易 #NEURONES #PARKINSON
Générer des neurones en laboratoire pour reconstituer des circuits neuronaux et permettre de corriger des déficits moteurs.
C'est le défi que pourrait avoir surmonté l'équipe de recherche de l'Université de Californie, San Diégo
http://fugenome.ucsd.edu/
L’équipe du Pr Xiang-Dong Fu explique qu’elle serait parvenue, par accident, à éradiquer les symptômes de la maladie de Parkinson chez une souris
https://lnkd.in/dShFtbZ
Prochaines étapes, des tests sur de grands animaux, sur les singes puis sur des sujets humains âgés.
❤️ Au nom de mon entreprise Miloé, je fonde l'espoir positif d'un traitement pour toutes les personnes touchées par cette maladie neuro-dégénérative.
1. 56. Courrier international — no 1563 du 15 au 21 octobre 2020
L’histoiredes
neuronesjaillis
denullepart
Neurosciences. Après avoir mis de côté une
expérience infructueuse, une équipe de biologistes
s’est retrouvée, contre toute attente, avec une boîte
de Petri pleine de neurones. Et si cet “accident”
conduisait à une révolution médicale?
Économie ......58
mes cellules”, se souvient Yuanchao Xue,
aujourd’hui chercheur à l’Institut de bio-
physique de l’Académie des sciences de
Pékin. Il essayait d’extraire les protéines
PTB de cellules cancéreuses humaines
à l’aide de petits ARN interférents [les
pARNi, des ARN capables d’empêcher
l’expression d’un gène]. Il s’attendait à
ce que ses lignées cellulaires prolifèrent
comme elles ont généralement tendance
à le faire, mais elles ont cessé leur crois-
sance, si bien qu’il les a laissées de côté
pendant quinze jours. Persuadés que
la boîte de Petri avait été contaminée,
Yuanchao Xue et ses collègues ont recom-
mencé l’expérience… Encore et encore.
Métamorphose. “On a refait le test sur
toutes les cellules qui nous tombaient sous
la main. Chaque fois, on a procédé de la
même manière en retirant la protéine PTB
et, chaque fois, la cellule s’est transformée
en neurone”, observe Xiang-Dong Fu. Des
fibroblastes [cellules du tissu conjonc-
tif], des cellules cancéreuses, des cellules
gliales [du système nerveux]… L’équipe
s’est aperçue que, dès qu’elle extrayait les
PTBd’unecellule,celle-cisemétamorpho-
sait en neurone. L’étape suivante consis-
tait logiquement à réitérer l’expérience
sur des souris atteintes de la maladie de
Parkinson – laquelle se caractérise par la
mort progressive de neurones dopami-
nergiques [producteurs de dopamine],
responsable, entre autres, de tremble-
ments et de troubles moteurs. Comme
dans d’autres maladies neurodégénéra-
tives, le traitement est particulièrement
trans-
versales.
sciences
—Nautilus New York
Lesscientifiquessepressaientautour
de la boîte de Petri de Yuanchao
Xue. Ils ne parvenaient pas à iden-
tifier les cellules qu’ils y voyaient. “On
voyait un grand nombre de cellules héris-
sées de filaments à la surface, se souvient
Xiang-Dong Fu, le chef de l’équipe de
recherche de l’université de Californie
à San Diego. Aucun d’entre nous ne s’y
connaissait vraiment en neurosciences, on a
donc demandé autour de nous et quelqu’un
nous a dit que c’étaient des neurones.”
L’équipe,composéedespécialistesdela
recherche fondamentale en biologie cel-
lulaire et moléculaire, est médusée. D’où
peuventbienvenircesneurones?Yuanchao
Xuealaisséuneexpérienceratée,uneboîte
de Petri remplie de cellules cancéreuses
humaines,dansl’incubateur,et,quandilest
revenuquinzejoursplustard,c’étaitpour
la retrouver pleine de neurones.
Il n’est pas courant qu’un type de cel-
luleinattenduapparaissemystérieusement
dans une boîte de Petri. Des scientifiques
du monde entier ont consacré des for-
tunes et d’innombrables heures à essayer
degénérerdesneuronesenlaboratoire– les
retombées pour les maladies neurodégé-
nératives seraient en effet considérables.
Et voilà qu’une équipe de biologistes qui
étudiait une protéine de liaison à l’ARN
[acide ribonucléique] appelée PTB venait
sans le savoir de créer une boîte de Petri
entière de neurones.
“Je suis resté interloqué un bon moment,
je ne comprenais pas ce qui clochait avec
Un évaluateur a suggéré
de mener une série
d’expériences afin de
dissiper le moindre doute.
complexeetlesoptionsdisponiblesactuel-
lement ne sont pas curatives. La neuroge-
nèse,c’est-à-direl’apparitiondenouveaux
neurones dans le cerveau, cesse en géné-
ral à la puberté. Quand ces cellules sont
endommagées ou meurent, l’organisme
est incapable de les remplacer.
YuanchaoXueetsescollèguesontdécidé
desefocalisersurla substantianigra,une
région du mésencéphale [cerveau moyen]
essentiellement composée de neurones
dopaminergiques qui meurent généra-
lement chez les personnes souffrant de
cette maladie. Les chercheurs ont choisi
de tester la méthode d’extraction des
PTB sur des astrocytes, des cellules non
neuronales en étoile qui sont particuliè-
rement nombreuses dans le cerveau. La
plupart du temps, ces cellules produisent
une protéine de liaison à l’ARN appe-
lée PTB1 qui les empêche de se transfor-
mer en neurones. Misant sur le fait que
les astrocytes se mettent à proliférer à la
mort des neurones et prennent leur place
dans le cerveau, l’équipe a voulu transfor-
mer ces astrocytes – en surnombre dans
la maladie de Parkinson – en neurones
in vivo, chez l’animal.
Le milieu neuroscientifique était scep-
tique. Yuanchao Xue s’est entendu dire
qu’il était théoriquement impossible de
régénérer un neurone fonctionnel ou de
reconstitueruncircuitneuronal.Lesexpé-
riences réalisées in vitro en boîte de Petri
donnent souvent des résultats très diffé-
rents in vivo. Qui plus est, d’un point de
vue purement expérimental, les chances
de parvenir à convertir des astrocytes
en neurones fonctionnels in vivo sem-
blaient minces.
Xiang-Dong Fu explique que le fait de
ne pas être des spécialistes du domaine
et de ne pas savoir qu’ils allaient à l’en-
contre de la science les a aidés. C’est leur
naïveté, poursuit-il, qui leur a permis
d’avancer.L’équipeaconçuunvirusadéno-
associé[virusnonpathogènejouantlerôle
de vecteur] pour transporter un pARNi
[petit ARN interférent] afin de réduire
au silence le gène cible qui code pour la
protéine PTB, appelé PTBP1. Les cher-
cheurs ont injecté le virus directement
danslemésencéphaled’unesourisatteinte
de la maladie de Parkinson, dont l’équipe
avaitextraitlaplupartdesneuronesdopa-
minergiques. Les chercheurs ont égale-
ment injecté le pARNi à un sujet témoin
sans son vecteur.
Douze semaines plus tard, Xiang-Dong
Fu et ses collègues ont constaté que 30 à
35 % des astrocytes avaient été convertis
enneurones.Aucunneuronen’étaitapparu
chezlesujettémoin.Aprèsplusieursexpé-
riences du même type, les chercheurs ont
également pu démontrer que non seule-
ment les astrocytes se transformaient en
neurones dopaminergiques fonctionnels,
maisquecesneuronesarrivaientprogres-
sivement à maturité et reconstituaient
des circuits neuronaux dans la région en
2. Frederick Wiseman
UN FILM DE
A ZIPPORAH FILMS RELEASE
«BOSTON NE RÉSOUDRA PAS LES PROBLÈMES DES ÉTATS-UNIS.
MAIS IL SUFFIT D’UNE VILLE.»
MARTIN J. WALSH
MAIRE DE BOSTON
«Une très haute idée
du service public comme
BIEN COMMUN» Libération
«La politique ANTI-TRUMP
en pratique» Variety
«CITY HALL nous
donne DES RAISONS
D’ESPÉRER» Positif
AU CINÉMA LE 21 OCTOBRE
TRANSVERSALES.Courrier international — no 1563 du 15 au 21 octobre 2020 57
question, ce qui permettait de corriger
des déficits moteurs. La théorie neuro
scientifique était donc fausse.
L’équipe s’est rendu compte que cette
technique permettait de transformer des
cellules en neurones propres à la région
concernée.Eninjectantlevirusvecteuret
sonpARNidanslarégioncorticaleducer
veau,leschercheursontvudesastrocytes
corticauxsetransformerenneuronescor
ticaux. Dans un article paru en juin dans
Nature, l’équipe explique qu’elle est ainsi
parvenue à éradiquer les symptômes de
la maladie de Parkinson chez une souris.
Hors des sentiers battus. “Ces résul-
tatssontpourlemoinsinattendus,s’enthou
siasme par email Xinnan Wang (qui n’a
pas participé à l’étude), chercheuse au
service de neurochirurgie de l’école de
médecine de l’université Stanford. C’est
unedécouvertequisortvraimentdessentiers
battus. Si ce mécanisme devait fonctionner
de la même manière chez l’homme, il consti-
tuerait un nouveau cadre théorique dans le
traitement de maladies neurodégénératives
comme la maladie de Parkinson : en trans-
formant tout simplement les propres astro-
cytes du patient en neurones.”
D’autres scientifiques s’y étaient déjà
essayés.Dansunarticlede2017,uneéquipe
suédoise annonçait qu’elle était parvenue
à transformer les astrocytes d’une souris
atteintedelamaladiedeParkinsonenneu
rones dopaminergiques induits (iDA). Le
tauxdeconversionétaittoutefoisfaibleet
les neurones dopaminergiques n’étaient
pas capables de reconstituer un circuit
neuronal distant ou de rétablir complè
tement la motricité. Il est possible que ce
soit l’expression de PTB1 qui empêche en
continulesastrocytesdedevenirdesneu
rones. Ce qui expliquerait pourquoi l’ex
tractiondelaprotéinePTBdesastrocytes
permet de transformer ces derniers en
neurones parfaitement fonctionnels cor
respondant à la région concernée.
Malgré cette série d’expériences
concluantes, Yuanchao Xue et ses collè
guessesontheurtésàplusieursobstacles.
En 2017, ils avaient proposé leur étude à
uneautrepublicationmaisavaientessuyé
un refus. “Les trois évaluateurs qui avaient
lu l’article nous ont appelés pour nous félici-
ter”,sesouvientXiangDongFu.Selonlui,
ilsétaientdithyrambiques :“C’estpassion-
nant”, “c’est une avancée décisive”. Xiang
Dong Fu et son équipe se félicitaient d’un
tel accueil. Mais le rédacteur en chef de
la revue était très hésitant. Un quatrième
évaluateursedemandaitsil’équipen’avait
pas mal interprété les résultats de l’ex
périence. Et l’article n’a pas été accepté.
Déçus, ils se sont alors tournés vers
Nature, où l’article est finalement paru,
après toutefois quelques années de tra
vaux supplémentaires. Cette fois encore,
lesévaluateursontimmédiatementappelé
l’équipepourlacongratulerpources“tra-
vaux révolutionnaires”. Et un quatrième
évaluateur a suggéré aux chercheurs de
meneruneséried’expériencesafindedis
siper le moindre doute. “Il nous a proposé
28expériencessupplémentaires,sesouvient
XiangDongFu.Etonlesatoutesfaites.C’est
pour ça que l’article est si long !”
“C’est passionnant et c’est un résultat
inattendu sur le plan théorique, confie au
Science Media Center John Hardy, cher
cheur au département des maladies neu
rodégénérativesdel’Institutdeneurologie
de l’University College de Londres. C’est
un travail de recherche fondamentale pas-
sionnant. Quant à savoir si ces travaux per-
mettront de concevoir des traitements pour
la maladie de Parkinson, c’est encore très
flou… mais c’est enthousiasmant.”
Quelle est la prochaine étape ? “Les
grands animaux, répond XiangDong Fu.
Les singes, puis l’homme, et puis plus spéci-
fiquement le cerveau des sujets âgés.” Xiang
Dong Fu ne se fait guère d’illusions sur le
volume de travail et les écueils potentiels
qui l’attendent. “Mon rêve, c’est de voir un
essai clinique et un patient bénéficier de ce
traitement avant mon départ à la retraite,
confessetil. Ce serait bien.”
Comment, après leur découverte ini
tiale, le scepticisme de leurs pairs, les
innombrables demandes de financement
rejetées et les retoquages de leur publica
tion, XiangDong Fu et son équipe ontils
trouvélaforcedepoursuivreleurstravaux
pendant dix ans ? Humblement, Xiang
Dong Fu invoque la naïveté. “Comme on
fait de la recherche fondamentale, on n’au-
rait jamais imaginé un jour faire une telle
découverte. C’était tout à fait accidentel.”
Xinnan Wang [qui ne fait pas partie
de l’équipe] ajoute : “Il y a souvent des
‘accidents’ derrière les découvertes scien-
tifiques et, la plupart du temps, nos pro-
jets ne prennent pas la tournure qu’on en
attendait au départ. Et puis la réaction
des chercheurs à ces accidents joue beau-
coup. S’agit-il de véritables découvertes
scientifiques ou de données parasites ? Le
fait qu’on soit neuroscientifique ou non
importe sans doute assez peu quand on
se retrouve face à des résultats imprévus.
Ce qui a compté le plus, je pense, c’est que
les auteurs aient été capables de s’arrêter
sur cet accident et de gratter pour voir ce
qu’il y avait derrière.”
—Nayanah Siva
Publié le 2 septembre
“Mon rêve: voir
un patient bénéficier
de ce traitement avant
mon départ à la retraite.”
Xiang-Dong Fu,
BIOLOGISTE
SOURCE
NAUTILUS
New York, États-Unis
nautil.us
Hebdomadaire en ligne lancé
en avril 2013, Nautilus se veut
un magazine scientifique
différent combinant science,
culture et philosophie. Il défend
l’idée que “la science peut très
bien se mêler à la littérature
et au traitement narratif”.
Sa rédaction compte une
majorité de scientifiques, mais
aussi quelques philosophes.
Le magazine, qui fait la part belle
à de splendides illustrations,
choisit un sujet par trimestre
et le décline en chapitres
qu’il met en ligne chaque jeudi.
↙ Dessin de Joe Magee,
Royaume-Uni.