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102
DE NEANDERTAL
ET DENISOVA
Quelque chose en nous
L’homme de Neandertal et son cousin
l’homme de Denisova étaient si proches
de nous que nos ancêtres Homo
sapiens se sont accouplés avec
eux. Selon de récentes recherches,
nous portons encore dans nos
gènes la trace de cette union
bancale. Un legs utile en son
temps, aujourd’hui un
peu encombrant…
©SHUTTERSTOCK
GÉNÉTIQUE
Livre 1.indb 102 02/05/2017 17:22
103
NEANDERTAL ET DENISOVA
I
l y a environ 30 000 ans,
Homo sapiens se retrouvait
seul aux commandes de la
destinée de l’humanité, les plus
proches espèces cousines,
l’homme de Neandertal et celui de
Denisova, s’étant éteintes. Leur
héritage, pourtant, n’avait pas totalement
disparu… En 2010, grâce aux progrès
fulgurants de la paléogénomique (l’étude des
génomes anciens), on découvrait avec
stupeur que non seulement les différentes
lignées humaines s’étaient côtoyées, mais
qu’elles s’étaient aussi métissées et que le
génome de l’homme moderne en portait
toujours la trace. Ces données ont été
affinées depuis, sous l’impulsion du pionnier
suédois Svante Pääbo, grâce à une
minutieuse enquête internationale qui a
confirmé qu’environ 2 % du génome d’un
Européen ou d’un Chinois est issu
d’ancêtres néandertaliens, tandis que les
Dénisoviens ont contribué à hauteur
d’environ 5 à 6 % au génome des
populations autochtones de Nouvelle-
Guinée. Grâce aux découvertes les plus
récentes, on comprend mieux aussi
pourquoi ce legs a été préservé, et dans
quelle mesure il s’est avéré utile ou délétère.
L’ÉVOLUTION A ÉTÉ
BUISSONNANTE
Ces avancées constituent le dernier chapitre
d’une histoire de l’évolution humaine écrite
en moins d’un siècle et demi et qui aura
bousculé tous les dogmes.
« La paléoanthropologie est une science
jeune », rappelle Jean-Jacques Hublin,
qui dirige le département de l’Évolution
humaine de l’Institut Max Planck
d’anthropologie évolutionnaire de Leipzig
(Allemagne). Les premiers hommes fossiles
ont été découverts au XIXe
 siècle, mais c’est
l’accélération des découvertes à la fin du
DENISOVA,
ENCORE UN MYSTÈRE
L’homme de Denisova n’est connu
que par une phalange d’auriculaire,
plusieurs dents et son ADN.
C’est bien peu, même si la molaire
fossilisée, plus proche de celles
d’Homo erectus que de celles
d’Homo sapiens ou de l’homme
de Neandertal, a tout de suite
intrigué les chercheurs. D’après
l’ADN, les ossements auraient
appartenu à une fillette à la peau
noire, brune et aux yeux marron.
En mars 2017, une équipe chinoise
a découvert en Chine des fragments
de crânes. Selon Jean-Jacques
Hublin, ils pourraient avoir
appartenu à des Denisoviens… 
Si ces résultats se confirmaient,
on pourrait en apprendre davantage.
Ancêtre commun
Autre
« Les différentes lignées
humaines se sont côtoyées,
et elles se sont aussi
métissées... »
Livre 1.indb 103 02/05/2017 17:22
104
XXe
 siècle qui a conduit à réécrire l’odyssée
humaine. « La représentation d’une évolution
linéaire, conçue comme une sorte de marche
glorieuse vers l’homme dans l’imagerie
populaire, s’est révélée complètement
fausse », souligne-t-il. On sait désormais
que la lignée humaine s’est séparée de celle
des chimpanzés il y a environ 6 à 7 millions
d’années. Par la suite, son évolution a été
marquée par un buissonnement d’espèces,
différentes lignées ayant coexisté dans
le temps et/ou dans l’espace avant de
s’éteindre. Après s’être dispersées en Afrique,
plusieurs lignées humaines archaïques se sont
ainsi installées en Eurasie. Et lorsque les
premiers Homo sapiens, apparus en Afrique
voilà quelque 200 000 ans, se sont lancés à
sa conquête, divers groupes de néandertaliens
issus d’une sortie d’Afrique environ
300 000 ans plus tôt occupaient déjà
l’Europe ainsi que certaines régions d’Asie
et du Proche-Orient.
« L’image de l’arbre phylogénétique se
précise au fil des découvertes, même s’il y a
encore des zones floues et des branches
manquantes », relève Jean-Jacques Hublin.
Les progrès de la paléogénomique ont
d’abord été lents. « L’ADN fossile se dégrade
avec le temps et se conserve mal. Il ne résiste
pas à un climat trop chaud, ce qui explique
qu’on n’en trouve pas en Afrique, poursuit-il.
Il est par ailleurs difficile à isoler et
généralement contaminé par l’ADN de
bactéries, de champignons ou de ses
manipulateurs. »
Lorsque son collègue suédois Svante
Pääbo, qui dirige le département de génétique
à l’Institut Max Planck de Leipzig, reconstitue
en 1997 une petite séquence génétique d’un
néandertalien, il s’agit d’un véritable exploit.
Pourtant, ces travaux ne portent que sur une
portion du matériel génétique extrait des
mitochondries, des compartiments cellulaires
chargés de produire l’énergie (voir l’article sur
la cellule page 42-43), qui recèlent un peu de
matériel génétique transmis uniquement par la
mère. « Ces molécules d’ADN sont très petites
et beaucoup plus simples à étudier que l’ADN
du noyau car on peut en extraire 100
à 1000 copies par cellule », précise
Jean-Jacques Hublin.
Ce fragment de phalange et cette molaire sont les seuls
vestiges de l’homme de Denisova retrouvés à ce jour.
NEANDERTAL,
UN COUSIN BIEN BÂTI
Petit, trapu et robuste, l’homme
de Neandertal se tenait droit et
ressemblait peu au personnage
simiesque jadis représenté ; il était
doté d’un crâne volumineux, avec
un front plat, un menton fuyant
et des yeux et des cheveux clairs,
de même que sa peau. Sa vie était
sans doute rude et courte, avec
un début de reproduction précoce.
On ignore s’il maîtrisait une forme
de langage, mais certains traits
culturels identifiés par les
archéologues le rapprochent de
l’homme moderne : une technicité
assez avancée, l’inhumation des
morts, les parures corporelles…
©THILOPARG/WIKIMÉDIACOMMONS/CCBY-SA3.00
Livre 1.indb 104 02/05/2017 17:22
105
UN “TROISIÈME HOMME”
DÉCOUVERT ?
Grâce à l’amélioration des techniques
d’extraction et de purification, l’équipe de
Svante Pääbo fournit en 2010 un “premier jet”
du séquençage d’un génome complet
d’homme de Neandertal, reconstitué à partir
de l’ADN extrait de trois os retrouvés dans la
grotte de Vindija, en Croatie. Un peu plus tard,
elle présente la séquence d’un autre génome,
extrait celui-ci d’une phalange découverte en
2008 dans une couche archéologique de
la grotte de Denisova, en Sibérie, datée
approximativement de 50 000 à 30 000 ans.
Cette phalange constitue, avec une molaire,
le seul vestige du squelette d’un humain
archaïque y ayant séjourné. Et comme le
laissait présager le séquençage de l’ADN
mitochondrial réalisé juste avant, ces vestiges
appartiennent bien à une lignée humaine
jusque-là inconnue, contemporaine des
néandertaliens et des hommes modernes :
l’homme de Denisova vient d’être identifié !
On est alors à l’aube d’une révolution
scientifique. « Les technologies de
séquençage sont désormais disponibles à des
coûts acceptables et leurs performances se
sont améliorées de façon spectaculaire »,
s’enthousiasme Jean-Jacques Hublin. En
2012, grâce à des méthodes plus sensibles,
les chercheurs affinent les résultats obtenus
sur le génome de l’homme de Denisova,
exceptionnellement bien préservé malgré son
âge respectable, réévalué dans une fourchette
de 74 000 à 82 000 ans. Dans la foulée,
plusieurs équipes font parler le génome de
néandertaliens ou d’hommes modernes.
Selon une étude parue en janvier 2014 dans
la revue Nature, la lignée de l’homme moderne
aurait divergé de celle des ancêtres de
Neandertal et de Denisova il y a environ
610 000 ans, puis, au sein de ce dernier
groupe, la divergence des denisoviens et des
néandertaliens serait intervenue voilà environ
460 000 ans. Bien qu’elles soient restées très
proches génétiquement, on a pu modéliser
le degré de divergence de ces trois lignées
et les évolutions de leurs génomes respectifs,
dues aux mutations accumulées au fil des
générations. « La séparation des espèces
prend énormément de temps, car l’isolement
reproductif entre deux nouvelles espèces
se met en place de façon très progressive
pendant plusieurs millions d’années », explique
Jean-Jacques Hublin. Les possibilités de
reproduction croisée qui ont perduré ont
permis à Homo sapiens de se métisser avec
les néandertaliens il y a environ 50 000 ans,
après sa sortie d’Afrique, mais aussi avec
l’homme de Denisova. Où et quand ?
Les scientifiques en débattent encore, mais les
descendants de ces unions se sont répandus
dans le monde entier sauf en Afrique.
QUE RESTE-T-IL
DE NOS “COUSINS” ?
Dans les populations actuelles issues
de ce métissage avec ces frustes cousins,
des fragments du patrimoine génétique
humain en portent toujours la trace.
« Les individus non africains contemporains
présentent approximativement 2 %
d’ascendance néandertalienne (de 1 à 4 %
selon les individus), avec des variations dans
les différentes populations », explique Joshua
Akey, du département des sciences du
génome à l’université d’État de Washington
(Seattle). Cet héritage est plus marqué chez
les Extrêmes-Orientaux qu’en Europe, l’impact
des gènes dénisoviens n’étant en revanche
significatif que dans les populations des îles
mélanésiennes au nord de l’Australie.
« Des parties de génome archaïque,
conférant probablement des avantages locaux
dans des conditions restreintes, ont été
sélectionnées, alors que d’autres ont été
purgées », indique Jean-Jacques Hublin.
Les gènes qui ont subsisté sous une forme
archaïque sont aujourd’hui très inégalement
répartis le long du génome.
« Beaucoup des gènes néandertaliens sont
impliqués dans l’immunité ou la biologie de la
peau, ajoute Joshua Akey. Nous supposons
que cela reflète l’adaptation des hommes
modernes à de nouvelles pressions de
sélection auxquelles ils ont dû faire face en
se dispersant hors d’Afrique et en rencontrant
de nouveaux pathogènes et des climats
différents. » Dans le même ordre d’idées,
on a aussi identifié au sein des populations
actuelles des versions archaïques de gènes
de l’immunité provenant de l’homme de
Denisova, et montré que son héritage avait
joué un rôle dans l’adaptation à l’altitude des
populations tibétaines. En se basant sur
l’étude de 28 000 dossiers médicaux, l’équipe
de Joshua Akey a pu préciser le prix à payer
pour le legs encombrant de Neandertal.
Associés à certaines caractéristiques des
cheveux, de la peau ou du métabolisme
Par Marielle Mayo
des graisses adaptées aux climats froids,
les gènes néandertaliens seraient en
contrepartie impliqués à divers degrés dans
la prédisposition à des maladies telles que
la kératose actinique (une affection
dermatologique) ou le lupus (une maladie
auto-immune), à l’hypercoagulation et à
certains troubles neurologiques et
psychiatriques tels que la dépression
ou la schizophrénie, et même la dépendance
au tabac !
DES GÈNES MIS AU PAS
Connaître la fonction des gènes ne suffit
toutefois pas à leur imputer des traits
observables chez l’individu (ce que les
scientifiques appellent le phénotype).
Il existe en effet des processus régulateurs
susceptibles de freiner l’activité des gènes,
voire de les réduire au silence, ou au contraire
de les pousser à s’exprimer trop bruyamment.
Or, comment savoir si les mécanismes
inhibiteurs ou activateurs mis en place par
l’évolution chez les néandertaliens étaient
identiques à ceux qui s’exercent dans
notre génome ?
Dans une étude publiée en février dernier
dans la revue Cell, Joshua Akey s’est donc
demandé dans quelle mesure les gènes
archaïques étaient fonctionnels chez l’homme.
« Des décennies de travaux ont montré que
la façon dont les gènes sont “allumés” ou
“éteints” joue un large rôle dans les variations
de phénotype et dans la prédisposition aux
maladies, souligne-t-il. Nous avons découvert
que l’origine néandertalienne avait des effets
prépondérants sur les niveaux d’expression
des gènes. » Les gènes archaïques sont
en particulier beaucoup moins actifs dans
les testicules et dans le cerveau que dans
les autres tissus du corps. C’est le signe
que les gènes impliqués dans le
fonctionnement de ces deux organes
ont connu une évolution différente chez
l’homme moderne et chez Neandertal.
Ces observations corroborent aussi
l’hypothèse d’une faible fertilité des Homo
sapiens mâles métissés. On pourra également
se réjouir que le Neandertal qui sommeille
en nous n’ait quasiment pas voix au chapitre
dans le cerveau…
NEANDERTAL ET DENISOVA
Livre 1.indb 105 02/05/2017 17:22

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  • 1. 102 DE NEANDERTAL ET DENISOVA Quelque chose en nous L’homme de Neandertal et son cousin l’homme de Denisova étaient si proches de nous que nos ancêtres Homo sapiens se sont accouplés avec eux. Selon de récentes recherches, nous portons encore dans nos gènes la trace de cette union bancale. Un legs utile en son temps, aujourd’hui un peu encombrant… ©SHUTTERSTOCK GÉNÉTIQUE Livre 1.indb 102 02/05/2017 17:22
  • 2. 103 NEANDERTAL ET DENISOVA I l y a environ 30 000 ans, Homo sapiens se retrouvait seul aux commandes de la destinée de l’humanité, les plus proches espèces cousines, l’homme de Neandertal et celui de Denisova, s’étant éteintes. Leur héritage, pourtant, n’avait pas totalement disparu… En 2010, grâce aux progrès fulgurants de la paléogénomique (l’étude des génomes anciens), on découvrait avec stupeur que non seulement les différentes lignées humaines s’étaient côtoyées, mais qu’elles s’étaient aussi métissées et que le génome de l’homme moderne en portait toujours la trace. Ces données ont été affinées depuis, sous l’impulsion du pionnier suédois Svante Pääbo, grâce à une minutieuse enquête internationale qui a confirmé qu’environ 2 % du génome d’un Européen ou d’un Chinois est issu d’ancêtres néandertaliens, tandis que les Dénisoviens ont contribué à hauteur d’environ 5 à 6 % au génome des populations autochtones de Nouvelle- Guinée. Grâce aux découvertes les plus récentes, on comprend mieux aussi pourquoi ce legs a été préservé, et dans quelle mesure il s’est avéré utile ou délétère. L’ÉVOLUTION A ÉTÉ BUISSONNANTE Ces avancées constituent le dernier chapitre d’une histoire de l’évolution humaine écrite en moins d’un siècle et demi et qui aura bousculé tous les dogmes. « La paléoanthropologie est une science jeune », rappelle Jean-Jacques Hublin, qui dirige le département de l’Évolution humaine de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionnaire de Leipzig (Allemagne). Les premiers hommes fossiles ont été découverts au XIXe  siècle, mais c’est l’accélération des découvertes à la fin du DENISOVA, ENCORE UN MYSTÈRE L’homme de Denisova n’est connu que par une phalange d’auriculaire, plusieurs dents et son ADN. C’est bien peu, même si la molaire fossilisée, plus proche de celles d’Homo erectus que de celles d’Homo sapiens ou de l’homme de Neandertal, a tout de suite intrigué les chercheurs. D’après l’ADN, les ossements auraient appartenu à une fillette à la peau noire, brune et aux yeux marron. En mars 2017, une équipe chinoise a découvert en Chine des fragments de crânes. Selon Jean-Jacques Hublin, ils pourraient avoir appartenu à des Denisoviens…  Si ces résultats se confirmaient, on pourrait en apprendre davantage. Ancêtre commun Autre « Les différentes lignées humaines se sont côtoyées, et elles se sont aussi métissées... » Livre 1.indb 103 02/05/2017 17:22
  • 3. 104 XXe  siècle qui a conduit à réécrire l’odyssée humaine. « La représentation d’une évolution linéaire, conçue comme une sorte de marche glorieuse vers l’homme dans l’imagerie populaire, s’est révélée complètement fausse », souligne-t-il. On sait désormais que la lignée humaine s’est séparée de celle des chimpanzés il y a environ 6 à 7 millions d’années. Par la suite, son évolution a été marquée par un buissonnement d’espèces, différentes lignées ayant coexisté dans le temps et/ou dans l’espace avant de s’éteindre. Après s’être dispersées en Afrique, plusieurs lignées humaines archaïques se sont ainsi installées en Eurasie. Et lorsque les premiers Homo sapiens, apparus en Afrique voilà quelque 200 000 ans, se sont lancés à sa conquête, divers groupes de néandertaliens issus d’une sortie d’Afrique environ 300 000 ans plus tôt occupaient déjà l’Europe ainsi que certaines régions d’Asie et du Proche-Orient. « L’image de l’arbre phylogénétique se précise au fil des découvertes, même s’il y a encore des zones floues et des branches manquantes », relève Jean-Jacques Hublin. Les progrès de la paléogénomique ont d’abord été lents. « L’ADN fossile se dégrade avec le temps et se conserve mal. Il ne résiste pas à un climat trop chaud, ce qui explique qu’on n’en trouve pas en Afrique, poursuit-il. Il est par ailleurs difficile à isoler et généralement contaminé par l’ADN de bactéries, de champignons ou de ses manipulateurs. » Lorsque son collègue suédois Svante Pääbo, qui dirige le département de génétique à l’Institut Max Planck de Leipzig, reconstitue en 1997 une petite séquence génétique d’un néandertalien, il s’agit d’un véritable exploit. Pourtant, ces travaux ne portent que sur une portion du matériel génétique extrait des mitochondries, des compartiments cellulaires chargés de produire l’énergie (voir l’article sur la cellule page 42-43), qui recèlent un peu de matériel génétique transmis uniquement par la mère. « Ces molécules d’ADN sont très petites et beaucoup plus simples à étudier que l’ADN du noyau car on peut en extraire 100 à 1000 copies par cellule », précise Jean-Jacques Hublin. Ce fragment de phalange et cette molaire sont les seuls vestiges de l’homme de Denisova retrouvés à ce jour. NEANDERTAL, UN COUSIN BIEN BÂTI Petit, trapu et robuste, l’homme de Neandertal se tenait droit et ressemblait peu au personnage simiesque jadis représenté ; il était doté d’un crâne volumineux, avec un front plat, un menton fuyant et des yeux et des cheveux clairs, de même que sa peau. Sa vie était sans doute rude et courte, avec un début de reproduction précoce. On ignore s’il maîtrisait une forme de langage, mais certains traits culturels identifiés par les archéologues le rapprochent de l’homme moderne : une technicité assez avancée, l’inhumation des morts, les parures corporelles… ©THILOPARG/WIKIMÉDIACOMMONS/CCBY-SA3.00 Livre 1.indb 104 02/05/2017 17:22
  • 4. 105 UN “TROISIÈME HOMME” DÉCOUVERT ? Grâce à l’amélioration des techniques d’extraction et de purification, l’équipe de Svante Pääbo fournit en 2010 un “premier jet” du séquençage d’un génome complet d’homme de Neandertal, reconstitué à partir de l’ADN extrait de trois os retrouvés dans la grotte de Vindija, en Croatie. Un peu plus tard, elle présente la séquence d’un autre génome, extrait celui-ci d’une phalange découverte en 2008 dans une couche archéologique de la grotte de Denisova, en Sibérie, datée approximativement de 50 000 à 30 000 ans. Cette phalange constitue, avec une molaire, le seul vestige du squelette d’un humain archaïque y ayant séjourné. Et comme le laissait présager le séquençage de l’ADN mitochondrial réalisé juste avant, ces vestiges appartiennent bien à une lignée humaine jusque-là inconnue, contemporaine des néandertaliens et des hommes modernes : l’homme de Denisova vient d’être identifié ! On est alors à l’aube d’une révolution scientifique. « Les technologies de séquençage sont désormais disponibles à des coûts acceptables et leurs performances se sont améliorées de façon spectaculaire », s’enthousiasme Jean-Jacques Hublin. En 2012, grâce à des méthodes plus sensibles, les chercheurs affinent les résultats obtenus sur le génome de l’homme de Denisova, exceptionnellement bien préservé malgré son âge respectable, réévalué dans une fourchette de 74 000 à 82 000 ans. Dans la foulée, plusieurs équipes font parler le génome de néandertaliens ou d’hommes modernes. Selon une étude parue en janvier 2014 dans la revue Nature, la lignée de l’homme moderne aurait divergé de celle des ancêtres de Neandertal et de Denisova il y a environ 610 000 ans, puis, au sein de ce dernier groupe, la divergence des denisoviens et des néandertaliens serait intervenue voilà environ 460 000 ans. Bien qu’elles soient restées très proches génétiquement, on a pu modéliser le degré de divergence de ces trois lignées et les évolutions de leurs génomes respectifs, dues aux mutations accumulées au fil des générations. « La séparation des espèces prend énormément de temps, car l’isolement reproductif entre deux nouvelles espèces se met en place de façon très progressive pendant plusieurs millions d’années », explique Jean-Jacques Hublin. Les possibilités de reproduction croisée qui ont perduré ont permis à Homo sapiens de se métisser avec les néandertaliens il y a environ 50 000 ans, après sa sortie d’Afrique, mais aussi avec l’homme de Denisova. Où et quand ? Les scientifiques en débattent encore, mais les descendants de ces unions se sont répandus dans le monde entier sauf en Afrique. QUE RESTE-T-IL DE NOS “COUSINS” ? Dans les populations actuelles issues de ce métissage avec ces frustes cousins, des fragments du patrimoine génétique humain en portent toujours la trace. « Les individus non africains contemporains présentent approximativement 2 % d’ascendance néandertalienne (de 1 à 4 % selon les individus), avec des variations dans les différentes populations », explique Joshua Akey, du département des sciences du génome à l’université d’État de Washington (Seattle). Cet héritage est plus marqué chez les Extrêmes-Orientaux qu’en Europe, l’impact des gènes dénisoviens n’étant en revanche significatif que dans les populations des îles mélanésiennes au nord de l’Australie. « Des parties de génome archaïque, conférant probablement des avantages locaux dans des conditions restreintes, ont été sélectionnées, alors que d’autres ont été purgées », indique Jean-Jacques Hublin. Les gènes qui ont subsisté sous une forme archaïque sont aujourd’hui très inégalement répartis le long du génome. « Beaucoup des gènes néandertaliens sont impliqués dans l’immunité ou la biologie de la peau, ajoute Joshua Akey. Nous supposons que cela reflète l’adaptation des hommes modernes à de nouvelles pressions de sélection auxquelles ils ont dû faire face en se dispersant hors d’Afrique et en rencontrant de nouveaux pathogènes et des climats différents. » Dans le même ordre d’idées, on a aussi identifié au sein des populations actuelles des versions archaïques de gènes de l’immunité provenant de l’homme de Denisova, et montré que son héritage avait joué un rôle dans l’adaptation à l’altitude des populations tibétaines. En se basant sur l’étude de 28 000 dossiers médicaux, l’équipe de Joshua Akey a pu préciser le prix à payer pour le legs encombrant de Neandertal. Associés à certaines caractéristiques des cheveux, de la peau ou du métabolisme Par Marielle Mayo des graisses adaptées aux climats froids, les gènes néandertaliens seraient en contrepartie impliqués à divers degrés dans la prédisposition à des maladies telles que la kératose actinique (une affection dermatologique) ou le lupus (une maladie auto-immune), à l’hypercoagulation et à certains troubles neurologiques et psychiatriques tels que la dépression ou la schizophrénie, et même la dépendance au tabac ! DES GÈNES MIS AU PAS Connaître la fonction des gènes ne suffit toutefois pas à leur imputer des traits observables chez l’individu (ce que les scientifiques appellent le phénotype). Il existe en effet des processus régulateurs susceptibles de freiner l’activité des gènes, voire de les réduire au silence, ou au contraire de les pousser à s’exprimer trop bruyamment. Or, comment savoir si les mécanismes inhibiteurs ou activateurs mis en place par l’évolution chez les néandertaliens étaient identiques à ceux qui s’exercent dans notre génome ? Dans une étude publiée en février dernier dans la revue Cell, Joshua Akey s’est donc demandé dans quelle mesure les gènes archaïques étaient fonctionnels chez l’homme. « Des décennies de travaux ont montré que la façon dont les gènes sont “allumés” ou “éteints” joue un large rôle dans les variations de phénotype et dans la prédisposition aux maladies, souligne-t-il. Nous avons découvert que l’origine néandertalienne avait des effets prépondérants sur les niveaux d’expression des gènes. » Les gènes archaïques sont en particulier beaucoup moins actifs dans les testicules et dans le cerveau que dans les autres tissus du corps. C’est le signe que les gènes impliqués dans le fonctionnement de ces deux organes ont connu une évolution différente chez l’homme moderne et chez Neandertal. Ces observations corroborent aussi l’hypothèse d’une faible fertilité des Homo sapiens mâles métissés. On pourra également se réjouir que le Neandertal qui sommeille en nous n’ait quasiment pas voix au chapitre dans le cerveau… NEANDERTAL ET DENISOVA Livre 1.indb 105 02/05/2017 17:22