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peut-elle
cyberdLavr
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Par Elsa Ferreira À l’heure où les technologies proposent des expériences
toujours plus immersives et des voyages toujours
plus loin, de plus en plus d’artistes et de penseurs
se posent la question de leurs liens avec les drogues
psychédéliques. Bienvenue dans un monde cyberdélique.
Hastings, Angleterre. Dans le fief du célèbre occultiste Aleister
Crowley, une réunion singulière : une cinquantaine de personnes
ont répondu à l’appel de la Cyberdelic Society, une association
fondée en novembre 2017 pour promouvoir le psychédélisme
par le biais de la technologie. Au dernier étage d’un immeuble
avec vue sur la mer, casque de réalité virtuelle vissé sur la tête,
on se fait aspirer par un trou noir, on assiste à un concert au milieu
de montagnes colorées ou on joue avec des particules sonores.
Surtout, on discute technologie et pouvoir de la conscience.
Ici, le psychédélisme est une affaire sérieuse. « Une relation
entre l’humain et les plantes pour une expansion de l’esprit
et de la connaissance », explique l’artiste Jose Montemayor Alba,
cofondateur de la Cyberdelic Society avec l’universitaire Carl
H. Smith. « Même les personnes qui s’y adonnent de manière
récréative élargissent leurs sens, leurs expériences visuelles… »
À haute dose, les psychotropes ont des effets presque mystiques
et même les plus pragmatiques des sujets font l’expérience d’un
« au-delà » ou d’un recueillement « dans les bras d’un Dieu aimant »,
rapporte Michael Pollan dans son excellent livre How To Change
your Mind, The New Science of Psychedelics, paru en 2018. « Les gens
prennent conscience de quelque chose au-delà de leur perception
de la réalité, acquiesce Montemayor. Il y a alors un changement
de perspective. La drogue devient un médicament. »
La technologie ne peut pas remplacer l’expérience hautement
introspective d’un voyage intérieur sous psychotrope, mais
elle peut en offrir un avant-goût à ceux trop frileux pour
abandonner leur self-control aux mains d’une substance
illégale. Surtout, « la technologie est intrinsèquement
psychédélique puisqu’elle étend l’esprit », estime Montemayor.
La roue ne nous a-t-elle pas fait voyager plus loin, et la radio
de nous écouter ? Désormais immersives, les technologies
permettent d’entrer dans des univers inventés de toutes
pièces et d’explorer le monde à travers les yeux d’un autre.
L’intelligence augmentée
L’association des premières communautés de psychonautes
et des pionniers des nouvelles technologies peut sembler
contre-intuitive. Dans la conscience populaire, l’ingénieur
a une image plutôt sérieuse et discrète, assez éloignée
de l’attitude « peace & love » des hippies adeptes de champignons
hallucinogènes. Pourtant, il existe bien une histoire
entremêlée des psychédéliques et de l’informatique.
Durant les années 65-75, à une époque où la Silicon Valley
Elismeremplacerlelsd ?
68 pause
ne porte pas encore ce nom, le zeitgeist a un goût de révolution
à Stanford, du côté de Palo Alto. « Il y avait une contre-
culture très dynamique, plante John Markoff, auteur
de What the Dormouse Said : How the Sixties Counterculture Shaped
the Personal Computer Industry, le livre référence sur l’influence
des psychédéliques dans l’histoire de l’informatique. Il y avait
la drogue, mais aussi la musique, la politique et un puissant
mouvement pacifiste. » Des deux côtés du campus de l’université
de Stanford, des scientifiques expérimentent. Les uns, avec
la technologie naissante – les ordinateurs ne sont encore
que d’énormes machines dont ingénieurs et étudiants
se partagent le temps de calcul. Les autres, dans le domaine
en plein essor de la recherche psychédélique thérapeutique.
En plus de leur berceau géographique, ces deux communautés
partagent la conviction du pouvoir transformateur de leur
objet d’étude, notamment sur l’intelligence humaine. Dans
son laboratoire, l’Augmentation Research Center, Doug Engelbart,
inventeur de la souris, des hyperliens et de l’ARPANET
(l’ancêtre d’Internet), explore son concept d’« augmentation
de l’intelligence humaine » à travers l’ordinateur, les réseaux
informatiques et les expériences de design de groupe. Côté
psychonautes, des groupes s’affranchissent des conditions strictes
des tests thérapeutiques. C’est le cas notamment de Al Hubbard,
surnommé le « Johnny Appleseed du LSD », du nom d’un
botaniste et pépiniériste américain, célèbre pour avoir administré
la molécule à plusieurs centaines de personnalités haut placées.
« Il voulait déterminer si le LSD pouvait améliorer la créativité »,
rappelle John Markoff. Hubbard convoque artistes, scientifiques
et ingénieurs à ses expériences. Parmi eux, Doug Engelbart.
Cette aventureuse décennie a laissé son empreinte
dans ce qui deviendra la Silicon Valley, de l’expérience
du LSD par Steve Jobs – l’une des « plus formatrices de [sa]
vie », dira-t-il à Burning Man – jusqu’aux actuels « microdosing
fridays » des entrepreneurs en quête d’idées innovantes. L’Internet
des débuts était d’ailleurs une formidable utopie tout droit
issue de la contre-culture : libre et ouvert, sans frontière, sans
hiérarchie, gratuit et fondé sur le partage. « Au nom de l’avenir,
je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser
tranquilles », écrit dans la Déclaration d’indépendance du cyberespace
(1996) John Perry Barlow, pionnier d’Internet et parolier
du groupe de rock psychédélique Grateful Dead. Avant
de conclure : « Nous allons créer une civilisation de l’esprit dans
le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste
que le monde que vos gouvernements ont créé. » Faire table
rase ? Un des effets de l’acide, rappelle Michael Pollan dans
How To Change Your Mind, est de dissoudre les frontières entre
réalité et fiction, les notions de hiérarchies, l’ego et de donner
l’impression qu’il est possible de tout recommencer à zéro.
Nineties, l’ère des zippies
Sous-culture d’une contre-culture, le cyberdélisme
est un mouvement de niche assez mal documenté. À Londres,
au début des années 90, un groupe de cyberpionniers essaie
pourtant de le rendre plus concret et IRL. Fraser Clark, fondateur
du magazine indépendant Encyclopedia Psychedelica (EPi), milite
pour un retour de l’esprit hippie sous une forme plus moderne.
Ainsi naissent les zippies, fusion entre le flower power du summer
of love américain de 1967 et les ravers britanniques de 1988. 
Selon EPi, le zippy est « quelqu’un qui a équilibré
ses hémisphères pour atteindre la fusion entre le technologique
et le spirituel ». Pour accélérer le mouvement, Clark fonde
Megatripolis en 1993, un rendez-vous hebdomadaire aux allures
de festival, qui se tient tous les jeudis soirs dans la boite
gay Heaven. Un club à portée hautement politique où l’on
rencontre autant des joueurs de djembés que des vendeurs
de fanzines, où l’on participe à des séances d’interprétation
des rêves ou à des présentations théoriques appelées Parrallel
University. « Il y avait un fort intérêt pour les ordinateurs,
Internet, et les sujets liés au cyberdélisme comme
la fractographie, la VR, les smart drugs ou les modifications
corporelles », raconte Matt Black, fondateur de Ninja Tune,
moitié de Coldcut et membre du groupe Hex qui s’est établi
en pionnier cyberdélique. Un festival d’idées autant qu’un
club où l’on passe de la musique trance et de l’ambient techno
à la Aphex Twin, Higher Intelligence Agency ou Future
Sound of London. À la tribune, des invités influents
défilent, comme le journaliste environnemental George
Monbiot, les figures du mouvement psychédélique Terence
McKenna ou Ram Dass. Une petite prouesse technologique
pour l’époque a aussi lieu : des interviews sont retransmises
en direct par satellite comme celle de l’influent et truculent
Timothy Leary, ancien professeur de Harvard qui a contribué,
pour le meilleur et pour le pire, à sortir le LSD des labos.
« Un moment et un endroit uniques », résume Matt Black.
Ce dernier forme Hex en 1991 avec l’artiste Robert Pepperell
et le codeur Miles Visman, un groupe multimédia avant-
gardiste dans l’utilisation novatrice des ordinateurs personnels.
En 1992, les trois pionniers créent Top Banana, un jeu vidéo
de plate-forme où l’héroïne, KT, doit sauver le monde
des corporations, des tronçonneuses et des bulldozers
grâce au pouvoir de l’amour, le tout bercé par la musique
de Coldcut. L’année suivante, le personnage de KT refait
surface dans le jeu Global Chaos. Matt Black décrit cette
création, près d’une heure de couleurs fluo et stroboscopiques,
comme un « trip cyberdélique ». Lui-même adepte
des psychotropes, il développe des personnages tout aussi
perchés, comme l’Alien Sphinx, créature dansante venue
d’une ancienne culture extraterrestre découverte sur Mars.
En parallèle, Matt Black baigne dans la culture naissante
de l’informatique. Il lit des publications comme Mondo
2000, le précurseur psychédélique de Wired et s’intéresse
aux travaux de Masahiro Kahata, psychonaute japonais
fondateur du Psychic Lab, ainsi qu’à sa technologie
de visualisation des ondes cérébrales. Surtout, il est influencé
par les monuments de la littérature cyberpunk comme
Neuromancer de William Gibson, roman culte de science-fiction
publié en 1984 qui consacre pour la première fois la notion
de cyberespace comme une « hallucination consensuelle »,
créée par l’interconnectivité de milliers d’ordinateurs.
« Nous avons tous lu les livres de William Gibson et ça nous
a bouleversés, précise-t-il. Ses idées ont été reprises dans Matrix,
un film hautement cyberdélique qui n’a pas été pas considéré
comme tel, probablement parce que Hollywood a eu peur
de l’association entre le psychédélisme et la drogue.
N’empêche, pilule rouge ou bleue, c’est clair : choisis
ta drogue, choisis ta réalité, trouve la vérité… »
8 SCÈNES
+ DE 60 ARTISTES
PARIS
indooroutdoor
TECHNO
TRANCE
BASS MUSIC
HARD BEAT
FACEBOOK : DREAM NATION FESTIVAL
BILLETTERIE : WWW.DREAMNATION.FR
PLUS
D
,
INFOS SUR
3 JOURS
20.21.22 SEPTEMBRE
ELECTRONIC MUSIC FESTIVAL
70 pause
Habiter le son (et vice versa)
Au téléphone, Matt Black se réjouit de voir poindre les premiers
signes d’une résurgence du mouvement. « C’est le bon moment »,
estime-t-il. Les technologies sont de plus en plus puissantes ;
la crise écologique prouve que d’autres modèles de société sont
nécessaires ; après plusieurs décennies d’obscurantisme, la science
s’ouvre de nouveau à l’étude des psychédéliques. « Une mise
à jour est nécessaire », anticipe Black, mais cette fois, la traduction
mériterait d’être moins littérale. C’est ce que pense en tout
cas Christian Duka, artiste sonore 3D et ancien curateur de la salle
de son immersif Aures, à Londres. Membre de la Cyberdelic
Society à ses débuts, il a fini par la déserter, « déçu
par le mouvement ». L’ennui, dit-il, c’est qu’avec ses couleurs
fluo et ses formes géométriques, il le trouve « superficiel ».
Lui préfère une approche plus crue, viscérale. Cette année,
à l’occasion du lancement de son label expérimental GUTZ
(intestins, en VF), il a investi Aures pour proposer une expérience
immersive sur le thème de la douleur. Dans cette salle d’une
cinquantaine de places sous les arcades du tunnel routier de Leake
Street, repère de graffeurs et de skateurs, un public au look
cyberpunk, version Comme des Garçons, prend place entre
les 54 enceintes accrochées aux murs. Dans une mise en scène
qui fait écho aux essais universitaires américains des années 60,
les participants sont invités à éteindre leurs portables, se bander
les yeux et se préparer à un voyage sonore introspectif. La suite
est une puissante expérience physique. Dès les premières notes,
le son englobe et devient stimuli, une énergie qui électrise la peau.
Passée l’extatique vague de la surprise et du bonheur de réaliser
le potentiel de la musique lorsqu’on lui laisse la place
de s’exprimer, la fresque sonore, composée par quatre artistes issus
du monde académique, se fait cinématique. Dans notre esprit,
les sons métalliques se transforment en insectes électroniques,
les murmures deviennent un vent qui se balade par bourrasques
au travers des enceintes. On lève le nez pour le ressentir,
on incline la tête pour le laisser nous caresser une oreille, puis
l’autre. On refrène une larme, emporté par le pouvoir de cette
nouvelle matière sonique, de ce son plus grand que nous.
Dans la salle, certains spectateurs enlèvent leurs bandeaux,
submergés par l’intensité de l’expérience. Pourquoi avoir choisi
la douleur ? « Nous voulions l’explorer sans jugement, comme
un élément naturel de notre vie humaine », explique l’artiste.
Inspiré par le rêve, « un régulateur émotionnel, une auto-
thérapie », il souhaite approcher la douleur avec une vision
similaire. « C’est une façon de la comprendre et de lui rendre
hommage. La douleur nous transforme, nous fait grandir. »
Transformer l’humain grâce à la technologie ? Faut-il y voir
une expérience cyberdélique ? « Peut-être que ça l’est, rigole-t-il.
C’est une inspiration. Je ne suis juste pas satisfait du terme. »
Gadi Sassoon, non plus, ne se reconnaît pas nécessairement
dans l’appellation. « J’ai dû regarder sur Wikipédia », confesse-
t-il. Depuis trois ans, le compositeur italien bien connu
de la communauté music-tech travaille avec des chercheurs
en synthèse sonore pour développer des algorithmes capables
de reproduire des sons d’instruments acoustiques de manière
ultra réaliste. Algorithmes que Sassoon s’est appliqué à détourner
pour distordre les lois de la physique et créer ce qu’il qualifie
d’« évolution sophistiquée du concept de glitch ». Multiverse, l’album
qui en résulte, est une œuvre immersive sur huit canaux où l’on
entend des trompettes de plusieurs kilomètres jouées par un souffle
deux fois plus chaud que le mercure, des guitares géantes grattées
par des doigts d’aiguilles, des basses aux rebondissements infinis
et d’autres instruments absurdes et extraterrestres. Perché ? Pas selon
l’intéressé. « En fait, cet album vient d’un espace de clarté cognitive
extrême, objecte-t-il en référence à la technicité de son travail.
Mais il appartient à l’auditeur de décider ce qu’il en fait. » Pour
les heureux élus ayant eu un aperçu de l’album, prévu pour
début 2020, dans les rares salles équipées pour diffuser des œuvres
sonores immersives, Multiverse est un voyage surréaliste aux détails
pointus et vivaces. « Tu as l’impression d’être à l’intérieur de quelque
chose, décrit Sassoon. C’est très physique et en même temps
abstrait. » Le spectateur perd la notion du temps, le synthétique
et l’organique, le vrai et le faux, les faits et la fiction se confondent.
Si la technologie n’a pas (encore) atteint la puissance mystique
de la molécule du LSD, elle peut provoquer des effets similaires :
ouvrir les sens et engager un dialogue entre deux parties
du cerveau habituellement non connectées. Pour l’artiste Adam
John Williams, les fréquences sonores ont toujours été plus
qu’une simple stimulation auditive. « C’est un crossover entre
l’ouïe et la somesthésie (la sensibilité du corps, ndlr) », dit-il
de sa synesthésie, une condition qui l’amène à lier les sons
à des textures voire à un « mouvement et un comportement ».
Artiste expérimental et psychonaute averti, il s’attache dans
ses œuvres à donner cette dimension physique et globale
au son, comme avec sa Bass Orgasm Machine, qui exploite
le potentiel jouissif des basses fréquences capables de faire dormir
certains membres de son public malgré un environnement
ultra bruyant. « Participer aux expériences multisensorielles,
c’est un acte de confiance. Plus tes sens sont stimulés,
plus l’expérience sera puissante et aura le potentiel d’être
excellente, mais aussi désagréable. » Pour lui, il est donc
essentiel de pousser la recherche dans le domaine. Et aussi,
certainement, d’être regardant sur la qualité de vos expériences.

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Cyberdelisme Trax VR Music

  • 2. pause 67 Par Elsa Ferreira À l’heure où les technologies proposent des expériences toujours plus immersives et des voyages toujours plus loin, de plus en plus d’artistes et de penseurs se posent la question de leurs liens avec les drogues psychédéliques. Bienvenue dans un monde cyberdélique. Hastings, Angleterre. Dans le fief du célèbre occultiste Aleister Crowley, une réunion singulière : une cinquantaine de personnes ont répondu à l’appel de la Cyberdelic Society, une association fondée en novembre 2017 pour promouvoir le psychédélisme par le biais de la technologie. Au dernier étage d’un immeuble avec vue sur la mer, casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, on se fait aspirer par un trou noir, on assiste à un concert au milieu de montagnes colorées ou on joue avec des particules sonores. Surtout, on discute technologie et pouvoir de la conscience. Ici, le psychédélisme est une affaire sérieuse. « Une relation entre l’humain et les plantes pour une expansion de l’esprit et de la connaissance », explique l’artiste Jose Montemayor Alba, cofondateur de la Cyberdelic Society avec l’universitaire Carl H. Smith. « Même les personnes qui s’y adonnent de manière récréative élargissent leurs sens, leurs expériences visuelles… » À haute dose, les psychotropes ont des effets presque mystiques et même les plus pragmatiques des sujets font l’expérience d’un « au-delà » ou d’un recueillement « dans les bras d’un Dieu aimant », rapporte Michael Pollan dans son excellent livre How To Change your Mind, The New Science of Psychedelics, paru en 2018. « Les gens prennent conscience de quelque chose au-delà de leur perception de la réalité, acquiesce Montemayor. Il y a alors un changement de perspective. La drogue devient un médicament. » La technologie ne peut pas remplacer l’expérience hautement introspective d’un voyage intérieur sous psychotrope, mais elle peut en offrir un avant-goût à ceux trop frileux pour abandonner leur self-control aux mains d’une substance illégale. Surtout, « la technologie est intrinsèquement psychédélique puisqu’elle étend l’esprit », estime Montemayor. La roue ne nous a-t-elle pas fait voyager plus loin, et la radio de nous écouter ? Désormais immersives, les technologies permettent d’entrer dans des univers inventés de toutes pièces et d’explorer le monde à travers les yeux d’un autre. L’intelligence augmentée L’association des premières communautés de psychonautes et des pionniers des nouvelles technologies peut sembler contre-intuitive. Dans la conscience populaire, l’ingénieur a une image plutôt sérieuse et discrète, assez éloignée de l’attitude « peace & love » des hippies adeptes de champignons hallucinogènes. Pourtant, il existe bien une histoire entremêlée des psychédéliques et de l’informatique. Durant les années 65-75, à une époque où la Silicon Valley Elismeremplacerlelsd ?
  • 3. 68 pause ne porte pas encore ce nom, le zeitgeist a un goût de révolution à Stanford, du côté de Palo Alto. « Il y avait une contre- culture très dynamique, plante John Markoff, auteur de What the Dormouse Said : How the Sixties Counterculture Shaped the Personal Computer Industry, le livre référence sur l’influence des psychédéliques dans l’histoire de l’informatique. Il y avait la drogue, mais aussi la musique, la politique et un puissant mouvement pacifiste. » Des deux côtés du campus de l’université de Stanford, des scientifiques expérimentent. Les uns, avec la technologie naissante – les ordinateurs ne sont encore que d’énormes machines dont ingénieurs et étudiants se partagent le temps de calcul. Les autres, dans le domaine en plein essor de la recherche psychédélique thérapeutique. En plus de leur berceau géographique, ces deux communautés partagent la conviction du pouvoir transformateur de leur objet d’étude, notamment sur l’intelligence humaine. Dans son laboratoire, l’Augmentation Research Center, Doug Engelbart, inventeur de la souris, des hyperliens et de l’ARPANET (l’ancêtre d’Internet), explore son concept d’« augmentation de l’intelligence humaine » à travers l’ordinateur, les réseaux informatiques et les expériences de design de groupe. Côté psychonautes, des groupes s’affranchissent des conditions strictes des tests thérapeutiques. C’est le cas notamment de Al Hubbard, surnommé le « Johnny Appleseed du LSD », du nom d’un botaniste et pépiniériste américain, célèbre pour avoir administré la molécule à plusieurs centaines de personnalités haut placées. « Il voulait déterminer si le LSD pouvait améliorer la créativité », rappelle John Markoff. Hubbard convoque artistes, scientifiques et ingénieurs à ses expériences. Parmi eux, Doug Engelbart. Cette aventureuse décennie a laissé son empreinte dans ce qui deviendra la Silicon Valley, de l’expérience du LSD par Steve Jobs – l’une des « plus formatrices de [sa] vie », dira-t-il à Burning Man – jusqu’aux actuels « microdosing fridays » des entrepreneurs en quête d’idées innovantes. L’Internet des débuts était d’ailleurs une formidable utopie tout droit issue de la contre-culture : libre et ouvert, sans frontière, sans hiérarchie, gratuit et fondé sur le partage. « Au nom de l’avenir, je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles », écrit dans la Déclaration d’indépendance du cyberespace (1996) John Perry Barlow, pionnier d’Internet et parolier du groupe de rock psychédélique Grateful Dead. Avant de conclure : « Nous allons créer une civilisation de l’esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde que vos gouvernements ont créé. » Faire table rase ? Un des effets de l’acide, rappelle Michael Pollan dans How To Change Your Mind, est de dissoudre les frontières entre réalité et fiction, les notions de hiérarchies, l’ego et de donner l’impression qu’il est possible de tout recommencer à zéro. Nineties, l’ère des zippies Sous-culture d’une contre-culture, le cyberdélisme est un mouvement de niche assez mal documenté. À Londres, au début des années 90, un groupe de cyberpionniers essaie pourtant de le rendre plus concret et IRL. Fraser Clark, fondateur du magazine indépendant Encyclopedia Psychedelica (EPi), milite pour un retour de l’esprit hippie sous une forme plus moderne. Ainsi naissent les zippies, fusion entre le flower power du summer of love américain de 1967 et les ravers britanniques de 1988. 
  • 4. Selon EPi, le zippy est « quelqu’un qui a équilibré ses hémisphères pour atteindre la fusion entre le technologique et le spirituel ». Pour accélérer le mouvement, Clark fonde Megatripolis en 1993, un rendez-vous hebdomadaire aux allures de festival, qui se tient tous les jeudis soirs dans la boite gay Heaven. Un club à portée hautement politique où l’on rencontre autant des joueurs de djembés que des vendeurs de fanzines, où l’on participe à des séances d’interprétation des rêves ou à des présentations théoriques appelées Parrallel University. « Il y avait un fort intérêt pour les ordinateurs, Internet, et les sujets liés au cyberdélisme comme la fractographie, la VR, les smart drugs ou les modifications corporelles », raconte Matt Black, fondateur de Ninja Tune, moitié de Coldcut et membre du groupe Hex qui s’est établi en pionnier cyberdélique. Un festival d’idées autant qu’un club où l’on passe de la musique trance et de l’ambient techno à la Aphex Twin, Higher Intelligence Agency ou Future Sound of London. À la tribune, des invités influents défilent, comme le journaliste environnemental George Monbiot, les figures du mouvement psychédélique Terence McKenna ou Ram Dass. Une petite prouesse technologique pour l’époque a aussi lieu : des interviews sont retransmises en direct par satellite comme celle de l’influent et truculent Timothy Leary, ancien professeur de Harvard qui a contribué, pour le meilleur et pour le pire, à sortir le LSD des labos. « Un moment et un endroit uniques », résume Matt Black. Ce dernier forme Hex en 1991 avec l’artiste Robert Pepperell et le codeur Miles Visman, un groupe multimédia avant- gardiste dans l’utilisation novatrice des ordinateurs personnels. En 1992, les trois pionniers créent Top Banana, un jeu vidéo de plate-forme où l’héroïne, KT, doit sauver le monde des corporations, des tronçonneuses et des bulldozers grâce au pouvoir de l’amour, le tout bercé par la musique de Coldcut. L’année suivante, le personnage de KT refait surface dans le jeu Global Chaos. Matt Black décrit cette création, près d’une heure de couleurs fluo et stroboscopiques, comme un « trip cyberdélique ». Lui-même adepte des psychotropes, il développe des personnages tout aussi perchés, comme l’Alien Sphinx, créature dansante venue d’une ancienne culture extraterrestre découverte sur Mars. En parallèle, Matt Black baigne dans la culture naissante de l’informatique. Il lit des publications comme Mondo 2000, le précurseur psychédélique de Wired et s’intéresse aux travaux de Masahiro Kahata, psychonaute japonais fondateur du Psychic Lab, ainsi qu’à sa technologie de visualisation des ondes cérébrales. Surtout, il est influencé par les monuments de la littérature cyberpunk comme Neuromancer de William Gibson, roman culte de science-fiction publié en 1984 qui consacre pour la première fois la notion de cyberespace comme une « hallucination consensuelle », créée par l’interconnectivité de milliers d’ordinateurs. « Nous avons tous lu les livres de William Gibson et ça nous a bouleversés, précise-t-il. Ses idées ont été reprises dans Matrix, un film hautement cyberdélique qui n’a pas été pas considéré comme tel, probablement parce que Hollywood a eu peur de l’association entre le psychédélisme et la drogue. N’empêche, pilule rouge ou bleue, c’est clair : choisis ta drogue, choisis ta réalité, trouve la vérité… » 8 SCÈNES + DE 60 ARTISTES PARIS indooroutdoor TECHNO TRANCE BASS MUSIC HARD BEAT FACEBOOK : DREAM NATION FESTIVAL BILLETTERIE : WWW.DREAMNATION.FR PLUS D , INFOS SUR 3 JOURS 20.21.22 SEPTEMBRE ELECTRONIC MUSIC FESTIVAL
  • 5. 70 pause Habiter le son (et vice versa) Au téléphone, Matt Black se réjouit de voir poindre les premiers signes d’une résurgence du mouvement. « C’est le bon moment », estime-t-il. Les technologies sont de plus en plus puissantes ; la crise écologique prouve que d’autres modèles de société sont nécessaires ; après plusieurs décennies d’obscurantisme, la science s’ouvre de nouveau à l’étude des psychédéliques. « Une mise à jour est nécessaire », anticipe Black, mais cette fois, la traduction mériterait d’être moins littérale. C’est ce que pense en tout cas Christian Duka, artiste sonore 3D et ancien curateur de la salle de son immersif Aures, à Londres. Membre de la Cyberdelic Society à ses débuts, il a fini par la déserter, « déçu par le mouvement ». L’ennui, dit-il, c’est qu’avec ses couleurs fluo et ses formes géométriques, il le trouve « superficiel ». Lui préfère une approche plus crue, viscérale. Cette année, à l’occasion du lancement de son label expérimental GUTZ (intestins, en VF), il a investi Aures pour proposer une expérience immersive sur le thème de la douleur. Dans cette salle d’une cinquantaine de places sous les arcades du tunnel routier de Leake Street, repère de graffeurs et de skateurs, un public au look cyberpunk, version Comme des Garçons, prend place entre les 54 enceintes accrochées aux murs. Dans une mise en scène qui fait écho aux essais universitaires américains des années 60, les participants sont invités à éteindre leurs portables, se bander les yeux et se préparer à un voyage sonore introspectif. La suite est une puissante expérience physique. Dès les premières notes, le son englobe et devient stimuli, une énergie qui électrise la peau. Passée l’extatique vague de la surprise et du bonheur de réaliser le potentiel de la musique lorsqu’on lui laisse la place de s’exprimer, la fresque sonore, composée par quatre artistes issus du monde académique, se fait cinématique. Dans notre esprit, les sons métalliques se transforment en insectes électroniques, les murmures deviennent un vent qui se balade par bourrasques au travers des enceintes. On lève le nez pour le ressentir, on incline la tête pour le laisser nous caresser une oreille, puis l’autre. On refrène une larme, emporté par le pouvoir de cette nouvelle matière sonique, de ce son plus grand que nous. Dans la salle, certains spectateurs enlèvent leurs bandeaux, submergés par l’intensité de l’expérience. Pourquoi avoir choisi la douleur ? « Nous voulions l’explorer sans jugement, comme un élément naturel de notre vie humaine », explique l’artiste. Inspiré par le rêve, « un régulateur émotionnel, une auto- thérapie », il souhaite approcher la douleur avec une vision similaire. « C’est une façon de la comprendre et de lui rendre hommage. La douleur nous transforme, nous fait grandir. » Transformer l’humain grâce à la technologie ? Faut-il y voir une expérience cyberdélique ? « Peut-être que ça l’est, rigole-t-il. C’est une inspiration. Je ne suis juste pas satisfait du terme. » Gadi Sassoon, non plus, ne se reconnaît pas nécessairement dans l’appellation. « J’ai dû regarder sur Wikipédia », confesse- t-il. Depuis trois ans, le compositeur italien bien connu de la communauté music-tech travaille avec des chercheurs en synthèse sonore pour développer des algorithmes capables de reproduire des sons d’instruments acoustiques de manière ultra réaliste. Algorithmes que Sassoon s’est appliqué à détourner pour distordre les lois de la physique et créer ce qu’il qualifie d’« évolution sophistiquée du concept de glitch ». Multiverse, l’album qui en résulte, est une œuvre immersive sur huit canaux où l’on entend des trompettes de plusieurs kilomètres jouées par un souffle deux fois plus chaud que le mercure, des guitares géantes grattées par des doigts d’aiguilles, des basses aux rebondissements infinis et d’autres instruments absurdes et extraterrestres. Perché ? Pas selon l’intéressé. « En fait, cet album vient d’un espace de clarté cognitive extrême, objecte-t-il en référence à la technicité de son travail. Mais il appartient à l’auditeur de décider ce qu’il en fait. » Pour les heureux élus ayant eu un aperçu de l’album, prévu pour début 2020, dans les rares salles équipées pour diffuser des œuvres sonores immersives, Multiverse est un voyage surréaliste aux détails pointus et vivaces. « Tu as l’impression d’être à l’intérieur de quelque chose, décrit Sassoon. C’est très physique et en même temps abstrait. » Le spectateur perd la notion du temps, le synthétique et l’organique, le vrai et le faux, les faits et la fiction se confondent. Si la technologie n’a pas (encore) atteint la puissance mystique de la molécule du LSD, elle peut provoquer des effets similaires : ouvrir les sens et engager un dialogue entre deux parties du cerveau habituellement non connectées. Pour l’artiste Adam John Williams, les fréquences sonores ont toujours été plus qu’une simple stimulation auditive. « C’est un crossover entre l’ouïe et la somesthésie (la sensibilité du corps, ndlr) », dit-il de sa synesthésie, une condition qui l’amène à lier les sons à des textures voire à un « mouvement et un comportement ». Artiste expérimental et psychonaute averti, il s’attache dans ses œuvres à donner cette dimension physique et globale au son, comme avec sa Bass Orgasm Machine, qui exploite le potentiel jouissif des basses fréquences capables de faire dormir certains membres de son public malgré un environnement ultra bruyant. « Participer aux expériences multisensorielles, c’est un acte de confiance. Plus tes sens sont stimulés, plus l’expérience sera puissante et aura le potentiel d’être excellente, mais aussi désagréable. » Pour lui, il est donc essentiel de pousser la recherche dans le domaine. Et aussi, certainement, d’être regardant sur la qualité de vos expériences.