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Regnabit. Revue universelle du Sacré-Coeur. 1922/03.




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1„ ANNÉE-N-IO                                              MARS 1922




                EN           FAMILLE
     On nous a dit : « Regnabit » doit être un poids bien lourd.



    — Regnabit est une forée, qui soulève.
    Chaque jour, Regnabit nous vaut des joies nouvelles :
    Joies des bénédictions divines qui attestent la satisfaction
du Christ Amour ;
    joies des bénédictions humaines- qui expriment le bonheur
des âmes.


     Appréciation de S. G. Monseigneur Marius Besson, évêque
 de Lausanne et de Genève, dans la partie officielle de la « Semaine
 Catholique de la Suisse Française, organe du diocèse de Lausanne
 et Genève », 22 décembre 1921.

      On nous prie de signaler à nos diocésains, et d'abord aux membres
 de notre clergé, Regnabit. Nous le faisons volontiers. — Qu'est-ce que
 Regnabit ? C'est une Revue fondée en juin 1921 et paraissant douze
 fois par an : les six premiers fascicules forment un volume de 544 pages.
 Son titre, emprunté au message angélique de l'Annonciation : Regna-
 bit in domo Jacob in aeternum (Luc. 1. 32), indique son but : le règne
 du Coeur de Jésus. Elle a pour objet : « toute la question du Sacré-
 Coeur, tout le mouvement des âmes vers le Sacré-Coeur ». Les articles
 déjà parus se distinguent par la variété des matières et le sérieux
  de la doctrine. Une qualité, d'ailleurs, la recommandé spécialement ;
 « Elle n'est l'organe particulier d'aucune oeuvre, d'aucun pèlerinage,
  d'aucune confrérie, d'aucun groupe»... Elle est «universelle». Nous
  avons tant souffert de la multiplicité des petites revues qui se font
  concurrence et de la bigarrure des petites dévotions, plus ou moins
'
346                                                           En famille

en rapport avec le Sacré-Coeur, qui se succèdent les unes aux autres
que nous saluons avec joie cet organe de concentration. En mention-
nant et en commentant les innombrables formes extérieures que peut
revêtir la piété sincère envers le Coeur de Jésus, Regnabit nous fait
toucher du doigt cette double vérité que, d'une part, les pratiques
pieuses les plus diverses peuvent être permises à ceux qui pensent y
trouver un encouragement au bien (pourvu qu'elles ne soient con-
traires ni à la foi ni aux moeurs), et que, d'autre part, il serait inop-
portun de les propager indistinctement, comme il est ridicule de
vouloir imposer à tout prix telle forme particulière de préférence à
telle autre, comme si la vie de l'Église en dépendait. L'essentiel, c'est
l'attachement personnel au Christ, en dehors duquel nul ne peut être
sauvé. Nous souhaitons que Regnabit répande la dévotion raisonnable,
sérieuse, solide, au Coeur du divin Maître, celle qui ne s'arrête pas au
sentiment superficiel, mais va jusqu'au fond de l'âme et la transforme
en la pénétrant du véritable esprit de l'Évangile.
                                              MARIUS BESSON,
                                     évêque de Lausanne et Genève.


      Lettre   de S. G. Mgr Nicolas,     îles Fidji,   Océanie.
                                                       6 janvier 1922.
            Mon Révérend Père,
     Combien je vous remercie de m'avoir assuré la joie si vivement
sentie de lire « Regnabit ». Plus je le lis, plus je l'aime ; je n'en passe
pas une ligne. Que de bien vous faites dans le monde entier ! « Prospère
procède », c'est mon souhait à vous et à « Regnabit ». Daigne le Sacré-
Coeur vous bénir, ainsi que tous ceux qui coopèrent à une si belle
OEuvre.
      Vous renouvelant mes remerciements et mes voeux, je demeure
bien religieusement vôtre en J. M.
                                                   CH. NICOLAS,S. M.


      Du R. P. L. Cestoc, Directeur        de « El Bien ».
                                        Assomption, 25 novembre 1921.
       ...Je ne puis m'empêcher d'admirer et de remercier le Divin
 Coeur de Jésus d'avoir inspiré une si belle pensée aux fondateurs de
 « Regnabit ». Comme cette Revue va magnifiquement remplir le vide
 qui existait dans nos publications religieuses ! Quel beau développe-
 ment elle va donner au culte et à l'amour du Sacré-Coeur. Mais aussi
 avec quelle piété, quel amour pour Notre Seigneur et quel beau talent
 tous ces Messieurs de la rédaction s'acquittent-ils de la belle tâche ?
 Je prie Dieu tous les jours et je fais prier les bonnes âmes d'ici pour
 qu'ils trouvent dans leur travail une source inépuisable de toujours
 nouvelles énergies morales et aussi physiques. Je me figure en effet,
 que c'est à travers des difficultés sans nombre qu'ils le mènent à bonne
 fin : mais ce seront ces difficultés qui en feront la fécondité.
En famille                                                          347


     Ici déjà ceux qui sont à même de lire ces articles — rares mal-
heureusement, car l'Espagnol est plutôt que le français la langue
des âmes dévotes — sentent comme un renouveau dans leur ferveur
et leur amour.du Sacré-Coeur. Et malgré tout, la répercussion doit
s'en faire sentir dans les masses, de langues indigènes.
     J'en augure un grand accroissement de piété pour le Coeur de
Notre Seigneur, par conséquent des Communions plus fréquentes, et
des vocations religieuses et sacerdotales plus nombreuses.


     Du R. P. Paul Régembeau,         S.J.
                          Rose-Hill, Ile Maurice, 15 septembre 1921.
              Monsieur,
      Je. vous prie de m'inscrire comme abonné à Regnabit. Le premier
 numéro de la Revue nous a beaucoup plu, à nos Pères de Saint Ignace
 et h moi. Autant que le permettent les circonstances, je. répandrai
 Regnabit autour de nous. Sans doute, d'autres prêtres de l'île Maurice
 s'abonneront. Dans ce diocèse, la dévotion au Sacré-Coeur est tout à
 fait florissante ; on peut dire que c'est la grande dévotion du pays :
 et sa forme la plus générale est la Communion du 1er Vendredi du mois.
 Viennent ensuite l'Apostolat de la Prière, la Garde d'honneur. L'image
 du Sacré-Coeur se trouve dans toutes les maisons Catholiques ; et l'in-
 tronisation du Sacré-Coeur dans les familles se répand.
       Je vous souhaite plein succès. Regnabit annonce Régnât.


        Lettre d'un Curé de Campagne de l'Anjou, à un bon Frère
  convers, zélé propagateur      de Regnabit *.
        Je constate avec plaisir que vos efforts et vos fatigues sont dès,
  maintenant grandement récompensés par la diffusion si rapide de la
  Revue « Regnabit » — Vous avez fait joliment l'article — Vous avez
  eu plein succès, et sans crainte de vous donner aucun sentiment d'or-
  gueil, je vous en félicite chaudement, puisque ce n'est pas.pour vous
   que vous avez peiné mais pour la gloire du Sacré-Coeur. Pour ce qui
  me concerne, Dieu me garde de porter une appréciation sur une oeuvre
   si importante, ce n'est pas à un pauvre Curé comme moi de la juger —
   Mais il ni'est bien permis de dire que je lis « Regnabit » avec le plus
   vif intérêt, et je l'espère aussi avec profit. Alors merci de tout coeur
   et continuez votre oeuvre à laquelle je souhaite de plus en plus de
   succès — Travaillez pour le Sacré-Coeur.


       D'une   maison    des Soeurs    de la Sainte    Famille,   Joliette,
   Canada.
       Nous sentons le Sacré-Coeur embraser nos coeurs à mesure que.
   nous lisons le charmant « Regnabit ». Puisse le Coeur de Jésus em-
   braser le monde entier de ce feu... « Amour au Divin Coeur de Jésus ».
348                                                          En famille

      D'un   monastère    de la Visitation, ce charmant détail :
      Puisque notre simplicité vous plait, je vous citerai deux bonnes
soeurs du voile blanc (converses) qui, après une journée d'extrême
fatigue, s'entendent encore nommer le soir, à l'obéissance, pour se
lever à 2 h. du matin et faire le pain de la communauté. Leur première
pensée fut de faire connaître leur grande lassitude ; mais se ravisant
aussitôt, une dit à l'autre : eh bien ! ce sera pour « Gnabit » ! Le mot
fit fortune, et, maintenant, quand se présente quelque pratique pé-
 nible, on l'accepte pour « Regnabit » et les Anges du Monastère ins-
 crivent la victoire à l'actif de la Revue.
      Comme il faut toujours progresser, puisque l'activité est un signe
 de vie, chaque matin à la Consécration de nos deux Messes quoti-
 diennes nous demandons à, Jésus Hostie qui descend sur l'Autel,
 d'élever son Regnabit et tous ses collaborateurs à la hauteur de la
 tâche qu'ils se sont imposée, afin que selon son but il atteigne un grand
 nombre d'âmes, les gagnant à l'amour du Divin Coeur.


      Lettres   d'âmes pieuses :
     «Regnabit* me donne idée d'un trait d'union entre les divers
moyens dont les âmes se servent pour travailler à la gloire du Maître
très aimé, et par votre revue, nous de si loin, pouvons jouir, applaudir,
vibrer, apprécier nos frères, nos soeurs, tous ceux qui se dépensent au
service du Coeur Sacré de Jésus.
     Que Notre Seigneur vous continue à vous et à tous vos collabo-
rateurs les grâces et les bénédictions qui vous rendent de plus en
plus aptes à faire le bien et beaucoup de bien.


      Je ferai tout le possible pour faire connaître et propager votre
 revue Regnabit: vous pouvez compter sur mes. prières et mes efforts
 à cette intention.

      Vous pouvez compter, Monsieur l'Abbé, sur mes Communions et
 prières, l'acceptation de nies peines et souffrances, pour l'extension de
 Regnabit, et aussi pour que le Sacré-Coeur vous facilite votre ministèret


      Je dois vous dire que j'ai une vie, quoique bien humble, très
 absorbante, de plus je suis plutôt isolée et j'ai bien peu d'influence;
 néanmoins je vous promets de faire tout mon possible pour répandre
 «Regnabit»   et lui amener des abonnés qui, à leur tour, le feront
 connaître.
      Ce que je puis vous assurer pour votre si belle oeuvre c'est le
 secours de mes pauvres prières et de mes petits sacrifices, et croyez
 bien qu'il vous sera fidèle, trop heureuse serai-je de travailler pour
 le règne du Sacré-Coeur de Jésus.
En famille                                                              349.

    Terminons     par   cette   lettre   d'un   prêtre   qui est un ami.

     Je me réjouis sincèrement, vous le savez, du succès de Regnabit.
Et je vous avoue, maintenant, que j'étais un peu sceptique.. Il me
semblait qu'une revue pareille ne pouvait plaire qu'à un public très,
très restreint.


       Cette impression, vous n'étiez pas seul, cher ami, à l'avoir.
En quoi... vous aviez tort.
       Certes, si ce qu'on appelle « le grand nombre » est composé
de ceux qui regimbent d'instinct contre le sérieux et qui refusent
délibérément       de jamais réfléchir, Regnabit n'est pas fait pour
« le grand nombre » : pour ce grand nombre là, j'entends.
       Mais — grâce à Dieu et pour l'honneur              de l'humanité    —
dans toutes les régions du monde, et par dizaines de milliers
(ce qui est tout de même « un beau nombre ») il est des âmes qui,
jusque là restées à un niveau peu digne d'elles, consentent
joyeusement à s'élever, dès qu'elles y voient un intérêt, ou un
 devoir.
        A celles-là, à toutes celles-là, à ce grand nombre là, s'adresse
 Regnabit.
        Amis, cherchez ces âmes. Parlez-leur cordialement.         Montrez-
 leur qu'elles peuvent et qu'elles doivent monter.
        Elles ont la grâce, participation      de la Divinité qui est Vie
 et Splendeur. Elles ont deux caractères sacramentels,            puissances
 ajoutées aux puissances         quasi infinies d'une âme spirituelle.
  Elles ont la foi, qui est une lumière ; trois dons de l'Esprit Saint
  qui s'appellent     Science, Sagesse, Intelligence.      Supposé qu'elles
  n'aient pas toutes ces forces surnaturelles         — qui restent à leur
  disposition et qu'elles recevront dès qu'elles s'y serontpotalc-
  ment disposées—         elles gardent l'attrait    de la beauté, un désir
  latent de vie profonde. Celles-là, toutes celles-là peuvent s'élever
  au-dessus du niveau où elles sont aujourd'hui.
         Elles le peuvent ? Elles le doivent.
         Elles se le doivent à elles-mêmes, puisqu'elles furent créées
   et rachetées pour vivre dans les altitudes, et puisque nul ne doit
   laisser enfoui le talent qu'il a reçu.
         Elles le doivent au Sacré-Coeur qui triomphera            davantage
   a mesure que ses amis, montés plus haut, rayonneront           eux-mêmes
   davantage, par Lui et pour Lui.
         Ce ne sera pas le moindre bienfait de Regnabit d'attirer            et
    o établir ces âmes au seul niveau
                                            qui leur convient.
          Heureux ceux là qui l'aideront          en cette tâche, ceux qui,
350                                                      En Famille

rencontrant   des âmes hésitantes, leur feront prendre conscience
d'elles-mêmes, et les encourageront à « s'élever » enfin :
      Cette ascension des âmes les maintiendra dans la lumière,
dans la joie.
      Elle magnifiera le Sacré-Coeur.


       Eh ! ne faut-il pas qu'il soit magnifié ?
      — « J'ai rêvé, m'a écrit une âme idéale : j'ai vu Dieu sous
la forme d'un coeur immense. Il renfermait toute la terre, pour
la|faire vivre et se mouvoir en Lui. »
       Le beau rêve ! Voici deux cent quinze ans, il fut exprimé
d'une façon fort curieuse, et suggestive.




                                                    Sonnen- Licht- 1708.
      Motifcentralde la gravureinitialede S^Ilgemeines
                          Bibliothèqueu Hiéron,Paray.
                                       d
      Il ne se fait pas de la mappemonde une idée bien exacte,
 ce cher Michael Leonti Eberlein.
      Espagne, France, Europe sont déformées. -La Chine (Sina)
 est une presqu'île. Notre Océan Atlantique — où l'auteur place
 la plaie saignante du coeur— se divise, on ne sait pourquoi, en
 Mer du Nord (Mare Sept.) et en Océan Ethiopique ( Oceanus
 Ethiopieus). Et nous nous sentons hésitants aux abords de ce
 pôle sud où voici la Terre Australe ineonnue (Terra Australis
 incognita).
En Famille                                                      351

     Du moins nous apprenons que le Monomatapa —c'est vous,
bon La Fontaine qui m'en avez parlé le premier — se trouve à
même distance, à peu près, de l'Abassie ? (Abassia) et du Cap
de Bonne Espérance (Prom. Bonae Spei).
      Traversons « l'Océan Ethiopique ». Voici des noms connus :
le'détroit de Magellan (Fretum Magell.), le « Chili », le Paraguay
(Paracuaria), le « Peru ». Si nous sommes un peu déconcertés par
l'Océan Occidental (Oceanus Occidentalis) et par la Mer Pacifique
(Mare Pacificum), quelle joie de saluer la Nouvelle Espagne
(Nova Hispania), la Nouvelle Grenade (Nova Granata), la Nou-
velle|France (Nova Francia) !..
      Queljbonheur    surtout d'acclamer avec les anges « le Coeur
 de Jésus,*Coeur de l'univers » (Cor Jesu, Cor Universi), et de voir
 dépeinte,1^deux cents ans à l'avance, la parfaite réalisation du
 grand acte de Léon XIII, la Consécration du genre humain au
 Sacré-Coeur l


     Hélas!..
     Après l'idéal, figurons   la -réalité :
352                                                             En Famille

       Deux mille ans donc après que Jésus « nous a donné, sur
la croix, son coeur » ;
       Sept cents ans après les premières manifestations        connues
du Sacré-Coeur ;
       Deux cent cinquante      ans après les révélations de Paray-le
 Monial ;
       Vingt-cinq    ans bientôt après la Consécration    officielle du
 genre humain au Sacré-Coeur :
        Les dedx tiers des âmes sont païennes ;
        Du troisième tiers, la plus large moitié... voyez de qui elle
 est faite.
        Et dans le reste, dans le pauvre reste, à côté de splendeurs
 qui reposent les yeux de Jésus et qui attirent sa miséricordieuse
  tendresse, combien de déchéances et de non valeurs !
        Ah ! travaillons   !



       Naguère, notre très aimé pape, Benoît XV, indiquait         pour
 objectif à tous ses enfants la conquête mondiale qui doit réaliser
 la consécration    de tout le genre humain au Sacré-Coeur.      Animés
 de « l'esprit missionnaire    » qu'il voulait nous infuser, nous com-
 blerons les voeux de notre Pape très aimé, Pie XI.
        Archevêque    de Milan, c'est lui qui inaugura, dans cette ville,
 l'Université    du Sacré-Coeur. Aussitôt après son élection, il s'est
  avancé jusqu'à l'extrême limite vers ses fils, et vers tous ceux
  qui devraient      être ses fils, pour les bénir tous d'un coeur
  paternel...

         Une fois    de plus, Regnabit      demande   :
             des    prières,
             des    sacrifices,
             des     communions,
             des     efforts d'apostolat,

  afin   qu'advienne      le Règne    béni de l'Amour     !
                                                              F. ANIZAN.
353
L'objet des révélations     privées

                                              /. - DOCTRINE


           Les        Révélations              privées


                 YI. -L'objet   tes Révélations privées

      Nos dernières conclusions au sujet de la croyance que mé-
 ritent les révélations privées ont pu sembler, peut-être, un peu
 étroites. Comment expliquer l'influence si profonde de ces sortes
 de révélations dans la vie d'un bon nombre de saints, et même
 dans plusieurs manifestations     de la vie sociale de l'Église, s'il
 est vrai qu'on ne peut les croire de foi divine proprement dite,
 et même qu'on ne peut en avoir généralement         qu'une certitude
 approximative ?
       Les réflexions suivantes sur l'objet de révélations privées
 fourniront la réponse à cette question, et en même temps nous
 feront mieux pénétrer dans la nature de ces phénomènes sur-
  naturels qui, même lorsqu'ils sont réels et véritables, ne laissent
  pas d'avoir habituellement    quelque chose de voilé et d'obscur,
  soit dans leur origine, soit dans leur interprétation.

       1° — LES RÉVÉLATIONSPRIVÉES N'APPORTENT PAS A L'AME
  UNE NOUVELLE DOCTRINE, MAIS SEULEMENT UNE NOUVELLE
  LIGNEDE CONDUITE.
       Toute révélation, toute parole de Dieu tend finalement à
  nous manifester quelque chose de la vérité divine. Mais cette
  manifestation peut avoir un double but, selon que Dieu se pro-
. pose directement de nous instruire et de nous former dans la foi
  des mystères divins, ou bien seulement de diriger d'une manière
  particulière quelques-uns de nos actes, en nous donnant une règle
  de conduite plus précise et plus immédiate. (1)
        La révélation qui a pour but direct de nous instruire dans la
  foi est achevée et complète, pour
                                          l'Église, depuis le temps des
  apôtres. Elle a commencé au paradis terrestre, s'est peu à peu
  développée au temps des patriarches,        ensuite sous Moïse et les
  Prophètes, pour arriver à sa plénitude sous la loi de grâce, donnée
  Par Jésus-Christ et ses apôtres. Depuis lors, Dieu n'a plus rien
  révélé à l'Église, et il ne lui révélera jamais plus, ici-bas, aucun
   Mystère nouveau, aucune doctrine nouvelle. Sans doute, il y
   aura vie et progrès dans
   et                         l'Église, même au point de vue doctrinal
      dogmatique, mais cette vie et ce progrès n'apporteront      jamais
       0) S. Th. II — II. 174 a. 6.
354                                                              Doctrine

une vérité vraiment nouvelle ; ils ne feront qu'amener une intel-
ligence de plus en plus complète et de plus en plus claire de la
même vérité qui a été révélée toute entière à l'Église, dès l'origine.
        Ce que nous disons ainsi, en toute certitude, de la révélation
faite à l'Eglise, pouvons-nous le dire aussi des révélations privées ?
 Et,, comme nous disons que, depuis les apôtres, Dieu n'a plus
révélé, ni ne révélera jamais plus aucune nouvelle vérité doctri-
nale à son Église sur la terre, pouvons-nous            affirmer qu'il en
 agit de même avec les saints, ses confidents, de sorte qu'il ne
 leur manifeste à eux non plus, aucun mystère, aucune doctrine
 qu'il n'ait déjà- révélée à son Église dès le commencement            ?
        Nous ne pourrions pas l'affirmer avec une absolue certitude ;
 cependant c'est au moins très vraisemblable,          sinon moralement
 certain. Sur terre, en effet, toute âme chrétienne doit être soumise
 à l'autorité    enseignante de l'Église. Et comment pourrait-elle
 l'être, si elle savait, de la part de Dieu, quelque doctrine que
  Dieu n'ait pas dite à son Église ? — De plus, la première règle
  à suivre pour juger des révélations, privées, c'est de voir si la
  doctrine qu'elles contiennent     est positivement     conforme à celle
  que l'Église enseigne. Et comment pourrait-on établir cette con-
  formité, si une véritable révélation privée pouvait contenir des
  doctrines que l'Église ne connaît pas ? — Enfin, si l'âme, ainsi
  illuminée d'en haut, veut agir avec prudence, et se conduire
  d'après les directions que Dieu même lui donne ordinairement,
  elle doit soumettre ses communications        surnaturelles,   même les
  plus intimes, au contrôle et au jugement de son confesseur ou
  directeur qui, lui, n'a que Venseignement           de l'Église pour se
  former une conviction et pour régler sa conduite.
         Nous pouvons donc établir, comme pratiquement             certain,
   que Dieu ne révèle plus d'autre doctrine, depuis les apôtres, pas
  plus à certaines âmes en particulier qu'à la société de l'Église.
   Les paroles de Dieu peuvent bien se rapporter à quelque mystère,
  ou à quelque vérité doctrinale, mais alors elles ne font que répéter,
   expliquer, éclairer la vérité donnée une fois pour toutes, à l'Église.
   L'action du Maître intérieur pourra être, il est vrai, imcompara-
   blement plus efficace et plus intime ; sa lumière' pourra être
   incomparablement      plus claire et plus vive, que l'action et !a
   lumière de n'importe      quel enseignement       humain ; mais elles
   porteront toujours sur les mêmes vérités que Jésus-Christ a don-
   nées autrefois à son Église, et que celle-ci enseigne maintenant
   à tous les fidèles.
         Nous sommes donc en droit de conclure que les révélations
   privées ne sont pas données par Dieu directement pour instruire
   l'âme, ni lui manifester ce qu'elle doit croire, mais qu'elles appar-
    tiennent toutes à cette deuxième catégorie de révélations, dont
   parle saint Thomas, qui ne contiennent           à proprement     parler.
L'objet des révélations privées                              355
                     *
 qu'une  règle de conduite, une norme donnée par Dieu pour une
 meilleure orientation de la vie ou, au moins, de quelques-uns de
 ses actes. (1)
        2° — LES DIFFÉRENTES SORTES DE RÉVÉLATIONSPRIVÉES
  D'APRÈSLEUR OBJET SPÉCIAL.
         Si nous voulons maintenant        descendre dans le détail, et
  examiner les différentes méthodes que Dieu emploie pour éclairer
  et diriger ainsi ses confidents et ses intimes, nous devons tout
  d'abord reconnaître qu'il est impossible de classifier exactement
j les divers modes de l'action divine, car elle varie et selon les
! personnes à qui Dieu s'adresse, et selon le but spécial qu'il veut
i atteindre en se communiquant          à chacune d'elles.
         Cependant, il nous semble que toutes les révélations privées
H pourraient se ramener, d'après leur objet spécial, à l'une ou
   l'autre des catégories que nous allons brièvement exposer.
          1° Les révélations privées peuvent avoir pour but et objet
J spécial de porter l'âme à une plus grande ferveur, en lui don-
' nant une connaissance
                               plus précise, plus distincte ou plus péné-
   trante des mystères de la religion.
          Ces révélations, nous les trouvons dans la vie où les écrits
   d'un grand nombre de saints personnages : les unes nous rap-
   portent, dans les plus menus détails, les circonstances de la vie
   et les mystères de Notre-Seigneur ou de la Sainte-Vierge ; d'autres
   nous décrivent le séjour et les fêtes du ciel, ou encore les tourments
    du purgatoire et de l'enfer ; d'autres nous donnent des explica-
    tions théologiques des mystères etc.. Pour n'en citer que quelques
    unes, mentionnons par exemple les révélations de Sainte Fran-
    çoise Romaine. L'auteur de sa vie nous raconte près d'une cen-
    taine de visions de la sainte, sur les différents sujets que nous
    venons d'énumérer.      (2) Nous lisons de même une longue série
    <te révélations les plus diverses dans la vie de la bienheureuse
    Véronique de Binasco. (3) On en trouve de semblables, et en
     très grand nombre, dans la vie de sainte Brigitte, de sainte
     Gertrude, de sainte Catherine de Sienne, et de tant d'autres.

    , ,.0) «Prophétia ordinatur ad cqgnitionemdivinaeveritatis pcr cujus contem-
   Pjationem solum fide instruimur, sed etiam in nostris operibus gubernamur...
             non
   *' er8°deprophétia
                       loquamur, in quantum ordinatur ad fidem Deitatis, sicguidera
   suh se?undum très temporum distinctiones :humanorum legem, sub lege et
                                                   scilicet, ante
   revi^!?tia"" Quan*um vero adsecundum
             diversrficata est, non
                                      directionem                actuum, prophetica
   conri^i- m negotioruni...Et, ideo            temporis processum, sed secundum
   nit? ae
      ns rf agendis, secundum         quolibet tempore instructi sunt homines divi-
                                 quod erat expediens ad salutem electorum».
                                                  S. Theol. II - II. Q. 174art. 6.
                               non defuerunt aliqui prophetiae spiritum habentes,
   nonn "§ul'sad riovam doctrinam fidei
   rfii-»»?-em temporib'us,                depromendam,sed ad humanorumactuum
   «"ectionem.Wd. ad 3».
                i
        >t'Acta SS. (Palmé) VIII p. 104 - 154.
        W)Acta SS. II, p. 186- 206.
356                                                                 Doctrine

Celles qui sont peut-être les plus répandues parmi les fidèles sont
les révélations de Marie d'Agréda sur la vie de la Sainte Vierge
et celles de Catherine Emmerich sur la Passion de Notre-Seigneur!
      A ce genre de révélations peuvent assez facilement se ramener
toutes celles qui ont trait à des sujets historiques, ou à des exposés
théologiques,     ou encore à des sujets scientifiques,   comme sont
surtout les révélations de sainte Hildegarde. Cette sainte, dans
son ouvrage, Liber divinorum operum (1), nous décrit l'ensemble
 dés oeuvres de Dieu dans la création ; et dans le livre suivant :
 Liber subtilitatum diversarum naturarum creatarum (2), elle nous
 donne un véritable traité de physique et de médecine, tel qu'un
 savant de l'époque, au XII 8 siècle, aurait pu le composer. Et la
 sainte prétend ne rien dire qu'elle n'ait appris de Dieu lui-même,

      Que penser de ces sortes de révélations,            et comment sont-
elles objet de la parole.de        Dieu ?
      D'une part, nous avons des raisons plus que suffisantes
pour admettre qu'elles viennent de Dieu : la scienee miraculeuse
qu'elles supposent       bien souvent, la sincérité et la dignité des
témoins qui nous les rapportent,         ne peuvent nous laisser de doute
sur leur vérité d'ensemble.         Comment les rejeter, en effet, sans
supposer que tous ces saints personnages qui nous les racontent,
commes divines, n'ont été que des hallucinés ? — car, encore une
fois, nous ne parlons que des personnes d'une sainteté incontes-
table reconnue par l'Église ; des autres, il n'est pas question.—
 Et quel est le catholique qui oserait penser qu'une sainte Gertrude,
 une sainte Thérèse, et tant d'autres saints que l'Église propose
 à notre admiration et à notre imitation, n'ont été habituellement
 que des hallucinés ?
       D'autre part cependant,         lorsque nous venons à comparer
 ces révélations entre elles, ou à les confronter            avec des vérités
 que nous connaissons         certainement     par ailleurs, nous voyons
 aussitôt que tout ce qu'elles contiennent         ne peut venir de Dieu.
 Entre quantité de révélations également acceptables, nous trou-
 vons des contradictions       nombreuses et manifestes ; (3) dans celles
 qui touchent à des questions historiques ou scientifiques, nous
 constatons beaucoup d'erreurs certaines ; parmi celles qui donnent
 quelque explication théologique des mystères, les unes adoptent
 tel système, les autres le système contraire, selon les écoles théo-
 logiques dont le voyant a subi l'influence. Même dans les révéla-
 tions les plus authentiques,       et les plus incontestables,     si elles ont
  une certaine étendue, il y a des difficultés insolubles, des erreurs
  manifestes. (4)
      (1) Migne, P.L. CXCVIl, col. 742 - 1079.
      (2) Ibid. col. Ï126 - 1351.
      (3) Voir quelques exemples dans Poulain : Des grâces d'oraison p. 343-
      (4) On peut lire dans Amort : De Revelationibus...,un grand nombre de aiw
L'objet des révélations    privées                                       357

      Cette double constatation nous met en présence d'une ano-
malie qui paraît, au premier abord, bien étrange : le fait de révé-
lations vraiment divines qui contiennent des erreurs de détail
de toutes sortes. A notre avis, le seul moyen de résoudre cette
apparente contradiction       se trouve dans le principe que nous
avons emprunté plus haut à saint Thomas : toute révélation,
depuis les apôtres, est donnée par Dieu, non pas pour instruire
les âmes dans la foi, mais pour les diriger spécialement            dans .
quelques-uns de leurs actes.
       Ainsi, lorsque Dieu manifeste à une âme, par exemple, le.
 mystère de la Passion, son intention n'est pas de lui apprendre
 toutes les menues circonstances         qu'elle aperçoit   dans cette
 vision, mais seulement         de la porter à une ferveur plus
 grande, à une piété plus intense, en lui faisant mieux voir l'éten-
 due et la profondeur du mystère.
       Pour arriver à ce but, Dieu peut bien parfois dire lui-même,
 en paroles précises et distinctes, ce qu'il veut faire savoir à l'âme ;
 dans ce cas, les divines paroles, sont nécessairement vraies. Mais
 le plus souvent, Dieu ne parlera pas à l'âme aussi distinctement       ;
  il ne se manifestera à elle que par des visions plus ou moins
 précises qu'il présentera à son imagination ou à son intelligence.
        Il pourra bien, ici encore, donner lui-même, ou disposer tous
  les éléments de ces visions, de telle sorte que tout y soit conforme
  à la vérité qu'il veut manifester ; mais souvent aussi, il ne fera
  que se servir des images, des idées, des connaissances qu'il trouve
  dans l'âme. Il se révélera à elle, il l'éclairera surnaturellement,
  «n lui disant plus nettement       et plus vivement, de tel ou tel
   mystère, tout ce que les idées qu'elle avait peuvent en représenter
   mais il ne lui donnera pas de nouvelles connaissances ; il ne corri-
   gera pas même les erreurs où elle se trouvait. La lumière qui
   éclaire le mystère dans cette âme viendra de Dieu ; mais elle
  n'arrivera à l'intelligence    qu'à travers les notions imparfaites
   qu'elle possédait auparavant.

       Si donc cette âme veut raconter sa vision, et réfléchir sur
 d'autres intelligences la divine lumière qui l'a inondée, elle ne
 pourra l'exprimer que par les mêmes notions, les mêmes idées
 plus ou moins justes qui lui ont servi à la recevoir. Elle nous
 rapportera une véritable révélation divine, en ce sens que c'est
 Dieu lui-même qui, par son action immédiate, lui aura mieux
 rait voir le mystère ; mais elle- nous le rapportera dans des des-
 criptions défectueuses, ou inexactes, selon les idées à travers les-
  quelles elle a reçu la lumière de Dieu et par lesquelles elle doit
 la renvoyer au dehors.

 dMéSi^u  a'erreurs>relevéesdans les révélationsde sainte Gertrude (p. 170- 220),
   e « bienheureuse
                   Véroniquede Binasco(p. 241 - 248), et surtout de la vénérable
 *ane d'Agreda (p. 248-365).
358                                                                Doctrine

     C'est comme si Dieu, pour captiver davantage notre esprit
et notre coeur, nous faisait voir, par son action directe, très vive-
ment tout ce que la science actuelle peut exprimer de sa puissance
et de sa bonté. Nous pourrions dire vraiment que Dieu se révèle à
nous, qu'il nous révèle ses attributs, puisque c'est par son action
immédiate qu'il nous éclairerait ainsi ; mais pour décrire ensuite
ce qu'il nous aurait ainsi fait voir de sa bonté et de sa puissance
nous devrions nous servir des mêmes connaissances que nous
avions auparavant et dont Dieu se serait servi pour nous éclairer.
Nous ferions le récit d'une véritable révélation divine ; mais
avec toutes les imperfections         ou les erreurs de la science
moderne. (1)
      Nous ne disons pas qu'on doive ainsi expliquer toutes les
révélations privées. Il en est, nous l'avons déjà noté, où la parole
de Dieu est précise, distincte ; mais il en est d'autres, moins
parfaites, où la parole de Dieu n'arrive à l'âme qu'à travers un
ensemble d'idées déjà fait. Telles sont, croyons-nous,       presque
toutes les révélations que nous pourrions appeler, d'après leur
forme extérieure, historiques, théologiques ou scientifiques. 11
ne faut pas y chercher des leçons divines d'histoire, de sciences
ou de théologie : ce n'est pas ce que Dieu a voulu donner à ses
confidents, et ce n'est pas ce qu'il leur a dit. Il faut y chercher
seulement des leçons d'édification et de piété, c'est-à-dire une
.intelligence plus intime, et plus affectueuse des mystères. C'est
là seulement ce que Dieu a voulu donner, c'est pour cela seule-
ment qu'il a envoyé sa lumière et répandu sa céleste clarté. (2)
 On le voit : du fait que bien des révélations contiennent des
 erreurs d'histoire, de science, ou même de théologie, on ne saurait
 en déduire qu'elles ne sont pas divines. Tout n'y est pas divin,
 il est vrai ; mais qu'on s'applique à distinguer ce qui vient de
 l'esprit de Dieu et ce qui vient de l'esprit de l'homme, et l'on
 n'aura plus aucune difficulté à les recevoir comme divines dans
 leur fond, (surtout si elles nous viennent de grands saints) quoi-
 que dans leur forme extérieure elles portent parfois des imper-
 fections, des inexactitudes, des erreurs même sur des points qui
 sont étrangers à ce que Dieu voulait révéler à l'âme.

      (1) Mêmesi Dieu donnait cette science miraculeusement,elle ne serait pas
 nécessairement  pour cela exempte d'erreurs ; car Dieu pourrait bien se contenter
 de la donnerdans la mesureoù les hommessavants de l'époquepeuvent l'acquérir.
 Tel est vraisemblablementle cas pour les révélationsde plusieurs saints.
      (2) Dans ces révélationsimparfaites, il peut arriver que le voyant lui-même
 se trompe et attribue à Dieu des chosesque Dieu ne lui a pas dites : « menspro-
 phetae dupliciter a Deo ihstruitur : uno modo per expressamrevelationerh; ano
 modo per quemdam ihstinctum occultissimum...sed ad ea quae cognoscit per
 instinctum, aliquando sic se habet ut non plene discernera possit utrutn h_aec
 cogitaverit aliquo divino instinctu, vel per spiritum proprium... talis enim ins-
 tinctus est quiddam imperfectumin génèreprophetiae. »
                                                        S. Th. II - II, 171, a. 5.
L'objet des révélations   privées                                    359


        Qu'y a-t-il à croire de foi divine dans ces révélations ? Au
 fond, pas autre chose que le mystère que nous croyions déjà par
 la foi chrétienne, et que nous trouvons exposé ici plus pieusement,
  plus affectueusement       et peut-être plus complètement.         Tout le
  reste -n'est qu'un revêtement d'idées humaines, que le voyant, a
  dû donner à son récit ; aussi n'y trouvons-nous            rien que nous
  devions accepter sur l'autorité de Dieu.
        L'explication     que nous venons de proposer             s'applique
  proportionnellement à toutes les autres révélations : nous allons
  le montrer en quelques mots.
        2° Dans une deuxième catégorie, nous comprenons les révé-
  lations prophétiques, c'est-à-dire celles qui donnent la connais-
   sance surnaturelle de quelques événements futurs. Il est peu de
: vies de saints qui n'en contiennent           au moins quelques-unes.
; Dans leur ensemble, elles sont moins étendues que les précédentes,
j et ne remplissent pas comme celles-ci dés volumes entiers ; mais
[ elles sont plus fréquentes.      Le don de prophétie, comme le don
, des miracles, est un des privilèges, par lesquels Dieu se plait
; souvent à récompenser la sainteté de ses meilleurs serviteurs.
; Aussi le trouve-t-on chez presque tous les grands saints, uni assez
   souvent avec le don de discernement           des esprits.
         Ici, le but spécial de l'action divine n'est pas, comme précé-
    demment, de former l'âme à une plus grande ferveur, mais bien
    de la conduire, de la diriger en vue de l'avenir. Ces révélations
    sont données, tantôt pour l'utilité des autres : tel ce don vraiment
    extraordinaire de discernement       des esprits qui contribua beau-
    coup à rendre le ministère du Curé d'Ars si fécond et si fructueux ;
    tantôt pour l'utilité personnelle de celui qui les reçoit : telles ces
    visions divines par lesquelles les Fondateurs d'Ordres religieux
    contemplèrent si souvent, par avance, les fruits'de             salut que
    devaient produire leurs instituts naissants, et dans lesquelles ils
    puisèrent un courage à toute épreuve pour surmonter tous les
    obstacles.
          Il est manifeste ici encore, que l'intention de Dieu, en dévoi-
    lant ainsi les secrets de l'avenir, n'est pas d'instruire ses confidents
     sur tous les détails de ce qui doit arriver, ni d'imposer quelque
     nouvelle vérité à leur croyance ; il veut seulement les conduire,
     leur montrer d'avance le chemin, les avertir, les prémunir. Dieu
     Veut, sans doute, être écouté ; mais il ne s'adresse pas directement
     a la foi du
                   voyant, ni à plus forte raison, des autres fidèles..
          il n'est donc pas nécessaire, ici non plus, que Dieu parle
     toujours en paroles nettes et claires ; il peut éclairer autrement
       ame qu'il veut conduire ; il peut faire qu'elle se conforme à la
      suggestion divine, même si elle ne sait pas distinguer si cette
      Suggestion vient de Dieu, ni déterminer avec exactitude tout ce
      W elle comporte.
360
                                                           Doctrine

      3° Une troisième catégorie peut comprendre les révélations
par lesquelles Dieu donne une mission spéciale à remplir. $j
Dieu parle à l'âme, ce n'est plus directement pour la former à
                                                                une
plus grande piété, ni seulement pour l'avertir et lui suggérer une
ligne de conduite, c'est pour lui commander et lui imposer tels
actes et tels travaux. Il pourra lui demander des actes purement
intérieurs, — et ce sera le cas le plus fréquent — comme de
prier à telle intention, de souffrir et de réparer pour tel pécheur
ou telle âme du purgatoire, de s'offrir tout spécialement en
victime en union avec Jésus crucifié ; mais il pourra aussi lui
demander de remplir telle mission extérieure et publique : mission
par exemple de Sainte Catherine de Sienne de travailler au retour
du Pape, d'Avignon à Rome ; de sainte Jeanne d'Arc d'aller
délivrer la France du joug des Anglais ; de sainte Thérèse, de
fonder son monastère d'Avila et de travailler à la réforme du
Carmel ; de sainte Marguerite-Marie, de faire connaître au monde
l'amour du Sacré-Coeur; etc..
      Dans ces communications, Dieu parlera à l'âme assez claire-
ment pour lui manifester la mission qu'il veut lui donner ; il lui
fournira même souvent des preuves miraculeuses pour qu'elle
puisse faire reconnaître sa mission comme divine ; mais ici encore,
il ne fera souvent entendre sa parole à l'âme qu'à travers les
idées qu'elle avait déjà. Et ainsi il pourra arriver que l'âme,
quoique vraiment éclairée par Dieu, ne distingue pas toujours
ce qui vient de Dieu, et ce qui vient d'elle-même.
       4° Enfin on peut classer dans une dernière catégorie toutes
les révélations qui ne sont que des paroles de pure intimité entre
Dieu et l'âme. Dieu s'adresse ainsi à ses amis les plus fidèles ; il
leur parle comme un ami parle à son ami. Il le faisait déjà avec
Moïse, selon le témoignage de l'Ecriture ; il l'a fait depuis avec
beaucoup de saints dont nous pouvons lire la vie ou les écrits ; il
l'a.fait encore avec un bien plus grand nombre que nous ne
connaîtrons qu'au ciel. Qu'on lise par exemple les oeuvres de
Sainte Gertrude, et on verra jusqu'à quelle familiarité Dieu peut
descendre avec les âmes qu'il aime ! Au témoignage du
B. Raymond de Capoue, confesseur de sainte Catherine de Sienne,
à peine pourrait-on trouver, sur terre, deux âmes qui soient en
communication aussi intime et aussi fréquente,         que l'était
cette sainte avec Notre-Seigneur.     De nos jours, ces divines
intimités n'ont pas cessé ; bien au contraire. Les Vies de soeuf
Thérèse de l'Enfant Jésus, de Gemma Galgani, de la soeur Ger-
trude-Marie,    et de bien d'autres sont là pour le prouver
évidemment.
    Pourrions-nous rejeter comme fausses toutes ces révélations
ou du moins les négliger comme douteuses ? Il faudrait drre
L'objet des révélations   privées                                361


alors qu'une grande partie de ce mouvement de piété intense qui
porte les plus belles âmes vers Dieu ne repose que sur des illusions ;
jl faudrait dire que l'Église se trompe bien quand elle nous pro-
pose comme des parfaits modèles, ces âmes qui n'ont vécu que
sous l'influence de paroles divines.
      Nous accepterons      donc ces révélations    comme divines,
dans leur substance, surtout pour ce qui concerne la perfection
de vie chrétienne qu'elles expriment ; mais nous saurons que la
 parole de Dieu peut bien ne pas s'étendre à chacune des expres-
 sions que l'âme a cru entendre, parce que Dieu parle parfois, et
 peut-être souvent, par le moyen des idées et dés connaissances
 que l'âme avait déjà.

      En résumé : toutes les révélations privées peuvent se ramener -
à l'une ou à l'autre des catégories que nous venons d'énumérer ;
et, de toutes se vérifie parfaitement      l'explication donnée par
saint Thomas : Dieu ne les accorde pas pour proposer une nouvelle
doctrine qu'il faudrait croire, mais pour donner une direction
spéciale qu'il faut suivre.
       Dans ces divins entretiens, Dieu ne se conduit pas comme
un maître qui enseigne, mais bien comme un père qui prend un
 soin spécial de quelques-uns de ses enfants. Parmi les paroles
 qu'il leur fait entendre, il y en a, sans doute, parfois qui récla-
 meront de leur part un véritable acte de foi ; tout comme dans
 une conversation ordinaire, il arrive qu'on doive croire positi-
 vement certaines assertions de l'ami qui nous parle —mais
 généralement elles n'exigeront que la soumission, la confiance,
  l'abandon à la toute condescendante bonté de Dieu ; c'est-à-dire
  les sentiments d'un enfant à l'égard de son père qui lui parle
  dans l'intimité et le coeur à coeur.

        Quant à ceux qui lisent ensuite le récit de ces révélations,
  si elles offrent des garanties suffisantes d'authenticité,   — ce qui
  est le cas ordinaire pour les révélations des saints — ils devront
  les accepter avec respect ; mais ils n'y trouveront rien qui s'im-
  pose à eux comme objet d'un nouvel acte de foi divine : ni le
  fond doctrinal      qu'elles peuvent contenir, car cette doctrine
  ils la croient déjà comme enseignée par l'Église ; ni l'objet direct
   et spécial de ces révélations, car cet objet se réduit à une direction
   pratique donnée par Dieu à ceux à qui il s'adresse ; ni surtout
   Chacune des assertions particulières par lesquelles le voyant a
   mterprété la parole de Dieu qu'il a entendue, car dans cette inter-
   prétation, le voyant est loin d'être infaillible.
         Nous lirons donc les révélations des saints comme des récits
   ordinairement exacts des entretiens que Dieu leur à accordés ;
362
                                                           'Doctrine

nous les lirons dans un but tout pratique de piété et
sans aller jamais y chercher une règle de notre foi, d'édification,
                                                       ni un exposé
de certaines vérités théologiques   que l'enseignement    de l'Église
ne saurait nous donner. Pour nous, comme pour le
                                                       voyant, elles
n'auront   d'autre but que de nous aider et de nous diriger dans
notre conduite,    non pas de nous instruire     ou de nous former
dans la foi.
                    (A suivre)
                                             A. ESTÈVE, O.M.I.
pourquoi   Jésus    prend       nos infirmités                        363



                   LE     SACRÉ-COEUR

     et    les     infirmités         de    sa   nature   humaine

                                    CSuiïeJ



    IY. - Pourquoi le Verte se faisant ctiair prend nos infirmités.
      Le Sacré-Coeur est infirme comme nous : c'est un fait. Pour-
quoi en fut-il ainsi ? pourquoi fallait-il que le Verbe se faisant
chair renonçât à son droit rigoureux de posséder une nature
humaine impassible et glorieuse, pour s'unir à une humanité
semblable à la nôtre, telle que l'a faite le péché, avec les infir-
mités et les misères auxquelles il l'a soumise ? A cette curiosité
légitime, S. Thomas répond par. trois raisons de haute conve-
nance, q. 14, a. 1.
       1. — La première raison est la fin même de l'Incarnation,'
 Or la fin de l'Incarnation,      c'est la Rédemption     : le Verbe de
 Dieu se fait chair pour nous racheter et pour nous sauver. « Il
 est descendu des cieux, chantons-nous           dans le Symbole, pour
 nous autres hommes et pour notre salut ». « Lé Fils de Dieu,
 dit le docteur angélique, vient en ce monde, revêtu de notre
 chair, afin de satisfaire pour les péchés du genre humain. On ne
 satisfait pour le péché d'un autre qu'en prenant sur soi et en
 subissant la peine due à ce péché. Or les infirmités de la chair
 sont historiquement      le châtiment    du péché. Il convenait donc
  que le Christ prît sur lui lès pénalités encourues par notre race
  depuis Adam ». Il fallait qu'il acceptât la faim, la soif, la fatigué,
  la douleur, la mort, en un mot, tout ce qu'un homme peut souf-
  frir dans son corps. Isaïe l'avait prédit : «Véritablement         c'é-
  taient nos misères qu'il portait et nos douleurs dont il s'était
  chargé». (2)
        Le Verbe s'unit à notre nature pour apaiser la justice de
  son Père et réconcilier avec lui le genre humain. L'expiation
   du péché était en effet voulue par la justice divine, et l'expia-
   tion réclame la souffrance et la mort. Sans effusion de sang,
   Pas de pardon. Sine sanguinis        effusione, non fit remissio. (3)
   Les victimes de l'Ancien Testament          ont par leur impuissance
   cessé de plaire à Dieu. Afin de pouvoir s'immoler à la justice
   divine et reconnaître par sa mort le souverain domaine de Dieu,

      (1) Voir Regnabit : I, 424 ; H, 16.
       2) ISAÏE,LUI, 4.
      (3) Hebr., IX, 22.
364                                                                  Doctrine

  le Verbe prend donc un corps passible et mortel comme le nôtre,
  qui sache souffrir et mourir. Le Christ infirme a fait pour nous
  pécheurs ce que ne pouvait un Christ glorieux. Racheter, c'est
  prendre à son compte le montant d'une dette. Glorieux, le Christ
  pouvait nous sauver et faire éclater la miséricorde de Dieu ;
  il ne pouvait pas à proprement parler nous racheter, c'est-à-dire
  payer notre dette de souffrances, de misères et de mort ; il a
  donc pris notre place, substitué sa personne divine à notre per-
  sonne pécheresse, et reçu tous les coups que la justice de Dieu
  nous destinait. « Comme Dieu le Père, dit S. Cyrille d'Alexan-
   drie, avait résolu de sauver le genre humain de la corruption
   du péché, et qu'aucune          créature  qui excède les forces de
   toutes, n'était    capable d'une telle oeuvre le Fils unique de
   Dieu, Dieu comme son Père, prit à coeur cette volonté pater-
   nelle connue et se chargea de la réaliser. Il s'humilia dans un
   abaissement     volontaire tel, qu'il s'anéantit    jusqu'à la mort la
   plus infamante.      Mourir suspendu à une croix, n'est-ce pas le
   comble de l'ignominie ? Parce qu'il a souffert de la sorte, Dieu
   l'a souverainement      élevé ». (1)
         2. — Le Verbe prend une nature humaine infirme comme
   là nôtre, sensible à tous les chocs qui nous font souffrir, afin
   d'établir et d'affermir nôtre foi en l'Incarnation,     et de nous mon-
   trer jusqu'à la dernière évidence qu'il est homme comme nous
    et notre frère vraiment. « Puis donc que les enfants ont eu en
   partage le sang et la chair, lui aussi y a participé également...
    De là vient qu'il a dû être fait semblable en tout à ses frères ».(2)
    Comme la nature humaine se présente universellement              à nous
.. avec son cortège obligé de besoins, de faiblesses et de misères,
    on aurait pu douter que le Christ fût vraiment homme, s'il avait
    pris une humanité sans les infirmités qui en sont aujourd'hui
    inséparables, majestueuse, impassible, investie de privilèges surhu-
    mains. « Bien souvent, dit S. Jean Chrysostome,            les Anges et
    même Dieu se sont montrés en terre sous forme humaine ; or,
    ce qui se voyait alors n'était pas la réalité d'une chair humaine,
    mais condescendance       et pure apparence. Pour donc que tu ne
    penses pas que l'avènement        du Fils de Dieu a été comme ces
    apparitions angéliques, mais afin que tu croies qu'il s'est mani-
    festé dans une chair humaine vraie et réelle, il a été conçu et
    est né, il a été allaité et couché dans une crèche, non pas dans
    le secret d'une chambre, mais dans une hôtellerie, au milieu
    d'une multitude de peuple, afin que sa naissante fût chose pu-
    blique et connue de tous». (3)
          Le Verbe incarné a tant à coeur, si j'ose ainsi m'exprimer,

       (1) In Joannem, I. X, c. 2. P. G. 74; 374.
       (2) Hebr., II, 14, 17.            .
       13) De Consubstantiall,conira .Anomaeos, hom. VII, n. 6. P. Q. 48, 765.
pourquoi   Jésus   prend    nos infirmités                               365

de prouver qu'il est bien l'un des nôtres, de notre chair et de
notre sang ; — il veut établir si irréfutablement           la vérité de son
être humain et la réalité de ses saintes infirmités que, durant
les trente années de sa vie cachée, il vit obscurément              sans rien
qui le distingue des autres hommes, habitu inventus ut-homo,
pris vulgairement       pour le fils d'un charpentier,     filius fabri, s'as-
treignant à tous nos besoins de nature, si bien que ses ennemis
le veulent faire passer pour un homme adonné au vin et aimant
la bonne chère, homo vorax et potator vini, (1) alors qu'il satisr
fait légitimement aux exigences et aux besoins dé sa chair. Dur
 rant sa vie publique, il opérera des miracles dont son corps sera
l'objet ou l'instrument,        — il faut bien qu'il prouve sa filiation
 divine ; — cependant son mode de vie conforme au nôtre, ses
 fatigues, ses souffrances et finalement sa mort n'en continuer
 ront pas moins d'attester         qu'il est homme et de la même subs-
 tance que nous. (2) La souffrance est le lot ordinaire de toute
 vie humaine, comme la mort en est le terme inévitable. Souffrir
 comme nous et mourir à son tour devenaient donc pour le Verbe
 incarné la preuve la plus efficace et à la portée de tous de sa
 parfaite communauté           de nature avec nous.
         « Le but du Verbe incarné, dit S. Cyrille d'Alexandrie,               à
 été de démontrer          avec évidence qu'il a réellement         pris chair
 et s'est fait véritablement           homme, non pourtant         en cessant
 d'être Dieu le Verbe, — car il n'aurait pu, s'il ne l'était plus,
 sauver le genre humain. Mais de peur que celui-ci ou celui-là,
  entendant dire qu'il s'est fait chair, n'en conclue que le Verbe
  immuable de Dieu s'est converti en ce qu'il n'est pas dès tour
  jours, à juste titre, il prononce d'une part des paroles qui sont
  celles d'un homme véritable, et, d'autre part, il accomplit des
  oeuvres qui appartiennent          à Dieu seul, afin que nous compre-
  nions bien qu'il est en même temps Dieu et homme. Quand
  donc il importait de manifester qu'il était véritablement            homme,
  il ne manquait       pas de l'établir. Si le péché, qu'il ne pouvait
  commettre, lui demeure. totalement            étranger,   il n'a pas refusé
  de souffrir dans son corps et dans son humanité tout ce qui est
   de la nature humaine, dans le but de démontrer que réellement
   il s'est fait chair et véritablement      homme, ainsi qu'il est écrit...
          « Donc quand tu entends dire qu'il a pleuré, qu'il a éprouvé
   de la tristesse et de la
                                  frayeur, comprends      qu'il était homme
   en même temps que Dieu, et rapporte à la nature humaine ce
   qu] lui appartient.      Puisqu'il a pris un corps mortel et passible,
   Sujet à ces différentes affections, nécessairement            il a, avec la
   chair humaine,       assumé ses propriétés        et ses souffrances.    Or,
   lorsque la chair souffre en lui et subit ce qui est de sa n'attire*
         (1) MATTH., 49.
                    XI,
         (2) Cf. LÉONCE BYZANCE,
                        de            Contra Nestonan. & Eutych. P. Q. 86, 1335.
366                                                           Doctrine

c'est lui qui, à cause de l'unité de personne, le souffre et le subit»(i)
       3. — Le Verbe incarné dans une chair passible et mortelle
a voulu encore nous donner la preuve irréfragable de son amour
compatissant      pour nous, en passant par toutes nos épreuves
et finalement en sacrifiant sa vie pour nous : « car nous n'avons
pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos infirmités :
pour nous ressembler, il les a éprouvées toutes, hormis le péché».(2
Par là encore il nous laisse un soutien et une force ; car il emprunte
à l'épreuve et à la souffrance le pouvoir irrésistible de secourir
ceux qui sont éprouvés et tentés : « car, c'est parce qu'il a souf-
fert et a été lui-même éprouvé, qu'il peut secourir ceux qui sont
 éprouvés ». (3) Enfin, souffrant et infirme comme nous, volon-
 tairement soumis aux mêmes nécessités et aux mêmes misères,
 il nous est un encouragement       et un exemple de patience et de
 vigueur surnaturelles    dans nos misères et nos souffrances. « Le
 Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que
 vous suiviez ses traces. (4) Il a supporté contre sa personne de
 la part des pécheurs une si grande contradiction,        afin que nous
 ne nous laissions pas abattre par le découragement            ». (5)
        Le Fils de Dieu s'est fait homme, afin de combattre pour
  nous et de vaincre en notre nom la mort et le diable. Le conflit
  engagé lui faisait donc une loi de ramener au combat cette même
  nature qui une première fois s'était laissée vaincre, et de lui
  assurer la victoire. « Notre-Seigneur     Jésus-Christ   se présente à
  nous, dit S. Cyrille d'Alexandrie,       comme un modèle et un
  exemple de sainte vie, principalement        en ce qu'il a vécu sous la
  loi et n'a pas pour nous dédaigné de prendre les conditions mêmes
  de notre pauvreté.     Par un amoureux dessein pour nous, il se
  conforme à notre mode commun de vie et, par son exemple,
  devient pour les siens le chef et l'auteur d'une vie nouvelle et
  inaccessible à nos seuls efforts ». (6)
         Lé Sacré-Coeur, infirme et souffrant, est donc le modèle
   de ce que nous devons être ici-bas, comme, glorieux, il est le
   modèle de ce que, un jour, nous serons. Or, comment eût-il pu
   se proposer en exemple, s'il n'eût pas partagé notre nature avec
   toutes ses infirmités ? Comment n'eussions-nous       pas été excusés
   de ne pas tenter dans une chair infirme et passible l'imitation
   de celui qui aurait vécu dans une chair glorieuse et impassible ?
   Vraiment, dans ces conditions, il en eût été de la loi d'imita-
   tion du Seigneur, comme de celle qui ordonnerait          à un artisan

      (1)   Thesaur., Assert. XXIV. P. G. 75, 394, 395.
      (2)   Hebr., iv, 15.
      (3)   Hebr., il, 18.
      (4)   I PETR.,II, 21.
      (5)   Hebr., xn, 3.
      (6)   In Joannem, I. X. P. G. 74, 372.
Pourquoi   Jésus    prend   nos infirmités                                367


d'accomplir les oeuvres d'un joailler avec les outils d'un char-
pentier. D'ailleurs, quels exemples de vertu eût pu nous laisser
le Seigneur, si sa chair n'eut pas été comme la nôtre infirme et
passible? (1)
       4. — A ces trois motifs de convenance suggérés par S.
Thomas pour la passibilité du Christ, il est permis, je crois, d'en
ajouter un quatrième : le Verbe incarné a voulu une nature
infirme comme la nôtre, afin de s'assurer une plus grande gloire
 et pour mériter par droit de conquête l'exaltation       qui lui était
 régulièrement due par droit de naissance. Si par ses propres
 souffrances, il apprend expérimentalement,       tout Fils qu'il est,
 ce que c'est qu'obéir, (2) — en obéissant, il mérite d'être exalté
 par Dieu et de porter un nom devant lequel tout genou doit
 fléchir. (3) « Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d'hon-
 neur à cause de la"mort qu'il a soufferte ». (4)
        Pour nous également notre part de souffrance et de tribu-
  lation généreusement acceptée est la cause productrice de notre
  gloire. « Ce quelque chose de momentané et de léger qu'est notre
  souffrance d'aujourd'hui,     dit S. Paul, produit pour nous au
  delà de toute mesure un poids éternel de gloire ». (5) Dès lors,,
  tout fardeau nous doit être facile et léger à porter. « Si nous
   sommes enfants, dit encore l'Apôtre, nous sommes héritiers,
   héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, si toutefois nous souf-
   frons avec lui pour être glorifiés avec lui. Car j'estime que les
   souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire
   à venir qui sera manifestée en nous ». (6)



     Le Yerne s'incarnant prend sur lui nos infinités communes,
                     nullement nos infirmités personnelles.
       Jésus-Christ       a voulu communier aux infirmités de notre
  nature, afin de satisfaire pour nous, de nous prouver la réalité
  de son humanité sainte, de nous donner un exemple de patience
  et de vertu, de mieux nous témoigner son amour et de s'assurer
  à lui-même par droit de conquête une plus grande gloire. Mais
  ces infirmités et ces misères humaines sont bien nombreuses
  et de nature très diverse. Le Christ les a-t-il prises toutes ou
  seulement quelques-unes ? C'est le problème que S. Thomas
  se pose, q. 14, a. 4 : « Le Christ devait-il prendre toutes nos
  infirmités corporelles ?»
       (1) Cf LÉONCEe BYZANCE,
                         d         Contra Nestor,et Eutych., I. II. P. G. 86, 1350
       (2) Hebr., v, 8.
       (?) Phil., il, 8.
       (4) Hebr., n, 9.
       (5) n Cor., iv, 17.
       (6) Rom., vin, 17, 18.
368                                                           Doctrine

       « Le Christ, fépond-il aussitôt, a pris sur lui les infirmités
humaines, afin de pouvoir satisfaire en notre place à la justice
divine pour le péché de la nature humaine. Or cet office de ré-
dempteur exigeait précisément qu'il eût en son âme la plénitude
de la grâce et de la science. Par conséquent il a dû prendre les
infirmités ou défauts qui sont la suite du péché commun de toute
la nature, mais ne s'opposent pas à la perfection de sa grâce
et de sa science. Il ne se peut donc qu'il ait pris sur lui tous les
défauts ou toutes les infirmités de la nature humaine ».
       Afin de bien préciser cette doctrine, le docteur angélique
classe les infirmités de la nature humaine en deux grandes caté-
gories dont la seconde se partage en deux espèces :
        La première catégorie comprend les infirmités personnelles,
 les tares et les défauts particuliers,       qui n'accompagnent      pas
 universellement     et partout la nature humaine du fait de la faute
 originelle, mais affectent accidentellement       certaines natures in-
 dividuelles et sont l'effet de causes particulières : vice de cons-
 titution, plaie héréditaire, intempérance,      abus des plaisirs, etc.,
 etc. A cette catégorie se rattachent      toutes les maladies en géné-
 ral. Ces défauts ne sont pas des défauts de nature, mais des dé-
 fauts de personne.
        La seconde catégorie renferme les communs défauts de la
  descendance d'Adam pécheur, les infirmités communes, natu-
  relles, qui accompagnent       partout la nature humaine, en d'au-
  tres termes qui se retrouvent et se constatent dans tous les en-
  fants d'Adam, parce qu'elles découlent naturellement           et néces-
  sairement, non d'une imperfection ou d'un vice personnel, mais
  des principes mêmes de la nature humaine, telle qu'elle a été
  dépouillée et laissée à elle-même par le péché du premier homme.
         Ces infirmités communes sont de deux sortes : — les pre-
   mières ne comportent       par elles-mêmes ni tare, ni déshonneur,
   comme la faim, la soif, la fatigue, la nécessité de souffrir, la fai-
   blesse du premier et du dernier âge, la mort ; elles sont en notre
   face une nécessité de la nature organique, réduite à ses seules
   ressources connaturelles.     S. Jean Damoscène les appelle «in-
   firmités naturelles » parce que toute nature humaine y est sou-
   mise, — et « non infamantes », parce qu'elles ne dépendent pas
   de notre libre arbitre et ne répugnent à aucune perfection, ni
   à la science parfaite ni à la plénitude de la sainteté. (1) — Les
   secondes sont de leur nature humiliantes, « infamantes », comme
   les ténèbres de l'ignorance, comme la. concupiscence, l'inclina-
   tion au mal, la difficulté au bien, toutes suites historiques en
   nous du péché originel, mais s'opposant         à la perfection de la
   sainteté et de la science.

      (1) De jide orihod.,V III, c. 20. P. O. 94, 1082 b.
pourquoi   Jésus    prend    nos infirmités                      369


     Des infirmités de la nature humaine, le Verbe, se faisant
homme,     ne pouvait accepter, — la chose est évidente, — que
les infirmités communes de la première sorte, les «infirmités
naturelles et non infamantes » ; il aura donc faim, il aura soif,
jl souffrira, il mourra. Ces infirmités ne s'opposent nullement,
comme celles de la seconde sorte, à la perfection et à la pléni-
tude de sa sainteté et de sa science ; elles sont au contraire or-
données à la fin de l'Incarnation  qui est la Rédemption, le rachat
du genre humain par la passion et par la mort, puisqu'elles
mettent en vive lumière « la bonté et l'amour de Dieu notre
Sauveur pour nous ». (1)
     Mais s'il se soumet à nos infirmités communes, qui sont
comme le fruit spontané de notre nature dépouillée de tous ses
dons gratuits et réduite à ses seules et propres ressources, le
Sauveur écarte absolument de son humanité les infirmités per-
sonnelles, les défauts particuliers à certains individus, a Parce
que le Christ, dit S. Bonaventurej était venu racheter la nature
humaine en général, sans distinction de personnes, il a dû ac-
cepter les infirmités naturelles, non les infirmités personnelles ;
les infirmités qui sont peines du péché, non les infirmités
impliquant vice et déshonneur ». (2)
     D'ailleurs, ni hérédité morbide, ni défaut ou faiblesse de
constitution, ni vice personnel, en un mot, ni l'une ni l'autre
de ces causes qui produisent en nous ces infirmités personnelles,
ne se retrouvent     en NotrerSeigneur,     parce qu'elles répugnent
à sa très pure nature: et qu'elles seraient un obstacle aux fins
de l'Incarnation.    En effet, aucune tare héréditaire ne pouvait
exister chez lui : Marie sa mère est vierge et elle a été conçue
sans péché ; — ni aucun vice de génération et par suite de cons-
titution : « Sa chair, dit S. Thomas, a été formée de la substance
très pure de Marie par l'opération du Saint-Esprit,       qui ne sau-
rait ni défaillir ni se tromper dans son opération, puisqu'il est
infiniment sage et tout-puissant;       (3) — ni vice personnel, ni
désordre dans la conduite : « Le régime de sa vie, dit encore
S. Thomas, fut toujours sagement ordonné *.~.D'un tempéra-
ment parfait, absolument       sain de corps et d'âme, le Seigneur
était de par ailleurs garanti de tout excès, de toute erreur, de
route imprudence même de détail par son impeccabilité            et sa
science universelle.
     Et en tout état, ne craignons pas de le répéter, Notre-Sei-
 gneur ne pouvait accepter ces Infirmités personnelles : elles

    W TH., m, 4.
    (2) In III sent, d. 15, a. 1, q. 2.
    (3) 0. 14 a. 4.
370                                                         Doctrine

eussent dérogé à sa dignité et compromis la fin de l'Incarna.
tion, en raison du déshonneur qui souvent les accompagne, et
<les désordres qu'elles supposent trop souvent dans leur sujet,
                            DOM G. DÉMÀRET, moine de Solesmes.




  Gravuredu "KaavaleDevctionis a Rmabilteaimvmor JBU piis kominvmcorditx"
                             erg               C
              oblatum,ûuctoreP. FranciscoSchauenburg, J. - 1763.
                                                    S.
Le Sacré-Coeur du Donjon        de Chinon                               371



LE   SACRÉ-COEUR             DU      DONJON            DE      CHINON

       attribué      aux   Chevaliers            du   Temple

                      (Second         Article)
      J'ai donné dans Regnabit, en janvier dernier, la réduction
de la gravure murale du donjon du Coudray, à Chinon, où paraît
un coeur rayonnant       entouré de personnages     et de signes énig-
niatiqués.
      Cette image, je l'ai taillée d'après un simple levé à vue,
pris sous la mauvaise lumière d'un jour de pluie qui rendait plus
sombre encore la sombre salle où il se trouve. Depuis lors, le
très distingué directeur      du Hiéron de Paray, Mr de Noaillat
s'est rendu à Chinon, et là, à pied d'oeuvre, son Regnabit à la
 main, il a comparé l'original et le dessin ; puis, de lui-même,
 s'est empressé, ce dont je lui reste très reconnaissant,     d'assurer
 à Regnabit que la reproduction        donnée est bien exacte.
       J'ai cependant voulu ces jours derniers revoir le graffite de
 Chinon par un jour de clair soleil et à l'heure où les rayons, faee
 à la porte, éclairent d!une caresse oblique les traits creusés, et les
 font ressortir pleinement.     C'est ainsi que j'ai corrigé une diffé-
 rence de proportion       entre deux figures, sans importance        du
 reste, et que j'ai relevé quelques menus détails inaperçus d'abord,
 notamment un I H S en cursive gothique, devant le personnage
  agenouillé qui porte au bras gauche son bouclier.
       je consigne ce nouvel et définitif état dans les planches
  incluses en ces lignes qui donnent plus en grand, la partie prin-
  cipale de la précieuse gravure murale du château de Chinon.

      Le premier article la concernant      a valu à son auteur un
 afflux assez considérable    de lettres qui témoignent    de l'intérêt
 que les érudits catholiques    accordent à l'iconographie   du Sacré-
 Coeur.
      Une seule de ces lettres refuse absolument        de reconnaître
 dans le coeur représenté à Chinon celui de Jésus-Christ.      Comme
 cette opinion ne repose que sur la prétendue impossibilité        théo-
 rique d'une représentation      du Coeur divin au début du XIVe
 siècle, elle se modifiera d'elle-même, je l'espère, quand Regnabit
 aura donné la preuve facile qu'une indiscutable inocographie du
 Coeur de Jésus a vraiment        précédé, de bien plus d'un siècle,
 s«n culte
              liturgique.
       H n'y a pas du reste, ce me semble, d'impossibilité      chrono-
 }°gique qui puisse tenir devant ces faits d'une réalité matérielle
 wd'éii-iabte.:
372                                                        Doctrine

a)    que le Coeur de Chinon est le centre d'une gloire rayonnante;
      ce qui dansTensemble      d'une composition où tout est prière
      ardente, supplication et réparation, lui donne une importance
      tellement supérieure à celle des autres figures qu'elle ne sau-
      rait convenir à aucun coeur humain.         *
b) qu'en traçant son ouvrage le graveur pensait certainement
      à la plaie du Côté divin puisqu'en deux endroits la lance y
      paraît appointée à la place qu'occupait sur la Croix le flanc
      du Sauveur crucifié.
e) que ce Coeur rayonnant de gloire est contemplé par un per-
      sonnage dont le caractère de sainteté est indiscutablement
      affirmé par le nimbe qui l'entoure et que, partant, ce coeur
      ne peut être que Celui du Sauveur.
       Un autre correspondant      me dit : si l'objet représenté est
bien un coeur, ce ne peut être assurément que le Coeur divin,
mais n'est-ce point plutôt un bouclier, un écu de chevalier ?
       Non, très certainement.    Un bouclier rayonnant et sur lequel
ne paraît aucune figure de blason — car la surface excavée a
 été lissée avec un soin extrême — n'aurait aucun sens possible;
 puis, un bouclier représenté en creux n'aurait pas, ne pourrait
 pas avoir, cette forme extraordinairement        concave. Qu'on rap-
proche la coupe horizontale ci-contre :
 de la coupe verticale        donnée en
janvier et l'on verra combien l'hypo-
thèse du bouclier est inacceptable.
 Je sais bien que ce même contour
 fut donné quelquefois aux écus héral-
 diques des XIIIe et XIVe siècles :
 dans l'ébrasement        des archères    de ce donjon de Chinon,
 dans la salle même où nous sommes, des chevaliers de cette
 époque ont gravé leurs armoiries           et, l'un d'eux a donné
 à son écusson le pourtour cordiforme ; le Voici :
 Là, pas de doute, c'est un blason, et rien de plus ;
 les trois chevrons du champ et le lys du chef en
 font foi; le trait creusé de ce dessin n'a pas quatre
 millimètres de profondeur, et c'est normal. Dans
 le grand graffite pas de doute            non plus :
 çest un coeur; la forme de la concavité            et sa profondeur,
 qui atteint 38 millimètres, interdisent de songer à autre chose. Là
 ce n'est plus simplement de la gravure, c'est de la sculpture en
 creux. Seuls la croix placée au-dessus et le nimbe qui entoure la
  tête en profil du saint ont une profondeur quasi égale. Ces trois
 figures ont donc bien été regardées par le graveur comme les
  plus importantes    de son travail.
        Deux autres correspondants,     tout en acceptant le coeur de
  Chinon comme l'image du Coeur de Jésus, portent la question
te Sacré-Coeur du Donjon     de Chinon                           373


sur un autre terrain et me disent : Mais vous n'avez pas la preuve
certaine que la tradition chinonaise qui attribue cette gravure
à l'un des Templiers captifs du Coudray, est bien fondée !
       La preuve certaine ? Non, assurément je ne l'ai pas.
       Et j'ajoute qu'il ne me paraît pas nécessaire que ce soit un
Templier qui l'ait tracé pour que le coeur de Chinon soit l'image
 de Celui du Sauveur Jésus.
       Je ne fais pas l'iconographie de l'Ordre du Temple, ni celle
 du château de Chinon, mais celle du Coeur sacré de Jésus-Christ.
 Si le coeur au divin rayonnement est l'oeuvre de l'un des Templiers
 qui furent incarcérés dans la tour où il se trouve, nous avons sa
 date précise : 1308. Si, au contraire, il est dû au couteau d'un
 prisonnier quelconque,     nous devons chercher sa date ailleurs ;
 et mieux que toute autre particularité      du graffite, la paléogra-
 phie des inscriptions qui s'y trouvent       peut nous la donner
 approximativement.
        Il y en a deux : IE REQUIER A DIEU PARDON, puis une signa-
 ture : IEHAN DUGUA... (au nouvel examen, j'ai relevé ce même
 nom répété plus lisiblement, en petite écriture de même forme,
 plus haut sur le mur : J. Duguabil ou Duguahel). J'ai consulté
 autsujet de ces inscriptions de savants confrères en archéologie,
 plus qualifiés épigraphistes    que moi ; l'un d'eux estime que la
 signature pourrait être un peu moins ancienne que l'inscription,
  repentante ; elle ne donnerait     donc pas le nom du graveur,
  comme il paraissait d'abord naturel de le supposer.
 jriw Mais la phrase ie requier à Dieu pdon fait bien, elle, partie
  intégrante et inséparable du sujet, Or, la forme de ses lettres ne
  défend nullement de l'attribuer     à la première partie du XIVe
  siècle.
        La voici, gravée sur calque direct.




      La date du graffite ne serait donc pas sensiblement déplacée
 Par le fait qu'il ne serait pas dû à l'un des Maîtres du Temple.
      Et mon correspondant       ajoute :
  ..„ ( H- s'est créé de toutes pièces, tant de traditions  au XV«
 Slec'e !.. » _ A la vérité, cette époque fut assez imàginative,
 mais 'elle n'aurait
                     pu appliquer au graffite de Chinon une origine
374                                                              Doctrine




      Partie centrale du gragîtedu Donjonde Chinon,attribué aux Templiers
                       gravure sur bois, au canif, par l'auteur.
              (Le visage du personnagea été règrettablementmutilé)
Le Sacré-Coeur du Donjon de Chinon                                      375


fantaisite, même vraisemblable,      que si la gravure à laquelle cette
fantaisie s'appliquait avait été, dès lors, assez ancienne pour qu'on
ait oublié son véritable auteur ; et voilà qui nous renvoie vers Te
                 —
XIVe siècle.
       Assurément d'autres prisonniers que les chefs du Temple ont
habité la tour du Coudray ; deux ans avant qu'ils y fussent
enfermés le même gouverneur qui les y eut en garde, Jean de
jeanvelle, y détenait encore, au nom du roi, et depuis quatre ans,
 Robert, fils de Guy, comte de Flandre ; et nombre de chevaliers
français ou anglais y furent aussi gardés durant la guerre de
 Cent-Ans. Mais ni Robert de Flandre, ni les chevaliers prison-
 niers de guerre n'étaient vraisemblablement            menacés de mort,
 et vraiment —encore          que tout homme en ait besoin—                ne
 semblent avoir eu de particulières       raisons d'implorer si ostensi-
 blement le pardon divin : celles qu'avaient les Templiers étaient,
 on l'avouera, bien autrement fondées !
       En quittant     le graffite de Chinon, Mr de Noaillat m'en
 écrivait : « Quel appel pressant à la miséricorde !.. » et devant
 ma gravure, un excellent artiste peintre, assurément physiolo-
 giste, mais point mystique,        disait récemment         : « toute cette
 composition. sue l'angoisse et crie le repentir».          Et les deux pa-
 roles, en se faisant écho, donnent la note juste.
        En fait, nous sommes en possession d'une tradition locale
  encore indiscutée. Que vaut-elle au regard de la critique ?
        Ce que vaut toute tradition        qui concerne l'origine d'une
  oeuvredont l'auteur n'est pas désigné par des documents positifs
  et probants ; c'est dire qu'on ne peut la rejeter comme fausse
  que sur des documents contraires également explicites et probants.
        En l'absence des uns et des autres, avant d'accepter en fait
  la tradition chinonaise, — jusqu'à meilleure information et sous
  les réserves que mon titre comporte : « Le Sacré-Coeur du donjon
  de Chinon attribué aux Chevaliers du Temple»,—                 j'ai cherché
  sans parti pris, dans la composition même du sujet :
   '° — Ce qui pourrait l'infirmer ?
         Et je n'y trouve rien : — Car on ne saurait faire état de
         l'étonnement     que cause toujours l'arrivée d'un document
         authentique     de date insoupçonnée;         cet étonnement       ne;
         relevant que de notre préalable            insuffisance     de docu-
         mentation. —
   20 Ce
              qui pourrait au contraire s'y trouver de propre à faire
          accorder la tradition avec la vraisemblance          ?
          Et sous ce rapport, au risque de .me redire, je note :
    ")' Que la composition tout entière possède un caractère très
          particulier de piété chrétienne et mystique, un « style », si.
          j'ose dire, autant hermétique        qu'hiératique,      et dénonce
          chez son auteur une habitude visuelle des représentations
376                         -.-..'..'                            Doctrine

       de l'iconographie sacrée. Et tout cela semble plus naturel
       dans l'esprit et sous la main d'une Moinè-Chevalier du
       Temple que sous le heaume séculier et sous le couteau d'un
       de ces héroïques ferrailleurs que furent les barons féodaux
       de la guerre de Cent-Ans.
b)     Que l'épigraphie de la phrase : le requier à Dieu pdon n'est
       pas en contradiction     avec la date donnée par la tradition.
c)     Que ce que l'on sent bien avoir été l'état d'âme des chefs
       du Temple, relativement       au sort de leur Ordre et de leurs
       personnes,    en leur situation      particulièrement       grave et
                      au château de Chinon,       1 s'accorde
       inquiétante                                               pleinement
       avec l'impression que produit « le cri de repentir » et « l'appel
       pressant à la miséricorde»      de cette composition «qui sue
       l'angoisse ».
d)     Que je retrouve, dans le graffite de Chinon, des figures
       héraldiques, relevées sur des sculptures lapidaires non dou-
       teuses des Commanderies du Temple de Roche (Vienne) et
       du Temple de Mauléon (Deux Sèvres).
e)      Et, Dieu me pardonne, j'ose ajouter ceci : On m'assure que
        certaine branche de la Franc-Maçonnerie           se targue d'avoir
        conservé dans ses rites, ses titres et ses symboles, des parti-
        cularités qui lui viendraient d'un groupe d'anciens Templiers
        qui se serait constitué clandestinement         en société secrète,
        après dissolution officielle de l'Ordre, puis fondu dans la
        Maçonnerie (?).. Si cela est, les groupes de trois points,
        répétés, non trois, mais en réalité quatre fois, sur les gradins
        de la croix centrale du graffite, donneraient une apparence
        de consistance au moins bizarre, tout à la fois aux préten-
        tions historiques des Maçons et, ce qui nous intéresse un
        peu plus ici, à la tradition      chinonaise.
       Voilà pourquoi, jusqu'à preuves contraires naturellement,
 je regarde comme devant être plutôt acceptée que rejetée l'opinion
 qui attribue à la main d'un Templier la gravure qui nous occupe,
 et que l'historien     chinonais Gabriel Richard fait sienne, sans
 ambages ni réserves, dans le passage de son Histoire de Chinon
 que j'ai cité en janvier.

       C'est aussi l'avis général, à trois exceptions près, des nom-
 breux lecteurs de Regnabit qui ont bien voulu nous manifester
 leur pensée.
       L'un d'eux, un érudit doublé d'un bon artiste, nous écrit
 en substance     : Qu'il verrait volontiers,   dans les personnages
 énigmatiques figurés au graffite, des Saints de l'Ordre de Citeaux,
 frères spirituels des Templiers. Et c'est un fait que tous portent
 le nimbe caractéristique    des saints, Le principal d'entre eux,en
La Sacré-Coeur    du Donjon      de Chinon                                377


l'hypothèse exposée, serait saint Bernard qui fut de son vivant,
le législateur et le grand ami de l'Ordre du Temple, alors tant
idéalement beau ! L'Ordre en effet conserva ensuite pour le
saint fondateur de Citeaux un culte particulier et une ostensible
reconnaissance. Officiellement,       cette gratitude se traduisait      par
 ce passage du serment que les Grands-Maîtres              prononçaient     à
 leur élection : « Je ne refuserai pas... principalement       aux Moines
 de Citeaux et à leurs Abbés comme étant nos frères et nos com-
 pagnons, aucun secours..»
         Et ce serait en raison de ce patronnât      réel de saint Bernard
 sur l'Ordre des Templiers que l'auteur de la gravure l'y aurait
 figuré contemplant       le Coeur de Jésus, comme pour demander
  au saint Abbé de présenter au Coeur miséricordieux           du Sauveur
  son repentir et sa grande espérance du pardon, le sort aussi de
  son Ordre et de lui-même. (1)
         — Cette interprétation    peut en effet s'appliquer     avec vrai-
  semblance aux saints du graffitte de Chinon, sauf toutefois à
  celui qui semble agenouillé et porte à son bras l'écu armorié,
  car celui là s'affirme moins comme un cistercien que comme un
  guerrier de noble rang.
         Peut-être,  pourrait-on   voir en lui le fondateur       même de
  l'Ordre des Templiers Hugues de Payens, qui, à la vérité, ne fut
   jamais canonisé officiellement,      mais qui devait jouir alors, au
   titre de vénérable serviteur de Dieu, d'un culte restreint           à son
   Ordre, comme il en a été pour le bienheureux            Gérard Tune dé .
   Martigues, fondateur des Chevaliers de S* Jean de Malte, et pour
   le bienheureux      Robert d'Arbrissel, fondateur      des Bénédictines
    de Fontevrault,    avant que leurs cultes ,ne fussent autorisés, à
    titre public, par l'Église.
          Quant au sens intrinsèque que le graveur attachait à chacune
    des diverses autres figures plus ou moins hiéroglyphiques               du
    graffitte de Chinon : mains coupées et ouvertes, sigle en tau
    surmonté d'un cercle, blasons gironnés, etc.. je n'espère guère
    qu'on en pénètre jamais l'énigme. Mais peut-être des recherches
    dans ce qui reste d'anciennes       commanderies      du Temple abou-
    tiraient-elles à la découverte de ces mêmes figures et donneraient
     ainsi à la gravure entière de Chinon une attribution           d'origine
     Plus affirmée.

       (1) On sait que saint Bernard et son pieux ami Guillaume de saint Thierry,
  (mortvers 1150),furent des premiers-à célébrer le Coeurdivin et à le désigner à
  |a piété'médiévale, non maisseulement en tant que partie corporelle atteinte par
  la Lance, au Calvaire, pas comme centre et foyer de l'Amour rédempteur ; à
  tel point qu'on crut longtemps pouvoir attribuer au saint abbé de Citeaux le bel
  nymne«Summi régis Cor aveto» et qu'on le regarde comme la principale source
   w culte florissant qu'eurent, dans la seconde partie du Moyen-Age, les Cinq
   Jyjaies t le Coeursacré, notamment en Rhénanie où ses ouvrages furent particu-
         e
   iSment en faveur. — Cf. Bainvel, La dévotion S. C. de Jésus. Paris Beauchesne
                                                 au
   i921, p. 205 et Regnabit, janv. 1922, p. 211.
378                                                            Doctrine

       En résumé, et derechef, la tradition Chinonaise relative aux
 Templiers est la seule base qui permette de risquer une interpré-
tation générale du sujet gravé au Cbudray, et c'est elle seule qui
 permet aussi de dater de 1308 le Coeur de Jésus qui s'y trouve
 figuré ; mais sans elle il est quand même permis de l'attribuer au
 XIVe siècle.
       Un souvenir historique en terminant : Un autre personnage,
 bien autrement     illustre que Robert de Flandre, Jacques Molay
 et les autres Maîtres du Temple habita jadis le donjon du Coudray;
 Jeanne d'Arc en effet, à quelque vingt pas du logis royal qu'oc-
 cupait alors Charles VII, demeura dans cette tour, du 8 mars
  1429 jusqu'au 20 avril, jour où elle quitta Chinon. Il est bien
 absolument    impossible que, passant à toute heure, devant le
 Coeur rayonnant      de cette étrange gravure, devant ce coeur qui
 s'impose aux regards, et qui ne devait pas être pour elle un
 incompréhensible      mystère, la sainte Libératrice   ne se soit pas
 arrêtée devant lui pour le contempler,      comme le saint de pierre
 auréolé, et pour recommander à sa compatissante        bonté la royale
  Fleur de France qui transparait       en sa glorieuse irradiation —
  Et par là encore, l'humble graffitte chinonais allie, dans la pensée
 du croyant, le plus divin Objet delà Piété chrétienne à la plus
 grande Histoire.

       NOTE ADDITIONNELLE.— Au moment de mettre sous presse
je reçois d'un érudit médiéviste parisien une lettre flatteuse que
je voudrais pouvoir donner ici en entier.
       J'en veux au moins citer la partie générale :
       « A défaut de documents historiques positifs concernant ce
graffitte, force est de s'en tenir à ses éléments constituants         et
aux données convergentes de l'érudition qui l'expliquent.
       « La mentalité médiévale toute nourrie de symbolisme —
en poésie, en littérature      profane et religieuse, en architecture,
peinture et sculpture, en héraldique, etc, s'y reflète d'une façon
saisissante.
       « Tel qu'il se présente -r et sauf interprétation cabalistique,
 ici invraisemblable    '— il est, dans tous ses détails strictement
 religieux et conforme à la tradition qui le concerne.
       « OEuvre de fantaisie, conçue sans doute progressivement,
 au fur et à mesure de l'exécution, nous ne pouvons exiger une
 unité, une symétrie matérielle absolue comme devant une « oeuvre
 d'art » entreprise selon ses règles techniques propres. Pourtant,
 et malgré cela, pour la signification      il y a le un symbolisme
 complet très harmonieux,         bien dans la note allégorique des
 XIIIe et XIVe siècles. Les moines ou gens d'église en étaient
imprégnés alors... »
Le Sacré-Coeur du Donjon de Chinon                              379

     — Et ces lignes sont en accord parfait avec ce que j'exposais
dans les pages précédentes.   Dans leur contexte elles regardent
comme possible l'attribution    du graffitte de Chinon au|XIVe
siècle, même indépendamment       de la tradition qui l'attribuera
l'un des Chevaliers du Temple. Et c'est de cela surtout^que^ je
prends acte.
          Loudun (Vienne)
                                     L. CHARBONNEAU-LASSAY.




                 Bois graveau canif par L. Charbonneau-Lassay
380                                                                       Doctrine


      La   Société        du     Règne       Social   de   Jésus-Christ

                      à        pctray-le-jvtonial

APOSTOLAT             ACTUEL              : Visites   expliquées    du Hiêron


     SALLE CENTRALE (ANCIENNEMENT AULA FASTORUM)
      Avais-je besoin de vous dire que cette salle surpassait les
autres ? Oui, puisque vous n'en aviez pas encore franchi le seuil.
Vous une fois entrés, c'eut été un pléonasme de ma part. Vous
vous en apercevez aussitôt.       L'architecte   a merveilleusement
adapté la construction aux idées si élevées que la société voulait
mettre en valeur. L'art ici est bien le sensible au service du supra-
sensible. Inspiré par la vérité, il la met en relief, l'impose à l'in-
telligence, la grave dans la mémoire. Pas un blason, pas une
fresque, une statue, un moindre signe pictural qui ne se rapporte
directement    au Règne social de J. C.
      Tout d'abord le regard est attiré par 4 grandes inscriptions (l)
qui formulent en bon latin épigraphique,        clair et précis, les 4
idées maîtresses de la société et résument la doctrine théorique
et pratique du règne social de j. C.
       En face de la grande entrée on lit, en lettres capitales :
            A'GNO DIVINO,       IN HOSTIA PRESSENTI
                            JURE SUO
        IMPERIUM COMPETIT            IN GENTES UNIVERSAS,
 ,             A l'Agneau divin présent dans l'Hostie
                                     DE
                                   DROIT
             Appartient l'empire sur toutes les Nations
      Telle est l'inscription qui résume la Salle du Droit, et dont
on trouve un commentaire           éloquent dans les cinq écussons
qu'elle domine; ces cinq écussons sontxeux des cinq rites Eucha-
ristiques : les rites grec, arménien, latin, syro-chaldéen et mozarabe.
Aussi bien c'est dans la Sainte Hostie que les diverses liturgies
consacrent la présence réelle de Jésus-Christ sur la-terre, avec
toutes ses prérogatives royales. N'est-il pas, selon le canon de la
liturgie de S* Basile, le TOxjjt.j3aa-t.Xcuc, Chef universel de tous
                                              le
les Maîtres du monde?
      Et sur quoi reposé notre foi inébranlable         dans les Droits
souverains de Jésus-Christ, Victime universelle ? Les chapiteaux
des pilastres massifs abandonnent         ici leurs vains ornements et

       (1) Dues au R. P. Zelle précité.
Le Hiéron                                                .'""' ,-..           381

dans leurs cartouches accolés ils. nous crient : (1) Sur l'Écriture
Sainte, Sacra Scriptura,         sur la traditio     christïana, la Tradition
chrétienne, (2) sur les S .S. Doctores, les saints Docteurs et Eccle-
siae Magisterium,        et le Magistère de l'Église.
       Appuyé sur ces solides fondements, le Christianisme                 affronte
les siècles. Et les siècles viennent un à un apporter au Droit la
confirmation       des Faits, ainsi que nous l'affirme la seconde ins-
cription latine (3).
PER        ;EVA,      INTER       POPULOS,         HOSTLE           DEVINCTOS
                                FACTUM EST
        AUDIRE        CHRISTUM         VINCIT, REGNAT,               IMPERAT
            A travers les âges, parmi les peuples voués à l'Hostie,
                                   c'est un fait
 Qu'on entendait : le Christ est vainqueur, Il règne, Il commande.
       Cinq grandes nations dressent leurs blasons en signe de
 témoignage des hauts faits que signale leur histoire : ce sont la
 France, le S1 Empire, la Confédération               italienne sous la Tiare
 papale, l'Angleterre       (avant son hérésie), l'Espagne.            Ces nations
 faisant partie de la chrétienté,           reconnaissaient        la royauté de
 Jésus-Christ au point qu'empereurs            et rois affirmaient tenir leur'
 puissance de la Miséricorde ou de la Grâce de Dieu « Dei gratia
  Rex » et l'exercer sous la dépendance             du Christ « Christo Jesu
 régnante ».
         Les cartouches accolés au-dessus des pilastres nous indiquent
  que pour tous les savants sans parti pris les preuves de ce fait
  se trouvent      partout : Dans l'Histoire, Historia, Artes, les Arts,
  Legès, la Législation, Politica, la Politique.
         En se retournant,      face à l'entrée principale'on         lit la 3e ins-
  cription :
  HISCE IN OEDIBUS STUDIOSIS SERVATUR                           ILLUSTRATUR
                             ARS SEU NORMA
  OPTIMI SUE CHRISTO-HOSTIA                    SOCIETATUM             REQIMIN.IS"
         La synthèse du Musée se développe dans une rigueur logique.
         Si Jésus-Christ     est Roi de droit, Roi de fait, cette affirma-;
  tion est normale :
                                                                                    '
      Dans cet édifice, des hommes instruits trouvent prouvés
                                  L'art ou la règle
   du meilleur gouvernement : les sociétés soumises au Christ-Hostie (4)

        (1) Sur lès 2 premiers cartouches de gauche*
        (2) Sur les 2 cartouches dé droite.                   ,
        (3) A droite en tournant le dos à la porte d'entrée;
        (4) Cette affirmation opposée directement à. l'hérésie actuelle du rationa-
   lisée sembleun résumé des notables paroles de Léon XIII : « SH'on fait;dépendre
   ?" jugement de la seule et unique raison humaine le bien et le mal, on supprime
   '« différencepropre entre lebien et le mal ; le honteux
                                                             e{ l'honnête ne diffèrent
382                                                                        Doctrine

      Cinq puissances      secondaires    : la Suisse, la Belgique, k
Portugal, le Danemark, et la Hollande dressent leurs 5 blasons,
accolés à celui d'un ordre chevaleresque        confédéré pour affirmer
qu'elles ont du leur prospérité à cette heureuse soumission.
      L'« Ars magna » du vrai gouvernement            consiste à grouper
autour du Christ vivant dans l'Hostie par Amour tous les hommes
ses sujets, depuis les individus jusqu'aux        multitudes constituées
en nations.      Les cartouches correspondants        nous révèlent les
moyens d'arriver à ce but enviable par quatre échelons progres-
sifs : « Juramenta     individua, les serments ou consécrations indi-
viduelles, les Pacta Familiarum,           les Pactes des Familles, les
Foedera Socialia, les Alliances des Sociétés et les Obsequia Na-
tionum, Hommages des Nations (1).
PACIS RESTAURANDJE               PARODII       CIVITATIBUS      REGNIS
                      DATUM EST PROMISSUM
SI IN CHRISTUM              HOSTIAM       (SUB SIGNO SS. CORDIS)
                        OBSEQUIUM        JURETUR
       Une Promesse a été faite à Paray, aux cités et aux Etats, que
 la Paix serait restaurée si l'on jurait hommage au Christ-Hostie,
 (sous le symbole du Sacré-Coeur).
       Et les divines exigences dont Marguerite-Marie            a été la
 confidente et la propagatrice        nous sont rappelées en un texte
 abrégé par les cartouches et que nous donnons intégralement              :
 « Imago Colatur S.S. Cordis ». Que l'image du Sacré-Coeur soit
 vénérée. « Vexilla Régis prodeant Christi Hostiae S. S. C. ».
 Déploiement des étendards du Christ-Hostie Roi (sous le symbole
  de son Coeur). « Reparatio        socialis in Hostlam ». Réparation
 sociale envers l'Hostie. « Jèsus-Hostia Rex reclametur ». Nouvelle
 proclamation      de la Royauté       sociale de Jésus-Hostie    sous le
  symbole de son Sacré-Coeur.
       Ici le visiteur qui a suivi le magnifique développement           du

 plus en réalité mais seulement dans l'opinion et le jugement de chacun ; ce qui
 plàit sera permis... Dans les affairespubliques,le pouvoir de commanderse sépare
 du principe vrai ou naturel auquel il emprunte toutesa puissancepour procurerle
 bien commun; la loi qui détermine ce qu'il faut faire et éviter est abandonnée
 aux caprices de la multitude plus nombreuse:.. Dès que l'on répudie le pouvoir
 de Dieu sur l'homme et sur les sociétéshumaines, la multitude se laissera facile-
 ment aller à la sédition et aux troubles. Et le frein du devoir et de la conscience
 n'existant plus, il neresteplus rien que la force qui est bien faible à elletouteseule...
 Qu'on juge donc et qu'on prononce si de telles doctrines (celles du rationalisme)
 profitent à la liberté vraie et digne de l'homme, ou si elles n'en sont pas plutôt
 le renversement et la destruction ? (Libertas t. II, p. 189, Léon XIII.)
      (1) Nous ferons remarquer que la Société R. S. J. C. faisait parler le ciseau
 de ses artistes 20 ans avant la grande campagne du P. Matthéo pour l'Introni-
 sation du Sacré-Coeurdans les Foyers qui, dépassant le but de la Consécration,
 doit un jour pleinement réaliser le Pacte des Familles; 10 et 20 ans également
 avant les magnifiques et officielshommages de la Colombie,de l'Espagne et de
 la Belgique au Sacré-CoeurRoi.
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  • 1. Regnabit. Revue universelle du Sacré-Coeur. 1922/03. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés sauf dans le cadre de la copie privée sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source Gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue par un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisation@bnf.fr.
  • 2. 1„ ANNÉE-N-IO MARS 1922 EN FAMILLE On nous a dit : « Regnabit » doit être un poids bien lourd. — Regnabit est une forée, qui soulève. Chaque jour, Regnabit nous vaut des joies nouvelles : Joies des bénédictions divines qui attestent la satisfaction du Christ Amour ; joies des bénédictions humaines- qui expriment le bonheur des âmes. Appréciation de S. G. Monseigneur Marius Besson, évêque de Lausanne et de Genève, dans la partie officielle de la « Semaine Catholique de la Suisse Française, organe du diocèse de Lausanne et Genève », 22 décembre 1921. On nous prie de signaler à nos diocésains, et d'abord aux membres de notre clergé, Regnabit. Nous le faisons volontiers. — Qu'est-ce que Regnabit ? C'est une Revue fondée en juin 1921 et paraissant douze fois par an : les six premiers fascicules forment un volume de 544 pages. Son titre, emprunté au message angélique de l'Annonciation : Regna- bit in domo Jacob in aeternum (Luc. 1. 32), indique son but : le règne du Coeur de Jésus. Elle a pour objet : « toute la question du Sacré- Coeur, tout le mouvement des âmes vers le Sacré-Coeur ». Les articles déjà parus se distinguent par la variété des matières et le sérieux de la doctrine. Une qualité, d'ailleurs, la recommandé spécialement ; « Elle n'est l'organe particulier d'aucune oeuvre, d'aucun pèlerinage, d'aucune confrérie, d'aucun groupe»... Elle est «universelle». Nous avons tant souffert de la multiplicité des petites revues qui se font concurrence et de la bigarrure des petites dévotions, plus ou moins
  • 3. ' 346 En famille en rapport avec le Sacré-Coeur, qui se succèdent les unes aux autres que nous saluons avec joie cet organe de concentration. En mention- nant et en commentant les innombrables formes extérieures que peut revêtir la piété sincère envers le Coeur de Jésus, Regnabit nous fait toucher du doigt cette double vérité que, d'une part, les pratiques pieuses les plus diverses peuvent être permises à ceux qui pensent y trouver un encouragement au bien (pourvu qu'elles ne soient con- traires ni à la foi ni aux moeurs), et que, d'autre part, il serait inop- portun de les propager indistinctement, comme il est ridicule de vouloir imposer à tout prix telle forme particulière de préférence à telle autre, comme si la vie de l'Église en dépendait. L'essentiel, c'est l'attachement personnel au Christ, en dehors duquel nul ne peut être sauvé. Nous souhaitons que Regnabit répande la dévotion raisonnable, sérieuse, solide, au Coeur du divin Maître, celle qui ne s'arrête pas au sentiment superficiel, mais va jusqu'au fond de l'âme et la transforme en la pénétrant du véritable esprit de l'Évangile. MARIUS BESSON, évêque de Lausanne et Genève. Lettre de S. G. Mgr Nicolas, îles Fidji, Océanie. 6 janvier 1922. Mon Révérend Père, Combien je vous remercie de m'avoir assuré la joie si vivement sentie de lire « Regnabit ». Plus je le lis, plus je l'aime ; je n'en passe pas une ligne. Que de bien vous faites dans le monde entier ! « Prospère procède », c'est mon souhait à vous et à « Regnabit ». Daigne le Sacré- Coeur vous bénir, ainsi que tous ceux qui coopèrent à une si belle OEuvre. Vous renouvelant mes remerciements et mes voeux, je demeure bien religieusement vôtre en J. M. CH. NICOLAS,S. M. Du R. P. L. Cestoc, Directeur de « El Bien ». Assomption, 25 novembre 1921. ...Je ne puis m'empêcher d'admirer et de remercier le Divin Coeur de Jésus d'avoir inspiré une si belle pensée aux fondateurs de « Regnabit ». Comme cette Revue va magnifiquement remplir le vide qui existait dans nos publications religieuses ! Quel beau développe- ment elle va donner au culte et à l'amour du Sacré-Coeur. Mais aussi avec quelle piété, quel amour pour Notre Seigneur et quel beau talent tous ces Messieurs de la rédaction s'acquittent-ils de la belle tâche ? Je prie Dieu tous les jours et je fais prier les bonnes âmes d'ici pour qu'ils trouvent dans leur travail une source inépuisable de toujours nouvelles énergies morales et aussi physiques. Je me figure en effet, que c'est à travers des difficultés sans nombre qu'ils le mènent à bonne fin : mais ce seront ces difficultés qui en feront la fécondité.
  • 4. En famille 347 Ici déjà ceux qui sont à même de lire ces articles — rares mal- heureusement, car l'Espagnol est plutôt que le français la langue des âmes dévotes — sentent comme un renouveau dans leur ferveur et leur amour.du Sacré-Coeur. Et malgré tout, la répercussion doit s'en faire sentir dans les masses, de langues indigènes. J'en augure un grand accroissement de piété pour le Coeur de Notre Seigneur, par conséquent des Communions plus fréquentes, et des vocations religieuses et sacerdotales plus nombreuses. Du R. P. Paul Régembeau, S.J. Rose-Hill, Ile Maurice, 15 septembre 1921. Monsieur, Je. vous prie de m'inscrire comme abonné à Regnabit. Le premier numéro de la Revue nous a beaucoup plu, à nos Pères de Saint Ignace et h moi. Autant que le permettent les circonstances, je. répandrai Regnabit autour de nous. Sans doute, d'autres prêtres de l'île Maurice s'abonneront. Dans ce diocèse, la dévotion au Sacré-Coeur est tout à fait florissante ; on peut dire que c'est la grande dévotion du pays : et sa forme la plus générale est la Communion du 1er Vendredi du mois. Viennent ensuite l'Apostolat de la Prière, la Garde d'honneur. L'image du Sacré-Coeur se trouve dans toutes les maisons Catholiques ; et l'in- tronisation du Sacré-Coeur dans les familles se répand. Je vous souhaite plein succès. Regnabit annonce Régnât. Lettre d'un Curé de Campagne de l'Anjou, à un bon Frère convers, zélé propagateur de Regnabit *. Je constate avec plaisir que vos efforts et vos fatigues sont dès, maintenant grandement récompensés par la diffusion si rapide de la Revue « Regnabit » — Vous avez fait joliment l'article — Vous avez eu plein succès, et sans crainte de vous donner aucun sentiment d'or- gueil, je vous en félicite chaudement, puisque ce n'est pas.pour vous que vous avez peiné mais pour la gloire du Sacré-Coeur. Pour ce qui me concerne, Dieu me garde de porter une appréciation sur une oeuvre si importante, ce n'est pas à un pauvre Curé comme moi de la juger — Mais il ni'est bien permis de dire que je lis « Regnabit » avec le plus vif intérêt, et je l'espère aussi avec profit. Alors merci de tout coeur et continuez votre oeuvre à laquelle je souhaite de plus en plus de succès — Travaillez pour le Sacré-Coeur. D'une maison des Soeurs de la Sainte Famille, Joliette, Canada. Nous sentons le Sacré-Coeur embraser nos coeurs à mesure que. nous lisons le charmant « Regnabit ». Puisse le Coeur de Jésus em- braser le monde entier de ce feu... « Amour au Divin Coeur de Jésus ».
  • 5. 348 En famille D'un monastère de la Visitation, ce charmant détail : Puisque notre simplicité vous plait, je vous citerai deux bonnes soeurs du voile blanc (converses) qui, après une journée d'extrême fatigue, s'entendent encore nommer le soir, à l'obéissance, pour se lever à 2 h. du matin et faire le pain de la communauté. Leur première pensée fut de faire connaître leur grande lassitude ; mais se ravisant aussitôt, une dit à l'autre : eh bien ! ce sera pour « Gnabit » ! Le mot fit fortune, et, maintenant, quand se présente quelque pratique pé- nible, on l'accepte pour « Regnabit » et les Anges du Monastère ins- crivent la victoire à l'actif de la Revue. Comme il faut toujours progresser, puisque l'activité est un signe de vie, chaque matin à la Consécration de nos deux Messes quoti- diennes nous demandons à, Jésus Hostie qui descend sur l'Autel, d'élever son Regnabit et tous ses collaborateurs à la hauteur de la tâche qu'ils se sont imposée, afin que selon son but il atteigne un grand nombre d'âmes, les gagnant à l'amour du Divin Coeur. Lettres d'âmes pieuses : «Regnabit* me donne idée d'un trait d'union entre les divers moyens dont les âmes se servent pour travailler à la gloire du Maître très aimé, et par votre revue, nous de si loin, pouvons jouir, applaudir, vibrer, apprécier nos frères, nos soeurs, tous ceux qui se dépensent au service du Coeur Sacré de Jésus. Que Notre Seigneur vous continue à vous et à tous vos collabo- rateurs les grâces et les bénédictions qui vous rendent de plus en plus aptes à faire le bien et beaucoup de bien. Je ferai tout le possible pour faire connaître et propager votre revue Regnabit: vous pouvez compter sur mes. prières et mes efforts à cette intention. Vous pouvez compter, Monsieur l'Abbé, sur mes Communions et prières, l'acceptation de nies peines et souffrances, pour l'extension de Regnabit, et aussi pour que le Sacré-Coeur vous facilite votre ministèret Je dois vous dire que j'ai une vie, quoique bien humble, très absorbante, de plus je suis plutôt isolée et j'ai bien peu d'influence; néanmoins je vous promets de faire tout mon possible pour répandre «Regnabit» et lui amener des abonnés qui, à leur tour, le feront connaître. Ce que je puis vous assurer pour votre si belle oeuvre c'est le secours de mes pauvres prières et de mes petits sacrifices, et croyez bien qu'il vous sera fidèle, trop heureuse serai-je de travailler pour le règne du Sacré-Coeur de Jésus.
  • 6. En famille 349. Terminons par cette lettre d'un prêtre qui est un ami. Je me réjouis sincèrement, vous le savez, du succès de Regnabit. Et je vous avoue, maintenant, que j'étais un peu sceptique.. Il me semblait qu'une revue pareille ne pouvait plaire qu'à un public très, très restreint. Cette impression, vous n'étiez pas seul, cher ami, à l'avoir. En quoi... vous aviez tort. Certes, si ce qu'on appelle « le grand nombre » est composé de ceux qui regimbent d'instinct contre le sérieux et qui refusent délibérément de jamais réfléchir, Regnabit n'est pas fait pour « le grand nombre » : pour ce grand nombre là, j'entends. Mais — grâce à Dieu et pour l'honneur de l'humanité — dans toutes les régions du monde, et par dizaines de milliers (ce qui est tout de même « un beau nombre ») il est des âmes qui, jusque là restées à un niveau peu digne d'elles, consentent joyeusement à s'élever, dès qu'elles y voient un intérêt, ou un devoir. A celles-là, à toutes celles-là, à ce grand nombre là, s'adresse Regnabit. Amis, cherchez ces âmes. Parlez-leur cordialement. Montrez- leur qu'elles peuvent et qu'elles doivent monter. Elles ont la grâce, participation de la Divinité qui est Vie et Splendeur. Elles ont deux caractères sacramentels, puissances ajoutées aux puissances quasi infinies d'une âme spirituelle. Elles ont la foi, qui est une lumière ; trois dons de l'Esprit Saint qui s'appellent Science, Sagesse, Intelligence. Supposé qu'elles n'aient pas toutes ces forces surnaturelles — qui restent à leur disposition et qu'elles recevront dès qu'elles s'y serontpotalc- ment disposées— elles gardent l'attrait de la beauté, un désir latent de vie profonde. Celles-là, toutes celles-là peuvent s'élever au-dessus du niveau où elles sont aujourd'hui. Elles le peuvent ? Elles le doivent. Elles se le doivent à elles-mêmes, puisqu'elles furent créées et rachetées pour vivre dans les altitudes, et puisque nul ne doit laisser enfoui le talent qu'il a reçu. Elles le doivent au Sacré-Coeur qui triomphera davantage a mesure que ses amis, montés plus haut, rayonneront eux-mêmes davantage, par Lui et pour Lui. Ce ne sera pas le moindre bienfait de Regnabit d'attirer et o établir ces âmes au seul niveau qui leur convient. Heureux ceux là qui l'aideront en cette tâche, ceux qui,
  • 7. 350 En Famille rencontrant des âmes hésitantes, leur feront prendre conscience d'elles-mêmes, et les encourageront à « s'élever » enfin : Cette ascension des âmes les maintiendra dans la lumière, dans la joie. Elle magnifiera le Sacré-Coeur. Eh ! ne faut-il pas qu'il soit magnifié ? — « J'ai rêvé, m'a écrit une âme idéale : j'ai vu Dieu sous la forme d'un coeur immense. Il renfermait toute la terre, pour la|faire vivre et se mouvoir en Lui. » Le beau rêve ! Voici deux cent quinze ans, il fut exprimé d'une façon fort curieuse, et suggestive. Sonnen- Licht- 1708. Motifcentralde la gravureinitialede S^Ilgemeines Bibliothèqueu Hiéron,Paray. d Il ne se fait pas de la mappemonde une idée bien exacte, ce cher Michael Leonti Eberlein. Espagne, France, Europe sont déformées. -La Chine (Sina) est une presqu'île. Notre Océan Atlantique — où l'auteur place la plaie saignante du coeur— se divise, on ne sait pourquoi, en Mer du Nord (Mare Sept.) et en Océan Ethiopique ( Oceanus Ethiopieus). Et nous nous sentons hésitants aux abords de ce pôle sud où voici la Terre Australe ineonnue (Terra Australis incognita).
  • 8. En Famille 351 Du moins nous apprenons que le Monomatapa —c'est vous, bon La Fontaine qui m'en avez parlé le premier — se trouve à même distance, à peu près, de l'Abassie ? (Abassia) et du Cap de Bonne Espérance (Prom. Bonae Spei). Traversons « l'Océan Ethiopique ». Voici des noms connus : le'détroit de Magellan (Fretum Magell.), le « Chili », le Paraguay (Paracuaria), le « Peru ». Si nous sommes un peu déconcertés par l'Océan Occidental (Oceanus Occidentalis) et par la Mer Pacifique (Mare Pacificum), quelle joie de saluer la Nouvelle Espagne (Nova Hispania), la Nouvelle Grenade (Nova Granata), la Nou- velle|France (Nova Francia) !.. Queljbonheur surtout d'acclamer avec les anges « le Coeur de Jésus,*Coeur de l'univers » (Cor Jesu, Cor Universi), et de voir dépeinte,1^deux cents ans à l'avance, la parfaite réalisation du grand acte de Léon XIII, la Consécration du genre humain au Sacré-Coeur l Hélas!.. Après l'idéal, figurons la -réalité :
  • 9. 352 En Famille Deux mille ans donc après que Jésus « nous a donné, sur la croix, son coeur » ; Sept cents ans après les premières manifestations connues du Sacré-Coeur ; Deux cent cinquante ans après les révélations de Paray-le Monial ; Vingt-cinq ans bientôt après la Consécration officielle du genre humain au Sacré-Coeur : Les dedx tiers des âmes sont païennes ; Du troisième tiers, la plus large moitié... voyez de qui elle est faite. Et dans le reste, dans le pauvre reste, à côté de splendeurs qui reposent les yeux de Jésus et qui attirent sa miséricordieuse tendresse, combien de déchéances et de non valeurs ! Ah ! travaillons ! Naguère, notre très aimé pape, Benoît XV, indiquait pour objectif à tous ses enfants la conquête mondiale qui doit réaliser la consécration de tout le genre humain au Sacré-Coeur. Animés de « l'esprit missionnaire » qu'il voulait nous infuser, nous com- blerons les voeux de notre Pape très aimé, Pie XI. Archevêque de Milan, c'est lui qui inaugura, dans cette ville, l'Université du Sacré-Coeur. Aussitôt après son élection, il s'est avancé jusqu'à l'extrême limite vers ses fils, et vers tous ceux qui devraient être ses fils, pour les bénir tous d'un coeur paternel... Une fois de plus, Regnabit demande : des prières, des sacrifices, des communions, des efforts d'apostolat, afin qu'advienne le Règne béni de l'Amour ! F. ANIZAN.
  • 10. 353 L'objet des révélations privées /. - DOCTRINE Les Révélations privées YI. -L'objet tes Révélations privées Nos dernières conclusions au sujet de la croyance que mé- ritent les révélations privées ont pu sembler, peut-être, un peu étroites. Comment expliquer l'influence si profonde de ces sortes de révélations dans la vie d'un bon nombre de saints, et même dans plusieurs manifestations de la vie sociale de l'Église, s'il est vrai qu'on ne peut les croire de foi divine proprement dite, et même qu'on ne peut en avoir généralement qu'une certitude approximative ? Les réflexions suivantes sur l'objet de révélations privées fourniront la réponse à cette question, et en même temps nous feront mieux pénétrer dans la nature de ces phénomènes sur- naturels qui, même lorsqu'ils sont réels et véritables, ne laissent pas d'avoir habituellement quelque chose de voilé et d'obscur, soit dans leur origine, soit dans leur interprétation. 1° — LES RÉVÉLATIONSPRIVÉES N'APPORTENT PAS A L'AME UNE NOUVELLE DOCTRINE, MAIS SEULEMENT UNE NOUVELLE LIGNEDE CONDUITE. Toute révélation, toute parole de Dieu tend finalement à nous manifester quelque chose de la vérité divine. Mais cette manifestation peut avoir un double but, selon que Dieu se pro- . pose directement de nous instruire et de nous former dans la foi des mystères divins, ou bien seulement de diriger d'une manière particulière quelques-uns de nos actes, en nous donnant une règle de conduite plus précise et plus immédiate. (1) La révélation qui a pour but direct de nous instruire dans la foi est achevée et complète, pour l'Église, depuis le temps des apôtres. Elle a commencé au paradis terrestre, s'est peu à peu développée au temps des patriarches, ensuite sous Moïse et les Prophètes, pour arriver à sa plénitude sous la loi de grâce, donnée Par Jésus-Christ et ses apôtres. Depuis lors, Dieu n'a plus rien révélé à l'Église, et il ne lui révélera jamais plus, ici-bas, aucun Mystère nouveau, aucune doctrine nouvelle. Sans doute, il y aura vie et progrès dans et l'Église, même au point de vue doctrinal dogmatique, mais cette vie et ce progrès n'apporteront jamais 0) S. Th. II — II. 174 a. 6.
  • 11. 354 Doctrine une vérité vraiment nouvelle ; ils ne feront qu'amener une intel- ligence de plus en plus complète et de plus en plus claire de la même vérité qui a été révélée toute entière à l'Église, dès l'origine. Ce que nous disons ainsi, en toute certitude, de la révélation faite à l'Eglise, pouvons-nous le dire aussi des révélations privées ? Et,, comme nous disons que, depuis les apôtres, Dieu n'a plus révélé, ni ne révélera jamais plus aucune nouvelle vérité doctri- nale à son Église sur la terre, pouvons-nous affirmer qu'il en agit de même avec les saints, ses confidents, de sorte qu'il ne leur manifeste à eux non plus, aucun mystère, aucune doctrine qu'il n'ait déjà- révélée à son Église dès le commencement ? Nous ne pourrions pas l'affirmer avec une absolue certitude ; cependant c'est au moins très vraisemblable, sinon moralement certain. Sur terre, en effet, toute âme chrétienne doit être soumise à l'autorité enseignante de l'Église. Et comment pourrait-elle l'être, si elle savait, de la part de Dieu, quelque doctrine que Dieu n'ait pas dite à son Église ? — De plus, la première règle à suivre pour juger des révélations, privées, c'est de voir si la doctrine qu'elles contiennent est positivement conforme à celle que l'Église enseigne. Et comment pourrait-on établir cette con- formité, si une véritable révélation privée pouvait contenir des doctrines que l'Église ne connaît pas ? — Enfin, si l'âme, ainsi illuminée d'en haut, veut agir avec prudence, et se conduire d'après les directions que Dieu même lui donne ordinairement, elle doit soumettre ses communications surnaturelles, même les plus intimes, au contrôle et au jugement de son confesseur ou directeur qui, lui, n'a que Venseignement de l'Église pour se former une conviction et pour régler sa conduite. Nous pouvons donc établir, comme pratiquement certain, que Dieu ne révèle plus d'autre doctrine, depuis les apôtres, pas plus à certaines âmes en particulier qu'à la société de l'Église. Les paroles de Dieu peuvent bien se rapporter à quelque mystère, ou à quelque vérité doctrinale, mais alors elles ne font que répéter, expliquer, éclairer la vérité donnée une fois pour toutes, à l'Église. L'action du Maître intérieur pourra être, il est vrai, imcompara- blement plus efficace et plus intime ; sa lumière' pourra être incomparablement plus claire et plus vive, que l'action et !a lumière de n'importe quel enseignement humain ; mais elles porteront toujours sur les mêmes vérités que Jésus-Christ a don- nées autrefois à son Église, et que celle-ci enseigne maintenant à tous les fidèles. Nous sommes donc en droit de conclure que les révélations privées ne sont pas données par Dieu directement pour instruire l'âme, ni lui manifester ce qu'elle doit croire, mais qu'elles appar- tiennent toutes à cette deuxième catégorie de révélations, dont parle saint Thomas, qui ne contiennent à proprement parler.
  • 12. L'objet des révélations privées 355 * qu'une règle de conduite, une norme donnée par Dieu pour une meilleure orientation de la vie ou, au moins, de quelques-uns de ses actes. (1) 2° — LES DIFFÉRENTES SORTES DE RÉVÉLATIONSPRIVÉES D'APRÈSLEUR OBJET SPÉCIAL. Si nous voulons maintenant descendre dans le détail, et examiner les différentes méthodes que Dieu emploie pour éclairer et diriger ainsi ses confidents et ses intimes, nous devons tout d'abord reconnaître qu'il est impossible de classifier exactement j les divers modes de l'action divine, car elle varie et selon les ! personnes à qui Dieu s'adresse, et selon le but spécial qu'il veut i atteindre en se communiquant à chacune d'elles. Cependant, il nous semble que toutes les révélations privées H pourraient se ramener, d'après leur objet spécial, à l'une ou l'autre des catégories que nous allons brièvement exposer. 1° Les révélations privées peuvent avoir pour but et objet J spécial de porter l'âme à une plus grande ferveur, en lui don- ' nant une connaissance plus précise, plus distincte ou plus péné- trante des mystères de la religion. Ces révélations, nous les trouvons dans la vie où les écrits d'un grand nombre de saints personnages : les unes nous rap- portent, dans les plus menus détails, les circonstances de la vie et les mystères de Notre-Seigneur ou de la Sainte-Vierge ; d'autres nous décrivent le séjour et les fêtes du ciel, ou encore les tourments du purgatoire et de l'enfer ; d'autres nous donnent des explica- tions théologiques des mystères etc.. Pour n'en citer que quelques unes, mentionnons par exemple les révélations de Sainte Fran- çoise Romaine. L'auteur de sa vie nous raconte près d'une cen- taine de visions de la sainte, sur les différents sujets que nous venons d'énumérer. (2) Nous lisons de même une longue série <te révélations les plus diverses dans la vie de la bienheureuse Véronique de Binasco. (3) On en trouve de semblables, et en très grand nombre, dans la vie de sainte Brigitte, de sainte Gertrude, de sainte Catherine de Sienne, et de tant d'autres. , ,.0) «Prophétia ordinatur ad cqgnitionemdivinaeveritatis pcr cujus contem- Pjationem solum fide instruimur, sed etiam in nostris operibus gubernamur... non *' er8°deprophétia loquamur, in quantum ordinatur ad fidem Deitatis, sicguidera suh se?undum très temporum distinctiones :humanorum legem, sub lege et scilicet, ante revi^!?tia"" Quan*um vero adsecundum diversrficata est, non directionem actuum, prophetica conri^i- m negotioruni...Et, ideo temporis processum, sed secundum nit? ae ns rf agendis, secundum quolibet tempore instructi sunt homines divi- quod erat expediens ad salutem electorum». S. Theol. II - II. Q. 174art. 6. non defuerunt aliqui prophetiae spiritum habentes, nonn "§ul'sad riovam doctrinam fidei rfii-»»?-em temporib'us, depromendam,sed ad humanorumactuum «"ectionem.Wd. ad 3». i >t'Acta SS. (Palmé) VIII p. 104 - 154. W)Acta SS. II, p. 186- 206.
  • 13. 356 Doctrine Celles qui sont peut-être les plus répandues parmi les fidèles sont les révélations de Marie d'Agréda sur la vie de la Sainte Vierge et celles de Catherine Emmerich sur la Passion de Notre-Seigneur! A ce genre de révélations peuvent assez facilement se ramener toutes celles qui ont trait à des sujets historiques, ou à des exposés théologiques, ou encore à des sujets scientifiques, comme sont surtout les révélations de sainte Hildegarde. Cette sainte, dans son ouvrage, Liber divinorum operum (1), nous décrit l'ensemble dés oeuvres de Dieu dans la création ; et dans le livre suivant : Liber subtilitatum diversarum naturarum creatarum (2), elle nous donne un véritable traité de physique et de médecine, tel qu'un savant de l'époque, au XII 8 siècle, aurait pu le composer. Et la sainte prétend ne rien dire qu'elle n'ait appris de Dieu lui-même, Que penser de ces sortes de révélations, et comment sont- elles objet de la parole.de Dieu ? D'une part, nous avons des raisons plus que suffisantes pour admettre qu'elles viennent de Dieu : la scienee miraculeuse qu'elles supposent bien souvent, la sincérité et la dignité des témoins qui nous les rapportent, ne peuvent nous laisser de doute sur leur vérité d'ensemble. Comment les rejeter, en effet, sans supposer que tous ces saints personnages qui nous les racontent, commes divines, n'ont été que des hallucinés ? — car, encore une fois, nous ne parlons que des personnes d'une sainteté incontes- table reconnue par l'Église ; des autres, il n'est pas question.— Et quel est le catholique qui oserait penser qu'une sainte Gertrude, une sainte Thérèse, et tant d'autres saints que l'Église propose à notre admiration et à notre imitation, n'ont été habituellement que des hallucinés ? D'autre part cependant, lorsque nous venons à comparer ces révélations entre elles, ou à les confronter avec des vérités que nous connaissons certainement par ailleurs, nous voyons aussitôt que tout ce qu'elles contiennent ne peut venir de Dieu. Entre quantité de révélations également acceptables, nous trou- vons des contradictions nombreuses et manifestes ; (3) dans celles qui touchent à des questions historiques ou scientifiques, nous constatons beaucoup d'erreurs certaines ; parmi celles qui donnent quelque explication théologique des mystères, les unes adoptent tel système, les autres le système contraire, selon les écoles théo- logiques dont le voyant a subi l'influence. Même dans les révéla- tions les plus authentiques, et les plus incontestables, si elles ont une certaine étendue, il y a des difficultés insolubles, des erreurs manifestes. (4) (1) Migne, P.L. CXCVIl, col. 742 - 1079. (2) Ibid. col. Ï126 - 1351. (3) Voir quelques exemples dans Poulain : Des grâces d'oraison p. 343- (4) On peut lire dans Amort : De Revelationibus...,un grand nombre de aiw
  • 14. L'objet des révélations privées 357 Cette double constatation nous met en présence d'une ano- malie qui paraît, au premier abord, bien étrange : le fait de révé- lations vraiment divines qui contiennent des erreurs de détail de toutes sortes. A notre avis, le seul moyen de résoudre cette apparente contradiction se trouve dans le principe que nous avons emprunté plus haut à saint Thomas : toute révélation, depuis les apôtres, est donnée par Dieu, non pas pour instruire les âmes dans la foi, mais pour les diriger spécialement dans . quelques-uns de leurs actes. Ainsi, lorsque Dieu manifeste à une âme, par exemple, le. mystère de la Passion, son intention n'est pas de lui apprendre toutes les menues circonstances qu'elle aperçoit dans cette vision, mais seulement de la porter à une ferveur plus grande, à une piété plus intense, en lui faisant mieux voir l'éten- due et la profondeur du mystère. Pour arriver à ce but, Dieu peut bien parfois dire lui-même, en paroles précises et distinctes, ce qu'il veut faire savoir à l'âme ; dans ce cas, les divines paroles, sont nécessairement vraies. Mais le plus souvent, Dieu ne parlera pas à l'âme aussi distinctement ; il ne se manifestera à elle que par des visions plus ou moins précises qu'il présentera à son imagination ou à son intelligence. Il pourra bien, ici encore, donner lui-même, ou disposer tous les éléments de ces visions, de telle sorte que tout y soit conforme à la vérité qu'il veut manifester ; mais souvent aussi, il ne fera que se servir des images, des idées, des connaissances qu'il trouve dans l'âme. Il se révélera à elle, il l'éclairera surnaturellement, «n lui disant plus nettement et plus vivement, de tel ou tel mystère, tout ce que les idées qu'elle avait peuvent en représenter mais il ne lui donnera pas de nouvelles connaissances ; il ne corri- gera pas même les erreurs où elle se trouvait. La lumière qui éclaire le mystère dans cette âme viendra de Dieu ; mais elle n'arrivera à l'intelligence qu'à travers les notions imparfaites qu'elle possédait auparavant. Si donc cette âme veut raconter sa vision, et réfléchir sur d'autres intelligences la divine lumière qui l'a inondée, elle ne pourra l'exprimer que par les mêmes notions, les mêmes idées plus ou moins justes qui lui ont servi à la recevoir. Elle nous rapportera une véritable révélation divine, en ce sens que c'est Dieu lui-même qui, par son action immédiate, lui aura mieux rait voir le mystère ; mais elle- nous le rapportera dans des des- criptions défectueuses, ou inexactes, selon les idées à travers les- quelles elle a reçu la lumière de Dieu et par lesquelles elle doit la renvoyer au dehors. dMéSi^u a'erreurs>relevéesdans les révélationsde sainte Gertrude (p. 170- 220), e « bienheureuse Véroniquede Binasco(p. 241 - 248), et surtout de la vénérable *ane d'Agreda (p. 248-365).
  • 15. 358 Doctrine C'est comme si Dieu, pour captiver davantage notre esprit et notre coeur, nous faisait voir, par son action directe, très vive- ment tout ce que la science actuelle peut exprimer de sa puissance et de sa bonté. Nous pourrions dire vraiment que Dieu se révèle à nous, qu'il nous révèle ses attributs, puisque c'est par son action immédiate qu'il nous éclairerait ainsi ; mais pour décrire ensuite ce qu'il nous aurait ainsi fait voir de sa bonté et de sa puissance nous devrions nous servir des mêmes connaissances que nous avions auparavant et dont Dieu se serait servi pour nous éclairer. Nous ferions le récit d'une véritable révélation divine ; mais avec toutes les imperfections ou les erreurs de la science moderne. (1) Nous ne disons pas qu'on doive ainsi expliquer toutes les révélations privées. Il en est, nous l'avons déjà noté, où la parole de Dieu est précise, distincte ; mais il en est d'autres, moins parfaites, où la parole de Dieu n'arrive à l'âme qu'à travers un ensemble d'idées déjà fait. Telles sont, croyons-nous, presque toutes les révélations que nous pourrions appeler, d'après leur forme extérieure, historiques, théologiques ou scientifiques. 11 ne faut pas y chercher des leçons divines d'histoire, de sciences ou de théologie : ce n'est pas ce que Dieu a voulu donner à ses confidents, et ce n'est pas ce qu'il leur a dit. Il faut y chercher seulement des leçons d'édification et de piété, c'est-à-dire une .intelligence plus intime, et plus affectueuse des mystères. C'est là seulement ce que Dieu a voulu donner, c'est pour cela seule- ment qu'il a envoyé sa lumière et répandu sa céleste clarté. (2) On le voit : du fait que bien des révélations contiennent des erreurs d'histoire, de science, ou même de théologie, on ne saurait en déduire qu'elles ne sont pas divines. Tout n'y est pas divin, il est vrai ; mais qu'on s'applique à distinguer ce qui vient de l'esprit de Dieu et ce qui vient de l'esprit de l'homme, et l'on n'aura plus aucune difficulté à les recevoir comme divines dans leur fond, (surtout si elles nous viennent de grands saints) quoi- que dans leur forme extérieure elles portent parfois des imper- fections, des inexactitudes, des erreurs même sur des points qui sont étrangers à ce que Dieu voulait révéler à l'âme. (1) Mêmesi Dieu donnait cette science miraculeusement,elle ne serait pas nécessairement pour cela exempte d'erreurs ; car Dieu pourrait bien se contenter de la donnerdans la mesureoù les hommessavants de l'époquepeuvent l'acquérir. Tel est vraisemblablementle cas pour les révélationsde plusieurs saints. (2) Dans ces révélationsimparfaites, il peut arriver que le voyant lui-même se trompe et attribue à Dieu des chosesque Dieu ne lui a pas dites : « menspro- phetae dupliciter a Deo ihstruitur : uno modo per expressamrevelationerh; ano modo per quemdam ihstinctum occultissimum...sed ad ea quae cognoscit per instinctum, aliquando sic se habet ut non plene discernera possit utrutn h_aec cogitaverit aliquo divino instinctu, vel per spiritum proprium... talis enim ins- tinctus est quiddam imperfectumin génèreprophetiae. » S. Th. II - II, 171, a. 5.
  • 16. L'objet des révélations privées 359 Qu'y a-t-il à croire de foi divine dans ces révélations ? Au fond, pas autre chose que le mystère que nous croyions déjà par la foi chrétienne, et que nous trouvons exposé ici plus pieusement, plus affectueusement et peut-être plus complètement. Tout le reste -n'est qu'un revêtement d'idées humaines, que le voyant, a dû donner à son récit ; aussi n'y trouvons-nous rien que nous devions accepter sur l'autorité de Dieu. L'explication que nous venons de proposer s'applique proportionnellement à toutes les autres révélations : nous allons le montrer en quelques mots. 2° Dans une deuxième catégorie, nous comprenons les révé- lations prophétiques, c'est-à-dire celles qui donnent la connais- sance surnaturelle de quelques événements futurs. Il est peu de : vies de saints qui n'en contiennent au moins quelques-unes. ; Dans leur ensemble, elles sont moins étendues que les précédentes, j et ne remplissent pas comme celles-ci dés volumes entiers ; mais [ elles sont plus fréquentes. Le don de prophétie, comme le don , des miracles, est un des privilèges, par lesquels Dieu se plait ; souvent à récompenser la sainteté de ses meilleurs serviteurs. ; Aussi le trouve-t-on chez presque tous les grands saints, uni assez souvent avec le don de discernement des esprits. Ici, le but spécial de l'action divine n'est pas, comme précé- demment, de former l'âme à une plus grande ferveur, mais bien de la conduire, de la diriger en vue de l'avenir. Ces révélations sont données, tantôt pour l'utilité des autres : tel ce don vraiment extraordinaire de discernement des esprits qui contribua beau- coup à rendre le ministère du Curé d'Ars si fécond et si fructueux ; tantôt pour l'utilité personnelle de celui qui les reçoit : telles ces visions divines par lesquelles les Fondateurs d'Ordres religieux contemplèrent si souvent, par avance, les fruits'de salut que devaient produire leurs instituts naissants, et dans lesquelles ils puisèrent un courage à toute épreuve pour surmonter tous les obstacles. Il est manifeste ici encore, que l'intention de Dieu, en dévoi- lant ainsi les secrets de l'avenir, n'est pas d'instruire ses confidents sur tous les détails de ce qui doit arriver, ni d'imposer quelque nouvelle vérité à leur croyance ; il veut seulement les conduire, leur montrer d'avance le chemin, les avertir, les prémunir. Dieu Veut, sans doute, être écouté ; mais il ne s'adresse pas directement a la foi du voyant, ni à plus forte raison, des autres fidèles.. il n'est donc pas nécessaire, ici non plus, que Dieu parle toujours en paroles nettes et claires ; il peut éclairer autrement ame qu'il veut conduire ; il peut faire qu'elle se conforme à la suggestion divine, même si elle ne sait pas distinguer si cette Suggestion vient de Dieu, ni déterminer avec exactitude tout ce W elle comporte.
  • 17. 360 Doctrine 3° Une troisième catégorie peut comprendre les révélations par lesquelles Dieu donne une mission spéciale à remplir. $j Dieu parle à l'âme, ce n'est plus directement pour la former à une plus grande piété, ni seulement pour l'avertir et lui suggérer une ligne de conduite, c'est pour lui commander et lui imposer tels actes et tels travaux. Il pourra lui demander des actes purement intérieurs, — et ce sera le cas le plus fréquent — comme de prier à telle intention, de souffrir et de réparer pour tel pécheur ou telle âme du purgatoire, de s'offrir tout spécialement en victime en union avec Jésus crucifié ; mais il pourra aussi lui demander de remplir telle mission extérieure et publique : mission par exemple de Sainte Catherine de Sienne de travailler au retour du Pape, d'Avignon à Rome ; de sainte Jeanne d'Arc d'aller délivrer la France du joug des Anglais ; de sainte Thérèse, de fonder son monastère d'Avila et de travailler à la réforme du Carmel ; de sainte Marguerite-Marie, de faire connaître au monde l'amour du Sacré-Coeur; etc.. Dans ces communications, Dieu parlera à l'âme assez claire- ment pour lui manifester la mission qu'il veut lui donner ; il lui fournira même souvent des preuves miraculeuses pour qu'elle puisse faire reconnaître sa mission comme divine ; mais ici encore, il ne fera souvent entendre sa parole à l'âme qu'à travers les idées qu'elle avait déjà. Et ainsi il pourra arriver que l'âme, quoique vraiment éclairée par Dieu, ne distingue pas toujours ce qui vient de Dieu, et ce qui vient d'elle-même. 4° Enfin on peut classer dans une dernière catégorie toutes les révélations qui ne sont que des paroles de pure intimité entre Dieu et l'âme. Dieu s'adresse ainsi à ses amis les plus fidèles ; il leur parle comme un ami parle à son ami. Il le faisait déjà avec Moïse, selon le témoignage de l'Ecriture ; il l'a fait depuis avec beaucoup de saints dont nous pouvons lire la vie ou les écrits ; il l'a.fait encore avec un bien plus grand nombre que nous ne connaîtrons qu'au ciel. Qu'on lise par exemple les oeuvres de Sainte Gertrude, et on verra jusqu'à quelle familiarité Dieu peut descendre avec les âmes qu'il aime ! Au témoignage du B. Raymond de Capoue, confesseur de sainte Catherine de Sienne, à peine pourrait-on trouver, sur terre, deux âmes qui soient en communication aussi intime et aussi fréquente, que l'était cette sainte avec Notre-Seigneur. De nos jours, ces divines intimités n'ont pas cessé ; bien au contraire. Les Vies de soeuf Thérèse de l'Enfant Jésus, de Gemma Galgani, de la soeur Ger- trude-Marie, et de bien d'autres sont là pour le prouver évidemment. Pourrions-nous rejeter comme fausses toutes ces révélations ou du moins les négliger comme douteuses ? Il faudrait drre
  • 18. L'objet des révélations privées 361 alors qu'une grande partie de ce mouvement de piété intense qui porte les plus belles âmes vers Dieu ne repose que sur des illusions ; jl faudrait dire que l'Église se trompe bien quand elle nous pro- pose comme des parfaits modèles, ces âmes qui n'ont vécu que sous l'influence de paroles divines. Nous accepterons donc ces révélations comme divines, dans leur substance, surtout pour ce qui concerne la perfection de vie chrétienne qu'elles expriment ; mais nous saurons que la parole de Dieu peut bien ne pas s'étendre à chacune des expres- sions que l'âme a cru entendre, parce que Dieu parle parfois, et peut-être souvent, par le moyen des idées et dés connaissances que l'âme avait déjà. En résumé : toutes les révélations privées peuvent se ramener - à l'une ou à l'autre des catégories que nous venons d'énumérer ; et, de toutes se vérifie parfaitement l'explication donnée par saint Thomas : Dieu ne les accorde pas pour proposer une nouvelle doctrine qu'il faudrait croire, mais pour donner une direction spéciale qu'il faut suivre. Dans ces divins entretiens, Dieu ne se conduit pas comme un maître qui enseigne, mais bien comme un père qui prend un soin spécial de quelques-uns de ses enfants. Parmi les paroles qu'il leur fait entendre, il y en a, sans doute, parfois qui récla- meront de leur part un véritable acte de foi ; tout comme dans une conversation ordinaire, il arrive qu'on doive croire positi- vement certaines assertions de l'ami qui nous parle —mais généralement elles n'exigeront que la soumission, la confiance, l'abandon à la toute condescendante bonté de Dieu ; c'est-à-dire les sentiments d'un enfant à l'égard de son père qui lui parle dans l'intimité et le coeur à coeur. Quant à ceux qui lisent ensuite le récit de ces révélations, si elles offrent des garanties suffisantes d'authenticité, — ce qui est le cas ordinaire pour les révélations des saints — ils devront les accepter avec respect ; mais ils n'y trouveront rien qui s'im- pose à eux comme objet d'un nouvel acte de foi divine : ni le fond doctrinal qu'elles peuvent contenir, car cette doctrine ils la croient déjà comme enseignée par l'Église ; ni l'objet direct et spécial de ces révélations, car cet objet se réduit à une direction pratique donnée par Dieu à ceux à qui il s'adresse ; ni surtout Chacune des assertions particulières par lesquelles le voyant a mterprété la parole de Dieu qu'il a entendue, car dans cette inter- prétation, le voyant est loin d'être infaillible. Nous lirons donc les révélations des saints comme des récits ordinairement exacts des entretiens que Dieu leur à accordés ;
  • 19. 362 'Doctrine nous les lirons dans un but tout pratique de piété et sans aller jamais y chercher une règle de notre foi, d'édification, ni un exposé de certaines vérités théologiques que l'enseignement de l'Église ne saurait nous donner. Pour nous, comme pour le voyant, elles n'auront d'autre but que de nous aider et de nous diriger dans notre conduite, non pas de nous instruire ou de nous former dans la foi. (A suivre) A. ESTÈVE, O.M.I.
  • 20. pourquoi Jésus prend nos infirmités 363 LE SACRÉ-COEUR et les infirmités de sa nature humaine CSuiïeJ IY. - Pourquoi le Verte se faisant ctiair prend nos infirmités. Le Sacré-Coeur est infirme comme nous : c'est un fait. Pour- quoi en fut-il ainsi ? pourquoi fallait-il que le Verbe se faisant chair renonçât à son droit rigoureux de posséder une nature humaine impassible et glorieuse, pour s'unir à une humanité semblable à la nôtre, telle que l'a faite le péché, avec les infir- mités et les misères auxquelles il l'a soumise ? A cette curiosité légitime, S. Thomas répond par. trois raisons de haute conve- nance, q. 14, a. 1. 1. — La première raison est la fin même de l'Incarnation,' Or la fin de l'Incarnation, c'est la Rédemption : le Verbe de Dieu se fait chair pour nous racheter et pour nous sauver. « Il est descendu des cieux, chantons-nous dans le Symbole, pour nous autres hommes et pour notre salut ». « Lé Fils de Dieu, dit le docteur angélique, vient en ce monde, revêtu de notre chair, afin de satisfaire pour les péchés du genre humain. On ne satisfait pour le péché d'un autre qu'en prenant sur soi et en subissant la peine due à ce péché. Or les infirmités de la chair sont historiquement le châtiment du péché. Il convenait donc que le Christ prît sur lui lès pénalités encourues par notre race depuis Adam ». Il fallait qu'il acceptât la faim, la soif, la fatigué, la douleur, la mort, en un mot, tout ce qu'un homme peut souf- frir dans son corps. Isaïe l'avait prédit : «Véritablement c'é- taient nos misères qu'il portait et nos douleurs dont il s'était chargé». (2) Le Verbe s'unit à notre nature pour apaiser la justice de son Père et réconcilier avec lui le genre humain. L'expiation du péché était en effet voulue par la justice divine, et l'expia- tion réclame la souffrance et la mort. Sans effusion de sang, Pas de pardon. Sine sanguinis effusione, non fit remissio. (3) Les victimes de l'Ancien Testament ont par leur impuissance cessé de plaire à Dieu. Afin de pouvoir s'immoler à la justice divine et reconnaître par sa mort le souverain domaine de Dieu, (1) Voir Regnabit : I, 424 ; H, 16. 2) ISAÏE,LUI, 4. (3) Hebr., IX, 22.
  • 21. 364 Doctrine le Verbe prend donc un corps passible et mortel comme le nôtre, qui sache souffrir et mourir. Le Christ infirme a fait pour nous pécheurs ce que ne pouvait un Christ glorieux. Racheter, c'est prendre à son compte le montant d'une dette. Glorieux, le Christ pouvait nous sauver et faire éclater la miséricorde de Dieu ; il ne pouvait pas à proprement parler nous racheter, c'est-à-dire payer notre dette de souffrances, de misères et de mort ; il a donc pris notre place, substitué sa personne divine à notre per- sonne pécheresse, et reçu tous les coups que la justice de Dieu nous destinait. « Comme Dieu le Père, dit S. Cyrille d'Alexan- drie, avait résolu de sauver le genre humain de la corruption du péché, et qu'aucune créature qui excède les forces de toutes, n'était capable d'une telle oeuvre le Fils unique de Dieu, Dieu comme son Père, prit à coeur cette volonté pater- nelle connue et se chargea de la réaliser. Il s'humilia dans un abaissement volontaire tel, qu'il s'anéantit jusqu'à la mort la plus infamante. Mourir suspendu à une croix, n'est-ce pas le comble de l'ignominie ? Parce qu'il a souffert de la sorte, Dieu l'a souverainement élevé ». (1) 2. — Le Verbe prend une nature humaine infirme comme là nôtre, sensible à tous les chocs qui nous font souffrir, afin d'établir et d'affermir nôtre foi en l'Incarnation, et de nous mon- trer jusqu'à la dernière évidence qu'il est homme comme nous et notre frère vraiment. « Puis donc que les enfants ont eu en partage le sang et la chair, lui aussi y a participé également... De là vient qu'il a dû être fait semblable en tout à ses frères ».(2) Comme la nature humaine se présente universellement à nous .. avec son cortège obligé de besoins, de faiblesses et de misères, on aurait pu douter que le Christ fût vraiment homme, s'il avait pris une humanité sans les infirmités qui en sont aujourd'hui inséparables, majestueuse, impassible, investie de privilèges surhu- mains. « Bien souvent, dit S. Jean Chrysostome, les Anges et même Dieu se sont montrés en terre sous forme humaine ; or, ce qui se voyait alors n'était pas la réalité d'une chair humaine, mais condescendance et pure apparence. Pour donc que tu ne penses pas que l'avènement du Fils de Dieu a été comme ces apparitions angéliques, mais afin que tu croies qu'il s'est mani- festé dans une chair humaine vraie et réelle, il a été conçu et est né, il a été allaité et couché dans une crèche, non pas dans le secret d'une chambre, mais dans une hôtellerie, au milieu d'une multitude de peuple, afin que sa naissante fût chose pu- blique et connue de tous». (3) Le Verbe incarné a tant à coeur, si j'ose ainsi m'exprimer, (1) In Joannem, I. X, c. 2. P. G. 74; 374. (2) Hebr., II, 14, 17. . 13) De Consubstantiall,conira .Anomaeos, hom. VII, n. 6. P. Q. 48, 765.
  • 22. pourquoi Jésus prend nos infirmités 365 de prouver qu'il est bien l'un des nôtres, de notre chair et de notre sang ; — il veut établir si irréfutablement la vérité de son être humain et la réalité de ses saintes infirmités que, durant les trente années de sa vie cachée, il vit obscurément sans rien qui le distingue des autres hommes, habitu inventus ut-homo, pris vulgairement pour le fils d'un charpentier, filius fabri, s'as- treignant à tous nos besoins de nature, si bien que ses ennemis le veulent faire passer pour un homme adonné au vin et aimant la bonne chère, homo vorax et potator vini, (1) alors qu'il satisr fait légitimement aux exigences et aux besoins dé sa chair. Dur rant sa vie publique, il opérera des miracles dont son corps sera l'objet ou l'instrument, — il faut bien qu'il prouve sa filiation divine ; — cependant son mode de vie conforme au nôtre, ses fatigues, ses souffrances et finalement sa mort n'en continuer ront pas moins d'attester qu'il est homme et de la même subs- tance que nous. (2) La souffrance est le lot ordinaire de toute vie humaine, comme la mort en est le terme inévitable. Souffrir comme nous et mourir à son tour devenaient donc pour le Verbe incarné la preuve la plus efficace et à la portée de tous de sa parfaite communauté de nature avec nous. « Le but du Verbe incarné, dit S. Cyrille d'Alexandrie, à été de démontrer avec évidence qu'il a réellement pris chair et s'est fait véritablement homme, non pourtant en cessant d'être Dieu le Verbe, — car il n'aurait pu, s'il ne l'était plus, sauver le genre humain. Mais de peur que celui-ci ou celui-là, entendant dire qu'il s'est fait chair, n'en conclue que le Verbe immuable de Dieu s'est converti en ce qu'il n'est pas dès tour jours, à juste titre, il prononce d'une part des paroles qui sont celles d'un homme véritable, et, d'autre part, il accomplit des oeuvres qui appartiennent à Dieu seul, afin que nous compre- nions bien qu'il est en même temps Dieu et homme. Quand donc il importait de manifester qu'il était véritablement homme, il ne manquait pas de l'établir. Si le péché, qu'il ne pouvait commettre, lui demeure. totalement étranger, il n'a pas refusé de souffrir dans son corps et dans son humanité tout ce qui est de la nature humaine, dans le but de démontrer que réellement il s'est fait chair et véritablement homme, ainsi qu'il est écrit... « Donc quand tu entends dire qu'il a pleuré, qu'il a éprouvé de la tristesse et de la frayeur, comprends qu'il était homme en même temps que Dieu, et rapporte à la nature humaine ce qu] lui appartient. Puisqu'il a pris un corps mortel et passible, Sujet à ces différentes affections, nécessairement il a, avec la chair humaine, assumé ses propriétés et ses souffrances. Or, lorsque la chair souffre en lui et subit ce qui est de sa n'attire* (1) MATTH., 49. XI, (2) Cf. LÉONCE BYZANCE, de Contra Nestonan. & Eutych. P. Q. 86, 1335.
  • 23. 366 Doctrine c'est lui qui, à cause de l'unité de personne, le souffre et le subit»(i) 3. — Le Verbe incarné dans une chair passible et mortelle a voulu encore nous donner la preuve irréfragable de son amour compatissant pour nous, en passant par toutes nos épreuves et finalement en sacrifiant sa vie pour nous : « car nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos infirmités : pour nous ressembler, il les a éprouvées toutes, hormis le péché».(2 Par là encore il nous laisse un soutien et une force ; car il emprunte à l'épreuve et à la souffrance le pouvoir irrésistible de secourir ceux qui sont éprouvés et tentés : « car, c'est parce qu'il a souf- fert et a été lui-même éprouvé, qu'il peut secourir ceux qui sont éprouvés ». (3) Enfin, souffrant et infirme comme nous, volon- tairement soumis aux mêmes nécessités et aux mêmes misères, il nous est un encouragement et un exemple de patience et de vigueur surnaturelles dans nos misères et nos souffrances. « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces. (4) Il a supporté contre sa personne de la part des pécheurs une si grande contradiction, afin que nous ne nous laissions pas abattre par le découragement ». (5) Le Fils de Dieu s'est fait homme, afin de combattre pour nous et de vaincre en notre nom la mort et le diable. Le conflit engagé lui faisait donc une loi de ramener au combat cette même nature qui une première fois s'était laissée vaincre, et de lui assurer la victoire. « Notre-Seigneur Jésus-Christ se présente à nous, dit S. Cyrille d'Alexandrie, comme un modèle et un exemple de sainte vie, principalement en ce qu'il a vécu sous la loi et n'a pas pour nous dédaigné de prendre les conditions mêmes de notre pauvreté. Par un amoureux dessein pour nous, il se conforme à notre mode commun de vie et, par son exemple, devient pour les siens le chef et l'auteur d'une vie nouvelle et inaccessible à nos seuls efforts ». (6) Lé Sacré-Coeur, infirme et souffrant, est donc le modèle de ce que nous devons être ici-bas, comme, glorieux, il est le modèle de ce que, un jour, nous serons. Or, comment eût-il pu se proposer en exemple, s'il n'eût pas partagé notre nature avec toutes ses infirmités ? Comment n'eussions-nous pas été excusés de ne pas tenter dans une chair infirme et passible l'imitation de celui qui aurait vécu dans une chair glorieuse et impassible ? Vraiment, dans ces conditions, il en eût été de la loi d'imita- tion du Seigneur, comme de celle qui ordonnerait à un artisan (1) Thesaur., Assert. XXIV. P. G. 75, 394, 395. (2) Hebr., iv, 15. (3) Hebr., il, 18. (4) I PETR.,II, 21. (5) Hebr., xn, 3. (6) In Joannem, I. X. P. G. 74, 372.
  • 24. Pourquoi Jésus prend nos infirmités 367 d'accomplir les oeuvres d'un joailler avec les outils d'un char- pentier. D'ailleurs, quels exemples de vertu eût pu nous laisser le Seigneur, si sa chair n'eut pas été comme la nôtre infirme et passible? (1) 4. — A ces trois motifs de convenance suggérés par S. Thomas pour la passibilité du Christ, il est permis, je crois, d'en ajouter un quatrième : le Verbe incarné a voulu une nature infirme comme la nôtre, afin de s'assurer une plus grande gloire et pour mériter par droit de conquête l'exaltation qui lui était régulièrement due par droit de naissance. Si par ses propres souffrances, il apprend expérimentalement, tout Fils qu'il est, ce que c'est qu'obéir, (2) — en obéissant, il mérite d'être exalté par Dieu et de porter un nom devant lequel tout genou doit fléchir. (3) « Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d'hon- neur à cause de la"mort qu'il a soufferte ». (4) Pour nous également notre part de souffrance et de tribu- lation généreusement acceptée est la cause productrice de notre gloire. « Ce quelque chose de momentané et de léger qu'est notre souffrance d'aujourd'hui, dit S. Paul, produit pour nous au delà de toute mesure un poids éternel de gloire ». (5) Dès lors,, tout fardeau nous doit être facile et léger à porter. « Si nous sommes enfants, dit encore l'Apôtre, nous sommes héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, si toutefois nous souf- frons avec lui pour être glorifiés avec lui. Car j'estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous ». (6) Le Yerne s'incarnant prend sur lui nos infinités communes, nullement nos infirmités personnelles. Jésus-Christ a voulu communier aux infirmités de notre nature, afin de satisfaire pour nous, de nous prouver la réalité de son humanité sainte, de nous donner un exemple de patience et de vertu, de mieux nous témoigner son amour et de s'assurer à lui-même par droit de conquête une plus grande gloire. Mais ces infirmités et ces misères humaines sont bien nombreuses et de nature très diverse. Le Christ les a-t-il prises toutes ou seulement quelques-unes ? C'est le problème que S. Thomas se pose, q. 14, a. 4 : « Le Christ devait-il prendre toutes nos infirmités corporelles ?» (1) Cf LÉONCEe BYZANCE, d Contra Nestor,et Eutych., I. II. P. G. 86, 1350 (2) Hebr., v, 8. (?) Phil., il, 8. (4) Hebr., n, 9. (5) n Cor., iv, 17. (6) Rom., vin, 17, 18.
  • 25. 368 Doctrine « Le Christ, fépond-il aussitôt, a pris sur lui les infirmités humaines, afin de pouvoir satisfaire en notre place à la justice divine pour le péché de la nature humaine. Or cet office de ré- dempteur exigeait précisément qu'il eût en son âme la plénitude de la grâce et de la science. Par conséquent il a dû prendre les infirmités ou défauts qui sont la suite du péché commun de toute la nature, mais ne s'opposent pas à la perfection de sa grâce et de sa science. Il ne se peut donc qu'il ait pris sur lui tous les défauts ou toutes les infirmités de la nature humaine ». Afin de bien préciser cette doctrine, le docteur angélique classe les infirmités de la nature humaine en deux grandes caté- gories dont la seconde se partage en deux espèces : La première catégorie comprend les infirmités personnelles, les tares et les défauts particuliers, qui n'accompagnent pas universellement et partout la nature humaine du fait de la faute originelle, mais affectent accidentellement certaines natures in- dividuelles et sont l'effet de causes particulières : vice de cons- titution, plaie héréditaire, intempérance, abus des plaisirs, etc., etc. A cette catégorie se rattachent toutes les maladies en géné- ral. Ces défauts ne sont pas des défauts de nature, mais des dé- fauts de personne. La seconde catégorie renferme les communs défauts de la descendance d'Adam pécheur, les infirmités communes, natu- relles, qui accompagnent partout la nature humaine, en d'au- tres termes qui se retrouvent et se constatent dans tous les en- fants d'Adam, parce qu'elles découlent naturellement et néces- sairement, non d'une imperfection ou d'un vice personnel, mais des principes mêmes de la nature humaine, telle qu'elle a été dépouillée et laissée à elle-même par le péché du premier homme. Ces infirmités communes sont de deux sortes : — les pre- mières ne comportent par elles-mêmes ni tare, ni déshonneur, comme la faim, la soif, la fatigue, la nécessité de souffrir, la fai- blesse du premier et du dernier âge, la mort ; elles sont en notre face une nécessité de la nature organique, réduite à ses seules ressources connaturelles. S. Jean Damoscène les appelle «in- firmités naturelles » parce que toute nature humaine y est sou- mise, — et « non infamantes », parce qu'elles ne dépendent pas de notre libre arbitre et ne répugnent à aucune perfection, ni à la science parfaite ni à la plénitude de la sainteté. (1) — Les secondes sont de leur nature humiliantes, « infamantes », comme les ténèbres de l'ignorance, comme la. concupiscence, l'inclina- tion au mal, la difficulté au bien, toutes suites historiques en nous du péché originel, mais s'opposant à la perfection de la sainteté et de la science. (1) De jide orihod.,V III, c. 20. P. O. 94, 1082 b.
  • 26. pourquoi Jésus prend nos infirmités 369 Des infirmités de la nature humaine, le Verbe, se faisant homme, ne pouvait accepter, — la chose est évidente, — que les infirmités communes de la première sorte, les «infirmités naturelles et non infamantes » ; il aura donc faim, il aura soif, jl souffrira, il mourra. Ces infirmités ne s'opposent nullement, comme celles de la seconde sorte, à la perfection et à la pléni- tude de sa sainteté et de sa science ; elles sont au contraire or- données à la fin de l'Incarnation qui est la Rédemption, le rachat du genre humain par la passion et par la mort, puisqu'elles mettent en vive lumière « la bonté et l'amour de Dieu notre Sauveur pour nous ». (1) Mais s'il se soumet à nos infirmités communes, qui sont comme le fruit spontané de notre nature dépouillée de tous ses dons gratuits et réduite à ses seules et propres ressources, le Sauveur écarte absolument de son humanité les infirmités per- sonnelles, les défauts particuliers à certains individus, a Parce que le Christ, dit S. Bonaventurej était venu racheter la nature humaine en général, sans distinction de personnes, il a dû ac- cepter les infirmités naturelles, non les infirmités personnelles ; les infirmités qui sont peines du péché, non les infirmités impliquant vice et déshonneur ». (2) D'ailleurs, ni hérédité morbide, ni défaut ou faiblesse de constitution, ni vice personnel, en un mot, ni l'une ni l'autre de ces causes qui produisent en nous ces infirmités personnelles, ne se retrouvent en NotrerSeigneur, parce qu'elles répugnent à sa très pure nature: et qu'elles seraient un obstacle aux fins de l'Incarnation. En effet, aucune tare héréditaire ne pouvait exister chez lui : Marie sa mère est vierge et elle a été conçue sans péché ; — ni aucun vice de génération et par suite de cons- titution : « Sa chair, dit S. Thomas, a été formée de la substance très pure de Marie par l'opération du Saint-Esprit, qui ne sau- rait ni défaillir ni se tromper dans son opération, puisqu'il est infiniment sage et tout-puissant; (3) — ni vice personnel, ni désordre dans la conduite : « Le régime de sa vie, dit encore S. Thomas, fut toujours sagement ordonné *.~.D'un tempéra- ment parfait, absolument sain de corps et d'âme, le Seigneur était de par ailleurs garanti de tout excès, de toute erreur, de route imprudence même de détail par son impeccabilité et sa science universelle. Et en tout état, ne craignons pas de le répéter, Notre-Sei- gneur ne pouvait accepter ces Infirmités personnelles : elles W TH., m, 4. (2) In III sent, d. 15, a. 1, q. 2. (3) 0. 14 a. 4.
  • 27. 370 Doctrine eussent dérogé à sa dignité et compromis la fin de l'Incarna. tion, en raison du déshonneur qui souvent les accompagne, et <les désordres qu'elles supposent trop souvent dans leur sujet, DOM G. DÉMÀRET, moine de Solesmes. Gravuredu "KaavaleDevctionis a Rmabilteaimvmor JBU piis kominvmcorditx" erg C oblatum,ûuctoreP. FranciscoSchauenburg, J. - 1763. S.
  • 28. Le Sacré-Coeur du Donjon de Chinon 371 LE SACRÉ-COEUR DU DONJON DE CHINON attribué aux Chevaliers du Temple (Second Article) J'ai donné dans Regnabit, en janvier dernier, la réduction de la gravure murale du donjon du Coudray, à Chinon, où paraît un coeur rayonnant entouré de personnages et de signes énig- niatiqués. Cette image, je l'ai taillée d'après un simple levé à vue, pris sous la mauvaise lumière d'un jour de pluie qui rendait plus sombre encore la sombre salle où il se trouve. Depuis lors, le très distingué directeur du Hiéron de Paray, Mr de Noaillat s'est rendu à Chinon, et là, à pied d'oeuvre, son Regnabit à la main, il a comparé l'original et le dessin ; puis, de lui-même, s'est empressé, ce dont je lui reste très reconnaissant, d'assurer à Regnabit que la reproduction donnée est bien exacte. J'ai cependant voulu ces jours derniers revoir le graffite de Chinon par un jour de clair soleil et à l'heure où les rayons, faee à la porte, éclairent d!une caresse oblique les traits creusés, et les font ressortir pleinement. C'est ainsi que j'ai corrigé une diffé- rence de proportion entre deux figures, sans importance du reste, et que j'ai relevé quelques menus détails inaperçus d'abord, notamment un I H S en cursive gothique, devant le personnage agenouillé qui porte au bras gauche son bouclier. je consigne ce nouvel et définitif état dans les planches incluses en ces lignes qui donnent plus en grand, la partie prin- cipale de la précieuse gravure murale du château de Chinon. Le premier article la concernant a valu à son auteur un afflux assez considérable de lettres qui témoignent de l'intérêt que les érudits catholiques accordent à l'iconographie du Sacré- Coeur. Une seule de ces lettres refuse absolument de reconnaître dans le coeur représenté à Chinon celui de Jésus-Christ. Comme cette opinion ne repose que sur la prétendue impossibilité théo- rique d'une représentation du Coeur divin au début du XIVe siècle, elle se modifiera d'elle-même, je l'espère, quand Regnabit aura donné la preuve facile qu'une indiscutable inocographie du Coeur de Jésus a vraiment précédé, de bien plus d'un siècle, s«n culte liturgique. H n'y a pas du reste, ce me semble, d'impossibilité chrono- }°gique qui puisse tenir devant ces faits d'une réalité matérielle wd'éii-iabte.:
  • 29. 372 Doctrine a) que le Coeur de Chinon est le centre d'une gloire rayonnante; ce qui dansTensemble d'une composition où tout est prière ardente, supplication et réparation, lui donne une importance tellement supérieure à celle des autres figures qu'elle ne sau- rait convenir à aucun coeur humain. * b) qu'en traçant son ouvrage le graveur pensait certainement à la plaie du Côté divin puisqu'en deux endroits la lance y paraît appointée à la place qu'occupait sur la Croix le flanc du Sauveur crucifié. e) que ce Coeur rayonnant de gloire est contemplé par un per- sonnage dont le caractère de sainteté est indiscutablement affirmé par le nimbe qui l'entoure et que, partant, ce coeur ne peut être que Celui du Sauveur. Un autre correspondant me dit : si l'objet représenté est bien un coeur, ce ne peut être assurément que le Coeur divin, mais n'est-ce point plutôt un bouclier, un écu de chevalier ? Non, très certainement. Un bouclier rayonnant et sur lequel ne paraît aucune figure de blason — car la surface excavée a été lissée avec un soin extrême — n'aurait aucun sens possible; puis, un bouclier représenté en creux n'aurait pas, ne pourrait pas avoir, cette forme extraordinairement concave. Qu'on rap- proche la coupe horizontale ci-contre : de la coupe verticale donnée en janvier et l'on verra combien l'hypo- thèse du bouclier est inacceptable. Je sais bien que ce même contour fut donné quelquefois aux écus héral- diques des XIIIe et XIVe siècles : dans l'ébrasement des archères de ce donjon de Chinon, dans la salle même où nous sommes, des chevaliers de cette époque ont gravé leurs armoiries et, l'un d'eux a donné à son écusson le pourtour cordiforme ; le Voici : Là, pas de doute, c'est un blason, et rien de plus ; les trois chevrons du champ et le lys du chef en font foi; le trait creusé de ce dessin n'a pas quatre millimètres de profondeur, et c'est normal. Dans le grand graffite pas de doute non plus : çest un coeur; la forme de la concavité et sa profondeur, qui atteint 38 millimètres, interdisent de songer à autre chose. Là ce n'est plus simplement de la gravure, c'est de la sculpture en creux. Seuls la croix placée au-dessus et le nimbe qui entoure la tête en profil du saint ont une profondeur quasi égale. Ces trois figures ont donc bien été regardées par le graveur comme les plus importantes de son travail. Deux autres correspondants, tout en acceptant le coeur de Chinon comme l'image du Coeur de Jésus, portent la question
  • 30. te Sacré-Coeur du Donjon de Chinon 373 sur un autre terrain et me disent : Mais vous n'avez pas la preuve certaine que la tradition chinonaise qui attribue cette gravure à l'un des Templiers captifs du Coudray, est bien fondée ! La preuve certaine ? Non, assurément je ne l'ai pas. Et j'ajoute qu'il ne me paraît pas nécessaire que ce soit un Templier qui l'ait tracé pour que le coeur de Chinon soit l'image de Celui du Sauveur Jésus. Je ne fais pas l'iconographie de l'Ordre du Temple, ni celle du château de Chinon, mais celle du Coeur sacré de Jésus-Christ. Si le coeur au divin rayonnement est l'oeuvre de l'un des Templiers qui furent incarcérés dans la tour où il se trouve, nous avons sa date précise : 1308. Si, au contraire, il est dû au couteau d'un prisonnier quelconque, nous devons chercher sa date ailleurs ; et mieux que toute autre particularité du graffite, la paléogra- phie des inscriptions qui s'y trouvent peut nous la donner approximativement. Il y en a deux : IE REQUIER A DIEU PARDON, puis une signa- ture : IEHAN DUGUA... (au nouvel examen, j'ai relevé ce même nom répété plus lisiblement, en petite écriture de même forme, plus haut sur le mur : J. Duguabil ou Duguahel). J'ai consulté autsujet de ces inscriptions de savants confrères en archéologie, plus qualifiés épigraphistes que moi ; l'un d'eux estime que la signature pourrait être un peu moins ancienne que l'inscription, repentante ; elle ne donnerait donc pas le nom du graveur, comme il paraissait d'abord naturel de le supposer. jriw Mais la phrase ie requier à Dieu pdon fait bien, elle, partie intégrante et inséparable du sujet, Or, la forme de ses lettres ne défend nullement de l'attribuer à la première partie du XIVe siècle. La voici, gravée sur calque direct. La date du graffite ne serait donc pas sensiblement déplacée Par le fait qu'il ne serait pas dû à l'un des Maîtres du Temple. Et mon correspondant ajoute : ..„ ( H- s'est créé de toutes pièces, tant de traditions au XV« Slec'e !.. » _ A la vérité, cette époque fut assez imàginative, mais 'elle n'aurait pu appliquer au graffite de Chinon une origine
  • 31. 374 Doctrine Partie centrale du gragîtedu Donjonde Chinon,attribué aux Templiers gravure sur bois, au canif, par l'auteur. (Le visage du personnagea été règrettablementmutilé)
  • 32. Le Sacré-Coeur du Donjon de Chinon 375 fantaisite, même vraisemblable, que si la gravure à laquelle cette fantaisie s'appliquait avait été, dès lors, assez ancienne pour qu'on ait oublié son véritable auteur ; et voilà qui nous renvoie vers Te — XIVe siècle. Assurément d'autres prisonniers que les chefs du Temple ont habité la tour du Coudray ; deux ans avant qu'ils y fussent enfermés le même gouverneur qui les y eut en garde, Jean de jeanvelle, y détenait encore, au nom du roi, et depuis quatre ans, Robert, fils de Guy, comte de Flandre ; et nombre de chevaliers français ou anglais y furent aussi gardés durant la guerre de Cent-Ans. Mais ni Robert de Flandre, ni les chevaliers prison- niers de guerre n'étaient vraisemblablement menacés de mort, et vraiment —encore que tout homme en ait besoin— ne semblent avoir eu de particulières raisons d'implorer si ostensi- blement le pardon divin : celles qu'avaient les Templiers étaient, on l'avouera, bien autrement fondées ! En quittant le graffite de Chinon, Mr de Noaillat m'en écrivait : « Quel appel pressant à la miséricorde !.. » et devant ma gravure, un excellent artiste peintre, assurément physiolo- giste, mais point mystique, disait récemment : « toute cette composition. sue l'angoisse et crie le repentir». Et les deux pa- roles, en se faisant écho, donnent la note juste. En fait, nous sommes en possession d'une tradition locale encore indiscutée. Que vaut-elle au regard de la critique ? Ce que vaut toute tradition qui concerne l'origine d'une oeuvredont l'auteur n'est pas désigné par des documents positifs et probants ; c'est dire qu'on ne peut la rejeter comme fausse que sur des documents contraires également explicites et probants. En l'absence des uns et des autres, avant d'accepter en fait la tradition chinonaise, — jusqu'à meilleure information et sous les réserves que mon titre comporte : « Le Sacré-Coeur du donjon de Chinon attribué aux Chevaliers du Temple»,— j'ai cherché sans parti pris, dans la composition même du sujet : '° — Ce qui pourrait l'infirmer ? Et je n'y trouve rien : — Car on ne saurait faire état de l'étonnement que cause toujours l'arrivée d'un document authentique de date insoupçonnée; cet étonnement ne; relevant que de notre préalable insuffisance de docu- mentation. — 20 Ce qui pourrait au contraire s'y trouver de propre à faire accorder la tradition avec la vraisemblance ? Et sous ce rapport, au risque de .me redire, je note : ")' Que la composition tout entière possède un caractère très particulier de piété chrétienne et mystique, un « style », si. j'ose dire, autant hermétique qu'hiératique, et dénonce chez son auteur une habitude visuelle des représentations
  • 33. 376 -.-..'..' Doctrine de l'iconographie sacrée. Et tout cela semble plus naturel dans l'esprit et sous la main d'une Moinè-Chevalier du Temple que sous le heaume séculier et sous le couteau d'un de ces héroïques ferrailleurs que furent les barons féodaux de la guerre de Cent-Ans. b) Que l'épigraphie de la phrase : le requier à Dieu pdon n'est pas en contradiction avec la date donnée par la tradition. c) Que ce que l'on sent bien avoir été l'état d'âme des chefs du Temple, relativement au sort de leur Ordre et de leurs personnes, en leur situation particulièrement grave et au château de Chinon, 1 s'accorde inquiétante pleinement avec l'impression que produit « le cri de repentir » et « l'appel pressant à la miséricorde» de cette composition «qui sue l'angoisse ». d) Que je retrouve, dans le graffite de Chinon, des figures héraldiques, relevées sur des sculptures lapidaires non dou- teuses des Commanderies du Temple de Roche (Vienne) et du Temple de Mauléon (Deux Sèvres). e) Et, Dieu me pardonne, j'ose ajouter ceci : On m'assure que certaine branche de la Franc-Maçonnerie se targue d'avoir conservé dans ses rites, ses titres et ses symboles, des parti- cularités qui lui viendraient d'un groupe d'anciens Templiers qui se serait constitué clandestinement en société secrète, après dissolution officielle de l'Ordre, puis fondu dans la Maçonnerie (?).. Si cela est, les groupes de trois points, répétés, non trois, mais en réalité quatre fois, sur les gradins de la croix centrale du graffite, donneraient une apparence de consistance au moins bizarre, tout à la fois aux préten- tions historiques des Maçons et, ce qui nous intéresse un peu plus ici, à la tradition chinonaise. Voilà pourquoi, jusqu'à preuves contraires naturellement, je regarde comme devant être plutôt acceptée que rejetée l'opinion qui attribue à la main d'un Templier la gravure qui nous occupe, et que l'historien chinonais Gabriel Richard fait sienne, sans ambages ni réserves, dans le passage de son Histoire de Chinon que j'ai cité en janvier. C'est aussi l'avis général, à trois exceptions près, des nom- breux lecteurs de Regnabit qui ont bien voulu nous manifester leur pensée. L'un d'eux, un érudit doublé d'un bon artiste, nous écrit en substance : Qu'il verrait volontiers, dans les personnages énigmatiques figurés au graffite, des Saints de l'Ordre de Citeaux, frères spirituels des Templiers. Et c'est un fait que tous portent le nimbe caractéristique des saints, Le principal d'entre eux,en
  • 34. La Sacré-Coeur du Donjon de Chinon 377 l'hypothèse exposée, serait saint Bernard qui fut de son vivant, le législateur et le grand ami de l'Ordre du Temple, alors tant idéalement beau ! L'Ordre en effet conserva ensuite pour le saint fondateur de Citeaux un culte particulier et une ostensible reconnaissance. Officiellement, cette gratitude se traduisait par ce passage du serment que les Grands-Maîtres prononçaient à leur élection : « Je ne refuserai pas... principalement aux Moines de Citeaux et à leurs Abbés comme étant nos frères et nos com- pagnons, aucun secours..» Et ce serait en raison de ce patronnât réel de saint Bernard sur l'Ordre des Templiers que l'auteur de la gravure l'y aurait figuré contemplant le Coeur de Jésus, comme pour demander au saint Abbé de présenter au Coeur miséricordieux du Sauveur son repentir et sa grande espérance du pardon, le sort aussi de son Ordre et de lui-même. (1) — Cette interprétation peut en effet s'appliquer avec vrai- semblance aux saints du graffitte de Chinon, sauf toutefois à celui qui semble agenouillé et porte à son bras l'écu armorié, car celui là s'affirme moins comme un cistercien que comme un guerrier de noble rang. Peut-être, pourrait-on voir en lui le fondateur même de l'Ordre des Templiers Hugues de Payens, qui, à la vérité, ne fut jamais canonisé officiellement, mais qui devait jouir alors, au titre de vénérable serviteur de Dieu, d'un culte restreint à son Ordre, comme il en a été pour le bienheureux Gérard Tune dé . Martigues, fondateur des Chevaliers de S* Jean de Malte, et pour le bienheureux Robert d'Arbrissel, fondateur des Bénédictines de Fontevrault, avant que leurs cultes ,ne fussent autorisés, à titre public, par l'Église. Quant au sens intrinsèque que le graveur attachait à chacune des diverses autres figures plus ou moins hiéroglyphiques du graffitte de Chinon : mains coupées et ouvertes, sigle en tau surmonté d'un cercle, blasons gironnés, etc.. je n'espère guère qu'on en pénètre jamais l'énigme. Mais peut-être des recherches dans ce qui reste d'anciennes commanderies du Temple abou- tiraient-elles à la découverte de ces mêmes figures et donneraient ainsi à la gravure entière de Chinon une attribution d'origine Plus affirmée. (1) On sait que saint Bernard et son pieux ami Guillaume de saint Thierry, (mortvers 1150),furent des premiers-à célébrer le Coeurdivin et à le désigner à |a piété'médiévale, non maisseulement en tant que partie corporelle atteinte par la Lance, au Calvaire, pas comme centre et foyer de l'Amour rédempteur ; à tel point qu'on crut longtemps pouvoir attribuer au saint abbé de Citeaux le bel nymne«Summi régis Cor aveto» et qu'on le regarde comme la principale source w culte florissant qu'eurent, dans la seconde partie du Moyen-Age, les Cinq Jyjaies t le Coeursacré, notamment en Rhénanie où ses ouvrages furent particu- e iSment en faveur. — Cf. Bainvel, La dévotion S. C. de Jésus. Paris Beauchesne au i921, p. 205 et Regnabit, janv. 1922, p. 211.
  • 35. 378 Doctrine En résumé, et derechef, la tradition Chinonaise relative aux Templiers est la seule base qui permette de risquer une interpré- tation générale du sujet gravé au Cbudray, et c'est elle seule qui permet aussi de dater de 1308 le Coeur de Jésus qui s'y trouve figuré ; mais sans elle il est quand même permis de l'attribuer au XIVe siècle. Un souvenir historique en terminant : Un autre personnage, bien autrement illustre que Robert de Flandre, Jacques Molay et les autres Maîtres du Temple habita jadis le donjon du Coudray; Jeanne d'Arc en effet, à quelque vingt pas du logis royal qu'oc- cupait alors Charles VII, demeura dans cette tour, du 8 mars 1429 jusqu'au 20 avril, jour où elle quitta Chinon. Il est bien absolument impossible que, passant à toute heure, devant le Coeur rayonnant de cette étrange gravure, devant ce coeur qui s'impose aux regards, et qui ne devait pas être pour elle un incompréhensible mystère, la sainte Libératrice ne se soit pas arrêtée devant lui pour le contempler, comme le saint de pierre auréolé, et pour recommander à sa compatissante bonté la royale Fleur de France qui transparait en sa glorieuse irradiation — Et par là encore, l'humble graffitte chinonais allie, dans la pensée du croyant, le plus divin Objet delà Piété chrétienne à la plus grande Histoire. NOTE ADDITIONNELLE.— Au moment de mettre sous presse je reçois d'un érudit médiéviste parisien une lettre flatteuse que je voudrais pouvoir donner ici en entier. J'en veux au moins citer la partie générale : « A défaut de documents historiques positifs concernant ce graffitte, force est de s'en tenir à ses éléments constituants et aux données convergentes de l'érudition qui l'expliquent. « La mentalité médiévale toute nourrie de symbolisme — en poésie, en littérature profane et religieuse, en architecture, peinture et sculpture, en héraldique, etc, s'y reflète d'une façon saisissante. « Tel qu'il se présente -r et sauf interprétation cabalistique, ici invraisemblable '— il est, dans tous ses détails strictement religieux et conforme à la tradition qui le concerne. « OEuvre de fantaisie, conçue sans doute progressivement, au fur et à mesure de l'exécution, nous ne pouvons exiger une unité, une symétrie matérielle absolue comme devant une « oeuvre d'art » entreprise selon ses règles techniques propres. Pourtant, et malgré cela, pour la signification il y a le un symbolisme complet très harmonieux, bien dans la note allégorique des XIIIe et XIVe siècles. Les moines ou gens d'église en étaient imprégnés alors... »
  • 36. Le Sacré-Coeur du Donjon de Chinon 379 — Et ces lignes sont en accord parfait avec ce que j'exposais dans les pages précédentes. Dans leur contexte elles regardent comme possible l'attribution du graffitte de Chinon au|XIVe siècle, même indépendamment de la tradition qui l'attribuera l'un des Chevaliers du Temple. Et c'est de cela surtout^que^ je prends acte. Loudun (Vienne) L. CHARBONNEAU-LASSAY. Bois graveau canif par L. Charbonneau-Lassay
  • 37. 380 Doctrine La Société du Règne Social de Jésus-Christ à pctray-le-jvtonial APOSTOLAT ACTUEL : Visites expliquées du Hiêron SALLE CENTRALE (ANCIENNEMENT AULA FASTORUM) Avais-je besoin de vous dire que cette salle surpassait les autres ? Oui, puisque vous n'en aviez pas encore franchi le seuil. Vous une fois entrés, c'eut été un pléonasme de ma part. Vous vous en apercevez aussitôt. L'architecte a merveilleusement adapté la construction aux idées si élevées que la société voulait mettre en valeur. L'art ici est bien le sensible au service du supra- sensible. Inspiré par la vérité, il la met en relief, l'impose à l'in- telligence, la grave dans la mémoire. Pas un blason, pas une fresque, une statue, un moindre signe pictural qui ne se rapporte directement au Règne social de J. C. Tout d'abord le regard est attiré par 4 grandes inscriptions (l) qui formulent en bon latin épigraphique, clair et précis, les 4 idées maîtresses de la société et résument la doctrine théorique et pratique du règne social de j. C. En face de la grande entrée on lit, en lettres capitales : A'GNO DIVINO, IN HOSTIA PRESSENTI JURE SUO IMPERIUM COMPETIT IN GENTES UNIVERSAS, , A l'Agneau divin présent dans l'Hostie DE DROIT Appartient l'empire sur toutes les Nations Telle est l'inscription qui résume la Salle du Droit, et dont on trouve un commentaire éloquent dans les cinq écussons qu'elle domine; ces cinq écussons sontxeux des cinq rites Eucha- ristiques : les rites grec, arménien, latin, syro-chaldéen et mozarabe. Aussi bien c'est dans la Sainte Hostie que les diverses liturgies consacrent la présence réelle de Jésus-Christ sur la-terre, avec toutes ses prérogatives royales. N'est-il pas, selon le canon de la liturgie de S* Basile, le TOxjjt.j3aa-t.Xcuc, Chef universel de tous le les Maîtres du monde? Et sur quoi reposé notre foi inébranlable dans les Droits souverains de Jésus-Christ, Victime universelle ? Les chapiteaux des pilastres massifs abandonnent ici leurs vains ornements et (1) Dues au R. P. Zelle précité.
  • 38. Le Hiéron .'""' ,-.. 381 dans leurs cartouches accolés ils. nous crient : (1) Sur l'Écriture Sainte, Sacra Scriptura, sur la traditio christïana, la Tradition chrétienne, (2) sur les S .S. Doctores, les saints Docteurs et Eccle- siae Magisterium, et le Magistère de l'Église. Appuyé sur ces solides fondements, le Christianisme affronte les siècles. Et les siècles viennent un à un apporter au Droit la confirmation des Faits, ainsi que nous l'affirme la seconde ins- cription latine (3). PER ;EVA, INTER POPULOS, HOSTLE DEVINCTOS FACTUM EST AUDIRE CHRISTUM VINCIT, REGNAT, IMPERAT A travers les âges, parmi les peuples voués à l'Hostie, c'est un fait Qu'on entendait : le Christ est vainqueur, Il règne, Il commande. Cinq grandes nations dressent leurs blasons en signe de témoignage des hauts faits que signale leur histoire : ce sont la France, le S1 Empire, la Confédération italienne sous la Tiare papale, l'Angleterre (avant son hérésie), l'Espagne. Ces nations faisant partie de la chrétienté, reconnaissaient la royauté de Jésus-Christ au point qu'empereurs et rois affirmaient tenir leur' puissance de la Miséricorde ou de la Grâce de Dieu « Dei gratia Rex » et l'exercer sous la dépendance du Christ « Christo Jesu régnante ». Les cartouches accolés au-dessus des pilastres nous indiquent que pour tous les savants sans parti pris les preuves de ce fait se trouvent partout : Dans l'Histoire, Historia, Artes, les Arts, Legès, la Législation, Politica, la Politique. En se retournant, face à l'entrée principale'on lit la 3e ins- cription : HISCE IN OEDIBUS STUDIOSIS SERVATUR ILLUSTRATUR ARS SEU NORMA OPTIMI SUE CHRISTO-HOSTIA SOCIETATUM REQIMIN.IS" La synthèse du Musée se développe dans une rigueur logique. Si Jésus-Christ est Roi de droit, Roi de fait, cette affirma-; tion est normale : ' Dans cet édifice, des hommes instruits trouvent prouvés L'art ou la règle du meilleur gouvernement : les sociétés soumises au Christ-Hostie (4) (1) Sur lès 2 premiers cartouches de gauche* (2) Sur les 2 cartouches dé droite. , (3) A droite en tournant le dos à la porte d'entrée; (4) Cette affirmation opposée directement à. l'hérésie actuelle du rationa- lisée sembleun résumé des notables paroles de Léon XIII : « SH'on fait;dépendre ?" jugement de la seule et unique raison humaine le bien et le mal, on supprime '« différencepropre entre lebien et le mal ; le honteux e{ l'honnête ne diffèrent
  • 39. 382 Doctrine Cinq puissances secondaires : la Suisse, la Belgique, k Portugal, le Danemark, et la Hollande dressent leurs 5 blasons, accolés à celui d'un ordre chevaleresque confédéré pour affirmer qu'elles ont du leur prospérité à cette heureuse soumission. L'« Ars magna » du vrai gouvernement consiste à grouper autour du Christ vivant dans l'Hostie par Amour tous les hommes ses sujets, depuis les individus jusqu'aux multitudes constituées en nations. Les cartouches correspondants nous révèlent les moyens d'arriver à ce but enviable par quatre échelons progres- sifs : « Juramenta individua, les serments ou consécrations indi- viduelles, les Pacta Familiarum, les Pactes des Familles, les Foedera Socialia, les Alliances des Sociétés et les Obsequia Na- tionum, Hommages des Nations (1). PACIS RESTAURANDJE PARODII CIVITATIBUS REGNIS DATUM EST PROMISSUM SI IN CHRISTUM HOSTIAM (SUB SIGNO SS. CORDIS) OBSEQUIUM JURETUR Une Promesse a été faite à Paray, aux cités et aux Etats, que la Paix serait restaurée si l'on jurait hommage au Christ-Hostie, (sous le symbole du Sacré-Coeur). Et les divines exigences dont Marguerite-Marie a été la confidente et la propagatrice nous sont rappelées en un texte abrégé par les cartouches et que nous donnons intégralement : « Imago Colatur S.S. Cordis ». Que l'image du Sacré-Coeur soit vénérée. « Vexilla Régis prodeant Christi Hostiae S. S. C. ». Déploiement des étendards du Christ-Hostie Roi (sous le symbole de son Coeur). « Reparatio socialis in Hostlam ». Réparation sociale envers l'Hostie. « Jèsus-Hostia Rex reclametur ». Nouvelle proclamation de la Royauté sociale de Jésus-Hostie sous le symbole de son Sacré-Coeur. Ici le visiteur qui a suivi le magnifique développement du plus en réalité mais seulement dans l'opinion et le jugement de chacun ; ce qui plàit sera permis... Dans les affairespubliques,le pouvoir de commanderse sépare du principe vrai ou naturel auquel il emprunte toutesa puissancepour procurerle bien commun; la loi qui détermine ce qu'il faut faire et éviter est abandonnée aux caprices de la multitude plus nombreuse:.. Dès que l'on répudie le pouvoir de Dieu sur l'homme et sur les sociétéshumaines, la multitude se laissera facile- ment aller à la sédition et aux troubles. Et le frein du devoir et de la conscience n'existant plus, il neresteplus rien que la force qui est bien faible à elletouteseule... Qu'on juge donc et qu'on prononce si de telles doctrines (celles du rationalisme) profitent à la liberté vraie et digne de l'homme, ou si elles n'en sont pas plutôt le renversement et la destruction ? (Libertas t. II, p. 189, Léon XIII.) (1) Nous ferons remarquer que la Société R. S. J. C. faisait parler le ciseau de ses artistes 20 ans avant la grande campagne du P. Matthéo pour l'Introni- sation du Sacré-Coeurdans les Foyers qui, dépassant le but de la Consécration, doit un jour pleinement réaliser le Pacte des Familles; 10 et 20 ans également avant les magnifiques et officielshommages de la Colombie,de l'Espagne et de la Belgique au Sacré-CoeurRoi.