Accusée de terrorisme, Zara, Tchétchène, a passé un tiers de sa vie dans un camp. Zoïa, journaliste russe, dénonce un procès truqué, qui fait écho à celui des Pussy Riot.
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Justice la roulette russe
1. Justice : la roulette russe
Interview par Nathalie Dolivo - Le 26/10/2012
Accusée de terrorisme, Zara, Tchétchène, a passé un tiers de sa vie dans un camp. Zoïa,
journaliste russe, dénonce un procès truqué, qui fait écho à celui des Pussy Riot.
L’étudiante tchétchène et la journaliste russe n’auraient jamais dû se rencontrer. Mais le sort
en a décidé autrement. Zara Mourtazalieva vient tout juste de finir de purger huit ans et demi
de camp en Mordovie (à environ 500 kilomètres à l’est de Moscou) pour accusation de
terrorisme, ce qu’elle a toujours nié. Zoïa Svetova, journaliste et célèbre défenseure des droits
de l’homme, s’est intéressée très vite à son cas et en a fait un livre, « Les innocents seront
coupables »*, qui vient de sortir en France. Dans son récit haletant, rythmé comme un thriller
mais cruellement réaliste, elle raconte deux affaires récentes, dont celle de la jeune Zara.
Deux erreurs judiciaires, procès fabriqués de toutes pièces par des juges aux ordres du pouvoir
et par des policiers guidés par la « politique du chiffre ». Son ouvrage fait froid dans le dos,
autant qu’il éclaire d’un jour cru le procès des Pussy Riot. Interview avec ces deux femmes
témoins.
Nathalie Dolivo. Zoïa, pourquoi vous êtes-vous intéressée au cas de Zara ?
Zoïa Svetova. Parce qu’il est emblématique ! Il s’inscrit dans le cadre de la chasse aux
Tchétchènes – considérés en Russie comme des « ennemis du peuple » – qui faisait rage au
début des années 2000. Et il est représentatif de cette pratique qui consiste, chez nous, à
fabriquer des affaires judiciaires de A à Z. J’en ai vu beaucoup, dans ma carrière de
journaliste. Vous avez un accusé, des témoins, des preuves fabriquées, vous mélangez le tout
et envoyez le dossier chez un juge « spécial », donc aux ordres. Cela permet d’honorer les
plans, la politique du chiffre. L’affaire Zara s’inscrivait dans le plan « Prévention du
terrorisme ».
Nathalie Dolivo. Zara, vous êtes sortie le 3 septembre. Comment ça va ?
Zara Mourtazalieva. Je me sens comme une martienne. Je ressens beaucoup d’émotion.
Comme le monde a changé en huit ans ! A 29 ans, je dois tout réapprendre !
Nathalie Dolivo. Comment se sont passées ces huit années de camp ?
Zara Mourtazalieva. Dans mes pires cauchemars, je ne pensais pas qu’une telle chose
pouvait arriver ! Mais l’instruction et le procès ayant duré un an et trois mois, j’avais eu le
temps de me préparer à ma condamnation, que je savais courue d’avance. Dans le camp,
chaque journée était une lutte. La séparation avec ma famille était très difficile. Tout au long
de ma détention, on a tenté de me faire avouer ma culpabilité, mais j’ai toujours refusé. J’ai
été mise à l’isolement pour des raisons arbitraires. J’ai pensé plusieurs fois à me suicider.
Heureusement, ma mère et ma sœur sont venues me rendre visite. Ainsi que Zoïa, qui m’a
toujours soutenue.
Nathalie Dolivo. Malgré tout cela, vous semblez pleine de vie…
Zara Mourtazalieva. Oui, c’est vrai, mais j’ai peur aussi. La situation politique en Russie,
surtout en ce qui concerne les droits de l’homme, ne s’est pas améliorée. Il y a de plus en plus
de prisonniers politiques…
Zoïa Svetova. Comme Mikhaïl Khodorkovski ou les Pussy Riot.
2. Nathalie Dolivo. Zara, pensez-vous retourner vivre en Tchétchénie ?
Zara Mourtazalieva. Non, je ne crois pas. J’y suis retournée après ma libération. J’ai été
sous le choc : voir Grozny reconstruite, pleine de fontaines, des enfants qui jouent dans les
rues… C’est très bien, mais…
Zoïa Svetova. … mais c’est une société très fermée et conservatrice, et Zara est une femme
émancipée !
Nathalie Dolivo. Zara, vous êtes libre, qu’allez-vous faire maintenant ?
Zara Mourtazalieva. Je crois que je veux devenir journaliste ! J’ai fait quelques papiers pour
le « New Times », le journal de Zoïa. J’y ai publié le journal de bord de ma libération.
J’aimerais aussi beaucoup interviewer Ramzan Kadyrov, le président tchétchène.
Zoïa Svetova. J’espère que Zara pourra trouver son bonheur et fonder une famille. Elle n’a
que 29 ans et elle a la vie devant elle !
* François Bourin Editeur.