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Le mouvement culturel amazigh est l’un
des mouvements les plus importants et
les plus influents au Maroc. Ayant pour
objet initial, la promotion de la culture
Amazigh, le MCA s’est transformé en un
mouvement affichant des réclamations de
nature politique. Il se distingue par sa
capacité à recruter des militants et à
recourir aux instances internationales
pour consolider ses demandes.
Mouvement culturel
amazigh au Maroc :
recrutement et
stratégie de
mobilisation
Lahrich Imane
Bentaouzer Othmane
Page 1 sur 13
Introduction :
Le mouvement culturel amazigh est un collectif d’associations hétérogènes en quête de la
réalisation de la citoyenneté d’une partie de la population. Le dahir dit « berbère » et la
domination de partis issus du mouvement national, partisans de l’arabité de la nation, ont rendu
la question amazigh un tabou qui renvoie systématiquement à l’époque coloniale. Or, la
persistance de ce tabou a favorisé la mise en place de politiques faisant fi des caractéristiques
culturelles, linguistiques et identitaires plurielles de la société marocaine. L’arabité était
omniprésente dans les écoles, les mosquées, et l’administration. Par conséquent, les
amazighophones ne parlant pas l’arabe étaient laissés à leur sort.
Le mouvement amazigh a vu le jour pour défendre les droits d’une population marginalisée et
forcée à renoncer à sa langue et à sa culture au profit de celles que partage la majorité de la
population. L’année 1967 a vu la création, à Rabat, de l’Association Marocaine pour la
Recherche et les Echanges culturelles. Tout en évitant toute référence à l’amazighité dans son
appellation, ladite association s’est donnée pour objectifs de « promouvoir la culture et les arts
populaires et d’effectuer un travail de collecte et de consignation de la tradition orale »1
.
D’autres associations vont voir le jour par la suite.
Toutefois, il fallait attendre les années 1990 – la décennie de l’ouverture politique du régime –
pour identifier des actions audacieuses réclamant explicitement la promotion de l’amazighité
au Maroc. En effet, l’année 1991 a connu la signature de la charte d’Agadir par six associations.
Ladite charte s’adressait aux pouvoirs publics en vue de l’aboutissement de sept objectifs : il
s’agit entres autres de la constitutionnalisation de la langue, et son intégration dans les écoles
et dans les médias. La décennie 1990 a également connu l’émergence d’un mouvement amazigh
estudiantin et d’un journal mensuel portant le nom de « Amezday ». Ce dernier a vite fait
disparait en raison d’un manque de moyen financier ; aucune publicité n’y passait.
Profitant de l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité, le mouvement amazigh a réussi à dégager
une réaction de la part des pouvoirs publics qui se sont exprimés en faveur de la légitimité des
revendications. Dans un discours prononcé en juin 1994, le premier ministre a annoncé, devant
les représentants de la nation, que la télévision publique diffuserait désormais un journal en
amazigh. Un mois plus tard, c’est autour du roi Hassan II d’annoncer l’introduction de
l’amazighité dans l’école. Il faut toutefois, rappeler que la réaction positive suscitée par l’Etat
1
Fadma Aït Mous, « Les enjeux de l'amazighité au Maroc », Confluences Méditerranée 2011/3 (N°78), p. 121-
131.
Page 2 sur 13
en faveur de certaines demandes sociales n’était pas l’exclusivité du mouvement amazigh. En
effet, les féministes avaient également réussi a attiré l’attention du roi.
L’arrivée de Mohammed VI au pouvoir a coïncidé avec une réaction positive beaucoup plus
poussée des pouvoirs publics à l’égard des différentes demandes sociales. Le mouvement
amazigh a obtenu en 2001 la création, par dahir, de l’Institut royal de la culture amazigh dont
la mission consiste à « sauvegarder, de promouvoir et de renforcer la place de la culture
amazighe dans l’espace éducatif, socioculturel et médiatique national ainsi que dans la gestion
des affaires locales et régionales »2
. La création de l’IRCAM au Maroc a coïncidé avec le
printemps noir en Kabylie. Selon notre interlocuteur Mounir Kejji, militant très actif au sein du
MCA marocain, « les événements en Algérie impactent directement les décisions au Maroc ».
Dix ans plus tard, la réforme constitutionnelle, annoncée par le roi sous la pression du
« printemps arabe », va s’attaquer à l’amazighité. En effet, plusieurs dispositions
constitutionnelles traitent de la question amazigh, notamment l’article 5 qui place l’amazigh
comme langue officielle au même titre que l’arabe. Toutefois, la constitutionnalisation de la
langue amazigh renvoie à une loi organique qui n’a toujours pas vu le jour. Celle-ci fait l’objet
d’un débat entre les partisans de l’amazighité et les partis conservateurs, à l’exemple du PJD et
de l’Istiqlal.
Néanmoins, la prise en charge institutionnelle des réclamations du MCA n’a pas conduit à une
modération des positions du mouvement à l’égard de l’Etat comme ce fut le cas du mouvement
féministe. Ce dernier s’est en effet affaibli après la récupération de sa cause par la monarchie.
Il a hésité longtemps à soutenir le Mouvement du 20 février parce qu’il voit désormais dans le
palais le meilleur garant de ses droits acquis, notamment face à la montée en puissance des
islamistes dans la scène politique. Or, le mouvement amazigh continue toujours à montrer un
dynamisme que les réformes publiques n’ont pas réussi à freiner. Le MCA est très actif au sein
du « Hirak » au Rif qui affiche des demandes économiques, sociales, et culturelles. Il continue
à recruter un bon nombre de militants et n’hésite pas à s’adresser aux instances internationales
pour donner plus de légitimité à ses réclamations.
En réalité, le MCA ne croit pas à une séparation définie entre le social, le culturel et le politique.
Ses membres sont conscients que leurs demandes ne peuvent être complètement satisfaites que
via des réformes politiques. Ils continuent donc d’afficher des slogans de démocratie, de justice
sociale et des droits de l’Homme. Pour Mounir Kejji, il ne sert à rien d’inscrire l’amazighité
2
Préambule du dahir n°
1-01-299 portant création de l'Institut Royal de la culture amazighe.
Page 3 sur 13
dans la loi suprême si les porteurs de cette langue vivent dans des zones cloisonnées que l’on
appelle communément le « Maroc inutile ». Par conséquent, les réformes introduites jusqu’à
présent par le pouvoir sont incomplètes aux yeux du MCA tant que des questions comme les
droits de l’Homme et la démocratie demeurent ignorées.
Le MCA se présente in fine comme l’un des mouvements les plus importants au Maroc. Il tire
sa force de ses militants qui sont notamment recrutés dans les universités (1) et de sa stratégie
de mobilisation (2-3). Ce travail se base sur la littérature livresque ainsi que sur des entretiens
avec des militants pour rendre compte d’une partie de la réalité d’un mouvement qui continue
de susciter un bon nombre d’interrogations.
1- Le processus de recrutement des militants :
Le MCA est constitué de plusieurs segments structurés. Le mouvement amazigh estudiantin est
l’un des segments les plus actifs sur le terrain. Il est notamment présent dans les villes de
Meknes, Errachidia, Agadir, Oujda, Tétouan, Taza, Ouarzazate, et quasiment absent dans les
grandes villes telles que Casablanca et Rabat. Le MCA estudiantin œuvre pour la mobilisation
des militants en vue de l’obtention de certains droits au sein des universités, notamment
l’égalité. En effet, le MCAE dénonce souvent la « discrimination » existante entre les étudiants
marocains et les « pseudo-étudiants » sahraouis qui bénéficient de plusieurs avantages et
subventions de la part de l’Etat. Les militants qui rejoignent le MCA au sein des universités ont
souvent pour objet de défendre un intérêt : une bourse, une chambre à la cité, etc. Cependant,
l’université dans les villes citées supra est animée par plusieurs mouvements (sahraouis, gauche
radicale et islamistes) qui se fixent tous le même objectif : défendre l’intérêt de leurs adhérents
auprès de l’administration. La question qui s’impose consiste donc à savoir l’explication qui
motive le choix de l’adhésion au mouvement amazigh, sachant qu’il existe des mouvements
parallèles proposant la même offre.
D’un point de vue olsonien, il serait naturel qu’une grande majorité de potentiels militants
rejoignent le mouvement susceptible de leur offrir les meilleures incitations sélectives. A
l’université Ibn Zohr d’Agadir, le mouvement sahraoui est omniprésent et ses membres
bénéficient d’une protection physique. N’empêche, d’autres mouvements existent et résistent
fortement à la présence des sahraouis au sein de l‘université.
Il est en effet difficile de relier la mobilisation en vue de la promotion d’une cause à une
explication économiciste olsonienne consistant à considérer l’individu comme un homo-
œconomicus choisissant la meilleure option qui réduirait ses coûts et valoriserait ses bénéfices.
Page 4 sur 13
Bien que des auteurs l’aient déjà fait3
, nous considérons cependant que la mobilisation des
militants du MCA renvoie principalement à des raisons subjectives. En fait, les membres du
mouvement amazigh procèdent à une série de séances de sensibilisation destinées aux élèves
des collèges et des lycées de la ville d’Agadir et de sa région en vue de les persuader à rejoindre
le mouvement une fois à l’université. Le discours utilisé fait part des différents
dysfonctionnements que subissent les régions amazighophones tout en empruntant des aspects
émotionnels. Selon un militant de la gauche radicale au sein de l’université d’Agadir, cette
technique, utilisée par le MCA et les islamistes, est très réussie. Le processus de recrutement
ne commence généralement pas à l’université, mais bien avant. Celle-ci est considérée comme
un lieu d’achèvement de l’adhésion.
Les différents mouvements mobilisés au sein de ladite université sont inscrits dans une
concurrence farouche qui peut parfois déboucher à la violence, voire au meurtre. Une étude
bien approfondie du processus de recrutement des militants amazigh nécessite bien évidemment
une étude de terrain accompagnée d’un échantillon représentatif. Mais quand on a proposé cette
idée à un militant actif sur le terrain, il nous a vite prévenus qu’il fallait prendre un maximum
de précautions et qu’il fallait mieux cibler nos contacts à distance.
2- Processus de politisation :
Le Mouvement Amazighe au Maroc occupe une place importante sur les terrains culturel,
associatif et politique. Jusqu’à aujourd’hui, il ne fait pas appel à la violence et ses revendications
se placent toujours sur le terrain du droit.
L’objectif visé par ses promoteurs est-il de créer la base d’un parti qui participerait à la lutte
pour la conquête de l’Etat ou d’initier un véritable projet alternatif pour une nouvelle forme de
société ? Face à un espace politique clos et consensuel, l’espace culturel ne pourrait-il pas
devenir le lieu du débat, permettant de "délégitimer le pouvoir à travers le principe de la
diversité culturelle qui se lève contre l’exclusivisme du pouvoir". Il s’agirait ainsi de partir du
culturel pour créer un espace de contestation qui pourrait par la suite se transformer en
mouvement politique pour au nom de la diversité et du pluralisme, revendiquer une
transformation globale de la société ou, au contraire, s’enfermer dans le communautarisme et
imposer un modèle exclusiviste et unitaire qui aboutirait à l’échec du débat pluraliste.
3
Robert Garner a eu recourt aux travaux d’Olson pour expliquer la mobilisation des individus en faveur de la
défense des droits des animaux aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Page 5 sur 13
Une gestion intelligente de cette situation pourrait donner lieu à une transition basée sur une
participation active de la citoyenneté dans la construction d’un véritable édifice démocratique.
Dans le cas contraire, la répression et la fuite en avant déboucheront nécessairement sur une
radicalisation des positions et sur une issue violente de la crise4
.
Actuellement il n’existe pas de réel projet alternatif commun à toutes les composantes du
mouvement. Cela s’explique non seulement par les divisions qui règnent au sein du mouvement
amazighe, mais aussi par la réaction répressive du pouvoir qui tarde à laisser ouvert un espace
d’expression.5
A travers le discours sur le pluralisme et la démocratie apparaît une demande de
citoyenneté nouvelle qui ne met plus de côté les masses au profit de l’élite. C’est aussi une
recherche d’identité qui met en avant l’africanité du Maghreb, plutôt que son arabité. Derrière
le droit à la reconnaissance du peuple amazighe se cache le droit à la démocratie, impossible
tant que toute une partie de la société marocaine reste privée de ses droits. La lutte pour la cause
amazighe fait alors partie de la lutte pour les droits de l’Homme.6
L’idée de création d’un parti politique n’échappe pas aux conflits internes du mouvement
amazighe. Les rivalités entre les adhérents du mouvement sont compréhensibles dans la mesure
où ce mouvement en tant que tel n’est aucunement homogène. Dans ce cadre, le parti politique
demeure une question issue d'aspiration individuelle. Pour notre interlocuteur Mounir Kejji,
activiste du Mouvement Amazighe, on ne peut pas unir des activistes amazighes au sein d’un
même parti politique, d’où la prolifération d’un nombre de tentatives de création des partis, à
savoir, deux projets de partis portant carrément le même nom : Parti Démocrate Amazighe.
Néanmoins, pour l’ensemble de nos interlocuteurs, ces partis ne doivent pas se considérer
comme unique représentant du mouvement amazighe. Qu’ils soient à l’IRCAM ou dans les
ONG ou encore dans les partis politiques, les Imazighens ont tous les mêmes revendications,
écrites dans le manifeste berbère7
du 1er mars 2000. Certains prônent les méthodes dures, à
4
Nos interlocuteurs adhèrent tous à l’idée que l’amazighité ne se limite pas à une langue. Il s’agit de reconnaître
toutes les caractéristiques des amazighes et de Tamzgha. Un retour à l’histoire voire une réécriture de celle-ci
s’impose.
5
Marguerite Rollinde, « Le mouvement amazighe au Maroc : défense d’une identité culturelle, revendication du
droit des minorités ou alternative politique ? », Insaniyat, 8-1999, p.63
6
L’idée d’une nation amazighe se construit sur le modèle des mouvements nationaux précédents autour d’un
peuple, les Imazighen, d’une langue, l’amazighe, et d’un territoire l’Afrique du Nord : "Dans l’esprit des peuples de
la terre, qui dit Nord-Afrique dit peuple amazighe, et qui dit peuple amazighe dit Nord-Afrique”.
7
Le Manifeste berbère a été rédigé par Mohammed Chafik, l'une des grandes personnalités du mouvement
culturel amazigh. Il est membre de l’Académie royale du Maroc et un ancien recteur de l’IRCAM. Largement
diffusé, ce document historique expliquait clairement les sept revendications importantes du Mouvement culturel
amazigh :
Page 6 sur 13
forte connotation politique. D’autres préfèrent y aller tout doucement, en utilisant le lobbying
et la promotion culturelle.
Mais il faut savoir que ces principes sont de vieilles revendications des amazighes comme l’est,
justement, l’idée de la création d’un parti politique.
Sans transition vers le cadre théorique, il serait pertinent de rappeler que C. Tilly a mis en
évidence la tendance historique à la politisation des mouvements sociaux et ses racines. D’une
façon schématique et par une logique de face à face, il considère que les mouvement sociaux
ont tendance à se politiser en vue de participer aux politiques publiques et leur juxtaposition
qui n’entraîne pas toujours une cohérence globale. Faute d’un adversaire identifiable, les
groupes et organisations se tournent vers l’Etat, « seul guichet accessible » pour reprendre ses
termes.
Ici, nous nous appuyons sur une série de rencontres avec des militants amazighes à travers ces
méthodes inscrites dans le champ de la sociologie des mouvements sociaux, pour montrer en
particulier comment la catégorie de « communauté de mouvement social » invite à repenser le
mouvement au-delà du militantisme. Ce concept, forgé à partir des interviews avec les
fondateurs des partis amazighes, nous a permi en effet de rendre compte d'un continuum
d'activités tournées vers des objectifs politiques, au-delà de l'engagement militant dans une
organisation ou une association, ce qui nous invite à reconsidérer de manière innovante le
travail de construction de l’action collective comme levier de contestation politique.
Il convient tout de même de mentionner que les partis politiques au Maroc ne peuvent être
fondés sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale ou discriminatoire ou
contraire aux droits humains. Ces interdictions ont emmené les fondateurs des projets de partis
politiques amazighes (PDAM de Ahmed Dghirni et PDA de Omar Louzi) à formuler quelques
. L'ouverture d’un dialogue national autour de l’amazigh ;
. La reconnaissance constitutionnelle de l’amazigh comme langue nationale et officielle ;
. Le développement économique des régions amazighes ;
. L’enseignement de la langue amazighe ;
. La réécriture de l’histoire marocaine ;
. La valorisation de l’amazigh dans les mass médias officiels ; valorisation des arts amazighs ;
. L’arrêt immédiat de l’arabisation touchant les régions des Amazighs et l’encouragement des associations ainsi
que la presse amazighes en leur reconnaissant leur utilité publique et en leur accordant le soutien financier et
logistique.
Page 7 sur 13
remarques quand à l’interdiction de leurs partis politiques. Les expressions utilisées pour
justifier l’interdiction de ces partis sont vagues, imprécises et donnent lieu à des interprétations
diverses qui ouvrent la voie à l’arbitraire. Pour eux, ces partis concernent tous les marocains et
qu’un retour à l’histoire pour comprendre l’identité marocaine s’impose. Pour se rattraper et
continuer les démarches légales de création des partis politiques, les fondateurs de ces partis
réclamant l’amazighité8
choisissent entre un changement de nom du parti ou une intégration à
un autre parti politique déjà existant mais prêt à fusionner les programmes politiques de manière
à ce que l’amazighité puisse trouver son sentier aux milieux de prise de décision et de pouvoir
à travers la scène politique, car au final, la cause amazighe ne peut plus avancer sans une
pression politique et par des canaux politiques.
Cependant, plusieurs militants amazighes favorisent l’action associative fédératrice plutôt que
le front partisan, tandis que les réalisations des institutions officielles, notamment celles de
l’IRCAM restent diversement appréciées par les militants qui y voient pour certains une grande
avancée en faveur de la cause amazighe, et dénoncent pour d’autres son inertie dans la prise de
décisions fondamentales, ou au pire, crient à l’assujettissement au pouvoir.
Ces composantes de la mobilisation amazighe ayant des revendications politiques comme la
laïcité, qui est devenue l’une des caractéristiques fondamentales du discours du Réseau
Amazigh pour la Citoyenneté par exemple, la mise en place d’un conseil constitutif, la défense
des droits sociaux et du fédéralisme ainsi que la séparation des pouvoirs traduit clairement cette
tendance à la politisation. L’articulation de la demande culturelle avec le politique donne en
effet à cette mobilisation une autre identité sensiblement différente du profil essentiellement
culturel qui a caractérisé les premières années de son émergence et que synthétise le texte de la
Charte d’Agadir de 19919
. En accordant de plus en plus d’importance à ces demandes au
8
L’Amazighité dépasse ici la simple institutionnalisation ou constitutionnalisation de la langue Amazigh. Cette
question l'Amazighité touche le peuple Amazighe dans son ensemble. Le débat sur l’écriture de la langue (arabe,
latin, tifinagh) ou encore le débat relatif à la loi organique relative à cette question ne sont plus pertinents comme
au début. On se trouve plutôt dans une logique d’investissement en faveur des porteurs de l’amazighité :
L’Humain et ses droits.
9
D’après Lhoucine Ouazzi, auteur d’une thèse sur le mouvement amazighe, l’idée de ladite charte remonte au
début des années quatre-vingts. Elle consiste dans la préparation et l’édition d’un livre blanc pour mettre en lumière
la situation de la langue et la culture amazighes. Mais, l’idée est abandonnée après l’arrestation d’Ali Sadki Azayku.
C’est après sa sortie de prison que plusieurs chercheurs et militants ont été contactés et, par la suite, ont été
chargés de préparer des papiers à propos de l’histoire, de la situation sociolinguistique de l’Amazighe et de
l’établissement d’une liste des droits à revendiquer en s’inspirant des textes internationaux. Le contexte n’étant pas
propice, les initiateurs ont renoncé à cette idée. Il faudra attendre 1991, quand les circonstances sont devenues
relativement favorables à une démarche de transparence politique et sociale, pour que Lahoucine el-Moujahid
(membre de l’AMREC et linguiste à l’Université de Rabat, actuellement secrétaire général de l’Institut royal pour la
Culture amazighe) propose, lors d’une réunion de l’AMREC, d’élaborer une Charte sur la langue et la culture
amazighes à partir de divers dossiers préparés au début des années quatre-vingts et de la soumettre pour une
approbation collective aux représentants des différentes associations présentes à la session de l’Université d'Été.
C’est ainsi qu’en marge de cette rencontre, le texte a été diffusé, discuté au sein de la délégation de chaque
Page 8 sur 13
détriment de l’action culturelle, la mobilisation amazighe acquiert progressivement les traits
d’une contestation sociale et politique. Si cette dérive vers le politique exprime des évolutions
et des tensions dans le contexte de leur développement, elle introduit nécessairement des
réajustements dans les formes des actions de la valorisation identitaire initiée et de l’élaboration
discursive.
La charte intègre une partie du programme politique développée par Ahmed Adghirni dans la
perspective de la création d’un parti politique amazighe. Au-delà, la lecture de cette charte
montre que les initiateurs ne circonscrivent plus le champ d’action de la mobilisation amazighe
aux demandes culturelles. Ils entendent se mobiliser également pour la construction d’un Maroc
démocratique où tout le monde pourra jouir de ses droits dans leur conception universelle, y
compris le droit des chômeurs au travail sans discrimination fondée sur la base de l’origine
sociale, culturelle ou ethnique.
L'attention prêtée aux processus de politisation interroge à son tour les frontières des collectifs
militants et, partant, la restriction de la sociologie des mouvements sociaux à une sociologie du
militantisme.
Qu'il s'agisse de l'analyse des processus de politisation, ou encore de l'étude de l'intersection
entre mouvement et institutions, les travaux que nous avons eus l’occasion de feuilleter sur le
mouvement amazigh au Maroc soulèvent des questions théoriques qui sont représentées
comme des renouvellements actuels ce type de sociologie. Issus de terrains empiriques
largement disjoints, les pistes d'analyse explorées dans ce travail convergent dans la défense
d'une vision « fluide » des mobilisations collectives. Cette fluidité (Gusfield, 1981) n'est pas
synonyme d'abandon de toute prétention théorique. Il s'agit, bien au contraire, de tirer toutes les
conclusions théoriques de la continuité empiriquement constatée entre des catégories
communément analysées de manière séparée : mouvement et institution, militantisme structuré
et non-structuré, processus de politisation et internationalisation, etc.
association avant d’être adopté le 5 août 1991. Le texte final a fait ensuite l’objet d’une lecture publique lors de la
séance de clôture de la quatrième rencontre de l’UEA à Agadir, voir L. Ouazzi, Formation du mouvement culturel
amazigh au Maroc, processus de la transformation de la conscience identitaire d’une conscience traditionnelle en
une conscience moderne, Thèse d’Etat en sciences politiques, Rabat, Publication de l’AMREC, 2001 (2000).
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3- Processus d’internationalisation : Recours aux instances internationales
Le mouvement est passé du champ culturel à l’insistance sur sa dimension politique et au débat
sur la création d’un parti politique amazighe comme nous l’avons vu ; possibilité qui n’a pas
encore réussi à se concrétiser. Par ailleurs, vu la situation actuelle de la lutte, autant les
associations que les réseaux nationaux amazighes présentent des demandes très générales, sans
arriver à entrer dans une discussion sur des politiques publiques déterminées.
En effet, la diversification des canaux revendicatifs ne sera que bénéfique pour un mouvement
en pleine expansion internationale.
Un point commun de toutes les mobilisations du mouvement amazighe réside sans doute dans
la volonté de nombreux activistes de peser sur le cours des événements à l’échelle
internationale, alors même qu’ils n’ont pas forcément accès aux lieux de pouvoir (politique,
administratif, économique au niveau national), directement ou par la voix de représentants
quand il s’agit de l’amazighité dans son ensemble et non pas uniquement la
constitutionnalisation de la langue ou l’institution de l’IRCAM. C’est aussi une façon d’agir
pour ceux qui ne veulent pas entrer dans les lieux et luttes de pouvoir et qui refusent de se
penser comme acteur politique. Même si l’on ne peut pas trancher ces polémiques sur la nature
politique ou non de ces mouvements, car cela supposerait une définition essentialiste du terme,
on peut considérer comme nécessaires leur poids au niveau international vis-à-vis la structure
sociale à laquelle les activistes ont à faire face, voire dans laquelle ils interviennent
objectivement.
« Notre droit à l’existence en tant qu’ethnie et culture, autochtones de surcroît, s’inscrit dans
le registre des droits naturels, celui des droits de l’Homme. C’est donc à la conscience
universelle que nous devrions en appeler et, partant, aux instances internationales ».10
Outre sa valeur de plateforme initiale de revendication culturelle politisée, l’adoption de la
charte déjà présentée a permis aussi l’établissement des liens entre les différents militants
10
Extrait d’une interview réalisé par Said Khottour, pour www.tawiza.nt, Le Monde Amazigh, Rabat, mai 2005, n°
60, p. 22
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culturels et la mise en œuvre d’une action de coordination. Dès 1993, la mobilisation commence
à se constituer en réseaux structurés. Ainsi, un groupe d’associations (au nombre de 7, outre
celles qui ont signé la Charte d’Agadir, Masinissa de Tanger a rejoint le groupe d’Agadir) a
adressé aux participants à la Conférence internationale des Droits de l’Homme, qui s’est tenue
à Vienne du 14 au 25 juin 1993, un mémorandum où elles ont exprimé leur volonté de s’inscrire
dans le mouvement international des droits humains. Le mémorandum, qui présente les
Amazighs comme les populations autochtones de l’Afrique du Nord, interpelle l’opinion
internationale pour « l’exercice des droits que reconnaît la communauté internationale à tous
les groupes humains qui ne sont pas dominants dans un pays et qui tout en souhaitant d’une
manière générale être traités sur un pied d’égalité avec la majorité, désirent, dans une certaine
mesure, un traitement différentiel destiné à préserver les caractéristiques linguistiques qui les
distinguent de la majorité de la population »11
. En cela, le mémorandum, en amorçant le
processus de l’internationalisation de la revendication amazighe, marque un tournant dans la
construction politique de l’identité revendiquée.
Notre interlocuteur Mounir Kejji, activiste amazighe, nous a fait part d’un récit par ordre
chronologique des premières étapes de ce processus en recommandant un ouvrage très
important sur l’internationalisation12
du mouvement. Il nous rappelle, que, durant la Conférence
de Genève, un groupe de militants culturels a discuté sur la nécessité de la création d’une
organisation transnationale des Amazighs. Partant, les associations, présentes au festival de
Douarnenez du Film (du 21 au 28 août 1994), ont déclaré être partie prenante du projet de
création du Congrès mondial amazigh. A l’issue de la réunion préparatoire qui a eu lieu à Saint-
Rome de Dolan dans le Sud de la France, en 1995, rassemblant les représentants des
associations des différentes régions de l’Afrique du Nord, des Iles-Canaries et de la Diaspora
(Europe/Etats unis), la naissance du Congrès mondial amazigh a été officiellement annoncée.
Son premier congrès qui a eu lieu à Tafira à Las-Palmas a buté sur les problèmes nationaux de
chaque délégation.
11
Lire le texte de ce mémorandum dans Amezday, bulletin d’information des associations culturelles amazighes,
n°
2, juin 1996.
12
Terhi Leitnen : Nation à la marge de l’Etat. La construction identitaire du Mouvement culturel amazigh dans
l’espace national et au-delà des frontières étatiques.
Page 11 sur 13
Internationaliser la lutte ne fut point une étape facile. Son but concernait une ouverture sur les
instances onusiennes mais aussi sur le Parlement européen par un travail de lobbying
considérable.
Comment comprendre l’idée d’internationalisation dans la globalité du mouvement amazighe
? Ce concept multiformes et englobant, assume différentes facettes pas forcément reliées,
comme montré en théorie par Tarrow Sidney : « Certains chercheurs (...) prédisent une montée
en puissance de nouveaux organismes de gouvernance internationale, tandis que d’autres
prévoient des mouvements sociaux nationaux dépassant les frontières pour créer une sorte de «
société civile mondiale ». D’autres encore envisagent des « réseaux transnationaux de militants
» reliant de nouvelles formes de gouvernance aux anciennes et représentant les intérêts
d’acteurs pauvres en ressources à l’intérieur des Etats alors que certains penchent pour une
combinaison d’acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux, nationaux et
internationaux».13
Dans cette même idée d’élargir le spectre du concept, Bigot Didier part d’une
«analyse de la transnationalité comme niveau mêlant le micro des situations locales et le macro
des situations mondiales».14
Ces différentes approches conceptuelles ne servent ici qu’à
apporter un survol de ce qu’est le processus d’internationalisation d’un mouvement social selon
ces auteurs.
Nous pouvons ajouter ici à ce processus d’internationalisation une définition similaire dans le
cadre théorique qui est la diffusion internationale de la cause qui se présente comme « a
mechanism that is virtually coterminous with protest cycles. At the most general level, diffusion
includes any transfer of information across existing lines of communication»15
Ceci s’exprime
par « the spread of the form of the sit-in in various forms of public accomodation in the various
marches».16
Dans la même logique – selon Strang- «Diffusion processes plays a central role in
contemporary explanations of the incidence of collective action and the spread of protest
symbols and tactics. By diffusion, we mean the spread of movement ideas, practices and frames
from one country to another».17
13
Tarrow Sidney, « La contestation transnationale », Cultures & Conflits, Vol. 38-39, 2000, p.2
14
Bigo Didier, « Editorial. Les jeux du politique et de la transnationalité », Cultures & Conflits, Vol. 5, 1992, p.8.
15
McAdam Doug, Tarrow Sidney, Tilly Charles, Dynamics of Contention, Cambridge University Press, 2001, p.
68.
16
Ibidem. p. 69
17
Strang David, « Diffusion in organizations and social movements: From Hybrid Corn to Poison Pills», Annual
Revue of Sociology, 1998. p.265
Page 12 sur 13
La possession d’une identité commune est un élément essentiel pour que des individus, des
groupes ou des réseaux s’impliquent dans le développement d’une action collective qui a pour
but de provoquer un effet de changement sur une question particulière. Dans ce sens,
l’interaction croissante des différentes productions médiatique promeut la création de nouveaux
espaces dans lesquels les groupes ethniques peuvent forger des communautés et développer une
identité de groupe. En effet, pendant les années quatre-vingt-dix, l’idée la plus répandue sur les
effets qu’Internet pourrait avoir sur le militantisme amazigh était qu’il contribuerait à renforcer
la conscience transnationale, et à créer un oeucuménisme amazigh basé sur l'homogénéisation
culturelle de toutes les régions amazighes. Ce fut l’époque dans laquelle la mise en oeuvre de
divers projets, faisait penser que l’internationalisation de la cause allait rompre avec les
frontières étatiques, tâche à laquelle contribueraient les TIC . Néanmoins, plus que deux
décennie plus tard, le cyber-activisme sur Internet est loin d’avoir fourni cet oeucuménisme
amazighe. Il en maintient les dynamiques, les stratégies et les caractéristiques présentes offline,
mais qui se trouvent dominées par l’existence des tensions entre le local et le global. Ces
tensions étaient concrétisées aussi bien dans la sphère réelle que dans la sphère virtuelle, dans
la consolidation de deux tendances activistes : l’une est construite à partir d’une revendication
particulière locale, et l’autre cherche l’unité théorique des Imazighens; bien que cette second
tendance ait évolué pendant ces dernière années vers l’élaboration des stratégies de solidarité
internationale, voire transnationale vu la dynamique de la mouvance amazigh vis-à-vis les
entités et organismes internationaux, et vers la construction d’un réseau transnational de soutien
à travers des organisations amazighes qui opèrent aussi au niveau international.18
Pour clore cette tendance à l’internationalisation de manière à ce qu’elle apparaisse plus
concrète au niveau des actions collectives du Mouvement Amazigh ainsi que ses ressources
mobilisées, notre interlocuteur Mounir Kejji nous laisse intérpréter un avis qu’il a soulevé vers
la fin de l’interview : “Quand l’OMDH et le CNDH ne font rien, il faut aller voir Amnesty.
Autrement dit, quand il y a une pression interne, il faut chercher ailleurs, d’où la tendance à un
processus d’internationalisation”.
18
Les réseaux sociaux sur Internet à l'heure des transitions démocratiques Par NAJAR Sihem, 1990 p.381.
Page 13 sur 13

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  • 1. Le mouvement culturel amazigh est l’un des mouvements les plus importants et les plus influents au Maroc. Ayant pour objet initial, la promotion de la culture Amazigh, le MCA s’est transformé en un mouvement affichant des réclamations de nature politique. Il se distingue par sa capacité à recruter des militants et à recourir aux instances internationales pour consolider ses demandes. Mouvement culturel amazigh au Maroc : recrutement et stratégie de mobilisation Lahrich Imane Bentaouzer Othmane
  • 2. Page 1 sur 13 Introduction : Le mouvement culturel amazigh est un collectif d’associations hétérogènes en quête de la réalisation de la citoyenneté d’une partie de la population. Le dahir dit « berbère » et la domination de partis issus du mouvement national, partisans de l’arabité de la nation, ont rendu la question amazigh un tabou qui renvoie systématiquement à l’époque coloniale. Or, la persistance de ce tabou a favorisé la mise en place de politiques faisant fi des caractéristiques culturelles, linguistiques et identitaires plurielles de la société marocaine. L’arabité était omniprésente dans les écoles, les mosquées, et l’administration. Par conséquent, les amazighophones ne parlant pas l’arabe étaient laissés à leur sort. Le mouvement amazigh a vu le jour pour défendre les droits d’une population marginalisée et forcée à renoncer à sa langue et à sa culture au profit de celles que partage la majorité de la population. L’année 1967 a vu la création, à Rabat, de l’Association Marocaine pour la Recherche et les Echanges culturelles. Tout en évitant toute référence à l’amazighité dans son appellation, ladite association s’est donnée pour objectifs de « promouvoir la culture et les arts populaires et d’effectuer un travail de collecte et de consignation de la tradition orale »1 . D’autres associations vont voir le jour par la suite. Toutefois, il fallait attendre les années 1990 – la décennie de l’ouverture politique du régime – pour identifier des actions audacieuses réclamant explicitement la promotion de l’amazighité au Maroc. En effet, l’année 1991 a connu la signature de la charte d’Agadir par six associations. Ladite charte s’adressait aux pouvoirs publics en vue de l’aboutissement de sept objectifs : il s’agit entres autres de la constitutionnalisation de la langue, et son intégration dans les écoles et dans les médias. La décennie 1990 a également connu l’émergence d’un mouvement amazigh estudiantin et d’un journal mensuel portant le nom de « Amezday ». Ce dernier a vite fait disparait en raison d’un manque de moyen financier ; aucune publicité n’y passait. Profitant de l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité, le mouvement amazigh a réussi à dégager une réaction de la part des pouvoirs publics qui se sont exprimés en faveur de la légitimité des revendications. Dans un discours prononcé en juin 1994, le premier ministre a annoncé, devant les représentants de la nation, que la télévision publique diffuserait désormais un journal en amazigh. Un mois plus tard, c’est autour du roi Hassan II d’annoncer l’introduction de l’amazighité dans l’école. Il faut toutefois, rappeler que la réaction positive suscitée par l’Etat 1 Fadma Aït Mous, « Les enjeux de l'amazighité au Maroc », Confluences Méditerranée 2011/3 (N°78), p. 121- 131.
  • 3. Page 2 sur 13 en faveur de certaines demandes sociales n’était pas l’exclusivité du mouvement amazigh. En effet, les féministes avaient également réussi a attiré l’attention du roi. L’arrivée de Mohammed VI au pouvoir a coïncidé avec une réaction positive beaucoup plus poussée des pouvoirs publics à l’égard des différentes demandes sociales. Le mouvement amazigh a obtenu en 2001 la création, par dahir, de l’Institut royal de la culture amazigh dont la mission consiste à « sauvegarder, de promouvoir et de renforcer la place de la culture amazighe dans l’espace éducatif, socioculturel et médiatique national ainsi que dans la gestion des affaires locales et régionales »2 . La création de l’IRCAM au Maroc a coïncidé avec le printemps noir en Kabylie. Selon notre interlocuteur Mounir Kejji, militant très actif au sein du MCA marocain, « les événements en Algérie impactent directement les décisions au Maroc ». Dix ans plus tard, la réforme constitutionnelle, annoncée par le roi sous la pression du « printemps arabe », va s’attaquer à l’amazighité. En effet, plusieurs dispositions constitutionnelles traitent de la question amazigh, notamment l’article 5 qui place l’amazigh comme langue officielle au même titre que l’arabe. Toutefois, la constitutionnalisation de la langue amazigh renvoie à une loi organique qui n’a toujours pas vu le jour. Celle-ci fait l’objet d’un débat entre les partisans de l’amazighité et les partis conservateurs, à l’exemple du PJD et de l’Istiqlal. Néanmoins, la prise en charge institutionnelle des réclamations du MCA n’a pas conduit à une modération des positions du mouvement à l’égard de l’Etat comme ce fut le cas du mouvement féministe. Ce dernier s’est en effet affaibli après la récupération de sa cause par la monarchie. Il a hésité longtemps à soutenir le Mouvement du 20 février parce qu’il voit désormais dans le palais le meilleur garant de ses droits acquis, notamment face à la montée en puissance des islamistes dans la scène politique. Or, le mouvement amazigh continue toujours à montrer un dynamisme que les réformes publiques n’ont pas réussi à freiner. Le MCA est très actif au sein du « Hirak » au Rif qui affiche des demandes économiques, sociales, et culturelles. Il continue à recruter un bon nombre de militants et n’hésite pas à s’adresser aux instances internationales pour donner plus de légitimité à ses réclamations. En réalité, le MCA ne croit pas à une séparation définie entre le social, le culturel et le politique. Ses membres sont conscients que leurs demandes ne peuvent être complètement satisfaites que via des réformes politiques. Ils continuent donc d’afficher des slogans de démocratie, de justice sociale et des droits de l’Homme. Pour Mounir Kejji, il ne sert à rien d’inscrire l’amazighité 2 Préambule du dahir n° 1-01-299 portant création de l'Institut Royal de la culture amazighe.
  • 4. Page 3 sur 13 dans la loi suprême si les porteurs de cette langue vivent dans des zones cloisonnées que l’on appelle communément le « Maroc inutile ». Par conséquent, les réformes introduites jusqu’à présent par le pouvoir sont incomplètes aux yeux du MCA tant que des questions comme les droits de l’Homme et la démocratie demeurent ignorées. Le MCA se présente in fine comme l’un des mouvements les plus importants au Maroc. Il tire sa force de ses militants qui sont notamment recrutés dans les universités (1) et de sa stratégie de mobilisation (2-3). Ce travail se base sur la littérature livresque ainsi que sur des entretiens avec des militants pour rendre compte d’une partie de la réalité d’un mouvement qui continue de susciter un bon nombre d’interrogations. 1- Le processus de recrutement des militants : Le MCA est constitué de plusieurs segments structurés. Le mouvement amazigh estudiantin est l’un des segments les plus actifs sur le terrain. Il est notamment présent dans les villes de Meknes, Errachidia, Agadir, Oujda, Tétouan, Taza, Ouarzazate, et quasiment absent dans les grandes villes telles que Casablanca et Rabat. Le MCA estudiantin œuvre pour la mobilisation des militants en vue de l’obtention de certains droits au sein des universités, notamment l’égalité. En effet, le MCAE dénonce souvent la « discrimination » existante entre les étudiants marocains et les « pseudo-étudiants » sahraouis qui bénéficient de plusieurs avantages et subventions de la part de l’Etat. Les militants qui rejoignent le MCA au sein des universités ont souvent pour objet de défendre un intérêt : une bourse, une chambre à la cité, etc. Cependant, l’université dans les villes citées supra est animée par plusieurs mouvements (sahraouis, gauche radicale et islamistes) qui se fixent tous le même objectif : défendre l’intérêt de leurs adhérents auprès de l’administration. La question qui s’impose consiste donc à savoir l’explication qui motive le choix de l’adhésion au mouvement amazigh, sachant qu’il existe des mouvements parallèles proposant la même offre. D’un point de vue olsonien, il serait naturel qu’une grande majorité de potentiels militants rejoignent le mouvement susceptible de leur offrir les meilleures incitations sélectives. A l’université Ibn Zohr d’Agadir, le mouvement sahraoui est omniprésent et ses membres bénéficient d’une protection physique. N’empêche, d’autres mouvements existent et résistent fortement à la présence des sahraouis au sein de l‘université. Il est en effet difficile de relier la mobilisation en vue de la promotion d’une cause à une explication économiciste olsonienne consistant à considérer l’individu comme un homo- œconomicus choisissant la meilleure option qui réduirait ses coûts et valoriserait ses bénéfices.
  • 5. Page 4 sur 13 Bien que des auteurs l’aient déjà fait3 , nous considérons cependant que la mobilisation des militants du MCA renvoie principalement à des raisons subjectives. En fait, les membres du mouvement amazigh procèdent à une série de séances de sensibilisation destinées aux élèves des collèges et des lycées de la ville d’Agadir et de sa région en vue de les persuader à rejoindre le mouvement une fois à l’université. Le discours utilisé fait part des différents dysfonctionnements que subissent les régions amazighophones tout en empruntant des aspects émotionnels. Selon un militant de la gauche radicale au sein de l’université d’Agadir, cette technique, utilisée par le MCA et les islamistes, est très réussie. Le processus de recrutement ne commence généralement pas à l’université, mais bien avant. Celle-ci est considérée comme un lieu d’achèvement de l’adhésion. Les différents mouvements mobilisés au sein de ladite université sont inscrits dans une concurrence farouche qui peut parfois déboucher à la violence, voire au meurtre. Une étude bien approfondie du processus de recrutement des militants amazigh nécessite bien évidemment une étude de terrain accompagnée d’un échantillon représentatif. Mais quand on a proposé cette idée à un militant actif sur le terrain, il nous a vite prévenus qu’il fallait prendre un maximum de précautions et qu’il fallait mieux cibler nos contacts à distance. 2- Processus de politisation : Le Mouvement Amazighe au Maroc occupe une place importante sur les terrains culturel, associatif et politique. Jusqu’à aujourd’hui, il ne fait pas appel à la violence et ses revendications se placent toujours sur le terrain du droit. L’objectif visé par ses promoteurs est-il de créer la base d’un parti qui participerait à la lutte pour la conquête de l’Etat ou d’initier un véritable projet alternatif pour une nouvelle forme de société ? Face à un espace politique clos et consensuel, l’espace culturel ne pourrait-il pas devenir le lieu du débat, permettant de "délégitimer le pouvoir à travers le principe de la diversité culturelle qui se lève contre l’exclusivisme du pouvoir". Il s’agirait ainsi de partir du culturel pour créer un espace de contestation qui pourrait par la suite se transformer en mouvement politique pour au nom de la diversité et du pluralisme, revendiquer une transformation globale de la société ou, au contraire, s’enfermer dans le communautarisme et imposer un modèle exclusiviste et unitaire qui aboutirait à l’échec du débat pluraliste. 3 Robert Garner a eu recourt aux travaux d’Olson pour expliquer la mobilisation des individus en faveur de la défense des droits des animaux aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
  • 6. Page 5 sur 13 Une gestion intelligente de cette situation pourrait donner lieu à une transition basée sur une participation active de la citoyenneté dans la construction d’un véritable édifice démocratique. Dans le cas contraire, la répression et la fuite en avant déboucheront nécessairement sur une radicalisation des positions et sur une issue violente de la crise4 . Actuellement il n’existe pas de réel projet alternatif commun à toutes les composantes du mouvement. Cela s’explique non seulement par les divisions qui règnent au sein du mouvement amazighe, mais aussi par la réaction répressive du pouvoir qui tarde à laisser ouvert un espace d’expression.5 A travers le discours sur le pluralisme et la démocratie apparaît une demande de citoyenneté nouvelle qui ne met plus de côté les masses au profit de l’élite. C’est aussi une recherche d’identité qui met en avant l’africanité du Maghreb, plutôt que son arabité. Derrière le droit à la reconnaissance du peuple amazighe se cache le droit à la démocratie, impossible tant que toute une partie de la société marocaine reste privée de ses droits. La lutte pour la cause amazighe fait alors partie de la lutte pour les droits de l’Homme.6 L’idée de création d’un parti politique n’échappe pas aux conflits internes du mouvement amazighe. Les rivalités entre les adhérents du mouvement sont compréhensibles dans la mesure où ce mouvement en tant que tel n’est aucunement homogène. Dans ce cadre, le parti politique demeure une question issue d'aspiration individuelle. Pour notre interlocuteur Mounir Kejji, activiste du Mouvement Amazighe, on ne peut pas unir des activistes amazighes au sein d’un même parti politique, d’où la prolifération d’un nombre de tentatives de création des partis, à savoir, deux projets de partis portant carrément le même nom : Parti Démocrate Amazighe. Néanmoins, pour l’ensemble de nos interlocuteurs, ces partis ne doivent pas se considérer comme unique représentant du mouvement amazighe. Qu’ils soient à l’IRCAM ou dans les ONG ou encore dans les partis politiques, les Imazighens ont tous les mêmes revendications, écrites dans le manifeste berbère7 du 1er mars 2000. Certains prônent les méthodes dures, à 4 Nos interlocuteurs adhèrent tous à l’idée que l’amazighité ne se limite pas à une langue. Il s’agit de reconnaître toutes les caractéristiques des amazighes et de Tamzgha. Un retour à l’histoire voire une réécriture de celle-ci s’impose. 5 Marguerite Rollinde, « Le mouvement amazighe au Maroc : défense d’une identité culturelle, revendication du droit des minorités ou alternative politique ? », Insaniyat, 8-1999, p.63 6 L’idée d’une nation amazighe se construit sur le modèle des mouvements nationaux précédents autour d’un peuple, les Imazighen, d’une langue, l’amazighe, et d’un territoire l’Afrique du Nord : "Dans l’esprit des peuples de la terre, qui dit Nord-Afrique dit peuple amazighe, et qui dit peuple amazighe dit Nord-Afrique”. 7 Le Manifeste berbère a été rédigé par Mohammed Chafik, l'une des grandes personnalités du mouvement culturel amazigh. Il est membre de l’Académie royale du Maroc et un ancien recteur de l’IRCAM. Largement diffusé, ce document historique expliquait clairement les sept revendications importantes du Mouvement culturel amazigh :
  • 7. Page 6 sur 13 forte connotation politique. D’autres préfèrent y aller tout doucement, en utilisant le lobbying et la promotion culturelle. Mais il faut savoir que ces principes sont de vieilles revendications des amazighes comme l’est, justement, l’idée de la création d’un parti politique. Sans transition vers le cadre théorique, il serait pertinent de rappeler que C. Tilly a mis en évidence la tendance historique à la politisation des mouvements sociaux et ses racines. D’une façon schématique et par une logique de face à face, il considère que les mouvement sociaux ont tendance à se politiser en vue de participer aux politiques publiques et leur juxtaposition qui n’entraîne pas toujours une cohérence globale. Faute d’un adversaire identifiable, les groupes et organisations se tournent vers l’Etat, « seul guichet accessible » pour reprendre ses termes. Ici, nous nous appuyons sur une série de rencontres avec des militants amazighes à travers ces méthodes inscrites dans le champ de la sociologie des mouvements sociaux, pour montrer en particulier comment la catégorie de « communauté de mouvement social » invite à repenser le mouvement au-delà du militantisme. Ce concept, forgé à partir des interviews avec les fondateurs des partis amazighes, nous a permi en effet de rendre compte d'un continuum d'activités tournées vers des objectifs politiques, au-delà de l'engagement militant dans une organisation ou une association, ce qui nous invite à reconsidérer de manière innovante le travail de construction de l’action collective comme levier de contestation politique. Il convient tout de même de mentionner que les partis politiques au Maroc ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale ou discriminatoire ou contraire aux droits humains. Ces interdictions ont emmené les fondateurs des projets de partis politiques amazighes (PDAM de Ahmed Dghirni et PDA de Omar Louzi) à formuler quelques . L'ouverture d’un dialogue national autour de l’amazigh ; . La reconnaissance constitutionnelle de l’amazigh comme langue nationale et officielle ; . Le développement économique des régions amazighes ; . L’enseignement de la langue amazighe ; . La réécriture de l’histoire marocaine ; . La valorisation de l’amazigh dans les mass médias officiels ; valorisation des arts amazighs ; . L’arrêt immédiat de l’arabisation touchant les régions des Amazighs et l’encouragement des associations ainsi que la presse amazighes en leur reconnaissant leur utilité publique et en leur accordant le soutien financier et logistique.
  • 8. Page 7 sur 13 remarques quand à l’interdiction de leurs partis politiques. Les expressions utilisées pour justifier l’interdiction de ces partis sont vagues, imprécises et donnent lieu à des interprétations diverses qui ouvrent la voie à l’arbitraire. Pour eux, ces partis concernent tous les marocains et qu’un retour à l’histoire pour comprendre l’identité marocaine s’impose. Pour se rattraper et continuer les démarches légales de création des partis politiques, les fondateurs de ces partis réclamant l’amazighité8 choisissent entre un changement de nom du parti ou une intégration à un autre parti politique déjà existant mais prêt à fusionner les programmes politiques de manière à ce que l’amazighité puisse trouver son sentier aux milieux de prise de décision et de pouvoir à travers la scène politique, car au final, la cause amazighe ne peut plus avancer sans une pression politique et par des canaux politiques. Cependant, plusieurs militants amazighes favorisent l’action associative fédératrice plutôt que le front partisan, tandis que les réalisations des institutions officielles, notamment celles de l’IRCAM restent diversement appréciées par les militants qui y voient pour certains une grande avancée en faveur de la cause amazighe, et dénoncent pour d’autres son inertie dans la prise de décisions fondamentales, ou au pire, crient à l’assujettissement au pouvoir. Ces composantes de la mobilisation amazighe ayant des revendications politiques comme la laïcité, qui est devenue l’une des caractéristiques fondamentales du discours du Réseau Amazigh pour la Citoyenneté par exemple, la mise en place d’un conseil constitutif, la défense des droits sociaux et du fédéralisme ainsi que la séparation des pouvoirs traduit clairement cette tendance à la politisation. L’articulation de la demande culturelle avec le politique donne en effet à cette mobilisation une autre identité sensiblement différente du profil essentiellement culturel qui a caractérisé les premières années de son émergence et que synthétise le texte de la Charte d’Agadir de 19919 . En accordant de plus en plus d’importance à ces demandes au 8 L’Amazighité dépasse ici la simple institutionnalisation ou constitutionnalisation de la langue Amazigh. Cette question l'Amazighité touche le peuple Amazighe dans son ensemble. Le débat sur l’écriture de la langue (arabe, latin, tifinagh) ou encore le débat relatif à la loi organique relative à cette question ne sont plus pertinents comme au début. On se trouve plutôt dans une logique d’investissement en faveur des porteurs de l’amazighité : L’Humain et ses droits. 9 D’après Lhoucine Ouazzi, auteur d’une thèse sur le mouvement amazighe, l’idée de ladite charte remonte au début des années quatre-vingts. Elle consiste dans la préparation et l’édition d’un livre blanc pour mettre en lumière la situation de la langue et la culture amazighes. Mais, l’idée est abandonnée après l’arrestation d’Ali Sadki Azayku. C’est après sa sortie de prison que plusieurs chercheurs et militants ont été contactés et, par la suite, ont été chargés de préparer des papiers à propos de l’histoire, de la situation sociolinguistique de l’Amazighe et de l’établissement d’une liste des droits à revendiquer en s’inspirant des textes internationaux. Le contexte n’étant pas propice, les initiateurs ont renoncé à cette idée. Il faudra attendre 1991, quand les circonstances sont devenues relativement favorables à une démarche de transparence politique et sociale, pour que Lahoucine el-Moujahid (membre de l’AMREC et linguiste à l’Université de Rabat, actuellement secrétaire général de l’Institut royal pour la Culture amazighe) propose, lors d’une réunion de l’AMREC, d’élaborer une Charte sur la langue et la culture amazighes à partir de divers dossiers préparés au début des années quatre-vingts et de la soumettre pour une approbation collective aux représentants des différentes associations présentes à la session de l’Université d'Été. C’est ainsi qu’en marge de cette rencontre, le texte a été diffusé, discuté au sein de la délégation de chaque
  • 9. Page 8 sur 13 détriment de l’action culturelle, la mobilisation amazighe acquiert progressivement les traits d’une contestation sociale et politique. Si cette dérive vers le politique exprime des évolutions et des tensions dans le contexte de leur développement, elle introduit nécessairement des réajustements dans les formes des actions de la valorisation identitaire initiée et de l’élaboration discursive. La charte intègre une partie du programme politique développée par Ahmed Adghirni dans la perspective de la création d’un parti politique amazighe. Au-delà, la lecture de cette charte montre que les initiateurs ne circonscrivent plus le champ d’action de la mobilisation amazighe aux demandes culturelles. Ils entendent se mobiliser également pour la construction d’un Maroc démocratique où tout le monde pourra jouir de ses droits dans leur conception universelle, y compris le droit des chômeurs au travail sans discrimination fondée sur la base de l’origine sociale, culturelle ou ethnique. L'attention prêtée aux processus de politisation interroge à son tour les frontières des collectifs militants et, partant, la restriction de la sociologie des mouvements sociaux à une sociologie du militantisme. Qu'il s'agisse de l'analyse des processus de politisation, ou encore de l'étude de l'intersection entre mouvement et institutions, les travaux que nous avons eus l’occasion de feuilleter sur le mouvement amazigh au Maroc soulèvent des questions théoriques qui sont représentées comme des renouvellements actuels ce type de sociologie. Issus de terrains empiriques largement disjoints, les pistes d'analyse explorées dans ce travail convergent dans la défense d'une vision « fluide » des mobilisations collectives. Cette fluidité (Gusfield, 1981) n'est pas synonyme d'abandon de toute prétention théorique. Il s'agit, bien au contraire, de tirer toutes les conclusions théoriques de la continuité empiriquement constatée entre des catégories communément analysées de manière séparée : mouvement et institution, militantisme structuré et non-structuré, processus de politisation et internationalisation, etc. association avant d’être adopté le 5 août 1991. Le texte final a fait ensuite l’objet d’une lecture publique lors de la séance de clôture de la quatrième rencontre de l’UEA à Agadir, voir L. Ouazzi, Formation du mouvement culturel amazigh au Maroc, processus de la transformation de la conscience identitaire d’une conscience traditionnelle en une conscience moderne, Thèse d’Etat en sciences politiques, Rabat, Publication de l’AMREC, 2001 (2000).
  • 10. Page 9 sur 13 3- Processus d’internationalisation : Recours aux instances internationales Le mouvement est passé du champ culturel à l’insistance sur sa dimension politique et au débat sur la création d’un parti politique amazighe comme nous l’avons vu ; possibilité qui n’a pas encore réussi à se concrétiser. Par ailleurs, vu la situation actuelle de la lutte, autant les associations que les réseaux nationaux amazighes présentent des demandes très générales, sans arriver à entrer dans une discussion sur des politiques publiques déterminées. En effet, la diversification des canaux revendicatifs ne sera que bénéfique pour un mouvement en pleine expansion internationale. Un point commun de toutes les mobilisations du mouvement amazighe réside sans doute dans la volonté de nombreux activistes de peser sur le cours des événements à l’échelle internationale, alors même qu’ils n’ont pas forcément accès aux lieux de pouvoir (politique, administratif, économique au niveau national), directement ou par la voix de représentants quand il s’agit de l’amazighité dans son ensemble et non pas uniquement la constitutionnalisation de la langue ou l’institution de l’IRCAM. C’est aussi une façon d’agir pour ceux qui ne veulent pas entrer dans les lieux et luttes de pouvoir et qui refusent de se penser comme acteur politique. Même si l’on ne peut pas trancher ces polémiques sur la nature politique ou non de ces mouvements, car cela supposerait une définition essentialiste du terme, on peut considérer comme nécessaires leur poids au niveau international vis-à-vis la structure sociale à laquelle les activistes ont à faire face, voire dans laquelle ils interviennent objectivement. « Notre droit à l’existence en tant qu’ethnie et culture, autochtones de surcroît, s’inscrit dans le registre des droits naturels, celui des droits de l’Homme. C’est donc à la conscience universelle que nous devrions en appeler et, partant, aux instances internationales ».10 Outre sa valeur de plateforme initiale de revendication culturelle politisée, l’adoption de la charte déjà présentée a permis aussi l’établissement des liens entre les différents militants 10 Extrait d’une interview réalisé par Said Khottour, pour www.tawiza.nt, Le Monde Amazigh, Rabat, mai 2005, n° 60, p. 22
  • 11. Page 10 sur 13 culturels et la mise en œuvre d’une action de coordination. Dès 1993, la mobilisation commence à se constituer en réseaux structurés. Ainsi, un groupe d’associations (au nombre de 7, outre celles qui ont signé la Charte d’Agadir, Masinissa de Tanger a rejoint le groupe d’Agadir) a adressé aux participants à la Conférence internationale des Droits de l’Homme, qui s’est tenue à Vienne du 14 au 25 juin 1993, un mémorandum où elles ont exprimé leur volonté de s’inscrire dans le mouvement international des droits humains. Le mémorandum, qui présente les Amazighs comme les populations autochtones de l’Afrique du Nord, interpelle l’opinion internationale pour « l’exercice des droits que reconnaît la communauté internationale à tous les groupes humains qui ne sont pas dominants dans un pays et qui tout en souhaitant d’une manière générale être traités sur un pied d’égalité avec la majorité, désirent, dans une certaine mesure, un traitement différentiel destiné à préserver les caractéristiques linguistiques qui les distinguent de la majorité de la population »11 . En cela, le mémorandum, en amorçant le processus de l’internationalisation de la revendication amazighe, marque un tournant dans la construction politique de l’identité revendiquée. Notre interlocuteur Mounir Kejji, activiste amazighe, nous a fait part d’un récit par ordre chronologique des premières étapes de ce processus en recommandant un ouvrage très important sur l’internationalisation12 du mouvement. Il nous rappelle, que, durant la Conférence de Genève, un groupe de militants culturels a discuté sur la nécessité de la création d’une organisation transnationale des Amazighs. Partant, les associations, présentes au festival de Douarnenez du Film (du 21 au 28 août 1994), ont déclaré être partie prenante du projet de création du Congrès mondial amazigh. A l’issue de la réunion préparatoire qui a eu lieu à Saint- Rome de Dolan dans le Sud de la France, en 1995, rassemblant les représentants des associations des différentes régions de l’Afrique du Nord, des Iles-Canaries et de la Diaspora (Europe/Etats unis), la naissance du Congrès mondial amazigh a été officiellement annoncée. Son premier congrès qui a eu lieu à Tafira à Las-Palmas a buté sur les problèmes nationaux de chaque délégation. 11 Lire le texte de ce mémorandum dans Amezday, bulletin d’information des associations culturelles amazighes, n° 2, juin 1996. 12 Terhi Leitnen : Nation à la marge de l’Etat. La construction identitaire du Mouvement culturel amazigh dans l’espace national et au-delà des frontières étatiques.
  • 12. Page 11 sur 13 Internationaliser la lutte ne fut point une étape facile. Son but concernait une ouverture sur les instances onusiennes mais aussi sur le Parlement européen par un travail de lobbying considérable. Comment comprendre l’idée d’internationalisation dans la globalité du mouvement amazighe ? Ce concept multiformes et englobant, assume différentes facettes pas forcément reliées, comme montré en théorie par Tarrow Sidney : « Certains chercheurs (...) prédisent une montée en puissance de nouveaux organismes de gouvernance internationale, tandis que d’autres prévoient des mouvements sociaux nationaux dépassant les frontières pour créer une sorte de « société civile mondiale ». D’autres encore envisagent des « réseaux transnationaux de militants » reliant de nouvelles formes de gouvernance aux anciennes et représentant les intérêts d’acteurs pauvres en ressources à l’intérieur des Etats alors que certains penchent pour une combinaison d’acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux, nationaux et internationaux».13 Dans cette même idée d’élargir le spectre du concept, Bigot Didier part d’une «analyse de la transnationalité comme niveau mêlant le micro des situations locales et le macro des situations mondiales».14 Ces différentes approches conceptuelles ne servent ici qu’à apporter un survol de ce qu’est le processus d’internationalisation d’un mouvement social selon ces auteurs. Nous pouvons ajouter ici à ce processus d’internationalisation une définition similaire dans le cadre théorique qui est la diffusion internationale de la cause qui se présente comme « a mechanism that is virtually coterminous with protest cycles. At the most general level, diffusion includes any transfer of information across existing lines of communication»15 Ceci s’exprime par « the spread of the form of the sit-in in various forms of public accomodation in the various marches».16 Dans la même logique – selon Strang- «Diffusion processes plays a central role in contemporary explanations of the incidence of collective action and the spread of protest symbols and tactics. By diffusion, we mean the spread of movement ideas, practices and frames from one country to another».17 13 Tarrow Sidney, « La contestation transnationale », Cultures & Conflits, Vol. 38-39, 2000, p.2 14 Bigo Didier, « Editorial. Les jeux du politique et de la transnationalité », Cultures & Conflits, Vol. 5, 1992, p.8. 15 McAdam Doug, Tarrow Sidney, Tilly Charles, Dynamics of Contention, Cambridge University Press, 2001, p. 68. 16 Ibidem. p. 69 17 Strang David, « Diffusion in organizations and social movements: From Hybrid Corn to Poison Pills», Annual Revue of Sociology, 1998. p.265
  • 13. Page 12 sur 13 La possession d’une identité commune est un élément essentiel pour que des individus, des groupes ou des réseaux s’impliquent dans le développement d’une action collective qui a pour but de provoquer un effet de changement sur une question particulière. Dans ce sens, l’interaction croissante des différentes productions médiatique promeut la création de nouveaux espaces dans lesquels les groupes ethniques peuvent forger des communautés et développer une identité de groupe. En effet, pendant les années quatre-vingt-dix, l’idée la plus répandue sur les effets qu’Internet pourrait avoir sur le militantisme amazigh était qu’il contribuerait à renforcer la conscience transnationale, et à créer un oeucuménisme amazigh basé sur l'homogénéisation culturelle de toutes les régions amazighes. Ce fut l’époque dans laquelle la mise en oeuvre de divers projets, faisait penser que l’internationalisation de la cause allait rompre avec les frontières étatiques, tâche à laquelle contribueraient les TIC . Néanmoins, plus que deux décennie plus tard, le cyber-activisme sur Internet est loin d’avoir fourni cet oeucuménisme amazighe. Il en maintient les dynamiques, les stratégies et les caractéristiques présentes offline, mais qui se trouvent dominées par l’existence des tensions entre le local et le global. Ces tensions étaient concrétisées aussi bien dans la sphère réelle que dans la sphère virtuelle, dans la consolidation de deux tendances activistes : l’une est construite à partir d’une revendication particulière locale, et l’autre cherche l’unité théorique des Imazighens; bien que cette second tendance ait évolué pendant ces dernière années vers l’élaboration des stratégies de solidarité internationale, voire transnationale vu la dynamique de la mouvance amazigh vis-à-vis les entités et organismes internationaux, et vers la construction d’un réseau transnational de soutien à travers des organisations amazighes qui opèrent aussi au niveau international.18 Pour clore cette tendance à l’internationalisation de manière à ce qu’elle apparaisse plus concrète au niveau des actions collectives du Mouvement Amazigh ainsi que ses ressources mobilisées, notre interlocuteur Mounir Kejji nous laisse intérpréter un avis qu’il a soulevé vers la fin de l’interview : “Quand l’OMDH et le CNDH ne font rien, il faut aller voir Amnesty. Autrement dit, quand il y a une pression interne, il faut chercher ailleurs, d’où la tendance à un processus d’internationalisation”. 18 Les réseaux sociaux sur Internet à l'heure des transitions démocratiques Par NAJAR Sihem, 1990 p.381.