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44 • Géomètre n° 2161 • septembre 2018
Archéologie
Coup de
projecteur Lidar
sur les Mayas
Horizons
La zone urbaine d’El Peru-Waka. Les pyramides du
complexe El Mirador dominent une colline aménagée
en terrasses.
Ci-dessous, le centre cérémoniel élevé sur la colline
au sud-ouest d’Holmul est cerné par de multiples
fortifications comprenant fossés et murailles.
PACUNAM/ESTRADA-BELLI
Géomètre n° 2161 • septembre 2018 • 45
Petit pays d’Amérique centrale souvent méconnu, le
Guatemala est pourtant doté d’un patrimoine excep-
tionnel. Joyau d’architecture baroque, la cité coloniale
d’Antigua, menacée par l’éruption meurtrière du volcan de
Fuego du 3 juin,a été miraculeusement épargnée.Mais le pays,
berceau de la civilisation maya, recèle aussi de nombreux
trésors datant de la période précolombienne. En février 2018,
des milliers de vestiges étaient ainsi découverts suite à une
campagne Lidar (Light detection and ranging) archéologique
d’une ampleur encore jamais atteinte. Le levé par laser
aéroporté a couvert plus de 2100km2 au total dans la réserve
de la biosphère maya du département du Petén, au nord du
pays. Il a permis de redessiner la cartographie des aménage-
ments anciens réalisés dans plusieurs zones abritant de grands
centres mayas datant de la période préclassique (comprise
environ entre 800 avant J.-C.et 150 après J.-C.) et de la période
classique (entre 150 et 950/1000 après J.-C.). Ces travaux
apportent une démonstration éclatante de la pertinence de
cette approche dans les régions couvertes par la forêt tropicale
où la photographie aérienne est donc impossible.
Mené sous l’égide de la fondation guatémaltèque Pacunam
(fondation pour le patrimoine culturel et naturel maya), le
projet PLI (Pacunam Lidar Initiative) a été propulsé sous le feu
des médias en février dernier, non sans quelques grossières
approximations, par National Geographic, partenaire du projet
(lire l’encadré ci-dessus). Mais derrière la surenchère de gros
titres destinés à vendre du rêve autour de la découverte d’une
mystérieuse cité perdue se cachent de bien réelles avancées
scientifiques. «Le Lidar, c’est vraiment une révolution pour
l’archéologie!», s’enthousiasme Philippe Nondédéo, associé à
ces recherches en tant que directeur des fouilles du site de
Naachtun. Cela fait moins d’une dizaine d’années que cette
technologie, qui offre la possibilité d’effectuer des relevés sous
la couverture végétale, est expérimentée pour cartographier les
vestiges archéologiques dissimulés sous la canopée des forêts
tropicales.Et c’est d’ailleurs sur un site maya – celui de Caracol,
au Belize – qu’un modèle numérique métrique obtenu en 2009
par le Ncalm (National center for airborne laser mapping)
américain, hébergé à l’université de Houston, a fait pour la
première fois la preuve de son intérêt en archéologie.Depuis,le
Ncalm s’est imposé comme un partenaire incontournable des
mayanistes en contribuant à une vingtaine de campagnes de
levés en Amérique centrale. Cette fois encore, il a été mis à
contribution, mais à bien plus grande échelle. «Un consortium
international impliquant l’ensemble des archéologues travaillant
dans la région a été formé», explique Philippe Nondédéo. «Ce
projet offre une perspective d’ensemble sur les paysages mayas des
basses terres que les relevés Lidar mettant l’accent sur des sites
uniques sont incapables de fournir»,ajoute l’Américain Thomas
Garrison(Ithacacollege),spécialistedel’archéologiemaya
Horizons
®®
Au Guatemala, la plus grande
campagne d’acquisition Lidar
archéologique jamais menée a mis au
jour une grande concentration de
vestiges et d’aménagements mayas.
Ce projet international d’une envergure
inédite devrait permettre un bond en
avant dans la connaissance de cette
civilisation précolombienne.
MARIELLE MAYO
Rarement le Lidar aura fait autant parler de lui: suite à la
publication du reportage du National Geographic,
l’annonce de la découverte au Guatemala d’une cité maya
de plus de 2000km2 a été immédiatement reprise en
boucle par les médias et diffusée dans le monde entier.Une
information erronée, on l’aura compris, puisque la
couverture Lidar a concerné une dizaine de zones discon-
tinues dans la vaste forêt tropicale, centrées sur des sites
archéologiques déjà connus. A l’origine, pour mieux
vendre son reportage, la version anglaise du National
Geographic avait choisi de mettre en avant la découverte
d’une «mégalopole».Or,ce terme recouvre un concept peu
connu,celui d’un vaste territoire très urbanisé,comportant
une forte densité d’agglomérations interconnectées
(comme entre Boston et Washington). La distinction avec
le terme «mégapole» a visiblement échappé aux traduc-
teurs.L’exigence de rapidité du web,peu compatible avec le
temps de la vérification, et bien sûr la tentation du sensa-
tionnalisme ont fait le reste...De ces recherches très impor-
tantes, les journalistes en mal de scoop auront retenu
seulement la découverte d’une cité mythique inexistante,
prétendument peuplée de dix à vingt millions d’habitants
–ce qui correspond aux estimations démographiques les
plus optimistes pour les basses terres centrales mayas tout
entières (90000km2), controversées au sein même de la
communauté des archéologues associés au projet.
Hystérie médiatique
PACUNAM/CANUTO&AULD-THOMAS
46 • Géomètre n° 2161 • septembre 2018
et membre du comité consultatif formé par la fondation
Pacunam. C’est donc un nouveau chapitre qui s’ouvre...
Dans le Petén,des sites mayas majeurs ont été mis au jour.Loin
d’avoir livré tous leurs secrets, ils mobilisent des archéologues
du monde entier. Ces équipes ont défini des macro-zones
d’intérêt recouvrant les sites de Tikal, Holmul-Witzna,
Naachtun, La Corona-Achiotal, El Zotz, El Perú-Waka,
Uaxactun, San Bartolo-Xultun et El Tintal, ainsi que des aires
boisées potentiellement représentatives de l’action des Mayas
sur leur environnement et de l’état actuel de la végétation dans
la réserve. Initialement, la couverture Lidar devait ainsi
concerner douze polygones discontinus. «Ils ont été ramenés à
dix lorsque le Ncalm a fini par couvrir des zones qui en reliaient
d’autres entre elles», précise Thomas Garrison.
Concrètement, la phase d’acquisition de données a débuté en
juillet 2016 par une première campagne de trois semaines
concernant approximativement 1700km2, complétée par la
suite pour couvrir jusqu’à 2100km2.Au total,44 heures de vol
auront été nécessaires. Depuis les premiers essais menés dès
2000 au Honduras, la technologie a progressé et le Lidar
multispectral aéroporté Titan de la compagnie Teledyne
Optechutilisécorrespondàlatroisièmegénérationdecapteurs
testée par le Ncalm. Il intègre trois émetteurs laser à des
longueurs d’ondes différentes avec une séparation angulaire de
3,5° entre les plans de balayage –inclinés respectivement de 0°
dans le proche infrarouge (1064nm), de 3,5° dans le moyen
infrarouge (1550nm) et de 7° dans le vert (532nm)–,avec des
fréquences d’impulsion atteignant 300kHz par laser (900kHz
au total).Cette technologie étend l’information disponible aux
caractéristiques d’intensité en fonction de la longueur d’onde
et du type de retour. Elle améliore sensiblement l’exactitude et
permet d’étudier davantage de variables de classification, avec
une différenciation des sols, de l’asphalte, des différents types
de végétation et des bâtiments. «Des constructions monumen-
tales telles que les pyramides sont immédiatement visibles, de
même que les excavations de pillage qu’elles ont subies»,explique
Thomas Garrison.A Tikal,ces travaux ont ainsi permis d’iden-
tifier une nouvelle pyramide de 27m de haut.«Le Lidar s’avère
aussi particulièrement utile pour détecter de longues et subtiles
caractéristiques du paysage,par exemple les chaussées et les terras-
sements, qui sont très difficiles à voir sur le sol», poursuit
l’archéologue.
Un important travail d’interprétation
à mener
Le Ncalm fournit des données brutes, des nuages de points,
ainsi que différents types de modèles numériques (MNS,MNE
et modèles de hauteur de canopée utiles pour comprendre la
biomasse). Pour interpréter les données, les équipes peuvent
s’appuyer sur de longues années de fouilles sur leurs chantiers
respectifs. En fonction de leur expérience, elles ont constitué
des groupes de travail sur l’habitat, sur les aménagements
agraires et hydrauliques, sur les voies de communication ou
encore sur les structures défensives... Les premiers résultats
sont tombés après une saison complète de vérification sur le
terrain en 2017. La quantité des vestiges (habitations ou
bâtiments de stockage, temples, palais, etc.) découverts est
impressionnante. Le site de Naachtun, par exemple, s’avère
particulièrement riche en enseignements sur l’urbanisation
maya. Jusque là, en six saisons de fouilles, les archéologues y
avaient exploré 2,5km2 seulement, comportant 650 structures
résidentielles. «Le Lidar a permis de détecter 12000 structures
sur 135km2, soit un cinquième des 60000 vestiges repérés sur
l’ensemble des zones couvertes par le projet: c’est un bond énorme
Horizons
®®
Vue 3D du célèbre site de Tikal.
PACUNAM/CANUTO&AULD-THOMAS
Géomètre n° 2161 • septembre 2018 • 47
en termes de visibilité», se réjouit Philippe Nondédéo.
«L’habitat est pratiquement continu: il y avait des gens partout,y
compris en limite ou au sein même de zones potentiellement
inondables!» Les aménagements mis au jour sur le site sont à
l’avenant, 18000 terrasses agricoles et 300km cumulés de
canaux ayant pu être repérés.Tikal confirme aussi son statut de
centre urbain majeur. «Les réservoirs monumentaux de Tikal
fournissaient en eau les élites résidant dans le centre. Ils avaient
une capacité suffisante pour approvisionner environ 20000
personnes pendant environ dix-huit mois», souligne l’archéo-
logue guatémaltèque Francisco Estrada-Belli, autre membre
du comité consultatif formé par la fondation Pacunam. Le
Lidar montre par ailleurs des infrastructures de communi-
cation bien développées, des chaussées ayant été construites
pour relier les grands centres urbains.
Mais, si certains lieux se caractérisent par une incroyable
densité de peuplement, d’autres sont restés exempts d’implan-
tation précolombienne. «Nous ne pouvons pas penser que la
colonisation maya a laissé son empreinte partout dans le paysage
et c’est important que nous expliquions cette variation», note
Thomas Garrison. Il s’interroge aussi sur les aménagements
agricoles à grande échelle que le Lidar a permis de révéler,
beaucoup plus développés dans certaines zones que dans
d’autres. Autre surprise de taille: la découverte de systèmes
défensifs à grande échelle, comme la forteresse de La
Cuernavilla, entre El Zotz et Tikal. Beaucoup de ces fortifica-
tions datent de la période préclassique, ce qui suggère que la
guerre était beaucoup plus fréquente que les archéologues ne le
croyaient jusqu’alors pendant l’ascension de la civilisation
maya.
D’ores et déjà, l’acquisition Lidar a démontré que les basses
terres du Petén ont été densément peuplées, en particulier
durant la période classique,et que la démographie maya y avait
été jusque là largement sous-évaluée. Toutefois, les estimations
démographiques avancées dans la presse –dix millions, voire
vingt millions d’habitants!– restent des plus hypothétiques,
notamment parce que la caractérisation et la datation des
structures nouvellement repérées implique un travail intense
de vérification sur le terrain. «Dans certaines régions, comme El
Zotz, on peut faire en toute confiance une large distinction entre
l’architecture de la période préclassique et celle de la période
classique, mais le tri de la chronologie régionale est un gros
problème pour aller de l’avant», explique Thomas Garrison. A
Naachtun, l’équipe dirigée par Philippe Nondédéo est déjà
saturée de données. Le prix national d’archéologie que lui a
décerné la fondation Simone et Cino Del Duca le 30 mai 2018,
d’un montant de 150000 euros, va permettre au scientifique
d’exploiter la nouvelle cartographie Lidar et d’étendre l’étude
de cette grande capitale régionale, caractérisée par sa puissante
royauté sacrée, à l’échelle des 135km2 de son territoire de
contrôle.
Le travail d’interprétation des données ne fait que commencer
et s’annonce d’autant plus colossal que la fondation Pacunam
a prévu d’étendre la couverture Lidar à 14000km2. «Nous
développons un plan de stockage des données et d’accès au savoir
à long terme»,précise Thomas Garrison.«Mais il est important
d’acquérir dès maintenant un ensemble de données de référence
avec un même capteur, ce qui permettra des inférences plus
larges.» «Un accès ouvert aux données Lidar stimulera la
recherche», ajoute son confrère Francisco Estrada-Belli. Au-
delà des progrès attendus pour la connaissance de chacun des
sites, des avancées majeures dans la compréhension globale de
l’histoiredelacivilisationmayadesbassesterres,desonorgani-
sation sociale et géopolitique ainsi que dans la gestion et
l’exploitation du milieu et des ressources naturelles devraient
découler de cette initiative sans précédent.
Horizons
Les données Lidar mettent en évidence des aménage-
ments agricoles à grande échelle. Ici, des murs de pierres
associés à la présence de culture intensive dans la zone
résidentielle de Xmakabatun.
PACUNAM/ESTRADA-BELLI

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Coup de projecteur Lidar sur les Mayas

  • 1. 44 • Géomètre n° 2161 • septembre 2018 Archéologie Coup de projecteur Lidar sur les Mayas Horizons La zone urbaine d’El Peru-Waka. Les pyramides du complexe El Mirador dominent une colline aménagée en terrasses. Ci-dessous, le centre cérémoniel élevé sur la colline au sud-ouest d’Holmul est cerné par de multiples fortifications comprenant fossés et murailles. PACUNAM/ESTRADA-BELLI
  • 2. Géomètre n° 2161 • septembre 2018 • 45 Petit pays d’Amérique centrale souvent méconnu, le Guatemala est pourtant doté d’un patrimoine excep- tionnel. Joyau d’architecture baroque, la cité coloniale d’Antigua, menacée par l’éruption meurtrière du volcan de Fuego du 3 juin,a été miraculeusement épargnée.Mais le pays, berceau de la civilisation maya, recèle aussi de nombreux trésors datant de la période précolombienne. En février 2018, des milliers de vestiges étaient ainsi découverts suite à une campagne Lidar (Light detection and ranging) archéologique d’une ampleur encore jamais atteinte. Le levé par laser aéroporté a couvert plus de 2100km2 au total dans la réserve de la biosphère maya du département du Petén, au nord du pays. Il a permis de redessiner la cartographie des aménage- ments anciens réalisés dans plusieurs zones abritant de grands centres mayas datant de la période préclassique (comprise environ entre 800 avant J.-C.et 150 après J.-C.) et de la période classique (entre 150 et 950/1000 après J.-C.). Ces travaux apportent une démonstration éclatante de la pertinence de cette approche dans les régions couvertes par la forêt tropicale où la photographie aérienne est donc impossible. Mené sous l’égide de la fondation guatémaltèque Pacunam (fondation pour le patrimoine culturel et naturel maya), le projet PLI (Pacunam Lidar Initiative) a été propulsé sous le feu des médias en février dernier, non sans quelques grossières approximations, par National Geographic, partenaire du projet (lire l’encadré ci-dessus). Mais derrière la surenchère de gros titres destinés à vendre du rêve autour de la découverte d’une mystérieuse cité perdue se cachent de bien réelles avancées scientifiques. «Le Lidar, c’est vraiment une révolution pour l’archéologie!», s’enthousiasme Philippe Nondédéo, associé à ces recherches en tant que directeur des fouilles du site de Naachtun. Cela fait moins d’une dizaine d’années que cette technologie, qui offre la possibilité d’effectuer des relevés sous la couverture végétale, est expérimentée pour cartographier les vestiges archéologiques dissimulés sous la canopée des forêts tropicales.Et c’est d’ailleurs sur un site maya – celui de Caracol, au Belize – qu’un modèle numérique métrique obtenu en 2009 par le Ncalm (National center for airborne laser mapping) américain, hébergé à l’université de Houston, a fait pour la première fois la preuve de son intérêt en archéologie.Depuis,le Ncalm s’est imposé comme un partenaire incontournable des mayanistes en contribuant à une vingtaine de campagnes de levés en Amérique centrale. Cette fois encore, il a été mis à contribution, mais à bien plus grande échelle. «Un consortium international impliquant l’ensemble des archéologues travaillant dans la région a été formé», explique Philippe Nondédéo. «Ce projet offre une perspective d’ensemble sur les paysages mayas des basses terres que les relevés Lidar mettant l’accent sur des sites uniques sont incapables de fournir»,ajoute l’Américain Thomas Garrison(Ithacacollege),spécialistedel’archéologiemaya Horizons ®® Au Guatemala, la plus grande campagne d’acquisition Lidar archéologique jamais menée a mis au jour une grande concentration de vestiges et d’aménagements mayas. Ce projet international d’une envergure inédite devrait permettre un bond en avant dans la connaissance de cette civilisation précolombienne. MARIELLE MAYO Rarement le Lidar aura fait autant parler de lui: suite à la publication du reportage du National Geographic, l’annonce de la découverte au Guatemala d’une cité maya de plus de 2000km2 a été immédiatement reprise en boucle par les médias et diffusée dans le monde entier.Une information erronée, on l’aura compris, puisque la couverture Lidar a concerné une dizaine de zones discon- tinues dans la vaste forêt tropicale, centrées sur des sites archéologiques déjà connus. A l’origine, pour mieux vendre son reportage, la version anglaise du National Geographic avait choisi de mettre en avant la découverte d’une «mégalopole».Or,ce terme recouvre un concept peu connu,celui d’un vaste territoire très urbanisé,comportant une forte densité d’agglomérations interconnectées (comme entre Boston et Washington). La distinction avec le terme «mégapole» a visiblement échappé aux traduc- teurs.L’exigence de rapidité du web,peu compatible avec le temps de la vérification, et bien sûr la tentation du sensa- tionnalisme ont fait le reste...De ces recherches très impor- tantes, les journalistes en mal de scoop auront retenu seulement la découverte d’une cité mythique inexistante, prétendument peuplée de dix à vingt millions d’habitants –ce qui correspond aux estimations démographiques les plus optimistes pour les basses terres centrales mayas tout entières (90000km2), controversées au sein même de la communauté des archéologues associés au projet. Hystérie médiatique PACUNAM/CANUTO&AULD-THOMAS
  • 3. 46 • Géomètre n° 2161 • septembre 2018 et membre du comité consultatif formé par la fondation Pacunam. C’est donc un nouveau chapitre qui s’ouvre... Dans le Petén,des sites mayas majeurs ont été mis au jour.Loin d’avoir livré tous leurs secrets, ils mobilisent des archéologues du monde entier. Ces équipes ont défini des macro-zones d’intérêt recouvrant les sites de Tikal, Holmul-Witzna, Naachtun, La Corona-Achiotal, El Zotz, El Perú-Waka, Uaxactun, San Bartolo-Xultun et El Tintal, ainsi que des aires boisées potentiellement représentatives de l’action des Mayas sur leur environnement et de l’état actuel de la végétation dans la réserve. Initialement, la couverture Lidar devait ainsi concerner douze polygones discontinus. «Ils ont été ramenés à dix lorsque le Ncalm a fini par couvrir des zones qui en reliaient d’autres entre elles», précise Thomas Garrison. Concrètement, la phase d’acquisition de données a débuté en juillet 2016 par une première campagne de trois semaines concernant approximativement 1700km2, complétée par la suite pour couvrir jusqu’à 2100km2.Au total,44 heures de vol auront été nécessaires. Depuis les premiers essais menés dès 2000 au Honduras, la technologie a progressé et le Lidar multispectral aéroporté Titan de la compagnie Teledyne Optechutilisécorrespondàlatroisièmegénérationdecapteurs testée par le Ncalm. Il intègre trois émetteurs laser à des longueurs d’ondes différentes avec une séparation angulaire de 3,5° entre les plans de balayage –inclinés respectivement de 0° dans le proche infrarouge (1064nm), de 3,5° dans le moyen infrarouge (1550nm) et de 7° dans le vert (532nm)–,avec des fréquences d’impulsion atteignant 300kHz par laser (900kHz au total).Cette technologie étend l’information disponible aux caractéristiques d’intensité en fonction de la longueur d’onde et du type de retour. Elle améliore sensiblement l’exactitude et permet d’étudier davantage de variables de classification, avec une différenciation des sols, de l’asphalte, des différents types de végétation et des bâtiments. «Des constructions monumen- tales telles que les pyramides sont immédiatement visibles, de même que les excavations de pillage qu’elles ont subies»,explique Thomas Garrison.A Tikal,ces travaux ont ainsi permis d’iden- tifier une nouvelle pyramide de 27m de haut.«Le Lidar s’avère aussi particulièrement utile pour détecter de longues et subtiles caractéristiques du paysage,par exemple les chaussées et les terras- sements, qui sont très difficiles à voir sur le sol», poursuit l’archéologue. Un important travail d’interprétation à mener Le Ncalm fournit des données brutes, des nuages de points, ainsi que différents types de modèles numériques (MNS,MNE et modèles de hauteur de canopée utiles pour comprendre la biomasse). Pour interpréter les données, les équipes peuvent s’appuyer sur de longues années de fouilles sur leurs chantiers respectifs. En fonction de leur expérience, elles ont constitué des groupes de travail sur l’habitat, sur les aménagements agraires et hydrauliques, sur les voies de communication ou encore sur les structures défensives... Les premiers résultats sont tombés après une saison complète de vérification sur le terrain en 2017. La quantité des vestiges (habitations ou bâtiments de stockage, temples, palais, etc.) découverts est impressionnante. Le site de Naachtun, par exemple, s’avère particulièrement riche en enseignements sur l’urbanisation maya. Jusque là, en six saisons de fouilles, les archéologues y avaient exploré 2,5km2 seulement, comportant 650 structures résidentielles. «Le Lidar a permis de détecter 12000 structures sur 135km2, soit un cinquième des 60000 vestiges repérés sur l’ensemble des zones couvertes par le projet: c’est un bond énorme Horizons ®® Vue 3D du célèbre site de Tikal. PACUNAM/CANUTO&AULD-THOMAS
  • 4. Géomètre n° 2161 • septembre 2018 • 47 en termes de visibilité», se réjouit Philippe Nondédéo. «L’habitat est pratiquement continu: il y avait des gens partout,y compris en limite ou au sein même de zones potentiellement inondables!» Les aménagements mis au jour sur le site sont à l’avenant, 18000 terrasses agricoles et 300km cumulés de canaux ayant pu être repérés.Tikal confirme aussi son statut de centre urbain majeur. «Les réservoirs monumentaux de Tikal fournissaient en eau les élites résidant dans le centre. Ils avaient une capacité suffisante pour approvisionner environ 20000 personnes pendant environ dix-huit mois», souligne l’archéo- logue guatémaltèque Francisco Estrada-Belli, autre membre du comité consultatif formé par la fondation Pacunam. Le Lidar montre par ailleurs des infrastructures de communi- cation bien développées, des chaussées ayant été construites pour relier les grands centres urbains. Mais, si certains lieux se caractérisent par une incroyable densité de peuplement, d’autres sont restés exempts d’implan- tation précolombienne. «Nous ne pouvons pas penser que la colonisation maya a laissé son empreinte partout dans le paysage et c’est important que nous expliquions cette variation», note Thomas Garrison. Il s’interroge aussi sur les aménagements agricoles à grande échelle que le Lidar a permis de révéler, beaucoup plus développés dans certaines zones que dans d’autres. Autre surprise de taille: la découverte de systèmes défensifs à grande échelle, comme la forteresse de La Cuernavilla, entre El Zotz et Tikal. Beaucoup de ces fortifica- tions datent de la période préclassique, ce qui suggère que la guerre était beaucoup plus fréquente que les archéologues ne le croyaient jusqu’alors pendant l’ascension de la civilisation maya. D’ores et déjà, l’acquisition Lidar a démontré que les basses terres du Petén ont été densément peuplées, en particulier durant la période classique,et que la démographie maya y avait été jusque là largement sous-évaluée. Toutefois, les estimations démographiques avancées dans la presse –dix millions, voire vingt millions d’habitants!– restent des plus hypothétiques, notamment parce que la caractérisation et la datation des structures nouvellement repérées implique un travail intense de vérification sur le terrain. «Dans certaines régions, comme El Zotz, on peut faire en toute confiance une large distinction entre l’architecture de la période préclassique et celle de la période classique, mais le tri de la chronologie régionale est un gros problème pour aller de l’avant», explique Thomas Garrison. A Naachtun, l’équipe dirigée par Philippe Nondédéo est déjà saturée de données. Le prix national d’archéologie que lui a décerné la fondation Simone et Cino Del Duca le 30 mai 2018, d’un montant de 150000 euros, va permettre au scientifique d’exploiter la nouvelle cartographie Lidar et d’étendre l’étude de cette grande capitale régionale, caractérisée par sa puissante royauté sacrée, à l’échelle des 135km2 de son territoire de contrôle. Le travail d’interprétation des données ne fait que commencer et s’annonce d’autant plus colossal que la fondation Pacunam a prévu d’étendre la couverture Lidar à 14000km2. «Nous développons un plan de stockage des données et d’accès au savoir à long terme»,précise Thomas Garrison.«Mais il est important d’acquérir dès maintenant un ensemble de données de référence avec un même capteur, ce qui permettra des inférences plus larges.» «Un accès ouvert aux données Lidar stimulera la recherche», ajoute son confrère Francisco Estrada-Belli. Au- delà des progrès attendus pour la connaissance de chacun des sites, des avancées majeures dans la compréhension globale de l’histoiredelacivilisationmayadesbassesterres,desonorgani- sation sociale et géopolitique ainsi que dans la gestion et l’exploitation du milieu et des ressources naturelles devraient découler de cette initiative sans précédent. Horizons Les données Lidar mettent en évidence des aménage- ments agricoles à grande échelle. Ici, des murs de pierres associés à la présence de culture intensive dans la zone résidentielle de Xmakabatun. PACUNAM/ESTRADA-BELLI