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Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale :
L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes
en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Manon FERELLOC-RICHARDSON
Mémoire de 4ème
année d’études
Séminaire ‘’Territoires et Mutations de l’Action Publique’’
Sous la direction de : Marc Rouzeau
Année 2019-2020
2
REMERCIEMENTS :
L’élaboration de ce mémoire a été rendue possible grâce au concours de plusieurs
personnes qui ont contribué à mon travail et à qui je voudrais témoigner ma reconnaissance.
Je tiens d’abord à adresser mes remerciements à mon directeur de mémoire Marc Rouzeau, pour
ses précieux conseils et son suivi constant tout au long de cette expérience, ainsi qu’à tous les
membres du séminaire ‘’Territoires et Mutations de l’Action Publique’’.
J’ai également une pensée pour mes proches et ma famille, qui ont su soutenir ma démarche et
apporter un regard avisé dans ces circonstances particulières.
Je tiens également à manifester toute ma reconnaissance aux groupes d’entraide mutuelle que
j’ai rencontrés et qui m’ont fait confiance pour m’aider à concrétiser ce travail. Je pense
particulièrement au GEM ‘’Au petit grain’’ à Brest qui a montré beaucoup d’intérêt pour mes
recherches et a su m’accueillir de manière bienveillante à plusieurs reprises.
Je souhaite enfin remercier tous les acteurs qui ont su susciter mon intérêt pour ce travail et ont
accepté de m’accorder de leur temps pour participer à ce travail et qui, j’espère, se reconnaîtront
dans ce mémoire.
3
TABLE DES ILLUSTRATIONS :
Illustration 1. Evolution du financement des GEM depuis 2005 (source - CNSA).................46
Illustration 2. Répartition des GEM selon la forme juridique du signataire de la convention de
parrainage (source - CNSA)..................................................................................................56
Illustration 3. Distance d’accès au GEM en France métropolitaine (source – CNSA d’après les
données des ARS) ................................................................................................................60
Illustration 4. Répartition des GEM par type en Bretagne (réalisé d’après psycom.org).........61
4
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS :
ANCREAI Association Nationale des
Centres Régionaux d’Etudes,
d’Action et d’Information en
faveur des personnes en
situation de vulnérabilité
DGCS Direction Générale de la
Cohésion Sociale
ARS Agence Régionale de Santé FNAPSY Fédération Nationale des
Associations d’usagers en
Psychiatrie
BIG-PIG [Rencontre] Bénévoles Inter-
GEM – Professionnels Inter-
GEM
GEM Groupe d’Entraide Mutuelle
CCOMS Centre Collaborateur de l’OMS HPST [Loi] Hôpital, Patients, Santé,
Territoires
CEMEA Centre d’Entraînement aux
Méthodes d’Education Active
OMS Organisation Mondiale de la
Santé
CLSM Conseil Local de Santé Mentale PTI Psychothérapie Institutionnelle
COPIL Comité de Pilotage PTSM Projet Territorial de Santé
Mentale
CNIGEM Collectif National Inter-GEM RGPP Révision Générale des
Politiques Publiques
CNSA Caisse Nationale de Solidarité
pour l’Autonomie
SISM Semaine d’Information sur la
Santé Mentale
DDASS Direction Départementale des
Affaires Sanitaires et Sociales
UNAFAM Union Nationale des Amis et
Familles de Malades
psychiques
5
SOMMAIRE :
Remerciements : .................................................................................................................2
Table des illustrations : .......................................................................................................3
Liste des sigles et abréviations : ..........................................................................................4
Sommaire : .........................................................................................................................5
Introduction............................................................................................................................6
Partie I. La conception du handicap psychique, construction ascendante d’un problème public
.............................................................................................................................................21
Chapitre 1. Perspective sociohistorique de la problématisation des troubles psychiques : ..21
Chapitre 2. L’impulsion des acteurs de la société civile dans la mise à l’agenda :..............29
Chapitre 3. Les évolutions législatives, de la psychiatrie vers la santé mentale : ................35
Partie II. L’opérationnalisation territorialisée du dispositif, vers un repositionnement des
acteurs de la santé mentale....................................................................................................44
Chapitre 1. De la CNSA aux Agences régionales de santé, un pilotage déconcentré : ........45
Chapitre 2. Le référentiel associatif au cœur du dispositif :................................................51
Chapitre 3. Le territoire, cadre d’appropriation de la démarche d’empowerment : .............59
Partie III. Le processus d’empowerment à l’épreuve du terrain : tensions et perspectives d’un
objet non identifié.................................................................................................................68
Chapitre 1. La pérennisation des GEM, entre approches ascendantes et descendantes : .....69
Chapitre 2. L’(in)dépendance sous tension, du paradigme d’usager à celui d’adhérent : ....74
Chapitre 3. L’entraide mutuelle, ouverture vers des enjeux nouveaux :..............................80
Conclusion ...........................................................................................................................86
Bibliographie........................................................................................................................89
Annexes ...............................................................................................................................96
Annexe 1. Liste des entretiens :.........................................................................................96
Annexe 2. Grille d’entretien :............................................................................................97
Annexe 3. Extrait du Cahier des charges : .........................................................................99
Annexe 4. Modèle de convention avec l’ARS : ...............................................................100
Table des matières : ........................................................................................................101
6
INTRODUCTION
Vers une politique de santé mentale en France :
Depuis 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé promeut la santé mentale comme
nouveau référentiel du processus d’élaboration des politiques sanitaires. Cette nouveauté se
matérialise par la promotion du ‘’Plan d’action global pour la santé mentale’’, qui acte un
nouveau paradigme. Par l’intermédiaire de ce programme, l’OMS pose les jalons d’une
politique de santé mentale orientée vers une définition positive correspondant au ‘’fondement
du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté’’, et non pas
simplement à l’absence de troubles mentaux1
. Dans les faits, cette perspective plus intégrative
guide aussi la conception prévalant en France, consacrée par la publication du premier ‘’Plan
Psychiatrie et Santé mentale’’ en 20052
. Le décideur adopte par ce texte une définition à trois
dimensions de la santé mentale, à savoir les troubles psychiatriques, la détresse psychologique
réactionnelle et la santé mentale dite positive. Pourtant, cette vision est récente et contraste avec
des discours politiques encore latents associant la maladie mentale à la dangerosité, comme en
témoigne le regain sécuritaire dans le discours du Président de la République Nicolas Sarkozy
à Antony en 20083
.
Dans le cas français, une transition du système psychiatrique à une politique de santé
mentale plus globale est opérée à partir des années 1960 et se caractérise par plusieurs
dynamiques. Cette évolution s’inscrit notamment dans le mouvement de territorialisation de la
psychiatrie, opérationnalisé par le découpage de l’offre de soins en secteurs de proximité. Pour
autant, la réforme de la politique hospitalière et sanitaire maintient un contrôle étatique prégnant
par l’intermédiaire des Agences Régionales de Santé rattachées au pouvoir central. De plus, le
1
OMS, La santé mentale : renforcer notre action, sur https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-
health-strengthening-our-response [en ligne], publié le 30 Mars 2018 (consulté le 09 Mars 2020)
2
Ministère français de la santé et de la protection sociale, Plan Psychiatrie et Santé mentale 2005-2008, 2005, p. 4
3
Déclaration de Mr. Nicolas Sarkozy sur la Réforme de l’hôpital psychiatrique. Antony, 2008 : à la suite d’un homicide
commis par un usager des services psychiatriques, le Président avait présenté un ‘’Plan de sécurisation des hôpitaux
psychiatriques’’ promouvant les dispositifs d’enfermement.
7
législateur consacre progressivement les personnes concernées comme des acteurs du système
de soins en leur concédant un rôle de partenaire, confirmé par la Loi de 2002 relative au droit
des malades. Néanmoins, ce nouveau paradigme de santé mentale n’est institutionnalisé qu’en
2001 avec la publication du Rapport ministériel Piel-Roelandt4
, qui préconise la participation
des personnes concernées et l’implantation de l’offre de soins dans la cité en rompant avec la
psychiatrie d’enfermement. Malgré l’inachèvement de certaines recommandations, ce texte acte
l’évolution des représentations concernant les troubles psychiques et aboutit à l’adoption de la
Loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées en 2005. Pour la première fois, le concept de handicap psychique bénéficie d’une
reconnaissance publique comme conséquence des troubles altérant les capacités de la personne
concernée. Concrètement, la loi dispose que ‘’constitue un handicap, au sens de la présente loi,
toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son
environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive
d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un
polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant’’. Par cette reconnaissance, le décideur
s’empare de la question du handicap psychique qui devient un problème d’ordre public et
intègre par là même les prérogatives étatiques. Dans cette optique, les pouvoirs publics se
portent garants de l’accès des personnes en situation de handicap à leurs droits et ouvrent à une
nouvelle politique de prise en charge du handicap. Aussi, la Loi de 2005 innove et inclut à ces
dispositions ‘’le développement des groupes d’entraide mutuelle’’ comme nouvel outil de
prévention et de compensation des effets du handicap psychique.
L’émergence du problème public :
Le concept d’entraide mutuelle, qui est inédit dans l’action publique de santé mentale,
n’est pas créé ex-nihilo en 2005 mais en réponse à des besoins sociétaux rendus visibles par un
processus complexe. Aussi, la genèse de l’entraide mutuelle peut être rattachée en France au
courant de la Psychothérapie institutionnelle, qui émerge après que la Seconde Guerre Mondiale
a révélé les limites de l’enfermement des malades dans les asiles. Avec l’idée de renouveler les
relations entre soignants et patients, ce mouvement se base sur la dynamique de groupe afin de
responsabiliser les personnes concernées entre elles tout en impliquant les professionnels5
. La
4
Piel Eric, Roelandt Jean-Luc, De la psychiatrie vers la santé mentale. 2001, p. 21-82
5
Oury Jean, ‘’Psychanalyse, psychiatrie et psychothérapie institutionnelles’’. VST - Vie sociale et traitements, 2007, p.
110-125
8
PTI se développe dans l’enceinte des structures psychiatriques grâce à l’engagement de
psychiatres et d’intellectuels militants, et s’appuie sur le développement de clubs
‘’thérapeutiques’’. Les clubs constituent un outil important de ce courant dans le sens où ils
emploient une forme associative qui encourage les initiatives des patients hors du contrôle
institutionnel. Parallèlement et dans la lignée de ces mouvances, la psychiatrie est réformée dès
les années 1960 par la politique de sectorisation qui acte la transition d’une logique hospitalo-
centrée vers l’intégration des parcours de soins dans la cité, amenant aussi au déploiement de
structures extrahospitaliers.
Plus globalement, ces évolutions témoignent d’un mouvement de fond de
reconnaissance des personnes concernées en santé mentale, vers davantage de considération
des savoirs du patient basés sur son expérience dans le parcours de soins. Aussi, la sectorisation
s’accompagne d’une volonté d’association des patients aux décisions qui les concernent,
notamment via l’inclusion de représentants d’usagers dans l’élaboration des politiques de santé.
Cette tendance générale n’est pas propre au domaine sanitaire et marque l’avènement de
l’injonction à la participation citoyenne dans les démocraties contemporaines. Loïc Blondiaux
et Yves Sintomer parlent ainsi du nouveau référentiel de ‘’l’impératif délibératif’’ comme étant
l’implication récurrente d’acteurs pluriels dans le travail d’élaboration des politiques
publiques6
. S’agissant de la psychiatrie, des revendications de participation émergent à la fin
du XXème
siècle grâce à la montée en puissance des associations d’usagers et de familles qui
militent pour une meilleure considération des malades. La FNAPSY, l’UNAFAM et la Croix-
Marine, en première ligne, soutiennent alors déjà l’élargissement des dispositifs de prise en
charge ‘’hors les murs’’ pour pallier les défaillances de la psychiatrie. Du fait de leur
organisation collective, ces associations bénéficient déjà d’une certaine visibilité auprès des
décideurs. C’est dans ce contexte d’effervescence que ces acteurs s’unissent en 2001 pour
publier le Livre blanc des partenaires de Santé mentale en France, interpellant les décideurs
pour un meilleur accompagnement des personnes concernées au-delà des structures
hospitalières. Face à l’urgence des associations de familles et de proches, plusieurs rapports
sont commandités par les pouvoirs publics et mettent en exergue les besoins de reconnaissance
et d’accompagnement des populations en situation de handicap psychique7
. Les
recommandations émises à l’attention des Ministères de la Santé et du Handicap s’attachent
particulièrement à la nécessité de maintenir le lien social et préconisent la généralisation de
6
Blondiaux Loïc, Sintomer Yves, ‘’L'impératif délibératif’’. Rue Descartes, 2009, p. 28
7
Rapport Piel-Roelandt (2001), Rapport Charzat (2002)
9
dispositifs tels les clubs. Sous l’impulsion des associations et de ces positions transmises au
décideur, les revendications relatives à l’accompagnement des troubles psychiques seront ainsi
prises en compte dans la Loi de 2005.
Dans une approche plus théorique, ce processus de construction du problème public
porté par les acteurs de la santé mentale peut être analysé à travers le prisme du concept de mise
à l’agenda, au sens de Jean-Gustave Padioleau. Aussi, l’agenda public est défini comme
comprenant ‘‘l’ensemble des problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que
ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou plusieurs
décisions’’8
. Ce processus de prise en compte se caractérise par la mobilisation des acteurs
concernés pour faire valoir une situation considérée anormale comme un problème relevant des
compétences des pouvoirs publics. Dans cette perspective, il est important d’appréhender les
GEM en amont de leur création en 2005, qui résulte d’une démarche collective de
problématisation de la santé mentale portée par les acteurs de la société civile.
L’entraide mutuelle, une innovation dans l’action publique de santé mentale :
La loi ‘’pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées’’ est promulguée le 11 février 2005 par le Gouvernement Raffarin.
Répondant aux demandes sociales précédemment évoquées, le texte est voulu novateur en
mentionnant la notion de handicap psychique, qui n’était jusqu’alors pas reconnue par les
pouvoirs publics. Plus précisément, le législateur consacre les principes de prévention et de
compensation des effets du handicap sur la vie des personnes concernées, auxquels répondent
les ‘’groupes d’entraide mutuelle’’ s’agissant du handicap psychique9
. Si le texte de loi demeure
très général, ce nouveau dispositif est règlementé et plus précisément défini dans un cahier des
charges régulièrement réactualisé par les autorités publiques.
Aussi, les GEM sont rattachés à la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie
qui précise leur définition en tant que ‘’outil d’insertion dans la cité, de lutte contre l’isolement
et de prévention de l’exclusion sociale de personnes en grande vulnérabilité’’10
. Ces groupes
s’appuient sur le concept de l’entraide mutuelle qui s’apparente à des ‘’activités organisées
8
Padioleau Jean-Gustave, L’État au concret. Presses Universitaires de France, 1982, p. 25
9
Présidence de la République. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées (1). JORF n°36 du 12 février 2005 page 2353 texte n° 1..
10
Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Les GEM : Groupes d’Entraide Mutuelle, Les Cahiers pédagogiques,
2019, p.4
10
collectivement par des personnes qui sont appelées usagers […] parce qu’elles sont par ailleurs
ou ont été utilisatrices de services psychiatriques, médico-sociaux ou sociaux’’11
. Plus
concrètement, les GEM sont des lieux de socialisation basés sur des activités collectives à
destination de personnes en situation de handicap, mais stabilisées12
. L’objectif fondateur est
de reconstruire le lien social et d’appuyer la participation de ce public à la vie citoyenne. L’un
des points de rupture de ce dispositif est son indépendance du milieu médical, puisque
l’entièreté de la démarche doit reposer sur l’autodétermination des adhérents. De ce fait, les
pouvoirs publics conditionnent l’émancipation des personnes concernées à un processus
d’entraide autonome. Dans cette optique, le cahier des charges stipule l’obligation pour les
groupes de se constituer en association afin de responsabiliser les personnes concernées par un
fonctionnement autogéré. Les GEM sont donc règlementés par la Loi 1901, mais sont
également soumis à un conventionnement public ouvrant aux subventions des ARS, destinées
à financer un local ou des animateurs. Aussi, ces groupes demeurent partie intégrante de la
politique publique de santé mentale au sens des règlementations et financements assurant leur
pérennité, mais s’inscrivant dans un statut associatif nécessaire à la démarche de
responsabilisation.
Plus globalement, cet équilibre hybride s’inscrit dans un processus complexe
d’institutionnalisation articulé entre des cadrages publics descendants et les initiatives
associatives ascendantes. Il est alors opportun d’effectuer un détour préliminaire par la
sociologie des institutions pour appréhender les enjeux propres aux Groupes d’Entraide
Mutuelle. Effectivement, les sciences sociales développent des définitions assez hétérogènes de
l’institution, allant de visions assez fixes à des perspectives plus processuelles : ce sont ces
dynamiques institutionnalisantes qui nous intéressent ici. Aussi, Virginie Tournay comprend
l’institution comme un ‘’processus tendant momentanément vers une plus grande stabilisation
des pratiques et des normes’’13
. Cette conception est pertinente dans le cas des GEM, puisque
ces groupes se structurent entre les règles émises par l’Etat et leur appropriation par les acteurs
sur le terrain. Ce phénomène d’institutionnalisation ascendante est placé au cœur du dispositif
afin de donner la possibilité au public visé de prendre des initiatives et de fixer son propre
11
Leroy, Florence, Martine Dutoit, et Claude Deutsch, ‘’Vous avez dit : « Entraide mutuelle » ?’’ VST - Vie sociale et
traitements, 2011, p. 107
12
Nous nous concentrerons ici sur les GEM à destination des personnes en situation de handicap psychique qui sont les
plus anciens et les plus nombreux, même si il existe aussi de nouveaux groupes spécialisés pour les publics autistes ou
traumatisés crâniens.
13
« Introduction », dans : Virginie Tournay éd., Sociologie des institutions. Presses Universitaires de France, 2011, p.
3-8.
11
fonctionnement. Selon Jacques Papay et Myriam Hajjar, le déploiement de ces groupes
implique alors d’accepter un fonctionnement hybride entre des ‘’formes institutionnalisées’’ et
des ‘’processus plus informels’’14
. Au contraire, les GEM ne devraient pas être considérés
comme un objet institué par l’Etat et s’imposant comme tel aux personnes concernées. Alors
qu’ils sont justement porteurs d’une nouvelle dynamique de responsabilisation, ces groupes ne
seraient sinon en rien innovants vis-à-vis des institutions de prise en charge déjà encadrées par
les autorités publiques.
Définition des concepts utilisés :
L’étude des groupes d’entraide mutuelle implique l’utilisation de notions spécifiques
qui doivent être délimitées, à la fois dans une optique de rigueur scientifique mais surtout car
ils témoignent d’un processus de négociation entre les différents acteurs. D’emblée, il faut
rappeler que les GEM s’adressent à des personnes présentant un ‘’handicap résultant de troubles
psychiques, d’un traumatisme crânien ou de toute autre lésion cérébrale acquise, d’un trouble
du spectre de l’autisme ou autre trouble du neuro-développement’’, bien qu’aucune vérification
médicale ne soit exigée15
. Nous nous concentrerons dans cette étude sur les groupes consacrés
au handicap psychique actuellement majoritaires, puisqu’ils concernent 74,3 %16
du public
accueilli par ces collectifs. S’agissant de la reconnaissance actée par la Loi de 2005, il est
important de noter que la législation française distingue depuis les années 2000 le handicap
psychique, relatif aux troubles des fonctions psychiques, du handicap mental17
. De plus,
l’utilisation du terme de situations de handicap est préférée à celui de personnes handicapées,
dans le sens où le handicap relève de contextes différenciés de l’individu qu’il est nécessaire de
prendre en considération dans une perspective globale de santé mentale.
Dans les faits, le handicap implique pour les personnes concernées un désavantage,
notamment social, que les politiques publiques ne s’attachent plus seulement à prendre en
charge mais également à prévenir et compenser depuis 2005. Les GEM s’inscrivent ainsi dans
14
Papay Jacques, Hajjar Meriem, ‘’Les GEM entre l'entraide et le risque de l'institutionnalisation’’. Vie sociale, 2012
p. 199
15
Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Les GEM : Groupes d’Entraide Mutuelle, Les Cahiers pédagogiques,
2019, p.4
16
Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. Bilan d’activité des Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) Année
2018. 2019, p. 11
17
Charzat Michel. Rapport à Madame Ségolène ROYAL Ministre Déléguée à la Famille, A l’Enfance et aux personnes
Handicapées « Pour mieux identifier les difficultés des personnes en situation de handicap du fait de troubles psychiques
et les moyens d’améliorer leur vie et celle de leurs proches ». 2002, p.26
12
une démarche proactive afin de limiter les déficits en lien social induits par le handicap, cela en
plaçant leurs membres au cœur d’un processus d’empowerment. Ce mouvement complexe, qui
englobe des dynamiques plus larges que celles de la santé, nécessite un détour théorique que
nous appuierons sur les travaux de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener. Si il n’existe pas
de traduction exacte du concept seul, il peut être délimité comme un processus autonome
d’accès au pouvoir des populations dominées. Bacqué et Biewener associent ainsi
l’empowerment à ‘’une démarche d’autoréalisation et d’émancipation des individus, de
reconnaissance des groupes ou des communautés et de transformation sociale’’18
. En France,
ce mouvement s’est d’abord intégré en santé avec l’action des groupes des Alcooliques
Anonymes et des collectifs de personnes séropositives. Il s’étend également à la santé mentale
avec l’imposition des associations représentantes d’usagers dans le processus de décision,
aujourd’hui principalement rassemblées par la FNAPSY. Ce concept s’applique donc à la fois
au mouvement de participation des personnes concernées mais aussi plus précisément à la
démarche développée par les GEM. Ainsi, la CNSA s’est emparée de la notion d’empowerment
en tant que principe fondateur, qu’elle définit comme ‘’l’accroissement de la capacité d’agir de
la personne malade via le développement de son autonomie, la prise en compte de son avenir
et sa participation aux décisions la concernant’’19
. Par ailleurs, la littérature relative aux GEM
déploie également la traduction française de développement du ‘’pouvoir d’agir’’, proposée par
Yann Le Bossé plus indépendamment de cet historique militant et qui peut être utilisée dans un
sens moins politisé20
.
S’agissant de la définition de la population concernée, l’appellation d’usager est
récurrente pour désigner toute personne ayant utilisé les services de soins. Ce terme est
notamment développé dans les travaux de Pierre Lascoumes portant sur la relation d’usage en
santé. Dans cette optique, l’usager correspond à une conception renouvelée du terme plus
traditionnel de patient, à savoir ‘’celui qui souffre et donc demande une aide extérieure’’ selon
Lascoumes21
. Néanmoins, le glissement sémantique réside davantage dans l’évolution dans
laquelle s’inscrit le vocable d’usager, impliquant une transition de l’individu passif vers un
acteur impliqué dans son parcours de soins. Pierre Lascoumes inscrit la figure de l’usager dans
18
Bacqué Marie-Hélène, Biewener Carole, L’empowerment, une pratique émancipatrice ? La Découverte, 2015, p. 6
19
Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Les GEM : Groupes d’Entraide Mutuelle, Les Cahiers pédagogiques,
2019, p.6
20
Le Bossé Yann, ‘’Introduction à l’intervention centrée sur le pouvoir d’agir’’. Cahiers de la recherche en éducation,
2007, p. 349–370. https://doi.org/10.7202/1017126ar
21
Lascoumes Pierre. ‘’L'usager dans le système de santé : réformateur social ou fiction utile ?’’ Politiques et
management public, 2007, p. 130
13
une dynamique participative du système de santé, toutefois nuancée par la variabilité des degrés
d’implication. En 2002, cette perspective est formalisée avec la ‘’Charte de l’usager en santé
mentale’’ cosignée par les associations d’usagers et de familles et les pouvoirs publics pour la
reconnaissance des usagers. Aussi, le terme d’usager est largement utilisé en santé mentale
s’agissant des personnes ayant eu recours à l’offre de prise en charge, qui inclut les
infrastructures médicales, médico-sociales mais aussi sociales. C’est à ce public, quand il est
stabilisé et qu’il n’est plus hospitalisé, que s’adressent les Groupes d’Entraide Mutuelle. Pour
autant, cette notion ne sera pas employée pour caractériser la démarche ici étudiée. D’une part,
puisque ce terme a fait l’objet d’importants débats théoriques qui remettent aujourd’hui en
question son utilisation, pouvant induire une stigmatisation sociale des personnes concernées.
Cette problématique est notamment abordée dans les travaux de Marcel Jaeger, qui évoque les
risques de la catégorisation pouvant limiter la visibilité des spécificités des personnes
concernées et donc leur reconnaissance22
. Ces questionnements amèneraient donc un
déplacement du paradigme d’usager à celui de citoyen, qui correspond davantage à la
philosophie des GEM. D’une autre part, cette précision est importante puisque la relation
d’usage est corollaire de l’utilisation des services de soins. Dans cet esprit d’empowerment, les
groupes ont au contraire pour objectif de s’extraire du regard soignant : le cahier des charges
précise qu’ils ‘’n’ont pas pour mission la prise en charge des personnes’’23
. Afin d’entériner
cette distinction, le texte dispose que : ‘’dans un souci de lisibilité et de distinction avec les
services ou établissements médico-sociaux, le mot « usager » n'est pas retenu ; le GEM n'étant
pas par définition une structure médico-sociale. Les termes « membres » et « adhérents » sont
donc utilisés, « membre » renvoyant à toute personne venant au GEM, « adhérent » aux
personnes ayant validé leur adhésion à l'association constitutive du GEM’’. Puisqu’il n’est pas
question ici d’accompagnement médical, nous nous conformerons à l’appellation officielle
d’adhérent qui se rapporte plus strictement aux personnes ayant intégré le GEM sans relation
de prise en charge.
De plus, dans cette optique d’empowerment, les groupes reposent sur un fonctionnement
d’entraide mutuelle relativement novateur, et donc encore peu théorisé dans le domaine de la
santé mentale. Effectivement, la CNSA pose ce concept comme principe fondateur des GEM
22
Jaeger Marcel. Usagers ou citoyens ? De l'usage des catégories en action sociale et médico-sociale. Dunod, 2011,
p.1-6, p. 255-259
23
Ministère des affaires sociales et de la santé. Arrêté du 27 juin 2019 fixant le cahier des charges des groupes d'entraide
mutuelle en application de l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des familles. JORF n°0168 du 21 juillet
2019 texte n° 2
14
bien qu’il soit très peu déployé en dehors de ce seul dispositif. Aussi, seul l’arrêté fixant le
cahier des charges définit formellement l’entraide mutuelle : ‘’un collectif de personnes
concernées par des problématiques de santé ou des situations de handicap similaires et
souhaitant se soutenir mutuellement dans les difficultés éventuellement rencontrées’’24
. Il est
néanmoins possible d’observer quelques développements prometteurs de cette notion dans la
littérature récente et spécifiquement concentrée sur la question des GEM. Dans l’un de ses
articles, Martine Dutoit conçoit ainsi l’entraide comme une construction sociale qu’il est
indispensable de déconstruire. Effectivement, l’aide introduit une relation inégale entre l’aidant
et l’aidé, or l’entraide induit justement un rééquilibrage de ce rapport25
. L’entraide mutuelle y
est donc considérée comme un nouveau mode de coopération sociale, au sein duquel les acteurs
sont interdépendants et entretiennent une relation réciproque.
Pour autant, la documentation produite par la CNSA ne s’appuie pas uniquement sur
cette notion encore nouvelle, mais également sur toute une palette d’équivalences sémantiques
potentielles, notamment la notion de pair-aidance. D’après Patrick Le Cardinal, Jean-Luc
Roelandt, Florentina Rafael et al., elle s’articule avec le principe de rétablissement utilisé en
santé mentale pour caractériser la reprise en main des personnes concernées sur leur parcours
de soin et de vie26
. Ainsi, la pair-aidance émerge dans l’esprit des groupes d’anciens buveurs
nés aux Etats-Unis dès le XIXème
siècle, puis s’étend à la psychiatrie avec le mouvement de
reconnaissance des usagers des années 1980. Ces courants s’exportent ensuite en Europe en
lien avec les dynamiques d’empowerment : la pair-aidance se développe plus particulièrement
en France par l’intégration de patients rétablis dans les équipes de soins27
. Les GEM innovent
néanmoins en réunissant des pairs autonomes hors du milieu soignant, et se rapprochent donc
davantage de la genèse de la pair-aidance dans les groupes d’entraide que des tendances
actuelles. Les principes du rétablissement sont également prégnants dans la philosophie des
Groupes d’Entraide Mutuelle promue par la CNSA : ‘’la pair-aidance va redonner espoir à la
personne. Elle va l’aider à reprendre le contrôle de sa vie, à croire en ses propres compétences
24
Ministère des affaires sociales et de la santé. Arrêté du 27 juin 2019 fixant le cahier des charges des groupes d'entraide
mutuelle en application de l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des familles. JORF n°0168 du 21 juillet
2019 texte n° 2
25
Dutoit Martine, ‘’Une autre idée de la coopération : l'exemple des groupes d'entraide mutuelle’’. Vie sociale, 2010,
p. 166
26
Le Cardinal Patrick, Roelandt Jean-Luc, Rafael Florentina et al., ‘’Pratiques orientées vers le rétablissement et pair-
aidance : historique, études et perspectives’’. L'information psychiatrique, 2013, pp. 365-366.
27
Cloutier Guylaine, Maugiron Philippe, ‘’La pair aidance en santé mentale : l’expérience québécoise et française’’.
L'information psychiatrique, 2016, p. 755
15
et capacités’’. Néanmoins, il est important de comprendre que ces concepts s’inscrivent dans
des mouvances militantes et ne sont donc ni objectivés ni fixés dans la définition des GEM,
mais simplement réappropriés par certains acteurs. Enfin, le concept d’autosupport est
également exploité pour caractériser l’entraide mutuelle en santé mentale, dans la littérature
relative aux groupes spécifiquement français28
. Dans tous les cas, l’hétérogénéité des termes
employés pour définir la philosophie de ces collectifs témoigne bien de la diversité des sources
théoriques ayant inspiré le dispositif, mais aussi de son caractère fortement novateur encore peu
fixé par la littérature.
Pistes de réflexion :
D’emblée, le paradoxe réside dans la dynamique propre aux GEM qui repose sur un
fonctionnement autonome et limitant les interférences extérieures, tout en maintenant
l’encadrement nécessaire à préserver un public vulnérable de possibles dérives. Ce
positionnement subtil est caractérisé par l’institutionnalisation hybride du dispositif, impliquant
une réglementation étatique suffisamment protectrice mais assez souple pour ne pas retomber
dans une logique de prise en charge. Ainsi, les GEM opposent une démarche d’autogestion
ancrée dans le statut associatif à l’obligation de parrainage et autres indications du cahier des
charges visant à accompagner les personnes concernées. Dans ces conditions, la Loi de 2005 et
les précisions qui en suivent incarnent cette dialectique entre deux termes antinomiques,
puisque les textes règlementaires sont instituants mais volontairement assez informels pour
garantir leur appropriation par le public visé. Néanmoins, les personnes concernées sont parfois
en difficulté face aux responsabilités impliquées par le dispositif, entraînant ainsi une
intervention régulière des décideurs dans le cahier des charges pour pallier ces
dysfonctionnements.
Plus concrètement, les GEM sont considérés par certains acteurs comme le marqueur
d’un repositionnement de l’Etat dans le domaine de la santé mentale, notamment face au
fonctionnement déconcentré de leur pilotage. Dans les dernières années, ce mouvement de
déconcentration a été particulièrement prégnant dans l’action publique de santé. Cette
dynamique est ainsi définie comme ‘’un transfert de pouvoir, au sein des administrations de
28
Girard Vincent, ‘’Dossier n° 13 – Autosupport en santé mentale en France’’. Bulletin Amades 75, 2008
16
l’État, entre les ministères et ses échelons locaux’’ plus proches des personnes concernées29
.
S’agissant des groupes d’entraide mutuelle, le Ministère de la Santé délègue effectivement le
pilotage du dispositif aux Agences Régionales de Santé inscrites dans cette démarche de
territorialisation. Pour autant, ces prérogatives ne sont pas exhaustivement règlementées et le
rapport des agences avec les groupes qu’elles supervisent s’avère assez hétérogène à travers le
territoire. En outre, le niveau régional des ARS limite la proximité avec les GEM et le lien n’est
assuré au plus près que par les référents départementaux. Les groupes rencontrés ne
mentionnent ainsi que des relations très peu étroites avec ces agences qui sont souvent résumées
à leur rôle de financeur par les personnes concernées30 31
. Face à cette distance, les collectivités
locales sont également sollicitées afin d’engager un partenariat avec les GEM sans pour autant
qu’elles ne disposent de la compétence politique en santé mentale, et cette relation demeure
donc assez disparate.
La question d’un rapport distendu aux pouvoirs publics s’inscrit aussi dans la prise de
rôle des acteurs associatifs incitée par l’Etat et parfois dénoncée comme une instrumentalisation
palliant les manques du service public. Bien que ces groupes soient règlementés a priori par le
décideur, le rôle de parrainage des GEM doit être rempli sur le terrain par les associations,
notamment d’usagers et de familles. De plus, la contrainte de constitution de ces collectifs en
association constitue également un outil restreignant les interférences des pouvoirs publics a
posteriori dans leur fonctionnement. Néanmoins, c’est aussi parce que ces associations ont
acquis une légitimité basée sur l’expérience dans le processus d’élaboration des politiques
publiques qu’elles sont aujourd’hui sollicitées. Pour Madeleine Monceau et Sabine Visintainer,
les associations d’usagers sont désormais reconnues ‘’en tant qu’acteurs’’32
. De plus, dans le
cas de l’entraide mutuelle, les interférences des pouvoirs publics sont justement limitées pour
favoriser l’empowerment des personnes concernées et il n’est donc pas non plus question d’un
désengagement étatique.
Toutefois, la pérennité des groupes d’entraide mutuelle comme dispositif d’action
publique est aujourd’hui d’autant plus questionnée qu’il n’existe pas de processus d’évaluation
29
« Déconcentration », dans : Dictionnaire de l’organisation sanitaire et médico-sociale. sous la direction de Tuffreau
François. Presses de l’EHESP, 2013, p. 177.
30
Entretien n°1 – Anonymes (Animatrice, personnes adhérentes), Groupe d’Entraide Mutuelle La Boussole à Brest. 01
Novembre 2019
31
Entretien n°2 – Anonymes (Animatrice, personnes adhérentes), Groupe d’Entraide Mutuelle Au Petit Grain à Brest.
27 Décembre 2019
32
Monceau Madeleine, Visintainer Sabine, « Le mouvement des usagers en santé mentale : introduction et repères»,
dans : Jean Furtos éd., La santé mentale en actes. ERES, 2005, p. 274
17
institutionnalisé de l’utilisation de la subvention allouée par l’Etat. Pourtant, un Comité de suivi
mixte constitué d’organismes publics et d’associations d’usagers-familles est prévu, mais cet
organe travaille davantage sur la continuité de l’opérationnalisation des GEM plutôt que sur
l’appréciation de leurs impacts. De plus, la CNSA publie uniquement des bilans annuels très
factuels mais a commandité une étude qualitative des effets du dispositif sur les adhérents
auprès de l’Association Nationale des CREAI en 2017. Globalement, il n’existe pas
d’évaluation quantifiable des résultats générés par les groupes et certains acteurs associatifs ont
donc lancé leurs propres procédures d’autoévaluation.
Parallèlement, ce repositionnement étatique est pourtant nuancé par le maintien d’un
pilotage étatique centralisé des politiques de santé mentale et un fonctionnement encore
relativement hospitalo-centré. Ainsi, ce dispositif innovant est parfois mal identifié par le corps
soignant et son impératif d’émancipation du milieu médical peut être maladroitement interprété
comme une vitrine cachant le manque de places et les défaillances en psychiatrie. Du point de
vue de l’une des bénévoles de l’UNAFAM interrogées, les GEM ne doivent pas remplacer la
prise en charge des usagers mais en être complémentaires33
. Face à ces tensions, des failles
peuvent être soulevées dans le parcours des usagers du fait d’un cloisonnement encore prégnant
entre les structures de soins et ce dispositif intermédiaire, parfois critiqué par les soignants
comme un manque d’accompagnement des personnes concernées. Responsable d’une filière de
réhabilitation psychosociale en hôpital, l’une des professionnelles rencontrées évoque des
groupes d’entraide mutuelle assez mal identifiés dans le milieu psychiatrique, ce qui alimente
la mécompréhension du dispositif34
.
Finalement, se pose aussi la question de l’information des adhérents parfois déstabilisés
par ces responsabilités, pouvant amener des risques de dérives. S’agissant de ce mode de
supervision minimal, le législateur est formel sur la nécessité d’émanciper les GEM du contrôle
professionnel malgré les difficultés d’adaptation que cela peut entraîner. Justement, la
protection des adhérents implique aussi de délimiter rigoureusement le rôle des acteurs qui les
accompagnent afin de ne pas retomber dans une logique assistancielle comme le prévient le
CNIGEM35
. Il s’agit surtout du positionnement des organismes parrains et gestionnaires qui
33
Entretien n°9 - Anonyme (bénévole référente), L’Union Nationale des Familles et Amis de Malades 35, association
parraine de Groupes d’Entraide Mutuelle. 23 Mars 2020
34
Entretien n°5 – Anonyme (psychiatre), Service ‘’Réhabilitation – Psychiatrie adultes’’ de l’Hôpital psychiatrique de
Bohars. 20 Février 2020
35
Collectif national Inter-GEM. Le cahier des charges 2019 des Groupes d’Entraide Mutuelle : ‘’Quoi de neuf ? Le
point de vue du CNIGEM’’. CNIGEM, 2019
18
doivent se limiter à une place de tiers dans le fonctionnement des groupes afin de se prévenir
de toute dynamique de tutellisation. Pourtant, certains groupes peu autonomes sont encore
largement appuyés sur l’association parraine ou les autres partenaires qui ont une emprise
importante, contrairement à leurs objectifs. L’autogestion est donc un atout pour aller vers une
responsabilisation des adhérents mais constitue aussi un véritable défi pour ces personnes en
difficulté. S’ajoutant à la nouveauté du dispositif, cela peut déstabiliser les acteurs impliqués et
mener à une mauvaise compréhension de la démarche : c’est l’un des enjeux principaux de
l’entraide mutuelle.
Enfin, toute la complexité du dispositif réside dans l’impératif de compensation de la
vie sociale et de la citoyenneté matérialisé par des groupes pourtant basés sur l’entre-soi. En
plus de complexifier leur ouverture, cette caractéristique rend plus difficile l’objectif de
destigmatisation des adhérents. Ce fonctionnement est donc à double-tranchant puisqu’il
pourrait aussi maintenir les groupes dans l’environnement de la maladie plus que dans une
démarche d’ouverture, une problématique d’autant plus sensible que leur pilotage par l’ARS
les associe symboliquement au milieu sanitaire. Ces incohérences inquiètent particulièrement
les associations d’usagers, qui dénoncent le risque de voir les GEM se rapprocher des
institutions classiques de prise en charge, plutôt que de constituer un véritable exercice de
citoyen comme il était ambitionné initialement36
. Ces doléances constituent aussi un point
saillant de l’entraide mutuelle puisque les adhérents interrogés sont généralement satisfaits des
groupes qui constituent pour eux une révolution. Finalement, les dysfonctionnements relatifs
aux GEM sont davantage mis en exergue par les associations militantes externes aux groupes
plus que par les personnes concernées elles-mêmes, complexifiant d’autant plus ces jeux
d’acteurs.
Par conséquent, les questionnements relatifs au positionnement innovant et complexe
des GEM font émerger la problématique suivante. L’empowerment en santé mentale à
travers le prisme des Groupes d’Entraide Mutuelle : quels enjeux entre la matérialisation
d’un dispositif autogéré et son appropriation par un public considéré comme dépendant ?
36
Deutsch Claude, « Cahier de doléances d’Advocacy-France concernant les GEM », dans : Guy Boucher éd., La
Participation. Les GEM, un modèle exemplaire. Champ social, 2015, p. 129-150.
19
Hypothèses de recherche :
Dans ces conditions, les apports théoriques évoqués autour du concept d’entraide
mutuelle et ces réflexions sur la reconnaissance des personnes concernées dans le maillage des
acteurs de la santé mentale permettent de développer trois hypothèses principales qui vont
structurer ce travail :
Les Groupes d’Entraide Mutuelle répondraient à un mouvement de fond de la psychiatrie
vers la santé mentale opéré ces dernières décennies :
Les GEM s’inscriraient dans la transition opérée en France vers le référentiel de santé mentale,
se traduisant par l’élargissement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap
au-delà des structures de soins. Cette évolution se rapporterait à la mouvance plus globale
d’empowerment qui permet aux personnes concernées de dépasser la passivité de la prise en
charge en se réappropriant leur parcours et en accédant à la citoyenneté. Les GEM
s’intégreraient donc cette dynamique en s’extrayant du contrôle soignant, dans une transition
de relations d’aide à des relations d’entraide entre pairs.
Le pilotage du dispositif s’inscrirait dans une logique de repositionnement des acteurs de
la santé mentale :
Les mutations de l’Etat dans le domaine de la santé mentale se traduiraient notamment par une
démarche de déconcentration s’agissant du pilotage des GEM délégué aux Agences Régionales
de Santé. Effectivement, ce fonctionnement permet de responsabiliser les adhérents des groupes
qui sont encadrés par une règlementation minimale mais doivent se constituer en association
autogérée. Ce repositionnement laisserait donc plus de marge de manœuvre aux acteurs
associatifs qui deviennent centraux en santé mentale et sont aussi incités à accompagner les
GEM. Néanmoins, ce phénomène suscite également des craintes quant à l’instrumentalisation
du dispositif et pourrait complexifier son organisation.
Sur le terrain, les Groupes d’Entraide Mutuelle feraient figure d’objet non identifié dans
le domaine de la santé mentale :
Plusieurs éléments montrent que les GEM sont un dispositif relativement novateur, d’abord
parce qu’ils s’inscrivent dans une reconnaissance inédite du handicap psychique, à la fois
20
comme un moyen de prévention des troubles mais aussi de compensation de leurs effets.
Ensuite, ces groupes sont notamment développés face aux difficultés d’accompagnement des
personnes malades dans la cité, et constituent donc un système hybride qui ne relève ni du
milieu médical ni du milieu social, puisque ce sont des associations indépendantes. Cette
perspective inédite est l’un des atouts du dispositif mais en pourrait aussi impliquer des
dynamiques contre-productives sur le terrain en déstabilisant les acteurs impliqués.
Afin d’apporter des éléments de réponse à ces hypothèses, nous nous appuierons sur des
entretiens semi-directifs menés auprès des acteurs en relation avec les groupes, et sur un contact
récurrent établi avec les GEM dans un objectif d’observation du terrain37
. Ces réflexions se
baseront plus précisément sur l’exemple du territoire breton au sein duquel coexistent
actuellement 25 associations d’entraide mutuelle consacrées au handicap psychique38
, avec une
attention particulière sur les métropoles de Brest et de Rennes dont les dynamiques réticulaires
et partenariales sont plus importantes.
Annonce du plan :
Ces différentes hypothèses structureront les réflexions développées dans ce travail. La
première partie portera sur le processus de construction du problème public et le rôle qu’y a
joué la société civile, aboutissant sur l’intervention du législateur en 2005 (I). Il s’agira dans un
second temps d’étudier les implications du fonctionnement concret des GEM sur le territoire,
afin de comprendre le repositionnement des acteurs impliqués (II). Enfin, la troisième partie
sera consacrée aux tensions et perspectives qui émergent depuis l’opérationnalisation du
dispositif et questionnent le modèle d’entraide mutuelle (III).
37
Voir Annexe 1. Liste des entretiens ; et Annexe 2. Grille d’entretien
38
Psycom, Carte des GEM, sur http://www.psycom.org/Ou-s-adresser/Entraide/Groupes-d-entraide-mutuelle/Carte-des-
GEM [en ligne], (consulté le 28 Mars 2020)
21
PARTIE I. LA CONCEPTION DU HANDICAP PSYCHIQUE,
CONSTRUCTION ASCENDANTE D’UN PROBLEME
PUBLIC
Développée par Philippe Garraud, la notion d’émergence des problèmes publics
implique un processus social de qualification d’un fait en problème, qui par là même
conditionne sa définition39
. Dans ces conditions, les problèmes publics ne sont en aucun cas
naturels mais résultent d’une construction sociale. Ce constat s’applique aux troubles
psychiques, et plus globalement à la santé mentale, qui n’a pas toujours appelé à une
intervention publique voire n’a pas toujours été problématisée. Il est donc indispensable
d’appréhender la vision sociale de la maladie et la place des personnes concernées dans la
société afin de comprendre la genèse des Groupes d’Entraide Mutuelle. Ainsi, la description
des GEM proposée par Guy Boucher illustre particulièrement la nécessité d’une telle
réflexion sociétale : ‘’Ce ne sont pas des vases clos, mais des ponts qui se jettent de la rive du
handicap vers celle de la société « normale »’’40
.
Il s’agira dans cette première partie de comprendre le rapport entre troubles psychiques
et dimension sociétale afin de mieux en discerner les mutations, qui déboucheront sur la Loi de
2005. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une démarche sociohistorique afin de saisir le
rôle de la société civile dans l’évolution de la considération du problème par les décideurs.
CHAPITRE 1. PERSPECTIVE SOCIOHISTORIQUE DE LA
PROBLEMATISATION DES TROUBLES PSYCHIQUES :
39
Philippe Garraud, ‘’Politiques nationales : l’élaboration de l’agenda’’. L'année sociologique
40
Boucher Guy, La Participation. Les GEM, un modèle exemplaire. Paris, Champ social, 2015, p.7
22
Bien que les troubles psychiques soient aujourd’hui scientifiquement reconnus et pris
en charge médicalement, leur complexité et la spécificité de leur dimension sociale ne peut en
permettre un traitement aussi objectif que les affections somatiques. Aussi, les soins apportés
aux personnes en situation de handicap n’ont pas toujours relevé de connaissances méthodiques
rigoureuses mais aussi largement de leur conception par la société, encore actuellement très
questionnée. Par conséquent, la maladie psychique a longtemps été inscrite dans la
représentation plus générale et peu scientifique de la folie, qu’il est important de comprendre
tant elle est différente du concept global de santé mentale prévalant aujourd’hui.
A. Retour historique sur la conception sociale du handicap psychique :
1. De la folie à la maladie psychique, un paradigme d’exclusion sociale :
Le traitement social des troubles psychiques n’a pas été linéaire ni rythmé par les
avancées médicales, mais conditionné à leur adaptation ou non à la vision de la raison définie
par la société, au normal. La conception de la folie n’est donc ni intangible ni objective mais
constitue une construction sociétale indissociable de son contexte. Cette étude historique,
indispensable à notre travail, ne saurait être évoquée sans s’appuyer sur la thèse de Michel
Foucault qui propose une déconstruction de l’universalité de la folie dès 196141
.
D’après la chronologie exposée dans son travail ‘’Histoire de la folie à l’âge classique’’,
les malades sont intégrés dans les sociétés moyenâgeuses, qu’ils distraient en quelque sorte.
Néanmoins, Foucault observe un certain changement de position vis-à-vis de la maladie
mentale à partir de la Renaissance. Dès lors, la folie occupe toujours une place importante mais
sous un aspect relativement plus tragique notamment relayé par les arts : la perte de raison
passionne la société tant qu’elle l’effraie. Puis les malades sont progressivement rejetés à la fin
de cette période : selon Michel Foucault, l’imaginaire social trouve en la folie un nouvel
indésirable à substituer à la lèpre après l’extinction de cette pathologie. C’est l’un des postulats
qui explique l’évolution du traitement des troubles psychiques à travers l’histoire : l’adaptation
des critères du normal permet à la société de définir de nouvelles marges d’exclusion. Les
léproseries, lieu symbole de l’exclusion sociale, vidées de leurs patients, inspireront selon lui
41
Foucault Michel. Histoire de la folie à l’âge classique [1961]. Paris, Gallimard, 1976 (réed.)
23
la réclusion des malades psychiques comme nouveaux marginaux dans les asiles similairement
structurés.
Néanmoins, c’est pendant l’âge classique, à partir du XVIIème
siècle, que cette
conception évolue véritablement avec ce que Foucault appelle le ‘’grand renfermement’’,
pendant lequel l’aspect critique prend le dessus sur le tragique. L’effervescence intellectuelle
autour de la raison met fin à toute conciliation possible avec les formes de déraison, et les
malades se trouvent donc emprisonnés au même titre que les criminels. Des infrastructures
spécifiques sont ainsi développées pour enfermer ces personnes rejetées, les Hôpitaux
Généraux. Dans les faits, ces lieux vont permettre de laisser libre cours aux expérimentations
et faire des malades des objets de savoir : c’est le début du développement d’une discipline
propre à la folie.
2. L’institutionnalisation de la science psychiatrique :
Conséquemment aux évolutions précédemment évoquées, une science spécifique
étudiant ce que Foucault appelle ‘’l’étrangeté de l’âme’’ émerge à partir du XVIIIème
siècle, la
psychiatrie42
. C’est donc à cette époque que le concept peu rigoureux de ‘’folie’’ est délaissé
pour la notion plus scientifique de ‘’maladie mentale’’. Dans ces conditions, le traitement des
personnes concernées est médicalisé et celles-ci sont désormais recluses entre malades dans les
asiles. Par conséquent, le travail de Foucault expose la subjectivité du concept social de folie et
présente la psychiatrie occidentale basée sur l’exclusion comme une construction subjective et
non universelle, un modèle parmi d’autres.
Cette réflexion peut être mise en perspective avec le travail publié par Erving Goffman
à travers le prisme de la sociologie des organisations43
. Goffman s’inscrit d’ailleurs dans un
contexte tout aussi critique des asiles, qu’il étudie comme un outil d’exclusion des personnes
indésirables pour la société. Les organisations psychiatriques sont alors présentées comme un
vecteur d’institutionnalisation de la maladie mentale en tant qu’anormalité sociale. Aussi,
l’hôpital est analysé comme une institution totale dont les pratiques aliénantes sont légitimées
par la science psychiatrique afin de protéger le reste de la société des reclus. Bien que Goffman
conçoive l’existence de certaines stratégies propres aux patients afin d’échapper au contrôle
42
Foucault Michel. Histoire de la folie à l’âge classique [1961]. Paris, Gallimard, 1976 (réed.)
43
Goffman Erving. Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus [1968]. Paris, Les
éditions de Minuit, 1990 (réed.)
24
institutionnel, sa vision totalitaire des asiles rejoint cette perspective de rejet social des
personnes malades.
Michel Foucault demeure tout aussi critique vis-à-vis du développement de la
psychiatrie, qui permet de ne plus entretenir la confusion des individus concernés avec les
criminels mais les soumet au regard médical. D’après lui, cette discipline permet davantage de
légitimer une gestion inhumaine des personnes malades et de rendre leur situation
problématique pour la société. Pour autant, cette thèse reste relativement controversée, et a
notamment alimenté d’importants débats académiques avec la psychiatre Gladys Swain. Leurs
désaccords se situent dans les fondements de la discipline psychiatrique, qui considère selon
elle plus humainement les personnes malades en rendant possible le traitement de leurs troubles
plutôt qu’en les réprimant uniquement. Dans tous les cas, ces travaux permettent d’aborder le
processus historique d’imposition de l’institution psychiatrique et donc d’en comprendre les
oppositions qui se déploient au XXème
siècle.
B. Evolution et remise en question de l’institution psychiatrique :
1. Les fondements de la crise en psychiatrie :
Ces réflexions que nous avons précédemment évoquées s’inscrivent dans un contexte
intellectuel plus global relativement critique de la psychiatrie à partir des années 196044
. Il est
possible d’attribuer les fondements du mouvement antipsychiatrique aux psychiatres anglo-
saxons dénonçant la violence de l’institution, légitimant la répression sociale des individus
malades au lieu de prendre en compte leur parole. L’antipsychiatrie conçoit ainsi les maladies
mentales comme une construction de la science psychiatrique afin de justifier l’usage de
procédés liberticides et déshumanisants sur les personnes concernées. Ce courant, qui remet en
cause les principes mêmes de la psychiatrie, s’inscrit aussi dans l’émergence d’une littérature
dénonciatrice des conditions asilaires portée par Foucault et Goffman.
Dans les faits, on retrouve des dynamiques similaires de remise en question de la
psychiatrie en France au cours de la seconde moitié du XXème
siècle, permettant de mettre en
lumière la violence des infrastructures asilaires. Ce phénomène est ainsi évoqué par Robert
44
Castel Robert, ‘’L'institution psychiatrique en question’’. Revue française de sociologie, 1971, p. 57
25
Castel dès 1971 : ‘’la crise institutionnelle qui sévit en psychiatrie s'est récemment trahie, entre
autres indices, par la parution quasi simultanée d'un nombre considérable d'ouvrages et
d'articles dont les auteurs, presque toujours des praticiens, remettent en cause l'organisation et
parfois l'existence même des instances officielles de prise en charge des malades mentaux’’45
.
Si de nombreux psychiatres dénoncent effectivement la déshumanisation des patients, ces
courants sont très hétérogènes puisqu’aux militants antipsychiatriques s’opposent des
professionnels promouvant davantage la réforme et la modernisation de la psychiatrie.
C’est le cas de la Psychothérapie institutionnelle qui se développe dans les décennies
suivant la guerre pour humaniser les relations entre soignants et soignés. Ce courant s’appuie
notamment sur les bienfaits de la dynamique de groupe avec la création de ‘’clubs
thérapeutiques’’ intrahospitaliers, qui bouleversent les relations avec les patients et introduisent
une démarche de coopération46
. Un psychologue évoque ainsi ce phénomène lors de notre
entretien : ‘’La tendance associative commence dans les suites des horreurs de la seconde
guerre mondiale avec les associations des différents hôpitaux promouvant une philosophie plus
humaniste’’47
. Contrairement à l’antipsychiatrie, la PTI ne rejette pas les apports de la médecine
qui reste la seule réponse viable à la maladie, mais elles ont pour commun de s’être construites
en opposition au système asilaire répressif. Toutefois, ce mouvement se divise également entre
différents courants internes, à savoir notamment la ligne désaliéniste assez prégnante dans le
cas de la France. Impulsé par le docteur Bonnafé, le désaliénisme émerge dans les années 1960
en opposition au dispositif psychiatrique, dont le fonctionnement asilaire est décrit comme
quasi-carcéral. S’inscrivant dans ce contexte de remise en question, le travail de Lucien
Bonnafé s’est imposé comme un cadre de pensée pour de nombreux professionnels de santé et
a constitué l’une des fondations de la réforme de la psychiatrie française.
2. La reconfiguration sectorielle de l’offre psychiatrique en France :
Dans les faits, c’est à la suite de la prise de conscience opérée après la guerre qu’a été
remanié le système psychiatrique en France. Cette modernisation est initiée à partir des années
1960 autour du secteur, un concept impulsé par les courants de pensée notamment menés par
45
Castel Robert, ‘’L'institution psychiatrique en question’’. Revue française de sociologie, 1971, p. 57
46
Benattar Béatrice. Des clubs thérapeutiques aux clubs d’accueil et d’entraide : essai d’analyse historique et théorique
de la place des clubs en psychiatrie [en ligne]. Thèse de doctorat en médecine (spécialité psychiatrie), Université Paris-
Descartes, 2005, p.10-22
47
Entretien n°7 – Anonyme (psychologue), Entretien sur l’histoire des Groupes d’Entraide Mutuelle. 11 Mars 2020
26
Lucien Bonnafé. Cet idéal porté par les psychiatres militants est implémenté
administrativement par une première circulaire en 196048
, puis précisé par plusieurs textes
législatifs et exécutoires jusque dans les années 1990. Pour Lise Demailly, cette organisation
constitue la première politique de soins psychiques territorialisée en France, et bouleverse donc
l’organisation de la psychiatrie49
.
Concrètement, le secteur correspond à une subdivision géographique de l’offre de soins
et implique donc une nouvelle répartition des structures psychiatriques à destination de la
population. Tout secteur recouvre un territoire d’environ 70 000 personnes, et comprend à la
fois des équipements hospitaliers mais aussi des infrastructures de ville ou thérapeutiques,
auxquels sont rattachés les habitants qui en relèvent. Cette territorialisation à taille humaine
garantit avant tout la prise en charge de l’individu au plus proche de son environnement de vie
et limite ainsi les bouleversements induits par la maladie sur son quotidien. En plus d’assurer
la continuité des soins, la sectorisation rompt également avec le prisme de l’enfermement
asilaire en promouvant une offre de soins moins hospitalo-centrée. Effectivement, la nouvelle
répartition s’appuie largement et prioritairement sur la prise en charge ambulatoire, dite ‘’hors
les murs’’, pour ne plus recourir à l’hospitalisation automatique des malades en psychiatrie.
Dans le même temps, cela ne revient pas non plus à la disparition des hôpitaux psychiatriques
qui demeurent parfois une solution indispensable, mais dont les méthodes internes se
modernisent sous l’influence de la psychothérapie institutionnelle.
Selon Lise Demailly et Caroline Maury, la rupture est indéniable car ‘’la philosophie du
secteur est généreuse, humaniste, anti-asile’’, mais son opérationnalisation reste relativement
plus nuancée. Dans les faits, la politique de sectorisation s’éloigne des idéaux initiaux,
notamment du fait de l’hétérogénéité de son application selon les territoires. En effet, la
référence à l’hôpital reste largement dominante chez de nombreux professionnels et certaines
pratiques répressives à l’égard des patients subsistent. Face à l’augmentation de la demande de
soins, les défaillances du secteur laissent entrevoir la portée limitée de cette modernisation, et
les acteurs concernés demeurent donc toujours très revendicatifs à l’encontre de la politique
publique de soins psychiques jugée immobiliste.
48
Ministère de la Santé publique, Circulaire du 15 Mars 1960 relative au programme d’organisation et d’équipement
des départements en matière de lutte contre les maladies mentales. Non parue au journal officiel, 15 Mars 1960
49
Demailly Lise, Maury Caroline, « 1 - Continuités et inflexions de la politique du soin psychique 1950-2011 », dans : Lise
Demailly éd., La politique de santé mentale en France. Acteurs, instruments, controverses. Armand Colin, 2012, p. 15-28.
27
C. Quels apports de la sociologie à la compréhension des maladies
psychiques ?
Afin de compléter cette dimension sociohistorique, il est important d’appréhender la
prise d’importance de la conception sociologique de la maladie psychique pour mieux
comprendre cette évolution des contours du trouble et de son acceptation sociétale.
1. La place de la maladie dans la société, un nouvel objet d’étude :
Dès le début des années 2000, le travail d’Alain Ehrenberg et Anne Lovell témoigne du
rôle grandissant des sciences sociales dans la remise en question du système psychiatrique
français : ‘’le trouble mental est aujourd’hui une question sociale, politique et médicale qui
concerne toutes les institutions, avant il était juste relégué aux institutions de la folie"50
. Ce
constat fait notamment suite aux mouvements précédemment évoqués, qui ont remis en
question la psychiatrie du XXème
siècle centrée sur l’asile et par la même intégré la question de
la maladie à des problématiques sociales plus larges.
Si les apports des sciences sociales sur les troubles psychiques et mentaux sont
relativement larges, Lise Demailly synthétise dans son travail les différentes approches
sociologiques contemporaines51
. D’une part, elle aborde notamment l’influence des
déterminants sociohistoriques sur la définition des troubles, la définition sociétale de
‘’l’anormalité’’ ayant largement évolué en dépit de certaines connaissances intangibles. Lise
Demailly différencie donc plusieurs registres de prise en charge applicables au cas français, du
prisme sécuritaire d’enfermement largement remis en question, à la perspective sanitaire plus
actuelle orientée vers le bien-être. De plus, l’importance des facteurs sociaux se traduit
également dans la catégorisation peu standardisée des troubles, qui sans dénier les facteurs
biologiques reste largement influencée par les représentations sociales des corps professionnels.
D’une autre part, Lise Demailly évoque la compréhension sociologique de l’offre de
soins qui peut être analysée comme un marché, expliquant les différents comportements des
usagers. Effectivement, les facteurs sociaux conditionnent encore largement l’accès aux soins
et il existe donc de réelles ruptures dans la prise en charge de certaines populations
50
Ehrenberg Alain, Lovell Anne. La maladie mentale en mutation : Psychiatrie et société. Paris, Odile Jacob, 2001, p.7
51
Demailly Lise, Sociologie des troubles mentaux. Paris, La Découverte, « Repères », 2011, p. 23-55
28
marginalisées. De plus, la sociologie permet d’interpréter le positionnement des personnes
concernées face à la maladie et ses représentations sociales négatives. Dans les faits, celles-ci
disposent de plusieurs registres de postures pour vivre avec leur pathologie, du déni au
fatalisme, devenant donc les sujets sociaux du processus d’accès aux soins.
Plus globalement, la sociologie rend compte de l’institutionnalisation du rapport du
malade à la société par l’intermédiaire de la psychiatrie, qui encadre étroitement les
comportements sociaux. Dans ces conditions, l’élargissement contemporain du champ de la
santé mentale contribue justement à la construction de règles sociales plus prégnantes justifiant
d’intervenir contre tout comportement considéré inadapté.
2. Nouveaux maux contemporains, une sociologisation des troubles mentaux ?
Malgré les progrès scientifiques indéniables depuis le XXème
siècle, l’OMS alerte
régulièrement sur l’augmentation des troubles psychiques : ce paradoxe intéresse
particulièrement les sciences sociales. Pour Marcelo Otero, sans nier les facteurs biologiques,
les troubles intrinsèques à tous se déclencheraient dans certaines circonstances sociales, cette
hausse illustrant donc un certain malaise contemporain de la civilisation52
. Revenant sur
différentes analyses sociologiques des troubles, il soulève un constat récurrent quant au rôle des
phénomènes sociaux remettant en question le travail trop individualisant de la psychiatrie.
Cette thématique est évoquée par Alain Ehrenberg et Anne Lovell, qui étudient
notamment la maladie mentale comme un signe de l’individualisation humaine53
. Les troubles
deviennent indissociables du contexte sociétal : la médecine poserait donc le risque d’une
dérive scientiste en naturalisant des troubles d’origine sociale. Aussi, ces nouvelles souffrances
sont liées à certains problèmes de société comme la précarité ou la solitude, tandis que la
médecine psychiatrique traiterait les individus sans chercher à comprendre l’origine de leurs
symptômes. La sociologie met donc en exergue certaines limites de la médicalisation sur le
sujet humain et revendique une véritable politique de santé mentale englobant la dimension
sociale. Dans les faits, ce sont ces mêmes apports qui ont été utilisés par les militants comme
Lucien Bonnafé afin de déconstruire le système psychiatrique asilaire.
52
Otero Marcelo, ‘’Regards sociologiques sur la santé mentale, la souffrance psychique et la psychologisation’’. Cahiers
de recherche sociologique, 2005, p. 5-15
53
Ehrenberg Alain, Lowell Anne. La maladie mentale en mutation : Psychiatrie et société. Paris, Odile Jacob, 2001
29
Enfin, les sciences sociales, en analysant sur les causes de la souffrance psychique,
proposent aussi des pistes d’amélioration des pratiques de terrain. Ces évolutions se traduisent
alors par l’émergence de la psychiatrie communautaire et de parcours de soins plus inscrits dans
la vie quotidienne, à l’image des clubs et de la psychothérapie institutionnelle. Néanmoins, la
dimension sociale ne peut se subsister aux réalités médicales qui rendent le recours à
l’institution psychiatrique inévitable dans certains cas, comme le rappellent les professionnels.
Pour autant, ces apports complètent la définition scientifique de la maladie en y intégrant
d’autres outils de compréhension, permettant d’entrevoir le processus par lequel la maladie
psychique est devenue un problème pour la société. Cette perspective parachève donc notre
introspection sociohistorique du rapport sociétal aux troubles, donnant à voir le contexte social
effervescent dans lequel s’inscrivent les débats qui motiveront la Loi de 2005.
CHAPITRE 2. L’IMPULSION DES ACTEURS DE LA SOCIETE
CIVILE DANS LA MISE A L’AGENDA :
Dès la fin du XXème siècle, les débats sociétaux autour du fait psychiatrique
questionnent constamment la politique de traitement des maladies psychiques qui
déshumaniserait les individus concernés. Dès lors, les acteurs impliqués militent pour la
reconnaissance de la personne malade et de ses droits, revendiquant une prise en charge visant
non plus seulement à soigner mais à garantir son bien-être. Ce phénomène, indissociable des
évolutions législatives dans lesquelles s’inscrivent les GEM, peut être analysé à travers le
prisme du processus d’émergence d’un problème public. Au sens de Jean-Gustave Padioleau,
trois caractéristiques délimitent cette problématisation : la mobilisation de citoyens plus ou
moins organisés pour dénoncer une situation, le rattachement de ce problème aux
responsabilités des autorités publiques, et la sollicitation d’une intervention politique54
. Cette
conception du problème public est cohérente s’agissant de la Loi de 2005, dont certains axes
ont été impulsés par l’action de la société civile et sa demande d’une intervention publique.
54
Padioleau Jean-Gustave, L’État au concret. Paris, Presses Universitaires de France, 1982
30
A. La prise de rôle des associations militantes :
Avant toute chose, il est nécessaire de comprendre que le concept d’entraide mutuelle
mobilisé par le législateur en 2005 n’est pas issu du registre de l’action publique mais davantage
des initiatives sociétales principalement portées par les associations.
1. Les clubs associatifs, une filiation questionnée :
Précédemment, nous avons évoqué le rôle de la psychothérapie institutionnelle dans le
développement de la dynamique de groupe et des clubs comme méthode d’humanisation des
pratiques en psychiatrie. L’entraide mutuelle se rapproche donc des clubs thérapeutiques par
son fonctionnement associatif, coopératif et relativement autonome vis-à-vis de l’hôpital, dans
l’optique de limiter l’impact de la maladie dans la vie quotidienne. Le psychologue rencontré
mentionne ainsi cette relation : ‘’il y avait l’idée de créer des associations dans les secteurs pour
contourner les procédures hospitalières trop lourdes. C’était créer des associations pour que les
malades et les professionnels récupèrent l’initiative, avec un budget propre, afin que les
hôpitaux ne soient plus seulement un lieu de soins’’55
.
Si ces structures impliquent des caractéristiques similaires à celles de l’entraide
mutuelle, elles restent largement ancrées dans l’institution psychiatrique et se différencient donc
des futurs GEM plus éloignés de la dimension soignante. D’après Marie-Odile Supligeau cet
écart ne s’explique pas forcément par une ambition moins thérapeutique de l’entraide mutuelle,
mais par davantage par une volonté d’indépendance au milieu médical56
. Aussi, les clubs
intrahospitaliers sont remis en cause par la tendance à la sectorisation dans les années 1960, qui
promeut davantage l’accompagnement extrahospitalier57
. De plus, la stratégie d’action publique
ne s’oriente pas encore particulièrement vers l’intégration sociale des personnes concernées, et
les clubs ne sont donc pas un outil mobilisé par l’Etat. Par conséquent, le lien aux clubs
thérapeutiques initiaux existe mais reste peu mis en avant du fait de leur relation trop étroite
55
Entretien n°7 – Anonyme (psychologue), Entretien sur l’histoire des Groupes d’Entraide Mutuelle. 11 Mars 2020
56
Supligeau Marie-Odile, ‘’Clubs thérapeutiques et « groupes d'entraide mutuelle » : héritage ou rupture ?’’ VST - Vie
sociale et traitements, 2007, p. 54-63.
57
Benattar Béatrice. Des clubs thérapeutiques aux clubs d’accueil et d’entraide : essai d’analyse historique et théorique
de la place des clubs en psychiatrie [en ligne]. Thèse de doctorat en médecine (spécialité psychiatrie), Université Paris-
Descartes, 2005, p.23-30
31
avec le corps soignant. Si il est possible d’identifier des points de rattachement de l’entraide
mutuelle avec ces initiatives sociales, ses inspirations restent donc largement débattues.
2. La mobilisation des associations d’usagers et de proches :
Au-delà de l’outil associatif exploité thérapeutiquement pour les personnes concernées,
les associations représentantes d’usagers ou d’autres acteurs militants ont également joué un
rôle important dans l’interpellation des décideurs, ce qui caractérise le processus d’émergence
du problème public décrit par Padioleau.
Cette mobilisation, qui se développe en parallèle des courants de remise en question de
la psychiatrie, est caractérisée par Madeleine Monceau et Sabine Visintainer comme le
‘’mouvement des usagers’’58
. Paradoxalement, ces courants sont importés en France dans les
années 1960 via l’action des associations de familles regroupées au sein de l’UNAFAM, dont
la visibilité lui garantit une certaine reconnaissance vis-à-vis par les décideurs. L’une des
bénévoles interrogées définit ainsi cet organisme comme ‘’une association de soutien, de
partage de l’expérience de la maladie de leurs enfants, car ce sont surtout des parents. Ils sont
actifs dans le domaine du handicap pour défendre le droit de leurs enfants malades’’, ce qui
explique leur implication dans la sollicitation des pouvoirs publics59
. Puis au cours des années
1970 émergent des mouvements plus militants comme Advocacy, intégrant à la fois des
professionnels et des membres de la société civile dans une dynamique plus frontalement
opposée à la psychiatrie. Ce n’est que dans les années 1980 et avec l’appui du corps
professionnel que se développent des associations impliquant directement les usagers. Afin
d’assurer une mission de représentation, la majorité d’entre elles est aujourd’hui rassemblée au
niveau de la Fnapsy qui a également obtenu la reconnaissance des autorités publiques, et agit
en coopération avec l’UNAFAM.
Considérant le manque d’accompagnement des malades isolés dans la cité, les
associations d’usagers et de familles ont notamment milité pour une vision élargie de la
politique de soins psychiques en incluant la dimension sociale. Cette prise en considération des
personnes concernées prévaudra en 2005 dans l’optique d’assurer la continuité de leur parcours.
Effectivement, grâce à leur visibilité, ces organisations ont progressivement été inclues ou du
58
Monceau Madeleine, Visintainer Sabine, Le mouvement des usagers en santé mentale : introduction et repères
historiques, dans : Jean Furtos éd., La santé mentale en actes. ERES, 2005, p. 263-274.
59
Entretien n°9 – Anonyme (bénévole référente), L’Union Nationale des Familles et Amis de Malades 35, association
parraine de Groupes d’Entraide Mutuelle. 23 Mars 2020
32
moins consultées par les autorités dans le processus de décision. Elles instituent donc une
complémentarité fragile entre les professionnels et les usagers dans le processus décisionnel :
Guy Baillon parle de ‘’parole retrouvée’’ des usagers en psychiatrie60
.
Mais cette collaboration reste délicate, particulièrement entre les associations d’usagers
et celles de familles qui ne défendent pas toujours les mêmes intérêts. Dans les faits, les
associations de proches luttent davantage contre le risque de laisser les malades démunis hors
des structures hospitalières et revendiquent le développement de la prise en charge dans la cité.
Ainsi, l’une des bénévoles rencontrées en entretien évoque surtout la peur de voir les proches
malades livrés à eux-mêmes face aux manques du système psychiatrique61
. Les doléances
portées par les associations d’usagers diffèrent en revendiquant plus d’autonomie et de
participation des personnes concernées, voire une certaine émancipation pouvant déstabiliser
les familles. Malgré ces divergences, les associations issues de la société civile se posent
collectivement comme des acteurs importants dans l’interpellation des pouvoirs publiques dès
la fin du XXème
siècle.
B. Les rapports, un registre de sollicitation de l’intervention publique :
D’après le travail de Jean-Gustave Padioleau, la mobilisation sociétale est essentielle
pour problématiser une situation et en appeler à l’intervention publique. Dans les faits, les
acteurs la société civile organisés par l’intermédiaire associations reconnues et visibles ont pu
collaborer et acquérir une certaine légitimité institutionnelle afin d’interpeller directement les
décideurs, cette sollicitation se matérialisant notamment par l’élaboration de rapports.
1. La production de rapports comme signe d’évolution :
D’emblée, ces rapports sont d’abord issus de l’initiative des acteurs impliqués afin de
problématiser la situation comme nécessitant une intervention de la part des autorités. Si il
existe plusieurs textes issus de la société civile revendiquant une réaction des pouvoirs publics,
60
Baillon Guy, ‘’Les usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée’’. L'information psychiatrique, 2009/9
(Volume 85), p. 821-826.
61
Entretien n°9 - Anonyme (bénévole référente), L’Union Nationale des Familles et Amis de Malades 35, association
parraine de Groupes d’Entraide Mutuelle. 23 Mars 2020
33
le Livre blanc des partenaires de santé mentale en France publié en 2001 demeure le plus
représentatif puisqu’il est issu d’une démarche partenariale. Ainsi, ce texte a principalement été
porté par l’UNAFAM et les professionnels bénéficiant d’une certaine reconnaissance publique,
mais les associations d’usagers ont aussi participé par l’intermédiaire de la FNAPSY.
L’interpellation des décideurs est directe puisque les acteurs stipulent que le Livre Blanc
"interpelle les pouvoirs publics’’ à ‘’donner de véritables moyens financiers et humains’’.
L’objectif est d’améliorer la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques et
notamment pallier les ruptures de parcours hors les murs. Effectivement, les associations à
l’origine du Livre Blanc déplorent l’incomplétude de l’offre d’accompagnement, dont la
responsabilité incombe aux pouvoirs publics : ‘’ les médicaments ne guérissent pas
définitivement les patients et […] la nécessité d’une prise en charge dans la durée demeure’’62
.
Elaboré autour des résultats de réunions ayant impliqué les acteurs précédemment cités, ce
rapport développe plusieurs grands axes nécessitant une intervention publique : la visibilité des
personnes en situation de handicap psychique, la continuité de leur parcours, et le maintien du
lien social. Ainsi, des recommandations sont développées et prévoient l’institutionnalisation du
partenariat entre associations et autres promoteurs de la santé mentale en France, notamment.
Une autre piste intéressante développée par le Livre blanc est celle de la généralisation
du club extrahospitalier comme outil assurant un lien aux personnes malades isolées dans la
cité. Les auteurs du rapport rappellent que l’offre de soins, sur laquelle se focalisait jusqu’alors
largement la politique de prise en charge des troubles psychiques, ne peut suffire étant donné
que le handicap induit aussi des insuffisances dans la vie sociale. Le modèle du club y est déjà
précisé, consistant en un accueil durable des personnes concernées via l’accès à des activités
socioculturelles disponibles localement afin de rompre l’isolement, sans pour autant nier le
besoin parallèle de ces personnes en accompagnement médical. Par conséquent, le texte appelle
urgemment les pouvoirs publics à la reconnaissance du handicap psychique ainsi qu’à une
politique de maintien du lien social, dynamiques prises en compte par le législateur en 2005.
2. Le rapport Piel-Roelandt, acte vers le référentiel de santé mentale :
Parallèlement, face à la demande croissante de soins et d’accompagnement, une
commande récurrente de rapports émane aussi directement des institutions publiques. Ce
62
Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques, Le Livre blanc des partenaires de santé mentale
France. Les Éditions de Santé, 2001, p.1
34
phénomène illustre le processus d’inscription du problème public à l’agenda évoqué par
Padioleau dans le sens où les décideurs s’emparent de la question. Il s’agit notamment du
rapport Demay pour une réforme de la psychiatrie en 1982 et du rapport Cléry-Melin relatif à
la psychiatrie et à la santé mentale publié en 1994, commandés par le Ministère de la Santé.
Néanmoins, nous nous intéressons ici davantage au rapport Piel-Roelandt paru en 2001,
s’inscrivant à la fois dans le contexte du Livre blanc et dans les réflexions préliminaires à la Loi
de 2005. Proposé par le Ministre afin de redéfinir une politique psychiatrique intégrant l’action
sociale, ce rapport de prospective intitulé ‘’De la psychiatrie vers la santé mentale’’ amorce une
rupture importante dans la conception publique de la prise en charge des troubles psychiques63
.
Face à l’augmentation constante du nombre de personnes concernées, ses auteurs font le constat
de l’invisibilisation des troubles psychiques, malgré les doléances des associations émises dans
le Livre blanc. Cette revendication sera également confirmée par le rapport Charzat publié en
2002 pour promouvoir la reconnaissance du handicap psychique.
Dès lors, les Docteurs Piel et Roelandt mettent l’accent sur la lutte contre la
stigmatisation en recommandant de reconnaître la parole et la participation des malades. Cette
dynamique doit s’appuyer sur le renforcement de la représentation des usagers dans le système
de soins mais aussi sur la coopération avec les associations de personnes concernées. De plus,
le rapport porte le principe d’une sectorisation renforcée, basée sur la clôture des unités
psychiatriques fermées et l’implantation des structures dans la cité. Cette recommandation
implique la construction d’une offre de soins territorialisée et le développement du réseau entre
sanitaire, médico-social et social afin d’harmoniser les parcours. Plus généralement, ses auteurs
préconisent un désenclavement urgent de la psychiatrie traditionnelle pour évoluer vers le
référentiel de santé mentale. Les recommandations transmises au Ministère exigent ainsi une
meilleure reconnaissance des besoins de la personne concernée et concluent sur la nécessité
urgente d’une loi-cadre consacrant ces évolutions, rejoignant les doléances des associations.
Dans ces conditions, les acteurs de la société civile ont joué un rôle important dans
l’émergence de ce problème public axé vers la santé mentale, via l’élaboration de rapports
interpellant les autorités publiques. Néanmoins, leur implication n’est pas nécessairement
garante de la primauté de la parole des personnes concernées dans ce processus, puisque ces
dynamiques ont aussi été largement impulsées par les proches et les professionnels.
63
Piel Eric, Roelandt Jean-Luc, De la psychiatrie vers la santé mentale. Extraits du rapport des Dr Eric PIEL et Jean-
Luc ROELANDT. VST - Vie sociale et traitements, 2001/4, p. 9-32.
35
CHAPITRE 3. LES EVOLUTIONS LEGISLATIVES, DE LA
PSYCHIATRIE VERS LA SANTE MENTALE :
D’après Jean-Gustave Padioleau, ‘’l’entrée dans le système formel de décision
politique’’ est la dernière phase qui caractérise le processus d’émergence d’un problème public
après que celui-ci a été labellisé comme tel par les citoyens. Aussi, la reconnaissance des acteurs
associatifs ainsi que leur sollicitation des pouvoirs publics via l’élaboration de rapports a permis
de rendre leurs doléances visibles au début du XXème
siècle. Le rapport Piel-Roelandt,
commandé par le Ministère de la Santé, marque une étape saillante de ce processus dans le sens
où l’Etat se saisit de cette problématique. Ainsi, les revendications de réforme du système
psychiatrique vers un référentiel plus global de santé mentale sont désormais considérées et une
intervention politique est attendue au tournant par les acteurs de la société civile. Nous nous
basons ici sur la définition de la santé mentale au sens de l’OMS comme ‘’un état de complet
bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de
maladie ou d’infirmité’64
’. Dépassant le système psychiatrique traditionnel, ce concept poserait
donc un nouveau paradigme d’action publique s’axant à la fois sur les soins mais aussi plus
largement sur le bien-être de la personne dans son environnement, notamment social.
A. Des avancées vers la reconnaissance des personnes concernées :
Au début des années 2000, un consensus semble d’abord émerger autour d’une
meilleure prise en compte de la parole des personnes concernées, encore largement invisibilisés
dans le système français portant l’héritage du système asilaire.
1. La formation d’un consensus autour de ‘’l’usager’’ 65
:
64
OMS, Santé mentale, sur https://www.who.int/topics/mental_health/fr/ [en ligne], 2020 (consulté le 09 Avril 2020)
65
Nous nous permettons ici l’utilisation du terme d’usager par la suite écarté, mais qui prévalait encore dans le contexte
ici évoqué.
36
D’une part ce consensus se développe initialement sur le terrain avec les revendications
des associations d’usagers pour une meilleure reconnaissance auprès des acteurs impliqués. Le
phénomène est consacré par la publication de la ‘’Charte de l’usager en santé mentale’’ en 2000
à l’initiative de la FNAPSY, ratifiée par la Conférence Nationale des présidents des
commissions médicales d'établissements et le Secrétariat d’Etat à la Santé. Diffusé à toutes les
infrastructures psychiatriques publiques pour être cosigné par les professionnels et les patients,
ce document porte principalement sur le respect des personnes concernées dans leur parcours
de soins. La charte énonce ainsi les principes encadrant la prise en charge des usagers en santé
mentale, à savoir notamment leur considération comme personnes responsables, et leur
implication aux décisions qui les regardent. De plus, la FNAPSY exige l’obligation des
professionnels à informer les patients sur les associations d’usagers, conçues comme un outil
essentiel pour l’intégration et la parole des individus concernés hors du regard soignant. Enfin,
le patient est reconnu comme ‘’une personne citoyenne, actrice à part entière de la politique de
santé’’ puisque la charte revendique sa participation au processus décisionnel, un principe mis
en avant par le Rapport Piel-Roelandt66
. Le texte prévoit également la contribution de l’usager,
basée sur son expérience, aux instances politiques relatives à la santé mentale dans une optique
de ‘’démocratie sanitaire’’.
Dans les faits, la charte replace l’individu concerné au cœur de son parcours de soins et
cela devant les familles, dans la mesure où il doit être considéré par les professionnels comme
l’interlocuteur principal des décisions qui le concernent. Sa portée est d’autant plus symbolique
que les professionnels et pouvoirs publics signataires approuvent également la participation des
associations d’usagers comme acteurs prioritaires, notamment dans le processus d’élaboration
des politiques publiques de santé mentale. Cette Charte ouvre donc une nouvelle dynamique de
reconnaissance des personnes concernées par les professionnels et les autorités publiques, qui
se traduit notamment par la subvention étatique de certaines associations d’usagers.
2. La Loi de 2002, aboutissement du droit des personnes malades :
Néanmoins, le consensus opéré autour des usagers et de leurs revendications est plus
formellement consacré par la promulgation de la Loi ‘’relative aux droits des malades et à la
66
Fnap-psy, Conférence des présidents de CME et de CHS, Secrétariat d’Etat à la Santé et aux handicapés. Charte de
l’usager en santé mentale. Conférence des présidents de CME et de CHS, 2000, p.4
37
qualité du système de santé’’ en 200267
. Elaboré à la suite de concertations préliminaires avec
les acteurs concernés, le texte consacre juridiquement le concept de droit des malades
impliquant certaines évolutions du système de prise en charge.
Plusieurs aspects nous intéressent ici pour comprendre l’évolution de la conception
publique de prise en charge des personnes malades. D’une part, la Loi de 2002 instaure un
principe de solidarité avec les individus en situation de handicap, ouvrant notamment à certains
dispositifs de compensation mis en place par l’Etat. Aussi, c’est dans cette dynamique que
s’inscriront les Groupes d’Entraide Mutuelle axés vers l’empowerment collectif des personnes
concernées. D’une autre part, le texte consacre aussi le principe de démocratie sanitaire, qui
correspond plus concrètement au processus de ‘’participation citoyenne aux politiques de
santé’’ selon Jean-Paul Arveiller et Philippe Tizon68
. Effectivement, si les usagers avaient déjà
acquis une représentation dans les instances de décision grâce à l’action des associations, ils
demandent au cours des années 2000 à être davantage impliqués dans leur propre parcours de
prise en charge. Dès la Loi de 2002, le législateur se saisit partiellement de cette revendication
avec le principe de démocratie sanitaire garantissant les ‘’droits et responsabilités des usagers’’,
mais aussi leur participation ‘’au fonctionnement du système de santé’’. En outre, le texte
responsabilise aussi les professionnels quant à la ‘’qualité du système de santé’’, à qui
incombent des devoirs éthiques d’information des usagers sur les décisions les concernant.
Dans ces conditions, les pouvoirs publics s’inscrivent déjà dans une transition vers le
concept plus global de santé mentale en promouvant la qualité des dispositifs publics
d’accompagnement des personnes malades, cela tout au long de leur parcours. Ainsi, ce
mouvement est évoqué par une psychiatre interrogée lors d’un entretien : ‘’c’est le sens dans
lequel va la règlementation, mais aussi les tendances intellectuelles promouvant la réhabilitation
et la volonté de travailler avec les usagers. Il y a une volonté globale du législateur d’impliquer
les patients dans leur parcours’’69
. Face aux revendications des personnes concernées, la
prérogative de prise en charge des troubles psychiques ne se limite plus aux soins
psychiatriques. L’action publique de santé mentale s’étend désormais au bien-être de l’individu
dans toutes les dimensions de sa vie quotidienne impactées par le trouble.
67
Présidence de la République. LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de
santé (1). JORF du 5 mars 2002 page 4118 texte n° 1.
68
Arveiller Jean-Paul, Tizon Philippe, ‘’Démocratie sanitaire, qu’est-ce à dire ?’’. Pratiques en santé mentale, 2016, p. 2
69
Entretien n°5 – Anonyme (psychiatre), Service ‘’Réhabilitation – Psychiatrie adultes’’ de l’Hôpital psychiatrique de Bohars.
20 Février 2020
38
B. La Loi de 2005 et la reconnaissance publique du handicap psychique :
Néanmoins, il faut attendre la Loi de 2005 impulsée par la mobilisation des associations
d’usagers et de familles pour véritablement marquer le développement de nouvelles réponses
des autorités publiques au problème du handicap psychique70
.
1. Un acte pour ‘’l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées’’ :
Issue d’un processus d’élaboration de longue haleine en partenariat avec les acteurs
associatifs, cette Loi consacre l’impératif de sensibilisation de la société aux enjeux du
handicap, alors que deux millions de Français sont concernés par cette problématique en 200571
.
Si le texte promeut principalement une vision générale de ces questions, l’article 2 importe
davantage dans le cadre de notre réflexion : ‘’constitue un handicap, au sens de la présente loi,
toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son
environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive
d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques’’.
D’une part, puisque cette définition du handicap basée sur les conséquences sociales des
déficiences est particulièrement représentative de la transition législative vers le concept de
santé mentale dépassant la seule politique de soins. D’autre part, puisque l’élargissement des
critères établis dans cette conception acte la reconnaissance inédite du handicap de psychique
par les pouvoirs publics : une ‘’révolution’’ pour le psychiatre Guy Baillon72
.
Dans les faits, cette évolution a été largement impulsée par les doléances des familles et
des personnes concernées exprimées dans les années 2000, quant au manque de dispositifs
publics de réparation des troubles psychiques. Le législateur considère particulièrement les
troubles psychiques graves face auxquels les personnes concernées ne sont pas toujours en
capacité de réclamer l’amélioration de leur condition, alors même que ces différents degrés de
handicap n’ont pas toujours été reconnus. La Loi tient également compte pour la première fois
du handicap comme corollaire des troubles psychiques, nécessitant une prise en charge plus
70
Présidence de la République. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et
la citoyenneté des personnes handicapées (1). JORF n°36 du 12 février 2005 page 2353 texte n° 1.
71
D’après les données annuelles fournies par l’INSEE sur ‘’la population handicapée’’
72
Baillon Guy, « Le contexte », dans : Les usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée. ERES, « Santé mentale
», 2009, p.31
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005
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  • 1. Les dynamiques d’empowerment dans le domaine de la santé mentale : L’opérationnalisation des Groupes d’Entraide Mutuelle à destination des personnes en situation de handicap psychique dans le sillage de la Loi de 2005 Manon FERELLOC-RICHARDSON Mémoire de 4ème année d’études Séminaire ‘’Territoires et Mutations de l’Action Publique’’ Sous la direction de : Marc Rouzeau Année 2019-2020
  • 2. 2 REMERCIEMENTS : L’élaboration de ce mémoire a été rendue possible grâce au concours de plusieurs personnes qui ont contribué à mon travail et à qui je voudrais témoigner ma reconnaissance. Je tiens d’abord à adresser mes remerciements à mon directeur de mémoire Marc Rouzeau, pour ses précieux conseils et son suivi constant tout au long de cette expérience, ainsi qu’à tous les membres du séminaire ‘’Territoires et Mutations de l’Action Publique’’. J’ai également une pensée pour mes proches et ma famille, qui ont su soutenir ma démarche et apporter un regard avisé dans ces circonstances particulières. Je tiens également à manifester toute ma reconnaissance aux groupes d’entraide mutuelle que j’ai rencontrés et qui m’ont fait confiance pour m’aider à concrétiser ce travail. Je pense particulièrement au GEM ‘’Au petit grain’’ à Brest qui a montré beaucoup d’intérêt pour mes recherches et a su m’accueillir de manière bienveillante à plusieurs reprises. Je souhaite enfin remercier tous les acteurs qui ont su susciter mon intérêt pour ce travail et ont accepté de m’accorder de leur temps pour participer à ce travail et qui, j’espère, se reconnaîtront dans ce mémoire.
  • 3. 3 TABLE DES ILLUSTRATIONS : Illustration 1. Evolution du financement des GEM depuis 2005 (source - CNSA).................46 Illustration 2. Répartition des GEM selon la forme juridique du signataire de la convention de parrainage (source - CNSA)..................................................................................................56 Illustration 3. Distance d’accès au GEM en France métropolitaine (source – CNSA d’après les données des ARS) ................................................................................................................60 Illustration 4. Répartition des GEM par type en Bretagne (réalisé d’après psycom.org).........61
  • 4. 4 LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS : ANCREAI Association Nationale des Centres Régionaux d’Etudes, d’Action et d’Information en faveur des personnes en situation de vulnérabilité DGCS Direction Générale de la Cohésion Sociale ARS Agence Régionale de Santé FNAPSY Fédération Nationale des Associations d’usagers en Psychiatrie BIG-PIG [Rencontre] Bénévoles Inter- GEM – Professionnels Inter- GEM GEM Groupe d’Entraide Mutuelle CCOMS Centre Collaborateur de l’OMS HPST [Loi] Hôpital, Patients, Santé, Territoires CEMEA Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active OMS Organisation Mondiale de la Santé CLSM Conseil Local de Santé Mentale PTI Psychothérapie Institutionnelle COPIL Comité de Pilotage PTSM Projet Territorial de Santé Mentale CNIGEM Collectif National Inter-GEM RGPP Révision Générale des Politiques Publiques CNSA Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie SISM Semaine d’Information sur la Santé Mentale DDASS Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales UNAFAM Union Nationale des Amis et Familles de Malades psychiques
  • 5. 5 SOMMAIRE : Remerciements : .................................................................................................................2 Table des illustrations : .......................................................................................................3 Liste des sigles et abréviations : ..........................................................................................4 Sommaire : .........................................................................................................................5 Introduction............................................................................................................................6 Partie I. La conception du handicap psychique, construction ascendante d’un problème public .............................................................................................................................................21 Chapitre 1. Perspective sociohistorique de la problématisation des troubles psychiques : ..21 Chapitre 2. L’impulsion des acteurs de la société civile dans la mise à l’agenda :..............29 Chapitre 3. Les évolutions législatives, de la psychiatrie vers la santé mentale : ................35 Partie II. L’opérationnalisation territorialisée du dispositif, vers un repositionnement des acteurs de la santé mentale....................................................................................................44 Chapitre 1. De la CNSA aux Agences régionales de santé, un pilotage déconcentré : ........45 Chapitre 2. Le référentiel associatif au cœur du dispositif :................................................51 Chapitre 3. Le territoire, cadre d’appropriation de la démarche d’empowerment : .............59 Partie III. Le processus d’empowerment à l’épreuve du terrain : tensions et perspectives d’un objet non identifié.................................................................................................................68 Chapitre 1. La pérennisation des GEM, entre approches ascendantes et descendantes : .....69 Chapitre 2. L’(in)dépendance sous tension, du paradigme d’usager à celui d’adhérent : ....74 Chapitre 3. L’entraide mutuelle, ouverture vers des enjeux nouveaux :..............................80 Conclusion ...........................................................................................................................86 Bibliographie........................................................................................................................89 Annexes ...............................................................................................................................96 Annexe 1. Liste des entretiens :.........................................................................................96 Annexe 2. Grille d’entretien :............................................................................................97 Annexe 3. Extrait du Cahier des charges : .........................................................................99 Annexe 4. Modèle de convention avec l’ARS : ...............................................................100 Table des matières : ........................................................................................................101
  • 6. 6 INTRODUCTION Vers une politique de santé mentale en France : Depuis 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé promeut la santé mentale comme nouveau référentiel du processus d’élaboration des politiques sanitaires. Cette nouveauté se matérialise par la promotion du ‘’Plan d’action global pour la santé mentale’’, qui acte un nouveau paradigme. Par l’intermédiaire de ce programme, l’OMS pose les jalons d’une politique de santé mentale orientée vers une définition positive correspondant au ‘’fondement du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté’’, et non pas simplement à l’absence de troubles mentaux1 . Dans les faits, cette perspective plus intégrative guide aussi la conception prévalant en France, consacrée par la publication du premier ‘’Plan Psychiatrie et Santé mentale’’ en 20052 . Le décideur adopte par ce texte une définition à trois dimensions de la santé mentale, à savoir les troubles psychiatriques, la détresse psychologique réactionnelle et la santé mentale dite positive. Pourtant, cette vision est récente et contraste avec des discours politiques encore latents associant la maladie mentale à la dangerosité, comme en témoigne le regain sécuritaire dans le discours du Président de la République Nicolas Sarkozy à Antony en 20083 . Dans le cas français, une transition du système psychiatrique à une politique de santé mentale plus globale est opérée à partir des années 1960 et se caractérise par plusieurs dynamiques. Cette évolution s’inscrit notamment dans le mouvement de territorialisation de la psychiatrie, opérationnalisé par le découpage de l’offre de soins en secteurs de proximité. Pour autant, la réforme de la politique hospitalière et sanitaire maintient un contrôle étatique prégnant par l’intermédiaire des Agences Régionales de Santé rattachées au pouvoir central. De plus, le 1 OMS, La santé mentale : renforcer notre action, sur https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental- health-strengthening-our-response [en ligne], publié le 30 Mars 2018 (consulté le 09 Mars 2020) 2 Ministère français de la santé et de la protection sociale, Plan Psychiatrie et Santé mentale 2005-2008, 2005, p. 4 3 Déclaration de Mr. Nicolas Sarkozy sur la Réforme de l’hôpital psychiatrique. Antony, 2008 : à la suite d’un homicide commis par un usager des services psychiatriques, le Président avait présenté un ‘’Plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques’’ promouvant les dispositifs d’enfermement.
  • 7. 7 législateur consacre progressivement les personnes concernées comme des acteurs du système de soins en leur concédant un rôle de partenaire, confirmé par la Loi de 2002 relative au droit des malades. Néanmoins, ce nouveau paradigme de santé mentale n’est institutionnalisé qu’en 2001 avec la publication du Rapport ministériel Piel-Roelandt4 , qui préconise la participation des personnes concernées et l’implantation de l’offre de soins dans la cité en rompant avec la psychiatrie d’enfermement. Malgré l’inachèvement de certaines recommandations, ce texte acte l’évolution des représentations concernant les troubles psychiques et aboutit à l’adoption de la Loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées en 2005. Pour la première fois, le concept de handicap psychique bénéficie d’une reconnaissance publique comme conséquence des troubles altérant les capacités de la personne concernée. Concrètement, la loi dispose que ‘’constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant’’. Par cette reconnaissance, le décideur s’empare de la question du handicap psychique qui devient un problème d’ordre public et intègre par là même les prérogatives étatiques. Dans cette optique, les pouvoirs publics se portent garants de l’accès des personnes en situation de handicap à leurs droits et ouvrent à une nouvelle politique de prise en charge du handicap. Aussi, la Loi de 2005 innove et inclut à ces dispositions ‘’le développement des groupes d’entraide mutuelle’’ comme nouvel outil de prévention et de compensation des effets du handicap psychique. L’émergence du problème public : Le concept d’entraide mutuelle, qui est inédit dans l’action publique de santé mentale, n’est pas créé ex-nihilo en 2005 mais en réponse à des besoins sociétaux rendus visibles par un processus complexe. Aussi, la genèse de l’entraide mutuelle peut être rattachée en France au courant de la Psychothérapie institutionnelle, qui émerge après que la Seconde Guerre Mondiale a révélé les limites de l’enfermement des malades dans les asiles. Avec l’idée de renouveler les relations entre soignants et patients, ce mouvement se base sur la dynamique de groupe afin de responsabiliser les personnes concernées entre elles tout en impliquant les professionnels5 . La 4 Piel Eric, Roelandt Jean-Luc, De la psychiatrie vers la santé mentale. 2001, p. 21-82 5 Oury Jean, ‘’Psychanalyse, psychiatrie et psychothérapie institutionnelles’’. VST - Vie sociale et traitements, 2007, p. 110-125
  • 8. 8 PTI se développe dans l’enceinte des structures psychiatriques grâce à l’engagement de psychiatres et d’intellectuels militants, et s’appuie sur le développement de clubs ‘’thérapeutiques’’. Les clubs constituent un outil important de ce courant dans le sens où ils emploient une forme associative qui encourage les initiatives des patients hors du contrôle institutionnel. Parallèlement et dans la lignée de ces mouvances, la psychiatrie est réformée dès les années 1960 par la politique de sectorisation qui acte la transition d’une logique hospitalo- centrée vers l’intégration des parcours de soins dans la cité, amenant aussi au déploiement de structures extrahospitaliers. Plus globalement, ces évolutions témoignent d’un mouvement de fond de reconnaissance des personnes concernées en santé mentale, vers davantage de considération des savoirs du patient basés sur son expérience dans le parcours de soins. Aussi, la sectorisation s’accompagne d’une volonté d’association des patients aux décisions qui les concernent, notamment via l’inclusion de représentants d’usagers dans l’élaboration des politiques de santé. Cette tendance générale n’est pas propre au domaine sanitaire et marque l’avènement de l’injonction à la participation citoyenne dans les démocraties contemporaines. Loïc Blondiaux et Yves Sintomer parlent ainsi du nouveau référentiel de ‘’l’impératif délibératif’’ comme étant l’implication récurrente d’acteurs pluriels dans le travail d’élaboration des politiques publiques6 . S’agissant de la psychiatrie, des revendications de participation émergent à la fin du XXème siècle grâce à la montée en puissance des associations d’usagers et de familles qui militent pour une meilleure considération des malades. La FNAPSY, l’UNAFAM et la Croix- Marine, en première ligne, soutiennent alors déjà l’élargissement des dispositifs de prise en charge ‘’hors les murs’’ pour pallier les défaillances de la psychiatrie. Du fait de leur organisation collective, ces associations bénéficient déjà d’une certaine visibilité auprès des décideurs. C’est dans ce contexte d’effervescence que ces acteurs s’unissent en 2001 pour publier le Livre blanc des partenaires de Santé mentale en France, interpellant les décideurs pour un meilleur accompagnement des personnes concernées au-delà des structures hospitalières. Face à l’urgence des associations de familles et de proches, plusieurs rapports sont commandités par les pouvoirs publics et mettent en exergue les besoins de reconnaissance et d’accompagnement des populations en situation de handicap psychique7 . Les recommandations émises à l’attention des Ministères de la Santé et du Handicap s’attachent particulièrement à la nécessité de maintenir le lien social et préconisent la généralisation de 6 Blondiaux Loïc, Sintomer Yves, ‘’L'impératif délibératif’’. Rue Descartes, 2009, p. 28 7 Rapport Piel-Roelandt (2001), Rapport Charzat (2002)
  • 9. 9 dispositifs tels les clubs. Sous l’impulsion des associations et de ces positions transmises au décideur, les revendications relatives à l’accompagnement des troubles psychiques seront ainsi prises en compte dans la Loi de 2005. Dans une approche plus théorique, ce processus de construction du problème public porté par les acteurs de la santé mentale peut être analysé à travers le prisme du concept de mise à l’agenda, au sens de Jean-Gustave Padioleau. Aussi, l’agenda public est défini comme comprenant ‘‘l’ensemble des problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou plusieurs décisions’’8 . Ce processus de prise en compte se caractérise par la mobilisation des acteurs concernés pour faire valoir une situation considérée anormale comme un problème relevant des compétences des pouvoirs publics. Dans cette perspective, il est important d’appréhender les GEM en amont de leur création en 2005, qui résulte d’une démarche collective de problématisation de la santé mentale portée par les acteurs de la société civile. L’entraide mutuelle, une innovation dans l’action publique de santé mentale : La loi ‘’pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées’’ est promulguée le 11 février 2005 par le Gouvernement Raffarin. Répondant aux demandes sociales précédemment évoquées, le texte est voulu novateur en mentionnant la notion de handicap psychique, qui n’était jusqu’alors pas reconnue par les pouvoirs publics. Plus précisément, le législateur consacre les principes de prévention et de compensation des effets du handicap sur la vie des personnes concernées, auxquels répondent les ‘’groupes d’entraide mutuelle’’ s’agissant du handicap psychique9 . Si le texte de loi demeure très général, ce nouveau dispositif est règlementé et plus précisément défini dans un cahier des charges régulièrement réactualisé par les autorités publiques. Aussi, les GEM sont rattachés à la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie qui précise leur définition en tant que ‘’outil d’insertion dans la cité, de lutte contre l’isolement et de prévention de l’exclusion sociale de personnes en grande vulnérabilité’’10 . Ces groupes s’appuient sur le concept de l’entraide mutuelle qui s’apparente à des ‘’activités organisées 8 Padioleau Jean-Gustave, L’État au concret. Presses Universitaires de France, 1982, p. 25 9 Présidence de la République. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (1). JORF n°36 du 12 février 2005 page 2353 texte n° 1.. 10 Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Les GEM : Groupes d’Entraide Mutuelle, Les Cahiers pédagogiques, 2019, p.4
  • 10. 10 collectivement par des personnes qui sont appelées usagers […] parce qu’elles sont par ailleurs ou ont été utilisatrices de services psychiatriques, médico-sociaux ou sociaux’’11 . Plus concrètement, les GEM sont des lieux de socialisation basés sur des activités collectives à destination de personnes en situation de handicap, mais stabilisées12 . L’objectif fondateur est de reconstruire le lien social et d’appuyer la participation de ce public à la vie citoyenne. L’un des points de rupture de ce dispositif est son indépendance du milieu médical, puisque l’entièreté de la démarche doit reposer sur l’autodétermination des adhérents. De ce fait, les pouvoirs publics conditionnent l’émancipation des personnes concernées à un processus d’entraide autonome. Dans cette optique, le cahier des charges stipule l’obligation pour les groupes de se constituer en association afin de responsabiliser les personnes concernées par un fonctionnement autogéré. Les GEM sont donc règlementés par la Loi 1901, mais sont également soumis à un conventionnement public ouvrant aux subventions des ARS, destinées à financer un local ou des animateurs. Aussi, ces groupes demeurent partie intégrante de la politique publique de santé mentale au sens des règlementations et financements assurant leur pérennité, mais s’inscrivant dans un statut associatif nécessaire à la démarche de responsabilisation. Plus globalement, cet équilibre hybride s’inscrit dans un processus complexe d’institutionnalisation articulé entre des cadrages publics descendants et les initiatives associatives ascendantes. Il est alors opportun d’effectuer un détour préliminaire par la sociologie des institutions pour appréhender les enjeux propres aux Groupes d’Entraide Mutuelle. Effectivement, les sciences sociales développent des définitions assez hétérogènes de l’institution, allant de visions assez fixes à des perspectives plus processuelles : ce sont ces dynamiques institutionnalisantes qui nous intéressent ici. Aussi, Virginie Tournay comprend l’institution comme un ‘’processus tendant momentanément vers une plus grande stabilisation des pratiques et des normes’’13 . Cette conception est pertinente dans le cas des GEM, puisque ces groupes se structurent entre les règles émises par l’Etat et leur appropriation par les acteurs sur le terrain. Ce phénomène d’institutionnalisation ascendante est placé au cœur du dispositif afin de donner la possibilité au public visé de prendre des initiatives et de fixer son propre 11 Leroy, Florence, Martine Dutoit, et Claude Deutsch, ‘’Vous avez dit : « Entraide mutuelle » ?’’ VST - Vie sociale et traitements, 2011, p. 107 12 Nous nous concentrerons ici sur les GEM à destination des personnes en situation de handicap psychique qui sont les plus anciens et les plus nombreux, même si il existe aussi de nouveaux groupes spécialisés pour les publics autistes ou traumatisés crâniens. 13 « Introduction », dans : Virginie Tournay éd., Sociologie des institutions. Presses Universitaires de France, 2011, p. 3-8.
  • 11. 11 fonctionnement. Selon Jacques Papay et Myriam Hajjar, le déploiement de ces groupes implique alors d’accepter un fonctionnement hybride entre des ‘’formes institutionnalisées’’ et des ‘’processus plus informels’’14 . Au contraire, les GEM ne devraient pas être considérés comme un objet institué par l’Etat et s’imposant comme tel aux personnes concernées. Alors qu’ils sont justement porteurs d’une nouvelle dynamique de responsabilisation, ces groupes ne seraient sinon en rien innovants vis-à-vis des institutions de prise en charge déjà encadrées par les autorités publiques. Définition des concepts utilisés : L’étude des groupes d’entraide mutuelle implique l’utilisation de notions spécifiques qui doivent être délimitées, à la fois dans une optique de rigueur scientifique mais surtout car ils témoignent d’un processus de négociation entre les différents acteurs. D’emblée, il faut rappeler que les GEM s’adressent à des personnes présentant un ‘’handicap résultant de troubles psychiques, d’un traumatisme crânien ou de toute autre lésion cérébrale acquise, d’un trouble du spectre de l’autisme ou autre trouble du neuro-développement’’, bien qu’aucune vérification médicale ne soit exigée15 . Nous nous concentrerons dans cette étude sur les groupes consacrés au handicap psychique actuellement majoritaires, puisqu’ils concernent 74,3 %16 du public accueilli par ces collectifs. S’agissant de la reconnaissance actée par la Loi de 2005, il est important de noter que la législation française distingue depuis les années 2000 le handicap psychique, relatif aux troubles des fonctions psychiques, du handicap mental17 . De plus, l’utilisation du terme de situations de handicap est préférée à celui de personnes handicapées, dans le sens où le handicap relève de contextes différenciés de l’individu qu’il est nécessaire de prendre en considération dans une perspective globale de santé mentale. Dans les faits, le handicap implique pour les personnes concernées un désavantage, notamment social, que les politiques publiques ne s’attachent plus seulement à prendre en charge mais également à prévenir et compenser depuis 2005. Les GEM s’inscrivent ainsi dans 14 Papay Jacques, Hajjar Meriem, ‘’Les GEM entre l'entraide et le risque de l'institutionnalisation’’. Vie sociale, 2012 p. 199 15 Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Les GEM : Groupes d’Entraide Mutuelle, Les Cahiers pédagogiques, 2019, p.4 16 Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. Bilan d’activité des Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) Année 2018. 2019, p. 11 17 Charzat Michel. Rapport à Madame Ségolène ROYAL Ministre Déléguée à la Famille, A l’Enfance et aux personnes Handicapées « Pour mieux identifier les difficultés des personnes en situation de handicap du fait de troubles psychiques et les moyens d’améliorer leur vie et celle de leurs proches ». 2002, p.26
  • 12. 12 une démarche proactive afin de limiter les déficits en lien social induits par le handicap, cela en plaçant leurs membres au cœur d’un processus d’empowerment. Ce mouvement complexe, qui englobe des dynamiques plus larges que celles de la santé, nécessite un détour théorique que nous appuierons sur les travaux de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener. Si il n’existe pas de traduction exacte du concept seul, il peut être délimité comme un processus autonome d’accès au pouvoir des populations dominées. Bacqué et Biewener associent ainsi l’empowerment à ‘’une démarche d’autoréalisation et d’émancipation des individus, de reconnaissance des groupes ou des communautés et de transformation sociale’’18 . En France, ce mouvement s’est d’abord intégré en santé avec l’action des groupes des Alcooliques Anonymes et des collectifs de personnes séropositives. Il s’étend également à la santé mentale avec l’imposition des associations représentantes d’usagers dans le processus de décision, aujourd’hui principalement rassemblées par la FNAPSY. Ce concept s’applique donc à la fois au mouvement de participation des personnes concernées mais aussi plus précisément à la démarche développée par les GEM. Ainsi, la CNSA s’est emparée de la notion d’empowerment en tant que principe fondateur, qu’elle définit comme ‘’l’accroissement de la capacité d’agir de la personne malade via le développement de son autonomie, la prise en compte de son avenir et sa participation aux décisions la concernant’’19 . Par ailleurs, la littérature relative aux GEM déploie également la traduction française de développement du ‘’pouvoir d’agir’’, proposée par Yann Le Bossé plus indépendamment de cet historique militant et qui peut être utilisée dans un sens moins politisé20 . S’agissant de la définition de la population concernée, l’appellation d’usager est récurrente pour désigner toute personne ayant utilisé les services de soins. Ce terme est notamment développé dans les travaux de Pierre Lascoumes portant sur la relation d’usage en santé. Dans cette optique, l’usager correspond à une conception renouvelée du terme plus traditionnel de patient, à savoir ‘’celui qui souffre et donc demande une aide extérieure’’ selon Lascoumes21 . Néanmoins, le glissement sémantique réside davantage dans l’évolution dans laquelle s’inscrit le vocable d’usager, impliquant une transition de l’individu passif vers un acteur impliqué dans son parcours de soins. Pierre Lascoumes inscrit la figure de l’usager dans 18 Bacqué Marie-Hélène, Biewener Carole, L’empowerment, une pratique émancipatrice ? La Découverte, 2015, p. 6 19 Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Les GEM : Groupes d’Entraide Mutuelle, Les Cahiers pédagogiques, 2019, p.6 20 Le Bossé Yann, ‘’Introduction à l’intervention centrée sur le pouvoir d’agir’’. Cahiers de la recherche en éducation, 2007, p. 349–370. https://doi.org/10.7202/1017126ar 21 Lascoumes Pierre. ‘’L'usager dans le système de santé : réformateur social ou fiction utile ?’’ Politiques et management public, 2007, p. 130
  • 13. 13 une dynamique participative du système de santé, toutefois nuancée par la variabilité des degrés d’implication. En 2002, cette perspective est formalisée avec la ‘’Charte de l’usager en santé mentale’’ cosignée par les associations d’usagers et de familles et les pouvoirs publics pour la reconnaissance des usagers. Aussi, le terme d’usager est largement utilisé en santé mentale s’agissant des personnes ayant eu recours à l’offre de prise en charge, qui inclut les infrastructures médicales, médico-sociales mais aussi sociales. C’est à ce public, quand il est stabilisé et qu’il n’est plus hospitalisé, que s’adressent les Groupes d’Entraide Mutuelle. Pour autant, cette notion ne sera pas employée pour caractériser la démarche ici étudiée. D’une part, puisque ce terme a fait l’objet d’importants débats théoriques qui remettent aujourd’hui en question son utilisation, pouvant induire une stigmatisation sociale des personnes concernées. Cette problématique est notamment abordée dans les travaux de Marcel Jaeger, qui évoque les risques de la catégorisation pouvant limiter la visibilité des spécificités des personnes concernées et donc leur reconnaissance22 . Ces questionnements amèneraient donc un déplacement du paradigme d’usager à celui de citoyen, qui correspond davantage à la philosophie des GEM. D’une autre part, cette précision est importante puisque la relation d’usage est corollaire de l’utilisation des services de soins. Dans cet esprit d’empowerment, les groupes ont au contraire pour objectif de s’extraire du regard soignant : le cahier des charges précise qu’ils ‘’n’ont pas pour mission la prise en charge des personnes’’23 . Afin d’entériner cette distinction, le texte dispose que : ‘’dans un souci de lisibilité et de distinction avec les services ou établissements médico-sociaux, le mot « usager » n'est pas retenu ; le GEM n'étant pas par définition une structure médico-sociale. Les termes « membres » et « adhérents » sont donc utilisés, « membre » renvoyant à toute personne venant au GEM, « adhérent » aux personnes ayant validé leur adhésion à l'association constitutive du GEM’’. Puisqu’il n’est pas question ici d’accompagnement médical, nous nous conformerons à l’appellation officielle d’adhérent qui se rapporte plus strictement aux personnes ayant intégré le GEM sans relation de prise en charge. De plus, dans cette optique d’empowerment, les groupes reposent sur un fonctionnement d’entraide mutuelle relativement novateur, et donc encore peu théorisé dans le domaine de la santé mentale. Effectivement, la CNSA pose ce concept comme principe fondateur des GEM 22 Jaeger Marcel. Usagers ou citoyens ? De l'usage des catégories en action sociale et médico-sociale. Dunod, 2011, p.1-6, p. 255-259 23 Ministère des affaires sociales et de la santé. Arrêté du 27 juin 2019 fixant le cahier des charges des groupes d'entraide mutuelle en application de l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des familles. JORF n°0168 du 21 juillet 2019 texte n° 2
  • 14. 14 bien qu’il soit très peu déployé en dehors de ce seul dispositif. Aussi, seul l’arrêté fixant le cahier des charges définit formellement l’entraide mutuelle : ‘’un collectif de personnes concernées par des problématiques de santé ou des situations de handicap similaires et souhaitant se soutenir mutuellement dans les difficultés éventuellement rencontrées’’24 . Il est néanmoins possible d’observer quelques développements prometteurs de cette notion dans la littérature récente et spécifiquement concentrée sur la question des GEM. Dans l’un de ses articles, Martine Dutoit conçoit ainsi l’entraide comme une construction sociale qu’il est indispensable de déconstruire. Effectivement, l’aide introduit une relation inégale entre l’aidant et l’aidé, or l’entraide induit justement un rééquilibrage de ce rapport25 . L’entraide mutuelle y est donc considérée comme un nouveau mode de coopération sociale, au sein duquel les acteurs sont interdépendants et entretiennent une relation réciproque. Pour autant, la documentation produite par la CNSA ne s’appuie pas uniquement sur cette notion encore nouvelle, mais également sur toute une palette d’équivalences sémantiques potentielles, notamment la notion de pair-aidance. D’après Patrick Le Cardinal, Jean-Luc Roelandt, Florentina Rafael et al., elle s’articule avec le principe de rétablissement utilisé en santé mentale pour caractériser la reprise en main des personnes concernées sur leur parcours de soin et de vie26 . Ainsi, la pair-aidance émerge dans l’esprit des groupes d’anciens buveurs nés aux Etats-Unis dès le XIXème siècle, puis s’étend à la psychiatrie avec le mouvement de reconnaissance des usagers des années 1980. Ces courants s’exportent ensuite en Europe en lien avec les dynamiques d’empowerment : la pair-aidance se développe plus particulièrement en France par l’intégration de patients rétablis dans les équipes de soins27 . Les GEM innovent néanmoins en réunissant des pairs autonomes hors du milieu soignant, et se rapprochent donc davantage de la genèse de la pair-aidance dans les groupes d’entraide que des tendances actuelles. Les principes du rétablissement sont également prégnants dans la philosophie des Groupes d’Entraide Mutuelle promue par la CNSA : ‘’la pair-aidance va redonner espoir à la personne. Elle va l’aider à reprendre le contrôle de sa vie, à croire en ses propres compétences 24 Ministère des affaires sociales et de la santé. Arrêté du 27 juin 2019 fixant le cahier des charges des groupes d'entraide mutuelle en application de l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des familles. JORF n°0168 du 21 juillet 2019 texte n° 2 25 Dutoit Martine, ‘’Une autre idée de la coopération : l'exemple des groupes d'entraide mutuelle’’. Vie sociale, 2010, p. 166 26 Le Cardinal Patrick, Roelandt Jean-Luc, Rafael Florentina et al., ‘’Pratiques orientées vers le rétablissement et pair- aidance : historique, études et perspectives’’. L'information psychiatrique, 2013, pp. 365-366. 27 Cloutier Guylaine, Maugiron Philippe, ‘’La pair aidance en santé mentale : l’expérience québécoise et française’’. L'information psychiatrique, 2016, p. 755
  • 15. 15 et capacités’’. Néanmoins, il est important de comprendre que ces concepts s’inscrivent dans des mouvances militantes et ne sont donc ni objectivés ni fixés dans la définition des GEM, mais simplement réappropriés par certains acteurs. Enfin, le concept d’autosupport est également exploité pour caractériser l’entraide mutuelle en santé mentale, dans la littérature relative aux groupes spécifiquement français28 . Dans tous les cas, l’hétérogénéité des termes employés pour définir la philosophie de ces collectifs témoigne bien de la diversité des sources théoriques ayant inspiré le dispositif, mais aussi de son caractère fortement novateur encore peu fixé par la littérature. Pistes de réflexion : D’emblée, le paradoxe réside dans la dynamique propre aux GEM qui repose sur un fonctionnement autonome et limitant les interférences extérieures, tout en maintenant l’encadrement nécessaire à préserver un public vulnérable de possibles dérives. Ce positionnement subtil est caractérisé par l’institutionnalisation hybride du dispositif, impliquant une réglementation étatique suffisamment protectrice mais assez souple pour ne pas retomber dans une logique de prise en charge. Ainsi, les GEM opposent une démarche d’autogestion ancrée dans le statut associatif à l’obligation de parrainage et autres indications du cahier des charges visant à accompagner les personnes concernées. Dans ces conditions, la Loi de 2005 et les précisions qui en suivent incarnent cette dialectique entre deux termes antinomiques, puisque les textes règlementaires sont instituants mais volontairement assez informels pour garantir leur appropriation par le public visé. Néanmoins, les personnes concernées sont parfois en difficulté face aux responsabilités impliquées par le dispositif, entraînant ainsi une intervention régulière des décideurs dans le cahier des charges pour pallier ces dysfonctionnements. Plus concrètement, les GEM sont considérés par certains acteurs comme le marqueur d’un repositionnement de l’Etat dans le domaine de la santé mentale, notamment face au fonctionnement déconcentré de leur pilotage. Dans les dernières années, ce mouvement de déconcentration a été particulièrement prégnant dans l’action publique de santé. Cette dynamique est ainsi définie comme ‘’un transfert de pouvoir, au sein des administrations de 28 Girard Vincent, ‘’Dossier n° 13 – Autosupport en santé mentale en France’’. Bulletin Amades 75, 2008
  • 16. 16 l’État, entre les ministères et ses échelons locaux’’ plus proches des personnes concernées29 . S’agissant des groupes d’entraide mutuelle, le Ministère de la Santé délègue effectivement le pilotage du dispositif aux Agences Régionales de Santé inscrites dans cette démarche de territorialisation. Pour autant, ces prérogatives ne sont pas exhaustivement règlementées et le rapport des agences avec les groupes qu’elles supervisent s’avère assez hétérogène à travers le territoire. En outre, le niveau régional des ARS limite la proximité avec les GEM et le lien n’est assuré au plus près que par les référents départementaux. Les groupes rencontrés ne mentionnent ainsi que des relations très peu étroites avec ces agences qui sont souvent résumées à leur rôle de financeur par les personnes concernées30 31 . Face à cette distance, les collectivités locales sont également sollicitées afin d’engager un partenariat avec les GEM sans pour autant qu’elles ne disposent de la compétence politique en santé mentale, et cette relation demeure donc assez disparate. La question d’un rapport distendu aux pouvoirs publics s’inscrit aussi dans la prise de rôle des acteurs associatifs incitée par l’Etat et parfois dénoncée comme une instrumentalisation palliant les manques du service public. Bien que ces groupes soient règlementés a priori par le décideur, le rôle de parrainage des GEM doit être rempli sur le terrain par les associations, notamment d’usagers et de familles. De plus, la contrainte de constitution de ces collectifs en association constitue également un outil restreignant les interférences des pouvoirs publics a posteriori dans leur fonctionnement. Néanmoins, c’est aussi parce que ces associations ont acquis une légitimité basée sur l’expérience dans le processus d’élaboration des politiques publiques qu’elles sont aujourd’hui sollicitées. Pour Madeleine Monceau et Sabine Visintainer, les associations d’usagers sont désormais reconnues ‘’en tant qu’acteurs’’32 . De plus, dans le cas de l’entraide mutuelle, les interférences des pouvoirs publics sont justement limitées pour favoriser l’empowerment des personnes concernées et il n’est donc pas non plus question d’un désengagement étatique. Toutefois, la pérennité des groupes d’entraide mutuelle comme dispositif d’action publique est aujourd’hui d’autant plus questionnée qu’il n’existe pas de processus d’évaluation 29 « Déconcentration », dans : Dictionnaire de l’organisation sanitaire et médico-sociale. sous la direction de Tuffreau François. Presses de l’EHESP, 2013, p. 177. 30 Entretien n°1 – Anonymes (Animatrice, personnes adhérentes), Groupe d’Entraide Mutuelle La Boussole à Brest. 01 Novembre 2019 31 Entretien n°2 – Anonymes (Animatrice, personnes adhérentes), Groupe d’Entraide Mutuelle Au Petit Grain à Brest. 27 Décembre 2019 32 Monceau Madeleine, Visintainer Sabine, « Le mouvement des usagers en santé mentale : introduction et repères», dans : Jean Furtos éd., La santé mentale en actes. ERES, 2005, p. 274
  • 17. 17 institutionnalisé de l’utilisation de la subvention allouée par l’Etat. Pourtant, un Comité de suivi mixte constitué d’organismes publics et d’associations d’usagers-familles est prévu, mais cet organe travaille davantage sur la continuité de l’opérationnalisation des GEM plutôt que sur l’appréciation de leurs impacts. De plus, la CNSA publie uniquement des bilans annuels très factuels mais a commandité une étude qualitative des effets du dispositif sur les adhérents auprès de l’Association Nationale des CREAI en 2017. Globalement, il n’existe pas d’évaluation quantifiable des résultats générés par les groupes et certains acteurs associatifs ont donc lancé leurs propres procédures d’autoévaluation. Parallèlement, ce repositionnement étatique est pourtant nuancé par le maintien d’un pilotage étatique centralisé des politiques de santé mentale et un fonctionnement encore relativement hospitalo-centré. Ainsi, ce dispositif innovant est parfois mal identifié par le corps soignant et son impératif d’émancipation du milieu médical peut être maladroitement interprété comme une vitrine cachant le manque de places et les défaillances en psychiatrie. Du point de vue de l’une des bénévoles de l’UNAFAM interrogées, les GEM ne doivent pas remplacer la prise en charge des usagers mais en être complémentaires33 . Face à ces tensions, des failles peuvent être soulevées dans le parcours des usagers du fait d’un cloisonnement encore prégnant entre les structures de soins et ce dispositif intermédiaire, parfois critiqué par les soignants comme un manque d’accompagnement des personnes concernées. Responsable d’une filière de réhabilitation psychosociale en hôpital, l’une des professionnelles rencontrées évoque des groupes d’entraide mutuelle assez mal identifiés dans le milieu psychiatrique, ce qui alimente la mécompréhension du dispositif34 . Finalement, se pose aussi la question de l’information des adhérents parfois déstabilisés par ces responsabilités, pouvant amener des risques de dérives. S’agissant de ce mode de supervision minimal, le législateur est formel sur la nécessité d’émanciper les GEM du contrôle professionnel malgré les difficultés d’adaptation que cela peut entraîner. Justement, la protection des adhérents implique aussi de délimiter rigoureusement le rôle des acteurs qui les accompagnent afin de ne pas retomber dans une logique assistancielle comme le prévient le CNIGEM35 . Il s’agit surtout du positionnement des organismes parrains et gestionnaires qui 33 Entretien n°9 - Anonyme (bénévole référente), L’Union Nationale des Familles et Amis de Malades 35, association parraine de Groupes d’Entraide Mutuelle. 23 Mars 2020 34 Entretien n°5 – Anonyme (psychiatre), Service ‘’Réhabilitation – Psychiatrie adultes’’ de l’Hôpital psychiatrique de Bohars. 20 Février 2020 35 Collectif national Inter-GEM. Le cahier des charges 2019 des Groupes d’Entraide Mutuelle : ‘’Quoi de neuf ? Le point de vue du CNIGEM’’. CNIGEM, 2019
  • 18. 18 doivent se limiter à une place de tiers dans le fonctionnement des groupes afin de se prévenir de toute dynamique de tutellisation. Pourtant, certains groupes peu autonomes sont encore largement appuyés sur l’association parraine ou les autres partenaires qui ont une emprise importante, contrairement à leurs objectifs. L’autogestion est donc un atout pour aller vers une responsabilisation des adhérents mais constitue aussi un véritable défi pour ces personnes en difficulté. S’ajoutant à la nouveauté du dispositif, cela peut déstabiliser les acteurs impliqués et mener à une mauvaise compréhension de la démarche : c’est l’un des enjeux principaux de l’entraide mutuelle. Enfin, toute la complexité du dispositif réside dans l’impératif de compensation de la vie sociale et de la citoyenneté matérialisé par des groupes pourtant basés sur l’entre-soi. En plus de complexifier leur ouverture, cette caractéristique rend plus difficile l’objectif de destigmatisation des adhérents. Ce fonctionnement est donc à double-tranchant puisqu’il pourrait aussi maintenir les groupes dans l’environnement de la maladie plus que dans une démarche d’ouverture, une problématique d’autant plus sensible que leur pilotage par l’ARS les associe symboliquement au milieu sanitaire. Ces incohérences inquiètent particulièrement les associations d’usagers, qui dénoncent le risque de voir les GEM se rapprocher des institutions classiques de prise en charge, plutôt que de constituer un véritable exercice de citoyen comme il était ambitionné initialement36 . Ces doléances constituent aussi un point saillant de l’entraide mutuelle puisque les adhérents interrogés sont généralement satisfaits des groupes qui constituent pour eux une révolution. Finalement, les dysfonctionnements relatifs aux GEM sont davantage mis en exergue par les associations militantes externes aux groupes plus que par les personnes concernées elles-mêmes, complexifiant d’autant plus ces jeux d’acteurs. Par conséquent, les questionnements relatifs au positionnement innovant et complexe des GEM font émerger la problématique suivante. L’empowerment en santé mentale à travers le prisme des Groupes d’Entraide Mutuelle : quels enjeux entre la matérialisation d’un dispositif autogéré et son appropriation par un public considéré comme dépendant ? 36 Deutsch Claude, « Cahier de doléances d’Advocacy-France concernant les GEM », dans : Guy Boucher éd., La Participation. Les GEM, un modèle exemplaire. Champ social, 2015, p. 129-150.
  • 19. 19 Hypothèses de recherche : Dans ces conditions, les apports théoriques évoqués autour du concept d’entraide mutuelle et ces réflexions sur la reconnaissance des personnes concernées dans le maillage des acteurs de la santé mentale permettent de développer trois hypothèses principales qui vont structurer ce travail : Les Groupes d’Entraide Mutuelle répondraient à un mouvement de fond de la psychiatrie vers la santé mentale opéré ces dernières décennies : Les GEM s’inscriraient dans la transition opérée en France vers le référentiel de santé mentale, se traduisant par l’élargissement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap au-delà des structures de soins. Cette évolution se rapporterait à la mouvance plus globale d’empowerment qui permet aux personnes concernées de dépasser la passivité de la prise en charge en se réappropriant leur parcours et en accédant à la citoyenneté. Les GEM s’intégreraient donc cette dynamique en s’extrayant du contrôle soignant, dans une transition de relations d’aide à des relations d’entraide entre pairs. Le pilotage du dispositif s’inscrirait dans une logique de repositionnement des acteurs de la santé mentale : Les mutations de l’Etat dans le domaine de la santé mentale se traduiraient notamment par une démarche de déconcentration s’agissant du pilotage des GEM délégué aux Agences Régionales de Santé. Effectivement, ce fonctionnement permet de responsabiliser les adhérents des groupes qui sont encadrés par une règlementation minimale mais doivent se constituer en association autogérée. Ce repositionnement laisserait donc plus de marge de manœuvre aux acteurs associatifs qui deviennent centraux en santé mentale et sont aussi incités à accompagner les GEM. Néanmoins, ce phénomène suscite également des craintes quant à l’instrumentalisation du dispositif et pourrait complexifier son organisation. Sur le terrain, les Groupes d’Entraide Mutuelle feraient figure d’objet non identifié dans le domaine de la santé mentale : Plusieurs éléments montrent que les GEM sont un dispositif relativement novateur, d’abord parce qu’ils s’inscrivent dans une reconnaissance inédite du handicap psychique, à la fois
  • 20. 20 comme un moyen de prévention des troubles mais aussi de compensation de leurs effets. Ensuite, ces groupes sont notamment développés face aux difficultés d’accompagnement des personnes malades dans la cité, et constituent donc un système hybride qui ne relève ni du milieu médical ni du milieu social, puisque ce sont des associations indépendantes. Cette perspective inédite est l’un des atouts du dispositif mais en pourrait aussi impliquer des dynamiques contre-productives sur le terrain en déstabilisant les acteurs impliqués. Afin d’apporter des éléments de réponse à ces hypothèses, nous nous appuierons sur des entretiens semi-directifs menés auprès des acteurs en relation avec les groupes, et sur un contact récurrent établi avec les GEM dans un objectif d’observation du terrain37 . Ces réflexions se baseront plus précisément sur l’exemple du territoire breton au sein duquel coexistent actuellement 25 associations d’entraide mutuelle consacrées au handicap psychique38 , avec une attention particulière sur les métropoles de Brest et de Rennes dont les dynamiques réticulaires et partenariales sont plus importantes. Annonce du plan : Ces différentes hypothèses structureront les réflexions développées dans ce travail. La première partie portera sur le processus de construction du problème public et le rôle qu’y a joué la société civile, aboutissant sur l’intervention du législateur en 2005 (I). Il s’agira dans un second temps d’étudier les implications du fonctionnement concret des GEM sur le territoire, afin de comprendre le repositionnement des acteurs impliqués (II). Enfin, la troisième partie sera consacrée aux tensions et perspectives qui émergent depuis l’opérationnalisation du dispositif et questionnent le modèle d’entraide mutuelle (III). 37 Voir Annexe 1. Liste des entretiens ; et Annexe 2. Grille d’entretien 38 Psycom, Carte des GEM, sur http://www.psycom.org/Ou-s-adresser/Entraide/Groupes-d-entraide-mutuelle/Carte-des- GEM [en ligne], (consulté le 28 Mars 2020)
  • 21. 21 PARTIE I. LA CONCEPTION DU HANDICAP PSYCHIQUE, CONSTRUCTION ASCENDANTE D’UN PROBLEME PUBLIC Développée par Philippe Garraud, la notion d’émergence des problèmes publics implique un processus social de qualification d’un fait en problème, qui par là même conditionne sa définition39 . Dans ces conditions, les problèmes publics ne sont en aucun cas naturels mais résultent d’une construction sociale. Ce constat s’applique aux troubles psychiques, et plus globalement à la santé mentale, qui n’a pas toujours appelé à une intervention publique voire n’a pas toujours été problématisée. Il est donc indispensable d’appréhender la vision sociale de la maladie et la place des personnes concernées dans la société afin de comprendre la genèse des Groupes d’Entraide Mutuelle. Ainsi, la description des GEM proposée par Guy Boucher illustre particulièrement la nécessité d’une telle réflexion sociétale : ‘’Ce ne sont pas des vases clos, mais des ponts qui se jettent de la rive du handicap vers celle de la société « normale »’’40 . Il s’agira dans cette première partie de comprendre le rapport entre troubles psychiques et dimension sociétale afin de mieux en discerner les mutations, qui déboucheront sur la Loi de 2005. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une démarche sociohistorique afin de saisir le rôle de la société civile dans l’évolution de la considération du problème par les décideurs. CHAPITRE 1. PERSPECTIVE SOCIOHISTORIQUE DE LA PROBLEMATISATION DES TROUBLES PSYCHIQUES : 39 Philippe Garraud, ‘’Politiques nationales : l’élaboration de l’agenda’’. L'année sociologique 40 Boucher Guy, La Participation. Les GEM, un modèle exemplaire. Paris, Champ social, 2015, p.7
  • 22. 22 Bien que les troubles psychiques soient aujourd’hui scientifiquement reconnus et pris en charge médicalement, leur complexité et la spécificité de leur dimension sociale ne peut en permettre un traitement aussi objectif que les affections somatiques. Aussi, les soins apportés aux personnes en situation de handicap n’ont pas toujours relevé de connaissances méthodiques rigoureuses mais aussi largement de leur conception par la société, encore actuellement très questionnée. Par conséquent, la maladie psychique a longtemps été inscrite dans la représentation plus générale et peu scientifique de la folie, qu’il est important de comprendre tant elle est différente du concept global de santé mentale prévalant aujourd’hui. A. Retour historique sur la conception sociale du handicap psychique : 1. De la folie à la maladie psychique, un paradigme d’exclusion sociale : Le traitement social des troubles psychiques n’a pas été linéaire ni rythmé par les avancées médicales, mais conditionné à leur adaptation ou non à la vision de la raison définie par la société, au normal. La conception de la folie n’est donc ni intangible ni objective mais constitue une construction sociétale indissociable de son contexte. Cette étude historique, indispensable à notre travail, ne saurait être évoquée sans s’appuyer sur la thèse de Michel Foucault qui propose une déconstruction de l’universalité de la folie dès 196141 . D’après la chronologie exposée dans son travail ‘’Histoire de la folie à l’âge classique’’, les malades sont intégrés dans les sociétés moyenâgeuses, qu’ils distraient en quelque sorte. Néanmoins, Foucault observe un certain changement de position vis-à-vis de la maladie mentale à partir de la Renaissance. Dès lors, la folie occupe toujours une place importante mais sous un aspect relativement plus tragique notamment relayé par les arts : la perte de raison passionne la société tant qu’elle l’effraie. Puis les malades sont progressivement rejetés à la fin de cette période : selon Michel Foucault, l’imaginaire social trouve en la folie un nouvel indésirable à substituer à la lèpre après l’extinction de cette pathologie. C’est l’un des postulats qui explique l’évolution du traitement des troubles psychiques à travers l’histoire : l’adaptation des critères du normal permet à la société de définir de nouvelles marges d’exclusion. Les léproseries, lieu symbole de l’exclusion sociale, vidées de leurs patients, inspireront selon lui 41 Foucault Michel. Histoire de la folie à l’âge classique [1961]. Paris, Gallimard, 1976 (réed.)
  • 23. 23 la réclusion des malades psychiques comme nouveaux marginaux dans les asiles similairement structurés. Néanmoins, c’est pendant l’âge classique, à partir du XVIIème siècle, que cette conception évolue véritablement avec ce que Foucault appelle le ‘’grand renfermement’’, pendant lequel l’aspect critique prend le dessus sur le tragique. L’effervescence intellectuelle autour de la raison met fin à toute conciliation possible avec les formes de déraison, et les malades se trouvent donc emprisonnés au même titre que les criminels. Des infrastructures spécifiques sont ainsi développées pour enfermer ces personnes rejetées, les Hôpitaux Généraux. Dans les faits, ces lieux vont permettre de laisser libre cours aux expérimentations et faire des malades des objets de savoir : c’est le début du développement d’une discipline propre à la folie. 2. L’institutionnalisation de la science psychiatrique : Conséquemment aux évolutions précédemment évoquées, une science spécifique étudiant ce que Foucault appelle ‘’l’étrangeté de l’âme’’ émerge à partir du XVIIIème siècle, la psychiatrie42 . C’est donc à cette époque que le concept peu rigoureux de ‘’folie’’ est délaissé pour la notion plus scientifique de ‘’maladie mentale’’. Dans ces conditions, le traitement des personnes concernées est médicalisé et celles-ci sont désormais recluses entre malades dans les asiles. Par conséquent, le travail de Foucault expose la subjectivité du concept social de folie et présente la psychiatrie occidentale basée sur l’exclusion comme une construction subjective et non universelle, un modèle parmi d’autres. Cette réflexion peut être mise en perspective avec le travail publié par Erving Goffman à travers le prisme de la sociologie des organisations43 . Goffman s’inscrit d’ailleurs dans un contexte tout aussi critique des asiles, qu’il étudie comme un outil d’exclusion des personnes indésirables pour la société. Les organisations psychiatriques sont alors présentées comme un vecteur d’institutionnalisation de la maladie mentale en tant qu’anormalité sociale. Aussi, l’hôpital est analysé comme une institution totale dont les pratiques aliénantes sont légitimées par la science psychiatrique afin de protéger le reste de la société des reclus. Bien que Goffman conçoive l’existence de certaines stratégies propres aux patients afin d’échapper au contrôle 42 Foucault Michel. Histoire de la folie à l’âge classique [1961]. Paris, Gallimard, 1976 (réed.) 43 Goffman Erving. Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus [1968]. Paris, Les éditions de Minuit, 1990 (réed.)
  • 24. 24 institutionnel, sa vision totalitaire des asiles rejoint cette perspective de rejet social des personnes malades. Michel Foucault demeure tout aussi critique vis-à-vis du développement de la psychiatrie, qui permet de ne plus entretenir la confusion des individus concernés avec les criminels mais les soumet au regard médical. D’après lui, cette discipline permet davantage de légitimer une gestion inhumaine des personnes malades et de rendre leur situation problématique pour la société. Pour autant, cette thèse reste relativement controversée, et a notamment alimenté d’importants débats académiques avec la psychiatre Gladys Swain. Leurs désaccords se situent dans les fondements de la discipline psychiatrique, qui considère selon elle plus humainement les personnes malades en rendant possible le traitement de leurs troubles plutôt qu’en les réprimant uniquement. Dans tous les cas, ces travaux permettent d’aborder le processus historique d’imposition de l’institution psychiatrique et donc d’en comprendre les oppositions qui se déploient au XXème siècle. B. Evolution et remise en question de l’institution psychiatrique : 1. Les fondements de la crise en psychiatrie : Ces réflexions que nous avons précédemment évoquées s’inscrivent dans un contexte intellectuel plus global relativement critique de la psychiatrie à partir des années 196044 . Il est possible d’attribuer les fondements du mouvement antipsychiatrique aux psychiatres anglo- saxons dénonçant la violence de l’institution, légitimant la répression sociale des individus malades au lieu de prendre en compte leur parole. L’antipsychiatrie conçoit ainsi les maladies mentales comme une construction de la science psychiatrique afin de justifier l’usage de procédés liberticides et déshumanisants sur les personnes concernées. Ce courant, qui remet en cause les principes mêmes de la psychiatrie, s’inscrit aussi dans l’émergence d’une littérature dénonciatrice des conditions asilaires portée par Foucault et Goffman. Dans les faits, on retrouve des dynamiques similaires de remise en question de la psychiatrie en France au cours de la seconde moitié du XXème siècle, permettant de mettre en lumière la violence des infrastructures asilaires. Ce phénomène est ainsi évoqué par Robert 44 Castel Robert, ‘’L'institution psychiatrique en question’’. Revue française de sociologie, 1971, p. 57
  • 25. 25 Castel dès 1971 : ‘’la crise institutionnelle qui sévit en psychiatrie s'est récemment trahie, entre autres indices, par la parution quasi simultanée d'un nombre considérable d'ouvrages et d'articles dont les auteurs, presque toujours des praticiens, remettent en cause l'organisation et parfois l'existence même des instances officielles de prise en charge des malades mentaux’’45 . Si de nombreux psychiatres dénoncent effectivement la déshumanisation des patients, ces courants sont très hétérogènes puisqu’aux militants antipsychiatriques s’opposent des professionnels promouvant davantage la réforme et la modernisation de la psychiatrie. C’est le cas de la Psychothérapie institutionnelle qui se développe dans les décennies suivant la guerre pour humaniser les relations entre soignants et soignés. Ce courant s’appuie notamment sur les bienfaits de la dynamique de groupe avec la création de ‘’clubs thérapeutiques’’ intrahospitaliers, qui bouleversent les relations avec les patients et introduisent une démarche de coopération46 . Un psychologue évoque ainsi ce phénomène lors de notre entretien : ‘’La tendance associative commence dans les suites des horreurs de la seconde guerre mondiale avec les associations des différents hôpitaux promouvant une philosophie plus humaniste’’47 . Contrairement à l’antipsychiatrie, la PTI ne rejette pas les apports de la médecine qui reste la seule réponse viable à la maladie, mais elles ont pour commun de s’être construites en opposition au système asilaire répressif. Toutefois, ce mouvement se divise également entre différents courants internes, à savoir notamment la ligne désaliéniste assez prégnante dans le cas de la France. Impulsé par le docteur Bonnafé, le désaliénisme émerge dans les années 1960 en opposition au dispositif psychiatrique, dont le fonctionnement asilaire est décrit comme quasi-carcéral. S’inscrivant dans ce contexte de remise en question, le travail de Lucien Bonnafé s’est imposé comme un cadre de pensée pour de nombreux professionnels de santé et a constitué l’une des fondations de la réforme de la psychiatrie française. 2. La reconfiguration sectorielle de l’offre psychiatrique en France : Dans les faits, c’est à la suite de la prise de conscience opérée après la guerre qu’a été remanié le système psychiatrique en France. Cette modernisation est initiée à partir des années 1960 autour du secteur, un concept impulsé par les courants de pensée notamment menés par 45 Castel Robert, ‘’L'institution psychiatrique en question’’. Revue française de sociologie, 1971, p. 57 46 Benattar Béatrice. Des clubs thérapeutiques aux clubs d’accueil et d’entraide : essai d’analyse historique et théorique de la place des clubs en psychiatrie [en ligne]. Thèse de doctorat en médecine (spécialité psychiatrie), Université Paris- Descartes, 2005, p.10-22 47 Entretien n°7 – Anonyme (psychologue), Entretien sur l’histoire des Groupes d’Entraide Mutuelle. 11 Mars 2020
  • 26. 26 Lucien Bonnafé. Cet idéal porté par les psychiatres militants est implémenté administrativement par une première circulaire en 196048 , puis précisé par plusieurs textes législatifs et exécutoires jusque dans les années 1990. Pour Lise Demailly, cette organisation constitue la première politique de soins psychiques territorialisée en France, et bouleverse donc l’organisation de la psychiatrie49 . Concrètement, le secteur correspond à une subdivision géographique de l’offre de soins et implique donc une nouvelle répartition des structures psychiatriques à destination de la population. Tout secteur recouvre un territoire d’environ 70 000 personnes, et comprend à la fois des équipements hospitaliers mais aussi des infrastructures de ville ou thérapeutiques, auxquels sont rattachés les habitants qui en relèvent. Cette territorialisation à taille humaine garantit avant tout la prise en charge de l’individu au plus proche de son environnement de vie et limite ainsi les bouleversements induits par la maladie sur son quotidien. En plus d’assurer la continuité des soins, la sectorisation rompt également avec le prisme de l’enfermement asilaire en promouvant une offre de soins moins hospitalo-centrée. Effectivement, la nouvelle répartition s’appuie largement et prioritairement sur la prise en charge ambulatoire, dite ‘’hors les murs’’, pour ne plus recourir à l’hospitalisation automatique des malades en psychiatrie. Dans le même temps, cela ne revient pas non plus à la disparition des hôpitaux psychiatriques qui demeurent parfois une solution indispensable, mais dont les méthodes internes se modernisent sous l’influence de la psychothérapie institutionnelle. Selon Lise Demailly et Caroline Maury, la rupture est indéniable car ‘’la philosophie du secteur est généreuse, humaniste, anti-asile’’, mais son opérationnalisation reste relativement plus nuancée. Dans les faits, la politique de sectorisation s’éloigne des idéaux initiaux, notamment du fait de l’hétérogénéité de son application selon les territoires. En effet, la référence à l’hôpital reste largement dominante chez de nombreux professionnels et certaines pratiques répressives à l’égard des patients subsistent. Face à l’augmentation de la demande de soins, les défaillances du secteur laissent entrevoir la portée limitée de cette modernisation, et les acteurs concernés demeurent donc toujours très revendicatifs à l’encontre de la politique publique de soins psychiques jugée immobiliste. 48 Ministère de la Santé publique, Circulaire du 15 Mars 1960 relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales. Non parue au journal officiel, 15 Mars 1960 49 Demailly Lise, Maury Caroline, « 1 - Continuités et inflexions de la politique du soin psychique 1950-2011 », dans : Lise Demailly éd., La politique de santé mentale en France. Acteurs, instruments, controverses. Armand Colin, 2012, p. 15-28.
  • 27. 27 C. Quels apports de la sociologie à la compréhension des maladies psychiques ? Afin de compléter cette dimension sociohistorique, il est important d’appréhender la prise d’importance de la conception sociologique de la maladie psychique pour mieux comprendre cette évolution des contours du trouble et de son acceptation sociétale. 1. La place de la maladie dans la société, un nouvel objet d’étude : Dès le début des années 2000, le travail d’Alain Ehrenberg et Anne Lovell témoigne du rôle grandissant des sciences sociales dans la remise en question du système psychiatrique français : ‘’le trouble mental est aujourd’hui une question sociale, politique et médicale qui concerne toutes les institutions, avant il était juste relégué aux institutions de la folie"50 . Ce constat fait notamment suite aux mouvements précédemment évoqués, qui ont remis en question la psychiatrie du XXème siècle centrée sur l’asile et par la même intégré la question de la maladie à des problématiques sociales plus larges. Si les apports des sciences sociales sur les troubles psychiques et mentaux sont relativement larges, Lise Demailly synthétise dans son travail les différentes approches sociologiques contemporaines51 . D’une part, elle aborde notamment l’influence des déterminants sociohistoriques sur la définition des troubles, la définition sociétale de ‘’l’anormalité’’ ayant largement évolué en dépit de certaines connaissances intangibles. Lise Demailly différencie donc plusieurs registres de prise en charge applicables au cas français, du prisme sécuritaire d’enfermement largement remis en question, à la perspective sanitaire plus actuelle orientée vers le bien-être. De plus, l’importance des facteurs sociaux se traduit également dans la catégorisation peu standardisée des troubles, qui sans dénier les facteurs biologiques reste largement influencée par les représentations sociales des corps professionnels. D’une autre part, Lise Demailly évoque la compréhension sociologique de l’offre de soins qui peut être analysée comme un marché, expliquant les différents comportements des usagers. Effectivement, les facteurs sociaux conditionnent encore largement l’accès aux soins et il existe donc de réelles ruptures dans la prise en charge de certaines populations 50 Ehrenberg Alain, Lovell Anne. La maladie mentale en mutation : Psychiatrie et société. Paris, Odile Jacob, 2001, p.7 51 Demailly Lise, Sociologie des troubles mentaux. Paris, La Découverte, « Repères », 2011, p. 23-55
  • 28. 28 marginalisées. De plus, la sociologie permet d’interpréter le positionnement des personnes concernées face à la maladie et ses représentations sociales négatives. Dans les faits, celles-ci disposent de plusieurs registres de postures pour vivre avec leur pathologie, du déni au fatalisme, devenant donc les sujets sociaux du processus d’accès aux soins. Plus globalement, la sociologie rend compte de l’institutionnalisation du rapport du malade à la société par l’intermédiaire de la psychiatrie, qui encadre étroitement les comportements sociaux. Dans ces conditions, l’élargissement contemporain du champ de la santé mentale contribue justement à la construction de règles sociales plus prégnantes justifiant d’intervenir contre tout comportement considéré inadapté. 2. Nouveaux maux contemporains, une sociologisation des troubles mentaux ? Malgré les progrès scientifiques indéniables depuis le XXème siècle, l’OMS alerte régulièrement sur l’augmentation des troubles psychiques : ce paradoxe intéresse particulièrement les sciences sociales. Pour Marcelo Otero, sans nier les facteurs biologiques, les troubles intrinsèques à tous se déclencheraient dans certaines circonstances sociales, cette hausse illustrant donc un certain malaise contemporain de la civilisation52 . Revenant sur différentes analyses sociologiques des troubles, il soulève un constat récurrent quant au rôle des phénomènes sociaux remettant en question le travail trop individualisant de la psychiatrie. Cette thématique est évoquée par Alain Ehrenberg et Anne Lovell, qui étudient notamment la maladie mentale comme un signe de l’individualisation humaine53 . Les troubles deviennent indissociables du contexte sociétal : la médecine poserait donc le risque d’une dérive scientiste en naturalisant des troubles d’origine sociale. Aussi, ces nouvelles souffrances sont liées à certains problèmes de société comme la précarité ou la solitude, tandis que la médecine psychiatrique traiterait les individus sans chercher à comprendre l’origine de leurs symptômes. La sociologie met donc en exergue certaines limites de la médicalisation sur le sujet humain et revendique une véritable politique de santé mentale englobant la dimension sociale. Dans les faits, ce sont ces mêmes apports qui ont été utilisés par les militants comme Lucien Bonnafé afin de déconstruire le système psychiatrique asilaire. 52 Otero Marcelo, ‘’Regards sociologiques sur la santé mentale, la souffrance psychique et la psychologisation’’. Cahiers de recherche sociologique, 2005, p. 5-15 53 Ehrenberg Alain, Lowell Anne. La maladie mentale en mutation : Psychiatrie et société. Paris, Odile Jacob, 2001
  • 29. 29 Enfin, les sciences sociales, en analysant sur les causes de la souffrance psychique, proposent aussi des pistes d’amélioration des pratiques de terrain. Ces évolutions se traduisent alors par l’émergence de la psychiatrie communautaire et de parcours de soins plus inscrits dans la vie quotidienne, à l’image des clubs et de la psychothérapie institutionnelle. Néanmoins, la dimension sociale ne peut se subsister aux réalités médicales qui rendent le recours à l’institution psychiatrique inévitable dans certains cas, comme le rappellent les professionnels. Pour autant, ces apports complètent la définition scientifique de la maladie en y intégrant d’autres outils de compréhension, permettant d’entrevoir le processus par lequel la maladie psychique est devenue un problème pour la société. Cette perspective parachève donc notre introspection sociohistorique du rapport sociétal aux troubles, donnant à voir le contexte social effervescent dans lequel s’inscrivent les débats qui motiveront la Loi de 2005. CHAPITRE 2. L’IMPULSION DES ACTEURS DE LA SOCIETE CIVILE DANS LA MISE A L’AGENDA : Dès la fin du XXème siècle, les débats sociétaux autour du fait psychiatrique questionnent constamment la politique de traitement des maladies psychiques qui déshumaniserait les individus concernés. Dès lors, les acteurs impliqués militent pour la reconnaissance de la personne malade et de ses droits, revendiquant une prise en charge visant non plus seulement à soigner mais à garantir son bien-être. Ce phénomène, indissociable des évolutions législatives dans lesquelles s’inscrivent les GEM, peut être analysé à travers le prisme du processus d’émergence d’un problème public. Au sens de Jean-Gustave Padioleau, trois caractéristiques délimitent cette problématisation : la mobilisation de citoyens plus ou moins organisés pour dénoncer une situation, le rattachement de ce problème aux responsabilités des autorités publiques, et la sollicitation d’une intervention politique54 . Cette conception du problème public est cohérente s’agissant de la Loi de 2005, dont certains axes ont été impulsés par l’action de la société civile et sa demande d’une intervention publique. 54 Padioleau Jean-Gustave, L’État au concret. Paris, Presses Universitaires de France, 1982
  • 30. 30 A. La prise de rôle des associations militantes : Avant toute chose, il est nécessaire de comprendre que le concept d’entraide mutuelle mobilisé par le législateur en 2005 n’est pas issu du registre de l’action publique mais davantage des initiatives sociétales principalement portées par les associations. 1. Les clubs associatifs, une filiation questionnée : Précédemment, nous avons évoqué le rôle de la psychothérapie institutionnelle dans le développement de la dynamique de groupe et des clubs comme méthode d’humanisation des pratiques en psychiatrie. L’entraide mutuelle se rapproche donc des clubs thérapeutiques par son fonctionnement associatif, coopératif et relativement autonome vis-à-vis de l’hôpital, dans l’optique de limiter l’impact de la maladie dans la vie quotidienne. Le psychologue rencontré mentionne ainsi cette relation : ‘’il y avait l’idée de créer des associations dans les secteurs pour contourner les procédures hospitalières trop lourdes. C’était créer des associations pour que les malades et les professionnels récupèrent l’initiative, avec un budget propre, afin que les hôpitaux ne soient plus seulement un lieu de soins’’55 . Si ces structures impliquent des caractéristiques similaires à celles de l’entraide mutuelle, elles restent largement ancrées dans l’institution psychiatrique et se différencient donc des futurs GEM plus éloignés de la dimension soignante. D’après Marie-Odile Supligeau cet écart ne s’explique pas forcément par une ambition moins thérapeutique de l’entraide mutuelle, mais par davantage par une volonté d’indépendance au milieu médical56 . Aussi, les clubs intrahospitaliers sont remis en cause par la tendance à la sectorisation dans les années 1960, qui promeut davantage l’accompagnement extrahospitalier57 . De plus, la stratégie d’action publique ne s’oriente pas encore particulièrement vers l’intégration sociale des personnes concernées, et les clubs ne sont donc pas un outil mobilisé par l’Etat. Par conséquent, le lien aux clubs thérapeutiques initiaux existe mais reste peu mis en avant du fait de leur relation trop étroite 55 Entretien n°7 – Anonyme (psychologue), Entretien sur l’histoire des Groupes d’Entraide Mutuelle. 11 Mars 2020 56 Supligeau Marie-Odile, ‘’Clubs thérapeutiques et « groupes d'entraide mutuelle » : héritage ou rupture ?’’ VST - Vie sociale et traitements, 2007, p. 54-63. 57 Benattar Béatrice. Des clubs thérapeutiques aux clubs d’accueil et d’entraide : essai d’analyse historique et théorique de la place des clubs en psychiatrie [en ligne]. Thèse de doctorat en médecine (spécialité psychiatrie), Université Paris- Descartes, 2005, p.23-30
  • 31. 31 avec le corps soignant. Si il est possible d’identifier des points de rattachement de l’entraide mutuelle avec ces initiatives sociales, ses inspirations restent donc largement débattues. 2. La mobilisation des associations d’usagers et de proches : Au-delà de l’outil associatif exploité thérapeutiquement pour les personnes concernées, les associations représentantes d’usagers ou d’autres acteurs militants ont également joué un rôle important dans l’interpellation des décideurs, ce qui caractérise le processus d’émergence du problème public décrit par Padioleau. Cette mobilisation, qui se développe en parallèle des courants de remise en question de la psychiatrie, est caractérisée par Madeleine Monceau et Sabine Visintainer comme le ‘’mouvement des usagers’’58 . Paradoxalement, ces courants sont importés en France dans les années 1960 via l’action des associations de familles regroupées au sein de l’UNAFAM, dont la visibilité lui garantit une certaine reconnaissance vis-à-vis par les décideurs. L’une des bénévoles interrogées définit ainsi cet organisme comme ‘’une association de soutien, de partage de l’expérience de la maladie de leurs enfants, car ce sont surtout des parents. Ils sont actifs dans le domaine du handicap pour défendre le droit de leurs enfants malades’’, ce qui explique leur implication dans la sollicitation des pouvoirs publics59 . Puis au cours des années 1970 émergent des mouvements plus militants comme Advocacy, intégrant à la fois des professionnels et des membres de la société civile dans une dynamique plus frontalement opposée à la psychiatrie. Ce n’est que dans les années 1980 et avec l’appui du corps professionnel que se développent des associations impliquant directement les usagers. Afin d’assurer une mission de représentation, la majorité d’entre elles est aujourd’hui rassemblée au niveau de la Fnapsy qui a également obtenu la reconnaissance des autorités publiques, et agit en coopération avec l’UNAFAM. Considérant le manque d’accompagnement des malades isolés dans la cité, les associations d’usagers et de familles ont notamment milité pour une vision élargie de la politique de soins psychiques en incluant la dimension sociale. Cette prise en considération des personnes concernées prévaudra en 2005 dans l’optique d’assurer la continuité de leur parcours. Effectivement, grâce à leur visibilité, ces organisations ont progressivement été inclues ou du 58 Monceau Madeleine, Visintainer Sabine, Le mouvement des usagers en santé mentale : introduction et repères historiques, dans : Jean Furtos éd., La santé mentale en actes. ERES, 2005, p. 263-274. 59 Entretien n°9 – Anonyme (bénévole référente), L’Union Nationale des Familles et Amis de Malades 35, association parraine de Groupes d’Entraide Mutuelle. 23 Mars 2020
  • 32. 32 moins consultées par les autorités dans le processus de décision. Elles instituent donc une complémentarité fragile entre les professionnels et les usagers dans le processus décisionnel : Guy Baillon parle de ‘’parole retrouvée’’ des usagers en psychiatrie60 . Mais cette collaboration reste délicate, particulièrement entre les associations d’usagers et celles de familles qui ne défendent pas toujours les mêmes intérêts. Dans les faits, les associations de proches luttent davantage contre le risque de laisser les malades démunis hors des structures hospitalières et revendiquent le développement de la prise en charge dans la cité. Ainsi, l’une des bénévoles rencontrées en entretien évoque surtout la peur de voir les proches malades livrés à eux-mêmes face aux manques du système psychiatrique61 . Les doléances portées par les associations d’usagers diffèrent en revendiquant plus d’autonomie et de participation des personnes concernées, voire une certaine émancipation pouvant déstabiliser les familles. Malgré ces divergences, les associations issues de la société civile se posent collectivement comme des acteurs importants dans l’interpellation des pouvoirs publiques dès la fin du XXème siècle. B. Les rapports, un registre de sollicitation de l’intervention publique : D’après le travail de Jean-Gustave Padioleau, la mobilisation sociétale est essentielle pour problématiser une situation et en appeler à l’intervention publique. Dans les faits, les acteurs la société civile organisés par l’intermédiaire associations reconnues et visibles ont pu collaborer et acquérir une certaine légitimité institutionnelle afin d’interpeller directement les décideurs, cette sollicitation se matérialisant notamment par l’élaboration de rapports. 1. La production de rapports comme signe d’évolution : D’emblée, ces rapports sont d’abord issus de l’initiative des acteurs impliqués afin de problématiser la situation comme nécessitant une intervention de la part des autorités. Si il existe plusieurs textes issus de la société civile revendiquant une réaction des pouvoirs publics, 60 Baillon Guy, ‘’Les usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée’’. L'information psychiatrique, 2009/9 (Volume 85), p. 821-826. 61 Entretien n°9 - Anonyme (bénévole référente), L’Union Nationale des Familles et Amis de Malades 35, association parraine de Groupes d’Entraide Mutuelle. 23 Mars 2020
  • 33. 33 le Livre blanc des partenaires de santé mentale en France publié en 2001 demeure le plus représentatif puisqu’il est issu d’une démarche partenariale. Ainsi, ce texte a principalement été porté par l’UNAFAM et les professionnels bénéficiant d’une certaine reconnaissance publique, mais les associations d’usagers ont aussi participé par l’intermédiaire de la FNAPSY. L’interpellation des décideurs est directe puisque les acteurs stipulent que le Livre Blanc "interpelle les pouvoirs publics’’ à ‘’donner de véritables moyens financiers et humains’’. L’objectif est d’améliorer la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques et notamment pallier les ruptures de parcours hors les murs. Effectivement, les associations à l’origine du Livre Blanc déplorent l’incomplétude de l’offre d’accompagnement, dont la responsabilité incombe aux pouvoirs publics : ‘’ les médicaments ne guérissent pas définitivement les patients et […] la nécessité d’une prise en charge dans la durée demeure’’62 . Elaboré autour des résultats de réunions ayant impliqué les acteurs précédemment cités, ce rapport développe plusieurs grands axes nécessitant une intervention publique : la visibilité des personnes en situation de handicap psychique, la continuité de leur parcours, et le maintien du lien social. Ainsi, des recommandations sont développées et prévoient l’institutionnalisation du partenariat entre associations et autres promoteurs de la santé mentale en France, notamment. Une autre piste intéressante développée par le Livre blanc est celle de la généralisation du club extrahospitalier comme outil assurant un lien aux personnes malades isolées dans la cité. Les auteurs du rapport rappellent que l’offre de soins, sur laquelle se focalisait jusqu’alors largement la politique de prise en charge des troubles psychiques, ne peut suffire étant donné que le handicap induit aussi des insuffisances dans la vie sociale. Le modèle du club y est déjà précisé, consistant en un accueil durable des personnes concernées via l’accès à des activités socioculturelles disponibles localement afin de rompre l’isolement, sans pour autant nier le besoin parallèle de ces personnes en accompagnement médical. Par conséquent, le texte appelle urgemment les pouvoirs publics à la reconnaissance du handicap psychique ainsi qu’à une politique de maintien du lien social, dynamiques prises en compte par le législateur en 2005. 2. Le rapport Piel-Roelandt, acte vers le référentiel de santé mentale : Parallèlement, face à la demande croissante de soins et d’accompagnement, une commande récurrente de rapports émane aussi directement des institutions publiques. Ce 62 Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques, Le Livre blanc des partenaires de santé mentale France. Les Éditions de Santé, 2001, p.1
  • 34. 34 phénomène illustre le processus d’inscription du problème public à l’agenda évoqué par Padioleau dans le sens où les décideurs s’emparent de la question. Il s’agit notamment du rapport Demay pour une réforme de la psychiatrie en 1982 et du rapport Cléry-Melin relatif à la psychiatrie et à la santé mentale publié en 1994, commandés par le Ministère de la Santé. Néanmoins, nous nous intéressons ici davantage au rapport Piel-Roelandt paru en 2001, s’inscrivant à la fois dans le contexte du Livre blanc et dans les réflexions préliminaires à la Loi de 2005. Proposé par le Ministre afin de redéfinir une politique psychiatrique intégrant l’action sociale, ce rapport de prospective intitulé ‘’De la psychiatrie vers la santé mentale’’ amorce une rupture importante dans la conception publique de la prise en charge des troubles psychiques63 . Face à l’augmentation constante du nombre de personnes concernées, ses auteurs font le constat de l’invisibilisation des troubles psychiques, malgré les doléances des associations émises dans le Livre blanc. Cette revendication sera également confirmée par le rapport Charzat publié en 2002 pour promouvoir la reconnaissance du handicap psychique. Dès lors, les Docteurs Piel et Roelandt mettent l’accent sur la lutte contre la stigmatisation en recommandant de reconnaître la parole et la participation des malades. Cette dynamique doit s’appuyer sur le renforcement de la représentation des usagers dans le système de soins mais aussi sur la coopération avec les associations de personnes concernées. De plus, le rapport porte le principe d’une sectorisation renforcée, basée sur la clôture des unités psychiatriques fermées et l’implantation des structures dans la cité. Cette recommandation implique la construction d’une offre de soins territorialisée et le développement du réseau entre sanitaire, médico-social et social afin d’harmoniser les parcours. Plus généralement, ses auteurs préconisent un désenclavement urgent de la psychiatrie traditionnelle pour évoluer vers le référentiel de santé mentale. Les recommandations transmises au Ministère exigent ainsi une meilleure reconnaissance des besoins de la personne concernée et concluent sur la nécessité urgente d’une loi-cadre consacrant ces évolutions, rejoignant les doléances des associations. Dans ces conditions, les acteurs de la société civile ont joué un rôle important dans l’émergence de ce problème public axé vers la santé mentale, via l’élaboration de rapports interpellant les autorités publiques. Néanmoins, leur implication n’est pas nécessairement garante de la primauté de la parole des personnes concernées dans ce processus, puisque ces dynamiques ont aussi été largement impulsées par les proches et les professionnels. 63 Piel Eric, Roelandt Jean-Luc, De la psychiatrie vers la santé mentale. Extraits du rapport des Dr Eric PIEL et Jean- Luc ROELANDT. VST - Vie sociale et traitements, 2001/4, p. 9-32.
  • 35. 35 CHAPITRE 3. LES EVOLUTIONS LEGISLATIVES, DE LA PSYCHIATRIE VERS LA SANTE MENTALE : D’après Jean-Gustave Padioleau, ‘’l’entrée dans le système formel de décision politique’’ est la dernière phase qui caractérise le processus d’émergence d’un problème public après que celui-ci a été labellisé comme tel par les citoyens. Aussi, la reconnaissance des acteurs associatifs ainsi que leur sollicitation des pouvoirs publics via l’élaboration de rapports a permis de rendre leurs doléances visibles au début du XXème siècle. Le rapport Piel-Roelandt, commandé par le Ministère de la Santé, marque une étape saillante de ce processus dans le sens où l’Etat se saisit de cette problématique. Ainsi, les revendications de réforme du système psychiatrique vers un référentiel plus global de santé mentale sont désormais considérées et une intervention politique est attendue au tournant par les acteurs de la société civile. Nous nous basons ici sur la définition de la santé mentale au sens de l’OMS comme ‘’un état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité’64 ’. Dépassant le système psychiatrique traditionnel, ce concept poserait donc un nouveau paradigme d’action publique s’axant à la fois sur les soins mais aussi plus largement sur le bien-être de la personne dans son environnement, notamment social. A. Des avancées vers la reconnaissance des personnes concernées : Au début des années 2000, un consensus semble d’abord émerger autour d’une meilleure prise en compte de la parole des personnes concernées, encore largement invisibilisés dans le système français portant l’héritage du système asilaire. 1. La formation d’un consensus autour de ‘’l’usager’’ 65 : 64 OMS, Santé mentale, sur https://www.who.int/topics/mental_health/fr/ [en ligne], 2020 (consulté le 09 Avril 2020) 65 Nous nous permettons ici l’utilisation du terme d’usager par la suite écarté, mais qui prévalait encore dans le contexte ici évoqué.
  • 36. 36 D’une part ce consensus se développe initialement sur le terrain avec les revendications des associations d’usagers pour une meilleure reconnaissance auprès des acteurs impliqués. Le phénomène est consacré par la publication de la ‘’Charte de l’usager en santé mentale’’ en 2000 à l’initiative de la FNAPSY, ratifiée par la Conférence Nationale des présidents des commissions médicales d'établissements et le Secrétariat d’Etat à la Santé. Diffusé à toutes les infrastructures psychiatriques publiques pour être cosigné par les professionnels et les patients, ce document porte principalement sur le respect des personnes concernées dans leur parcours de soins. La charte énonce ainsi les principes encadrant la prise en charge des usagers en santé mentale, à savoir notamment leur considération comme personnes responsables, et leur implication aux décisions qui les regardent. De plus, la FNAPSY exige l’obligation des professionnels à informer les patients sur les associations d’usagers, conçues comme un outil essentiel pour l’intégration et la parole des individus concernés hors du regard soignant. Enfin, le patient est reconnu comme ‘’une personne citoyenne, actrice à part entière de la politique de santé’’ puisque la charte revendique sa participation au processus décisionnel, un principe mis en avant par le Rapport Piel-Roelandt66 . Le texte prévoit également la contribution de l’usager, basée sur son expérience, aux instances politiques relatives à la santé mentale dans une optique de ‘’démocratie sanitaire’’. Dans les faits, la charte replace l’individu concerné au cœur de son parcours de soins et cela devant les familles, dans la mesure où il doit être considéré par les professionnels comme l’interlocuteur principal des décisions qui le concernent. Sa portée est d’autant plus symbolique que les professionnels et pouvoirs publics signataires approuvent également la participation des associations d’usagers comme acteurs prioritaires, notamment dans le processus d’élaboration des politiques publiques de santé mentale. Cette Charte ouvre donc une nouvelle dynamique de reconnaissance des personnes concernées par les professionnels et les autorités publiques, qui se traduit notamment par la subvention étatique de certaines associations d’usagers. 2. La Loi de 2002, aboutissement du droit des personnes malades : Néanmoins, le consensus opéré autour des usagers et de leurs revendications est plus formellement consacré par la promulgation de la Loi ‘’relative aux droits des malades et à la 66 Fnap-psy, Conférence des présidents de CME et de CHS, Secrétariat d’Etat à la Santé et aux handicapés. Charte de l’usager en santé mentale. Conférence des présidents de CME et de CHS, 2000, p.4
  • 37. 37 qualité du système de santé’’ en 200267 . Elaboré à la suite de concertations préliminaires avec les acteurs concernés, le texte consacre juridiquement le concept de droit des malades impliquant certaines évolutions du système de prise en charge. Plusieurs aspects nous intéressent ici pour comprendre l’évolution de la conception publique de prise en charge des personnes malades. D’une part, la Loi de 2002 instaure un principe de solidarité avec les individus en situation de handicap, ouvrant notamment à certains dispositifs de compensation mis en place par l’Etat. Aussi, c’est dans cette dynamique que s’inscriront les Groupes d’Entraide Mutuelle axés vers l’empowerment collectif des personnes concernées. D’une autre part, le texte consacre aussi le principe de démocratie sanitaire, qui correspond plus concrètement au processus de ‘’participation citoyenne aux politiques de santé’’ selon Jean-Paul Arveiller et Philippe Tizon68 . Effectivement, si les usagers avaient déjà acquis une représentation dans les instances de décision grâce à l’action des associations, ils demandent au cours des années 2000 à être davantage impliqués dans leur propre parcours de prise en charge. Dès la Loi de 2002, le législateur se saisit partiellement de cette revendication avec le principe de démocratie sanitaire garantissant les ‘’droits et responsabilités des usagers’’, mais aussi leur participation ‘’au fonctionnement du système de santé’’. En outre, le texte responsabilise aussi les professionnels quant à la ‘’qualité du système de santé’’, à qui incombent des devoirs éthiques d’information des usagers sur les décisions les concernant. Dans ces conditions, les pouvoirs publics s’inscrivent déjà dans une transition vers le concept plus global de santé mentale en promouvant la qualité des dispositifs publics d’accompagnement des personnes malades, cela tout au long de leur parcours. Ainsi, ce mouvement est évoqué par une psychiatre interrogée lors d’un entretien : ‘’c’est le sens dans lequel va la règlementation, mais aussi les tendances intellectuelles promouvant la réhabilitation et la volonté de travailler avec les usagers. Il y a une volonté globale du législateur d’impliquer les patients dans leur parcours’’69 . Face aux revendications des personnes concernées, la prérogative de prise en charge des troubles psychiques ne se limite plus aux soins psychiatriques. L’action publique de santé mentale s’étend désormais au bien-être de l’individu dans toutes les dimensions de sa vie quotidienne impactées par le trouble. 67 Présidence de la République. LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (1). JORF du 5 mars 2002 page 4118 texte n° 1. 68 Arveiller Jean-Paul, Tizon Philippe, ‘’Démocratie sanitaire, qu’est-ce à dire ?’’. Pratiques en santé mentale, 2016, p. 2 69 Entretien n°5 – Anonyme (psychiatre), Service ‘’Réhabilitation – Psychiatrie adultes’’ de l’Hôpital psychiatrique de Bohars. 20 Février 2020
  • 38. 38 B. La Loi de 2005 et la reconnaissance publique du handicap psychique : Néanmoins, il faut attendre la Loi de 2005 impulsée par la mobilisation des associations d’usagers et de familles pour véritablement marquer le développement de nouvelles réponses des autorités publiques au problème du handicap psychique70 . 1. Un acte pour ‘’l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées’’ : Issue d’un processus d’élaboration de longue haleine en partenariat avec les acteurs associatifs, cette Loi consacre l’impératif de sensibilisation de la société aux enjeux du handicap, alors que deux millions de Français sont concernés par cette problématique en 200571 . Si le texte promeut principalement une vision générale de ces questions, l’article 2 importe davantage dans le cadre de notre réflexion : ‘’constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques’’. D’une part, puisque cette définition du handicap basée sur les conséquences sociales des déficiences est particulièrement représentative de la transition législative vers le concept de santé mentale dépassant la seule politique de soins. D’autre part, puisque l’élargissement des critères établis dans cette conception acte la reconnaissance inédite du handicap de psychique par les pouvoirs publics : une ‘’révolution’’ pour le psychiatre Guy Baillon72 . Dans les faits, cette évolution a été largement impulsée par les doléances des familles et des personnes concernées exprimées dans les années 2000, quant au manque de dispositifs publics de réparation des troubles psychiques. Le législateur considère particulièrement les troubles psychiques graves face auxquels les personnes concernées ne sont pas toujours en capacité de réclamer l’amélioration de leur condition, alors même que ces différents degrés de handicap n’ont pas toujours été reconnus. La Loi tient également compte pour la première fois du handicap comme corollaire des troubles psychiques, nécessitant une prise en charge plus 70 Présidence de la République. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (1). JORF n°36 du 12 février 2005 page 2353 texte n° 1. 71 D’après les données annuelles fournies par l’INSEE sur ‘’la population handicapée’’ 72 Baillon Guy, « Le contexte », dans : Les usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée. ERES, « Santé mentale », 2009, p.31