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À 25 ans, vous choisissez d’immigrer au Québec pour
poursuivre vos études. Comment se sont passés vos
premiers pas?
Au Sénégal, j’imaginais le Québec comme un pays tellement froid
que je pensais qu’il n’y avait que deux saisons : l’hiver et une semaine
en été où il fait un peu plus chaud. En arrivant, j’ai eu deux chocs
: un thermique et l’autre linguistique. Ça a pris du temps mais j’ai
réussi à apprivoiser ces deux particularités ! J’ai eu plus de facilités
à entrer en contact avec les Québécois car c’est un peuple qui
aime beaucoup rire. À partir du moment où tu acceptes de rire de
toi-même et de l’autre, les barrières tombent. Au Québec, l’humour
c’est le médium de séduction le plus efficace.
Est-ce que, comme tout immigrant, à un moment donné,
vous vous êtes senti perdu, en manque de repères ?
L’immigration, c’est une renaissance douloureuse. Mais, la différence
avec la vraie naissance, c’est que tu n’as pas tes parents pour
t’accompagner dans tes premiers pas, tu es livré à toi-même. Ma
première année, seul à Rimouski, j’ai pleuré au moment de fêter
Noël. Mais tout immigrant passe par là, la phase dépressive où
tu commences à tout comparer avec ton pays d’origine et que tu
regardes ton passeport afin de vérifier s’il est toujours valide pour
rentrer chez toi. Heureusement, des personnes m’ont tendu la main
pendant cette période difficile. En tant qu’immigrant, on est un peu
comme des aveugles et il faut se trouver des guides pour jouer le
rôle de la canne blanche et passer à travers les difficultés.
Que signifie pour vous le mot intégration ?
L’intégration idéale doit être éclectique mais harmonieuse en même
temps. L’immigrant doit faire la moitié du chemin mais le Québécois
doit aussi faire l’autre moitié. Cela implique d’accepter de laisser
tomber certains aspects de sa culture et de son éducation car
immigrer c’est aussi savoir voyager léger. On ne pourra jamais être
intégré à 100% dans une nouvelle culture à moins d’être né ici ou
arrivé très jeune. Tu as beau aimer l’endroit et le chérir, il reste la
partie immergée de l’iceberg, la partie la plus profonde de la culture
collective d’un pays qui restera toujours difficile à saisir.
Quels types de liens entretenez-vous avec vos racines
sénégalaises ?
S’intégrer ne veut pas dire se désintégrer non plus. Mes racines
sénégalaises sont toujours présentes en moi, c’est aussi ça qui fait
ce que je suis. J’aborde les choses avec ma vision de Sénégalais et
c’est ce qui me permet d’apporter des perspectives auxquelles les
gens ne s’attendent pas. Il faut garder une partie de soi. L’identité,
c’est comme les amis, on peut en avoir plusieurs dans une vie.
Ce n’est pas parce que je me suis laissé envahir par le Québec
que je suis moins Sénégalais qu’avant. Quand, dans mon cas, tu
te définis comme Afro-Québécois, tu deviens un trait d’union entre
deux cultures et tu as réussi ton pari.
Né au Sénégal, Boucar Diouf est arrivé au Québec en
1991 pour poursuivre ses études en océanographie à
Rimouski. Désormais Montréalais, l’humoriste est aussi
conteur, auteur et chroniqueur dans les pages “débats”
du quotidien La Presse.
Salon de l’immigration et de l’intégration au Québec (SIIQ)
ENTREVUE AVEC …
BOUCAR DIOUF
Propos recueillis par Maël Cormier, Immigrant Québec
Photographie Josias Gob
S’intégrer ne veut pas dire se
désintégrer non plus.

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  • 1. À 25 ans, vous choisissez d’immigrer au Québec pour poursuivre vos études. Comment se sont passés vos premiers pas? Au Sénégal, j’imaginais le Québec comme un pays tellement froid que je pensais qu’il n’y avait que deux saisons : l’hiver et une semaine en été où il fait un peu plus chaud. En arrivant, j’ai eu deux chocs : un thermique et l’autre linguistique. Ça a pris du temps mais j’ai réussi à apprivoiser ces deux particularités ! J’ai eu plus de facilités à entrer en contact avec les Québécois car c’est un peuple qui aime beaucoup rire. À partir du moment où tu acceptes de rire de toi-même et de l’autre, les barrières tombent. Au Québec, l’humour c’est le médium de séduction le plus efficace. Est-ce que, comme tout immigrant, à un moment donné, vous vous êtes senti perdu, en manque de repères ? L’immigration, c’est une renaissance douloureuse. Mais, la différence avec la vraie naissance, c’est que tu n’as pas tes parents pour t’accompagner dans tes premiers pas, tu es livré à toi-même. Ma première année, seul à Rimouski, j’ai pleuré au moment de fêter Noël. Mais tout immigrant passe par là, la phase dépressive où tu commences à tout comparer avec ton pays d’origine et que tu regardes ton passeport afin de vérifier s’il est toujours valide pour rentrer chez toi. Heureusement, des personnes m’ont tendu la main pendant cette période difficile. En tant qu’immigrant, on est un peu comme des aveugles et il faut se trouver des guides pour jouer le rôle de la canne blanche et passer à travers les difficultés. Que signifie pour vous le mot intégration ? L’intégration idéale doit être éclectique mais harmonieuse en même temps. L’immigrant doit faire la moitié du chemin mais le Québécois doit aussi faire l’autre moitié. Cela implique d’accepter de laisser tomber certains aspects de sa culture et de son éducation car immigrer c’est aussi savoir voyager léger. On ne pourra jamais être intégré à 100% dans une nouvelle culture à moins d’être né ici ou arrivé très jeune. Tu as beau aimer l’endroit et le chérir, il reste la partie immergée de l’iceberg, la partie la plus profonde de la culture collective d’un pays qui restera toujours difficile à saisir. Quels types de liens entretenez-vous avec vos racines sénégalaises ? S’intégrer ne veut pas dire se désintégrer non plus. Mes racines sénégalaises sont toujours présentes en moi, c’est aussi ça qui fait ce que je suis. J’aborde les choses avec ma vision de Sénégalais et c’est ce qui me permet d’apporter des perspectives auxquelles les gens ne s’attendent pas. Il faut garder une partie de soi. L’identité, c’est comme les amis, on peut en avoir plusieurs dans une vie. Ce n’est pas parce que je me suis laissé envahir par le Québec que je suis moins Sénégalais qu’avant. Quand, dans mon cas, tu te définis comme Afro-Québécois, tu deviens un trait d’union entre deux cultures et tu as réussi ton pari. Né au Sénégal, Boucar Diouf est arrivé au Québec en 1991 pour poursuivre ses études en océanographie à Rimouski. Désormais Montréalais, l’humoriste est aussi conteur, auteur et chroniqueur dans les pages “débats” du quotidien La Presse. Salon de l’immigration et de l’intégration au Québec (SIIQ) ENTREVUE AVEC … BOUCAR DIOUF Propos recueillis par Maël Cormier, Immigrant Québec Photographie Josias Gob S’intégrer ne veut pas dire se désintégrer non plus.