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Sud Ouest - mercredi 28 juillet 2021
Quand les élus locaux devien nent des cibles...
Benoît Lasserre, b.lasserre@sudouest.fr
En août 2019, le maire de Signes était mortellement renversé par un véhicule. En 2020,
on a recensé plus de 1 300 agressions contre des élus. Malgré des peines plus sévères
pour leurs auteurs, le phénomène ne semble pas diminuer
Le fait du jour
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La mort de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, avait choqué le pays. D’autres élus locaux craignent pour
leur sécurité, certains ont déjà eu affaire à ces comportements. De gauche à droite : Jean-Marie Darmian,
Philippe Becheau, Philippe Meynard, Harmonie Lecerf et Alexandre Freschi. AFP/ « SUD OUEST »
Le 5 août prochain, cela fera tout juste deux ans que Jean-Mathieu Michel, le maire de Signes,
une commune varoise de 2600 habitants, perdait la vie pour une stupide histoire de gravats.
L’édile, âgé de 76 ans, avait surpris deux hommes en train de vider le contenu de leur
camionnette sur le bord de la route. Surpris par Jean-Mathieu Michel, ils étaient repartis en le
percutant de leur véhicule. Ce décès avait alors provoqué une vive émotion, bien au-delà du
village.
Il a aussi rappelé bien des mauvais souvenirs à Jean-Marie Darmian, ancien vice-président du
Conseil départemental de la Gironde. Le soir du 6 mars 2014, à quelques jours de rendre son
écharpe de maire de Créon, celui-ci surprend trois individus, en état d’ébriété et en train de
saccager un vélo végétal situé sur la commune. Alors qu’il s’approche pour photographier le
délit, il est violemment frappé au visage. Jean-Marie Darmian réussit à se réfugier chez lui et à
appeler la gendarmerie. Plus de sept ans après, l’ancien maire n’a pas oublié.
« Ce qui m’a le plus blessé, c’est que je savais qui ils étaient et eux savaient qui j’étais, ce qui
ne les a pas empêchés de me cogner. »
S’il s’en est sorti avec des contusions au visage et des bleus à l’âme, Jean-Marie Darmian
aurait hélas pu devancer Jean-Mathieu Michel sur la liste des élus morts parce qu’ils
accomplissaient leur devoir.
« C’est encore plus difficile quand on est maire d’une petite commune, explique-t-il, parce qu’on
croise presque tous les jours des gens qui vous ont menacé ou insulté. Un soir, j’ai dû intervenir
dans une maison où un mari menaçait sa femme avec un fusil. Il habite toujours à Créon et il
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me nargue presque quand il me voit. » Quant aux agresseurs du maire, ils ont été condamnés
mais leur peine n’a pas été exécutée.
Gilets jaunes et Covid
« Il y a un problème avec la justice, regrette Jean-Marie Darmian. Les gens violents ont un
sentiment d’impunité. » Plus d’un an après l’agression mortelle du maire de Signes, les auteurs
étaient libres et le procès n’était toujours pas programmé alors que sa famille réclamait la cour
d’assises. La lenteur de la justice, c’est le principal reproche adressé à l’État par les
associations d’élus et à laquelle tente de répondre une circulaire du ministre de la Justice,
publiée le 7 septembre 2020. Cette année-là, plus de 1 300 agressions ont été recensées. Une
semaine avant le décès de Jean-Mathieu Michel, c’est le maire de Saubens (Haute-Garonne)
qui avait été frappé par des membres de la communauté du voyage. Ils avaient écopé de prison
avec sursis en première instance avant que la cour d’appel de Toulouse, le 12 mai dernier, se
montre plus sévère et transforme la sanction en prison ferme.
La pandémie et le confinement n’ont rien fait pour diminuer la tension, au contraire, surtout
après le long épisode des gilets jaunes au cours duquel de nombreux parlementaires ont été
pris pour cibles. « Le maire ou l’élu local est considéré comme le bouc émissaire parce qu’il met
en place des mesures contraignantes, précise Jean-Marie Darmian. Mais ce sont des mesures
qu’il applique et qu’il ne décide pas, la plupart du temps.
La différence, c’est que, lui, vous pouvez le croiser dans la rue ou au marché, il est à portée
d’engueulade, comme on dit. »
Ne pas céder à la peur
Scénario identique pour Philippe Bécheau, le maire de Saint-Philippe d’Aiguille (Gironde),
tabassé le 4 août 2020 parce qu’il voulait interrompre un tapage nocturne dans sa commune.
Retrouvé quelques jours plus tard, l’auteur des coups a été condamné à douze mois de prison
(dont six fermes) mais sans mandat de dépôt à l’audience. Traumatisé par l’agression, Philippe
Bécheau assure qu’il n’a jamais envisagé de rendre son écharpe mais il a eu besoin des
services d’une psychologue pour réussir sa résilience. En revanche, dit-il, plus question de se
déplacer seul vers une situation potentiellement violente.
« L’un des problèmes qu’on rencontre en territoire rural, souligne Jean-Marie Darmian, est que
les gendarmeries sont souvent inoccupées la nuit, quand les incidents se déroulent. Or, le
gendarme est un des piliers indispensables de la communauté villageoise », affirme l’ex-édile
girondin.
L’anonymat des réseaux
En mars 2014, le robinet à venin des réseaux sociaux n’était pas autant ouvert qu’il l’est
aujourd’hui, avec la lâcheté anonyme de ceux qui n’ont que l’insulte et la menace à la bouche.
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Adjointe à la mairie de Bordeaux, Harmonie Lecerf en est une des plus récentes victimes puis-
qu’elle s’est fait abreuver d’insultes sexistes et homophobes sur sa page Facebook. L’élue
bordelaise a porté plainte. Sur sa page Facebook, Philippe Meynard raconte comment lui aussi,
près de Barsac, vient de se faire traiter de « gros pédé ». Cela fait pourtant cinq ans que celui
qui a dirigé la commune pendant douze ans a tiré un trait sur sa vie politique au cours de
laquelle il a souvent dû affronter les quolibets et les réflexions déplacées, émanant souvent
d’élus comme lui. Philippe Meynard a préféré prendre l’affaire avec humour. « Me traiter de
gros, c’est inacceptable d’autant plus que je fais tout pour perdre du poids. »
D’autres élus ne veulent pas non plus donner trop d’importance à la malveillance de leurs
concitoyens, tout en refusant de la laisser impunie. Trois députés LREM de Bordeaux et
Mérignac ont ainsi fait condamner à une amende de 600 euros (dont la moitié avec sursis) un
militant antivax qui les insultait au téléphone.
Leur collègue lot-et-garon-nais, Alexandre Freschi, a été menacé de mort par un autre
adversaire des mesures sanitaires du gouvernement.
Ce qui ne l’a évidemment pas dissuadé, à l’Assemblée nationale, d’approuver la mise en place
du pass sanitaire mais il a aussi déposé plainte contre le courageux anonyme se décrivant «
armé jusqu’au cou. »
Après tout, n’est ce pas une députée ex-LREM qui exhorte les opposants au vaccin à envahir
les permanences parlementaires ?
La gifle reçue par le président de la République, Emmanuel Macron, le 8 juin dernier lors d’un
déplacement à Tain-L’Hermitage, dans la Drôme, est sensée elle aussi marquer une rupture.
Pas sûr que cela rassure les élus locaux qui doivent calmer leurs concitoyens les plus énervés.
« Me traiter de gros, c’est inacceptable, d’autant plus que je fais tout pour perdre du poids.
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