste chinois (PCC)5
. La République populaire de Chine (RPC) est proclamée par Mao
Zedong à Pékin le 1er
octobre 1949, vingt-huit ans après la fondation du Parti communiste
chinois, qui conquiert le pouvoir après des années de guerre civile contre les nationalistes du
Guomindang6
. La RPC est alors un des pays les plus pauvres du monde, avec 95% de
population rurale, une production industrielle limitée, et des échanges commerciaux presque
inexistants. La Chine a connu une chute vertigineuse de sa puissance géopolitique au cours des
trois derniers siècles, et cette chute est étroitement liée à la perte de sa puissance économique.
La part de la Chine dans le produit intérieur brut (PIB) mondial était de 22% en 1700, et a atteint
son maximum avec 33% en 1820. Entre 1952 et 1978, ce pourcentage s’est stabilisé autour de
5%7
.
Après la mort de Mao Zedong, à partir de 1978, Deng Xiaoping modifie la traditionnelle
politique intérieure chinoise ; il donne une impulsion à l’économie en tentant de conjuguer une
nouvelle approche du capitalisme passant par une plus grande ouverture au monde, en
développant le commerce maritime et en ouvrant les ports chinois, tout en maintenant un
contrôle très présent du parti communiste sur la politique économique. La RPC a depuis
récupéré les territoires de Hong Kong8
puis de Macao9
qui concentrent une importante activité
industrielle, commerciale et financière ; son prochain objectif est de formellement ramener
Taïwan sous l’autorité de Pékin, mais le contexte historique et l’implication des États-Unis sur
ce sujet laissent entendre que cette tâche sera ardue et potentiellement source de conflit.
En un peu plus de soixante-dix ans, la RPC s’est hissée aux avant-postes de l’économie
mondiale, est devenue une puissance régionale reconnue et concentre ses efforts pour devenir
la première puissance mondiale en 2049, année du centenaire de sa création. Être la première
5
“After the Opium War of 1840, however, China was gradually reduced to a semi-colonial, semi-feudal society
and suffered greater ravages than ever before. The country endured intense humiliation, the people were subjected
to great pain, and the Chinese civilization was plunged into darkness”. https://asia.nikkei.com/Politics/Full-text-
of-Xi-Jinping-s-speech-on-the-CCP-s-100th-anniversary consulté le 1er juillet 2021
6
C’est en s’appuyant sur les paysans nombreux et pauvres ainsi que sur le nationalisme que Mao Zedong parvient
à prendre le pouvoir. Défaits, les nationalistes anticommunistes se réfugient à Taïwan où ils fondent un régime
parallèle encouragé et protégé par les États-Unis.
7
https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1363 consulté le 16 juin 2021
8
Le Royaume-Uni a rétrocédé Hong Kong à la Chine en 1997. Hong Kong était devenu britannique en 1842 à la
suite de la première guerre de l’opium. Ce n’était pas une colonie de peuplement mais une terre peuplée de Chinois,
ouverte sur le reste de la Chine et qui était gérée comme toutes les colonies britanniques par un gouverneur nommé
par Londres.
https://www.franceculture.fr/geopolitique/en-1997-la-chine-recupere-hong-kong-et-fait-des-promesses consulté
le 2 avril 2021.
9
Après 442 ans passés sous le règne colonial du Portugal, Macao a été rétrocédé à la Chine en 1999.
8
puissance mondiale est le but affiché, mais la Chine veut plus. Sophie du Rocher10
précise « à
terme, ce que vise Pékin, c’est de substituer un système référentiel chinois au système
américain, et convaincre les pays de la région de l’intérêt et de la logique naturelle d’une
communauté de destin, y compris sécuritaire ». La marche vers 2049 a été détaillée par Xi
Jinping11
dans son discours12
du 18 octobre 2017 à l’occasion du XIXe congrès national du
parti communiste chinois. Il résume les progrès réalisés13
depuis son accession au pouvoir puis
précise sa feuille de route14
définie en quatorze points : les objectifs intermédiaires devant être
atteints en 2035, puis ceux, finaux à réaliser quinze ans plus tard, même s’il n’évoque pas
explicitement l’année 2049. Il souligne à de nombreuses reprises l’importance du parti
communiste chinois et son double rôle de référence et de direction pour le peuple chinois ; le
rattachement de Taïwan à la Chine continentale est explicitement mentionné. Dans cette marche
vers 2049, la RPC a célébré avec faste, le 1er
juillet 2021 le centième anniversaire de la création
du parti communiste chinois. Cet anniversaire a donné à Xi Jinping une nouvelle occasion de
s’adresser autant à son peuple qu’au reste du monde en vantant les actions réalisées sous la
direction PCC et de donner les grandes orientations de la politique intérieure et extérieure de la
RPC pour les années à venir.
Les domaines incontournables dans cette course vers la première place concernent les domaines
économique, militaire, diplomatique, politique, culturel et idéologique. Malgré un régime
autoritaire et les contraintes qui brident les libertés individuelles, la population chinoise soutient
majoritairement son président car elle bénéficie de meilleures conditions de vie grâce au succès
économique du pays, et d’un fort renouveau de fierté nationale grâce à son rayonnement
international. Xi Jinping a annoncé en février 2021 que depuis son arrivée au pouvoir, la
pauvreté absolue avait été éradiquée de Chine15
, ce qui représente plus de cent millions de
10
Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques et chercheur associé au Centre Asie de l’Institut
français des relations internationales (IFRI).
11
Xi Jinping est arrivé au pouvoir en 2013 et est le troisième président de la RPC depuis Deng Xiaoping.
12
“In the first stage from 2020 to 2035, we will build on the foundation created by the moderately prosperous
society with a further 15 years of hard work to see that socialist modernization is basically realized. In the second
stage from 2035 to the middle of the 21st century, we will, building on having basically achieved modernization,
work hard for a further 15 years and develop China into a great modern socialist country that is prosperous,
strong, democratic, culturally advanced, harmonious, and beautiful.”
http://www.xinhuanet.com/english/special/2017-11/03/c_136725942.htm consulté le 1er mai 2021.
13
Développement économique et diplomatique, recul de la pauvreté et amélioration des conditions de vie,
renforcement des capacités militaires, transition écologique.
14
Le PCC se présente comme étant le ciment de la cohésion du peuple chinois ; il prône une approche centrée sur
le peuple, encourage la poursuite du développement économique, des réformes, et de l’amélioration des conditions
de vie. Son objectif majeur est la réunification de Taïwan à Pékin avec une gestion obéissant au principe « d’un
pays deux systèmes ».
15
https://www.entreprendre.fr/eradication-de-la-pauvrete-absolue-en-chine-un-coup-de-maitre-en-periode-
difficile/ consulté le 1er
mai 2021
9
personnes qui ont bénéficié des mesures sociales mises en place par le gouvernement. Le PIB
par habitant a doublé entre 2000 et 202016
et la classe moyenne chinoise représente maintenant
plus de quatre cents millions de personnes qui se sont enrichies rapidement et ont acquis un
pouvoir d’achat équivalent à celui de la classe moyenne européenne.
La puissance économique de la Chine s’est construite grâce au commerce international et
maritime, conséquence de l’ouverture sur le monde initiée par Deng Xiaoping ; la Chine a
longtemps été considérée comme l’atelier du monde, le lieu de manufacture et de
transformation des produits par une main-d’œuvre nombreuse, peu payée, et disposant de
faibles droits sociaux. Cela a contribué à la délocalisation de nombreuses entreprises
occidentales en Chine qui est devenue le centre mondial de production, puis d’exportation de
produits manufacturés. Le développement de cette nouvelle économie a été permis par
l’accroissement exponentiel du trafic maritime avec en particulier la révolution des conteneurs
dont les premiers sont apparus à la fin des années 1970. La Chine dispose d’une vaste façade
maritime sur laquelle se trouvent des ports historiques tels de Hong Kong ou Shanghai, ce qui
lui permet de retrouver ses anciens modes d’action de puissance commerciale maritime en
développant des infrastructures complètes permettant la réception des matières premières, leur
transformation en produits finis, le stockage puis l’exportation vers l’Europe et les États-Unis.
Les mers et océans couvrent 71% de la surface de la planète et abritent les artères du commerce
mondial puisque plus de 90% en volume et 80% en valeur des échanges mondiaux transitent
par la mer. Depuis des siècles la domination des mers s’est acquise dans le combat naval qui
requiert des capacités de projection et de soutien ; le Portugal était la principale puissance
maritime au XVIe siècle, la Hollande lui a succédé au XVIIe siècle avant que le Royaume-Uni
ne devienne la puissance maritime de référence et domine les mers au cours des XVIIIe et XIXe
siècles. Le XXe siècle consacrera l’hégémonie de la puissance navale américaine, qui est très
durement concurrencée par la marine chinoise en ce début de XXIe siècle. Comme le soulignait
l’amiral américain Mahan17
: « la puissance maritime tient en premier lieu au commerce et
celui-ci suit les routes les plus avantageuses ; la puissance militaire a toujours suivi le
commerce pour l’aider à progresser et pour le protéger ». En ce qui concerne le détroit de
16
https://www.chine-magazine.com/la-chine-est-en-passe-de-devenir-une-nation-moderement-prospere/ consulté
le 1er
mai 2021
17
Alfred Thayer Mahan (1840-1914) est un amiral et historien américain ; il est à l’origine de la théorie du Sea
Power qu’il développe au travers de deux ouvrages majeurs : L’influence de la puissance navale sur l’Histoire
1660-1783 (1890) et Les intérêts américains à une puissance navale, aujourd’hui et demain (1897). La théorie de
Mahan repose sur une approche économique et non militaire de la tactique maritime. Il explique, en prenant
l’exemple du Royaume-Uni, que le déterminant de la puissance est avant tout économique.
10
Malacca et la mer de Chine méridionale, ce sont en moyenne quatre-vingt mille navires qui y
transitent annuellement. Ce volume représente approximativement trois fois le trafic du canal
de Suez, et six fois celui du canal de Panama. En termes de fret, celui-ci équivaut au tiers du
commerce mondial, à la moitié des volumes commerciaux de la Chine, du Japon, de la Corée
du Sud, à 50% des transports mondiaux hydrocarbures, à 85% des produits pétroliers en
provenance du Moyen-Orient, à 80% des approvisionnements chinois en hydrocarbures. Le
volume et l’importance économique des échanges maritimes ont profondément modifié la
physionomie du littoral chinois, et ont contribué à renforcer le décalage existant entre la Chine
côtière et la Chine intérieure. Les grandes lignes commerciales maritimes entraînent le
développement rapide des infrastructures côtières nécessaires pour le commerce : ports, lignes
de communication intérieures, pôles industriels, connectivité numérique… La côte chinoise est
une très bonne illustration de ce phénomène avec le développement de nombreuses mégapoles,
l’implantation de multiples industries pour réduire les coûts liés au transport et une
augmentation fulgurante de la population et de la richesse du littoral comparativement au reste
du pays.
La Chine a été une grande puissance maritime entre le XIe et le XVe siècle et a développé de
grandes cités portuaires qui sont devenues des foyers de création de richesse et de points de
concentration des flux d’échanges de différentes natures : des matières premières, des produits
agricoles, des capitaux, des hommes ainsi que des idées. La MCM est un carrefour d’échanges
et constitue un trait d’union entre les civilisations occidentale et orientale. Cependant les villes
acquièrent rapidement une importance supérieure à celle des États dans le domaine du
commerce ; elles disposent de structures plus réactives, concentrent des entreprises, des
capitaux et des marchés, créent les bases juridiques du commerce, développent le concept de
l’entrepôt et établissent un maillage serré entre points de commerce, sans nécessairement tenir
compte des frontières étatiques. Ce fait est particulièrement illustré par l’exemple des liens entre
Hong Kong et Singapour qui démontrent l’autonomie dont jouissent ces villes bâties sur le
commerce et les échanges, et qui bénéficient de l’essor exponentiel de la transformation
numérique et de ses applications dans la logistique.
La suprématie de la marine chinoise débutera sous la dynastie des Song (960-1279) qui
considère qu’une marine militaire doit être une force permanente, dotée d’un rôle autonome et
qu’elle n’est pas un simple faire-valoir de l’armée de terre. Cette prise de conscience va se
poursuivre sous la dynastie des Ming (1368-1644) avec la construction d’une flotte de plus de
deux cent cinquante navires, le développement de la technologie navale, la réalisation de
11
nombreuses expéditions lointaines qui contribuent à créer des liens avec les ports étrangers, en
particulier indiens. L’émergence de cette nouvelle puissance navale s’appuie en premier lieu
sur les besoins du commerce : les Mongols contrôlent l’Asie centrale, donc les échanges doivent
passer par la mer.
C’est au XVe siècle qu’auront lieu les dernières grandes expéditions maritimes chinoises. Les
ordres de l’empereur pour les expéditions de l’amiral Zheng He18
comptent trois volets qui
restent toujours d’actualité dans la politique maritime de Xi Jinping : sécuriser les voies de
communication en particulier en luttant contre la piraterie, restaurer le système du tribut19
et
asseoir l’hégémonie chinoise par le développement d’un réseau de liens diplomatiques. La
marine chinoise a développé des techniques navales modernes telles que l’utilisation de la
boussole, le gouvernail d’étambot, les navires dotés de caissons étanches (construits selon le
modèle du bambou) ainsi que la pratique de la géographie, de l’astronomie et de la cartographie.
Pour son expédition en océan Indien, l’amiral Zhen He sera à la tête d’une flotte de quarante-
huit jonques embarquant plus de vingt-sept mille marins. Ces expéditions seront un succès
politique et commercial pour l’empereur Yongle puisqu’une trentaine de royaumes et sultanats
seront intégrés au système du tribut. Mais la Chine se repliera sur elle-même après ses
expéditions car la mer est devenue synonyme de danger, c’est par elle que le malheur arrive.
Cela a débuté par les attaques incessantes des pirates japonais sur les ports chinois, puis en 1842
Hong Kong qui passe sous souveraineté britannique et en 1895 le Japon qui gagne le conflit
naval qui l’oppose à la Chine et récupère la souveraineté sur Taïwan. La Chine ne commencera
à affirmer ses droits sur son espace maritime que dans les années 1970 lorsqu’elle associera son
développement économique à la sécurité des routes maritimes qui approvisionnent le pays.
L’importance de la mer s’appuie sur ses vastes sources de richesses (dont la majeure partie
demeure encore inconnue ou inexploitée20
), et sur les voies de communication maritime qui
permettent le développement du commerce ; elle constitue en haute mer un lieu de liberté
18
Zheng He (1371 – 1433) est un eunuque chinois musulman et un explorateur maritime célèbre, que ses voyages
amenèrent jusqu'au Moyen-Orient et en Afrique de l'Est. Le troisième empereur Ming, Yongle désire étendre les
limites de la Chine, aussi bien vers le Nord (transfert de la capitale de Nankin à Pékin en 1409) que vers le sud
(occupation du royaume du Đại Việt en 1407). Il fait de Zheng He l'amiral de la flotte impériale. Il lance la
construction de centaines de navires à Nankin, et ordonne de grandes expéditions exploratrices et commerciales
dans tout l'océan Indien. En tant qu'amiral, Zheng He effectue sept voyages de 1405 à 1433.
https://sciencepost.fr/biographie-zheng-he-1371-1435-le-grand-explorateur-chinois/ consulté le 24 avril 2021.
19
Le système de tribut est à la fois une organisation marquant la soumission volontaire d’un peuple à l’empire du
Milieu et un système économique favorisant la circulation des marchandises.
https://lelephant-larevue.fr/thematiques/les-11-dates-marque-chine/ consulté le 24 avril 2021.
20
La reconnaissance des fonds océaniques est loin d’être achevée puisque seulement 10% de la superficie totale
des fonds sous-marins est précisément cartographiée.
12
permettant la projection de puissance, et où les marines peuvent se mesurer hors des territoires
nationaux. La RPC a parfaitement pris conscience de l’importance de la mer et sait que la
poursuite de son développement y est étroitement liée. Le commerce maritime est la colonne
vertébrale de l’économie chinoise ; afin de protéger cet atout, la RPC a développé une industrie
maritime complète et cohérente en s’intégrant dans les voies de communication maritimes
existantes, en développant des points d’appui portuaires et des infrastructures logistiques,
l’ensemble étant protégé par une marine de guerre en pleine croissance tant en tonnage qu’en
capacités techniques et opérationnelles. Ce développement s’intègre dans le programme des
nouvelles routes de la soie, programme initié par Xi Jinping dès 2013 et qui comporte deux
volets, l’un terrestre et l’autre maritime. Il met ainsi en application ce qu’affirmait au XVIIe
siècle Sir Walter Raleigh21
: « celui qui commande la mer commande le commerce ; celui qui
commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-
même ».
Ces considérations maritimes démontrent les liens qui ont toujours existé entre puissance
maritime, puissance commerciale et puissance navale. Il n’est donc pas étonnant que la mer
tienne une place prépondérante et centrale dans la marche de la RPC vers 2049 d’autant plus le
centre de gravité de la Chine s’est déplacé du continent vers la mer, redonnant à la Chine son
statut de thalassocratie. Les espaces maritimes revendiqués par Pékin permettent d’assurer le
transit de ses flux commerciaux (importations et exportations), de sécuriser de raisonnables
réserves de ressources naturelles (halieutiques ou fossiles), et d’y montrer sa puissance
militaire, gage de la protection de ses intérêts vitaux. Le développement du commerce maritime
a pour première conséquence le développement d’une marine de guerre capable de protéger les
voies maritimes de communication et les infrastructures portuaires. C’est dans cet esprit que
l’état-major de la marine chinoise (PLAN22
) a initié les premiers déploiements lointains de sa
flotte, et développé des interactions avec d’autres flottes militaires afin d’apprendre comment
utiliser au mieux leur nouvelle marine. La PLAN a participé dès 2009 à l’escorte de bâtiments
21
Sir Walter Raleigh (vers 1554-1618) a fait ses premières armes avec les huguenots français (1569), avant d’être
introduit à la Cour. Il est remarqué par la reine, qui lui donne le commandement d'une compagnie en Irlande (1580-
81) et il devient un favori de premier plan. En 1584, il tenter de fonder en Amérique du Nord la première colonie
anglaise permanente, dans une région (aujourd'hui Caroline du Nord) qu'il baptise « Virginie » en l'honneur de la
reine. Il défend avec succès la nouvelle stratégie navale de Drake (raid d'interception aux Açores, 1592). Il explore
la région des Guyanes, et participe ensuite avec éclat à l'expédition contre Cadix, en 1596. L'avènement, en 1603,
de Jacques Ier
le fait tomber en disgrâce. Accusé à tort d'intrigues contre le roi, il est condamné à mort ; sa peine
est commuée en détention à vie, et il reste à la Tour de Londres jusqu'en 1616, date à laquelle il est relâché pour
diriger une exploration de l'Orénoque (Brésil), à condition qu'elle n'entraîne aucun conflit avec l'Espagne. Mais
Raleigh ne trouve pas l'or espéré et déclenche un conflit avec les colons espagnols. A son retour en Angleterre, il
est arrêté, puis décapité.
22
People’s Liberation Army Navy http://eng.chinamil.com.cn/armed-forces/navy.htm consulté le 23 mars 2021
13
du programme alimentaire mondial sur les côtes somaliennes en complément des escortes de
convois dans le golfe d’Aden menées dans le cadre de l’opération européenne Atalanta23
. La
PLAN cherche ainsi à se comparer aux autres marines hauturières, à acquérir l’expérience
opérationnelle qui lui fait défaut, à découvrir de nouveaux espaces. Ces déploiements lui
permettent aussi de se faire connaître du monde maritime ; la PLAN est maintenant devenue un
acteur habituel de l’océan Indien, et continue à investir de nouveaux espaces en mer Rouge puis
en Méditerranée.
La MCM est la partie sud de cet ensemble plus vaste que François Gipouloux24
appelle la
Méditerranée asiatique qui s’étend de Vladivostok à Singapour en passant par la mer Jaune et
la mer des Célèbes. Un simple regard sur une carte maritime de la mer de Chine méridionale
montre cette dernière comme étant un espace semi-fermé dont le littoral se partage entre la
Chine, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines,
Taïwan, et Brunei ; pour résumer, la MCM peut s’apparenter à une mer intérieure bordée
principalement par les États de l’ASEAN sur ses flancs sud et est. Au nord de la MCM, près de
la frontière entre la Chine et le Vietnam se trouve l’île de Hainan qui abrite sur sa côte sud la
base de Longpo (Sanya), qui abrite les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), une
des composantes de la dissuasion nucléaire chinoise. La crédibilité de la dissuasion nucléaire
impose d’avoir une totale et discrète liberté de manœuvre pour ces sous-marins afin qu’ils
puissent être en mesure de frapper leurs cibles si l’ordre en est donné ; il faut donc garantir un
accès permanent aux eaux profondes de l’océan Indien et de l’océan Pacifique, tout en
s’assurant que les sous-marins ne soient pas détectés par des forces adverses pendant leur
transit. L’accès à la haute mer pour les sous-marins est un impératif stratégique pour le
gouvernement chinois, et le contrôle de la MCM contribue à la réalisation de cet objectif.
Depuis plusieurs décennies, la MCM occupe une place particulière dans les préoccupations des
dirigeants chinois. En 1933, le Comité d’inspection des cartes de la terre et de l’eau du
gouvernement du Kuomintang trace la ligne en neuf traits qui détermine ses prétentions en
MCM ; cette carte sera rendue publique pour la première fois en 1935 ou 1936. La première
23
Mission européenne de lutte contre la piraterie et d’escorte des bateaux du programme alimentaire mondial.
Cette mission qui est la première mission maritime de l’Union Européenne a été lancée en 2008 et est toujours
active à l’heure actuelle.
24
François Gipouloux est directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique et chercheur invité
à l’Académie des sciences sociales de Pékin. Il est l’auteur La Méditerranée asiatique, XVI-XXIe siècle, Paris,
CNRS Éditions, 2018, 480 pages.
14
apparition officielle sera en 1947, lorsque les dirigeants du Kuomintang réfugiés sur l’île de
Taïwan publieront cette carte au sein d’un atlas délimitant leurs revendications maritimes en
mer de Chine méridionale. Cette frontière maritime dénommée « la ligne aux neuf traits » ou
« langue de bœuf » a évolué depuis sa création passant de onze traits (deux ont été abandonnés
en 1953) en englobant Taïwan avant de revenir à neuf traits. Cette ligne n’a jamais été définie
par des points géographiques, ni par des amers remarquables ou par des lignes de sonde
précises ; elle suit néanmoins grossièrement l’isobathe de deux cents mètres. Le 11 janvier
2013, Sinomap Press, qui constitue l’un des organes officiels de presse chinoise, a publié une
carte sur laquelle le tracé en neuf traits est complété par un dixième trait25
à l’Est de Taïwan.
Malgré de nombreuses demandes, la Chine n’a jamais expliqué à quoi correspondait
précisément cette ligne, ni défini rigoureusement ses contours ; il y a certains décalages entre
les tracés de 1947 et de 2009, mais l’absence d’explication de la part de la Chine lui permet de
conserver une certaine souplesse dans ses revendications. La publication de cette carte entraîne
immédiatement des protestations du Japon et des Philippines qui appellent l’attention de la
communauté internationale sur le fait que ce tracé en est supposé représenter les frontières
nationales chinoises. Les revendications et les tensions bilatérales ou multilatérales en MCM
ont été maintes fois décrites et analysées sous différents angles depuis le début des années
2000 ; les revendications territoriales chinoises ont réellement commencé à contrarier les
puissances occidentales lorsqu’elles se sont concrétisées par un renforcement du contrôle
policier, voire militaire, dans cette zone. Tout d’abord, la militarisation d’îlots et de récifs, puis
les demandes d’identification et d’autorisation de passage menacent la liberté de la navigation
militaire et commerciale dans cet espace maritime. Ensuite, bien que signataire de la convention
de Montego Bay26
(United Nations Convention on the Law of the Sea - UNCLOS) en 1996, la
RPC impose des clauses restrictives (demande d’autorisation avant passage) de navigation dans
ces eaux qui vont à l’encontre des préconisations de l’UNCLOS27
. Les États-Unis sont les
premiers à avoir initié des opérations de démonstration de leur attachement à la liberté de
navigation28
en MCM en envoyant des bâtiments de guerre naviguer à proximité des zones
contestées ; il est cependant intéressant de noter que les États-Unis adossent la légitimité de ces
opérations à l’UNCLOS, texte qu’ils n’ont pas ratifié.
25
https://www.diploweb.com/Pretentions-chinoises-en-Mer-de.html consulté le 21 juin 2021
26
United Nations Convention on the Law of the Sea - UNCLOS
27
Les articles 37, 38 et 39 de la convention de Montego Bay définissent le transit sans entrave dans les détroits
internationaux. La section 3 de la partie II de cette même convention définit le passage inoffensif des bâtiments
dans les eaux territoriales. http://www.ifmer.org/assets/documents/files/documents_ifm/documents-convention-
droit-mer.pdf consulté le 21 juin 2021
28
Freedom of navigation operations - FONOPS
15
Afin de mieux comprendre la vision à long terme de la Chine, il est primordial d’appréhender
le mode de fonctionnement et de pensée de la classe politique chinoise en particulier, et des
Chinois en général. La pensée stratégique chinoise reste très influencée par Sun Tzu29
, pour qui
l’acquisition d’une posture stratégique doit se faire sans heurt, ainsi qu’il l’énonce : « l’art
suprême de la guerre, c’est soumettre l’ennemi sans combattre. Sans bataille, immobiliser
l’armée ennemie, voilà qui est excellent ». Comme de nombreux auteurs, ayant étudié le mode
de pensée oriental, Alain Wang fait référence à l’utilisation du potentiel de situation, et explique
par ailleurs que « à la différence des Occidentaux qui cherchent à donner des réponses
rationnelles et immédiates, les Chinois commencent par observer la configuration d’un
problème, analysent de façon empirique les lignes de forces, puis ils se fient à la propension
naturelle qui s’en dégage pour le résoudre30
».
La Chine excelle dans l’art de se comporter de façon sinueuse et imprévisible, et parvient à
désorienter l’Occident, afin que ce dernier ne puisse pas anticiper ses prochaines actions. La
Chine a de plus un rapport au temps qui est opposé à celui que nous connaissons en Occident.
La pensée orientale et particulièrement chinoise est très différente de la pensée occidentale
comme le montre le philosophe François Jullien. En nous appuyant entre autres sur la
philosophie du jeu de go31
, L’Art de la guerre de Sun Tzu et les écrits de François Jullien32
qui
décrypte la pensée chinoise, nous percevons la stratégie bien établie de la Chine pour avancer
vers son objectif : tous ses mouvements sont orientés vers le but à atteindre, et dans le cadre de
notre étude, ce but est de devenir la première puissance mondiale en 2049. Comme dans un jeu
de go, la Chine déplace ses pions un par un, a priori sans aucune connexion les uns avec les
autres mais rien n’est laissé au hasard ; tout est fondé sur le potentiel de situation,33
comme
l’explique François Jullien dans son étude de la philosophie chinoise. En Occident, l'efficacité
29
Sun Tzu ou Sun Zi ou Souen Tseu (signifie "maître Sun") de son vrai nom Sun Wu (signifiant "militaire",
"martial"), est un général chinois du Ve siècle av. J.-C. Il est surtout célèbre pour avoir écrit l'ouvrage de stratégie
militaire le plus ancien connu, L'Art de la guerre.
30
WANG Alain, Les Chinois, Paris, Éditions Tallandier, 2018, p. 29
31
Les origines du jeu de go restent méconnues. En Chine la paternité en est donnée à l’empereur Yao (2324-2206
avant JC) ou à son successeur (2294-2184 avant JC). Le but du jeu est la constitution d’un territoire en utilisant un
plateau sur lequel est tracé un quadrillage et des pierres que l’on pose sur les intersections du quadrillage.
32
François Jullien est Professeur à l’Université Paris Diderot. Son œuvre se situe au carrefour de la sinologie et
de la philosophie générale. Fondée sur une étude de la pensée de la Chine antique, du néoconfucianisme et des
conceptions littéraires et esthétiques de la Chine classique ; elle compare l’histoire et les catégories de la raison
européenne et chinoise en mettant face à face les interprétations culturelles respectives de ces concepts.
33
Les ouvrages de référence écrits par François Julllien sur la pensée chinoise sont De l’Être au Vivre publié en
2015, et le Traité de l’efficacité. Il y fait émerger une autre pensée de l’efficacité, qu’il nomme efficience. Si
l’efficacité européenne résulte de l’application d’un modèle en vue d’une fin, l’efficience chinoise résulte
de l’exploitation du potentiel de situation. Le potentiel de situation est pour le stratège chinois, la capacité de
manipuler les conditions de manière à ce que les effets, impliqués par la situation, viennent d’eux-mêmes : « aider
ce qui vient tout seul ».
16
est conçue depuis la Grèce antique comme la mise en œuvre immédiate des moyens nécessaires
pour arriver à une fin. Il en est tout autrement dans la pensée chinoise où il convient de se laisser
porter par le mouvement des évènements plutôt que de chercher l'affrontement pour espérer en
tirer profit. En conséquence, contrairement à l’Occident, qui agit dans un rapport contraint entre
la théorie et la pratique, la Chine attache une grande importance à ce potentiel de situation. La
stratégie occidentale est souvent préétablie dans un canevas bien défini dont il est difficile de
sortir car les faits doivent correspondre, parfois par la force, à la conceptualisation qui en est
faite. La Chine a une approche plus flexible, car tout en établissant les grandes lignes et les
logiques de sa stratégie (« rêve chinois34
», « made in China 202535
», « 2049 » …), elle
s’appuie sur le potentiel de situation, ce qui rend sa stratégie globale plus difficile à déchiffrer
puisqu’elle s’adapte aux évènements. En refusant de voir le monde à travers une lecture binaire
(le bien contre le mal, ou la démocratie contre la dictature) elle conserve une marge de
manœuvre continue, évitant de forcer la situation, ce qui lui permet de bénéficier des effets du
potentiel de situation, à l’inverse de la démarche de l’Occident.
L’aspect culturel qui influence la stratégie chinoise est rappelé par Hervé Coutau-
Bégarie36
: « influence du confucianisme et du taoïsme, conservatisme (arc) et doctrinal (les
sept classiques), évitement de la bataille, style indirect, utilisation de l’espace (Tchiang Kaï
Shek et Mao Ze Dong ». Cette explication est confirmée et développée par Thomas Gomart37
dans son dernier ouvrage38
où il explique que le stratège chinois se concentre sur le cours des
choses pour en déceler la cohérence, et s’il ne pratique pas une planification formelle il évalue
le fameux potentiel de situation à partir duquel il va bâtir sa stratégie en utilisant les
opportunités qui se présentent ; il cite l’exemple du désordre planétaire causé par la crise
sanitaire du Covid-19 qui a su être exploité par Xi Jinping et lui a permis de mettre fin à la
relative autonomie dont disposait Hong Kong, sans réelle réaction de la part de l’Occident.
34
Le « Rêve chinois » intègre des aspirations nationales et personnelles de Xi Jinping, avec le double objectif de
restaurer la fierté nationale et d’atteindre le bien-être individuel pour l’ensemble de la société chinoise. Il faut pour
cela une croissance économique soutenue, une égalité plus forte et un retour aux valeurs culturelles pour équilibrer
le matérialisme. https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1363 consulté le 16 juin 2021
35
Made in China 2025 est un programme stratégique ayant pour but de développer la qualité de la production
chinoise et de renforcer les capacités de recherche et de développement en focalisant la recherche sur l’innovation
technologique. La Chine ne cherche plus à rattraper son retard dans les domaines technologiques, mais à prendre
la première place dans les domaines futurs tels que l’intelligence artificielle ou le développement de la 5G.
36
COUTAU-BEGARIE Hervé, Bréviaire stratégique, Paris, Editions du Rocher, 2016, 134 pages, p 77.
37
Docteur en histoire des relations internationales (Paris I Panthéon-Sorbonne) et diplômé EMBA (HEC), Thomas
Gomart est le directeur de l’Institut français des relations internationales, après avoir été directeur du
développement stratégique (2010-2015) et directeur du Centre Russie/Nei (2004-2013).
38
GOMART Thomas, Guerres invisibles, Nos prochains défis géopolitiques, Paris, Éditions Tallandier, 2021,
273 pages, pp 29-30.
17
Comprendre le mode de fonctionnement chinois permet d’avoir une image temporelle du plan
de Pékin vers le futur ; mais il faut aussi parvenir à percevoir ce que sont les réels buts chinois
afin de construire une image globale cohérente car une notion peut être interprétée de façon très
différente entre un Chinois et un Occidental. Pour les autorités chinoises, le politique est plus
important que l’économique ainsi que l’a montré la reprise en main de Hong Kong qui s’est
faite au détriment de l’économie mais au profit du PCC. De même dans la culture chinoise,
l’Empereur règne et exerce son autorité sur des individus et pas sur des territoires. Ces
profondes différences d’interprétation des concepts sont à l’origine de nombreuses
incompréhensions entre la Chine et l’Occident ou entre la Chine et les pays ayant longtemps
vécu sous domination occidentale comme l’Inde.
Il est indéniable que l’héritage de la culture chinoise construite au cours de plusieurs
millénaires, agisse sur le cheminement intellectuel des dirigeants, et s’inscrive dans le temps
long ; depuis Mao Zédong et ses successeurs, nous observons une continuité de la politique
menée et des ambitions affichées qui permettent d’atteindre des buts fixés à des échéances
lointaines. Le mode de pensée occidental est fondamentalement différent et obéit à des cycles
courts rythmés par l’horizon politique qui est déterminé par la durée d’un mandat, voire de deux
et il est fréquent de constater que deux hommes politiques consécutifs conduisent des politiques
radicalement opposées. Cela a été récemment décrit par Sergueï Lavrov39
: « Comme les
Russes, les Chinois sont une nation fière. Ils sont peut-être plus patients sur le plan historique.
Le code national et génétique de la nation chinoise consiste à se concentrer sur un avenir
historique. Ils ne se limitent jamais à des cycles électoraux de 4 ou 5 ans. Ils voient plus loin :
“Un grand voyage commence par un petit pas” et bien d’autres maximes inventées par les
dirigeants chinois montrent qu’ils apprécient un objectif qui n’est pas seulement à l’horizon,
mais au-delà de l’horizon. Cela s’applique également à la réunification des terres chinoises –
progressivement et sans précipitation, mais avec détermination et persévérance ».
Pour atteindre son but sans provoquer de réaction forte de la part de ses adversaires, la RPC
œuvre en suivant une combinaison de deux types de cheminements qui découlent de la pensée
orientale et ont inspiré certains dirigeants occidentaux. La tactique dite du salami 40
correspond
au fait d’avancer à petits pas, chaque pas en soi ne permettant pas une réaction de l’adversaire,
39
Sergueï Lavrov est ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie depuis 2004.
https://geopragma.fr/le-monde-vu-par-lavrov/ consulté le 6 avril 2021
40
La tactique du salami » fut inventée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lors de la prise de pouvoir
par les communistes qui aboutit à la création de République populaire de Hongrie. Mátyás Rákosi, chef du Parti
communiste hongrois, est à l’origine de cette expression utilisée pour décrire l'élimination progressive des pouvoirs
extérieurs au communisme (Église, autres partis, etc.), « tranche après tranche, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien ».
18
car celle-ci serait considérée comme disproportionnée. Cette lente accumulation de petites
actions dont aucune ne peut constituer de casus belli, parvient au fil du temps à instaurer un
changement stratégique majeur. Une fois l’objectif global atteint, il est trop tard pour que les
adversaires puissent réagir. Nous pouvons citer en exemple la construction des îles artificielles
qui sont passées de l’état d’îlots ou de récifs à celui de structures dédiées à la protection du
commerce maritime, et qui sont aujourd’hui des points d’appui militaires dotés de pistes
d’atterrissage et de ports en eaux profondes. La tactique du Push and pull fait référence à la
manière dont la Chine use de la tactique de l’alternance : push faisant référence à la coercition,
et pull à l’attraction. En mer de Chine méridionale, on observe dans un premier temps le remblai
progressif d’îlots ou récifs puis leur agrandissement (push), puis, quand l’opposition à ces
constructions devient trop grande, la Chine propose de négocier des accords de coopération
pour apaiser la situation (pull) ; une fois cette dernière apaisée, elle relance le push et poursuit
la militarisation des îles artificielles.
Le gouvernement chinois utilise toutes les ressources dont il dispose dans les domaines
diplomatique, culturel, militaire, économique pour atteindre son effet final recherché qui est,
dans le cadre de notre étude, une maîtrise totale de la MCM et qui peut se résumer à obtenir la
pleine capacité d’interdire ou de dénier l’accès de ces eaux aux marines militaires occidentales.
Il veille à opérer en permanence sous un certain seuil d’agressivité en privilégiant l’emploi de
moyens non étatiques, ce qui lui permet d’avancer ses pions, tout en étant assuré qu’aucune
réponse militaire ne viendra s’opposer à ses avancées. En parallèle de ces gains sur le terrain,
le gouvernement chinois prend part à de nombreux forums et initiatives dans lesquels il répète
que sa volonté est tournée vers le maintien de la paix et de l’équilibre dans son environnement
immédiat, que ses actions ne sont pas dirigées contre ses voisins mais protègent les droits
fondamentaux et historiques du peuple chinois, et que le but global est de préserver l’harmonie
régionale dans la zone indopacifique.
Les nouvelles routes de la soie, lancées en 2013 par Xi Jinping et renommées Belt and Road
Initiative (BRI) en 2016, sont l’expression économique de la politique étrangère de la Chine.
Ce projet s’établit dans la logique globale de la volonté chinoise de briser l’encerclement
américain, de définir un nouveau système mondial fondé sur une architecture chinoise et ainsi
d’abolir le système actuel mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, époque à
laquelle la Chine n’avait que peu d’importance sur la scène internationale. Ce projet se
concrétise par la construction d’infrastructures intercontinentales qui permettent d’accroître la
connectivité internationale de la Chine, et marque la volonté de Xi Jinping d’étendre son
19
influence jusqu’en Europe à travers l’Asie centrale, ainsi qu’en Afrique, et en Amérique du
Sud. Les routes de la soie ont entraîné la signature d’accords avec plus de cent cinquante pays
et organisations internationales41
. Le coût de ce projet est évalué à plus de mille milliards de
dollars et devrait être terminé pour l’année 2049. Il est principalement constitué par une route
terrestre qui traverse l’Asie centrale et chemine jusqu’en Europe ; les infrastructures
développées autour de ces axes de communication sont source de profit et de développement
pour les pays traversés ; pour la Chine ces sources d’investissement lui permettent d’étendre
son emprise et de bénéficier de points d’appui à travers les continents ; il en est de même pour
les routes maritimes qui sont soutenues par d’importants travaux de réhabilitation ou de
construction de ports financés par la Chine. Les infrastructures terrestres ou portuaires sont
construites par des ouvriers chinois et le financement des travaux est réalisé sous forme de prêts.
Les pays bénéficiaires incapables de rembourser leur dette perdent une part de leur souveraineté
car la Chine tire profit de ces situations pour s’approprier les infrastructures qui l’intéressent et
qu’elle transforme en nœuds de communication ; ce phénomène a déjà fait des victimes et est
connu sous l’appellation de piège de la dette42
. Les routes de la soie permettent de plus à la
Chine de diffuser ses propres standards en termes de normes de travail, voire de normes sociales
et politiques et contribuent ainsi à disséminer les prémices d’un nouvel ordre international
parallèle à celui qui a été établi par les puissances occidentales après la Seconde Guerre
mondiale. Comme le précise Thomas Gomart43
, ces routes de la soie sont un moyen pour la
Chine d’internationaliser ses priorités en s’appuyant sur un triptyque alliant une communication
solide qui a permis la diffusion et l’adoption du concept dans le monde, une expansion qui s’est
concrétisée par le ralliement de plus de cent cinquante pays et institutions internationales, et
enfin la construction des infrastructures nécessaires à l’acheminement, la transformation et le
stockage des produits.
La mer de Chine méridionale est au cœur de la mondialisation et des préoccupations
internationales pour trois raisons principales : des raisons économiques puisque cette région
abrite la croissance mondiale, dispose d’importantes ressources naturelles et est le lieu de
41
“Currently, over 150 countries and international organisations have proactively joined China’s Belt and Road
Initiative (BRI). Not long ago, 150 countries and 92 international organisations sent over 6,000 delegates to the
Second Belt and Road Forum for International Cooperation.” https://www.iiss.org/events/shangri-la-
dialogue/shangri-la-dialogue-2019 consulté le 18 juin 2021
42
https://portail-ie.fr/analysis/2796/jdr-le-piege-de-la-dette-chinois-se-referme-sur-les-interets-francais consulté
le 11 juin 2021
43
GOMART Thomas, Guerres invisibles, Nos prochains défis géopolitiques, Paris, Éditions Tallandier, 2021, pp
105-106.
20
passage des voies communication maritimes le plus fréquentées au monde ; des raisons
politiques avec la puissance grandissante et incontournable qu’est devenue la Chine qui affirme
maintenant ses ambitions et a la capacité de défier les États-Unis et de remettre en cause l’ordre
mondial ; et enfin des raisons militaires avec la sécurisation des voies commerciales, le contrôle
des détroits et points de passage obligés ainsi que le respect des principes édictés par la
convention de Montego Bay.
Afin de mieux cerner les enjeux qui gravitent autour de la mer de Chine méridionale pour la
République populaire de Chine dans le plan global de sa marche vers 2049, nous allons
concentrer notre étude sur trois points complémentaires et fortement liés de cette région du
globe. Comme le disait le géographe Yves Lacoste, « la géographie ça sert d’abord à faire la
guerre44
» ; il est donc pertinent de commencer par étudier la géographie physique et humaine
d’un théâtre avant de réfléchir aux domaines plus larges que sont la géopolitique et la
géostratégie mises en œuvre par la Chine dans cet espace maritime.
Tout d’abord, nous étudierons la géographie de ce théâtre, sa disposition physique, ses
particularités océanologiques et climatologiques ainsi que les ressources naturelles dont il
dispose et la façon dont elles sont exploitées par les pays riverains. La mer de Chine méridionale
est une mer semi-fermée et l’histoire montre que la Chine a toujours été très active dans ces
eaux et y a développé au cours des siècles un intense réseau de commerce maritime soutenu par
un important maillage portuaire. La disposition géographique générale restreint en revanche
son accès aux océans Pacifique et Indien, car les routes maritimes passent par des détroits qui
peuvent aisément être bloqués, et qui sont depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale contrôlés
soit par les États-Unis, soit par leurs alliés, ce qui donne à la Chine le sentiment d’être endiguée
à l’intérieur de la première chaîne d’îles telles qu’elles ont été définies par l’amiral Liu
Huaquing45
.
Nous étudierons ensuite la géopolitique mise en œuvre par le gouvernement chinois vis-à-vis
des pays riverains mais aussi des organisations internationales afin de pouvoir afficher sa bonne
foi et défendre ses intentions pacifiques. Nous approfondirons notre connaissance de l’ASEAN
44
https://www.cairn.info/la-geographie-ca-sert-d-abord-a-faire-la-guerre--9782707178367.htm consulté le 24
juin 2021
45
L’amiral Liu Huaqing (1916-2011) fut probablement le plus grand instigateur de la renaissance de la marine
chinoise. Il est l’architecte de cette révolution stratégique et est considéré comme le père de la marine chinoise
moderne. Liu Huaqing a été le chef de la PLAN (1982-1988) mais aussi vice-président de la Commission militaire
centrale (1989-1997). Il a permis la transformation de la marine côtière chinoise en un outil militaire crédible,
capable de se déployer loin de ses ports et d’opérer longtemps en haute mer.
21
et analyserons les rapports complexes qui existent d’une part au sein de cette organisation, et
d’autre part entre l’ASEAN et la Chine. Pékin utilise son poids économique et diplomatique
pour rallier à sa cause de nombreux pays qui bénéficient en retour d’une aide économique ;
cette aide proposée par Pékin est souvent la contrepartie d’une prise position en faveur de Pékin
au sujet de Taipei. À l’ONU, chaque pays dispose d’une voie, quelle que soit sa puissance
économique ou militaire ; ainsi avoir au sein de l’ONU une vaste majorité de pays qui ne
reconnaissent pas Taïwan comme un État indépendant permet à Pékin de disposer d’une
légitimité plus forte sur la scène internationale. Seuls deux pays d’Afrique (le Swaziland et le
Burkina Faso) reconnaissent Taïwan aujourd’hui alors qu’ils étaient treize en 1995 ; Taipei a
récemment perdu la reconnaissance des États insulaires du Pacifique qui se tournent maintenant
vers la Chine, et recherchent des sources d’investissements directs. Aujourd’hui, seulement dix-
sept pays à l’ONU reconnaissent Taïwan ; les liens tissés par la Chine n’ont donc pas
nécessairement besoin d’être en Asie du Sud-Est pour renforcer ses positions politiques et
atteindre ses objectifs proches.
Nous terminerons notre analyse par une étude dédiée à la géostratégie maritime de la Chine, en
nous restreignant à la mer de Chine méridionale et à ses abords immédiats. La politique
maritime chinoise obéit à deux impératifs qui sont d’assurer la sécurité de ses approches et de
ses flux commerciaux, mais surtout de permettre à ses SNLE de rejoindre en permanence et
sans être détectés leurs zones de patrouilles ; il en est de même pour les bâtiments de combat
qui doivent pouvoir rallier librement leurs théâtres d’opérations dans les océans Indien et
Pacifique. Ce dernier élément montre toute l’importance des fonds marins et des détroits en mer
de Chine qui permettent aux sous-marins de se déplacer en toute discrétion et ainsi de contribuer
à la crédibilité de la dissuasion nucléaire chinoise. La double chaîne d’îles a constitué une ligne
de défense du territoire continental, mais est devenue une contrainte supplémentaire pour la
liberté d’action de la flotte chinoise car les détroits constituent des vulnérabilités dans la
stratégie maritime de Pékin.
Cette étude confirmera l’attention particulière que les dirigeants chinois et le PCC accordent à
la mer de Chine méridionale. Occuper et contrôler cet espace maritime permet de préserver la
crédibilité de la dissuasion nucléaire, d’assurer la sécurité des flux commerciaux, de poursuivre
le développement économique du littoral, et de garantir un accès vers les océans Indien et
Pacifique. Les forums régionaux mis en place pour abriter les négociations relatives à ces
différends permettent à la Chine de renforcer son influence sur ses voisins, de défendre un
règlement régional des désaccords territoriaux et de repousser les marines occidentales au-delà
22
de la première ligne de défense, donc hors de la mer de Chine méridionale. La mise en œuvre
des nouvelles routes de la soie, le développement des technologies émergentes, les effets du
changement climatique ainsi que la probable annexion de Taiwan vont logiquement rebattre les
cartes et conduire les différents acteurs à définir de nouvelles stratégies pour le futur.
*
* *
23
TITRE I : La géographie de la mer de Chine méridionale
Le propos de ce mémoire n’est pas de nous livrer à une étude géographique extrêmement
approfondie de la mer de Chine méridionale, cependant il nous faut garder à l’esprit ce qu’écrit
Yves Lacoste46
« capitale dans toute réflexion scientifique, la notion d’ensemble et plus
précisément, d’ensemble spatial l’est tout autant dans l’analyse géographique et géopolitique.
Elle est à la base de la cartographie, qui est la représentation construite de toutes sortes
d’ensembles, qu’il s’agisse de continents, d’océans, d’États, de montagnes, de villes et de toutes
sortes de territoires ».
Depuis des décennies, les terres émergées de mer de Chine méridionale se trouvent au cœur de
revendications régionales et sécuritaires impliquant principalement la Chine qui cherche à
étendre son emprise sur la MCM, et le Vietnam ou les Philippines qui tentent avec plus ou
moins de fermeté de résister aux avancées chinoises et de freiner leurs velléités d’expansion.
Les principaux points d’achoppement sont les archipels des Paracels et des Spratleys, ou encore
le récif de Scarborough qui sont majoritairement constitués d’îlots inhabités mais dotés d’une
valeur stratégique certaine. La mer de Chine méridionale attise les litiges territoriaux en raison
de ses trois principales caractéristiques qui sont ses richesses en pétrole et en gaz, la diversité
de ses ressources halieutiques et enfin une voie de communication vitale pour le commerce
maritime. La MCM est bordée par dix États dont sept revendiquent une partie de cet espace
maritime, et se disputent des zones communes.
La ligne en neuf traits qui officialise les revendications de Pékin focalise l’attention de la
communauté internationale car elle n’est fondée sur aucune base juridique et va à l’encontre du
droit maritime. Du point de vue de la Chine, cette ligne issue de l’histoire n’est pas une
revendication territoriale, mais plus une ligne d’influence ou d’exercice de ses droits, concept
que la convention de Montego Bay ne sait pas prendre en compte ce qui fait dire à Pékin que le
droit international est inapproprié aux caractéristiques historiques et géographiques de la
MCM47
.
46 LACOSTE Yves, Géopolitique, La longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, 2006, p. 11
47 HU Bo, Chinese maritime power in the 21st century – Strategic planning, policy and prediction, New York,
Routledge, p.111. “China’s position on the Dash line does not contravene any UNCLOS articles. China’s claims
(…) are mainly founded upon the enduring historical practices of Chinese ancestors in the South China Sea. (…)
The Dash line is in fact not a territorial demarcation line, nor has the Chinese government ever defined a such.
This is a legal fact that the current maritime system is unable to interpret.”
24
Source : https://www.researchgate.net/figure/Location-Map-of-the-South-China-Sea-Islands-drafted-in-1946-
original-scale-is-14-000_fig11_316174282
Chapitre 1 : Géographie physique de la MCM
La mer de Chine méridionale est orientée selon une direction sud-ouest - nord-est. Sa limite sud
est à trois degrés de latitude sud, entre le sud de Sumatra et Kalimantan (le détroit de Karimata).
Sa limite nord est le détroit de Taiwan, de la pointe nord de l'île de Taïwan au littoral de la
province chinoise du Fujian. Le golfe de Thaïlande borde la mer de Chine du sud à l'ouest. La
mer s'étend au-dessus d'un plateau continental de faible profondeur dans sa partie ouest. À
l'époque des dernières glaciations, le niveau global des mers était plus bas de plusieurs centaines
25
de mètres, et l'île de Bornéo était rattachée au continent asiatique. Les principaux fleuves qui
se jettent dans cette mer sont la rivière des Perles, la Min et la Jiulong en Chine, le fleuve Rouge
au Vietnam, le Mékong, la Rajang dans l'État malaisien de Pahang et la Pasig aux Philippines ;
ces fleuves ont un débit important48
et déversent de gros volumes de sédiments et d’alluvions
qui vont niveler le plateau continental à leur embouchure et influent sur sa topographie. De
grandes cités portuaires se sont créées et développées sur le littoral, symboles de création de
richesses et points de concentration des flux d’échanges. Ce développement a accompagné la
naissance d’un nouvel espace économique en Asie, qui s’étire de Singapour jusqu’à
Vladivostok. La Chine se trouve ainsi soumise à deux logiques avec une zone côtière de plus
en plus intégrée dans les réseaux de commerce international et une zone intérieure plus
continentale et moins marchande qui affiche une pente de développement beaucoup plus faible.
Section 1 : Une mer semi-fermée
Il est courant de qualifier la mer de Chine méridionale de Méditerranée asiatique ; les
similitudes entre ces deux mers sont effectivement nombreuses. Leur caractéristique principale
est d’être des espaces maritimes relativement fermés, ce qui fait d’eux des carrefours
d’échanges (de marchandises, d’individus, d’idées, de monnaie), des traits d’union entre les
différentes civilisations qui bordent ce bassin. Les échanges commerciaux donnent naissance à
des ports qui deviendront rapidement des villes autonomes importantes qui constitueront les
nœuds du maillage commercial et financier de ces espaces.
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNDUM) définit la mer de Chine
méridionale comme une mer semi-fermée, et encourage une utilisation pacifique de cet espace
maritime qui doit être sous-tendue par la mise en place d’un ordre maritime régi par des lois et
des institutions relevant du droit international. Cette utilisation pacifique de l’espace maritime
doit prendre en compte la gestion des ressources, la protection environnementale, la sécurité de
la navigation et enfin la délimitation des frontières maritimes. La MCM couvre une superficie
de trois millions cinq cent mille kilomètres carrés, mesure environ trois mille kilomètres de
long et mille kilomètres de large. Elle est bordée par la Chine, Taïwan, les Philippines, la
Malaisie, Brunei, l’Indonésie, Singapour, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam. Six détroits
permettent l’accès entre la mer de Chine méridionale, les océans Indien et Pacifique, et la mer
de Chine orientale. On dénombre par ailleurs plusieurs centaines d’îles et récifs dispersés en
48
Le Mékong a un débit moyen de 17000 mètres cube par seconde. https://www.larousse.fr/encyclopedie/riviere-
lac/le_M%C3%A9kong/126644 consulté le 12 juillet 2021
26
MCM ; la majorité de ces récifs est rassemblée en deux archipels, les Paracels au nord-ouest et
les Spratleys au sud-ouest qui sont la cause de nombreuses tensions entre pays riverains qui
cherchent à établir ou à étendre leur zone économique exclusive en interprétant le droit de la
mer en fonction de leurs intérêts propres, et en se référant à leurs droits historiques issus de
zones de pêche ancestrales. Ce dernier point fait l’objet de nombreuses tractations au sein des
pays concernés, mais le jeu des alliances et de l’influence internationale étend ces disputes
frontalières bien au-delà de la mer de Chine méridionale.
Source : https://www.nautic-way.com/en_EN/admiralty-digital-chart-raster-arcs/philippine-sea-celebes-sea-
java-sea-banda-sea-sea-of-japan-yellow-sea-china-sea-gulf-of-thailand/admiralty-raster-arcs-4508-south-
china-sea
L’Asie du Sud-Est est une région maritime : la mer dépasse en superficie celle des terres
émergées, sa situation entre deux océans lui donne un rôle incontournable dans la circulation
maritime mondiale, et la richesse est créée en zone côtière. La MCM dispose de richesses
naturelles non négligeables qui exacerbent les tensions territoriales initiées par la RPC. La
Chine est dotée d’une façade littorale parmi les plus actives au monde, peuplée par plus de
quatre cents millions d’habitants. Cette façade constitue le cœur économique du pays et, par
27
l’intermédiaire de ses nombreux ports, sert d’interface avec le reste du monde. Cet espace
littoral occupe 14% du territoire mais regroupe 45% de la population et produit 60% du PIB de
la Chine. Ces territoires cumulent 87,5% des investissements étrangers directs reçus par la
Chine, et 88% des exportations chinoises quittent le pays par voie maritime.
Pour la RPC, l’importance de la MCM est liée à sa disposition géographique : pour accéder aux
océans Indien et Pacifique, les navires ou sous-marins doivent passer par des détroits que la
Chine ne contrôle pas et qui constituent autant de points de passage pouvant être bloqués en cas
de crise ou de guerre. Dans cette mer circulent les approvisionnements nécessaires à l’économie
de la RPC mais qui alimentent aussi les économies de quatre autres puissances industrielles
dont les relations avec la Chine peuvent être conflictuelles ; il s’agit du Japon, de la Corée du
Sud, de Taïwan et de Singapour. Un contrôle de la RPC sur la MCM lui garantit donc une
certaine sécurité des flux bien que Malacca reste un point de passage obligé et resserré en
particulier aux abords de Singapour. C’est ce que le précédent président chinois, Hu Jintao
appelait le « dilemme de Malacca », considérant que ce détroit pouvait aisément être bloqué
par des puissances étrangères cherchant à asphyxier l’économie chinoise.
Afin de mieux comprendre les enjeux des différentes contestations territoriales en mer de Chine
méridionale, il nous faut tout d’abord étudier la géographie physique de ce théâtre et les
ressources naturelles qu’il renferme. La Chine est au nord de la MCM et a plus de trente-deux
mille kilomètres de rivages, dont dix-huit mille kilomètres constituent les côtes de la Chine
continentale et quatorze mille sont les rivages des douze mille îles sous juridiction chinoise ;
ces îles représentent une surface globale d’environ soixante-dix-sept mille kilomètres carrés49
.
Concernant les principales zones contestées en MCM, les Paracels, regroupent environ 130
îlots, qui s’étendent sur une surface de quinze mille kilomètres carrés ; les Spratley, comptent
plus de 750 îlots et englobent une potentielle ZEE quatre cent cinquante mille kilomètres
carrés50
.
49
HU Bo, Chinese maritime power in the 21st
century – Strategic planning, policy and prediction, New York,
Routledge, 262 pages, p 24.
50
https://www.ege.fr/infoguerre/2016/02/lenjeu-du-controle-des-plateformes-et-ressources-petrolieres-dans-la-
mer-de-chine-meridionale consulté le 17 juin 2021
28
Section 2 : Océanologie et climatologie de la MCM
Les cartes marines montrent que le caractère semi-fermé de la MCM qui communique avec
l’extérieur par des détroits peu profonds, à l’exception du détroit de Bachi qui atteint une
profondeur de deux mille six cents mètres entre Taïwan et les Philippines. Parmi les autres
points de passage, le détroit de Balabac vers la mer de Sulu est profond de plus de quatre cents
mètres, tandis que les autres détroits ont tous une profondeur inférieure à cent mètres.
Encadrée approximativement par cent cinq et cent vingt degrés de longitude est, par l'équateur
et vingt degrés de latitude nord, la MCM bénéficie d'un climat essentiellement tropical et
soumis au régime alternatif des moussons. La mousson se traduit par un flux de sud-ouest de
mai à septembre et de nord-est en janvier, avec une houle qui peut atteindre quatre à cinq mètres.
Les mois d’avril et d’octobre sont des périodes de transition entre deux flux, qui sont
caractérisés par des vents tournants qui soulèvent une mer agitée et croisée. Les courants de
surface sont alternatifs car ils suivent le vent, et sont particulièrement forts entre novembre et
mars puisqu’ils atteignent une vitesse moyenne de quatre nœuds. Le phénomène de mousson
est à l’origine du caractère saisonnier du commerce lorsqu’il a commencé à se développer entre
l’Asie et l’Europe car les voiliers remontaient mal au vent et il est plus rapide de naviguer dans
le sens du vent.
La MCM étant entourée par la terre, elle offre des caractéristiques similaires à celles qui existent
en Méditerranée, bien que les bathymétries soient différentes. Les phénomènes d’action et de
réaction sont très dynamiques et, hormis les grands flux périodiques de mousson, peuvent être
difficiles à prévoir ; les vents soulèvent très rapidement une mer courte et hachée, qui retombe
ensuite aussi vite dès que les vents diminuent.
Outre les phénomènes météorologiques cycliques, la MCM est par ailleurs soumise à des
phénomènes météorologiques violents, les typhons. Ils se forment principalement à l'est des
Philippines, ou sur la Mer de Chine Méridionale elle-même. Ils sont fréquents au cours de la
période de juillet à novembre car ils ont besoin d’une température élevée de la mer pour se
former51
.
51
Le mécanisme de formation des cyclones dépend en grande partie de la température de la mer. Elle doit être
supérieure à 26 0
C dans les 60 premiers mètres car il faut que l'étendue océanique soit suffisamment chaude pour
déclencher une évaporation à grande échelle. C'est alors que s'opèrent des transferts de chaleur et d'humidité de
l'océan vers l'atmosphère. Ces échanges sont à leur maximum vers la fin de l'été, quand les eaux de surface
atteignent des températures de 28 à 30 0
C. https://www.universalis.fr/encyclopedie/cyclones/3-les-conditions-
necessaires-au-developpement-des-cyclones/ consulté le 12 juillet 2021
29
Section 3 : Fonds sous-marins
La Mer de Chine Méridionale peut être divisée en deux parties dont les profils bathymétriques
sont nettement opposés ; à l'ouest, la profondeur du plateau continental dépasse à peine trois
cents mètres de profondeur, tandis qu’à l’est, elle atteint un maximum de cinq mille mètres. A
l’ouest, le plateau occidental est large, étendu, et peu profond, à cause du débit des deux grands
fleuves, le Hong Hà plus connu sous le nom de fleuve rouge au nord, et le Mékong au sud qui
déversent dans le bassin un flot continu de sédiments et d’alluvions. Le bassin oriental se
compose d'une plaine abyssale centrale de plus de quatre mille mètres de profondeur et de deux
pentes dont celle de l'est descend abruptement, surtout en face des îles Palawan et Luzon.
Source : https://www.geoportail.gouv.fr/donnees/carte-mondiale-fonds-marins consulté le 29 avril 2021
30
Comme le précisent Yves Boyer et Patrick Hébrart dans leur étude52
, la structure de la mer de
Chine méridionale est encore imparfaitement connue. Il s’agirait d’un bassin créé par une
expansion tectonique, puis appelé à disparaître par subduction de l’arc insulaire philippin amené
à entrer en collision avec le continent asiatique, ce qui est déjà réalisé au niveau de Taïwan. Les
montagnes sous-marines qui s’élèvent au centre de la mer de Chine méridionale sont
vraisemblablement d’origine volcanique. La plupart de ces formations sont assises sur des
morceaux de croûtes continentales effondrées puis arrachées de la plaque asiatique ou
philippine. Les récifs, bancs et îles des Paracels, du banc Macclesfield et des Spratleys sont les
sommets de montagnes sous-marines et de volcans reposant sur ces fragments. Lors de la
formation du bassin océanique, les tensions engendrées par les mouvements de convection dans
le manteau auraient, d’une part, arraché et fait dériver vers le sud ce qui allait devenir
l’ensemble des Spratleys, d’autre part étiré et aminci la croûte continentale. En conséquence, il
est concrètement impossible de prouver une quelconque continuité morphologique entre le
plateau continental et les archipels disputés, sachant que la continuité du plateau continental est
l’argument principalement utilisé pour revendiquer des extensions de ZEE.
Chapitre 2 : Les ressources naturelles de la MCM
La mer de Chine méridionale abrite une partie du triangle de corail, épicentre de la biodiversité
marine de la planète, qui s’étend de la mer de Chine méridionale à l’Indonésie au sud et aux
îles Salomon à l’est. On y trouve plus de 76 % des espèces de coraux de la planète, et six des
sept espèces mondiales de tortues marines. Les récifs coralliens, dont la fragilité est maintenant
connue, jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de la flore et de la faune sous-marines et sont
un lieu de reproduction pour plus de quatre cents espèces de poissons. De leur sauvegarde
dépend la subsistance de plus de quatre cents millions de personnes, qui vivent des ressources
marines de la MCM. Cet écosystème repose sur un fragile équilibre malmené par les activités
humaines (réchauffement des eaux, modification des courants et de la salinité) ainsi que par le
dragage des fonds mené par les entreprises chinoises à la recherche de sable, ou pour poldériser
des récifs. Si cet équilibre venait à être rompu, c’est toute la chaîne alimentaire de la MCM, et
donc les ressources halieutiques qui pourraient être sérieusement menacées avec de graves
conséquences pour l’alimentation des populations locales.
52
Fondation pour la recherche stratégique, n° 06/2013 de décembre 2013. L’impact de la montée en puissance de
la zone Asie sur le repositionnement des moyens de lutte sous-marine déployés en Atlantique par Yves Boyer et
Patrick Hébrard. https://www.files.ethz.ch/isn/175215/RD_201306.pdf consulté le 11 juin 2021
31
Outre ses richesses naturelles vivantes, la MCM dispose également de ressources en
hydrocarbures et en gaz, ressources que les pays riverains se disputent et cherchent à exploiter.
Les estimations peuvent varier du simple au triple selon les sources consultées, ce qui démontre
que ces ressources ne sont pas précisément inventoriées et que la communication de leur
volume est influencée par des discours politiques ou sécuritaires. Cela contribue à renforcer les
rivalités entre les États qui cherchent à obtenir le contrôle de ces territoires afin d’exploiter les
gisements de pétrole ou de gaz. L’occupation d’îlots et leurs transformations en îles habitables
permettent à la puissance qui s’en attribue la souveraineté de réclamer la création d’une zone
économique exclusive liée à cette île. Mais l’occupation par plusieurs États des îlots proches
dans les Spratleys montre que l’attribution d’une ZEE ne soit pas facile pour des îles voisines
dont les espaces maritimes se recouvrent, et que des accords de coopération deviennent
rapidement indispensables afin de permettre l’exploitation des ressources.
Section 1 : Les ressources halieutiques
Les ressources halieutiques sont abondantes et faciles d’accès, ce qui explique la grande place
des produits de la mer, qui constituent la principale source de protéines, dans l’alimentation
asiatique. L’augmentation rapide du nombre d’habitants en zone littorale a fortement accru la
demande en poissons et coquillages, ce qui a conduit à un dérèglement de la pêche côtière, puis
à l’intensification de la pêche hauturière. L’absence de régulation et de contrôle a entraîné une
exploitation désordonnée des stocks et les ressources doivent maintenant être préservées par
l’instauration de quotas ou de moratoires, afin d’assurer leur renouvellement. L’enrichissement
des populations a aussi entraîné une évolution des modes d’alimentation et constitue un facteur
supplémentaire d’augmentation de la consommation ; les statistiques de la Food and
Agriculture Organization53
montrent que la consommation des produits de la mer est passée de
vingt-quatre kilogrammes par an par habitant en 2001 à trente-trois kilos annuels en 2011 ; en
Malaisie la consommation atteint cinquante-neuf kilos, et à Hong Kong soixante et onze kilos.
Cette évolution déstabilise la chaîne alimentaire car elle concentre la majeure partie de la
consommation vers des espèces spécifiques (saumon, thon) au détriment d’autres espèces
comestibles, ce qui désordonne l’équilibre naturel entre les prédateurs et les proies. Le
développement de l’aquaculture sur les bords de la MCM permet de fournir une quantité
53
http://www.fao.org/fishery/en consulté le 29 juin 2021
32
artificielle de produits de la mer sans détruire les stocks sauvages, mais ce type d’élevage a
aussi des impacts non négligeables en termes environnementaux.
Source : http://www.fao.org/fishery/facp/CHN/en
L’Asie est la première zone de pêche au monde, que ce soit pour l’aquaculture, la pêche dans
les eaux intérieures ou en haute mer. Les captures en zone de pêche maritime en Asie étaient
évaluées à plus de trente-neuf millions de tonnes en 2009, soit presque autant que tous les autres
continents réunis. Au total, environ 7% des prises mondiales sont effectuées en mer de Chine
méridionale. Mais si les ressources halieutiques de la mer de Chine méridionale sont réputées,
elles sont mal connues, et il reste difficile de les évaluer avec précision. Les côtes et la
plateforme de la Sonde qui sont des eaux peu profondes concentrent l’essentiel des activités de
pêche, là où se développent plantes et planctons, base de la chaîne alimentaire marine.
L’archipel des Spratleys qui est riche en plancton, abrite une importante population de poissons
(notamment de thon), de homards, de tortues, de carets, d'abalones et de mollusques rares y
vivent et s’y reproduisent. Pêcher de façon intensive et non régulée dans ces espaces met en
danger la survie de nombreuses espèces, et à terme contribuera à la désertification de la MCM.
Le tonnage global de la flotte de pêche chinoise a fortement augmenté pour satisfaire
l’explosion de la demande de produits de la mer, conséquence de l’exode des populations des
campagnes vers le littoral. Si une gestion raisonnée des ressources de la MCM permet de
subvenir aux besoins plus de quatre cents millions de personnes, une pêche intensive met en
péril cette ressource qui n’est pas inépuisable ; depuis quelques années, un moratoire annuel de
trois mois et demi sur la pêche a été établi à Hainan, principale base des pêcheurs chinois, afin
de permettre une hypothétique reconstitution des stocks.
33
Outre les tensions liées à l’exploitation de la ressource, la pêche revêt une grande importance
économique pour les pays riverains de la MCM. Les pêcheries de tous les États riverains
dépendent en grande partie de ces richesses halieutiques. À titre d’exemple, la pêche représente
7% du produit intérieur brut et 4,5 millions d’emplois au Vietnam.
Le rapport des pays à la mer évolue en fonction des marchés et des demandes soudaines de
produits qui apparaissent, modifient les habitudes de pêche et concentrent les captures sur
certaines espèces. C’est le cas par exemple des sushis qui ont commencé à se répandre dans le
monde à la fin des années quatre-vingt-dix, dont la demande ne faiblit pas,54
et qui exigent
d’importantes quantités de saumon et de thon. Ce phénomène a entraîné un changement de la
finalité de la pêche qui est passée d’une logique de consommation locale à une logique
d’exportation, donc l’ouverture à des marchés plus volumineux entraînant un développement
de la pêche intensive. En outre, l’exportation étant économiquement plus rentable que la
consommation locale, des pays qui parvenaient à nourrir leur population avec le fruit de la
pêche nationale sont devenus des importateurs de poissons et de coquillages.
Afin de pallier la surpêche tout en conservant une forte capacité de production, les pays de
riverains de la MCM ont développé l’aquaculture qui prend une importance grandissante dans
les économies locales. Aux Philippines, l’aquaculture représente plus de 50% de la production
en volume pour la pêche et le pays a investi dans la culture d’algues marines dont il est le
troisième producteur mondial après la Chine et l’Indonésie55
. L’Indonésie est le second
producteur d’animaux aquatiques derrière la Chine, et le troisième producteur de produits issus
de l’aquaculture après l’Inde et la Chine56
. Les bénéfices économiques de l’aquaculture57
expliquent son rapide développement mais les inconvénients pour le milieu naturel ne sont pas
encore assez pris en compte. L’utilisation de produits chimiques et d’antibiotiques a des
conséquences néfastes sur l’environnement proche ; certains poissons sont nourris avec des
protéines issues de la transformation de poissons plus petits qui sont pêchés de façon intensive,
ce qui contribue à la désorganisation de la chaîne alimentaire. De plus, les littoraux de la MCM
sont fortement pollués par l’activité humaine et le développement de fermes aquacoles à
54
https://www.linkedin.com/pulse/g%C3%A9opolitique-du-sushi-edgar-le-ras/?trk=public_profile_article_view
consulté le 2 mai 2021
55
https://agriculture.gouv.fr/philippines consulté le 2 mai 2021
56
https://agriculture.gouv.fr/indonesie consulté le 2 mai 2021
57
https://www.1h2o3.com/apprendre/avantages-et-inconvenients-de-
laquaculture/#:~:text=Les%20aquacultures%20prot%C3%A8gent%20%C3%A9galement%20la,des%20diff%C
3%A9rentes%20esp%C3%A8ces%20en%20mer consulté le 2 mai 2021
34
proximité immédiate des rivages laisse penser que les animaux qui y sont élevés bénéficient
pleinement de cette pollution avant d’être ensuite consommés ou transformés.
La Chine est l’un des principaux producteurs mondiaux depuis de nombreuses années comme
le montrent les statistiques de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO)58
; en 2015 la Chine a produit soixante millions de tonnes de poisson dont
73% proviennent de l’aquaculture et 27% des captures en mer. En 2015, la contribution chinoise
au marché mondial de la pêche était de 62%. La flotte chinoise cette même année était estimée
à trois cent soixante-dix mille embarcations non motorisées et six cent soixante-douze mille
bateaux à moteur. Le secteur de la pêche employait plus de quatorze millions de personnes en
2015, et l’estimation des emplois dérivés atteint seize millions supplémentaires d’individus.
Les exportations des produits de la pêche en 2015 ont atteint vingt milliards de dollars, mais la
hausse de la demande en Chine a augmenté les importations qui placent la RPC au rang de
troisième importateur mondial depuis 2012 pour une valeur supérieure à huit milliards de
dollars en 201459
.
L’accroissement continu de la population côtière induit une hausse proportionnelle de la
demande de produits de la mer qui constituent la base du régime alimentaire asiatique ; à la
consommation traditionnelle s’ajoutent les effets de mode alimentaire qui concentrent la
demande sur certaines espèces et qui pour des raisons économiques remettent en question
l’équilibre de la pêche traditionnelle. La conjugaison de ces facteurs à laquelle s’ajoutent les
conséquences de la pollution et du réchauffement climatique sont une source de préoccupation
grandissante pour les pays riverains de la MCM qui commencent à prendre conscience de la
fragilité de leurs approvisionnements alimentaires fondamentaux.
Section 2 : Les ressources fossiles
Viennent ensuite les richesses fossiles et hydrocarbures dont les gisements sont principalement
situés à proximité des côtes et dans la partie sud-ouest de la MCM. Comme dans de nombreuses
régions péri-continentales, d’importantes ressources hydrocarbures ont été découvertes près des
littoraux et des réserves beaucoup plus vastes sont présumées, en particulier dans l’archipel des
Spratleys. Les estimations du volume des réserves varient en fonction de leurs origines ;
l’estimation la plus faible vient des sources américaines, tandis que les sources chinoises ont
58
http://www.fao.org/about/fr/ consulté le 2 mai 2021
59
http://www.fao.org/fishery/facp/CHN/en consulté le 20 juin 2021
35
tendance à surestimer les réserves pétrolières et gazières. Il est donc difficile d’obtenir une
estimation précise des ressources, ainsi qu’une étude sur la facilité d’exploitation des gisements
en fonction de leur localisation. A ces premiers paramètres objectifs, s’ajoutent les contraintes
administratives imposées par le gouvernement chinois lorsque des sociétés occidentales tentent
de s’implanter en MCM, que ce soit pour de simples forages de recherche ou pour l’exploitation
de gisements. L’importance des ressources pétrolières et gazières en MCM est donc plus
supposée que prouvée, et les gisements prouvés sont souvent situés dans des zones qui rendent
leur exploitation difficile (fonds importants et tourmentés, impacts météorologiques, et forts
courants sous-marins).
Les archipels des Paracels et des Spratleys sont non seulement très riches en faune et en flore
maritimes, mais certains experts estiment que les fonds marins y recèleraient quelque dix
millions de tonnes de phosphates, et des nodules polymétalliques. Il est possible que des
réserves très importantes de pétrole et de gaz naturel existent dans les mers marginales bordant
la Chine. Les gisements pétroliers et gaziers de la MCM se répartissent en deux zones
principales ; la première est un rectangle qui part de la côte nord-est du Vietnam, englobe l’île
de Hainan et longe la côte sud de la chine jusqu’au détroit de Taïwan ; la seconde couvre la
partie sud-ouest de la MCM en longeant les côtes de la Malaise, de Brunei et du sud du Vietnam.
Environ huit bassins sédimentaires recouvrant une zone de quatre cent dix mille kilomètres
carrés se trouvent autour des Spratleys et pourraient contenir des ressources importantes. La
mer de Chine méridionale est considérée comme l’un des cinq plus grands bassins pétroliers et
gaziers au monde. Actuellement, la plupart les pays de la région exploitent ces ressources :
Chine, Vietnam, Malaisie, Brunei, Thaïlande et l’Indonésie qui est membre de l’OPEP. Les
estimations de ressources dans cette zone maritime font état de douze milliards de barils de
pétrole (réserves prouvées) et de cent soixante mille milliards de mètres cubes de gaz naturel
(estimation), soit 13,4% des réserves mondiales60
. Les écarts d’estimation en fonction des
sources confirment la difficulté à évaluer précisément les ressources disponibles ainsi que les
conditions d’exploitation des gisements.
60
https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.Php?id=10651#:~:text=Industry%20sources%20suggest%20almost
%20no,fields%20near%20the%20Spratly%20Islands.&text=In%20total%2C%20the%20South%20China,as%20
proved%20or%20probable%20reserves consulté le 31 mars 2021.
36
Asia	Maritime	Transparency	Initiative	-		https://amti.csis.org/south-china-sea-energy-exploration-and-development/	
Le Vietnam est un producteur pétrolier modeste ; il représente moins de 1% des réserves
mondiales soit une estimation d’à peine plus de quatre milliards de barils de pétrole selon la
revue statistique de British Petroleum. Le Vietnam est exportateur de pétrole brut, qui
représente environ 20% des revenus du commerce extérieur. Cependant Hanoï doit augmenter
ses importations des produits pétroliers pour soutenir son développement économique qui
accroît mécaniquement ses besoins énergétiques. Les îles Paracels et Spratley représentent donc
une région stratégique pour le Vietnam, constituant un enjeu économique non négligeable tant
pour la poursuite de son développement économique que pour réduire sa dépendance aux
importations.
Outre la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques, la Chine cherche aussi à les
diversifier. En mars 2021, la Chine et l’Iran ont signé un pacte de coopération stratégique d’une
durée de vingt-cinq ans. Les Chinois investiront plus de quatre cents milliards de dollars dans
les infrastructures (routes, énergie, télécommunication, cyber sécurité) et l’Iran donnera à la
Chine un accès privilégié à ses ressources d’hydrocarbures (gaz et pétrole) à des prix inférieurs
de 12% à ceux du marché61
.
Toutes les ressources fossiles de la Chine ne sont pas situées en MCM, mais elles lui permettent
d’être au niveau mondial, le cinquième producteur de gaz naturel, le septième producteur de
61
https://geopragma.fr/liran-nouveau-pion-de-la-realpolitik-chinoise/ consulté le 17 juin 2021
37
pétrole et le huitième producteur d’uranium. Ces classements ne lui permettent cependant pas
de faire face à la très forte demande intérieure nécessaire à la poursuite de son développement
et à la satisfaction des besoins quotidiens de la population.
Section 3 : Le sable
Le sable est la deuxième ressource la plus utilisée dans le monde après l’eau, et avant le pétrole
ou le gaz. Il est omniprésent dans notre quotidien. Il est principalement utilisé pour ses
composants minéraux qui en font le moteur de la croissance urbaine : entre 2014 et 2018, la
Chine en a plus utilisé que les États-Unis en un siècle. Les statistiques précises au sujet de ce
marché font défaut car aucune organisation internationale ne recense la production et la
consommation mondiale de sable. Cette dernière est évaluée dans un intervalle de cinquante à
soixante milliards de tonnes, dont 58% seraient absorbés par la Chine. Les réserves de sable
sont évaluées à cent vingt millions de milliards de tonnes ce qui montre que cette ressource
n’est pas infinie, et les grandes entreprises de travaux publics telles que Bouygues62
constatent
« qu’il n’y a plus de sable ». Les ordres de grandeur de la quantité de sable nécessaire dans la
vie quotidienne sont de deux cents tonnes pour la construction d’une maison, trois mille tonnes
pour un hôpital, trente mille tonnes pour un kilomètre d’autoroute et douze millions de tonnes
pour une centrale nucléaire. Cette limitation de la ressource est due à la longueur de son cycle de
renouvellement, et aux différents types de sable, car tous ne sont pas exploitables : soit il est
inaccessible car trop profondément enfoui sous la mer, soit sa structure le rend impropre à son
exploitation. « Il en existe trois catégories. Le sable “éolien” des déserts. Abondant, son grain,
fortement usé et rond, le rend quasi inutilisable. Le sable « fluviatile » que l’on trouve dans le lit
des rivières, anciennes ou actuelles, et au large des côtes devant les estuaires, lui, en revanche, est
peu usé et fortement anguleux. Le troisième, intermédiaire des deux premiers, est constitué du sable
des plages » explique Éric Chaumillon63
.
Les besoins en sable sont démultipliés par la croissance démographique, par la construction
d’infrastructures touristiques ainsi que par les pays qui étendent leur territoire sur la mer ; à titre
d’exemple, Singapour a gagné un quart de sa superficie sur les îlots depuis 1965 en passant de
cinq cent quatre-vingt-deux à sept cent dix-huit kilomètres carrés, soit un gain de cent trente-
six kilomètres carrés. Le développement rapide et spectaculaire des États pétroliers du golfe
Persique a abouti à l’épuisement de leurs ressources en sable au début des années 2000 ; ces
62
Entretien de l’auteur avec le directeur de la branche Bouygues située à Londres.
63
Éric Chamillon est professeur de géologie marine à l’université de la Rochelle et chercheur au CNRS.
38
pays doivent désormais importer depuis l’Australie des millions de tonnes de sable chaque
année pour mener à bien leurs projets immobiliers.
Nous avons vu que les ressources en sable sont limitées, et comme toute ressource non
renouvelable, le sable fait désormais l’objet de convoitises et entre dans le domaine des
ressources pour lesquelles des conflits sont envisageables à moins que des alternatives ne soient
trouvées. Des organisations criminelles œuvrent dans ce nouveau domaine d’action en
détournant des exploitations de sable afin de revendre les granulats au plus offrant. Dans de
nombreux pays voisins de la MCM ayant interdit le commerce du sable, un marché noir s’est
mis en place pour alimenter une demande qui ne cesse de croître.
La Chine a d’importants besoins en sable pour le développement immobilier et les
infrastructures de son littoral qui accueille une population en pleine expansion, ainsi que pour
la poldérisation des îlots qu’elle développe en mer de Chine. Entre 1994 et 2012, la production
chinoise de béton a augmenté de 437 %, quand celle du reste du monde augmentait de 60 %.
En 2018, les besoins chinois en sable étaient de dix-huit milliards de tonnes contre quatre en
2013. La RPC a par exemple démarré un projet de construction d’un terre-plein littoral devant
la ville côtière de Wenzhou ; ce projet de conquête sur la mer prévoit soixante-six kilomètres
carrés de surface à gagner sur les eaux. La demande chinoise est sous tension parce que le
dragage a été interdit dans certaines zones fluviales ou alluvionnaires continentales ;
l’extraction dans le fleuve Yang-Tsé-Kiang a été contrôlée depuis 2000. Ces quelques projets
expliquent ce gigantesque besoin mondial en granulats marins.
Des archipels taïwanais64
sont situés à proximité immédiate du littoral chinois, et des dragues
chinoises viennent extraire du sable avec une fréquence exponentielle. Les incursions de
dragues relevées par Taïwan étaient de deux en 2017, soixante et onze en 2018, six cents en
2019 et près de quatre mille en 2020 qui prélèvent cent mille tonnes de sable par jour65
. Ces
barges opèrent sans pavillon ou sous pavillon de complaisance afin de ne pas pouvoir être
juridiquement rattachées à la RPC. Taïwan a récemment renforcé sa législation pour tenter de
limiter ces incursions en infligeant aux armateurs des amendes allant jusqu’à trois millions de
dollars (contre trente mille dollars auparavant), des peines allant jusqu’à sept ans de prison pour
les équipages, ainsi que la saisie et la destruction systématique des barges.
64
Archipel de Kinmen situé à deux kilomètres du littoral chinois ainsi que l’île Matsu.
65
https://graphics.reuters.com/TAIWAN-CHINA/SECURITY/jbyvrnzerve/ consulté le 15 avril 2021
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  • 1. UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III FACULTE DE DROIT Master 2 relations internationales Parcours relations internationales et diplomatie (RID) LA MER DE CHINE MERIDIONALE PIVOT DE LA STRATEGIE DE PEKIN VERS 2049 Charles-Eric CANONNE Sous la direction de Monsieur David Cumin Maître de conférences (HDR) à l’Université Jean Moulin Lyon 3 CANONNE Charles-Eric - charles-eric.canonne@univ-lyon3.fr N° étudiant : 3209646 Année universitaire 2020-2021
  • 2. 2 « Être une puissance mondiale, cela veut dire être une puissance maritime. » Georges Leygues Ministre de la marine (1917-1920)
  • 3. 3 SOMMAIRE INTRODUCTION……………………………………………………………………………..5 Titre I : Géographie de la mer de Chine méridionale………………………………………...23 Chapitre 1 : La géographie de la MCM…………………………………………...….24 Chapitre 2 : Les ressources naturelles de la MCM…………………………….……..30 Chapitre 3 : Une zone de transit vitale pour l’économie…………………………...…41 Chapitre 4 : Les fonds sous-marins de la MCM………………………………...……52 Titre II : Géopolitique chinoise dans la mer de Chine méridionale…………………………..59 Chapitre 1 : Accords pour l’exploitation commune des ressources naturelles……….60 Chapitre 2 : ASEAN et élaboration d’un code de conduite en MCM………………...66 Chapitre 3 : Relations et coopération avec les pays riverains………………………...75 Chapitre 4 : Appropriation, poldérisation, militarisation des îlots en MCM…..……..85 Titre III : Géostratégie chinoise dans la mer de Chine méridionale………………………….95 Chapitre 1 : Stratégie globale de la RPC………………………………...……………96 Chapitre 2 : Stratégie défensive de la RPC……………………………...……..……100 Chapitre 3 : La puissance navale chinoise………………………………..…………105 Chapitre 4 : Utilisation par la RPC de moyens non militaires………………………117 CONCLUSION GÉNÉRALE…………………………...………………………………..…131
  • 4. 4 LISTE DES ACRONYMES ADMM ASEAN Defence Minister’s Meeting AMTI Asian Maritime Transparency Initiative ANASE Association des Nations de l’Asie du Sud-Est ASEAN Association of South East Asian Nations BRI Belt and road initiative B3W Build Back Better World CCG China Coast Guard CEMM Chef d'état-major de la Marine CNUDM Convention des Nations Unies sur le droit de la mer CMC Commission militaire centrale COC Code of conduct CPA Cour permanente d’arbitrage DOC Declaration of conduct FAO Food and agriculture organization GAN Groupe aéronaval MCM Mer de Chine méridionale MINAE Ministre des Armées OMI Organisation maritime internationale PCC Parti communiste chinois PCV Parti communiste vietnamien PIB Produit intérieur brut PLAN People’s liberation army navy PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement QUAD Quadrilateral security dialogue RPC République populaire de Chine RMN Route maritime du Nord SCS South China Sea SNA Sous-marin nucléaire d’attaque SNLE Sous-marin nucléaire lanceur d’engins SOSUS SOund SUrveillance System ZEE Zone économique exclusive
  • 5. 5 INTRODUCTION Depuis plus d’une dizaine d’années, la mer de Chine méridionale1 occupe une place importante dans l’actualité médiatique ainsi que dans les sujets traités par de nombreux stratèges, historiens, ou géographes. Ces études décrivent et expliquent le comportement conquérant de Pékin en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale, soulignent la montée en puissance de ses forces navales, et l’utilisation déguisée de nombreuses milices de pêcheurs pour occuper l’espace maritime. L’Occident reproche à la Chine son mépris du droit international qui se manifeste par la revendication de la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, par l’application de lois chinoises sur cet espace maritime, par l’appropriation puis la militarisation d’îlots dans des zones contestées, ainsi que par des incursions de plus en plus fréquentes dans les eaux territoriales et dans l’espace aérien de Taïwan. La mer de Chine méridionale est au cœur de la mondialisation pour trois raisons principales ; des raisons économiques liées à l’exploitation des ressources et au trafic maritime ; des raisons géopolitiques conséquences d’une logique d’affirmation de puissances ; des raisons militaires liées à la sécurisation des voies maritimes et à la liberté de passage du commerce. Les États-Unis ont délaissé cette partie du globe depuis 2001 et ont concentré leurs efforts dans la guerre contre le terrorisme en Afghanistan et en Irak. La Chine a profité de cette absence pour affirmer ses ambitions de puissance grâce à une forte croissance économique soutenue par l’essor du commerce maritime. Les États-Unis ont à nouveau focalisé leur attention vers l’Indopacifique2 en 2010 lorsque le président Obama a dévoilé son concept de pivot vers l’Asie. Washington veut empêcher Pékin de prendre trop d’importance sur la scène internationale, ce qui lui permettrait de prétendre changer l’ordre international. Les principaux axes de la politique américaine dans cette zone sont de renforcer la solidité des alliances régionales, d’en nouer de nouvelles, d’assurer les partenaires régionaux du soutien des États-Unis, ainsi que de promouvoir la défense et le respect du droit international. L’Europe, et la France en particulier, 1 La mer de Chine méridionale est nommée South China Sea dans la littérature anglo-saxonne. 2 C'est au Premier ministre japonais Shinzo Abe qu'est attribuée la première utilisation dans un contexte géopolitique de la notion d'Indopacifique. Les États-Unis intègreront ce terme dès 2010 en évoquant l’importance des voies de communication maritimes dans le bassin indopacifique, l’Australie le mentionnera dans son livre blanc pour la défense en 2013, l’Inde y fera référence en 2015 dans sa stratégie maritime pour la sécurité des mers. En 2017 le président Trump l’intègrera à la stratégie de sécurité nationale des États-Unis. En 2018 la France publiera un livre blanc sur la stratégie française en Asie-Océanie à l’horizon 2030, puis en 2019 sera diffusée la stratégie de défense française en Indopacifique.
  • 6. 6 s’intéressent à la mer de Chine méridionale qui est un espace stratégique majeur car il abrite la croissance de l’économie mondiale et héberge des voies maritimes capitales pour les approvisionnements. La France dispose de territoires, de ressortissants et de forces armées dans l’espace indopacifique qui justifient ses actions de défense du droit international et son action diplomatique et politique ferme mais coopérative vis-à-vis de la Chine, car la France est une puissance maritime de l’Indopacifique. L’Indopacifique héberge environ 60% de la population mondiale. C’est un lieu de création de richesses, soutenu par une croissance économique robuste, qui fournit environ 40% du PIB mondial. Cette performance économique tend à s’améliorer, grâce à une intensification de la coopération régionale et du rôle structurant de l’Association of South East Asian Nations (ASEAN). Le centre de gravité de l'économie mondiale s'est déplacé vers l'Indopacifique, et l’on dénombre six membres du G20 (Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon) dans cet espace. Les principales artères du commerce mondial traversent l’océan Indien, et le détroit de Malacca. Elles alimentent l’Inde, la Chine, le Japon, la Corée en matières premières et envoient les produits manufacturés vers l’Europe. Au cœur de la maritimisation des économies, l’océan Indien est aujourd’hui le lieu de passage de 25% du trafic maritime mondial. Cette maritimisation se caractérise par des flux énergétiques (pétrole et gaz) en provenance des pays producteurs et exportateurs du golfe Persique à destination principalement de l’Asie (82% du pétrole et 56% du gaz), ainsi que par des flux de marchandises et de biens en provenance d’Asie et à destination de l’Europe. Grande puissance depuis cinq millénaires, la Chine a conservé ce statut jusqu’à la moitié du XIXe siècle ; en 1839 avec les guerres de l’opium3 débute une période aride qui va s’étendre sur plus d’un siècle où la Chine perd sa grandeur, est occupée puis partiellement démembrée d’abord par les Occidentaux puis par les Japonais en 1937. Cette longue période d’humiliation a laissé des cicatrices durables au sein du peuple chinois, et ses conséquences influent toujours sur la politique internationale chinoise4 . Xi Jinping a évoqué cette période douloureuse pour le 3 Il y a eu deux guerres de l’opium : la première avec l’Angleterre seule (1839-1842), puis la seconde avec l’Angleterre associée à la France (1858-1860). Depuis 1773, le Royaume-Uni a obtenu le monopole de la vente d'opium en Chine. Ce trafic de drogue à grande échelle se révèle particulièrement lucratif pour les Britanniques, qui en vendent plusieurs milliers de tonnes chaque année. En 1839, la Chine interdit l'importation et la consommation d'opium et détruit un stock de plus de mille tonnes dans la ville de Canton. C'est le début de la guerre de l'opium. Le 29 août 1842, le traité de Nankin officialise la victoire des Britanniques, qui obtiennent le droit de vendre de l'opium en Chine et la gestion de la ville de Hong Kong. 4 Les guerres de l’opium sont évoquées dans l’intervention de Xi Jinping lors du lors du 19ème congrès national du parti communiste chinois, 18 octobre 2017. Il souligne la résilience du peuple chinois et sa capacité à surmonter les épreuves.
  • 7. 7 peuple chinois lors de son dernier discours prononcé à l’occasion des cent ans du parti communiste chinois (PCC)5 . La République populaire de Chine (RPC) est proclamée par Mao Zedong à Pékin le 1er octobre 1949, vingt-huit ans après la fondation du Parti communiste chinois, qui conquiert le pouvoir après des années de guerre civile contre les nationalistes du Guomindang6 . La RPC est alors un des pays les plus pauvres du monde, avec 95% de population rurale, une production industrielle limitée, et des échanges commerciaux presque inexistants. La Chine a connu une chute vertigineuse de sa puissance géopolitique au cours des trois derniers siècles, et cette chute est étroitement liée à la perte de sa puissance économique. La part de la Chine dans le produit intérieur brut (PIB) mondial était de 22% en 1700, et a atteint son maximum avec 33% en 1820. Entre 1952 et 1978, ce pourcentage s’est stabilisé autour de 5%7 . Après la mort de Mao Zedong, à partir de 1978, Deng Xiaoping modifie la traditionnelle politique intérieure chinoise ; il donne une impulsion à l’économie en tentant de conjuguer une nouvelle approche du capitalisme passant par une plus grande ouverture au monde, en développant le commerce maritime et en ouvrant les ports chinois, tout en maintenant un contrôle très présent du parti communiste sur la politique économique. La RPC a depuis récupéré les territoires de Hong Kong8 puis de Macao9 qui concentrent une importante activité industrielle, commerciale et financière ; son prochain objectif est de formellement ramener Taïwan sous l’autorité de Pékin, mais le contexte historique et l’implication des États-Unis sur ce sujet laissent entendre que cette tâche sera ardue et potentiellement source de conflit. En un peu plus de soixante-dix ans, la RPC s’est hissée aux avant-postes de l’économie mondiale, est devenue une puissance régionale reconnue et concentre ses efforts pour devenir la première puissance mondiale en 2049, année du centenaire de sa création. Être la première 5 “After the Opium War of 1840, however, China was gradually reduced to a semi-colonial, semi-feudal society and suffered greater ravages than ever before. The country endured intense humiliation, the people were subjected to great pain, and the Chinese civilization was plunged into darkness”. https://asia.nikkei.com/Politics/Full-text- of-Xi-Jinping-s-speech-on-the-CCP-s-100th-anniversary consulté le 1er juillet 2021 6 C’est en s’appuyant sur les paysans nombreux et pauvres ainsi que sur le nationalisme que Mao Zedong parvient à prendre le pouvoir. Défaits, les nationalistes anticommunistes se réfugient à Taïwan où ils fondent un régime parallèle encouragé et protégé par les États-Unis. 7 https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1363 consulté le 16 juin 2021 8 Le Royaume-Uni a rétrocédé Hong Kong à la Chine en 1997. Hong Kong était devenu britannique en 1842 à la suite de la première guerre de l’opium. Ce n’était pas une colonie de peuplement mais une terre peuplée de Chinois, ouverte sur le reste de la Chine et qui était gérée comme toutes les colonies britanniques par un gouverneur nommé par Londres. https://www.franceculture.fr/geopolitique/en-1997-la-chine-recupere-hong-kong-et-fait-des-promesses consulté le 2 avril 2021. 9 Après 442 ans passés sous le règne colonial du Portugal, Macao a été rétrocédé à la Chine en 1999.
  • 8. 8 puissance mondiale est le but affiché, mais la Chine veut plus. Sophie du Rocher10 précise « à terme, ce que vise Pékin, c’est de substituer un système référentiel chinois au système américain, et convaincre les pays de la région de l’intérêt et de la logique naturelle d’une communauté de destin, y compris sécuritaire ». La marche vers 2049 a été détaillée par Xi Jinping11 dans son discours12 du 18 octobre 2017 à l’occasion du XIXe congrès national du parti communiste chinois. Il résume les progrès réalisés13 depuis son accession au pouvoir puis précise sa feuille de route14 définie en quatorze points : les objectifs intermédiaires devant être atteints en 2035, puis ceux, finaux à réaliser quinze ans plus tard, même s’il n’évoque pas explicitement l’année 2049. Il souligne à de nombreuses reprises l’importance du parti communiste chinois et son double rôle de référence et de direction pour le peuple chinois ; le rattachement de Taïwan à la Chine continentale est explicitement mentionné. Dans cette marche vers 2049, la RPC a célébré avec faste, le 1er juillet 2021 le centième anniversaire de la création du parti communiste chinois. Cet anniversaire a donné à Xi Jinping une nouvelle occasion de s’adresser autant à son peuple qu’au reste du monde en vantant les actions réalisées sous la direction PCC et de donner les grandes orientations de la politique intérieure et extérieure de la RPC pour les années à venir. Les domaines incontournables dans cette course vers la première place concernent les domaines économique, militaire, diplomatique, politique, culturel et idéologique. Malgré un régime autoritaire et les contraintes qui brident les libertés individuelles, la population chinoise soutient majoritairement son président car elle bénéficie de meilleures conditions de vie grâce au succès économique du pays, et d’un fort renouveau de fierté nationale grâce à son rayonnement international. Xi Jinping a annoncé en février 2021 que depuis son arrivée au pouvoir, la pauvreté absolue avait été éradiquée de Chine15 , ce qui représente plus de cent millions de 10 Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques et chercheur associé au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI). 11 Xi Jinping est arrivé au pouvoir en 2013 et est le troisième président de la RPC depuis Deng Xiaoping. 12 “In the first stage from 2020 to 2035, we will build on the foundation created by the moderately prosperous society with a further 15 years of hard work to see that socialist modernization is basically realized. In the second stage from 2035 to the middle of the 21st century, we will, building on having basically achieved modernization, work hard for a further 15 years and develop China into a great modern socialist country that is prosperous, strong, democratic, culturally advanced, harmonious, and beautiful.” http://www.xinhuanet.com/english/special/2017-11/03/c_136725942.htm consulté le 1er mai 2021. 13 Développement économique et diplomatique, recul de la pauvreté et amélioration des conditions de vie, renforcement des capacités militaires, transition écologique. 14 Le PCC se présente comme étant le ciment de la cohésion du peuple chinois ; il prône une approche centrée sur le peuple, encourage la poursuite du développement économique, des réformes, et de l’amélioration des conditions de vie. Son objectif majeur est la réunification de Taïwan à Pékin avec une gestion obéissant au principe « d’un pays deux systèmes ». 15 https://www.entreprendre.fr/eradication-de-la-pauvrete-absolue-en-chine-un-coup-de-maitre-en-periode- difficile/ consulté le 1er mai 2021
  • 9. 9 personnes qui ont bénéficié des mesures sociales mises en place par le gouvernement. Le PIB par habitant a doublé entre 2000 et 202016 et la classe moyenne chinoise représente maintenant plus de quatre cents millions de personnes qui se sont enrichies rapidement et ont acquis un pouvoir d’achat équivalent à celui de la classe moyenne européenne. La puissance économique de la Chine s’est construite grâce au commerce international et maritime, conséquence de l’ouverture sur le monde initiée par Deng Xiaoping ; la Chine a longtemps été considérée comme l’atelier du monde, le lieu de manufacture et de transformation des produits par une main-d’œuvre nombreuse, peu payée, et disposant de faibles droits sociaux. Cela a contribué à la délocalisation de nombreuses entreprises occidentales en Chine qui est devenue le centre mondial de production, puis d’exportation de produits manufacturés. Le développement de cette nouvelle économie a été permis par l’accroissement exponentiel du trafic maritime avec en particulier la révolution des conteneurs dont les premiers sont apparus à la fin des années 1970. La Chine dispose d’une vaste façade maritime sur laquelle se trouvent des ports historiques tels de Hong Kong ou Shanghai, ce qui lui permet de retrouver ses anciens modes d’action de puissance commerciale maritime en développant des infrastructures complètes permettant la réception des matières premières, leur transformation en produits finis, le stockage puis l’exportation vers l’Europe et les États-Unis. Les mers et océans couvrent 71% de la surface de la planète et abritent les artères du commerce mondial puisque plus de 90% en volume et 80% en valeur des échanges mondiaux transitent par la mer. Depuis des siècles la domination des mers s’est acquise dans le combat naval qui requiert des capacités de projection et de soutien ; le Portugal était la principale puissance maritime au XVIe siècle, la Hollande lui a succédé au XVIIe siècle avant que le Royaume-Uni ne devienne la puissance maritime de référence et domine les mers au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Le XXe siècle consacrera l’hégémonie de la puissance navale américaine, qui est très durement concurrencée par la marine chinoise en ce début de XXIe siècle. Comme le soulignait l’amiral américain Mahan17 : « la puissance maritime tient en premier lieu au commerce et celui-ci suit les routes les plus avantageuses ; la puissance militaire a toujours suivi le commerce pour l’aider à progresser et pour le protéger ». En ce qui concerne le détroit de 16 https://www.chine-magazine.com/la-chine-est-en-passe-de-devenir-une-nation-moderement-prospere/ consulté le 1er mai 2021 17 Alfred Thayer Mahan (1840-1914) est un amiral et historien américain ; il est à l’origine de la théorie du Sea Power qu’il développe au travers de deux ouvrages majeurs : L’influence de la puissance navale sur l’Histoire 1660-1783 (1890) et Les intérêts américains à une puissance navale, aujourd’hui et demain (1897). La théorie de Mahan repose sur une approche économique et non militaire de la tactique maritime. Il explique, en prenant l’exemple du Royaume-Uni, que le déterminant de la puissance est avant tout économique.
  • 10. 10 Malacca et la mer de Chine méridionale, ce sont en moyenne quatre-vingt mille navires qui y transitent annuellement. Ce volume représente approximativement trois fois le trafic du canal de Suez, et six fois celui du canal de Panama. En termes de fret, celui-ci équivaut au tiers du commerce mondial, à la moitié des volumes commerciaux de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, à 50% des transports mondiaux hydrocarbures, à 85% des produits pétroliers en provenance du Moyen-Orient, à 80% des approvisionnements chinois en hydrocarbures. Le volume et l’importance économique des échanges maritimes ont profondément modifié la physionomie du littoral chinois, et ont contribué à renforcer le décalage existant entre la Chine côtière et la Chine intérieure. Les grandes lignes commerciales maritimes entraînent le développement rapide des infrastructures côtières nécessaires pour le commerce : ports, lignes de communication intérieures, pôles industriels, connectivité numérique… La côte chinoise est une très bonne illustration de ce phénomène avec le développement de nombreuses mégapoles, l’implantation de multiples industries pour réduire les coûts liés au transport et une augmentation fulgurante de la population et de la richesse du littoral comparativement au reste du pays. La Chine a été une grande puissance maritime entre le XIe et le XVe siècle et a développé de grandes cités portuaires qui sont devenues des foyers de création de richesse et de points de concentration des flux d’échanges de différentes natures : des matières premières, des produits agricoles, des capitaux, des hommes ainsi que des idées. La MCM est un carrefour d’échanges et constitue un trait d’union entre les civilisations occidentale et orientale. Cependant les villes acquièrent rapidement une importance supérieure à celle des États dans le domaine du commerce ; elles disposent de structures plus réactives, concentrent des entreprises, des capitaux et des marchés, créent les bases juridiques du commerce, développent le concept de l’entrepôt et établissent un maillage serré entre points de commerce, sans nécessairement tenir compte des frontières étatiques. Ce fait est particulièrement illustré par l’exemple des liens entre Hong Kong et Singapour qui démontrent l’autonomie dont jouissent ces villes bâties sur le commerce et les échanges, et qui bénéficient de l’essor exponentiel de la transformation numérique et de ses applications dans la logistique. La suprématie de la marine chinoise débutera sous la dynastie des Song (960-1279) qui considère qu’une marine militaire doit être une force permanente, dotée d’un rôle autonome et qu’elle n’est pas un simple faire-valoir de l’armée de terre. Cette prise de conscience va se poursuivre sous la dynastie des Ming (1368-1644) avec la construction d’une flotte de plus de deux cent cinquante navires, le développement de la technologie navale, la réalisation de
  • 11. 11 nombreuses expéditions lointaines qui contribuent à créer des liens avec les ports étrangers, en particulier indiens. L’émergence de cette nouvelle puissance navale s’appuie en premier lieu sur les besoins du commerce : les Mongols contrôlent l’Asie centrale, donc les échanges doivent passer par la mer. C’est au XVe siècle qu’auront lieu les dernières grandes expéditions maritimes chinoises. Les ordres de l’empereur pour les expéditions de l’amiral Zheng He18 comptent trois volets qui restent toujours d’actualité dans la politique maritime de Xi Jinping : sécuriser les voies de communication en particulier en luttant contre la piraterie, restaurer le système du tribut19 et asseoir l’hégémonie chinoise par le développement d’un réseau de liens diplomatiques. La marine chinoise a développé des techniques navales modernes telles que l’utilisation de la boussole, le gouvernail d’étambot, les navires dotés de caissons étanches (construits selon le modèle du bambou) ainsi que la pratique de la géographie, de l’astronomie et de la cartographie. Pour son expédition en océan Indien, l’amiral Zhen He sera à la tête d’une flotte de quarante- huit jonques embarquant plus de vingt-sept mille marins. Ces expéditions seront un succès politique et commercial pour l’empereur Yongle puisqu’une trentaine de royaumes et sultanats seront intégrés au système du tribut. Mais la Chine se repliera sur elle-même après ses expéditions car la mer est devenue synonyme de danger, c’est par elle que le malheur arrive. Cela a débuté par les attaques incessantes des pirates japonais sur les ports chinois, puis en 1842 Hong Kong qui passe sous souveraineté britannique et en 1895 le Japon qui gagne le conflit naval qui l’oppose à la Chine et récupère la souveraineté sur Taïwan. La Chine ne commencera à affirmer ses droits sur son espace maritime que dans les années 1970 lorsqu’elle associera son développement économique à la sécurité des routes maritimes qui approvisionnent le pays. L’importance de la mer s’appuie sur ses vastes sources de richesses (dont la majeure partie demeure encore inconnue ou inexploitée20 ), et sur les voies de communication maritime qui permettent le développement du commerce ; elle constitue en haute mer un lieu de liberté 18 Zheng He (1371 – 1433) est un eunuque chinois musulman et un explorateur maritime célèbre, que ses voyages amenèrent jusqu'au Moyen-Orient et en Afrique de l'Est. Le troisième empereur Ming, Yongle désire étendre les limites de la Chine, aussi bien vers le Nord (transfert de la capitale de Nankin à Pékin en 1409) que vers le sud (occupation du royaume du Đại Việt en 1407). Il fait de Zheng He l'amiral de la flotte impériale. Il lance la construction de centaines de navires à Nankin, et ordonne de grandes expéditions exploratrices et commerciales dans tout l'océan Indien. En tant qu'amiral, Zheng He effectue sept voyages de 1405 à 1433. https://sciencepost.fr/biographie-zheng-he-1371-1435-le-grand-explorateur-chinois/ consulté le 24 avril 2021. 19 Le système de tribut est à la fois une organisation marquant la soumission volontaire d’un peuple à l’empire du Milieu et un système économique favorisant la circulation des marchandises. https://lelephant-larevue.fr/thematiques/les-11-dates-marque-chine/ consulté le 24 avril 2021. 20 La reconnaissance des fonds océaniques est loin d’être achevée puisque seulement 10% de la superficie totale des fonds sous-marins est précisément cartographiée.
  • 12. 12 permettant la projection de puissance, et où les marines peuvent se mesurer hors des territoires nationaux. La RPC a parfaitement pris conscience de l’importance de la mer et sait que la poursuite de son développement y est étroitement liée. Le commerce maritime est la colonne vertébrale de l’économie chinoise ; afin de protéger cet atout, la RPC a développé une industrie maritime complète et cohérente en s’intégrant dans les voies de communication maritimes existantes, en développant des points d’appui portuaires et des infrastructures logistiques, l’ensemble étant protégé par une marine de guerre en pleine croissance tant en tonnage qu’en capacités techniques et opérationnelles. Ce développement s’intègre dans le programme des nouvelles routes de la soie, programme initié par Xi Jinping dès 2013 et qui comporte deux volets, l’un terrestre et l’autre maritime. Il met ainsi en application ce qu’affirmait au XVIIe siècle Sir Walter Raleigh21 : « celui qui commande la mer commande le commerce ; celui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui- même ». Ces considérations maritimes démontrent les liens qui ont toujours existé entre puissance maritime, puissance commerciale et puissance navale. Il n’est donc pas étonnant que la mer tienne une place prépondérante et centrale dans la marche de la RPC vers 2049 d’autant plus le centre de gravité de la Chine s’est déplacé du continent vers la mer, redonnant à la Chine son statut de thalassocratie. Les espaces maritimes revendiqués par Pékin permettent d’assurer le transit de ses flux commerciaux (importations et exportations), de sécuriser de raisonnables réserves de ressources naturelles (halieutiques ou fossiles), et d’y montrer sa puissance militaire, gage de la protection de ses intérêts vitaux. Le développement du commerce maritime a pour première conséquence le développement d’une marine de guerre capable de protéger les voies maritimes de communication et les infrastructures portuaires. C’est dans cet esprit que l’état-major de la marine chinoise (PLAN22 ) a initié les premiers déploiements lointains de sa flotte, et développé des interactions avec d’autres flottes militaires afin d’apprendre comment utiliser au mieux leur nouvelle marine. La PLAN a participé dès 2009 à l’escorte de bâtiments 21 Sir Walter Raleigh (vers 1554-1618) a fait ses premières armes avec les huguenots français (1569), avant d’être introduit à la Cour. Il est remarqué par la reine, qui lui donne le commandement d'une compagnie en Irlande (1580- 81) et il devient un favori de premier plan. En 1584, il tenter de fonder en Amérique du Nord la première colonie anglaise permanente, dans une région (aujourd'hui Caroline du Nord) qu'il baptise « Virginie » en l'honneur de la reine. Il défend avec succès la nouvelle stratégie navale de Drake (raid d'interception aux Açores, 1592). Il explore la région des Guyanes, et participe ensuite avec éclat à l'expédition contre Cadix, en 1596. L'avènement, en 1603, de Jacques Ier le fait tomber en disgrâce. Accusé à tort d'intrigues contre le roi, il est condamné à mort ; sa peine est commuée en détention à vie, et il reste à la Tour de Londres jusqu'en 1616, date à laquelle il est relâché pour diriger une exploration de l'Orénoque (Brésil), à condition qu'elle n'entraîne aucun conflit avec l'Espagne. Mais Raleigh ne trouve pas l'or espéré et déclenche un conflit avec les colons espagnols. A son retour en Angleterre, il est arrêté, puis décapité. 22 People’s Liberation Army Navy http://eng.chinamil.com.cn/armed-forces/navy.htm consulté le 23 mars 2021
  • 13. 13 du programme alimentaire mondial sur les côtes somaliennes en complément des escortes de convois dans le golfe d’Aden menées dans le cadre de l’opération européenne Atalanta23 . La PLAN cherche ainsi à se comparer aux autres marines hauturières, à acquérir l’expérience opérationnelle qui lui fait défaut, à découvrir de nouveaux espaces. Ces déploiements lui permettent aussi de se faire connaître du monde maritime ; la PLAN est maintenant devenue un acteur habituel de l’océan Indien, et continue à investir de nouveaux espaces en mer Rouge puis en Méditerranée. La MCM est la partie sud de cet ensemble plus vaste que François Gipouloux24 appelle la Méditerranée asiatique qui s’étend de Vladivostok à Singapour en passant par la mer Jaune et la mer des Célèbes. Un simple regard sur une carte maritime de la mer de Chine méridionale montre cette dernière comme étant un espace semi-fermé dont le littoral se partage entre la Chine, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines, Taïwan, et Brunei ; pour résumer, la MCM peut s’apparenter à une mer intérieure bordée principalement par les États de l’ASEAN sur ses flancs sud et est. Au nord de la MCM, près de la frontière entre la Chine et le Vietnam se trouve l’île de Hainan qui abrite sur sa côte sud la base de Longpo (Sanya), qui abrite les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), une des composantes de la dissuasion nucléaire chinoise. La crédibilité de la dissuasion nucléaire impose d’avoir une totale et discrète liberté de manœuvre pour ces sous-marins afin qu’ils puissent être en mesure de frapper leurs cibles si l’ordre en est donné ; il faut donc garantir un accès permanent aux eaux profondes de l’océan Indien et de l’océan Pacifique, tout en s’assurant que les sous-marins ne soient pas détectés par des forces adverses pendant leur transit. L’accès à la haute mer pour les sous-marins est un impératif stratégique pour le gouvernement chinois, et le contrôle de la MCM contribue à la réalisation de cet objectif. Depuis plusieurs décennies, la MCM occupe une place particulière dans les préoccupations des dirigeants chinois. En 1933, le Comité d’inspection des cartes de la terre et de l’eau du gouvernement du Kuomintang trace la ligne en neuf traits qui détermine ses prétentions en MCM ; cette carte sera rendue publique pour la première fois en 1935 ou 1936. La première 23 Mission européenne de lutte contre la piraterie et d’escorte des bateaux du programme alimentaire mondial. Cette mission qui est la première mission maritime de l’Union Européenne a été lancée en 2008 et est toujours active à l’heure actuelle. 24 François Gipouloux est directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique et chercheur invité à l’Académie des sciences sociales de Pékin. Il est l’auteur La Méditerranée asiatique, XVI-XXIe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2018, 480 pages.
  • 14. 14 apparition officielle sera en 1947, lorsque les dirigeants du Kuomintang réfugiés sur l’île de Taïwan publieront cette carte au sein d’un atlas délimitant leurs revendications maritimes en mer de Chine méridionale. Cette frontière maritime dénommée « la ligne aux neuf traits » ou « langue de bœuf » a évolué depuis sa création passant de onze traits (deux ont été abandonnés en 1953) en englobant Taïwan avant de revenir à neuf traits. Cette ligne n’a jamais été définie par des points géographiques, ni par des amers remarquables ou par des lignes de sonde précises ; elle suit néanmoins grossièrement l’isobathe de deux cents mètres. Le 11 janvier 2013, Sinomap Press, qui constitue l’un des organes officiels de presse chinoise, a publié une carte sur laquelle le tracé en neuf traits est complété par un dixième trait25 à l’Est de Taïwan. Malgré de nombreuses demandes, la Chine n’a jamais expliqué à quoi correspondait précisément cette ligne, ni défini rigoureusement ses contours ; il y a certains décalages entre les tracés de 1947 et de 2009, mais l’absence d’explication de la part de la Chine lui permet de conserver une certaine souplesse dans ses revendications. La publication de cette carte entraîne immédiatement des protestations du Japon et des Philippines qui appellent l’attention de la communauté internationale sur le fait que ce tracé en est supposé représenter les frontières nationales chinoises. Les revendications et les tensions bilatérales ou multilatérales en MCM ont été maintes fois décrites et analysées sous différents angles depuis le début des années 2000 ; les revendications territoriales chinoises ont réellement commencé à contrarier les puissances occidentales lorsqu’elles se sont concrétisées par un renforcement du contrôle policier, voire militaire, dans cette zone. Tout d’abord, la militarisation d’îlots et de récifs, puis les demandes d’identification et d’autorisation de passage menacent la liberté de la navigation militaire et commerciale dans cet espace maritime. Ensuite, bien que signataire de la convention de Montego Bay26 (United Nations Convention on the Law of the Sea - UNCLOS) en 1996, la RPC impose des clauses restrictives (demande d’autorisation avant passage) de navigation dans ces eaux qui vont à l’encontre des préconisations de l’UNCLOS27 . Les États-Unis sont les premiers à avoir initié des opérations de démonstration de leur attachement à la liberté de navigation28 en MCM en envoyant des bâtiments de guerre naviguer à proximité des zones contestées ; il est cependant intéressant de noter que les États-Unis adossent la légitimité de ces opérations à l’UNCLOS, texte qu’ils n’ont pas ratifié. 25 https://www.diploweb.com/Pretentions-chinoises-en-Mer-de.html consulté le 21 juin 2021 26 United Nations Convention on the Law of the Sea - UNCLOS 27 Les articles 37, 38 et 39 de la convention de Montego Bay définissent le transit sans entrave dans les détroits internationaux. La section 3 de la partie II de cette même convention définit le passage inoffensif des bâtiments dans les eaux territoriales. http://www.ifmer.org/assets/documents/files/documents_ifm/documents-convention- droit-mer.pdf consulté le 21 juin 2021 28 Freedom of navigation operations - FONOPS
  • 15. 15 Afin de mieux comprendre la vision à long terme de la Chine, il est primordial d’appréhender le mode de fonctionnement et de pensée de la classe politique chinoise en particulier, et des Chinois en général. La pensée stratégique chinoise reste très influencée par Sun Tzu29 , pour qui l’acquisition d’une posture stratégique doit se faire sans heurt, ainsi qu’il l’énonce : « l’art suprême de la guerre, c’est soumettre l’ennemi sans combattre. Sans bataille, immobiliser l’armée ennemie, voilà qui est excellent ». Comme de nombreux auteurs, ayant étudié le mode de pensée oriental, Alain Wang fait référence à l’utilisation du potentiel de situation, et explique par ailleurs que « à la différence des Occidentaux qui cherchent à donner des réponses rationnelles et immédiates, les Chinois commencent par observer la configuration d’un problème, analysent de façon empirique les lignes de forces, puis ils se fient à la propension naturelle qui s’en dégage pour le résoudre30 ». La Chine excelle dans l’art de se comporter de façon sinueuse et imprévisible, et parvient à désorienter l’Occident, afin que ce dernier ne puisse pas anticiper ses prochaines actions. La Chine a de plus un rapport au temps qui est opposé à celui que nous connaissons en Occident. La pensée orientale et particulièrement chinoise est très différente de la pensée occidentale comme le montre le philosophe François Jullien. En nous appuyant entre autres sur la philosophie du jeu de go31 , L’Art de la guerre de Sun Tzu et les écrits de François Jullien32 qui décrypte la pensée chinoise, nous percevons la stratégie bien établie de la Chine pour avancer vers son objectif : tous ses mouvements sont orientés vers le but à atteindre, et dans le cadre de notre étude, ce but est de devenir la première puissance mondiale en 2049. Comme dans un jeu de go, la Chine déplace ses pions un par un, a priori sans aucune connexion les uns avec les autres mais rien n’est laissé au hasard ; tout est fondé sur le potentiel de situation,33 comme l’explique François Jullien dans son étude de la philosophie chinoise. En Occident, l'efficacité 29 Sun Tzu ou Sun Zi ou Souen Tseu (signifie "maître Sun") de son vrai nom Sun Wu (signifiant "militaire", "martial"), est un général chinois du Ve siècle av. J.-C. Il est surtout célèbre pour avoir écrit l'ouvrage de stratégie militaire le plus ancien connu, L'Art de la guerre. 30 WANG Alain, Les Chinois, Paris, Éditions Tallandier, 2018, p. 29 31 Les origines du jeu de go restent méconnues. En Chine la paternité en est donnée à l’empereur Yao (2324-2206 avant JC) ou à son successeur (2294-2184 avant JC). Le but du jeu est la constitution d’un territoire en utilisant un plateau sur lequel est tracé un quadrillage et des pierres que l’on pose sur les intersections du quadrillage. 32 François Jullien est Professeur à l’Université Paris Diderot. Son œuvre se situe au carrefour de la sinologie et de la philosophie générale. Fondée sur une étude de la pensée de la Chine antique, du néoconfucianisme et des conceptions littéraires et esthétiques de la Chine classique ; elle compare l’histoire et les catégories de la raison européenne et chinoise en mettant face à face les interprétations culturelles respectives de ces concepts. 33 Les ouvrages de référence écrits par François Julllien sur la pensée chinoise sont De l’Être au Vivre publié en 2015, et le Traité de l’efficacité. Il y fait émerger une autre pensée de l’efficacité, qu’il nomme efficience. Si l’efficacité européenne résulte de l’application d’un modèle en vue d’une fin, l’efficience chinoise résulte de l’exploitation du potentiel de situation. Le potentiel de situation est pour le stratège chinois, la capacité de manipuler les conditions de manière à ce que les effets, impliqués par la situation, viennent d’eux-mêmes : « aider ce qui vient tout seul ».
  • 16. 16 est conçue depuis la Grèce antique comme la mise en œuvre immédiate des moyens nécessaires pour arriver à une fin. Il en est tout autrement dans la pensée chinoise où il convient de se laisser porter par le mouvement des évènements plutôt que de chercher l'affrontement pour espérer en tirer profit. En conséquence, contrairement à l’Occident, qui agit dans un rapport contraint entre la théorie et la pratique, la Chine attache une grande importance à ce potentiel de situation. La stratégie occidentale est souvent préétablie dans un canevas bien défini dont il est difficile de sortir car les faits doivent correspondre, parfois par la force, à la conceptualisation qui en est faite. La Chine a une approche plus flexible, car tout en établissant les grandes lignes et les logiques de sa stratégie (« rêve chinois34 », « made in China 202535 », « 2049 » …), elle s’appuie sur le potentiel de situation, ce qui rend sa stratégie globale plus difficile à déchiffrer puisqu’elle s’adapte aux évènements. En refusant de voir le monde à travers une lecture binaire (le bien contre le mal, ou la démocratie contre la dictature) elle conserve une marge de manœuvre continue, évitant de forcer la situation, ce qui lui permet de bénéficier des effets du potentiel de situation, à l’inverse de la démarche de l’Occident. L’aspect culturel qui influence la stratégie chinoise est rappelé par Hervé Coutau- Bégarie36 : « influence du confucianisme et du taoïsme, conservatisme (arc) et doctrinal (les sept classiques), évitement de la bataille, style indirect, utilisation de l’espace (Tchiang Kaï Shek et Mao Ze Dong ». Cette explication est confirmée et développée par Thomas Gomart37 dans son dernier ouvrage38 où il explique que le stratège chinois se concentre sur le cours des choses pour en déceler la cohérence, et s’il ne pratique pas une planification formelle il évalue le fameux potentiel de situation à partir duquel il va bâtir sa stratégie en utilisant les opportunités qui se présentent ; il cite l’exemple du désordre planétaire causé par la crise sanitaire du Covid-19 qui a su être exploité par Xi Jinping et lui a permis de mettre fin à la relative autonomie dont disposait Hong Kong, sans réelle réaction de la part de l’Occident. 34 Le « Rêve chinois » intègre des aspirations nationales et personnelles de Xi Jinping, avec le double objectif de restaurer la fierté nationale et d’atteindre le bien-être individuel pour l’ensemble de la société chinoise. Il faut pour cela une croissance économique soutenue, une égalité plus forte et un retour aux valeurs culturelles pour équilibrer le matérialisme. https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1363 consulté le 16 juin 2021 35 Made in China 2025 est un programme stratégique ayant pour but de développer la qualité de la production chinoise et de renforcer les capacités de recherche et de développement en focalisant la recherche sur l’innovation technologique. La Chine ne cherche plus à rattraper son retard dans les domaines technologiques, mais à prendre la première place dans les domaines futurs tels que l’intelligence artificielle ou le développement de la 5G. 36 COUTAU-BEGARIE Hervé, Bréviaire stratégique, Paris, Editions du Rocher, 2016, 134 pages, p 77. 37 Docteur en histoire des relations internationales (Paris I Panthéon-Sorbonne) et diplômé EMBA (HEC), Thomas Gomart est le directeur de l’Institut français des relations internationales, après avoir été directeur du développement stratégique (2010-2015) et directeur du Centre Russie/Nei (2004-2013). 38 GOMART Thomas, Guerres invisibles, Nos prochains défis géopolitiques, Paris, Éditions Tallandier, 2021, 273 pages, pp 29-30.
  • 17. 17 Comprendre le mode de fonctionnement chinois permet d’avoir une image temporelle du plan de Pékin vers le futur ; mais il faut aussi parvenir à percevoir ce que sont les réels buts chinois afin de construire une image globale cohérente car une notion peut être interprétée de façon très différente entre un Chinois et un Occidental. Pour les autorités chinoises, le politique est plus important que l’économique ainsi que l’a montré la reprise en main de Hong Kong qui s’est faite au détriment de l’économie mais au profit du PCC. De même dans la culture chinoise, l’Empereur règne et exerce son autorité sur des individus et pas sur des territoires. Ces profondes différences d’interprétation des concepts sont à l’origine de nombreuses incompréhensions entre la Chine et l’Occident ou entre la Chine et les pays ayant longtemps vécu sous domination occidentale comme l’Inde. Il est indéniable que l’héritage de la culture chinoise construite au cours de plusieurs millénaires, agisse sur le cheminement intellectuel des dirigeants, et s’inscrive dans le temps long ; depuis Mao Zédong et ses successeurs, nous observons une continuité de la politique menée et des ambitions affichées qui permettent d’atteindre des buts fixés à des échéances lointaines. Le mode de pensée occidental est fondamentalement différent et obéit à des cycles courts rythmés par l’horizon politique qui est déterminé par la durée d’un mandat, voire de deux et il est fréquent de constater que deux hommes politiques consécutifs conduisent des politiques radicalement opposées. Cela a été récemment décrit par Sergueï Lavrov39 : « Comme les Russes, les Chinois sont une nation fière. Ils sont peut-être plus patients sur le plan historique. Le code national et génétique de la nation chinoise consiste à se concentrer sur un avenir historique. Ils ne se limitent jamais à des cycles électoraux de 4 ou 5 ans. Ils voient plus loin : “Un grand voyage commence par un petit pas” et bien d’autres maximes inventées par les dirigeants chinois montrent qu’ils apprécient un objectif qui n’est pas seulement à l’horizon, mais au-delà de l’horizon. Cela s’applique également à la réunification des terres chinoises – progressivement et sans précipitation, mais avec détermination et persévérance ». Pour atteindre son but sans provoquer de réaction forte de la part de ses adversaires, la RPC œuvre en suivant une combinaison de deux types de cheminements qui découlent de la pensée orientale et ont inspiré certains dirigeants occidentaux. La tactique dite du salami 40 correspond au fait d’avancer à petits pas, chaque pas en soi ne permettant pas une réaction de l’adversaire, 39 Sergueï Lavrov est ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie depuis 2004. https://geopragma.fr/le-monde-vu-par-lavrov/ consulté le 6 avril 2021 40 La tactique du salami » fut inventée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lors de la prise de pouvoir par les communistes qui aboutit à la création de République populaire de Hongrie. Mátyás Rákosi, chef du Parti communiste hongrois, est à l’origine de cette expression utilisée pour décrire l'élimination progressive des pouvoirs extérieurs au communisme (Église, autres partis, etc.), « tranche après tranche, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien ».
  • 18. 18 car celle-ci serait considérée comme disproportionnée. Cette lente accumulation de petites actions dont aucune ne peut constituer de casus belli, parvient au fil du temps à instaurer un changement stratégique majeur. Une fois l’objectif global atteint, il est trop tard pour que les adversaires puissent réagir. Nous pouvons citer en exemple la construction des îles artificielles qui sont passées de l’état d’îlots ou de récifs à celui de structures dédiées à la protection du commerce maritime, et qui sont aujourd’hui des points d’appui militaires dotés de pistes d’atterrissage et de ports en eaux profondes. La tactique du Push and pull fait référence à la manière dont la Chine use de la tactique de l’alternance : push faisant référence à la coercition, et pull à l’attraction. En mer de Chine méridionale, on observe dans un premier temps le remblai progressif d’îlots ou récifs puis leur agrandissement (push), puis, quand l’opposition à ces constructions devient trop grande, la Chine propose de négocier des accords de coopération pour apaiser la situation (pull) ; une fois cette dernière apaisée, elle relance le push et poursuit la militarisation des îles artificielles. Le gouvernement chinois utilise toutes les ressources dont il dispose dans les domaines diplomatique, culturel, militaire, économique pour atteindre son effet final recherché qui est, dans le cadre de notre étude, une maîtrise totale de la MCM et qui peut se résumer à obtenir la pleine capacité d’interdire ou de dénier l’accès de ces eaux aux marines militaires occidentales. Il veille à opérer en permanence sous un certain seuil d’agressivité en privilégiant l’emploi de moyens non étatiques, ce qui lui permet d’avancer ses pions, tout en étant assuré qu’aucune réponse militaire ne viendra s’opposer à ses avancées. En parallèle de ces gains sur le terrain, le gouvernement chinois prend part à de nombreux forums et initiatives dans lesquels il répète que sa volonté est tournée vers le maintien de la paix et de l’équilibre dans son environnement immédiat, que ses actions ne sont pas dirigées contre ses voisins mais protègent les droits fondamentaux et historiques du peuple chinois, et que le but global est de préserver l’harmonie régionale dans la zone indopacifique. Les nouvelles routes de la soie, lancées en 2013 par Xi Jinping et renommées Belt and Road Initiative (BRI) en 2016, sont l’expression économique de la politique étrangère de la Chine. Ce projet s’établit dans la logique globale de la volonté chinoise de briser l’encerclement américain, de définir un nouveau système mondial fondé sur une architecture chinoise et ainsi d’abolir le système actuel mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, époque à laquelle la Chine n’avait que peu d’importance sur la scène internationale. Ce projet se concrétise par la construction d’infrastructures intercontinentales qui permettent d’accroître la connectivité internationale de la Chine, et marque la volonté de Xi Jinping d’étendre son
  • 19. 19 influence jusqu’en Europe à travers l’Asie centrale, ainsi qu’en Afrique, et en Amérique du Sud. Les routes de la soie ont entraîné la signature d’accords avec plus de cent cinquante pays et organisations internationales41 . Le coût de ce projet est évalué à plus de mille milliards de dollars et devrait être terminé pour l’année 2049. Il est principalement constitué par une route terrestre qui traverse l’Asie centrale et chemine jusqu’en Europe ; les infrastructures développées autour de ces axes de communication sont source de profit et de développement pour les pays traversés ; pour la Chine ces sources d’investissement lui permettent d’étendre son emprise et de bénéficier de points d’appui à travers les continents ; il en est de même pour les routes maritimes qui sont soutenues par d’importants travaux de réhabilitation ou de construction de ports financés par la Chine. Les infrastructures terrestres ou portuaires sont construites par des ouvriers chinois et le financement des travaux est réalisé sous forme de prêts. Les pays bénéficiaires incapables de rembourser leur dette perdent une part de leur souveraineté car la Chine tire profit de ces situations pour s’approprier les infrastructures qui l’intéressent et qu’elle transforme en nœuds de communication ; ce phénomène a déjà fait des victimes et est connu sous l’appellation de piège de la dette42 . Les routes de la soie permettent de plus à la Chine de diffuser ses propres standards en termes de normes de travail, voire de normes sociales et politiques et contribuent ainsi à disséminer les prémices d’un nouvel ordre international parallèle à celui qui a été établi par les puissances occidentales après la Seconde Guerre mondiale. Comme le précise Thomas Gomart43 , ces routes de la soie sont un moyen pour la Chine d’internationaliser ses priorités en s’appuyant sur un triptyque alliant une communication solide qui a permis la diffusion et l’adoption du concept dans le monde, une expansion qui s’est concrétisée par le ralliement de plus de cent cinquante pays et institutions internationales, et enfin la construction des infrastructures nécessaires à l’acheminement, la transformation et le stockage des produits. La mer de Chine méridionale est au cœur de la mondialisation et des préoccupations internationales pour trois raisons principales : des raisons économiques puisque cette région abrite la croissance mondiale, dispose d’importantes ressources naturelles et est le lieu de 41 “Currently, over 150 countries and international organisations have proactively joined China’s Belt and Road Initiative (BRI). Not long ago, 150 countries and 92 international organisations sent over 6,000 delegates to the Second Belt and Road Forum for International Cooperation.” https://www.iiss.org/events/shangri-la- dialogue/shangri-la-dialogue-2019 consulté le 18 juin 2021 42 https://portail-ie.fr/analysis/2796/jdr-le-piege-de-la-dette-chinois-se-referme-sur-les-interets-francais consulté le 11 juin 2021 43 GOMART Thomas, Guerres invisibles, Nos prochains défis géopolitiques, Paris, Éditions Tallandier, 2021, pp 105-106.
  • 20. 20 passage des voies communication maritimes le plus fréquentées au monde ; des raisons politiques avec la puissance grandissante et incontournable qu’est devenue la Chine qui affirme maintenant ses ambitions et a la capacité de défier les États-Unis et de remettre en cause l’ordre mondial ; et enfin des raisons militaires avec la sécurisation des voies commerciales, le contrôle des détroits et points de passage obligés ainsi que le respect des principes édictés par la convention de Montego Bay. Afin de mieux cerner les enjeux qui gravitent autour de la mer de Chine méridionale pour la République populaire de Chine dans le plan global de sa marche vers 2049, nous allons concentrer notre étude sur trois points complémentaires et fortement liés de cette région du globe. Comme le disait le géographe Yves Lacoste, « la géographie ça sert d’abord à faire la guerre44 » ; il est donc pertinent de commencer par étudier la géographie physique et humaine d’un théâtre avant de réfléchir aux domaines plus larges que sont la géopolitique et la géostratégie mises en œuvre par la Chine dans cet espace maritime. Tout d’abord, nous étudierons la géographie de ce théâtre, sa disposition physique, ses particularités océanologiques et climatologiques ainsi que les ressources naturelles dont il dispose et la façon dont elles sont exploitées par les pays riverains. La mer de Chine méridionale est une mer semi-fermée et l’histoire montre que la Chine a toujours été très active dans ces eaux et y a développé au cours des siècles un intense réseau de commerce maritime soutenu par un important maillage portuaire. La disposition géographique générale restreint en revanche son accès aux océans Pacifique et Indien, car les routes maritimes passent par des détroits qui peuvent aisément être bloqués, et qui sont depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale contrôlés soit par les États-Unis, soit par leurs alliés, ce qui donne à la Chine le sentiment d’être endiguée à l’intérieur de la première chaîne d’îles telles qu’elles ont été définies par l’amiral Liu Huaquing45 . Nous étudierons ensuite la géopolitique mise en œuvre par le gouvernement chinois vis-à-vis des pays riverains mais aussi des organisations internationales afin de pouvoir afficher sa bonne foi et défendre ses intentions pacifiques. Nous approfondirons notre connaissance de l’ASEAN 44 https://www.cairn.info/la-geographie-ca-sert-d-abord-a-faire-la-guerre--9782707178367.htm consulté le 24 juin 2021 45 L’amiral Liu Huaqing (1916-2011) fut probablement le plus grand instigateur de la renaissance de la marine chinoise. Il est l’architecte de cette révolution stratégique et est considéré comme le père de la marine chinoise moderne. Liu Huaqing a été le chef de la PLAN (1982-1988) mais aussi vice-président de la Commission militaire centrale (1989-1997). Il a permis la transformation de la marine côtière chinoise en un outil militaire crédible, capable de se déployer loin de ses ports et d’opérer longtemps en haute mer.
  • 21. 21 et analyserons les rapports complexes qui existent d’une part au sein de cette organisation, et d’autre part entre l’ASEAN et la Chine. Pékin utilise son poids économique et diplomatique pour rallier à sa cause de nombreux pays qui bénéficient en retour d’une aide économique ; cette aide proposée par Pékin est souvent la contrepartie d’une prise position en faveur de Pékin au sujet de Taipei. À l’ONU, chaque pays dispose d’une voie, quelle que soit sa puissance économique ou militaire ; ainsi avoir au sein de l’ONU une vaste majorité de pays qui ne reconnaissent pas Taïwan comme un État indépendant permet à Pékin de disposer d’une légitimité plus forte sur la scène internationale. Seuls deux pays d’Afrique (le Swaziland et le Burkina Faso) reconnaissent Taïwan aujourd’hui alors qu’ils étaient treize en 1995 ; Taipei a récemment perdu la reconnaissance des États insulaires du Pacifique qui se tournent maintenant vers la Chine, et recherchent des sources d’investissements directs. Aujourd’hui, seulement dix- sept pays à l’ONU reconnaissent Taïwan ; les liens tissés par la Chine n’ont donc pas nécessairement besoin d’être en Asie du Sud-Est pour renforcer ses positions politiques et atteindre ses objectifs proches. Nous terminerons notre analyse par une étude dédiée à la géostratégie maritime de la Chine, en nous restreignant à la mer de Chine méridionale et à ses abords immédiats. La politique maritime chinoise obéit à deux impératifs qui sont d’assurer la sécurité de ses approches et de ses flux commerciaux, mais surtout de permettre à ses SNLE de rejoindre en permanence et sans être détectés leurs zones de patrouilles ; il en est de même pour les bâtiments de combat qui doivent pouvoir rallier librement leurs théâtres d’opérations dans les océans Indien et Pacifique. Ce dernier élément montre toute l’importance des fonds marins et des détroits en mer de Chine qui permettent aux sous-marins de se déplacer en toute discrétion et ainsi de contribuer à la crédibilité de la dissuasion nucléaire chinoise. La double chaîne d’îles a constitué une ligne de défense du territoire continental, mais est devenue une contrainte supplémentaire pour la liberté d’action de la flotte chinoise car les détroits constituent des vulnérabilités dans la stratégie maritime de Pékin. Cette étude confirmera l’attention particulière que les dirigeants chinois et le PCC accordent à la mer de Chine méridionale. Occuper et contrôler cet espace maritime permet de préserver la crédibilité de la dissuasion nucléaire, d’assurer la sécurité des flux commerciaux, de poursuivre le développement économique du littoral, et de garantir un accès vers les océans Indien et Pacifique. Les forums régionaux mis en place pour abriter les négociations relatives à ces différends permettent à la Chine de renforcer son influence sur ses voisins, de défendre un règlement régional des désaccords territoriaux et de repousser les marines occidentales au-delà
  • 22. 22 de la première ligne de défense, donc hors de la mer de Chine méridionale. La mise en œuvre des nouvelles routes de la soie, le développement des technologies émergentes, les effets du changement climatique ainsi que la probable annexion de Taiwan vont logiquement rebattre les cartes et conduire les différents acteurs à définir de nouvelles stratégies pour le futur. * * *
  • 23. 23 TITRE I : La géographie de la mer de Chine méridionale Le propos de ce mémoire n’est pas de nous livrer à une étude géographique extrêmement approfondie de la mer de Chine méridionale, cependant il nous faut garder à l’esprit ce qu’écrit Yves Lacoste46 « capitale dans toute réflexion scientifique, la notion d’ensemble et plus précisément, d’ensemble spatial l’est tout autant dans l’analyse géographique et géopolitique. Elle est à la base de la cartographie, qui est la représentation construite de toutes sortes d’ensembles, qu’il s’agisse de continents, d’océans, d’États, de montagnes, de villes et de toutes sortes de territoires ». Depuis des décennies, les terres émergées de mer de Chine méridionale se trouvent au cœur de revendications régionales et sécuritaires impliquant principalement la Chine qui cherche à étendre son emprise sur la MCM, et le Vietnam ou les Philippines qui tentent avec plus ou moins de fermeté de résister aux avancées chinoises et de freiner leurs velléités d’expansion. Les principaux points d’achoppement sont les archipels des Paracels et des Spratleys, ou encore le récif de Scarborough qui sont majoritairement constitués d’îlots inhabités mais dotés d’une valeur stratégique certaine. La mer de Chine méridionale attise les litiges territoriaux en raison de ses trois principales caractéristiques qui sont ses richesses en pétrole et en gaz, la diversité de ses ressources halieutiques et enfin une voie de communication vitale pour le commerce maritime. La MCM est bordée par dix États dont sept revendiquent une partie de cet espace maritime, et se disputent des zones communes. La ligne en neuf traits qui officialise les revendications de Pékin focalise l’attention de la communauté internationale car elle n’est fondée sur aucune base juridique et va à l’encontre du droit maritime. Du point de vue de la Chine, cette ligne issue de l’histoire n’est pas une revendication territoriale, mais plus une ligne d’influence ou d’exercice de ses droits, concept que la convention de Montego Bay ne sait pas prendre en compte ce qui fait dire à Pékin que le droit international est inapproprié aux caractéristiques historiques et géographiques de la MCM47 . 46 LACOSTE Yves, Géopolitique, La longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, 2006, p. 11 47 HU Bo, Chinese maritime power in the 21st century – Strategic planning, policy and prediction, New York, Routledge, p.111. “China’s position on the Dash line does not contravene any UNCLOS articles. China’s claims (…) are mainly founded upon the enduring historical practices of Chinese ancestors in the South China Sea. (…) The Dash line is in fact not a territorial demarcation line, nor has the Chinese government ever defined a such. This is a legal fact that the current maritime system is unable to interpret.”
  • 24. 24 Source : https://www.researchgate.net/figure/Location-Map-of-the-South-China-Sea-Islands-drafted-in-1946- original-scale-is-14-000_fig11_316174282 Chapitre 1 : Géographie physique de la MCM La mer de Chine méridionale est orientée selon une direction sud-ouest - nord-est. Sa limite sud est à trois degrés de latitude sud, entre le sud de Sumatra et Kalimantan (le détroit de Karimata). Sa limite nord est le détroit de Taiwan, de la pointe nord de l'île de Taïwan au littoral de la province chinoise du Fujian. Le golfe de Thaïlande borde la mer de Chine du sud à l'ouest. La mer s'étend au-dessus d'un plateau continental de faible profondeur dans sa partie ouest. À l'époque des dernières glaciations, le niveau global des mers était plus bas de plusieurs centaines
  • 25. 25 de mètres, et l'île de Bornéo était rattachée au continent asiatique. Les principaux fleuves qui se jettent dans cette mer sont la rivière des Perles, la Min et la Jiulong en Chine, le fleuve Rouge au Vietnam, le Mékong, la Rajang dans l'État malaisien de Pahang et la Pasig aux Philippines ; ces fleuves ont un débit important48 et déversent de gros volumes de sédiments et d’alluvions qui vont niveler le plateau continental à leur embouchure et influent sur sa topographie. De grandes cités portuaires se sont créées et développées sur le littoral, symboles de création de richesses et points de concentration des flux d’échanges. Ce développement a accompagné la naissance d’un nouvel espace économique en Asie, qui s’étire de Singapour jusqu’à Vladivostok. La Chine se trouve ainsi soumise à deux logiques avec une zone côtière de plus en plus intégrée dans les réseaux de commerce international et une zone intérieure plus continentale et moins marchande qui affiche une pente de développement beaucoup plus faible. Section 1 : Une mer semi-fermée Il est courant de qualifier la mer de Chine méridionale de Méditerranée asiatique ; les similitudes entre ces deux mers sont effectivement nombreuses. Leur caractéristique principale est d’être des espaces maritimes relativement fermés, ce qui fait d’eux des carrefours d’échanges (de marchandises, d’individus, d’idées, de monnaie), des traits d’union entre les différentes civilisations qui bordent ce bassin. Les échanges commerciaux donnent naissance à des ports qui deviendront rapidement des villes autonomes importantes qui constitueront les nœuds du maillage commercial et financier de ces espaces. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNDUM) définit la mer de Chine méridionale comme une mer semi-fermée, et encourage une utilisation pacifique de cet espace maritime qui doit être sous-tendue par la mise en place d’un ordre maritime régi par des lois et des institutions relevant du droit international. Cette utilisation pacifique de l’espace maritime doit prendre en compte la gestion des ressources, la protection environnementale, la sécurité de la navigation et enfin la délimitation des frontières maritimes. La MCM couvre une superficie de trois millions cinq cent mille kilomètres carrés, mesure environ trois mille kilomètres de long et mille kilomètres de large. Elle est bordée par la Chine, Taïwan, les Philippines, la Malaisie, Brunei, l’Indonésie, Singapour, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam. Six détroits permettent l’accès entre la mer de Chine méridionale, les océans Indien et Pacifique, et la mer de Chine orientale. On dénombre par ailleurs plusieurs centaines d’îles et récifs dispersés en 48 Le Mékong a un débit moyen de 17000 mètres cube par seconde. https://www.larousse.fr/encyclopedie/riviere- lac/le_M%C3%A9kong/126644 consulté le 12 juillet 2021
  • 26. 26 MCM ; la majorité de ces récifs est rassemblée en deux archipels, les Paracels au nord-ouest et les Spratleys au sud-ouest qui sont la cause de nombreuses tensions entre pays riverains qui cherchent à établir ou à étendre leur zone économique exclusive en interprétant le droit de la mer en fonction de leurs intérêts propres, et en se référant à leurs droits historiques issus de zones de pêche ancestrales. Ce dernier point fait l’objet de nombreuses tractations au sein des pays concernés, mais le jeu des alliances et de l’influence internationale étend ces disputes frontalières bien au-delà de la mer de Chine méridionale. Source : https://www.nautic-way.com/en_EN/admiralty-digital-chart-raster-arcs/philippine-sea-celebes-sea- java-sea-banda-sea-sea-of-japan-yellow-sea-china-sea-gulf-of-thailand/admiralty-raster-arcs-4508-south- china-sea L’Asie du Sud-Est est une région maritime : la mer dépasse en superficie celle des terres émergées, sa situation entre deux océans lui donne un rôle incontournable dans la circulation maritime mondiale, et la richesse est créée en zone côtière. La MCM dispose de richesses naturelles non négligeables qui exacerbent les tensions territoriales initiées par la RPC. La Chine est dotée d’une façade littorale parmi les plus actives au monde, peuplée par plus de quatre cents millions d’habitants. Cette façade constitue le cœur économique du pays et, par
  • 27. 27 l’intermédiaire de ses nombreux ports, sert d’interface avec le reste du monde. Cet espace littoral occupe 14% du territoire mais regroupe 45% de la population et produit 60% du PIB de la Chine. Ces territoires cumulent 87,5% des investissements étrangers directs reçus par la Chine, et 88% des exportations chinoises quittent le pays par voie maritime. Pour la RPC, l’importance de la MCM est liée à sa disposition géographique : pour accéder aux océans Indien et Pacifique, les navires ou sous-marins doivent passer par des détroits que la Chine ne contrôle pas et qui constituent autant de points de passage pouvant être bloqués en cas de crise ou de guerre. Dans cette mer circulent les approvisionnements nécessaires à l’économie de la RPC mais qui alimentent aussi les économies de quatre autres puissances industrielles dont les relations avec la Chine peuvent être conflictuelles ; il s’agit du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan et de Singapour. Un contrôle de la RPC sur la MCM lui garantit donc une certaine sécurité des flux bien que Malacca reste un point de passage obligé et resserré en particulier aux abords de Singapour. C’est ce que le précédent président chinois, Hu Jintao appelait le « dilemme de Malacca », considérant que ce détroit pouvait aisément être bloqué par des puissances étrangères cherchant à asphyxier l’économie chinoise. Afin de mieux comprendre les enjeux des différentes contestations territoriales en mer de Chine méridionale, il nous faut tout d’abord étudier la géographie physique de ce théâtre et les ressources naturelles qu’il renferme. La Chine est au nord de la MCM et a plus de trente-deux mille kilomètres de rivages, dont dix-huit mille kilomètres constituent les côtes de la Chine continentale et quatorze mille sont les rivages des douze mille îles sous juridiction chinoise ; ces îles représentent une surface globale d’environ soixante-dix-sept mille kilomètres carrés49 . Concernant les principales zones contestées en MCM, les Paracels, regroupent environ 130 îlots, qui s’étendent sur une surface de quinze mille kilomètres carrés ; les Spratley, comptent plus de 750 îlots et englobent une potentielle ZEE quatre cent cinquante mille kilomètres carrés50 . 49 HU Bo, Chinese maritime power in the 21st century – Strategic planning, policy and prediction, New York, Routledge, 262 pages, p 24. 50 https://www.ege.fr/infoguerre/2016/02/lenjeu-du-controle-des-plateformes-et-ressources-petrolieres-dans-la- mer-de-chine-meridionale consulté le 17 juin 2021
  • 28. 28 Section 2 : Océanologie et climatologie de la MCM Les cartes marines montrent que le caractère semi-fermé de la MCM qui communique avec l’extérieur par des détroits peu profonds, à l’exception du détroit de Bachi qui atteint une profondeur de deux mille six cents mètres entre Taïwan et les Philippines. Parmi les autres points de passage, le détroit de Balabac vers la mer de Sulu est profond de plus de quatre cents mètres, tandis que les autres détroits ont tous une profondeur inférieure à cent mètres. Encadrée approximativement par cent cinq et cent vingt degrés de longitude est, par l'équateur et vingt degrés de latitude nord, la MCM bénéficie d'un climat essentiellement tropical et soumis au régime alternatif des moussons. La mousson se traduit par un flux de sud-ouest de mai à septembre et de nord-est en janvier, avec une houle qui peut atteindre quatre à cinq mètres. Les mois d’avril et d’octobre sont des périodes de transition entre deux flux, qui sont caractérisés par des vents tournants qui soulèvent une mer agitée et croisée. Les courants de surface sont alternatifs car ils suivent le vent, et sont particulièrement forts entre novembre et mars puisqu’ils atteignent une vitesse moyenne de quatre nœuds. Le phénomène de mousson est à l’origine du caractère saisonnier du commerce lorsqu’il a commencé à se développer entre l’Asie et l’Europe car les voiliers remontaient mal au vent et il est plus rapide de naviguer dans le sens du vent. La MCM étant entourée par la terre, elle offre des caractéristiques similaires à celles qui existent en Méditerranée, bien que les bathymétries soient différentes. Les phénomènes d’action et de réaction sont très dynamiques et, hormis les grands flux périodiques de mousson, peuvent être difficiles à prévoir ; les vents soulèvent très rapidement une mer courte et hachée, qui retombe ensuite aussi vite dès que les vents diminuent. Outre les phénomènes météorologiques cycliques, la MCM est par ailleurs soumise à des phénomènes météorologiques violents, les typhons. Ils se forment principalement à l'est des Philippines, ou sur la Mer de Chine Méridionale elle-même. Ils sont fréquents au cours de la période de juillet à novembre car ils ont besoin d’une température élevée de la mer pour se former51 . 51 Le mécanisme de formation des cyclones dépend en grande partie de la température de la mer. Elle doit être supérieure à 26 0 C dans les 60 premiers mètres car il faut que l'étendue océanique soit suffisamment chaude pour déclencher une évaporation à grande échelle. C'est alors que s'opèrent des transferts de chaleur et d'humidité de l'océan vers l'atmosphère. Ces échanges sont à leur maximum vers la fin de l'été, quand les eaux de surface atteignent des températures de 28 à 30 0 C. https://www.universalis.fr/encyclopedie/cyclones/3-les-conditions- necessaires-au-developpement-des-cyclones/ consulté le 12 juillet 2021
  • 29. 29 Section 3 : Fonds sous-marins La Mer de Chine Méridionale peut être divisée en deux parties dont les profils bathymétriques sont nettement opposés ; à l'ouest, la profondeur du plateau continental dépasse à peine trois cents mètres de profondeur, tandis qu’à l’est, elle atteint un maximum de cinq mille mètres. A l’ouest, le plateau occidental est large, étendu, et peu profond, à cause du débit des deux grands fleuves, le Hong Hà plus connu sous le nom de fleuve rouge au nord, et le Mékong au sud qui déversent dans le bassin un flot continu de sédiments et d’alluvions. Le bassin oriental se compose d'une plaine abyssale centrale de plus de quatre mille mètres de profondeur et de deux pentes dont celle de l'est descend abruptement, surtout en face des îles Palawan et Luzon. Source : https://www.geoportail.gouv.fr/donnees/carte-mondiale-fonds-marins consulté le 29 avril 2021
  • 30. 30 Comme le précisent Yves Boyer et Patrick Hébrart dans leur étude52 , la structure de la mer de Chine méridionale est encore imparfaitement connue. Il s’agirait d’un bassin créé par une expansion tectonique, puis appelé à disparaître par subduction de l’arc insulaire philippin amené à entrer en collision avec le continent asiatique, ce qui est déjà réalisé au niveau de Taïwan. Les montagnes sous-marines qui s’élèvent au centre de la mer de Chine méridionale sont vraisemblablement d’origine volcanique. La plupart de ces formations sont assises sur des morceaux de croûtes continentales effondrées puis arrachées de la plaque asiatique ou philippine. Les récifs, bancs et îles des Paracels, du banc Macclesfield et des Spratleys sont les sommets de montagnes sous-marines et de volcans reposant sur ces fragments. Lors de la formation du bassin océanique, les tensions engendrées par les mouvements de convection dans le manteau auraient, d’une part, arraché et fait dériver vers le sud ce qui allait devenir l’ensemble des Spratleys, d’autre part étiré et aminci la croûte continentale. En conséquence, il est concrètement impossible de prouver une quelconque continuité morphologique entre le plateau continental et les archipels disputés, sachant que la continuité du plateau continental est l’argument principalement utilisé pour revendiquer des extensions de ZEE. Chapitre 2 : Les ressources naturelles de la MCM La mer de Chine méridionale abrite une partie du triangle de corail, épicentre de la biodiversité marine de la planète, qui s’étend de la mer de Chine méridionale à l’Indonésie au sud et aux îles Salomon à l’est. On y trouve plus de 76 % des espèces de coraux de la planète, et six des sept espèces mondiales de tortues marines. Les récifs coralliens, dont la fragilité est maintenant connue, jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de la flore et de la faune sous-marines et sont un lieu de reproduction pour plus de quatre cents espèces de poissons. De leur sauvegarde dépend la subsistance de plus de quatre cents millions de personnes, qui vivent des ressources marines de la MCM. Cet écosystème repose sur un fragile équilibre malmené par les activités humaines (réchauffement des eaux, modification des courants et de la salinité) ainsi que par le dragage des fonds mené par les entreprises chinoises à la recherche de sable, ou pour poldériser des récifs. Si cet équilibre venait à être rompu, c’est toute la chaîne alimentaire de la MCM, et donc les ressources halieutiques qui pourraient être sérieusement menacées avec de graves conséquences pour l’alimentation des populations locales. 52 Fondation pour la recherche stratégique, n° 06/2013 de décembre 2013. L’impact de la montée en puissance de la zone Asie sur le repositionnement des moyens de lutte sous-marine déployés en Atlantique par Yves Boyer et Patrick Hébrard. https://www.files.ethz.ch/isn/175215/RD_201306.pdf consulté le 11 juin 2021
  • 31. 31 Outre ses richesses naturelles vivantes, la MCM dispose également de ressources en hydrocarbures et en gaz, ressources que les pays riverains se disputent et cherchent à exploiter. Les estimations peuvent varier du simple au triple selon les sources consultées, ce qui démontre que ces ressources ne sont pas précisément inventoriées et que la communication de leur volume est influencée par des discours politiques ou sécuritaires. Cela contribue à renforcer les rivalités entre les États qui cherchent à obtenir le contrôle de ces territoires afin d’exploiter les gisements de pétrole ou de gaz. L’occupation d’îlots et leurs transformations en îles habitables permettent à la puissance qui s’en attribue la souveraineté de réclamer la création d’une zone économique exclusive liée à cette île. Mais l’occupation par plusieurs États des îlots proches dans les Spratleys montre que l’attribution d’une ZEE ne soit pas facile pour des îles voisines dont les espaces maritimes se recouvrent, et que des accords de coopération deviennent rapidement indispensables afin de permettre l’exploitation des ressources. Section 1 : Les ressources halieutiques Les ressources halieutiques sont abondantes et faciles d’accès, ce qui explique la grande place des produits de la mer, qui constituent la principale source de protéines, dans l’alimentation asiatique. L’augmentation rapide du nombre d’habitants en zone littorale a fortement accru la demande en poissons et coquillages, ce qui a conduit à un dérèglement de la pêche côtière, puis à l’intensification de la pêche hauturière. L’absence de régulation et de contrôle a entraîné une exploitation désordonnée des stocks et les ressources doivent maintenant être préservées par l’instauration de quotas ou de moratoires, afin d’assurer leur renouvellement. L’enrichissement des populations a aussi entraîné une évolution des modes d’alimentation et constitue un facteur supplémentaire d’augmentation de la consommation ; les statistiques de la Food and Agriculture Organization53 montrent que la consommation des produits de la mer est passée de vingt-quatre kilogrammes par an par habitant en 2001 à trente-trois kilos annuels en 2011 ; en Malaisie la consommation atteint cinquante-neuf kilos, et à Hong Kong soixante et onze kilos. Cette évolution déstabilise la chaîne alimentaire car elle concentre la majeure partie de la consommation vers des espèces spécifiques (saumon, thon) au détriment d’autres espèces comestibles, ce qui désordonne l’équilibre naturel entre les prédateurs et les proies. Le développement de l’aquaculture sur les bords de la MCM permet de fournir une quantité 53 http://www.fao.org/fishery/en consulté le 29 juin 2021
  • 32. 32 artificielle de produits de la mer sans détruire les stocks sauvages, mais ce type d’élevage a aussi des impacts non négligeables en termes environnementaux. Source : http://www.fao.org/fishery/facp/CHN/en L’Asie est la première zone de pêche au monde, que ce soit pour l’aquaculture, la pêche dans les eaux intérieures ou en haute mer. Les captures en zone de pêche maritime en Asie étaient évaluées à plus de trente-neuf millions de tonnes en 2009, soit presque autant que tous les autres continents réunis. Au total, environ 7% des prises mondiales sont effectuées en mer de Chine méridionale. Mais si les ressources halieutiques de la mer de Chine méridionale sont réputées, elles sont mal connues, et il reste difficile de les évaluer avec précision. Les côtes et la plateforme de la Sonde qui sont des eaux peu profondes concentrent l’essentiel des activités de pêche, là où se développent plantes et planctons, base de la chaîne alimentaire marine. L’archipel des Spratleys qui est riche en plancton, abrite une importante population de poissons (notamment de thon), de homards, de tortues, de carets, d'abalones et de mollusques rares y vivent et s’y reproduisent. Pêcher de façon intensive et non régulée dans ces espaces met en danger la survie de nombreuses espèces, et à terme contribuera à la désertification de la MCM. Le tonnage global de la flotte de pêche chinoise a fortement augmenté pour satisfaire l’explosion de la demande de produits de la mer, conséquence de l’exode des populations des campagnes vers le littoral. Si une gestion raisonnée des ressources de la MCM permet de subvenir aux besoins plus de quatre cents millions de personnes, une pêche intensive met en péril cette ressource qui n’est pas inépuisable ; depuis quelques années, un moratoire annuel de trois mois et demi sur la pêche a été établi à Hainan, principale base des pêcheurs chinois, afin de permettre une hypothétique reconstitution des stocks.
  • 33. 33 Outre les tensions liées à l’exploitation de la ressource, la pêche revêt une grande importance économique pour les pays riverains de la MCM. Les pêcheries de tous les États riverains dépendent en grande partie de ces richesses halieutiques. À titre d’exemple, la pêche représente 7% du produit intérieur brut et 4,5 millions d’emplois au Vietnam. Le rapport des pays à la mer évolue en fonction des marchés et des demandes soudaines de produits qui apparaissent, modifient les habitudes de pêche et concentrent les captures sur certaines espèces. C’est le cas par exemple des sushis qui ont commencé à se répandre dans le monde à la fin des années quatre-vingt-dix, dont la demande ne faiblit pas,54 et qui exigent d’importantes quantités de saumon et de thon. Ce phénomène a entraîné un changement de la finalité de la pêche qui est passée d’une logique de consommation locale à une logique d’exportation, donc l’ouverture à des marchés plus volumineux entraînant un développement de la pêche intensive. En outre, l’exportation étant économiquement plus rentable que la consommation locale, des pays qui parvenaient à nourrir leur population avec le fruit de la pêche nationale sont devenus des importateurs de poissons et de coquillages. Afin de pallier la surpêche tout en conservant une forte capacité de production, les pays de riverains de la MCM ont développé l’aquaculture qui prend une importance grandissante dans les économies locales. Aux Philippines, l’aquaculture représente plus de 50% de la production en volume pour la pêche et le pays a investi dans la culture d’algues marines dont il est le troisième producteur mondial après la Chine et l’Indonésie55 . L’Indonésie est le second producteur d’animaux aquatiques derrière la Chine, et le troisième producteur de produits issus de l’aquaculture après l’Inde et la Chine56 . Les bénéfices économiques de l’aquaculture57 expliquent son rapide développement mais les inconvénients pour le milieu naturel ne sont pas encore assez pris en compte. L’utilisation de produits chimiques et d’antibiotiques a des conséquences néfastes sur l’environnement proche ; certains poissons sont nourris avec des protéines issues de la transformation de poissons plus petits qui sont pêchés de façon intensive, ce qui contribue à la désorganisation de la chaîne alimentaire. De plus, les littoraux de la MCM sont fortement pollués par l’activité humaine et le développement de fermes aquacoles à 54 https://www.linkedin.com/pulse/g%C3%A9opolitique-du-sushi-edgar-le-ras/?trk=public_profile_article_view consulté le 2 mai 2021 55 https://agriculture.gouv.fr/philippines consulté le 2 mai 2021 56 https://agriculture.gouv.fr/indonesie consulté le 2 mai 2021 57 https://www.1h2o3.com/apprendre/avantages-et-inconvenients-de- laquaculture/#:~:text=Les%20aquacultures%20prot%C3%A8gent%20%C3%A9galement%20la,des%20diff%C 3%A9rentes%20esp%C3%A8ces%20en%20mer consulté le 2 mai 2021
  • 34. 34 proximité immédiate des rivages laisse penser que les animaux qui y sont élevés bénéficient pleinement de cette pollution avant d’être ensuite consommés ou transformés. La Chine est l’un des principaux producteurs mondiaux depuis de nombreuses années comme le montrent les statistiques de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)58 ; en 2015 la Chine a produit soixante millions de tonnes de poisson dont 73% proviennent de l’aquaculture et 27% des captures en mer. En 2015, la contribution chinoise au marché mondial de la pêche était de 62%. La flotte chinoise cette même année était estimée à trois cent soixante-dix mille embarcations non motorisées et six cent soixante-douze mille bateaux à moteur. Le secteur de la pêche employait plus de quatorze millions de personnes en 2015, et l’estimation des emplois dérivés atteint seize millions supplémentaires d’individus. Les exportations des produits de la pêche en 2015 ont atteint vingt milliards de dollars, mais la hausse de la demande en Chine a augmenté les importations qui placent la RPC au rang de troisième importateur mondial depuis 2012 pour une valeur supérieure à huit milliards de dollars en 201459 . L’accroissement continu de la population côtière induit une hausse proportionnelle de la demande de produits de la mer qui constituent la base du régime alimentaire asiatique ; à la consommation traditionnelle s’ajoutent les effets de mode alimentaire qui concentrent la demande sur certaines espèces et qui pour des raisons économiques remettent en question l’équilibre de la pêche traditionnelle. La conjugaison de ces facteurs à laquelle s’ajoutent les conséquences de la pollution et du réchauffement climatique sont une source de préoccupation grandissante pour les pays riverains de la MCM qui commencent à prendre conscience de la fragilité de leurs approvisionnements alimentaires fondamentaux. Section 2 : Les ressources fossiles Viennent ensuite les richesses fossiles et hydrocarbures dont les gisements sont principalement situés à proximité des côtes et dans la partie sud-ouest de la MCM. Comme dans de nombreuses régions péri-continentales, d’importantes ressources hydrocarbures ont été découvertes près des littoraux et des réserves beaucoup plus vastes sont présumées, en particulier dans l’archipel des Spratleys. Les estimations du volume des réserves varient en fonction de leurs origines ; l’estimation la plus faible vient des sources américaines, tandis que les sources chinoises ont 58 http://www.fao.org/about/fr/ consulté le 2 mai 2021 59 http://www.fao.org/fishery/facp/CHN/en consulté le 20 juin 2021
  • 35. 35 tendance à surestimer les réserves pétrolières et gazières. Il est donc difficile d’obtenir une estimation précise des ressources, ainsi qu’une étude sur la facilité d’exploitation des gisements en fonction de leur localisation. A ces premiers paramètres objectifs, s’ajoutent les contraintes administratives imposées par le gouvernement chinois lorsque des sociétés occidentales tentent de s’implanter en MCM, que ce soit pour de simples forages de recherche ou pour l’exploitation de gisements. L’importance des ressources pétrolières et gazières en MCM est donc plus supposée que prouvée, et les gisements prouvés sont souvent situés dans des zones qui rendent leur exploitation difficile (fonds importants et tourmentés, impacts météorologiques, et forts courants sous-marins). Les archipels des Paracels et des Spratleys sont non seulement très riches en faune et en flore maritimes, mais certains experts estiment que les fonds marins y recèleraient quelque dix millions de tonnes de phosphates, et des nodules polymétalliques. Il est possible que des réserves très importantes de pétrole et de gaz naturel existent dans les mers marginales bordant la Chine. Les gisements pétroliers et gaziers de la MCM se répartissent en deux zones principales ; la première est un rectangle qui part de la côte nord-est du Vietnam, englobe l’île de Hainan et longe la côte sud de la chine jusqu’au détroit de Taïwan ; la seconde couvre la partie sud-ouest de la MCM en longeant les côtes de la Malaise, de Brunei et du sud du Vietnam. Environ huit bassins sédimentaires recouvrant une zone de quatre cent dix mille kilomètres carrés se trouvent autour des Spratleys et pourraient contenir des ressources importantes. La mer de Chine méridionale est considérée comme l’un des cinq plus grands bassins pétroliers et gaziers au monde. Actuellement, la plupart les pays de la région exploitent ces ressources : Chine, Vietnam, Malaisie, Brunei, Thaïlande et l’Indonésie qui est membre de l’OPEP. Les estimations de ressources dans cette zone maritime font état de douze milliards de barils de pétrole (réserves prouvées) et de cent soixante mille milliards de mètres cubes de gaz naturel (estimation), soit 13,4% des réserves mondiales60 . Les écarts d’estimation en fonction des sources confirment la difficulté à évaluer précisément les ressources disponibles ainsi que les conditions d’exploitation des gisements. 60 https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.Php?id=10651#:~:text=Industry%20sources%20suggest%20almost %20no,fields%20near%20the%20Spratly%20Islands.&text=In%20total%2C%20the%20South%20China,as%20 proved%20or%20probable%20reserves consulté le 31 mars 2021.
  • 36. 36 Asia Maritime Transparency Initiative - https://amti.csis.org/south-china-sea-energy-exploration-and-development/ Le Vietnam est un producteur pétrolier modeste ; il représente moins de 1% des réserves mondiales soit une estimation d’à peine plus de quatre milliards de barils de pétrole selon la revue statistique de British Petroleum. Le Vietnam est exportateur de pétrole brut, qui représente environ 20% des revenus du commerce extérieur. Cependant Hanoï doit augmenter ses importations des produits pétroliers pour soutenir son développement économique qui accroît mécaniquement ses besoins énergétiques. Les îles Paracels et Spratley représentent donc une région stratégique pour le Vietnam, constituant un enjeu économique non négligeable tant pour la poursuite de son développement économique que pour réduire sa dépendance aux importations. Outre la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques, la Chine cherche aussi à les diversifier. En mars 2021, la Chine et l’Iran ont signé un pacte de coopération stratégique d’une durée de vingt-cinq ans. Les Chinois investiront plus de quatre cents milliards de dollars dans les infrastructures (routes, énergie, télécommunication, cyber sécurité) et l’Iran donnera à la Chine un accès privilégié à ses ressources d’hydrocarbures (gaz et pétrole) à des prix inférieurs de 12% à ceux du marché61 . Toutes les ressources fossiles de la Chine ne sont pas situées en MCM, mais elles lui permettent d’être au niveau mondial, le cinquième producteur de gaz naturel, le septième producteur de 61 https://geopragma.fr/liran-nouveau-pion-de-la-realpolitik-chinoise/ consulté le 17 juin 2021
  • 37. 37 pétrole et le huitième producteur d’uranium. Ces classements ne lui permettent cependant pas de faire face à la très forte demande intérieure nécessaire à la poursuite de son développement et à la satisfaction des besoins quotidiens de la population. Section 3 : Le sable Le sable est la deuxième ressource la plus utilisée dans le monde après l’eau, et avant le pétrole ou le gaz. Il est omniprésent dans notre quotidien. Il est principalement utilisé pour ses composants minéraux qui en font le moteur de la croissance urbaine : entre 2014 et 2018, la Chine en a plus utilisé que les États-Unis en un siècle. Les statistiques précises au sujet de ce marché font défaut car aucune organisation internationale ne recense la production et la consommation mondiale de sable. Cette dernière est évaluée dans un intervalle de cinquante à soixante milliards de tonnes, dont 58% seraient absorbés par la Chine. Les réserves de sable sont évaluées à cent vingt millions de milliards de tonnes ce qui montre que cette ressource n’est pas infinie, et les grandes entreprises de travaux publics telles que Bouygues62 constatent « qu’il n’y a plus de sable ». Les ordres de grandeur de la quantité de sable nécessaire dans la vie quotidienne sont de deux cents tonnes pour la construction d’une maison, trois mille tonnes pour un hôpital, trente mille tonnes pour un kilomètre d’autoroute et douze millions de tonnes pour une centrale nucléaire. Cette limitation de la ressource est due à la longueur de son cycle de renouvellement, et aux différents types de sable, car tous ne sont pas exploitables : soit il est inaccessible car trop profondément enfoui sous la mer, soit sa structure le rend impropre à son exploitation. « Il en existe trois catégories. Le sable “éolien” des déserts. Abondant, son grain, fortement usé et rond, le rend quasi inutilisable. Le sable « fluviatile » que l’on trouve dans le lit des rivières, anciennes ou actuelles, et au large des côtes devant les estuaires, lui, en revanche, est peu usé et fortement anguleux. Le troisième, intermédiaire des deux premiers, est constitué du sable des plages » explique Éric Chaumillon63 . Les besoins en sable sont démultipliés par la croissance démographique, par la construction d’infrastructures touristiques ainsi que par les pays qui étendent leur territoire sur la mer ; à titre d’exemple, Singapour a gagné un quart de sa superficie sur les îlots depuis 1965 en passant de cinq cent quatre-vingt-deux à sept cent dix-huit kilomètres carrés, soit un gain de cent trente- six kilomètres carrés. Le développement rapide et spectaculaire des États pétroliers du golfe Persique a abouti à l’épuisement de leurs ressources en sable au début des années 2000 ; ces 62 Entretien de l’auteur avec le directeur de la branche Bouygues située à Londres. 63 Éric Chamillon est professeur de géologie marine à l’université de la Rochelle et chercheur au CNRS.
  • 38. 38 pays doivent désormais importer depuis l’Australie des millions de tonnes de sable chaque année pour mener à bien leurs projets immobiliers. Nous avons vu que les ressources en sable sont limitées, et comme toute ressource non renouvelable, le sable fait désormais l’objet de convoitises et entre dans le domaine des ressources pour lesquelles des conflits sont envisageables à moins que des alternatives ne soient trouvées. Des organisations criminelles œuvrent dans ce nouveau domaine d’action en détournant des exploitations de sable afin de revendre les granulats au plus offrant. Dans de nombreux pays voisins de la MCM ayant interdit le commerce du sable, un marché noir s’est mis en place pour alimenter une demande qui ne cesse de croître. La Chine a d’importants besoins en sable pour le développement immobilier et les infrastructures de son littoral qui accueille une population en pleine expansion, ainsi que pour la poldérisation des îlots qu’elle développe en mer de Chine. Entre 1994 et 2012, la production chinoise de béton a augmenté de 437 %, quand celle du reste du monde augmentait de 60 %. En 2018, les besoins chinois en sable étaient de dix-huit milliards de tonnes contre quatre en 2013. La RPC a par exemple démarré un projet de construction d’un terre-plein littoral devant la ville côtière de Wenzhou ; ce projet de conquête sur la mer prévoit soixante-six kilomètres carrés de surface à gagner sur les eaux. La demande chinoise est sous tension parce que le dragage a été interdit dans certaines zones fluviales ou alluvionnaires continentales ; l’extraction dans le fleuve Yang-Tsé-Kiang a été contrôlée depuis 2000. Ces quelques projets expliquent ce gigantesque besoin mondial en granulats marins. Des archipels taïwanais64 sont situés à proximité immédiate du littoral chinois, et des dragues chinoises viennent extraire du sable avec une fréquence exponentielle. Les incursions de dragues relevées par Taïwan étaient de deux en 2017, soixante et onze en 2018, six cents en 2019 et près de quatre mille en 2020 qui prélèvent cent mille tonnes de sable par jour65 . Ces barges opèrent sans pavillon ou sous pavillon de complaisance afin de ne pas pouvoir être juridiquement rattachées à la RPC. Taïwan a récemment renforcé sa législation pour tenter de limiter ces incursions en infligeant aux armateurs des amendes allant jusqu’à trois millions de dollars (contre trente mille dollars auparavant), des peines allant jusqu’à sept ans de prison pour les équipages, ainsi que la saisie et la destruction systématique des barges. 64 Archipel de Kinmen situé à deux kilomètres du littoral chinois ainsi que l’île Matsu. 65 https://graphics.reuters.com/TAIWAN-CHINA/SECURITY/jbyvrnzerve/ consulté le 15 avril 2021