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UNIVERSITE DE NANTES
FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES
MASTER II — DROIT SOCIAL APPROFONDI
2017-2018
LA NEGOCIATION DE BRANCHE :
UN OUTIL DE REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE
EFFICACE ?
Mémoire pour le
Master II — Droit social approfondi
soutenu le 20 septembre 2018
par
Madame Pauline GUIHAL
DIRECTEUR DU MEMOIRE
Monsieur le Professeur Franck HEAS
MEMBRES DU JURY
Monsieur le Professeur Jean-Yves KERBOURC’H
L'université de Nantes n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans ce document ; ces opinions
doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements vont à mon directeur de mémoire : Monsieur le Professeur Franck
Héas. Je le remercie sincèrement pour sa disponibilité et ses conseils précieux tout au long de
l’élaboration de ce mémoire.
Je tiens également à remercier toute l’équipe du Pôle Veille juridique d’ADP-GSI de m’avoir
permis d’effectuer cette année de Master 2 en alternance. Je tiens à remercier tout
particulièrement ma tutrice, Madame Noélie Wininga, pour son temps et sa patience.
Mes ultimes remerciements vont à mes proches ainsi qu’à ma famille dont le soutien m’est cher.
SOMMAIRE
INTRODUCTION ........................................................................................................................6	
PARTIE I. LA NEGOCIATION DE BRANCHE, UN OUTIL TRADITIONNEL MAJEUR DE
REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE.......................................................................16	
CHAPITRE I. L’EXTENSION DES CONVENTIONS ET ACCORDS COLLECTIFS DE TRAVAIL, UN
MECANISME AU SERVICE DE LA REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE ......................17	
CHAPITRE II. LA RESTRUCTURATION DES BRANCHES, UN ENJEU MAJEUR POUR LA
REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE DU MARCHE FRANÇAIS....................................48	
PARTIE II. LA NEGOCIATION DE BRANCHE, UN OUTIL DE REGULATION ECONOMIQUE ET
SOCIALE CONCURRENCE PAR DE NOUVEAUX ESPACES DE (DE)REGULATION .............56	
CHAPITRE I. L’ENTREE EN JEU DE NOUVEAUX NIVEAUX DE NEGOCIATION CONDUISANT A
LA DEREGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE ?.............................................................57	
CHAPITRE II. UNE DECENTRALISATION EN FAVEUR DE LA REGULATION ECONOMIQUE ET
SOCIALE DE BRANCHE.....................................................................................................74	
BIBLIOGRAPHIE .....................................................................................................................83	
TABLE DES MATIERES ...........................................................................................................92
LISTE DES ABREVIATIONS
BTP ............................ Bâtiments et travaux publics
CFDT ......................... Confédération française démocratique du travail
CFE-CGC ................... Confédération française de l’encadrement – Confédération générale
des cadres
CFTC ......................... Confédération française des travailleurs chrétiens
CGT ............................ Confédération générale du travail
CGT-FO ..................... Confédération générale du travail – Force ouvrière
CPPNI ........................ Commission permanente paritaire de négociation et d’interprétation
CSE ............................ Comité social et économique
DARES ...................... Direction de l’animation de la recherche, de l’étude et des statistiques
éd................................. Editions
FNSEA ....................... Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles
GPEC ......................... Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
IDCC .......................... Identifiant de convention collective
JCP S .......................... JurisClasseur Périodique Social (Semaine Juridique)
J.O. ............................. Journal officiel de la République française
OCDE ......................... Organisation de coopération et de développement économiques
PME ........................... Petite et moyenne entreprise
SMIC .......................... Salaire minimum interprofessionnel de croissance
SMIG ......................... Salaire minimum interprofessionnel garanti
TPE ............................ Très petite entreprise
INTRODUCTION
Notre système conventionnel est « traditionnellement fondé sur la négociation de branche. »
Marie-Laure Morin
Le droit des salariés à la négociation collective : principe général du droit,
Editions Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1994.
Introduction
7
« Comme tout système de négociation, la négociation collective qui conduit à
l’énonciation des règles de relations professionnelles au niveau de la branche ne peut
être arbitrairement réduite à la gestion des seuls marchés de l’emploi, en
déconnectant cette fonction des autres régulations économiques et sociales de
branche.
En fait, de façon souvent moins explicite, la négociation de branche remplit également
toute une série de fonctions complémentaires, plus ou moins importantes selon les
branches et c’est l’articulation de ces rôles qui permet de comprendre la structure
stratégique du jeu des acteurs dans chacune des configurations concrètes et
historiques de branche. »
Jean Saglio
« La régulation de branche dans le système français de relations professionnelles »,
Revue Travail et Emploi, n° 47, DARES, éd. La Documentation Française, 1991.
« Sujet classique dans l’étude des systèmes de relations professionnelles et de leur
évolution »1, la négociation de branche impacte à la fois la vie des relations de travail et le
marché économique et social français. Les dimensions économiques et sociales de la matière la
rendent dès lors prédisposée aux analyses circonstanciées. Un certain nombre de publications
s’attardent à cette occasion sur les effets à court terme des différentes réformes de la négociation
collective. Ces observations momentanées peuvent paraître simplistes au regard de la
construction et de l’histoire de la négociation de branche que nous aurons l’occasion d’analyser
tout au long de notre étude.
Tel que nous le constaterons, cette ressource de notre droit du travail qu’est la négociation
de branche doit avant tout sa force à sa construction historique. Ainsi, pour comprendre ce
qu’est la négociation de branche, et plus particulièrement ce qu’est la branche professionnelle,
il est primordial d’étudier le contexte dans lequel cette notion est apparue.
1 JOBERT Annette, ROZENBLATT Patrick, Niveaux et formes pertinentes de la concertation et de la
négociation sociales, Centre d’études de l’emploi France, 1986, p. 1.
Introduction
8
§ Aux fondements de la négociation collective de branche : la formation des premiers
contrats collectifs de travail
Le concept de branche professionnelle s’est développé dans le cadre des négociations
collectives. Cette négociation collective est née spontanément au XIXème siècle afin de
répondre à un besoin de rétablir l’équilibre menacé par la nature du contrat de travail individuel
qui sous-tend un rapport de force entre employeur et salarié. Il s’agissait alors de « canaliser
pacifiquement les revendications ouvrières »2 en passant par la détermination collective d’un
ensemble de règles plus équilibrées que ce qui pouvait résulter de la simple interactivité entre
employeurs et salariés. Cela était d’autant plus nécessaire que les salariés étaient très rarement
en position de négocier le contenu de leur contrat de travail. L’objet initial des accords collectifs
était donc de mettre fin aux conflits locaux qui opposaient patrons et ouvriers, on parlait alors
« d’accords de fin de conflit ». La fonction première de la négociation collective était ainsi
d’apporter la paix sociale au sein des entreprises.
La négociation va permettre de restaurer le déséquilibre de la relation individuelle entre
employeur et salarié par l’intermédiaire du collectif. Les premières négociations collectives ont
eu lieu sans qu’aucun cadre légal ne soit fixé. Elles ont permis de réglementer les conditions de
travail ou bien encore les « tarifs » pratiqués dans certains secteurs spécifiques, tel que dans les
mines. La première et la plus connue de ces négociations tarifaires est la « convention d’Arras »
du 29 novembre 1891 qui est régulièrement consacrée comme étant la première convention
collective française. Elle concernait les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Cet accord, signé
en présence du préfet de département, de cinq représentants d’employeurs et de cinq
représentants d’ouvriers miniers, définit les conditions de travail et le « tarif » qui devront être
appliqués à la majorité des salariés du bassin minier d’Arras.
Les représentants d’ouvriers signataires des premières conventions collectives trouveront
leur légitimité dans la loi du 28 mars 1884, dite loi Waldeck-Rousseau, autorisant la constitution
de groupements pour la défense collective d’intérêts professionnels : ce seront les syndicats3.
Ces syndicats, dotés de la personnalité juridique, vont être autorisés à élaborer ces textes d’un
genre nouveau que sont les conventions collectives de travail.
2 LYON-CAEN Gérard, « Pour une réforme enfin claire et imaginative du droit de la négociation collective »,
Droit social, éd. Dalloz, avril 2003, p. 359.
3 Loi du 21 mars 1884 dite Waldeck-Rousseau relative aux syndicats professionnels, J.O. du 22 mars 1884.
Cette loi abroge la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1971 interdisant tout groupement associatif.
Introduction
9
La loi du 25 mars 19194, votée sous le gouvernement de Georges Clémenceau, a permis
de consacrer la légitimité des accords et conventions collectives de travail conclues en leur
accordant une existence légale. Les conventions collectives seront alors chargées de déterminer
les conditions de travail et les conditions auxquelles doivent satisfaire les contrats individuels
de travail. La loi de 1919 donne naissance à un nouveau foyer de production juridique. Les
accords et conventions collectives de travail trouveront ainsi une base légale. S’agissant de la
distinction entre accord collectif et convention collective, il semble opportun de préciser que
l’accord ne traite que d’un ou plusieurs sujets déterminés, tandis que la convention traite d’un
ensemble de sujets beaucoup plus large se rapportant aux conditions d’emploi, de travail et des
garanties sociales5.
Plus précisément, l’article 31 de la loi définit la convention collective comme étant « un
contrat relatif aux conditions du travail conclu entre, d’une part, les représentants d’un syndicat
professionnel ou de tout autre groupement d’employés et, d’autre part, les représentants d’un
syndicat professionnel ou de tout autre groupement d’employeurs, ou plusieurs employeurs
contractant à titre personnel ou même un seul employeur ». On sera alors en présence de contrats
collectifs soumis aux principes civilistes.
§ L’émergence du concept de branche professionnelle
La notion de branche professionnelle, cœur de notre étude, a été introduite par la loi du
24 juin 19366. Sans revenir sur les dispositions de la loi de 1919, la loi de 1936 transforme la
simple convention collective en une véritable loi de la profession. Cette loi de la profession sera
incarnée par la branche professionnelle, cadre de la légalité des règles conventionnelles
collectives7. Il va s’agir d’agrandir, par le biais du mécanisme dit de l’extension, le champ
d’application d’une convention ou d’un accord collectif.
Alors que la convention collective initiale n’est applicable qu’aux membres qui l’ont
signée, la convention étendue s’imposera à tous les employeurs et salariés qu’elle vise.
4 Loi du 25 mars 1919 relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 28 mars 1919.
5 Article L. 2221-2 du Code du travail.
6 Loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De
la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936.
7 ALIPRANTIS Nikitas, La place de la convention collective dans la hiérarchie des normes, thèse de doctorat,
éd. Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1980, p. 32.
Introduction
10
De ce fait, la branche va regrouper l’ensemble des entreprises appartenant à un même
secteur d’activités qui vont appliquer les conventions collectives signées par elle. On le voit dès
à présent, la notion de branche est polysémique : elle désigne à la fois un processus de création
de normes, un niveau de négociation, le cadre de la légalité des conventions collectives et le
regroupement d’entreprises appartenant à un même secteur d’activité. En tant que niveau de
négociation à part entière, elle est une « composante essentielle du droit français des
conventions collectives »8.
Depuis la loi du 11 février 19509 , on considère que la branche est au centre du système
français de relations professionnelles, elle agit en tant que véritable loi professionnelle. Elle va
avoir une véritable fonction sociale en permettant à toute norme de niveau inférieur d’être plus
favorable que les normes qui lui sont supérieures. La convention collective pourra en effet
« mentionner des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements
en vigueur »10. Progressivement, la négociation de branche va être au cœur des politiques
sociales et salariales et constituer un levier essentiel « d’intermédiation des politiques
publiques »11.
Pour autant, la négociation de branche est une notion difficile à appréhender car elle
regroupe des réalités différentes. En droit du travail, la notion de branche professionnelle est
restée pendant longtemps un concept aux contours abstraits n’étant pas défini par le Code du
travail. Pour certains, il s’agit d’un synonyme inexact de la convention collective, pour d’autres,
elle consiste en une notion économique. Au sens économique du terme, elle désignerait ainsi
plus précisément un « ensemble d’entreprises concourant à une production de biens ou de
services »12.
Cette définition ne précise aucunement les caractéristiques des entreprises qui sont
regroupées dans une branche : selon quels critères sont-elles considérées comme faisant partie
d’un « ensemble d’entreprises » ? De quelle façon les catégories de biens ou de services sont-
8 DELEVALLEE Damien, « La branche professionnelle, une notion historique en voie de définition », JCP S,
n° 51-52, éd. LexisNexis, 27 décembre 2016, p. 1445.
9 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des
conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
10 Article 31 a), alinéa 2 de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux
procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
11 ADAM Patrice, « L’accord de branche », Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1039.
12 CORNU Gérard (2016), Vocabulaire juridique, Presses Universitaires de France (PUF), 11è édition, 1987.
Introduction
11
elles délimitées pour donner naissance à une branche ? La définition économique de la branche
semble difficile à matérialiser.
Dans son acception juridique, la notion est longtemps restée indéfinie. La reconnaissance
juridique de la branche dépasse la vision économique. En 1986, Annette Jobert constatait à juste
titre que « la division par branche et secteur ne renvoie pas uniquement à des différences
économiques mais aussi à une histoire des professions, à des caractéristiques propres du
mouvement syndical et des organisations patronales, à l’existence, au contenu et au champ
d’application des conventions collectives, enfin aux pratiques sociales développées dans la
profession »13.
La nature de la branche serait par conséquent à rechercher dans une histoire et des
pratiques syndicales en perpétuel mouvement. La branche professionnelle s’est en effet
construite spontanément dans la vie des relations collectives instrumentées par une diversité
d’acteurs. Ses fonctions n’ont cessé d’évoluer au fil du temps. En l’absence de toute définition
juridique de la branche, il était jusqu’à un certain temps difficile de la reconnaître. On considère
qu’il s’agit d’un « construit social »14. Enfin, il est délicat de définir la branche en ce qu’elle fût
dans un premier temps confondue avec les accords ou conventions collectives qu’elle couvre.
Elle « est communément comprise en tant qu’elle est le champ d’application d’une règle
conventionnelle »15. Les contours de la branche, produits de la négociation elle-même, évoluent
ainsi en fonction des circonstances. On parle alors de « branche-norme »16.
Petit à petit, le concept s’est élargi. Elle peut désormais à la fois désigner la norme en
elle-même et l’instance qui la compose17. Ceci est particulièrement remarquable depuis
l’instauration de la Commission permanente paritaire de négociation et d’interprétation
(CPPNI), organe chargé de la gouvernance de la branche. La commission a pour objectif
principal de la représenter et de veiller sur les conditions de travail et l’emploi18. La branche
serait alors une entité ayant une institution propre.
13 JOBERT Annette, ROZENBLATT Patrick, Niveaux et formes pertinentes de la concertation et de la
négociation sociales, Centre d’études de l’emploi France, 1986, p. 1.
14 BESUCCO Nathalie, TALLARD Michèle, LOZIER Françoise, Politique contractuelle de formation et
négociation collective de branche, Cahier Travail et Emploi, éd. La Documentation Française, octobre 1998.
15 ADAM Patrice, « L’accord de branche », Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1039.
16 ADAM Patrice, op. cit.
17 BUGADA Alexis, SAURET Alain, « Regards sur la nouvelle gouvernance de la branche », Gazette du
Palais, n° 12, éd. Lextenso, 21 mars 2017, p. 34.
18 Article L. 2232-9 du Code du travail.
Introduction
12
§ Tentatives de définition contemporaine de la branche professionnelle
La première définition de la branche professionnelle dans notre Code du travail a été
introduite par la loi du 8 août 201619. Selon l’article L. 2232-5-1 du Code du travail, dans sa
rédaction initiale, il appartient à la branche de :
- « définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les
entreprises relevant de son champ d'application, notamment en matière de salaires
minimas, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à
l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, de mutualisation des fonds de la
formation professionnelle, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier
de la quatrième partie du présent code et d'égalité professionnelle entre les femmes et
les hommes mentionnée à l'article L. 2241-3 ;
- définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords
d'entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au
niveau de la branche, à l'exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté
de la convention ou de l'accord d'entreprise20 ;
- réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d'application. »
Le dessein de la branche a récemment été remodelé par l’ordonnance n° 2017-1385
relative au renforcement de la négociation collective du 22 septembre 2017, prise dans le cadre
de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 pour le renforcement du dialogue social qui
supprime le deuxième alinéa précédemment cité. La branche se définit désormais comme ayant
pour missions exclusives de définir les conditions d’emploi et de travail des salariés et de
réguler la concurrence entre les entreprises21. Il est par ailleurs précisé que, par défaut, le champ
d’application de la branche est national et qu’il peut être, par exception, local22. Il existe ainsi
19 Article 24 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et
à la sécurisation des parcours professionnels, J.O. du 9 août 2016.
20 Ce second alinéa a été abrogé par l’article 1 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au
renforcement de la négociation collective, J.O. du 23 septembre 2017.
21 Article L. 2232-5-1 dans sa rédaction actuelle.
22 Article L. 2232-5-2 du Code du travail.
Introduction
13
des accords de branche conclus au niveau national, régional, départemental ou local. Le niveau
local vient préciser ou compléter le niveau national. Par ailleurs, l’accord peut être réservé à
une catégorie particulière de travailleurs au sein de la branche. Dans le secteur de la métallurgie
par exemple, il existe une convention exclusivement réservée aux cadres de ce secteur23. On
dénombre une grande variété de conventions et d’accords collectifs de travail organisés selon
la volonté des organisations syndicales qui les ont produits. Dès lors, la négociation de branche
serait « celle qui se déroule au sein d’une branche d’activité dont la délimitation est faite par
les organisations qui négocient, compte tenu de leur représentativité en termes d’activités
économiques »24.
En effet, tout accord ou convention de branche doit nécessairement avoir été signé par un
ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30% des suffrages aux élections
professionnelles et ne pas rencontrer l’opposition d’un ou plusieurs syndicats représentatifs
majoritaires afin d’être valide25. Cette audience de 30% est calculée sur un périmètre constitué
des suffrages exprimés en faveur des seules organisations qui ont atteint le seuil de 8%26 et sont
reconnues représentatives. Il convient également de préciser que la représentativité des
syndicats, calculée tous les quatre ans, est déterminée branche par branche et est publiée par
arrêté. Les résultats d’audience qui sont publiés déterminent le poids des syndicats pour pouvoir
signer un accord de branche ou pour s’y opposer. Ces diverses conditions de validité confèrent
à l’accord collectif une véritable légitimité, vérifiée aussi bien a priori (signature par un seuil
minimal d’organisations représentatives) qu’a posteriori (absence d’opposition).
Enfin, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a également introduit un second alinéa à
l’article L. 2232-5 du Code du travail qui apporte la précision suivante : « […] les termes
23 Convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, IDCC 650
(étendue par arrêté du 27 avril 1973, J.O. du 29 mai 1973).
24 GINSBOURGER Francis, POTEL Jean-Yves, Les pratiques de la négociation de branche, éd. La
Documentation Française, 1987, cité par Jean SAGLIO, in « La régulation de branche dans le système
français de relations professionnelles », Travail et Emploi, n° 47, DARES, éd. La Documentation Française,
1991, p. 31.
25 Article L. 2232-6 du Code du travail.
26 Aux termes de l’article L. 2122-5 du Code du travail, ce seuil de 8% résulte de l’addition des suffrages
exprimés au premier tour des dernières élections des comités sociaux et économiques (anciennement comités
d’entreprise, délégations uniques du personnel ou délégués du personnel) ou, à défaut, des suffrages recueillis
dans le cadre de l’élection TPE (articles L. 2122-10-1 et suivants du Code du travail).
Introduction
14
convention de branche désignent la convention collective, et les accords de branche, les accords
professionnels et les accords interbranches »27.
Au sein de notre étude, nous nous intéresserons plus particulièrement au rôle et aux
missions qu’entendent confier le législateur et les partenaires sociaux à la branche. Chargés de
produire la réglementation applicable à la profession qu’ils représentent, les auteurs des
conventions de branche ont en effet des capacités de régulation et de négociation renforcées.
Cette capacité de « régulation » attribuée aux représentants syndicaux ne peut s’analyser en un
simple pouvoir de réglementation. Selon Gérard Cornu, la réglementation ne serait qu’un mode
de régulation parmi d’autres. La régulation constituerait en une « action économique mi-
directive, mi-corrective d’orientation, d’adaptation et de contrôle exercée par des autorités sur
un marché donné qui […] se caractérise par sa finalité, la flexibilité de ses mécanismes et sa
position à la jointure de l’économie et du droit en tant qu’action régulatrice elle-même soumise
au droit et à un contrôle juridictionnel »28.
La négociation doit aboutir à l’élaboration de règles conjointes co-construites par les
acteurs sociaux à l’issue de concessions réciproques. L’ensemble de ces concessions entraîne
nécessairement une certaine forme de contraintes et d’obligations de part et d’autres. La
régulation désigne ce compromis entre les intérêts des employeurs et des salariés qui aboutit à
« un ensemble de règles générales, acceptables de part et d’autres, et constituant un ensemble
raisonnablement cohérent »29. En tant qu’espace de négociation des conventions et accords
collectifs, la branche fixe un socle de droits et de garanties applicables à tous, donnant lieu à
une régulation des marchés.
La détermination de règles communes à des professions clairement identifiables était à
l’origine motivée par une nécessité de protection des salariés. Ceci serait à l’heure actuelle
nuisible pour la compétitivité des entreprises nationales, du point de vue de l’ouverture des
entreprises à la concurrence internationale. Dans un contexte où l’appel à la flexibilité des
entreprises est croissant, la question est dès lors celle de savoir si ce cadre de négociation est
27 Article 1 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation
collective, J.O. du 23 septembre 2017.
28 CORNU Gérard (2011), Vocabulaire juridique, éd. Presses Universitaires de France, 1987.
29 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne],
octobre 2017, p. 7-8. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-
syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
Introduction
15
toujours un outil de régulation économique et sociale efficace ? L’intérêt de notre recherche
sera porté vers les éléments ayant conduit les branches professionnelles à devenir de véritables
entités régulatrices (Partie I), avant de la resituer dans le contexte actuel de décentralisation de
la négociation collective (Partie II).
16
PARTIE I.
LA NEGOCIATION DE BRANCHE, UN OUTIL TRADITIONNEL
MAJEUR DE REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE
La négociation de branche procède d’une réflexion entre les organisations syndicales
côté employeur et côté salarial en vue d’organiser les conditions et les garanties applicables aux
salariés. Ces avantages collectifs doivent constituer une politique sociale qui répond aux
revendications des salariés. L’aspiration au progrès social par le biais des accords de branche
impliquera de prendre en compte les bouleversements économiques ainsi que les intérêts des
entreprises, sans quoi, l’octroi de conditions favorables et d’avantages ne serait pas
envisageable.
Aux côtés du législateur, les organisations syndicales vont alors se placer en véritables
accompagnateurs des changements économiques. Les premières intentions du pouvoir
législatif, tournées vers la protection du salariat, vont occasionner la naissance du mécanisme
de l’extension. Ce procédé d’un genre nouveau se révélera également d’un grand intérêt pour
la marche des entreprises, puisqu’il permettra l’exercice d’une concurrence sécurisée (Chapitre
1). L’outil de régulation qu’est la branche serait toutefois perfectible, ces dernières étant
invitées à être recomposées pour atteindre une certaine forme de régulation idéale (Chapitre 2).
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
17
CHAPITRE I.
L’EXTENSION DES CONVENTIONS ET ACCORDS COLLECTIFS DE
TRAVAIL, UN MECANISME AU SERVICE DE LA REGULATION
ECONOMIQUE ET SOCIALE
Dans la lignée du principe de l’effet relatif des contrats30, les dispositions des toutes
premières conventions collectives de travail, encadrées par la loi du 25 mars 1919, n’étaient
contraignantes qu’à l’égard des parties contractantes. La force obligatoire de la convention
collective imposait l’appartenance des employeurs aux groupements syndicaux signataires.
Seuls les employeurs adhérant à l’un des syndicats ayant signé l’accord pouvaient être
contraints de l’appliquer.
Cette contrainte était en réalité limitée, puisqu’il était possible pour chaque employeur de
quitter le groupement dont il était membre et d’être ainsi libéré de son obligation de respecter
l’accord31. Les employeurs, peu enclins à se voir imposer des règles collectives au sein de leur
établissement, étaient peu nombreux à être affiliés à des organisations patronales. Le taux de
syndicalisation étant de la sorte très faible à cette époque, ceci nuisait à l’acceptation de la
légitimité des organisations syndicales signataires, aussi bien salariales que patronales.
Saisissant tous les enjeux de la négociation collective et souhaitant redynamiser, encadrer
et donner une portée plus importante au texte de 1919, le Front populaire, sous la présidence de
Léon Blum, signa la loi du 24 juin 1936 relative aux conventions collectives32.
30 Article 1199 du Code civil : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni
demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, […]. »
31 Cette difficulté est aujourd’hui résolue par l’article L. 2262-3 du Code du travail qui dispose que «
l’employeur qui démissionne de l’organisation ou du groupement signataire postérieurement à la signature
de la convention ou de l’accord demeure lié par ces derniers ».
32 Loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De
la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
18
C’est véritablement cette loi de 1936 qui donnera une dimension nouvelle aux accords
collectifs de travail, en ne limitant plus leur application aux seuls signataires. Elle va
« pérenniser la négociation de branche »33. Tous les employeurs catégorisés comme faisant
partie de l’ensemble des entreprises appartenant à une même branche professionnelle vont être
contraints par les accords et les conventions collectives de leur branche d’appartenance. Nous
verrons dans un premier temps que la négociation de branche, en particulier grâce au
mécanisme de l’extension, a une fonction protectrice, puisqu’elle permet de réduire les
inégalités de traitement entre salariés d’une même branche (Section 1). Dans un second temps,
nous verrons quel est son rôle en matière de régulation de la concurrence entre les entreprises
(Section 2).
SECTION I.
L’AMELIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL ET DES GARANTIES SOCIALES
PAR LA PROCEDURE D’EXTENSION
Formule inédite sortant des carcans du droit civil, « l’extension fait glisser la convention
collective dans une nature contractuelle vers une nature règlementaire »34. Elle constitue en ce
sens une innovation majeure de la législation du droit du travail (§1). L’intérêt de ce mode de
production des normes sera de surcroît entretenu par l’ensemble des sujets dont il va pouvoir
s’emparer (§2).
§1. L’ORIGINALITE DU MECANISME D’EXTENSION
Le concept de l’extension est novateur en ce qu’il implique des représentants syndicaux
dans un processus de réglementation applicable à tous les travailleurs. Cette participation
d’acteurs étrangers au corps législatif nécessite cependant que leur légitimité soit reconnue (A).
L’amélioration de la condition ouvrière par ce mécanisme de l’extension reste indéniable. Ceci
est probablement l’une des raisons pour lesquelles ce procédé est autant plébiscité (B).
33 BUGADA Alexis, « La contribution de la loi du 8 août 2016 à la recomposition des branches », JCP S, n°
51-52, éd. LexisNexis, 27 décembre 2016, p. 1442.
34 DIDRY Claude, SALAIS Robert, « Troubles sur les produits d’Etat et écriture des conventions collectives
en 1936 », in JACOB Annie, VERIN Hélène, L’inscription sociale du marché́, Paris, éd. L’Harmattan, 1995,
p. 131.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
19
A. Un mécanisme co-construit
Sans que ne soit pour autant négligée l’implication des rédacteurs des conventions (2), il
y a lieu de souligner que l’impulsion donnée par le législateur en faveur de l’extension des
normes sociales est considérable (1).
1. L’intervention du législateur
Tel que le soulignait le Professeur Michel Despax en 1988, « la protection des salariés –
objectif majeur du droit du travail (et à l’origine le seul) est attendue de l’intervention du
législateur ». La protection des travailleurs, organe vital du droit du travail, est donc en priorité
l’apanage du pouvoir législatif. Une fois ce rôle protecteur rempli, ce sont les salariés, par
l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux, qui seront en charge de créer des normes
complémentaires nécessairement plus favorables que les lois et règlements en vigueur35. C’est
l’objet du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout
travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des
conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Cet énoncé sera concrétisé par la loi du 27 décembre 1968 qui crée la section syndicale
et institue les délégués syndicaux au sein de l’entreprise36. Le principe de détermination
collective sera ensuite renforcé par la loi du 13 juillet 1971 consacrant le droit des salariés à la
négociation collective en tant que principe général du droit37. Ce droit à la négociation collective
peut dès lors s’exercer aussi bien au niveau de la branche que dans les entreprises. Les salariés
sont alors en mesure d’élaborer leurs propres conditions de travail.
Malgré cette mainmise des salariés sur le droit négocié, notre droit conventionnel du
travail français demeure empreint d’encadrement législatif, telles que l’illustrent les lois de
35 Article 31 a), alinéa 2 de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux
procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
36 Loi n° 68-1179 du 27 décembre 1968 relative à l’exercice du droit syndical dans les entreprises, J.O. du 31
décembre 1968.
37 Article 1er
de la loi n° 71-561 du 13 juillet 1971 modifiant certaines dispositions du chapitre IV bis du livre
1er
du code du travail relatives aux conventions collectives de travail ainsi que certains dispositions du titre
II de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 modifiée, relatives à la procédure de médiation.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
20
1936, puis de 195038. La loi du 24 juin 1936 comporte ainsi une spécificité inédite : l’extension.
Avec ce dispositif, le législateur est le premier instigateur et régisseur de l’amélioration des
conditions de travail des salariés.
La législation du travail étant peu développée dans les années 1930, la question de
l’amélioration des conditions de travail par le biais de garanties conventionnelles était
effectivement primordiale. Il va s’agir, avec la loi de 1936, de créer de « véritables chartes
professionnelles » qui doivent « concerner le plus grand nombre de personnes possibles, avoir
le contenu le plus riche possible »39. Les conventions et accords vont alors pouvoir s’appliquer
à tous les salariés d’une branche professionnelle. Véritable instrument de protection des
travailleurs, les accords et conventions de branche deviennent une nouvelle catégorie juridique
de réglementation du droit du travail. La loi de 1936 aurait fait de la branche le « pilier
historique du système français de négociation collective »40. En outre, cette loi a fait naître un
réel engouement pour les conventions collectives puisqu’environ 6 000 conventions ont été
conclues entre 1936 et 194041. Cet engouement pour la branche n’aurait pas pu exister sans la
volonté de ses auteurs, desquels sera exigée une évidente légitimité.
2. La nécessaire légitimité des auteurs de conventions collectives
Pour mener à bien le processus d’harmonisation des conditions de travail au niveau des
professions, les anciens articles 31 va) à 31 vc) du Code du travail prévoient la création d’une
commission mixte réunie à la demande des organisations syndicales. Sans pour autant se
supplanter au législateur, les membres de la commission mixte instaurée par la loi de 1936 sont
devenus de véritables entités régulatrices du marché du travail en France. Certains auteurs
38 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des
conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
39 DESPAX Michel, « La place de la convention d’entreprise dans le système conventionnel », Droit social,
éd. Dalloz, 1988, p. 8.
40 TALLARD Michèle, VINCENT Catherine, « Les branches professionnelles sont-elles toujours un lieu
pertinent de négociation des normes d’emploi ? », Droit social, éd. Dalloz, 2014, p. 212.
41 CHERIOUX Jean, Rapport n° 179 (2003-2004), [en ligne], fait au nom de la commission des affaires
sociales, déposé le 28 janvier 2004. URL : http://www.senat.fr/rap/l03-1792/l03-17921.html (consulté le 16
août 2018).
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
21
parleront alors d’une « institutionnalisation d’acteurs collectifs dans le cadre d’un Etat
national »42.
La commission mixte sera en charge d’élaborer les conventions collectives afin de
« régler les rapports entre employeurs et employés d’une branche d’industrie ou de commerce
déterminée pour une région déterminée ou pour l’ensemble du territoire »43. La délimitation du
périmètre des branches s’en tient alors aux branches du commerce et de l’industrie, principaux
secteurs d’activités de l’époque. Le texte ne donne pas de précision sur les critères permettant
de qualifier une telle branche, faisant ainsi prévaloir la liberté contractuelle des négociateurs.
D’autres professions sont ensuite entrées dans le champ d’application de cette législation
relative aux conventions collectives, telles que les « professions libérales, les offices publics et
ministériels, les personnels des syndicats, des sociétés civiles et des associations » avec la loi
du 30 novembre 1941, puis dans une certaine mesure les professions agricoles et enfin les
travailleurs à domicile et les personnels des caisses d’épargne ordinaires avec la loi du 11 février
195044. Avec cet élargissement du domaine des conventions collectives, l’accord de branche va
constituer la référence commune à toutes les professions.
La loi de 1936 précise par ailleurs que la commission devra être composée des
« représentants des organisations syndicales, patronales et ouvrières, les plus représentatives de
la branche d’industrie ou de commerce de la région considérée ou, dans le cas où il s’agit d’une
convention nationale, pour l’ensemble du territoire »45. Il fallait que l’administration confie la
création de normes professionnelles à des organisations suffisamment compétentes, stables et
surtout qui correspondent à la volonté de la majorité des travailleurs. Le législateur introduit
alors pour la première fois la notion sacralisée de représentativité, sans pour autant en préciser
les contours. La représentativité, gage de légitimité, va conditionner la validité de la procédure
d’extension.
42 SUPIOT Alain, BAAMONDE María Emilia Casas (2016), Au-delà de l’emploi. Les voies d’une vraie
réforme du droit du travail, Synthèse du rapport, éd. Flammarion, 1999.
43 Article 31 va) de la loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du
code du travail : « De la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936.
44 Article 31 de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de
règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
45 Article 31 va) de la loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du
code du travail : « De la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
22
L’administration, prenant appui sur un avis émis par la Cour permanente de justice
internationale46, a défini les premiers critères de représentativité dans une circulaire en date du
17 août 193647. Ce texte prévoit que la représentativité d’une organisation syndicale suppose
que cette dernière ait un nombre d’adhérents suffisant. Ce critère du nombre d’adhérents sera,
s’agissant des organisations de salariés, vérifié à partir du nombre de voix obtenues par ces
dernières aux élections professionnelles. Il faut également que l’organisation soit intègre et que
son indépendance soit garantie. Il fallait se prévenir des manœuvres déloyales que
l’organisation pouvait mettre en œuvre pour accroître fallacieusement son nombre d’adhérents.
Par la suite, la circulaire Parodi de 194548 a identifié un certain nombre de critères plus
précis. L’appréciation du caractère représentatif d’une organisation reposait sur des critères
complémentaires, tels que l’importance des effectifs, les cotisations (il fallait s’assurer que les
cotisations perçues par l’organisation n’étaient pas fictives), mais également l’expérience et
l’ancienneté du syndicat, son indépendance et enfin son attitude patriotique pendant la Seconde
Guerre mondiale. Ce sont ensuite la décision de 194849, complétée par un arrêté de 196650 qui
ont fixé la liste des cinq organisations syndicales de salariés présumées comme étant les plus
représentatives au niveau national. Les cinq organisations ainsi désignées étaient :
- la CGT : confédération générale du travail,
- la CGT-FO : confédération générale du travail-Force ouvrière,
- la CFDT : confédération française démocratique du travail,
- la CFTC : confédération française des travailleurs chrétiens,
- et enfin le syndicat catégoriel de la CGC : confédération générale des cadres.
46 Avis de la Cour permanente de justice internationale du 31 juillet 1922.
47 Circulaire Lebas du 17 août 1936, J.O. du 3 septembre 1936.
48 Circulaire Parodi du 28 mai 1945, J.O. du 28 juin 1945.
49 Décision interministérielle Daniel Mayer - Robert Schumann du 8 avril 1948 relative à la détermination des
organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail, J.O. du 9
avril 1948, p. 3541.
50 Arrêté du 31 mars 1966 relatif à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation
des conventions collectives de travail, J.O. du 2 avril 1966.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
23
Les cas de contentieux, relativement rares, ont permis au juge administratif de rappeler
quels étaient les critères de représentativité permettant à une organisation syndicale de
participer aux réunions des commissions mixtes nationales pour la négociation d’une
convention collective susceptible d’être étendue. Au sein de la branche chimie, la
représentativité de l’organisation Fédération Nationale des Syndicats Indépendants des
Industries Chimiques et Similaires a par exemple pu être évaluée par le juge administratif. Les
juges du Conseil d’Etat se sont alors fondés sur la faiblesse des effectifs de cette organisation
pour décider qu’elle ne « pouvait […] être regardée comme l’une des organisations syndicales
les plus représentatives », et que, par suite, elle ne pouvait être invitée aux réunions de la
commission mixte chargée de modifier la convention nationale des industries chimiques51.
Plus tard, la réforme co-construite de 200852 cherchera à renforcer la légitimité des
organisations historiquement considérées comme représentatives en établissant une liste de sept
critères dont le respect n’est in fine contrôlé qu’en cas de contentieux. Suite à cette loi, la
représentativité des organisations syndicales a été évaluée puis déterminée par arrêté. Ce sont
encore aujourd’hui les cinq organisations citées auparavant qui sont représentatives au niveau
national53. Elles sont censées représenter la majorité des salariés et peuvent s’exprimer en leur
nom. Elles sont légitimes à parler au nom de la profession considérée et vont devenir les
« régulateurs de la profession »54.
La représentativité, jusque-là réservée aux organisations syndicales de salariés est, depuis
2014, également exigée des organisations patronales55. Aucune appréciation a priori de la
représentativité des organisations patronales n’était en effet réalisée jusqu’à cette date. La
légitimité des organisations patronales reposait alors sur des pratiques, des décisions judiciaires
ou administratives, ou encore sur des reconnaissances mutuelles.
51 CE Sect., 26 octobre 1973, Fédération Nationale des Syndicats Indépendants des Industries Chimiques et
Similaires, req. n° 86676 88175, Leb. p. 599 ; Droit social, éd. Dalloz, janvier 1975, p. 40, note Franck
Moderne.
52 Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail,
J.O. du 21 août 2008.
53 Arrêté du 22 juin 2017 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives au niveau
national et interprofessionnel, J.O. du 30 juin 2017, texte n° 33.
54 RUDISCHHAUER Sabine, MACHU Laure, « Entre autonomie des parties et intervention de l’Etat. Droit et
pratique de l’extension des conventions collectives en France et en Allemagne dans l’entre-deux-guerres »,
Revue de droit du travail, éd. Dalloz, 2017, p. 400.
55 Article 29 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la
démocratie sociale, J.O. du 6 mars 2014, texte n° 1.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
24
Pour le Professeur Michel Morand, « le fossé qui s'était creusé depuis 2008 entre
représentativité des organisations syndicales […] et l'appréciation de la représentativité des
organisations patronales, […] devenait intolérable. Le produit, résultant de la négociation des
partenaires sociaux, ne pouvait se concevoir qu'à la condition de la légitimité de ces partenaires
[…] »56. Le législateur a ainsi introduit des critères de représentativité patronale. Cette
représentativité est mesurée, entre autres critères, non pas selon les résultats de l’organisation
aux élections, mais selon le nombre de ses adhérents57. Toute organisation patronale est depuis
lors considérée comme représentative si elle atteint un seuil de 8% d’entreprises adhérentes58.
Ceci conduit les organisations patronales à s’intéresser davantage aux petites entreprises, afin
de compter le maximum d’adhérents. Elles pourront par exemple négocier davantage de
mesures adaptées aux PME pour rester attrayantes auprès d’elles.
Cette légitimité offerte aux organisations signataires des accords par l’intermédiaire du
concept de la représentativité va contribuer à rendre le mécanisme d’extension attractif.
B. Un mécanisme prospère
L’objectif principal de la loi de 1936 était d’étendre l’accès aux garanties et aux avantages
sociaux à tous les salariés des entreprises situées sur un secteur d’activité identique. Pour ce
faire, les accords qui seront élaborés par la commission mixte vont faire l’objet d’une procédure
particulière confiée au ministre du travail. Il sera en charge, par arrêté d’extension59 publié au
J.O., de rendre applicable une convention ou un accord collectif à l’ensemble d’une branche de
commerce ou d’industrie sur un secteur géographique donné, y compris lorsque les entreprises
de ce secteur ne se sont pas impliquées dans les négociations. Dès lors, tous les salariés d’une
entreprise se verront appliquer directement et immédiatement les dispositions de l’accord de
branche étendu, quand bien même l’employeur ne serait pas membre de l’une des organisations
signataires.
56 MORAND Michel, « La légitimité des organisations patronales préalable à la légitimité des accords de
branche », Droit social, n° 2, éd. Dalloz, 9 février 2018, p. 148.
57 Article L. 2152-2 du Code du travail.
58 Ceci est mesuré par l’agrégation du nombre d’entreprises adhérentes compte tenu du nombre de salariés que
comptent ces entreprises.
59 Cet arrêté présente le caractère d’un acte administratif, pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
25
C’est à partir de la loi de 1936 que les conventions et accords de branche vont sortir de
leur « gangue contractuelle » selon la formulation du juriste Paul Durand60. Le mécanisme
d’extension permet dès lors à l’Etat de garantir la couverture conventionnelle d’une très large
majorité de travailleurs. Le principe de généralisation de la norme contractuelle à l’ensemble
de la profession par le biais du mécanisme de l’extension n’est cependant pas né spontanément
en 1936. En effet, cette procédure reprend schématiquement les dispositions figurant dans les
décrets Millerand de 1899. Ces décrets prévoyaient une certaine forme d’institutionnalisation
des négociations collectives puisque l’administration avait pour consigne, lors de la
détermination des salaires réels, de se référer aux salaires conventionnels61.
Pour l’historienne Laure Machu, en 1936, les conventions de branche ne sont « ni un
instrument d’action, ni un outil d’organisation, ni un vecteur de stabilisation ». Elles « semblent
être avant tout un outil de protection »62. La loi de 1936 est en effet venue pallier l’une des
principales critiques apportées à la loi du 25 mars 1919. Tout employeur pouvait jusqu’à la loi
de 1936, se retirer de l’organisation patronale signataire d’un accord et ainsi ne plus appliquer
le texte négocié63. Aux termes de l’ancien article 31 m) du Code du travail « tout groupement
(…) partie à une convention collective de travail conclue, ou prorogée par tacite reconduction,
pour une durée indéterminée, peut à toute époque se dégager en notifiant sa renonciation à
toutes les autres parties, groupements d’employés ou d’employeurs ». L’opportunité d’adhérer
à un syndicat était dès lors très réduite. Ceci sera résolu par la loi du 24 juin 1936.
Il est assez surprenant de voir que, malgré le florilège de réformes qu’a connu la
négociation collective, cette procédure d’extension créée pendant l’entre-deux-guerres a peu
changé. Aujourd’hui, la procédure d’extension des accords collectifs de branche, de ses
avenants ou annexes est quasi-systématique64.
60 DURAND Paul, « Le dualisme de la convention collective », Revue trimestrielle de droit civil, éd. Dalloz,
1939, p. 353.
61 RUDISCHHAUSER Sabine, MACHU Laure, « Entre autonomie des parties et intervention de l’Etat. Droit
et pratique de l’extension des conventions collectives en France et en Allemagne dans l’entre-deux guerres »,
Revue de droit du travail, éd. Dalloz, 2017, p. 400.
62 MACHU Laure, « Front populaire : le temps des négociations collectives », Journal du CNRS, [en ligne], 24
juin 2016. URL : https://lejournal.cnrs.fr/billets/front-populaire-le-temps-des-conventions-collectives
(consulté le 16 août 2018).
63 Ancien article 31 m) du Code du travail.
64 OCDE (2017), « La négociation collective dans un monde du travail en mutation », Chapitre 4 des
Perspectives de l’Emploi de l’OCDE 2017, [en ligne], Paris, éd. OCDE, 1983, p. 155. URL :
http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2017-fr (consulté le 16 août 2018).
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
26
La convention ou l’accord de branche, négociés et conclus au sein de la CPPNI composée
des représentants des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives, peut
être étendue à la demande de l’une des parties signataires de l’accord65.
Pour qu’un accord de branche puisse être valablement étendu, il faut qu’il soit signé par
des organisations syndicales salariales représentant au moins 30% des suffrages et qu’il n’ait
pas fait l’objet d’une opposition d’un ou de plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli la
majorité des suffrages. Si ces conditions sont remplies, la CPPNI émet ensuite un avis sur cette
extension sur lequel le ministre du travail prend ensuite appui pour prononcer ou non
l’extension d’un accord66. Le contrôle opéré intègre à la fois des éléments de droit et « des
considérations d’opportunité sur l’intérêt que présente l’accord pour la branche concernée »67.
En pratique, un très grand nombre de demandes d’extension sont acceptées. Le procédé
de l’extension offre à la très grande majorité de salariés français une protection sociale et un
minima salarial supérieurs à ce que prévoient les dispositions légales. A l’heure actuelle, le
mécanisme d’extension permet à la quasi-totalité des salariés d’être couverts par un accord de
branche, cela même alors que le taux de syndicalisation en France est l’un des plus faibles
d’Europe. Ceci contribue à réduire les inégalités de traitement entre salariés d’un même secteur
d’activité. On estime qu’environ 15,5 millions de salariés français seraient couverts par une
convention collective de branche. Selon les dernières statistiques de la DARES, les branches
qui recouvrent le plus grand effectif de salariés seraient celles du secteur sanitaire ou social, de
la métallurgie ou de la sidérurgie, ou encore du BTP68.
Pour d’autres pays en revanche, la négociation de branche n’offre pas systématiquement
une protection conventionnelle à tous les salariés d’un même secteur d’activité.
65 Environ 80% des accords et conventions collectives de travail font l’objet d’une demande d’extension.
66 Articles L. 2261-15 et suivants du Code du travail.
67 COMBREXELLE Jean-Denis, La négociation collective, le travail et l’emploi, Rapport au premier ministre,
France Stratégie, septembre 2015, p 26.
68 DARES, Portrait statistique des principales conventions collectives de branche en 2015, [en ligne], mars
2018, n° 010. URL : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2018-010.pdf (consulté le 6 septembre
2018).
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
27
C’est notamment le cas en Australie, au Chili, au Danemark ou encore en Irlande où le
mécanisme d’extension est inexistant69. Toutefois, on constate que de plus en plus de pays se
dotent d’un mécanisme similaire en raison du faible taux de syndicalisation, et donc de la
faiblesse du nombre de salariés couverts par des accords collectifs70. Dans ces conditions, seuls
les salariés adhérents à un syndicat signataire d’une convention de branche peuvent en effet se
voir appliquer ses dispositions. Dès lors, comment s’organisent les disparités, au sein d’une
même entreprise, entre salariés bénéficiant des avantages conventionnels et ceux n’en
bénéficiant pas ? On constate en pratique que l’employeur va appliquer uniformément les
dispositions de la convention à l’ensemble des salariés, qu’ils soient syndiqués ou non.
Côté français, le développement du taux de couverture conventionnelle ne se résume pas
seulement au mécanisme de l’extension puisqu’il existe un autre processus, plus récent, dit
d’élargissement des accords collectifs de travail. L’élargissement permet d’étendre de façon
encore plus conséquente les dispositions d’une convention à un secteur qui se trouverait hors
de son champ d’application, mais au sein duquel il existerait une carence ou une absence
d’organisations de salariés et d’employeurs se traduisant par l’impossibilité de conclure un
accord71. L’élargissement d’une convention présuppose que celle-ci soit d’ores et déjà étendue.
C’est donc grâce aux mécanismes d’extension et d’élargissement des conventions collectives
que les salariés vont connaître une amélioration de leurs conditions de travail. Dans cette
perspective, il sera question pour les négociateurs de s’emparer de thèmes de négociation
tournés vers la protection du salariat.
§2. DES THEMES DE NEGOCIATION PROPRES A FAVORISER LE PROGRES SOCIAL
Le progrès social passera avant tout par l’outil majeur de régulation sociale qu’est la
détermination des salaires (A), avant d’être complété par d’autres thèmes de négociation
combinant protection des salariés et accompagnement des politiques publiques (B).
69 OCDE (2017), « La négociation collective dans un monde du travail en mutation », Chapitre 4 des
Perspectives de l’Emploi de l’OCDE 2017, [en ligne], Paris, éd. OCDE, 1983, p. 156. URL :
http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2017-fr (consulté le 16 août 2018).
70 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne],
octobre 2017, p. 20. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-
syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
71 Article L. 2261-17 du Code du travail.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
28
A. L’évolution du rôle de la branche dans la détermination des salaires
C’est donc en premier lieu en intervenant au niveau des salaires que la branche
professionnelle va contribuer de manière consubstantielle à l’amélioration de la condition
ouvrière. Il va s’agir dans un premier temps d’une négociation informelle, qui sera par la suite
corroborée par la loi du 24 juin 1936 (1). Cette initiation sera de surcroît renforcée par
l’instauration d’un salaire minimum légal généralisé à toutes les professions (2).
1. Les premières négociations tarifaires
Au XIXème siècle, le droit du travail français, sous le joug du Code civil, prônait la libre
fixation des salaires. C’est pourquoi, les salaires établis répondaient au « jeu économique de
l’offre et de la demande »72. Ce triomphe de la liberté contractuelle conduisait souvent à la
détermination de « salaires considérés socialement comme trop bas »73. Notons par ailleurs que
le terme « salaire » n’a été utilisé qu’à partir des années 1930, on lui préférait auparavant la
notion de « tarif ». La mission principale des premiers accords et conventions collectives fut
donc d’une part de rétablir la paix sociale entre patrons et ouvriers, et d’autre part de fixer des
minimas salariaux conventionnels. C’est ainsi en premier lieu par le principe d’autonomie
collective74 qu’ont été fixés les premiers salaires minimaux.
Objet des premières négociations de branche, certaines de ces négociations tarifaires ont
eu lieu de manière illégale (avant la reconnaissance légale des conventions collectives par la loi
du 25 mars 191975) et ont pu être homologuées par les préfets ou les maires. La première et la
plus connue d’entre elles est la « convention d’Arras » de 1891.
72 DABOSVILLE Benjamin, « Le salaire minimum légal, la convention collective et le juge », Revue de droit
du travail, éd. Dalloz, 2018, p. 77.
73 DABOSVILLE Benjamin, op. cit.
74 Ce principe d’autonomie collective se définit comme étant « l’aptitude d’un groupe ou d’une organisation à
produire, par des actes ou pratiques internes ou en collaboration avec d’autres groupes ou organisations, un
corps de normes assorti d’un dispositif de règlement des disputes […] [qui] tient sa juridicité de ses
caractéristiques intrinsèques et non de sa reconnaissance ou de sa stimulation par l’ordre juridique étatique
de l’Etat », LE FRIANT Martine, JEAMMAUD Antoine, « Une réforme constitutionnelle, pour quelle
autonomie collective ? », Droits du travail, Emploi, Entreprise, Mélanges en l’honneur du Professeur
François Gaudu, éd. IRJS, 2014, p. 142.
75 Loi du 25 mars 1919 relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 28 mars 1919.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
29
Au sein des branches, les modalités de détermination du salaire minimum ont connu
plusieurs mutations. La loi de 1936 va donner naissance à une « conception étatique » de la
convention collective de travail, au travers d’un encadrement des clauses obligatoires qu’elle
doit contenir76. En effet, le législateur va fixer une liste de thèmes devant nécessairement être
réglés par la convention pour que celle-ci puisse s’appliquer à une branche professionnelle
entière. Si l’un des thèmes cités n’est pas prévu par le texte conventionnel, ce dernier ne peut
pas être qualifié d’accord étendu. La convention étendue doit constituer une charte
professionnelle complète77. La convention collective devait contenir, entre autres, des
dispositions concernant la liberté syndicale, la liberté d’opinion, l’institution de délégués du
personnel et les salaires minima par catégorie et par région78. La loi du 24 juin 1936 prévoyait
que la négociation sur les salaires devait obligatoirement être traitée par la commission mixte
pour que l’accord produit puisse être étendu.
« Clé de voûte de la régulation salariale fordiste, les branches professionnelles ont d’abord
pour rôle de produire une hiérarchie salariale adossée à une grille de classification »79. C’est
ainsi que les classifications de branche sont devenues « la référence légale pour la fixation des
salaires minima de branche »80. Avec l’introduction de ces grilles de classification, le salarié va
être évalué à un certain niveau de qualification qui le situe dans un ordre hiérarchique81. Ce
niveau correspond à un certain salaire minimal fixé par la convention. Au cours de sa carrière,
le salarié pourra voir sa rémunération évoluer suite à une promotion ou encore lors de la
revalorisation des minimas hiérarchiques de la branche.
76 COSTE-FLORET Alfred, « La loi du 24 juin 1936. Vers une « conception étatique » de la convention
collective de travail ? », Revue critique de législation et de jurisprudence, éd. Librairie générale de droit et
de jurisprudence, 1937, p. 195.
77 RODIERE Pierre, « Accord d’entreprise et convention de branche ou interprofessionnelle, négociation
indépendante, subordonnée, articulée », Droit social, éd. Dalloz, 1982, p. 712.
78 Article 31 vc) de la loi du 24 juin 1936.
79 « Salaires et politiques salariales », Liaisons Sociales Quotidien, Le dossier écosoc, n° 187/2012, éd. Wolters
Kluwer, 4 octobre 2012, p. 4.
80 LYON-CAEN Antoine, « Le droit et les classifications », Travail et emploi, n° 38, DARES, éd. La
Documentation Française, 1988, p. 21.
81 EYRAUD François, JOBERT Annette, ROZENBLATT Patrick, TALLARD Michèle, Les classifications
dans l’entreprise : production des hiérarchies professionnelles et salariales, éd. La Documentation
Française, Paris, 1989.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
30
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la loi du 23 décembre 194682 est venue
restreindre la portée des salaires négociés au sein des branches en prévoyant que la négociation
de conventions était de nouveau autorisée, à l’exception des salaires. Il appartenait au ministre
du travail de fixer les salaires pendant l’état de guerre83. L’interventionnisme étatique en matière
de salaire a ainsi peiné à disparaître. Le retour à la liberté de négociation en matière de salaire
sera effectif avec l’article 31 a) de la loi du 11 février 1950 qui viendra autoriser à nouveau la
conclusion d’accords sur les salaires84. On revient alors aux principes de la réglementation de
1936.
Cœur historique des accords collectifs de travail, la détermination des salaires fait partie
des thèmes aux enjeux cruciaux au sein des branches. Jean Saglio affirmait à cet égard que « la
question des salaires est bien évidemment un des domaines habituels où la négociation de
branche est productrice de normes »85 ou bien encore que « les négociations portant sur la
régulation des salaires ont toujours été les négociations clefs »86. Cette détermination de la
rémunération par le principe d’autonomie collective s’est pourtant trouvée circoncise par
l’intervention du législateur, notamment au travers de l’instauration du salaire minimum légal,
contrairement à ce qui a pu se produire dans d’autres pays, tel qu’en Allemagne87.
Dans un premier temps, le besoin de fixer un minimal conventionnel faisait écho à la
carence législative, puisque ce n’est qu’en 1950 que le législateur est intervenu pour fixer ce
salaire minimum légal, plus communément connu sous l’acronyme de SMIG, puis de SMIC88.
82 Loi n° 46-2924 du 23 décembre 1946 relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 25 décembre
1946.
83 Décrets lois du 10 novembre 1939 et du 1er
juin 1940.
84 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des
conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
85 SAGLIO Jean, « La négociation des branches et les petites entreprises », communication préparée pour une
journée DARES, DRT sur les PME [en ligne], 2006, p. 3. URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-
00193206/document (consulté le 16 août 2018).
86 SAGLIO Jean, « Négociations de classifications et régulation salariale dans le système français de relations
professionnelles », Travail et Emploi, n° 38, DARES, éd. La Documentation Française, 1988, p. 53.
87 TALLARD Michèle, VINCENT Catherine, « Les branches professionnelles sont-elles toujours un lieu
pertinent de négociation des normes d’emploi ? », Droit social, éd. Dalloz, 2014, p. 212.
88 Article 31 x de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de
règlement de fin des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
31
2. L’introduction du salaire minimum légal
Le salaire minimal vient fixer la limite inférieure du salaire qui doit être payé à un
travailleur89. L’instauration du salaire minimal légal applicable à l’ensemble des professions va
être une source d’enjeux pour les négociations de branche.
Le SMIC est, depuis 1970, revalorisé chaque premier juillet par une indexation
automatique sur le coût de la vie et sur la moitié de la progression du pouvoir d’achat du salaire
moyen ouvrier90. Ce dispositif n’est toutefois pas totalement inédit. En effet, en 1915, une
première loi portant sur le salaire minimum d’une catégorie de travailleuses particulièrement
oubliées du droit du travail : les ouvrières à domicile dans l’industrie du vêtement ; avait été
votée91. Il s’agissait de la première loi relative aux salaires.
L’instauration du SMIC en 1950 va limiter la marge de manœuvre laissée aux
négociateurs de branche pour négocier le salaire minimal conventionnel, en particulier si celui-
ci est élevé. Ce montant légal minimal correspondra de facto au salaire minimum conventionnel
en bas de la grille des salaires. On constate un double effet de la revalorisation du SMIC : elle
stimule à la fois la négociation salariale de branche, tout en restreignant les marges de
manœuvre dans la négociation des bas salaires92.
L’amélioration de la condition ouvrière par l’introduction des conventions et accords de
branche reste toutefois incontestable. C’est par la conclusion des conventions et accords
collectifs qu’une « amélioration de la loi au profit des salariés »93 va se réaliser. En effet, les
clauses des conventions collectives vont pouvoir être généralisées à l’ensemble des salariés de
89 Circulaire du 25 août 1950 relative à l’application du décret n° 50-1029 du 23 août 1950 portant fixation du
salaire minimum national interprofessionnel garanti, J.O. du 26 août 1950.
90 Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti (SMIG) et création d’un salaire
minimum de croissance (SMIC), J.O. du 4 janvier 1970.
91 AVRANE Colette, « Les ouvrières à domicile en France, de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre
mondiale. Genèse et application de la loi de 1915 sur le salaire minimum dans l’industrie du vêtement »,
Thèse d’histoire contemporaine sous la direction de Christine Bard, Université d’Angers, 2010, Genre &
Histoire, [en ligne], 28 octobre 2011, URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/1182 (consulté le
16 août 2018).
92 « Salaires et politiques salariales », Liaisons Sociales Quotidien, Le dossier écosoc, n° 187/2012, éd. Wolters
Kluwer, 4 octobre 2012.
93 DESPAX Michel, « La place de la convention d’entreprise dans le système conventionnel », Droit social,
éd. Dalloz, 1988, p. 8.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
32
la profession. L’introduction des grilles de classification va permettre de réduire les inégalités
entre travailleurs à travers la rémunération en considération de l’emploi occupé, et non plus en
fonction de l’âge ou du sexe du travailleur.
En pratique, l’introduction du SMIC par la loi de 1950 a eu des effets pervers dans les
années 1960. En effet, dans les branches où la négociation est peu dynamique, le relèvement
annuel du SMIC par les pouvoirs publics a pu rendre certains minimas conventionnels
obsolètes. Ceci est notamment le cas en cas de vieillissement de conventions collectives dont
les classifications sont peu fréquemment renégociées. On constate ainsi qu’en 1976, seules 30%
des conventions collectives prévoyaient un salaire minimum supérieur au SMIC à la même date,
et qu’en 1986 cette proportion est réduite à 5%94. En 1986, le salaire minimal conventionnel
était donc inefficace pour 95% des conventions collectives !
Le mécanisme du salaire minimum légal conduit à ce que « la plupart des branches ont
aujourd’hui un premier coefficient de grille situé au mieux juste au niveau du SMIC »95. Afin
de pallier cette difficulté, le ministre du travail peut inciter les branches à négocier en
provoquant la réunion de commissions mixtes paritaires. La loi du 11 février 1950 précise par
ailleurs que, pour pouvoir être étendue, la convention de branche doit obligatoirement
comporter une clause indiquant le salaire minimal de la profession96.
94 BENVENISTE Corinne, « Les négociations salariales : de la convention collective à l’accord d’entreprise »,
Economie et statistique, [en ligne], n° 199-200, mai-juin 1987, p. 20. URL :
https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1987_num_199_1_5088 (consulté le 16 août 2018).
95 DABOSVILLE Benjamin, « Le salaire minimum légal, la convention collective et le juge », Revue de droit
du travail, éd. Dalloz, 2018, p. 77.
96 Article 31 g de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de
règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950 ; [à ce jour : article L. 2261-22 du Code
du travail].
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
33
D’autre part, la loi Auroux du 13 novembre 1982 rend la négociation sur les salaires
minima hiérarchiques obligatoire, qu’une procédure d’extension soit envisagée ou non. Elle
réactive ainsi la pratique de la négociation au sein des branches, puisque la négociation sur les
salaires minima devient une obligation annuelle97 et celle sur les grilles de classification devient
une obligation quinquennale98. Les conséquences de cette loi sont manifestes puisqu’entre 1981
et 1986, on constatera que la proportion de salariés couverts par un accord ou une convention
collective de branche est passée de 80% à 86%99.
3. La négociation salariale de branche face à la décentralisation de la
négociation collective
L’activité conventionnelle des branches en matière de régulation salariale est assez
hétérogène. On estime qu’en 2008, seule la moitié de l’ensemble des 687 conventions
collectives avaient produit un accord salarial au cours des trois dernières années100. Aujourd’hui,
la négociation salariale de branche reste capitale pour certains secteurs d’activité, tel que celui
du BTP ou encore du pétrole. Elle l’emporte également sur la négociation d’entreprise dans le
secteur de la santé ou de l’action sociale101. De façon encore plus prononcée, les salaires
minimaux conventionnels sont primordiaux dans les branches composées de petites entreprises
où la négociation salariale est rare. Dans le secteur de la métallurgie, les plus grandes entreprises
vont pouvoir porter la négociation et aboutir à ce que les salaires classiquement appliqués dans
les plus grandes industries de la métallurgie se diffusent dans les petites entreprises de la
branche.
97 Depuis l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation
collective, la négociation sur les salaires doit intervenir au moins tous les quatre ans (article L. 2241-1 du
Code du travail).
98 Article L. 132-12 de la loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement
des conflits collectifs du travail, J.O. du 14 novembre 1982.
99 BENVENISTE Corinne, « Les négociations salariales : de la convention collective à l’accord d’entreprise »,
Economie et statistique, [en ligne], n° 199-200, mai-juin 1987, pp. 19-23. URL :
https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1987_num_199_1_5088 (consulté le 16 août 2018).
100 « Salaires et politiques salariales », Liaisons Sociales Quotidien, Le dossier écosoc, n° 187/2012, éd. Wolters
Kluwer, 4 octobre 2012.
101 « Salaires et politiques salariales », op. cit.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
34
Toutefois, tel que le soulignent les deux enseignantes-chercheuses Michèle Tallard et
Catherine Vincent, la logique s’est inversée depuis la décentralisation de la négociation
collective, particulièrement depuis la réforme des lois Auroux créant l’obligation de négocier
sur les salaires et le temps de travail au niveau de l’entreprise102. Depuis lors, les grandes
industries souhaitent maintenir des salaires minimaux conventionnels peu élevés afin de
bénéficier de marges de manœuvre assez souples dans les négociations d’entreprise. On
constate ainsi une « érosion de la branche sous l’effet de la décentralisation de la
négociation vers le niveau de l’entreprise »103.
Ce mouvement va de pair avec une certaine individualisation et une flexibilisation des
salaires104. La transformation des modes de rémunération, par l’introduction de l’épargne
salariale (primes d’intéressement ou de participation, plans d’épargne salariale) ou la
diversification des primes (prime de productivité), va également contribuer à atténuer le rôle de
la régulation de branche. L’impact réel de la progression des salaires conventionnels devient
plus difficile à évaluer. Le poids historique de la branche dans la détermination des salaires
effectifs serait donc à relativiser.
Par ailleurs, le rôle de la branche va bien au-delà de la détermination des salaires. Tel que
l’exposait le rapport de Michel de Virville, « la branche constitue a priori le meilleur niveau de
négocier pour favoriser la conclusion d’accords de qualité, adaptés aux réalités d’un secteur
économique donné et permettant d’harmoniser les conditions de travail entre les entreprises »105.
B. De nouvelles formes de régulation sociale de branche
Selon Gilles Lécuelle, actuel secrétaire confédéral CFE-CGC, la branche ne se résume
pas à une convention collective. Pour lui, la mission principale de la branche est avant tout de
102 Loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs
du travail, J.O. du 14 novembre 1982.
103 TALLARD Michèle, VINCENT Catherine, « Les branches professionnelles sont-elles toujours un lieu
pertinent de négociation des normes d’emploi ? », Droit social, éd. Dalloz, 2014, p. 212.
104 SANDOVAL Véronique, « La régulation des bas salaires en Europe », Economie et statistique, n° 257, Insee,
septembre 1992, p. 57.
105 (DE) VIRVILLE Michel, Pour un code du travail plus efficace, Rapport au ministre des affaires sociales, du
travail et de la solidarité, éd. La Documentation Française, janvier 2004, p. 75.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
35
« définir des politiques sociales et économiques »106, mais il faut pour cela qu’elle soit « dotée
de moyens humains et financiers »107 suffisants. Ces propos illustrent les missions
contemporaines confiées à la branche : adapter les conditions de travail aux spécificités et aux
transformations d’un secteur d’activité et être le moteur du changement social108. Au travers des
conventions collectives, les branches participent en effet à l’énonciation des politiques
économiques et déterminent les conditions d’exercice des activités économiques.
Par différentes réformes, le contenu des négociations obligatoires au sein des branches
s’est étoffé. Ainsi, la loi de 1984109 a par exemple consacré l’obligation pour la branche d’ouvrir
des négociations sur le thème de la formation professionnelle continue. On constate une
importante prise en charge (soutenue par les incitations législatives) par les branches des
questions relatives à la formation professionnelle. La branche a eu un rôle intermédiaire
permettant de véhiculer les politiques publiques de formation. Au fil du temps, l’obligation de
négocier a entendu conférer à la branche un rôle plus large d’anticipation en matière d’emploi110.
La réforme en date du 22 septembre 2017 est venue modifier l’articulation des niveaux
de négociation en précisant plus particulièrement les thèmes dévolus à la branche. Cette
articulation s’opère désormais en trois blocs. En premier lieu, l’article L. 2253-3 du Code du
travail pose un principe général de prévalence de l’accord d’entreprise sur l’accord de
branche111.
Ce n’est qu’en cas de carence de l’accord d’entreprise sur un domaine que l’accord de
branche s’applique. D’un autre côté, certains thèmes, dès lors qu’ils assurent des « garanties au
moins équivalentes » que l’accord d’entreprise, sont chasse gardée de la branche. Il est par
ailleurs précisé que la comparaison entre garanties permettant l’application de la règle
106 DOMERGUE Bernard, « La négociation collective ne doit être qu’une partie des missions de la branche »,
L’Actualité, ActuEL-RH, Editions Législatives, 19 juin 2018.
107 DOMERGUE Bernard, op. cit.
108 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne],
octobre 2017, p. 7-8. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-
syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
109 Loi n° 84-130 du 24 février 1984 dite « loi Rigout » portant réforme de la formation professionnelle continue
et modification corrélative du Code du travail, J.O. du 25 février 1984.
110 CAILLAUD Pascal, « Formation professionnelle continue », Répertoire de droit du travail, éd. Dalloz, juin
2017.
111 Article L. 2253-3 du Code du travail.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
36
d’équivalence doit s’effectuer « par ensemble de garanties se rapportant à la même matière »112.
Pour les treize thèmes de négociation énumérés par l’article L. 2253-1 du Code du travail, la
branche a ainsi le monopole, sans qu’aucune dérogation in pejus ne soit possible113. Dès lors, il
appartient à la branche de s’approprier les questions en fonction des orientations qu’elle
souhaite prendre114. Le champ de compétence de la branche est notamment consacré pour les
salaires minima hiérarchiques, l’organisation du temps de travail, avec le régime d’équivalence
ou encore l’aménagement du temps de travail.
Il s’agit en réalité, pour onze de ces thèmes, d’une réaffirmation du monopole de la
branche. Deux thèmes constituent en revanche des nouveautés : il s’agit des mesures relatives
aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire. A titre
d’exemple, le secteur de la métallurgie s’est d’ores et déjà emparé de ces deux nouveaux thèmes
en signant un accord relatif au contrat à durée déterminée et au contrat de travail temporaire115,
ainsi qu’un accord relatif au contrat de chantier ou d’opération116.
Il s’agira notamment de prévoir des possibilités en matière de renouvellement de contrat
à durée déterminée. Il est par exemple possible de prévoir un délai de carence (correspondant à
la durée minimale à respecter pour la conclusion de deux contrats à durée déterminée successifs)
inférieur à ce que prévoient les dispositions supplétives du Code du travail. Ceci devrait
favoriser la durée d’emploi des salariés en contrat à durée déterminée. L’attribution prioritaire
de ce champ de négociation à la branche doit lui permettre de garantir une uniformité quant aux
conditions d’embauche dans l’ensemble des entreprises dans lesquelles les salariés seront
potentiellement amenés à conclure ce type de contrats.
Pour clore cette répartition entre les divers blocs de compétence, les accords de branche
ont la possibilité de prévoir expressément leur prévalence sur les accords d’entreprise dans
112 Article L. 2253-1 du Code du travail.
113 BELIER Gilles, « Négociation collective : la probable ineffectivité de la réforme », Semaine sociale Lamy,
n° 1790, supplément, éd. Wolters Kluwer, 13 novembre 2017, p. 42.
114 QUINQUETON Patrick, « Les branches professionnelles restent des lieux de négociation sociale », Semaine
sociale Lamy, n° 1790, supplément, éd. Wolters Kluwer, 13 novembre 2017, p. 45.
115 Accord national du 29 juin 2018 relatif au contrat à durée déterminée et contrat de travail temporaire dans la
métallurgie.
116 Accord national du 29 juin 2018 relatif au contrat de chantier ou d’opération dans la métallurgie.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
37
quatre domaines de négociation. Il s’agit en quelque sorte de clauses de verrouillage. Les
matières concernées sont :
- La prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ;
- L’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;
- L’effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et
la valorisation de leur parcours syndical ;
- Les primes pour travaux dangereux ou insalubres117.
Pour ces domaines, il appartient donc à la branche de choisir les domaines qu’elle entend
couvrir en fonction des spécificités économiques du secteur, des métiers ou encore des
besoins118. On se dirige vers une plus grande autonomie laissée à la négociation de branche, apte
à choisir les thèmes qu’elle entend couvrir ainsi que le périmètre concerné. Par ailleurs,
l’ordonnance n° 2017-1385 prévoit que les clauses de verrouillage issues des conventions et
accords de branche antérieures119 peuvent conserver leurs effets pour ces quatre domaines si ces
dernières sont confirmées par avenant avant le 1er
janvier 2019. Selon les termes de Gilles
Auzero, « il s’agit donc, pour les interlocuteurs sociaux de la branche, de réitérer leur volonté
relative à la prévalence de l’acte juridique antérieurement conclu, dans les [quatre] domaines
considérés »120.
On peut toutefois s’interroger sur l’efficacité de cette invitation et sur les disparités que
ces négociations peuvent occasionner entre les différentes branches. De plus, ce rôle régulateur
supposément attribué aux organisations syndicales au sein des branches est à nuancer. Certains
auteurs ont pu se montrer critiques à l’égard de l’authenticité du pouvoir régulateur des
branches. En effet, l’intervention des partenaires sociaux est toujours soutenue et encadrée par
le pouvoir législateur. L’Etat serait perçu comme « l’unique responsable de l’intérêt général »,
auquel seraient soumis les négociateurs121. En souhaitant associer les branches à la politique de
117 Article L. 2253-2 du Code du travail.
118 DOMERGUE Bernard, « La négociation collective ne doit être qu’une partie des missions de la branche »,
L’Actualité, ActuEL-RH, Editions Législatives, 19 juin 2018.
119 Conclues conformément aux dispositions de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation
professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, J.O. du 5 mai 2004.
120 AUZERO Gilles, « Conventions d’entreprise et conventions de branche », Droit social, éd. Dalloz, 2017, p.
1018.
121 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne],
octobre 2017, p. 21. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-
syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
38
formation, le gouvernement s’est orienté vers la construction d’un compromis néo-
corporatiste122. Pour certains, l’Etat n’agirait pas seulement en se servant des organisations
syndicales, mais il aurait recours à un « échange politique ». Les organisations seraient ainsi à
même de prendre des décisions de façon autonome, sans être subordonnées aux directives des
pouvoirs publics123.
Cela étant, cette pratique du dialogue social est ouvertement visible dans la pratique dite
de la « loi négociée » à l’œuvre depuis plusieurs années, et consacrée par l’article 1er
du Code
du travail depuis 2007124. Depuis lors, les réformes portant sur le droit du travail, l’emploi ou la
formation professionnelle envisagées par le gouvernement font au préalable l’objet d’une
consultation des organisations syndicales les plus représentatives au niveau national
interprofessionnel.
Cette consultation permet au législateur de prendre en compte l’intérêt de la collectivité
des travailleurs et des employeurs, représenté à travers les partenaires sociaux, tout en agissant
dans un intérêt prédéfini par les pouvoirs publics. La méthode de co-construction s’illustre
notamment dans l’élaboration de nombreuses réformes telles que celle de la loi pour la liberté
de choisir son avenir professionnel125. Les organisations syndicales ont en effet été invitées à
émettre des propositions tout au long du processus législatif.
Néanmoins, on peut souligner que les organisations restent peu liées aux attentes du
gouvernement en ce qui concerne les orientations prises au sein des branches. Les thèmes de
négociation ainsi que les échéances sont certes rigoureusement prédéfinies, mais la réflexion et
l’élaboration des accords et des conventions sont souvent bien loin des espérances
gouvernementales, tel que nous le démontre le prudent déploiement du processus de
122 BESUCCO Nathalie, TALLARD Michèle, LOZIER Françoise, Politique contractuelle de formation et
négociation collective de branche, Cahier Travail et Emploi, éd. La Documentation Française, octobre 1998.
123 CASELLA Philippe, « Décentralisation de la formation professionnelle. Débats sur les principes et analyse
de la mise en œuvre », Savoirs 2005/3 (n° 9), [en ligne], mars 2005, p. 36. URL :
https://www.cairn.info/revue-savoirs-2005-3-page-9.htm (consulté le 16 août 2018).
124 Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, J.O. du 1er
février 2007, texte n°
4.
125 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, J.O. du 6 septembre
2018, texte n° 1.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
39
regroupement des différentes branches126. On constate que le rôle de la négociation collective
n’est plus seulement orienté vers le progrès social, il tendrait plutôt vers une conciliation des
intérêts particuliers des salariés avec les intérêts économiques des employeurs.
SECTION II.
LA REGULATION DES CONDITIONS DE LA CONCURRENCE PAR LA PROCEDURE
D’EXTENSION
Le mécanisme de l’extension des accords et conventions collectives de travail sera non
seulement profitable pour les salariés, mais aussi, et surtout pour les entreprises. Grâce à
l’extension, toutes les structures doivent appliquer uniformément les mêmes règles. La
régulation de la concurrence était ainsi un des objectifs premiers lors de la création du
mécanisme d’extension (§1). Les dernières réformes renforcent cette place du droit de la
concurrence dans le champ de la négociation collective de branche, tout en organisant sa
maîtrise par les pouvoirs publics (§2).
§1. LE ROLE HABITUEL DE LA BRANCHE EN MATIERE DE REGULATION DE LA
CONCURRENCE
Dans une société majoritairement industrielle en 1936, la branche et, plus
particulièrement le mécanisme de l’extension, a constitué un remède imparable à l’exercice de
pratiques concurrentielles déloyales. Or, cette importance donnée à la branche en matière de
régulation de la concurrence, renforcée par les dernières ordonnances en date du 22 septembre
2017 se ferait au détriment de la protection des salariés. Ce rôle, largement remis en cause,
serait de surcroît inadapté à la concurrence actuelle qui règne entre entreprises ouvertes à un
marché mondialisé.
126 DOMERGUE Bernard, « La négociation collective ne doit être qu’une partie des missions de la branche »,
L’Actualité, ActuEL-RH, Editions Législatives, 19 juin 2018.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
40
« Les branches professionnelles jouent un rôle clef pour rendre plus équitable la
concurrence entre les entreprises d’un même secteur et éviter le dumping social »127. Selon cette
déclaration, la branche professionnelle doit contribuer à la lutte contre le dumping social,
expression désignant, à l’échelle nationale, le fait pour une entreprise de diminuer ses coûts de
production, et donc d’améliorer sa productivité en ayant recours à des pratiques sociales de
moindre coût. Ceci consisterait à « tirer profit de différences de protection sociale et de salaire
pour bénéficier d’avantages dans la concurrence »128.
Ainsi, la branche « joue un rôle de police sociale de la concurrence »129. Le propre de
chaque branche est en effet de regrouper un ensemble d’entreprises qui se trouvent sur le même
marché concurrentiel. La négociation de branche poursuit en ce sens une « fonction d’intérêt
général ». La mission première de la branche a toujours été d’organiser les conditions de la
concurrence entre entreprises d’un même secteur. En effet, en créant des normes communes
applicables aux entreprises couvertes par elle, elle offre des conditions favorables à l’exercice
du jeu de la concurrence entre les entreprises. C’est d’ailleurs ce que relevaient les économistes
britanniques Beatrice et Sydney Webb ayant développé le concept de la négociation collective
au XIXème siècle dans leur théorie relative au mouvement coopératif130.
La procédure d’extension des accords de branche va garantir la stabilité du système de
négociation collective en offrant un degré comparable d’obligations à toutes les entreprises du
secteur. Les conventions collectives vont alors assurer la régulation de la concurrence entre
entreprises en les empêchant de recourir à des « pratiques de concurrence déloyales fondées sur
la réduction des charges sociales »131.
127 Dossier de presse, « Simplifier, négocier, sécuriser : un code du travail pour le XXIe siècle », [en ligne], 4
novembre 2015, p. 4. URL :
https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2015/11/04.11.2015_dossier_de_press
e_-_orientations_du_gouvernement_pour_la_reforme_du_code_du_travail_0.pdf (consulté le 16 août
2016).
128 CHAGNY Muriel, « Les branches professionnelles et la régulation de la concurrence », JCP S, n° 6, éd.
LexisNexis, 13 février 2018, p. 1057.
129 AUZERO Gilles, BAUGARD Dirk, DOCKES Emmanuel, Précis de droit du travail, 31e
édition, éd. Dalloz,
2017, p. 1528.
130 WEBB Beatrice Potter, The Co-operative movement in Great Britain, [en ligne], 1891, p. 218. URL :
https://archive.org/details/cu31924030083921 (consulté le 16 août 2018).
131 « Etude 6 Droit de la négociation collective et droit de la concurrence », Le Lamy négociation collective, éd.
Wolters Kluwer.
Partie I.
La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale
41
Il va s’agir de ne pas impliquer la variable que constituent les salaires dans le jeu de la
concurrence. Dès lors, la concurrence entre entreprises d’un même secteur d’activité, placées
sur un pied d’égalité s’agissant des salaires et des conditions de travail, vont tenter d’améliorer
leur productivité et leur compétitivité par d’autres moyens132. La branche va jouer un rôle sur
le plan économique en permettant une mise en concurrence des entreprises, sans affecter le
capital humain que constitue la main-d’œuvre. La question qui se pose désormais est celle de
savoir si le droit de la concurrence n’occuperait pas une place outrancière dans notre droit du
travail133.
L’article L. 2232-5-1, alinéa 2 du Code du travail prévoit expressément que la branche a
pour mission de réguler la concurrence entre les entreprises. Lors de l’examen du projet de loi
donnant naissance à cet article, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que la définition
prévoyant la mise en œuvre de la régulation de la concurrence par les branches respecte les
principes du droit de la concurrence en ce qu’elle permet d’éviter « toute de forme de dumping
social »134. L’article L. 2232-9 du Code du travail confie concomitamment à la CPPNI une
mission d’intérêt général. Cette nouvelle commission « résulte de la fusion des anciennes
commissions paritaires de négociation et des commissions paritaires d’interprétation »135. Est
ainsi conféré aux partenaires sociaux le rôle de réguler la concurrence dans le souci de l’intérêt
général.
La négociation doit, pour ce faire, se dérouler de manière loyale, c’est là le prérequis
même de toute négociation collective. Ceci marque une véritable évolution : les acteurs de la
branche ne sont plus seulement les garants de l’intérêt collectif, dans le sens de la défense des
intérêts propres de la profession, ils sont également compétents pour la garantie de l’intérêt
général136. « À cette fin, le législateur attribue des compétences et un rôle propres à la
132 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne],
octobre 2017, p. 9. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-
syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
133 CHAGNY Muriel, « Les branches professionnelles et la régulation de la concurrence », JCP S, n° 6, éd.
LexisNexis, 13 février 2018, p. 1057 ; SACHS Tatiana, WOLMARK Cyril, « Les réformes 2017 : quels
principes de composition ? » Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1008.
134 Point 16 de l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles
protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600).
135 BUGADA Alexis, SAURET Alain, « Regards sur la nouvelle gouvernance de la branche », Gazette du
Palais, n° 12, éd. Lextenso, 21 mars 2017, p. 34.
136 SAURET Alain, « Une démarche loyale des branches pour réguler la concurrence professionnelle », Revue
Lamy de la concurrence, n° 66, éd. Wolters Kluwer, 1er
novembre 2017, p. 61.
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La négociation de branche : un outil de régulation économique et social efficace ?

  • 1. UNIVERSITE DE NANTES FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES MASTER II — DROIT SOCIAL APPROFONDI 2017-2018 LA NEGOCIATION DE BRANCHE : UN OUTIL DE REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE EFFICACE ? Mémoire pour le Master II — Droit social approfondi soutenu le 20 septembre 2018 par Madame Pauline GUIHAL DIRECTEUR DU MEMOIRE Monsieur le Professeur Franck HEAS MEMBRES DU JURY Monsieur le Professeur Jean-Yves KERBOURC’H
  • 2. L'université de Nantes n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce document ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
  • 3. REMERCIEMENTS Mes premiers remerciements vont à mon directeur de mémoire : Monsieur le Professeur Franck Héas. Je le remercie sincèrement pour sa disponibilité et ses conseils précieux tout au long de l’élaboration de ce mémoire. Je tiens également à remercier toute l’équipe du Pôle Veille juridique d’ADP-GSI de m’avoir permis d’effectuer cette année de Master 2 en alternance. Je tiens à remercier tout particulièrement ma tutrice, Madame Noélie Wininga, pour son temps et sa patience. Mes ultimes remerciements vont à mes proches ainsi qu’à ma famille dont le soutien m’est cher.
  • 4. SOMMAIRE INTRODUCTION ........................................................................................................................6 PARTIE I. LA NEGOCIATION DE BRANCHE, UN OUTIL TRADITIONNEL MAJEUR DE REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE.......................................................................16 CHAPITRE I. L’EXTENSION DES CONVENTIONS ET ACCORDS COLLECTIFS DE TRAVAIL, UN MECANISME AU SERVICE DE LA REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE ......................17 CHAPITRE II. LA RESTRUCTURATION DES BRANCHES, UN ENJEU MAJEUR POUR LA REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE DU MARCHE FRANÇAIS....................................48 PARTIE II. LA NEGOCIATION DE BRANCHE, UN OUTIL DE REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE CONCURRENCE PAR DE NOUVEAUX ESPACES DE (DE)REGULATION .............56 CHAPITRE I. L’ENTREE EN JEU DE NOUVEAUX NIVEAUX DE NEGOCIATION CONDUISANT A LA DEREGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE ?.............................................................57 CHAPITRE II. UNE DECENTRALISATION EN FAVEUR DE LA REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE DE BRANCHE.....................................................................................................74 BIBLIOGRAPHIE .....................................................................................................................83 TABLE DES MATIERES ...........................................................................................................92
  • 5. LISTE DES ABREVIATIONS BTP ............................ Bâtiments et travaux publics CFDT ......................... Confédération française démocratique du travail CFE-CGC ................... Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres CFTC ......................... Confédération française des travailleurs chrétiens CGT ............................ Confédération générale du travail CGT-FO ..................... Confédération générale du travail – Force ouvrière CPPNI ........................ Commission permanente paritaire de négociation et d’interprétation CSE ............................ Comité social et économique DARES ...................... Direction de l’animation de la recherche, de l’étude et des statistiques éd................................. Editions FNSEA ....................... Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles GPEC ......................... Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences IDCC .......................... Identifiant de convention collective JCP S .......................... JurisClasseur Périodique Social (Semaine Juridique) J.O. ............................. Journal officiel de la République française OCDE ......................... Organisation de coopération et de développement économiques PME ........................... Petite et moyenne entreprise SMIC .......................... Salaire minimum interprofessionnel de croissance SMIG ......................... Salaire minimum interprofessionnel garanti TPE ............................ Très petite entreprise
  • 6. INTRODUCTION Notre système conventionnel est « traditionnellement fondé sur la négociation de branche. » Marie-Laure Morin Le droit des salariés à la négociation collective : principe général du droit, Editions Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1994.
  • 7. Introduction 7 « Comme tout système de négociation, la négociation collective qui conduit à l’énonciation des règles de relations professionnelles au niveau de la branche ne peut être arbitrairement réduite à la gestion des seuls marchés de l’emploi, en déconnectant cette fonction des autres régulations économiques et sociales de branche. En fait, de façon souvent moins explicite, la négociation de branche remplit également toute une série de fonctions complémentaires, plus ou moins importantes selon les branches et c’est l’articulation de ces rôles qui permet de comprendre la structure stratégique du jeu des acteurs dans chacune des configurations concrètes et historiques de branche. » Jean Saglio « La régulation de branche dans le système français de relations professionnelles », Revue Travail et Emploi, n° 47, DARES, éd. La Documentation Française, 1991. « Sujet classique dans l’étude des systèmes de relations professionnelles et de leur évolution »1, la négociation de branche impacte à la fois la vie des relations de travail et le marché économique et social français. Les dimensions économiques et sociales de la matière la rendent dès lors prédisposée aux analyses circonstanciées. Un certain nombre de publications s’attardent à cette occasion sur les effets à court terme des différentes réformes de la négociation collective. Ces observations momentanées peuvent paraître simplistes au regard de la construction et de l’histoire de la négociation de branche que nous aurons l’occasion d’analyser tout au long de notre étude. Tel que nous le constaterons, cette ressource de notre droit du travail qu’est la négociation de branche doit avant tout sa force à sa construction historique. Ainsi, pour comprendre ce qu’est la négociation de branche, et plus particulièrement ce qu’est la branche professionnelle, il est primordial d’étudier le contexte dans lequel cette notion est apparue. 1 JOBERT Annette, ROZENBLATT Patrick, Niveaux et formes pertinentes de la concertation et de la négociation sociales, Centre d’études de l’emploi France, 1986, p. 1.
  • 8. Introduction 8 § Aux fondements de la négociation collective de branche : la formation des premiers contrats collectifs de travail Le concept de branche professionnelle s’est développé dans le cadre des négociations collectives. Cette négociation collective est née spontanément au XIXème siècle afin de répondre à un besoin de rétablir l’équilibre menacé par la nature du contrat de travail individuel qui sous-tend un rapport de force entre employeur et salarié. Il s’agissait alors de « canaliser pacifiquement les revendications ouvrières »2 en passant par la détermination collective d’un ensemble de règles plus équilibrées que ce qui pouvait résulter de la simple interactivité entre employeurs et salariés. Cela était d’autant plus nécessaire que les salariés étaient très rarement en position de négocier le contenu de leur contrat de travail. L’objet initial des accords collectifs était donc de mettre fin aux conflits locaux qui opposaient patrons et ouvriers, on parlait alors « d’accords de fin de conflit ». La fonction première de la négociation collective était ainsi d’apporter la paix sociale au sein des entreprises. La négociation va permettre de restaurer le déséquilibre de la relation individuelle entre employeur et salarié par l’intermédiaire du collectif. Les premières négociations collectives ont eu lieu sans qu’aucun cadre légal ne soit fixé. Elles ont permis de réglementer les conditions de travail ou bien encore les « tarifs » pratiqués dans certains secteurs spécifiques, tel que dans les mines. La première et la plus connue de ces négociations tarifaires est la « convention d’Arras » du 29 novembre 1891 qui est régulièrement consacrée comme étant la première convention collective française. Elle concernait les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Cet accord, signé en présence du préfet de département, de cinq représentants d’employeurs et de cinq représentants d’ouvriers miniers, définit les conditions de travail et le « tarif » qui devront être appliqués à la majorité des salariés du bassin minier d’Arras. Les représentants d’ouvriers signataires des premières conventions collectives trouveront leur légitimité dans la loi du 28 mars 1884, dite loi Waldeck-Rousseau, autorisant la constitution de groupements pour la défense collective d’intérêts professionnels : ce seront les syndicats3. Ces syndicats, dotés de la personnalité juridique, vont être autorisés à élaborer ces textes d’un genre nouveau que sont les conventions collectives de travail. 2 LYON-CAEN Gérard, « Pour une réforme enfin claire et imaginative du droit de la négociation collective », Droit social, éd. Dalloz, avril 2003, p. 359. 3 Loi du 21 mars 1884 dite Waldeck-Rousseau relative aux syndicats professionnels, J.O. du 22 mars 1884. Cette loi abroge la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1971 interdisant tout groupement associatif.
  • 9. Introduction 9 La loi du 25 mars 19194, votée sous le gouvernement de Georges Clémenceau, a permis de consacrer la légitimité des accords et conventions collectives de travail conclues en leur accordant une existence légale. Les conventions collectives seront alors chargées de déterminer les conditions de travail et les conditions auxquelles doivent satisfaire les contrats individuels de travail. La loi de 1919 donne naissance à un nouveau foyer de production juridique. Les accords et conventions collectives de travail trouveront ainsi une base légale. S’agissant de la distinction entre accord collectif et convention collective, il semble opportun de préciser que l’accord ne traite que d’un ou plusieurs sujets déterminés, tandis que la convention traite d’un ensemble de sujets beaucoup plus large se rapportant aux conditions d’emploi, de travail et des garanties sociales5. Plus précisément, l’article 31 de la loi définit la convention collective comme étant « un contrat relatif aux conditions du travail conclu entre, d’une part, les représentants d’un syndicat professionnel ou de tout autre groupement d’employés et, d’autre part, les représentants d’un syndicat professionnel ou de tout autre groupement d’employeurs, ou plusieurs employeurs contractant à titre personnel ou même un seul employeur ». On sera alors en présence de contrats collectifs soumis aux principes civilistes. § L’émergence du concept de branche professionnelle La notion de branche professionnelle, cœur de notre étude, a été introduite par la loi du 24 juin 19366. Sans revenir sur les dispositions de la loi de 1919, la loi de 1936 transforme la simple convention collective en une véritable loi de la profession. Cette loi de la profession sera incarnée par la branche professionnelle, cadre de la légalité des règles conventionnelles collectives7. Il va s’agir d’agrandir, par le biais du mécanisme dit de l’extension, le champ d’application d’une convention ou d’un accord collectif. Alors que la convention collective initiale n’est applicable qu’aux membres qui l’ont signée, la convention étendue s’imposera à tous les employeurs et salariés qu’elle vise. 4 Loi du 25 mars 1919 relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 28 mars 1919. 5 Article L. 2221-2 du Code du travail. 6 Loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936. 7 ALIPRANTIS Nikitas, La place de la convention collective dans la hiérarchie des normes, thèse de doctorat, éd. Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1980, p. 32.
  • 10. Introduction 10 De ce fait, la branche va regrouper l’ensemble des entreprises appartenant à un même secteur d’activités qui vont appliquer les conventions collectives signées par elle. On le voit dès à présent, la notion de branche est polysémique : elle désigne à la fois un processus de création de normes, un niveau de négociation, le cadre de la légalité des conventions collectives et le regroupement d’entreprises appartenant à un même secteur d’activité. En tant que niveau de négociation à part entière, elle est une « composante essentielle du droit français des conventions collectives »8. Depuis la loi du 11 février 19509 , on considère que la branche est au centre du système français de relations professionnelles, elle agit en tant que véritable loi professionnelle. Elle va avoir une véritable fonction sociale en permettant à toute norme de niveau inférieur d’être plus favorable que les normes qui lui sont supérieures. La convention collective pourra en effet « mentionner des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements en vigueur »10. Progressivement, la négociation de branche va être au cœur des politiques sociales et salariales et constituer un levier essentiel « d’intermédiation des politiques publiques »11. Pour autant, la négociation de branche est une notion difficile à appréhender car elle regroupe des réalités différentes. En droit du travail, la notion de branche professionnelle est restée pendant longtemps un concept aux contours abstraits n’étant pas défini par le Code du travail. Pour certains, il s’agit d’un synonyme inexact de la convention collective, pour d’autres, elle consiste en une notion économique. Au sens économique du terme, elle désignerait ainsi plus précisément un « ensemble d’entreprises concourant à une production de biens ou de services »12. Cette définition ne précise aucunement les caractéristiques des entreprises qui sont regroupées dans une branche : selon quels critères sont-elles considérées comme faisant partie d’un « ensemble d’entreprises » ? De quelle façon les catégories de biens ou de services sont- 8 DELEVALLEE Damien, « La branche professionnelle, une notion historique en voie de définition », JCP S, n° 51-52, éd. LexisNexis, 27 décembre 2016, p. 1445. 9 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950. 10 Article 31 a), alinéa 2 de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950. 11 ADAM Patrice, « L’accord de branche », Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1039. 12 CORNU Gérard (2016), Vocabulaire juridique, Presses Universitaires de France (PUF), 11è édition, 1987.
  • 11. Introduction 11 elles délimitées pour donner naissance à une branche ? La définition économique de la branche semble difficile à matérialiser. Dans son acception juridique, la notion est longtemps restée indéfinie. La reconnaissance juridique de la branche dépasse la vision économique. En 1986, Annette Jobert constatait à juste titre que « la division par branche et secteur ne renvoie pas uniquement à des différences économiques mais aussi à une histoire des professions, à des caractéristiques propres du mouvement syndical et des organisations patronales, à l’existence, au contenu et au champ d’application des conventions collectives, enfin aux pratiques sociales développées dans la profession »13. La nature de la branche serait par conséquent à rechercher dans une histoire et des pratiques syndicales en perpétuel mouvement. La branche professionnelle s’est en effet construite spontanément dans la vie des relations collectives instrumentées par une diversité d’acteurs. Ses fonctions n’ont cessé d’évoluer au fil du temps. En l’absence de toute définition juridique de la branche, il était jusqu’à un certain temps difficile de la reconnaître. On considère qu’il s’agit d’un « construit social »14. Enfin, il est délicat de définir la branche en ce qu’elle fût dans un premier temps confondue avec les accords ou conventions collectives qu’elle couvre. Elle « est communément comprise en tant qu’elle est le champ d’application d’une règle conventionnelle »15. Les contours de la branche, produits de la négociation elle-même, évoluent ainsi en fonction des circonstances. On parle alors de « branche-norme »16. Petit à petit, le concept s’est élargi. Elle peut désormais à la fois désigner la norme en elle-même et l’instance qui la compose17. Ceci est particulièrement remarquable depuis l’instauration de la Commission permanente paritaire de négociation et d’interprétation (CPPNI), organe chargé de la gouvernance de la branche. La commission a pour objectif principal de la représenter et de veiller sur les conditions de travail et l’emploi18. La branche serait alors une entité ayant une institution propre. 13 JOBERT Annette, ROZENBLATT Patrick, Niveaux et formes pertinentes de la concertation et de la négociation sociales, Centre d’études de l’emploi France, 1986, p. 1. 14 BESUCCO Nathalie, TALLARD Michèle, LOZIER Françoise, Politique contractuelle de formation et négociation collective de branche, Cahier Travail et Emploi, éd. La Documentation Française, octobre 1998. 15 ADAM Patrice, « L’accord de branche », Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1039. 16 ADAM Patrice, op. cit. 17 BUGADA Alexis, SAURET Alain, « Regards sur la nouvelle gouvernance de la branche », Gazette du Palais, n° 12, éd. Lextenso, 21 mars 2017, p. 34. 18 Article L. 2232-9 du Code du travail.
  • 12. Introduction 12 § Tentatives de définition contemporaine de la branche professionnelle La première définition de la branche professionnelle dans notre Code du travail a été introduite par la loi du 8 août 201619. Selon l’article L. 2232-5-1 du Code du travail, dans sa rédaction initiale, il appartient à la branche de : - « définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les entreprises relevant de son champ d'application, notamment en matière de salaires minimas, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier de la quatrième partie du présent code et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnée à l'article L. 2241-3 ; - définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords d'entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, à l'exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l'accord d'entreprise20 ; - réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d'application. » Le dessein de la branche a récemment été remodelé par l’ordonnance n° 2017-1385 relative au renforcement de la négociation collective du 22 septembre 2017, prise dans le cadre de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 pour le renforcement du dialogue social qui supprime le deuxième alinéa précédemment cité. La branche se définit désormais comme ayant pour missions exclusives de définir les conditions d’emploi et de travail des salariés et de réguler la concurrence entre les entreprises21. Il est par ailleurs précisé que, par défaut, le champ d’application de la branche est national et qu’il peut être, par exception, local22. Il existe ainsi 19 Article 24 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, J.O. du 9 août 2016. 20 Ce second alinéa a été abrogé par l’article 1 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, J.O. du 23 septembre 2017. 21 Article L. 2232-5-1 dans sa rédaction actuelle. 22 Article L. 2232-5-2 du Code du travail.
  • 13. Introduction 13 des accords de branche conclus au niveau national, régional, départemental ou local. Le niveau local vient préciser ou compléter le niveau national. Par ailleurs, l’accord peut être réservé à une catégorie particulière de travailleurs au sein de la branche. Dans le secteur de la métallurgie par exemple, il existe une convention exclusivement réservée aux cadres de ce secteur23. On dénombre une grande variété de conventions et d’accords collectifs de travail organisés selon la volonté des organisations syndicales qui les ont produits. Dès lors, la négociation de branche serait « celle qui se déroule au sein d’une branche d’activité dont la délimitation est faite par les organisations qui négocient, compte tenu de leur représentativité en termes d’activités économiques »24. En effet, tout accord ou convention de branche doit nécessairement avoir été signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30% des suffrages aux élections professionnelles et ne pas rencontrer l’opposition d’un ou plusieurs syndicats représentatifs majoritaires afin d’être valide25. Cette audience de 30% est calculée sur un périmètre constitué des suffrages exprimés en faveur des seules organisations qui ont atteint le seuil de 8%26 et sont reconnues représentatives. Il convient également de préciser que la représentativité des syndicats, calculée tous les quatre ans, est déterminée branche par branche et est publiée par arrêté. Les résultats d’audience qui sont publiés déterminent le poids des syndicats pour pouvoir signer un accord de branche ou pour s’y opposer. Ces diverses conditions de validité confèrent à l’accord collectif une véritable légitimité, vérifiée aussi bien a priori (signature par un seuil minimal d’organisations représentatives) qu’a posteriori (absence d’opposition). Enfin, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a également introduit un second alinéa à l’article L. 2232-5 du Code du travail qui apporte la précision suivante : « […] les termes 23 Convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, IDCC 650 (étendue par arrêté du 27 avril 1973, J.O. du 29 mai 1973). 24 GINSBOURGER Francis, POTEL Jean-Yves, Les pratiques de la négociation de branche, éd. La Documentation Française, 1987, cité par Jean SAGLIO, in « La régulation de branche dans le système français de relations professionnelles », Travail et Emploi, n° 47, DARES, éd. La Documentation Française, 1991, p. 31. 25 Article L. 2232-6 du Code du travail. 26 Aux termes de l’article L. 2122-5 du Code du travail, ce seuil de 8% résulte de l’addition des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des comités sociaux et économiques (anciennement comités d’entreprise, délégations uniques du personnel ou délégués du personnel) ou, à défaut, des suffrages recueillis dans le cadre de l’élection TPE (articles L. 2122-10-1 et suivants du Code du travail).
  • 14. Introduction 14 convention de branche désignent la convention collective, et les accords de branche, les accords professionnels et les accords interbranches »27. Au sein de notre étude, nous nous intéresserons plus particulièrement au rôle et aux missions qu’entendent confier le législateur et les partenaires sociaux à la branche. Chargés de produire la réglementation applicable à la profession qu’ils représentent, les auteurs des conventions de branche ont en effet des capacités de régulation et de négociation renforcées. Cette capacité de « régulation » attribuée aux représentants syndicaux ne peut s’analyser en un simple pouvoir de réglementation. Selon Gérard Cornu, la réglementation ne serait qu’un mode de régulation parmi d’autres. La régulation constituerait en une « action économique mi- directive, mi-corrective d’orientation, d’adaptation et de contrôle exercée par des autorités sur un marché donné qui […] se caractérise par sa finalité, la flexibilité de ses mécanismes et sa position à la jointure de l’économie et du droit en tant qu’action régulatrice elle-même soumise au droit et à un contrôle juridictionnel »28. La négociation doit aboutir à l’élaboration de règles conjointes co-construites par les acteurs sociaux à l’issue de concessions réciproques. L’ensemble de ces concessions entraîne nécessairement une certaine forme de contraintes et d’obligations de part et d’autres. La régulation désigne ce compromis entre les intérêts des employeurs et des salariés qui aboutit à « un ensemble de règles générales, acceptables de part et d’autres, et constituant un ensemble raisonnablement cohérent »29. En tant qu’espace de négociation des conventions et accords collectifs, la branche fixe un socle de droits et de garanties applicables à tous, donnant lieu à une régulation des marchés. La détermination de règles communes à des professions clairement identifiables était à l’origine motivée par une nécessité de protection des salariés. Ceci serait à l’heure actuelle nuisible pour la compétitivité des entreprises nationales, du point de vue de l’ouverture des entreprises à la concurrence internationale. Dans un contexte où l’appel à la flexibilité des entreprises est croissant, la question est dès lors celle de savoir si ce cadre de négociation est 27 Article 1 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, J.O. du 23 septembre 2017. 28 CORNU Gérard (2011), Vocabulaire juridique, éd. Presses Universitaires de France, 1987. 29 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne], octobre 2017, p. 7-8. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations- syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
  • 15. Introduction 15 toujours un outil de régulation économique et sociale efficace ? L’intérêt de notre recherche sera porté vers les éléments ayant conduit les branches professionnelles à devenir de véritables entités régulatrices (Partie I), avant de la resituer dans le contexte actuel de décentralisation de la négociation collective (Partie II).
  • 16. 16 PARTIE I. LA NEGOCIATION DE BRANCHE, UN OUTIL TRADITIONNEL MAJEUR DE REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE La négociation de branche procède d’une réflexion entre les organisations syndicales côté employeur et côté salarial en vue d’organiser les conditions et les garanties applicables aux salariés. Ces avantages collectifs doivent constituer une politique sociale qui répond aux revendications des salariés. L’aspiration au progrès social par le biais des accords de branche impliquera de prendre en compte les bouleversements économiques ainsi que les intérêts des entreprises, sans quoi, l’octroi de conditions favorables et d’avantages ne serait pas envisageable. Aux côtés du législateur, les organisations syndicales vont alors se placer en véritables accompagnateurs des changements économiques. Les premières intentions du pouvoir législatif, tournées vers la protection du salariat, vont occasionner la naissance du mécanisme de l’extension. Ce procédé d’un genre nouveau se révélera également d’un grand intérêt pour la marche des entreprises, puisqu’il permettra l’exercice d’une concurrence sécurisée (Chapitre 1). L’outil de régulation qu’est la branche serait toutefois perfectible, ces dernières étant invitées à être recomposées pour atteindre une certaine forme de régulation idéale (Chapitre 2).
  • 17. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 17 CHAPITRE I. L’EXTENSION DES CONVENTIONS ET ACCORDS COLLECTIFS DE TRAVAIL, UN MECANISME AU SERVICE DE LA REGULATION ECONOMIQUE ET SOCIALE Dans la lignée du principe de l’effet relatif des contrats30, les dispositions des toutes premières conventions collectives de travail, encadrées par la loi du 25 mars 1919, n’étaient contraignantes qu’à l’égard des parties contractantes. La force obligatoire de la convention collective imposait l’appartenance des employeurs aux groupements syndicaux signataires. Seuls les employeurs adhérant à l’un des syndicats ayant signé l’accord pouvaient être contraints de l’appliquer. Cette contrainte était en réalité limitée, puisqu’il était possible pour chaque employeur de quitter le groupement dont il était membre et d’être ainsi libéré de son obligation de respecter l’accord31. Les employeurs, peu enclins à se voir imposer des règles collectives au sein de leur établissement, étaient peu nombreux à être affiliés à des organisations patronales. Le taux de syndicalisation étant de la sorte très faible à cette époque, ceci nuisait à l’acceptation de la légitimité des organisations syndicales signataires, aussi bien salariales que patronales. Saisissant tous les enjeux de la négociation collective et souhaitant redynamiser, encadrer et donner une portée plus importante au texte de 1919, le Front populaire, sous la présidence de Léon Blum, signa la loi du 24 juin 1936 relative aux conventions collectives32. 30 Article 1199 du Code civil : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, […]. » 31 Cette difficulté est aujourd’hui résolue par l’article L. 2262-3 du Code du travail qui dispose que « l’employeur qui démissionne de l’organisation ou du groupement signataire postérieurement à la signature de la convention ou de l’accord demeure lié par ces derniers ». 32 Loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936.
  • 18. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 18 C’est véritablement cette loi de 1936 qui donnera une dimension nouvelle aux accords collectifs de travail, en ne limitant plus leur application aux seuls signataires. Elle va « pérenniser la négociation de branche »33. Tous les employeurs catégorisés comme faisant partie de l’ensemble des entreprises appartenant à une même branche professionnelle vont être contraints par les accords et les conventions collectives de leur branche d’appartenance. Nous verrons dans un premier temps que la négociation de branche, en particulier grâce au mécanisme de l’extension, a une fonction protectrice, puisqu’elle permet de réduire les inégalités de traitement entre salariés d’une même branche (Section 1). Dans un second temps, nous verrons quel est son rôle en matière de régulation de la concurrence entre les entreprises (Section 2). SECTION I. L’AMELIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL ET DES GARANTIES SOCIALES PAR LA PROCEDURE D’EXTENSION Formule inédite sortant des carcans du droit civil, « l’extension fait glisser la convention collective dans une nature contractuelle vers une nature règlementaire »34. Elle constitue en ce sens une innovation majeure de la législation du droit du travail (§1). L’intérêt de ce mode de production des normes sera de surcroît entretenu par l’ensemble des sujets dont il va pouvoir s’emparer (§2). §1. L’ORIGINALITE DU MECANISME D’EXTENSION Le concept de l’extension est novateur en ce qu’il implique des représentants syndicaux dans un processus de réglementation applicable à tous les travailleurs. Cette participation d’acteurs étrangers au corps législatif nécessite cependant que leur légitimité soit reconnue (A). L’amélioration de la condition ouvrière par ce mécanisme de l’extension reste indéniable. Ceci est probablement l’une des raisons pour lesquelles ce procédé est autant plébiscité (B). 33 BUGADA Alexis, « La contribution de la loi du 8 août 2016 à la recomposition des branches », JCP S, n° 51-52, éd. LexisNexis, 27 décembre 2016, p. 1442. 34 DIDRY Claude, SALAIS Robert, « Troubles sur les produits d’Etat et écriture des conventions collectives en 1936 », in JACOB Annie, VERIN Hélène, L’inscription sociale du marché́, Paris, éd. L’Harmattan, 1995, p. 131.
  • 19. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 19 A. Un mécanisme co-construit Sans que ne soit pour autant négligée l’implication des rédacteurs des conventions (2), il y a lieu de souligner que l’impulsion donnée par le législateur en faveur de l’extension des normes sociales est considérable (1). 1. L’intervention du législateur Tel que le soulignait le Professeur Michel Despax en 1988, « la protection des salariés – objectif majeur du droit du travail (et à l’origine le seul) est attendue de l’intervention du législateur ». La protection des travailleurs, organe vital du droit du travail, est donc en priorité l’apanage du pouvoir législatif. Une fois ce rôle protecteur rempli, ce sont les salariés, par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux, qui seront en charge de créer des normes complémentaires nécessairement plus favorables que les lois et règlements en vigueur35. C’est l’objet du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Cet énoncé sera concrétisé par la loi du 27 décembre 1968 qui crée la section syndicale et institue les délégués syndicaux au sein de l’entreprise36. Le principe de détermination collective sera ensuite renforcé par la loi du 13 juillet 1971 consacrant le droit des salariés à la négociation collective en tant que principe général du droit37. Ce droit à la négociation collective peut dès lors s’exercer aussi bien au niveau de la branche que dans les entreprises. Les salariés sont alors en mesure d’élaborer leurs propres conditions de travail. Malgré cette mainmise des salariés sur le droit négocié, notre droit conventionnel du travail français demeure empreint d’encadrement législatif, telles que l’illustrent les lois de 35 Article 31 a), alinéa 2 de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950. 36 Loi n° 68-1179 du 27 décembre 1968 relative à l’exercice du droit syndical dans les entreprises, J.O. du 31 décembre 1968. 37 Article 1er de la loi n° 71-561 du 13 juillet 1971 modifiant certaines dispositions du chapitre IV bis du livre 1er du code du travail relatives aux conventions collectives de travail ainsi que certains dispositions du titre II de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 modifiée, relatives à la procédure de médiation.
  • 20. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 20 1936, puis de 195038. La loi du 24 juin 1936 comporte ainsi une spécificité inédite : l’extension. Avec ce dispositif, le législateur est le premier instigateur et régisseur de l’amélioration des conditions de travail des salariés. La législation du travail étant peu développée dans les années 1930, la question de l’amélioration des conditions de travail par le biais de garanties conventionnelles était effectivement primordiale. Il va s’agir, avec la loi de 1936, de créer de « véritables chartes professionnelles » qui doivent « concerner le plus grand nombre de personnes possibles, avoir le contenu le plus riche possible »39. Les conventions et accords vont alors pouvoir s’appliquer à tous les salariés d’une branche professionnelle. Véritable instrument de protection des travailleurs, les accords et conventions de branche deviennent une nouvelle catégorie juridique de réglementation du droit du travail. La loi de 1936 aurait fait de la branche le « pilier historique du système français de négociation collective »40. En outre, cette loi a fait naître un réel engouement pour les conventions collectives puisqu’environ 6 000 conventions ont été conclues entre 1936 et 194041. Cet engouement pour la branche n’aurait pas pu exister sans la volonté de ses auteurs, desquels sera exigée une évidente légitimité. 2. La nécessaire légitimité des auteurs de conventions collectives Pour mener à bien le processus d’harmonisation des conditions de travail au niveau des professions, les anciens articles 31 va) à 31 vc) du Code du travail prévoient la création d’une commission mixte réunie à la demande des organisations syndicales. Sans pour autant se supplanter au législateur, les membres de la commission mixte instaurée par la loi de 1936 sont devenus de véritables entités régulatrices du marché du travail en France. Certains auteurs 38 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950. 39 DESPAX Michel, « La place de la convention d’entreprise dans le système conventionnel », Droit social, éd. Dalloz, 1988, p. 8. 40 TALLARD Michèle, VINCENT Catherine, « Les branches professionnelles sont-elles toujours un lieu pertinent de négociation des normes d’emploi ? », Droit social, éd. Dalloz, 2014, p. 212. 41 CHERIOUX Jean, Rapport n° 179 (2003-2004), [en ligne], fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 janvier 2004. URL : http://www.senat.fr/rap/l03-1792/l03-17921.html (consulté le 16 août 2018).
  • 21. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 21 parleront alors d’une « institutionnalisation d’acteurs collectifs dans le cadre d’un Etat national »42. La commission mixte sera en charge d’élaborer les conventions collectives afin de « régler les rapports entre employeurs et employés d’une branche d’industrie ou de commerce déterminée pour une région déterminée ou pour l’ensemble du territoire »43. La délimitation du périmètre des branches s’en tient alors aux branches du commerce et de l’industrie, principaux secteurs d’activités de l’époque. Le texte ne donne pas de précision sur les critères permettant de qualifier une telle branche, faisant ainsi prévaloir la liberté contractuelle des négociateurs. D’autres professions sont ensuite entrées dans le champ d’application de cette législation relative aux conventions collectives, telles que les « professions libérales, les offices publics et ministériels, les personnels des syndicats, des sociétés civiles et des associations » avec la loi du 30 novembre 1941, puis dans une certaine mesure les professions agricoles et enfin les travailleurs à domicile et les personnels des caisses d’épargne ordinaires avec la loi du 11 février 195044. Avec cet élargissement du domaine des conventions collectives, l’accord de branche va constituer la référence commune à toutes les professions. La loi de 1936 précise par ailleurs que la commission devra être composée des « représentants des organisations syndicales, patronales et ouvrières, les plus représentatives de la branche d’industrie ou de commerce de la région considérée ou, dans le cas où il s’agit d’une convention nationale, pour l’ensemble du territoire »45. Il fallait que l’administration confie la création de normes professionnelles à des organisations suffisamment compétentes, stables et surtout qui correspondent à la volonté de la majorité des travailleurs. Le législateur introduit alors pour la première fois la notion sacralisée de représentativité, sans pour autant en préciser les contours. La représentativité, gage de légitimité, va conditionner la validité de la procédure d’extension. 42 SUPIOT Alain, BAAMONDE María Emilia Casas (2016), Au-delà de l’emploi. Les voies d’une vraie réforme du droit du travail, Synthèse du rapport, éd. Flammarion, 1999. 43 Article 31 va) de la loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936. 44 Article 31 de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950. 45 Article 31 va) de la loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De la convention collective de travail », J.O. du 26 juin 1936.
  • 22. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 22 L’administration, prenant appui sur un avis émis par la Cour permanente de justice internationale46, a défini les premiers critères de représentativité dans une circulaire en date du 17 août 193647. Ce texte prévoit que la représentativité d’une organisation syndicale suppose que cette dernière ait un nombre d’adhérents suffisant. Ce critère du nombre d’adhérents sera, s’agissant des organisations de salariés, vérifié à partir du nombre de voix obtenues par ces dernières aux élections professionnelles. Il faut également que l’organisation soit intègre et que son indépendance soit garantie. Il fallait se prévenir des manœuvres déloyales que l’organisation pouvait mettre en œuvre pour accroître fallacieusement son nombre d’adhérents. Par la suite, la circulaire Parodi de 194548 a identifié un certain nombre de critères plus précis. L’appréciation du caractère représentatif d’une organisation reposait sur des critères complémentaires, tels que l’importance des effectifs, les cotisations (il fallait s’assurer que les cotisations perçues par l’organisation n’étaient pas fictives), mais également l’expérience et l’ancienneté du syndicat, son indépendance et enfin son attitude patriotique pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont ensuite la décision de 194849, complétée par un arrêté de 196650 qui ont fixé la liste des cinq organisations syndicales de salariés présumées comme étant les plus représentatives au niveau national. Les cinq organisations ainsi désignées étaient : - la CGT : confédération générale du travail, - la CGT-FO : confédération générale du travail-Force ouvrière, - la CFDT : confédération française démocratique du travail, - la CFTC : confédération française des travailleurs chrétiens, - et enfin le syndicat catégoriel de la CGC : confédération générale des cadres. 46 Avis de la Cour permanente de justice internationale du 31 juillet 1922. 47 Circulaire Lebas du 17 août 1936, J.O. du 3 septembre 1936. 48 Circulaire Parodi du 28 mai 1945, J.O. du 28 juin 1945. 49 Décision interministérielle Daniel Mayer - Robert Schumann du 8 avril 1948 relative à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail, J.O. du 9 avril 1948, p. 3541. 50 Arrêté du 31 mars 1966 relatif à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail, J.O. du 2 avril 1966.
  • 23. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 23 Les cas de contentieux, relativement rares, ont permis au juge administratif de rappeler quels étaient les critères de représentativité permettant à une organisation syndicale de participer aux réunions des commissions mixtes nationales pour la négociation d’une convention collective susceptible d’être étendue. Au sein de la branche chimie, la représentativité de l’organisation Fédération Nationale des Syndicats Indépendants des Industries Chimiques et Similaires a par exemple pu être évaluée par le juge administratif. Les juges du Conseil d’Etat se sont alors fondés sur la faiblesse des effectifs de cette organisation pour décider qu’elle ne « pouvait […] être regardée comme l’une des organisations syndicales les plus représentatives », et que, par suite, elle ne pouvait être invitée aux réunions de la commission mixte chargée de modifier la convention nationale des industries chimiques51. Plus tard, la réforme co-construite de 200852 cherchera à renforcer la légitimité des organisations historiquement considérées comme représentatives en établissant une liste de sept critères dont le respect n’est in fine contrôlé qu’en cas de contentieux. Suite à cette loi, la représentativité des organisations syndicales a été évaluée puis déterminée par arrêté. Ce sont encore aujourd’hui les cinq organisations citées auparavant qui sont représentatives au niveau national53. Elles sont censées représenter la majorité des salariés et peuvent s’exprimer en leur nom. Elles sont légitimes à parler au nom de la profession considérée et vont devenir les « régulateurs de la profession »54. La représentativité, jusque-là réservée aux organisations syndicales de salariés est, depuis 2014, également exigée des organisations patronales55. Aucune appréciation a priori de la représentativité des organisations patronales n’était en effet réalisée jusqu’à cette date. La légitimité des organisations patronales reposait alors sur des pratiques, des décisions judiciaires ou administratives, ou encore sur des reconnaissances mutuelles. 51 CE Sect., 26 octobre 1973, Fédération Nationale des Syndicats Indépendants des Industries Chimiques et Similaires, req. n° 86676 88175, Leb. p. 599 ; Droit social, éd. Dalloz, janvier 1975, p. 40, note Franck Moderne. 52 Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, J.O. du 21 août 2008. 53 Arrêté du 22 juin 2017 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel, J.O. du 30 juin 2017, texte n° 33. 54 RUDISCHHAUER Sabine, MACHU Laure, « Entre autonomie des parties et intervention de l’Etat. Droit et pratique de l’extension des conventions collectives en France et en Allemagne dans l’entre-deux-guerres », Revue de droit du travail, éd. Dalloz, 2017, p. 400. 55 Article 29 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, J.O. du 6 mars 2014, texte n° 1.
  • 24. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 24 Pour le Professeur Michel Morand, « le fossé qui s'était creusé depuis 2008 entre représentativité des organisations syndicales […] et l'appréciation de la représentativité des organisations patronales, […] devenait intolérable. Le produit, résultant de la négociation des partenaires sociaux, ne pouvait se concevoir qu'à la condition de la légitimité de ces partenaires […] »56. Le législateur a ainsi introduit des critères de représentativité patronale. Cette représentativité est mesurée, entre autres critères, non pas selon les résultats de l’organisation aux élections, mais selon le nombre de ses adhérents57. Toute organisation patronale est depuis lors considérée comme représentative si elle atteint un seuil de 8% d’entreprises adhérentes58. Ceci conduit les organisations patronales à s’intéresser davantage aux petites entreprises, afin de compter le maximum d’adhérents. Elles pourront par exemple négocier davantage de mesures adaptées aux PME pour rester attrayantes auprès d’elles. Cette légitimité offerte aux organisations signataires des accords par l’intermédiaire du concept de la représentativité va contribuer à rendre le mécanisme d’extension attractif. B. Un mécanisme prospère L’objectif principal de la loi de 1936 était d’étendre l’accès aux garanties et aux avantages sociaux à tous les salariés des entreprises situées sur un secteur d’activité identique. Pour ce faire, les accords qui seront élaborés par la commission mixte vont faire l’objet d’une procédure particulière confiée au ministre du travail. Il sera en charge, par arrêté d’extension59 publié au J.O., de rendre applicable une convention ou un accord collectif à l’ensemble d’une branche de commerce ou d’industrie sur un secteur géographique donné, y compris lorsque les entreprises de ce secteur ne se sont pas impliquées dans les négociations. Dès lors, tous les salariés d’une entreprise se verront appliquer directement et immédiatement les dispositions de l’accord de branche étendu, quand bien même l’employeur ne serait pas membre de l’une des organisations signataires. 56 MORAND Michel, « La légitimité des organisations patronales préalable à la légitimité des accords de branche », Droit social, n° 2, éd. Dalloz, 9 février 2018, p. 148. 57 Article L. 2152-2 du Code du travail. 58 Ceci est mesuré par l’agrégation du nombre d’entreprises adhérentes compte tenu du nombre de salariés que comptent ces entreprises. 59 Cet arrêté présente le caractère d’un acte administratif, pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
  • 25. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 25 C’est à partir de la loi de 1936 que les conventions et accords de branche vont sortir de leur « gangue contractuelle » selon la formulation du juriste Paul Durand60. Le mécanisme d’extension permet dès lors à l’Etat de garantir la couverture conventionnelle d’une très large majorité de travailleurs. Le principe de généralisation de la norme contractuelle à l’ensemble de la profession par le biais du mécanisme de l’extension n’est cependant pas né spontanément en 1936. En effet, cette procédure reprend schématiquement les dispositions figurant dans les décrets Millerand de 1899. Ces décrets prévoyaient une certaine forme d’institutionnalisation des négociations collectives puisque l’administration avait pour consigne, lors de la détermination des salaires réels, de se référer aux salaires conventionnels61. Pour l’historienne Laure Machu, en 1936, les conventions de branche ne sont « ni un instrument d’action, ni un outil d’organisation, ni un vecteur de stabilisation ». Elles « semblent être avant tout un outil de protection »62. La loi de 1936 est en effet venue pallier l’une des principales critiques apportées à la loi du 25 mars 1919. Tout employeur pouvait jusqu’à la loi de 1936, se retirer de l’organisation patronale signataire d’un accord et ainsi ne plus appliquer le texte négocié63. Aux termes de l’ancien article 31 m) du Code du travail « tout groupement (…) partie à une convention collective de travail conclue, ou prorogée par tacite reconduction, pour une durée indéterminée, peut à toute époque se dégager en notifiant sa renonciation à toutes les autres parties, groupements d’employés ou d’employeurs ». L’opportunité d’adhérer à un syndicat était dès lors très réduite. Ceci sera résolu par la loi du 24 juin 1936. Il est assez surprenant de voir que, malgré le florilège de réformes qu’a connu la négociation collective, cette procédure d’extension créée pendant l’entre-deux-guerres a peu changé. Aujourd’hui, la procédure d’extension des accords collectifs de branche, de ses avenants ou annexes est quasi-systématique64. 60 DURAND Paul, « Le dualisme de la convention collective », Revue trimestrielle de droit civil, éd. Dalloz, 1939, p. 353. 61 RUDISCHHAUSER Sabine, MACHU Laure, « Entre autonomie des parties et intervention de l’Etat. Droit et pratique de l’extension des conventions collectives en France et en Allemagne dans l’entre-deux guerres », Revue de droit du travail, éd. Dalloz, 2017, p. 400. 62 MACHU Laure, « Front populaire : le temps des négociations collectives », Journal du CNRS, [en ligne], 24 juin 2016. URL : https://lejournal.cnrs.fr/billets/front-populaire-le-temps-des-conventions-collectives (consulté le 16 août 2018). 63 Ancien article 31 m) du Code du travail. 64 OCDE (2017), « La négociation collective dans un monde du travail en mutation », Chapitre 4 des Perspectives de l’Emploi de l’OCDE 2017, [en ligne], Paris, éd. OCDE, 1983, p. 155. URL : http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2017-fr (consulté le 16 août 2018).
  • 26. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 26 La convention ou l’accord de branche, négociés et conclus au sein de la CPPNI composée des représentants des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives, peut être étendue à la demande de l’une des parties signataires de l’accord65. Pour qu’un accord de branche puisse être valablement étendu, il faut qu’il soit signé par des organisations syndicales salariales représentant au moins 30% des suffrages et qu’il n’ait pas fait l’objet d’une opposition d’un ou de plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli la majorité des suffrages. Si ces conditions sont remplies, la CPPNI émet ensuite un avis sur cette extension sur lequel le ministre du travail prend ensuite appui pour prononcer ou non l’extension d’un accord66. Le contrôle opéré intègre à la fois des éléments de droit et « des considérations d’opportunité sur l’intérêt que présente l’accord pour la branche concernée »67. En pratique, un très grand nombre de demandes d’extension sont acceptées. Le procédé de l’extension offre à la très grande majorité de salariés français une protection sociale et un minima salarial supérieurs à ce que prévoient les dispositions légales. A l’heure actuelle, le mécanisme d’extension permet à la quasi-totalité des salariés d’être couverts par un accord de branche, cela même alors que le taux de syndicalisation en France est l’un des plus faibles d’Europe. Ceci contribue à réduire les inégalités de traitement entre salariés d’un même secteur d’activité. On estime qu’environ 15,5 millions de salariés français seraient couverts par une convention collective de branche. Selon les dernières statistiques de la DARES, les branches qui recouvrent le plus grand effectif de salariés seraient celles du secteur sanitaire ou social, de la métallurgie ou de la sidérurgie, ou encore du BTP68. Pour d’autres pays en revanche, la négociation de branche n’offre pas systématiquement une protection conventionnelle à tous les salariés d’un même secteur d’activité. 65 Environ 80% des accords et conventions collectives de travail font l’objet d’une demande d’extension. 66 Articles L. 2261-15 et suivants du Code du travail. 67 COMBREXELLE Jean-Denis, La négociation collective, le travail et l’emploi, Rapport au premier ministre, France Stratégie, septembre 2015, p 26. 68 DARES, Portrait statistique des principales conventions collectives de branche en 2015, [en ligne], mars 2018, n° 010. URL : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2018-010.pdf (consulté le 6 septembre 2018).
  • 27. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 27 C’est notamment le cas en Australie, au Chili, au Danemark ou encore en Irlande où le mécanisme d’extension est inexistant69. Toutefois, on constate que de plus en plus de pays se dotent d’un mécanisme similaire en raison du faible taux de syndicalisation, et donc de la faiblesse du nombre de salariés couverts par des accords collectifs70. Dans ces conditions, seuls les salariés adhérents à un syndicat signataire d’une convention de branche peuvent en effet se voir appliquer ses dispositions. Dès lors, comment s’organisent les disparités, au sein d’une même entreprise, entre salariés bénéficiant des avantages conventionnels et ceux n’en bénéficiant pas ? On constate en pratique que l’employeur va appliquer uniformément les dispositions de la convention à l’ensemble des salariés, qu’ils soient syndiqués ou non. Côté français, le développement du taux de couverture conventionnelle ne se résume pas seulement au mécanisme de l’extension puisqu’il existe un autre processus, plus récent, dit d’élargissement des accords collectifs de travail. L’élargissement permet d’étendre de façon encore plus conséquente les dispositions d’une convention à un secteur qui se trouverait hors de son champ d’application, mais au sein duquel il existerait une carence ou une absence d’organisations de salariés et d’employeurs se traduisant par l’impossibilité de conclure un accord71. L’élargissement d’une convention présuppose que celle-ci soit d’ores et déjà étendue. C’est donc grâce aux mécanismes d’extension et d’élargissement des conventions collectives que les salariés vont connaître une amélioration de leurs conditions de travail. Dans cette perspective, il sera question pour les négociateurs de s’emparer de thèmes de négociation tournés vers la protection du salariat. §2. DES THEMES DE NEGOCIATION PROPRES A FAVORISER LE PROGRES SOCIAL Le progrès social passera avant tout par l’outil majeur de régulation sociale qu’est la détermination des salaires (A), avant d’être complété par d’autres thèmes de négociation combinant protection des salariés et accompagnement des politiques publiques (B). 69 OCDE (2017), « La négociation collective dans un monde du travail en mutation », Chapitre 4 des Perspectives de l’Emploi de l’OCDE 2017, [en ligne], Paris, éd. OCDE, 1983, p. 156. URL : http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2017-fr (consulté le 16 août 2018). 70 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne], octobre 2017, p. 20. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations- syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018). 71 Article L. 2261-17 du Code du travail.
  • 28. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 28 A. L’évolution du rôle de la branche dans la détermination des salaires C’est donc en premier lieu en intervenant au niveau des salaires que la branche professionnelle va contribuer de manière consubstantielle à l’amélioration de la condition ouvrière. Il va s’agir dans un premier temps d’une négociation informelle, qui sera par la suite corroborée par la loi du 24 juin 1936 (1). Cette initiation sera de surcroît renforcée par l’instauration d’un salaire minimum légal généralisé à toutes les professions (2). 1. Les premières négociations tarifaires Au XIXème siècle, le droit du travail français, sous le joug du Code civil, prônait la libre fixation des salaires. C’est pourquoi, les salaires établis répondaient au « jeu économique de l’offre et de la demande »72. Ce triomphe de la liberté contractuelle conduisait souvent à la détermination de « salaires considérés socialement comme trop bas »73. Notons par ailleurs que le terme « salaire » n’a été utilisé qu’à partir des années 1930, on lui préférait auparavant la notion de « tarif ». La mission principale des premiers accords et conventions collectives fut donc d’une part de rétablir la paix sociale entre patrons et ouvriers, et d’autre part de fixer des minimas salariaux conventionnels. C’est ainsi en premier lieu par le principe d’autonomie collective74 qu’ont été fixés les premiers salaires minimaux. Objet des premières négociations de branche, certaines de ces négociations tarifaires ont eu lieu de manière illégale (avant la reconnaissance légale des conventions collectives par la loi du 25 mars 191975) et ont pu être homologuées par les préfets ou les maires. La première et la plus connue d’entre elles est la « convention d’Arras » de 1891. 72 DABOSVILLE Benjamin, « Le salaire minimum légal, la convention collective et le juge », Revue de droit du travail, éd. Dalloz, 2018, p. 77. 73 DABOSVILLE Benjamin, op. cit. 74 Ce principe d’autonomie collective se définit comme étant « l’aptitude d’un groupe ou d’une organisation à produire, par des actes ou pratiques internes ou en collaboration avec d’autres groupes ou organisations, un corps de normes assorti d’un dispositif de règlement des disputes […] [qui] tient sa juridicité de ses caractéristiques intrinsèques et non de sa reconnaissance ou de sa stimulation par l’ordre juridique étatique de l’Etat », LE FRIANT Martine, JEAMMAUD Antoine, « Une réforme constitutionnelle, pour quelle autonomie collective ? », Droits du travail, Emploi, Entreprise, Mélanges en l’honneur du Professeur François Gaudu, éd. IRJS, 2014, p. 142. 75 Loi du 25 mars 1919 relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 28 mars 1919.
  • 29. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 29 Au sein des branches, les modalités de détermination du salaire minimum ont connu plusieurs mutations. La loi de 1936 va donner naissance à une « conception étatique » de la convention collective de travail, au travers d’un encadrement des clauses obligatoires qu’elle doit contenir76. En effet, le législateur va fixer une liste de thèmes devant nécessairement être réglés par la convention pour que celle-ci puisse s’appliquer à une branche professionnelle entière. Si l’un des thèmes cités n’est pas prévu par le texte conventionnel, ce dernier ne peut pas être qualifié d’accord étendu. La convention étendue doit constituer une charte professionnelle complète77. La convention collective devait contenir, entre autres, des dispositions concernant la liberté syndicale, la liberté d’opinion, l’institution de délégués du personnel et les salaires minima par catégorie et par région78. La loi du 24 juin 1936 prévoyait que la négociation sur les salaires devait obligatoirement être traitée par la commission mixte pour que l’accord produit puisse être étendu. « Clé de voûte de la régulation salariale fordiste, les branches professionnelles ont d’abord pour rôle de produire une hiérarchie salariale adossée à une grille de classification »79. C’est ainsi que les classifications de branche sont devenues « la référence légale pour la fixation des salaires minima de branche »80. Avec l’introduction de ces grilles de classification, le salarié va être évalué à un certain niveau de qualification qui le situe dans un ordre hiérarchique81. Ce niveau correspond à un certain salaire minimal fixé par la convention. Au cours de sa carrière, le salarié pourra voir sa rémunération évoluer suite à une promotion ou encore lors de la revalorisation des minimas hiérarchiques de la branche. 76 COSTE-FLORET Alfred, « La loi du 24 juin 1936. Vers une « conception étatique » de la convention collective de travail ? », Revue critique de législation et de jurisprudence, éd. Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1937, p. 195. 77 RODIERE Pierre, « Accord d’entreprise et convention de branche ou interprofessionnelle, négociation indépendante, subordonnée, articulée », Droit social, éd. Dalloz, 1982, p. 712. 78 Article 31 vc) de la loi du 24 juin 1936. 79 « Salaires et politiques salariales », Liaisons Sociales Quotidien, Le dossier écosoc, n° 187/2012, éd. Wolters Kluwer, 4 octobre 2012, p. 4. 80 LYON-CAEN Antoine, « Le droit et les classifications », Travail et emploi, n° 38, DARES, éd. La Documentation Française, 1988, p. 21. 81 EYRAUD François, JOBERT Annette, ROZENBLATT Patrick, TALLARD Michèle, Les classifications dans l’entreprise : production des hiérarchies professionnelles et salariales, éd. La Documentation Française, Paris, 1989.
  • 30. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 30 Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la loi du 23 décembre 194682 est venue restreindre la portée des salaires négociés au sein des branches en prévoyant que la négociation de conventions était de nouveau autorisée, à l’exception des salaires. Il appartenait au ministre du travail de fixer les salaires pendant l’état de guerre83. L’interventionnisme étatique en matière de salaire a ainsi peiné à disparaître. Le retour à la liberté de négociation en matière de salaire sera effectif avec l’article 31 a) de la loi du 11 février 1950 qui viendra autoriser à nouveau la conclusion d’accords sur les salaires84. On revient alors aux principes de la réglementation de 1936. Cœur historique des accords collectifs de travail, la détermination des salaires fait partie des thèmes aux enjeux cruciaux au sein des branches. Jean Saglio affirmait à cet égard que « la question des salaires est bien évidemment un des domaines habituels où la négociation de branche est productrice de normes »85 ou bien encore que « les négociations portant sur la régulation des salaires ont toujours été les négociations clefs »86. Cette détermination de la rémunération par le principe d’autonomie collective s’est pourtant trouvée circoncise par l’intervention du législateur, notamment au travers de l’instauration du salaire minimum légal, contrairement à ce qui a pu se produire dans d’autres pays, tel qu’en Allemagne87. Dans un premier temps, le besoin de fixer un minimal conventionnel faisait écho à la carence législative, puisque ce n’est qu’en 1950 que le législateur est intervenu pour fixer ce salaire minimum légal, plus communément connu sous l’acronyme de SMIG, puis de SMIC88. 82 Loi n° 46-2924 du 23 décembre 1946 relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 25 décembre 1946. 83 Décrets lois du 10 novembre 1939 et du 1er juin 1940. 84 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950. 85 SAGLIO Jean, « La négociation des branches et les petites entreprises », communication préparée pour une journée DARES, DRT sur les PME [en ligne], 2006, p. 3. URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs- 00193206/document (consulté le 16 août 2018). 86 SAGLIO Jean, « Négociations de classifications et régulation salariale dans le système français de relations professionnelles », Travail et Emploi, n° 38, DARES, éd. La Documentation Française, 1988, p. 53. 87 TALLARD Michèle, VINCENT Catherine, « Les branches professionnelles sont-elles toujours un lieu pertinent de négociation des normes d’emploi ? », Droit social, éd. Dalloz, 2014, p. 212. 88 Article 31 x de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement de fin des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950.
  • 31. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 31 2. L’introduction du salaire minimum légal Le salaire minimal vient fixer la limite inférieure du salaire qui doit être payé à un travailleur89. L’instauration du salaire minimal légal applicable à l’ensemble des professions va être une source d’enjeux pour les négociations de branche. Le SMIC est, depuis 1970, revalorisé chaque premier juillet par une indexation automatique sur le coût de la vie et sur la moitié de la progression du pouvoir d’achat du salaire moyen ouvrier90. Ce dispositif n’est toutefois pas totalement inédit. En effet, en 1915, une première loi portant sur le salaire minimum d’une catégorie de travailleuses particulièrement oubliées du droit du travail : les ouvrières à domicile dans l’industrie du vêtement ; avait été votée91. Il s’agissait de la première loi relative aux salaires. L’instauration du SMIC en 1950 va limiter la marge de manœuvre laissée aux négociateurs de branche pour négocier le salaire minimal conventionnel, en particulier si celui- ci est élevé. Ce montant légal minimal correspondra de facto au salaire minimum conventionnel en bas de la grille des salaires. On constate un double effet de la revalorisation du SMIC : elle stimule à la fois la négociation salariale de branche, tout en restreignant les marges de manœuvre dans la négociation des bas salaires92. L’amélioration de la condition ouvrière par l’introduction des conventions et accords de branche reste toutefois incontestable. C’est par la conclusion des conventions et accords collectifs qu’une « amélioration de la loi au profit des salariés »93 va se réaliser. En effet, les clauses des conventions collectives vont pouvoir être généralisées à l’ensemble des salariés de 89 Circulaire du 25 août 1950 relative à l’application du décret n° 50-1029 du 23 août 1950 portant fixation du salaire minimum national interprofessionnel garanti, J.O. du 26 août 1950. 90 Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti (SMIG) et création d’un salaire minimum de croissance (SMIC), J.O. du 4 janvier 1970. 91 AVRANE Colette, « Les ouvrières à domicile en France, de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. Genèse et application de la loi de 1915 sur le salaire minimum dans l’industrie du vêtement », Thèse d’histoire contemporaine sous la direction de Christine Bard, Université d’Angers, 2010, Genre & Histoire, [en ligne], 28 octobre 2011, URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/1182 (consulté le 16 août 2018). 92 « Salaires et politiques salariales », Liaisons Sociales Quotidien, Le dossier écosoc, n° 187/2012, éd. Wolters Kluwer, 4 octobre 2012. 93 DESPAX Michel, « La place de la convention d’entreprise dans le système conventionnel », Droit social, éd. Dalloz, 1988, p. 8.
  • 32. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 32 la profession. L’introduction des grilles de classification va permettre de réduire les inégalités entre travailleurs à travers la rémunération en considération de l’emploi occupé, et non plus en fonction de l’âge ou du sexe du travailleur. En pratique, l’introduction du SMIC par la loi de 1950 a eu des effets pervers dans les années 1960. En effet, dans les branches où la négociation est peu dynamique, le relèvement annuel du SMIC par les pouvoirs publics a pu rendre certains minimas conventionnels obsolètes. Ceci est notamment le cas en cas de vieillissement de conventions collectives dont les classifications sont peu fréquemment renégociées. On constate ainsi qu’en 1976, seules 30% des conventions collectives prévoyaient un salaire minimum supérieur au SMIC à la même date, et qu’en 1986 cette proportion est réduite à 5%94. En 1986, le salaire minimal conventionnel était donc inefficace pour 95% des conventions collectives ! Le mécanisme du salaire minimum légal conduit à ce que « la plupart des branches ont aujourd’hui un premier coefficient de grille situé au mieux juste au niveau du SMIC »95. Afin de pallier cette difficulté, le ministre du travail peut inciter les branches à négocier en provoquant la réunion de commissions mixtes paritaires. La loi du 11 février 1950 précise par ailleurs que, pour pouvoir être étendue, la convention de branche doit obligatoirement comporter une clause indiquant le salaire minimal de la profession96. 94 BENVENISTE Corinne, « Les négociations salariales : de la convention collective à l’accord d’entreprise », Economie et statistique, [en ligne], n° 199-200, mai-juin 1987, p. 20. URL : https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1987_num_199_1_5088 (consulté le 16 août 2018). 95 DABOSVILLE Benjamin, « Le salaire minimum légal, la convention collective et le juge », Revue de droit du travail, éd. Dalloz, 2018, p. 77. 96 Article 31 g de la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950 ; [à ce jour : article L. 2261-22 du Code du travail].
  • 33. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 33 D’autre part, la loi Auroux du 13 novembre 1982 rend la négociation sur les salaires minima hiérarchiques obligatoire, qu’une procédure d’extension soit envisagée ou non. Elle réactive ainsi la pratique de la négociation au sein des branches, puisque la négociation sur les salaires minima devient une obligation annuelle97 et celle sur les grilles de classification devient une obligation quinquennale98. Les conséquences de cette loi sont manifestes puisqu’entre 1981 et 1986, on constatera que la proportion de salariés couverts par un accord ou une convention collective de branche est passée de 80% à 86%99. 3. La négociation salariale de branche face à la décentralisation de la négociation collective L’activité conventionnelle des branches en matière de régulation salariale est assez hétérogène. On estime qu’en 2008, seule la moitié de l’ensemble des 687 conventions collectives avaient produit un accord salarial au cours des trois dernières années100. Aujourd’hui, la négociation salariale de branche reste capitale pour certains secteurs d’activité, tel que celui du BTP ou encore du pétrole. Elle l’emporte également sur la négociation d’entreprise dans le secteur de la santé ou de l’action sociale101. De façon encore plus prononcée, les salaires minimaux conventionnels sont primordiaux dans les branches composées de petites entreprises où la négociation salariale est rare. Dans le secteur de la métallurgie, les plus grandes entreprises vont pouvoir porter la négociation et aboutir à ce que les salaires classiquement appliqués dans les plus grandes industries de la métallurgie se diffusent dans les petites entreprises de la branche. 97 Depuis l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, la négociation sur les salaires doit intervenir au moins tous les quatre ans (article L. 2241-1 du Code du travail). 98 Article L. 132-12 de la loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail, J.O. du 14 novembre 1982. 99 BENVENISTE Corinne, « Les négociations salariales : de la convention collective à l’accord d’entreprise », Economie et statistique, [en ligne], n° 199-200, mai-juin 1987, pp. 19-23. URL : https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1987_num_199_1_5088 (consulté le 16 août 2018). 100 « Salaires et politiques salariales », Liaisons Sociales Quotidien, Le dossier écosoc, n° 187/2012, éd. Wolters Kluwer, 4 octobre 2012. 101 « Salaires et politiques salariales », op. cit.
  • 34. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 34 Toutefois, tel que le soulignent les deux enseignantes-chercheuses Michèle Tallard et Catherine Vincent, la logique s’est inversée depuis la décentralisation de la négociation collective, particulièrement depuis la réforme des lois Auroux créant l’obligation de négocier sur les salaires et le temps de travail au niveau de l’entreprise102. Depuis lors, les grandes industries souhaitent maintenir des salaires minimaux conventionnels peu élevés afin de bénéficier de marges de manœuvre assez souples dans les négociations d’entreprise. On constate ainsi une « érosion de la branche sous l’effet de la décentralisation de la négociation vers le niveau de l’entreprise »103. Ce mouvement va de pair avec une certaine individualisation et une flexibilisation des salaires104. La transformation des modes de rémunération, par l’introduction de l’épargne salariale (primes d’intéressement ou de participation, plans d’épargne salariale) ou la diversification des primes (prime de productivité), va également contribuer à atténuer le rôle de la régulation de branche. L’impact réel de la progression des salaires conventionnels devient plus difficile à évaluer. Le poids historique de la branche dans la détermination des salaires effectifs serait donc à relativiser. Par ailleurs, le rôle de la branche va bien au-delà de la détermination des salaires. Tel que l’exposait le rapport de Michel de Virville, « la branche constitue a priori le meilleur niveau de négocier pour favoriser la conclusion d’accords de qualité, adaptés aux réalités d’un secteur économique donné et permettant d’harmoniser les conditions de travail entre les entreprises »105. B. De nouvelles formes de régulation sociale de branche Selon Gilles Lécuelle, actuel secrétaire confédéral CFE-CGC, la branche ne se résume pas à une convention collective. Pour lui, la mission principale de la branche est avant tout de 102 Loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail, J.O. du 14 novembre 1982. 103 TALLARD Michèle, VINCENT Catherine, « Les branches professionnelles sont-elles toujours un lieu pertinent de négociation des normes d’emploi ? », Droit social, éd. Dalloz, 2014, p. 212. 104 SANDOVAL Véronique, « La régulation des bas salaires en Europe », Economie et statistique, n° 257, Insee, septembre 1992, p. 57. 105 (DE) VIRVILLE Michel, Pour un code du travail plus efficace, Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, éd. La Documentation Française, janvier 2004, p. 75.
  • 35. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 35 « définir des politiques sociales et économiques »106, mais il faut pour cela qu’elle soit « dotée de moyens humains et financiers »107 suffisants. Ces propos illustrent les missions contemporaines confiées à la branche : adapter les conditions de travail aux spécificités et aux transformations d’un secteur d’activité et être le moteur du changement social108. Au travers des conventions collectives, les branches participent en effet à l’énonciation des politiques économiques et déterminent les conditions d’exercice des activités économiques. Par différentes réformes, le contenu des négociations obligatoires au sein des branches s’est étoffé. Ainsi, la loi de 1984109 a par exemple consacré l’obligation pour la branche d’ouvrir des négociations sur le thème de la formation professionnelle continue. On constate une importante prise en charge (soutenue par les incitations législatives) par les branches des questions relatives à la formation professionnelle. La branche a eu un rôle intermédiaire permettant de véhiculer les politiques publiques de formation. Au fil du temps, l’obligation de négocier a entendu conférer à la branche un rôle plus large d’anticipation en matière d’emploi110. La réforme en date du 22 septembre 2017 est venue modifier l’articulation des niveaux de négociation en précisant plus particulièrement les thèmes dévolus à la branche. Cette articulation s’opère désormais en trois blocs. En premier lieu, l’article L. 2253-3 du Code du travail pose un principe général de prévalence de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche111. Ce n’est qu’en cas de carence de l’accord d’entreprise sur un domaine que l’accord de branche s’applique. D’un autre côté, certains thèmes, dès lors qu’ils assurent des « garanties au moins équivalentes » que l’accord d’entreprise, sont chasse gardée de la branche. Il est par ailleurs précisé que la comparaison entre garanties permettant l’application de la règle 106 DOMERGUE Bernard, « La négociation collective ne doit être qu’une partie des missions de la branche », L’Actualité, ActuEL-RH, Editions Législatives, 19 juin 2018. 107 DOMERGUE Bernard, op. cit. 108 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne], octobre 2017, p. 7-8. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations- syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018). 109 Loi n° 84-130 du 24 février 1984 dite « loi Rigout » portant réforme de la formation professionnelle continue et modification corrélative du Code du travail, J.O. du 25 février 1984. 110 CAILLAUD Pascal, « Formation professionnelle continue », Répertoire de droit du travail, éd. Dalloz, juin 2017. 111 Article L. 2253-3 du Code du travail.
  • 36. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 36 d’équivalence doit s’effectuer « par ensemble de garanties se rapportant à la même matière »112. Pour les treize thèmes de négociation énumérés par l’article L. 2253-1 du Code du travail, la branche a ainsi le monopole, sans qu’aucune dérogation in pejus ne soit possible113. Dès lors, il appartient à la branche de s’approprier les questions en fonction des orientations qu’elle souhaite prendre114. Le champ de compétence de la branche est notamment consacré pour les salaires minima hiérarchiques, l’organisation du temps de travail, avec le régime d’équivalence ou encore l’aménagement du temps de travail. Il s’agit en réalité, pour onze de ces thèmes, d’une réaffirmation du monopole de la branche. Deux thèmes constituent en revanche des nouveautés : il s’agit des mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire. A titre d’exemple, le secteur de la métallurgie s’est d’ores et déjà emparé de ces deux nouveaux thèmes en signant un accord relatif au contrat à durée déterminée et au contrat de travail temporaire115, ainsi qu’un accord relatif au contrat de chantier ou d’opération116. Il s’agira notamment de prévoir des possibilités en matière de renouvellement de contrat à durée déterminée. Il est par exemple possible de prévoir un délai de carence (correspondant à la durée minimale à respecter pour la conclusion de deux contrats à durée déterminée successifs) inférieur à ce que prévoient les dispositions supplétives du Code du travail. Ceci devrait favoriser la durée d’emploi des salariés en contrat à durée déterminée. L’attribution prioritaire de ce champ de négociation à la branche doit lui permettre de garantir une uniformité quant aux conditions d’embauche dans l’ensemble des entreprises dans lesquelles les salariés seront potentiellement amenés à conclure ce type de contrats. Pour clore cette répartition entre les divers blocs de compétence, les accords de branche ont la possibilité de prévoir expressément leur prévalence sur les accords d’entreprise dans 112 Article L. 2253-1 du Code du travail. 113 BELIER Gilles, « Négociation collective : la probable ineffectivité de la réforme », Semaine sociale Lamy, n° 1790, supplément, éd. Wolters Kluwer, 13 novembre 2017, p. 42. 114 QUINQUETON Patrick, « Les branches professionnelles restent des lieux de négociation sociale », Semaine sociale Lamy, n° 1790, supplément, éd. Wolters Kluwer, 13 novembre 2017, p. 45. 115 Accord national du 29 juin 2018 relatif au contrat à durée déterminée et contrat de travail temporaire dans la métallurgie. 116 Accord national du 29 juin 2018 relatif au contrat de chantier ou d’opération dans la métallurgie.
  • 37. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 37 quatre domaines de négociation. Il s’agit en quelque sorte de clauses de verrouillage. Les matières concernées sont : - La prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ; - L’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ; - L’effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et la valorisation de leur parcours syndical ; - Les primes pour travaux dangereux ou insalubres117. Pour ces domaines, il appartient donc à la branche de choisir les domaines qu’elle entend couvrir en fonction des spécificités économiques du secteur, des métiers ou encore des besoins118. On se dirige vers une plus grande autonomie laissée à la négociation de branche, apte à choisir les thèmes qu’elle entend couvrir ainsi que le périmètre concerné. Par ailleurs, l’ordonnance n° 2017-1385 prévoit que les clauses de verrouillage issues des conventions et accords de branche antérieures119 peuvent conserver leurs effets pour ces quatre domaines si ces dernières sont confirmées par avenant avant le 1er janvier 2019. Selon les termes de Gilles Auzero, « il s’agit donc, pour les interlocuteurs sociaux de la branche, de réitérer leur volonté relative à la prévalence de l’acte juridique antérieurement conclu, dans les [quatre] domaines considérés »120. On peut toutefois s’interroger sur l’efficacité de cette invitation et sur les disparités que ces négociations peuvent occasionner entre les différentes branches. De plus, ce rôle régulateur supposément attribué aux organisations syndicales au sein des branches est à nuancer. Certains auteurs ont pu se montrer critiques à l’égard de l’authenticité du pouvoir régulateur des branches. En effet, l’intervention des partenaires sociaux est toujours soutenue et encadrée par le pouvoir législateur. L’Etat serait perçu comme « l’unique responsable de l’intérêt général », auquel seraient soumis les négociateurs121. En souhaitant associer les branches à la politique de 117 Article L. 2253-2 du Code du travail. 118 DOMERGUE Bernard, « La négociation collective ne doit être qu’une partie des missions de la branche », L’Actualité, ActuEL-RH, Editions Législatives, 19 juin 2018. 119 Conclues conformément aux dispositions de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, J.O. du 5 mai 2004. 120 AUZERO Gilles, « Conventions d’entreprise et conventions de branche », Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1018. 121 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne], octobre 2017, p. 21. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations- syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018).
  • 38. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 38 formation, le gouvernement s’est orienté vers la construction d’un compromis néo- corporatiste122. Pour certains, l’Etat n’agirait pas seulement en se servant des organisations syndicales, mais il aurait recours à un « échange politique ». Les organisations seraient ainsi à même de prendre des décisions de façon autonome, sans être subordonnées aux directives des pouvoirs publics123. Cela étant, cette pratique du dialogue social est ouvertement visible dans la pratique dite de la « loi négociée » à l’œuvre depuis plusieurs années, et consacrée par l’article 1er du Code du travail depuis 2007124. Depuis lors, les réformes portant sur le droit du travail, l’emploi ou la formation professionnelle envisagées par le gouvernement font au préalable l’objet d’une consultation des organisations syndicales les plus représentatives au niveau national interprofessionnel. Cette consultation permet au législateur de prendre en compte l’intérêt de la collectivité des travailleurs et des employeurs, représenté à travers les partenaires sociaux, tout en agissant dans un intérêt prédéfini par les pouvoirs publics. La méthode de co-construction s’illustre notamment dans l’élaboration de nombreuses réformes telles que celle de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel125. Les organisations syndicales ont en effet été invitées à émettre des propositions tout au long du processus législatif. Néanmoins, on peut souligner que les organisations restent peu liées aux attentes du gouvernement en ce qui concerne les orientations prises au sein des branches. Les thèmes de négociation ainsi que les échéances sont certes rigoureusement prédéfinies, mais la réflexion et l’élaboration des accords et des conventions sont souvent bien loin des espérances gouvernementales, tel que nous le démontre le prudent déploiement du processus de 122 BESUCCO Nathalie, TALLARD Michèle, LOZIER Françoise, Politique contractuelle de formation et négociation collective de branche, Cahier Travail et Emploi, éd. La Documentation Française, octobre 1998. 123 CASELLA Philippe, « Décentralisation de la formation professionnelle. Débats sur les principes et analyse de la mise en œuvre », Savoirs 2005/3 (n° 9), [en ligne], mars 2005, p. 36. URL : https://www.cairn.info/revue-savoirs-2005-3-page-9.htm (consulté le 16 août 2018). 124 Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, J.O. du 1er février 2007, texte n° 4. 125 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, J.O. du 6 septembre 2018, texte n° 1.
  • 39. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 39 regroupement des différentes branches126. On constate que le rôle de la négociation collective n’est plus seulement orienté vers le progrès social, il tendrait plutôt vers une conciliation des intérêts particuliers des salariés avec les intérêts économiques des employeurs. SECTION II. LA REGULATION DES CONDITIONS DE LA CONCURRENCE PAR LA PROCEDURE D’EXTENSION Le mécanisme de l’extension des accords et conventions collectives de travail sera non seulement profitable pour les salariés, mais aussi, et surtout pour les entreprises. Grâce à l’extension, toutes les structures doivent appliquer uniformément les mêmes règles. La régulation de la concurrence était ainsi un des objectifs premiers lors de la création du mécanisme d’extension (§1). Les dernières réformes renforcent cette place du droit de la concurrence dans le champ de la négociation collective de branche, tout en organisant sa maîtrise par les pouvoirs publics (§2). §1. LE ROLE HABITUEL DE LA BRANCHE EN MATIERE DE REGULATION DE LA CONCURRENCE Dans une société majoritairement industrielle en 1936, la branche et, plus particulièrement le mécanisme de l’extension, a constitué un remède imparable à l’exercice de pratiques concurrentielles déloyales. Or, cette importance donnée à la branche en matière de régulation de la concurrence, renforcée par les dernières ordonnances en date du 22 septembre 2017 se ferait au détriment de la protection des salariés. Ce rôle, largement remis en cause, serait de surcroît inadapté à la concurrence actuelle qui règne entre entreprises ouvertes à un marché mondialisé. 126 DOMERGUE Bernard, « La négociation collective ne doit être qu’une partie des missions de la branche », L’Actualité, ActuEL-RH, Editions Législatives, 19 juin 2018.
  • 40. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 40 « Les branches professionnelles jouent un rôle clef pour rendre plus équitable la concurrence entre les entreprises d’un même secteur et éviter le dumping social »127. Selon cette déclaration, la branche professionnelle doit contribuer à la lutte contre le dumping social, expression désignant, à l’échelle nationale, le fait pour une entreprise de diminuer ses coûts de production, et donc d’améliorer sa productivité en ayant recours à des pratiques sociales de moindre coût. Ceci consisterait à « tirer profit de différences de protection sociale et de salaire pour bénéficier d’avantages dans la concurrence »128. Ainsi, la branche « joue un rôle de police sociale de la concurrence »129. Le propre de chaque branche est en effet de regrouper un ensemble d’entreprises qui se trouvent sur le même marché concurrentiel. La négociation de branche poursuit en ce sens une « fonction d’intérêt général ». La mission première de la branche a toujours été d’organiser les conditions de la concurrence entre entreprises d’un même secteur. En effet, en créant des normes communes applicables aux entreprises couvertes par elle, elle offre des conditions favorables à l’exercice du jeu de la concurrence entre les entreprises. C’est d’ailleurs ce que relevaient les économistes britanniques Beatrice et Sydney Webb ayant développé le concept de la négociation collective au XIXème siècle dans leur théorie relative au mouvement coopératif130. La procédure d’extension des accords de branche va garantir la stabilité du système de négociation collective en offrant un degré comparable d’obligations à toutes les entreprises du secteur. Les conventions collectives vont alors assurer la régulation de la concurrence entre entreprises en les empêchant de recourir à des « pratiques de concurrence déloyales fondées sur la réduction des charges sociales »131. 127 Dossier de presse, « Simplifier, négocier, sécuriser : un code du travail pour le XXIe siècle », [en ligne], 4 novembre 2015, p. 4. URL : https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2015/11/04.11.2015_dossier_de_press e_-_orientations_du_gouvernement_pour_la_reforme_du_code_du_travail_0.pdf (consulté le 16 août 2016). 128 CHAGNY Muriel, « Les branches professionnelles et la régulation de la concurrence », JCP S, n° 6, éd. LexisNexis, 13 février 2018, p. 1057. 129 AUZERO Gilles, BAUGARD Dirk, DOCKES Emmanuel, Précis de droit du travail, 31e édition, éd. Dalloz, 2017, p. 1528. 130 WEBB Beatrice Potter, The Co-operative movement in Great Britain, [en ligne], 1891, p. 218. URL : https://archive.org/details/cu31924030083921 (consulté le 16 août 2018). 131 « Etude 6 Droit de la négociation collective et droit de la concurrence », Le Lamy négociation collective, éd. Wolters Kluwer.
  • 41. Partie I. La négociation de branche, un outil traditionnel majeur de régulation économique et sociale 41 Il va s’agir de ne pas impliquer la variable que constituent les salaires dans le jeu de la concurrence. Dès lors, la concurrence entre entreprises d’un même secteur d’activité, placées sur un pied d’égalité s’agissant des salaires et des conditions de travail, vont tenter d’améliorer leur productivité et leur compétitivité par d’autres moyens132. La branche va jouer un rôle sur le plan économique en permettant une mise en concurrence des entreprises, sans affecter le capital humain que constitue la main-d’œuvre. La question qui se pose désormais est celle de savoir si le droit de la concurrence n’occuperait pas une place outrancière dans notre droit du travail133. L’article L. 2232-5-1, alinéa 2 du Code du travail prévoit expressément que la branche a pour mission de réguler la concurrence entre les entreprises. Lors de l’examen du projet de loi donnant naissance à cet article, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que la définition prévoyant la mise en œuvre de la régulation de la concurrence par les branches respecte les principes du droit de la concurrence en ce qu’elle permet d’éviter « toute de forme de dumping social »134. L’article L. 2232-9 du Code du travail confie concomitamment à la CPPNI une mission d’intérêt général. Cette nouvelle commission « résulte de la fusion des anciennes commissions paritaires de négociation et des commissions paritaires d’interprétation »135. Est ainsi conféré aux partenaires sociaux le rôle de réguler la concurrence dans le souci de l’intérêt général. La négociation doit, pour ce faire, se dérouler de manière loyale, c’est là le prérequis même de toute négociation collective. Ceci marque une véritable évolution : les acteurs de la branche ne sont plus seulement les garants de l’intérêt collectif, dans le sens de la défense des intérêts propres de la profession, ils sont également compétents pour la garantie de l’intérêt général136. « À cette fin, le législateur attribue des compétences et un rôle propres à la 132 SPIESER Catherine, Rapport final. L’évolution du rôle de la négociation de branche en Europe, [en ligne], octobre 2017, p. 9. URL : http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations- syndicales/la-cfdt/item/download/2063_bcdaa66de7f9b44760658d9875146382 (consulté le 16 août 2018). 133 CHAGNY Muriel, « Les branches professionnelles et la régulation de la concurrence », JCP S, n° 6, éd. LexisNexis, 13 février 2018, p. 1057 ; SACHS Tatiana, WOLMARK Cyril, « Les réformes 2017 : quels principes de composition ? » Droit social, éd. Dalloz, 2017, p. 1008. 134 Point 16 de l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600). 135 BUGADA Alexis, SAURET Alain, « Regards sur la nouvelle gouvernance de la branche », Gazette du Palais, n° 12, éd. Lextenso, 21 mars 2017, p. 34. 136 SAURET Alain, « Une démarche loyale des branches pour réguler la concurrence professionnelle », Revue Lamy de la concurrence, n° 66, éd. Wolters Kluwer, 1er novembre 2017, p. 61.