Fruits et Legumes BIO - Une note encore trop salee
2 Le Parisien
2 LUNDI 14 DÉCEMBRE 2020*
PARSYLVIEDEMACEDO
ETODILEPLICHON
LES FRUITS et légumes bio
sont 44 % plus cher que les
autres ! C’est ce qui ressort
d’une enquête de l’association
ConsommationLogementCa-
dredevie(CLCV)quenouspu-
blions en exclusivité. « Le bio
est loin d’être à la portée de
tous », déplore Lisa Faulet,
chargée de mission à la CLCV
dontlesbénévolesont,entrele
17 et le 28 octobre, relevé les
prix de sept fruits et légumes
(banane, orange, pomme gol-
den,raisinblanc,courgette,ca-
rotte et tomate ronde) dans
370pointsdevente,desgran-
dessurfacecommedesmaga-
sinsspécialisés.
Certes,l’écartseresserre.«Il
yaquelquesannées,onparlait
d’une différence de 70 % »,
rappellePatrickdeRonne,pré-
sident de Biocoop. Il est vrai
quelafilières’estbeaucoupdé-
veloppée. Aujourd’hui, le bio
représente 8 % des achats de
fruitsetlégumesfrais(+6%de
ventes en un an). Mais « le bio
n’a pas vocation à être au mê-
meprixqueleconventionnel»,
insistePatrickdeRonne.«Ilya
unsurcoûtliéaumodedepro-
duction, admet Lisa Faulet,
maisilyauntelunmanquede
transparence que le consom-
mateuradumalàcomprendre
quelestlevraiprixdubio.»
Lesgrandessurfaces
nesontpasmoinschères
Ainsi, la banane bio n’est que
20%pluschèrequelaconven-
tionnelle, mais l’écart est de
71 % pour la tomate ronde. La
CLCV s’en inquiète, évoquant
des produits « inaccessibles
pour les familles les plus mo-
destes».PourMatthieuLovery,
responsable de la filière fruits
etlégumesàCarrefour,«c’est
normalquecesoitvariableen
fonction des fruits et légu-
mes.Certainssontplusdiffici-
les à cultiver en bio que
d’autres alors que pour la ba-
nane, le mode de production
en bio et en conventionnel est
assezproche».Parailleurs,les
promos concernant moins le
bio que les produits conven-
tionnels,«celapeutaussijouer
surl’écartdeprix»,explique-t-
il.S’yajoutel’éterneldébatsur
les marges. Ne seraient-elles
pasplusimportantessurlebio
qu’en conventionnel ? « C’est
faux»,affirmeundistributeur.
« Pour les pommes, notre
margebrute(NDLR:avantre-
trait des charges) est de 45 %
en conventionnel et de 47 %
sur le bio. A l’inverse pour les
carottes,notremargebruteest
de40%enbiomaisde41,97%
enconventionnel.»Carrefour
abonde : « On ne fait pas de
distinction entre le bio et le
conventionnel. Nous partons
du prix qui convient le mieux
aux clients, en observant ce
quefaitlaconcurrence.»
L’enquêtedelaCLCVmon-
tre enfin que le prix moyen
proposé en grandes surfaces
(3,71€)n’estpaspluscompéti-
tifsurlebioqueceluidesma-
gasinsspécialisés(3,48€).«Si
on prend en compte la marge
d’erreur(NDLR:de6%pourla
grande distribution et 10 %
pour les magasins spéciali-
sés), les grandes surfaces ne
sontpasmoinschères»,sou-
ligneLisaFaulet.
PasétonnantselonMarieEs-
tangoy,acheteusefruitsetlégu-
mes chez Naturalia. « Nos
acheteurs sont spécialistes en
fruitsetlégumesbioetontdonc
uneexcellenteconnaissancedu
marché. Nous sommes enga-
géssurdulongtermeavecdes
partenairespourmonterdesfi-
lièresetnoustravaillonsendi-
rectproducteur,cequilimiteles
intermédiaires.»
Carrefour préfère évoquer
les…emballages.Pouréviterle
mélange avec les produits
conventionnels, « la régle-
mentationnouspousseàpro-
poserdesproduitsbioembal-
lés. Cela représente un vrai
surcoût », signale Matthieu
Lovery. Là où Carrefour pro-
poselebioenvrac,poursuit-il,
« nos prix de vente sont infé-
rieursde5à10%».
Al’avenir,lesprixdubiode-
vraientbaisserdansunpaysoù
la surface agricole dévolue au
bioadoubléencinqans.«Ilya
plus de producteurs bio en
France. C’est une bonne nou-
velle,souligneMarieEstangoy,
car plus il y a de producteurs,
pluslesfilièressestructurentet
permettent des économies
d’échelle. Les prix sont donc
plus compétitifs et se rappro-
chentdesprixdesimportations
historiquementplusbas.» n
Prixmoyen
Pomme
Banane
Orange
Raisin
Tomate
Carotte
Courgette
... en hyper/
supermarchés
... en magasins
spécialisés bio
3,36 €
1,96 €
3,39 €
4,72 €
4,10 €
2,38 €
4,43 €
3,72 €
2,09 €
3,74 €
5,35 €
4,70 €
2,30 €
4,07 €
3,71 € 3,48 €
Prix moyen du kilo des produits bio...
RÉMY DESSARTS
L’ÉDITO
Tomate
2,59 € 4,44 €
+ 71 %
Pomme
2,21 € 3,63 €
+ 64 %
Banane
1,72 € 2,06 €
+ 20 %
Raisin
3,27 €
5,07 €+ 55 %
+ 49 %
Carotte
1,58 € 2,35 €
Courgette
3,28 € 4,16 €
+ 27 %
2,90 € 3,61 €
+ 24 %
Orange
Le bio toujours plus cher
Prix moyen au kilo
PRODUIT CONVENTIONNEL
PRODUIT BIO
FRUITS ET LÉGUMES BIO
Une note
encore
trop salée
Révolution
enmarche
Etudeaprèsétude,
latendanceseconfirme:
lesproduitsbiorestent
sensiblementpluschers
quelesautres.Ausortir
dupremierconfinement,
«Linéaires»,unmagazine
spécialisédansladistribution,
avaitcalculé
queleurprixmoyenétait
supérieurde75%.
Selonl’association
deconsommateursCLCV,
dontnouspublionsles
conclusionsenexclusivité,
ilfautpayer44%depluspour
acheterdesfruitsetlégumes
cultivésselonlesrèglesd’une
agriculturequiprotègela
planète.Certes,9Français
sur10déclarentacheterplus
deproduitsbiodepuisle
premierconfinement;mais
cettetendanceseheurteàun
principederéalité:l’offrereste
insuffisantepourrépondreà
touteslesattentes,poussant
lesprixverslehaut.Et,bien
souvent,c’estencorehorsde
Francequ’ilfautsetourner
pourqu’iln’yaitpasdetrous
danslesrayons.Lecircuitcourt
quifaitlapartbelleàl’ultra-
local,etdontl’empreinte
carboneestprochedezéro,
demeurehélasmarginal.
Larévolutionestpourtant
enmarcheetnes’arrêtera
plus.Lesagriculteursqui
seconvertissentaux
productionspropressont
deplusenplusnombreux,
malgréleseffortsetla
patiencequecelaleur
demande.Ilsysontfortement
incités,etparfoismêmeaidés
financièrement,parles
grandesenseignes.Selonune
logiquevertueuse:ellesont
besoinderemplirdesrayons
consacrésaubioqu’elles
agrandissentàmarcheforcée.
Pourlesadeptesdeformats
demagasinspluscompacts
etplusproches,leschaînes
spécialiséescommeBiocoop
ouNaturaliasedéveloppent
égalementtrèsrapidement.
Aquelmomentlesvolumes
missurlemarchéseront-ils
suffisantspourquelesprix
deviennentplusattractifs?
C’estprobablementune
questiond’années.Unjour,
lebioneseraplusréservé
auxriches.
SelonuneétudedelaCLCVquenousdévoilons
enexclusivité,lesfruitsetlégumesbio
restentpluschersqueceuxissusdel’agriculture
classique,ycomprisdanslesgrandessurfaces.
Le Parisien 3LUNDI 14 DÉCEMBRE 2020 3
gumes comme la courgette
sont peut-être plus faciles à
réussirenbio.
Lebion’estpasmoinscher
danslesgrandessurfaces.
Commentl’expliquez-vous?
Lesréseauxspécialisésontun
historique plus grand en fruits
et légumes. Ils ont réussi à ra-
tionaliser tout leur approvi-
sionnement sans pénaliser le
consommateur. N’oublions
pas aussi que les grandes sur-
faces ont des contraintes sup-
plémentaires : il faut que les
fruits et légumes en bio soient
bien séparés du convention-
nel, avec donc souvent des
emballagesdefaçonàpouvoir
s’assurerdelaprovenance.
Avotreconnaissance,
cetécartdeprixentrelebio
etleconventionnel
est-ilpropreàlaFrance
oucommunàtoutel’Europe?
Impossible de répondre. Je ne
crois pas qu’il y ait eu des étu-
des à ce sujet à l’échelle euro-
péenne. Toujours est-il que
parcequeleschargessociales,
et la main-d’œuvre pèsent
moins lourd qu’en France, ça
revient moins cher de produi-
reenbiodanscertainspaysdu
sud ou de l’est de l’Europe.
Mais c’est vrai aussi pour le
conventionnel. On peut donc
penser que l’écart serait à peu
prèséquivalent.
PROPOSRECUEILLISPAR
SYLVIEDEMACEDO
fait — ou est-ce parce que les
marges appliquées par les
différents réseaux de distri-
bution sont supérieures ?
C’est l’éternel débat. Cela fait
des années que nous deman-
dons une transparence à ce
sujet. Mais impossible de ré-
cupérerdeschiffres.
Concrètement,pourquoi
lebiorevient-ilpluscher
àproduire?
Nous n’avons pas du tout les
mêmes rendements qu’en
conventionnels puisque nous
ne boostons pas la production
avec des engrais. Nous utili-
sons aussi plus de main-
d’œuvrecarilyadavantagede
travail manuel et mécanique,
ça prend plus du temps. Sans
compter le transport, la livrai-
son. Et comme nous sommes
sur des volumes moindres —
le bio représente 8,5 % de la
surface agricole utile —, ces
chargessontpluslourdes.
L’écartdeprixestde71%
surlatomate,etseulement
de27%surlacourgette.
Pourquoi?
Sur la tomate en convention-
nel, les serres sont chauffées,
ils produisent donc toute l’an-
née et peuvent ainsi mieux
répartir leurs charges alors
quenous,enbio,nousnepro-
duisions qu’à la saison. Les
charges ne sont pas réparties
sur les mêmes volumes. Par
ailleurs, certains fruits et lé-
INTERVIEW
Ilfautplus
detransparence
surlesmarges
a
STÉPHANIE PAGEOT
SECRÉTAIRE NATIONALE DE
LA FÉDÉRATION NATIONALE
D’AGRICULTURE BIOLOGIQUE
STÉPHANIEPAGEOTnousdé-
taille les coûts supplémentai-
res pour produire des fruits et
légumesenbioparrapportau
modeconventionnel.
Etes-voussurprise
parcetécartdeprixde44%
entrelesfruitsetlégumes
bioetlesconventionnels?
Est-ce que cet écart corres-
pondsimplementaumodede
production en bio qui revient
en effet plus cher — c’est un
DR
PARVINCENTVÉRIER
DANSLARUEdelaConvention
(Paris XVe), les magasins bio
sont presque aussi nombreux
que les boulangeries. Une di-
versité que l’on retrouve dans
les prix. Chez Naturalia, le kilo
de courgettes bio s’affiche à
3,49 € contre 4,79 € sur les
étalsdel’Intermarchétoutpro-
che,quiproposedescourgettes
classiques à 2,19 €/kg. Chez
Carrefour Market, la banane
bio (1,99 €) rivalise avec celle
deBiocoop,vendue1,95€/kg.
A l’entrée de la Vie claire,
dans une rue adjacente, Ar-
thur, sacs en toile de jute en
bandoulière, tire un diable.
Dessus,unpleincartondeba-
nanesdeRépubliquedomini-
caineà2,50€/kg.«Jen’aipas
payé ce prix, j’ai négocié des
réductions,confielejeunepè-
redefamille.Alanaissancede
son premier enfant, plein de
culot,lenouveaupapaestallé
voirlemanageurdumagasin.
«Jeluiaiditquej’avaisbesoin
d’une caisse de bananes tou-
teslessemainesetjeluiaide-
mandé de me faire un prix. »
Un deal accepté. 10 % au dé-
part, les réductions ont aug-
menté,15%,20%,etdesbais-
ses de prix sur d’autres
produits lui ont été accordées
au rythme des naissances de
sesdeuxautresenfants.
«J’achèteengrossequanti-
té,justifieArthur.Etdébourser
pluspourdesproduitsbio,ce-
la me paraît normal. Je paye
pournepasmangerdespesti-
cides et des additifs comme
lescolorants.»MaissiArthur
est un papa bio convaincu, il
est aussi un consommateur
averti : « Plus de 20 % à 25 %
d’écart entre bio et conven-
tionnel, c’est trop. Au-delà, je
pensequ’ilyadesabus.»
Acheterdesproduits
endatelimite
deconsommation
Alors,pourfaireencorebaisser
safacturebioau-delàdesprix
négociés, le quadragénaire
nous livre quelques astuces.
«Lesprixdesfruitsetlégume
baissent pour les fins de car-
tons. C’est le cas pour le raisin
blanc.Ilestcertesunpeumar-
ron, mais je le préfère comme
ça,ilestplussucré.Mêmecho-
se pour les champignons, ils
peuvent être un peu fripés.
Maisrestentexcellents.»Autre
trucdecettefamille,quidépen-
seenviron1 000€parmoisen
alimentation, « j’achète des
produitsendatelimitedecon-
sommationquisontenpromo-
tion».Arthursortalorsdeson
cabas des nems bio. Sur l’em-
ballage, un gros rond orange
fluoestampillé-30%consom-
mablejusqu’aulendemain.
Une astuce bien connue de
Goulnaz, qui sort de l’Inter-
marché du quartier. Dans le
sac de cette jeune femme de
36 ans, pas de produits bio.
«C’esttrèscher,regrette-t-el-
le.Sijeveuxenacheter,j’utili-
se Phénix. » Une application
qui propose à prix cassés les
invendus des commerces
partenairesdontladatelimite
deconsommationestproche.
« Il y a parfois des produits
bio»,affirmeGoulnaz.
Leursastucespour
payermoinscher
Des consommateurs avertis
de produits bio nous expliquent
comment faire baisser la facture
Paris (XVe), hier. Arthur, gros consommateur de produits bio, a réussi
à négocier des réductions hebdomadaires sur des cartons de bananes.
Aujourd’hui, le bio
représente 8 %
des achats de fruits
et légumes frais
(+ 6 % de ventes en un an).