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SÉRIE UN ÉTÉ 14 31/35 
Marie S., tondue à tort le 23 novembre 1918 
Personne à ce jour n’avait raconté l’histoire de Marie, 28 ans, tondue par erreur 
dans le quartier du Grand Bazar. Les tribunaux, eux, se souviennent. 
22 
Le Soir Mardi 2 septembre 2014 
LE SOIR 
VOUS PROPOSE 
	$%$+ 
%$#%( 
*$# 
 
LES 4 ET 5 SEPTEMBRE : 
Reproduction d’affiches de 
propagande de l’époque, avec 
commentaires de nos journalistes. 
23 
Le Soir Mardi 2 septembre 2014 
avaient donc des privilèges, mais 
aussi un certain pouvoir : celui de 
dénoncer leurs ennemis auprès 
des Allemands. Les violences 
qu’elles subiront seront d’autant 
plus légitimées aux yeux du public 
si ces dames avaient trahi leur hé-roïque 
mari parti défendre le pays 
sur le front. 
Cette répression était attendue 
par certaines coupables. Des 
femmes ont fui les villes comme 
en témoigne le journal La Flandre 
libérale : « La précipitation du dé-part 
de ces dames était surtout 
due au désir d’échapper à la vin-dicte 
populaire et de ne pas se voir 
tondre les cheveux. » D’autres ont 
préféré accepter leur sentence en 
silence, révélant ainsi une possible 
culpabilité. Mais dans la folie de 
l’épuration, plusieurs dames ont 
été accusées et punies à tort. Ce 
fut malheureusement le cas de 
Marie Seynhaeve. 
Accusée à tort 
Après avoir été si durement 
malmenée, elle fut conduite au 
commissariat de la troisième di-vision 
de police par Antoine 
Charles, un soldat belge bien-veillant 
qui, lui, ne cautionnait 
pas ce genre de pratique. Toujours 
vêtue uniquement de ses bas et de 
ses bottes mais réchauffée d’une 
couverture, elle raconta les faits 
au commissaire adjoint Contere. 
Elle expliqua qu’elle s’était ma-riée 
deux mois auparavant avec 
Joseph Bouckaert, et que jamais 
elle n’avait eu de rapport avec des 
militaires allemands. Selon elle, 
cet acte vengeur serait unique-ment 
dû au fait que la famille 
Muyle n’ait pas accepté qu’elle 
quitte leur service en 1916. 
Heureusement pour Marie et 
les autres victimes, les tribunaux 
font leur retour dès le début de 
l’année 1919, mettant ainsi fin aux 
violences populaires qui auront 
duré deux mois. Pour rétablir 
l’ordre au plus vite, ce sont 
d’ailleurs les auteurs de ces débor-dements 
qui seront jugés les pre-miers, 
soit avant les procès des in-civiques 
eux-mêmes. L’État de-vient 
alors l’organe légitime de la 
vengeance. 
Prix d’une chevelure 
C’est ainsi que le 26 juillet 1920, 
Valère et Norbert Muyle se re-trouvèrent 
devant la quatorzième 
chambre du tribunal de première 
instance de Bruxelles, suite à la 
plainte que leur victime avait dé-posée 
le jour de son agression. Ils 
furent accusés d’avoir « porté at-teinte 
à l’honneur de Seynhaeve 
Marie, ou à l’exposer au mépris 
public », de lui avoir « volontaire-ment 
fait des blessures ou porté 
des coups », d’avoir « commis un 
attentat à la pudeur avec vio-lences 
ou menace sur cette per-sonne 
» et ainsi d’avoir « publi-quement 
outragé les moeurs par 
des actions qui blessent la pu-deur 
». 
Valère, l’initiateur des faits, fut 
condamné à quinze mois d’empri-sonnement, 
contre treize mois 
pour son cadet, Norbert. Ils 
durent également verser 5.500 
francs de dommages et intérêts à 
leur victime et faire publier le ju-gement 
dans le journal Het 
Laatste Nieuws, et ce afin de réta-blir 
l’honneur de la tondue. Les 
deux soeurs, Berthille et Estelle, 
n’avaient pas participé aux faits de 
violence et furent acquittées. 
Selon nos informations, une 
tondue de Gand obtint aussi gain 
de cause dans un tel procès, bien 
que son bourreau se vit infliger 
une peine plus clémente : 15 jours 
de prison et 2.000 francs de dom-mages 
et intérêts. Deux Vervié-toises 
iront également en Justice. 
D’après La Gazette de Liège citée 
par l’historienne Laurence Van 
Ypersele (UCL), la première des 
Verviétoises, Adèle B., sera 
déboutée, car elle n’avait pas ac-cepté 
l’aide de la police le jour des 
faits. 
Quant à la seconde, une cer-taine 
G. qui se serait fait tondre 
sur la place Verte le 29 novembre 
1918 (2), nous ignorons le résultat 
du procès entamé le 5 décembre. 
Justice clémente 
En règle générale, les tribunaux 
seront indulgents envers les au-teurs 
d’acte de vengeance, ce qui 
correspond bien aux souhaits du 
peuple et de la presse qui n’ont 
toujours pas digéré l’incivisme. 
Pour se faire, les juges utiliseront 
la loi du 28 août 1919 qui, selon 
les historiens Xavier Rousseaux et 
Laurence Van Ypersele, « amnis-tie 
toute infraction entraînant 
une peine inférieure à un an de 
prison, commise entre le 4 août 
1914 et le 4 août 1919 », c’est-à-dire 
la plupart des faits de vio-lence 
populaire. 
Valère et Norbert Muyle bénéfi-cieront 
de cette amnistie lors de 
leur procès en appel du 23 octobre 
1920 : leur condamnation pour 
diffamation sera supprimée, mais 
pas celles pour atteinte à la pu-deur, 
ni pour coups et blessures. 
Autre clémence qui devient au-jourd’hui 
problématique : en dé-cembre 
1928, Norbert sera réha-bilité, 
son frère aîné devra pour sa 
part attendre 1947. Si ce n’était 
l’intérêt historique et exemplatif 
du dossier, il nous serait impos-sible 
de l’évoquer aujourd’hui 
dans ces colonnes. 
Et les inciviques ? 
Quant aux inciviques eux-mêmes, 
ils seront poursuivis par 
les Conseils de guerre pour at-teinte 
à la sûreté de l’État (art. 113 
à 123 du Code pénal) avant d’être 
transférés, pour les civils, dès avril 
1919 aux cours d’assises en cas de 
crimes, et aux tribunaux correc-tionnels 
en cas de délit. Les af-faires 
s’y succéderont jusqu’en 
1923. Les Belges, ayant des at-tentes 
élevées, seront déçus de 
cette justice qu’ils trouveront trop 
lente et trop indulgente. Ce qui 
aura pour conséquence une aug-mentation 
de la répression à la fin 
de la Seconde Guerre mondiale. ■ 
CANDICE DENIS 
(1) Fabrice Virgili, « Les tondues à la 
Libération : le corps des femmes, enjeu 
d’une réappropriation », in Clio, femmes, 
genres, histoire, (1/1993), p.5. 
(2) Alex Doms, « Représailles populaires 
et arrestations à Verviers après l’Armis-tice 
», in Journée de l’Histoire 2010 de la 
Société verviétoise d’archéologie et d’histoire, 
p.29. 
RÉCIT Novembre 1918. La 
guerre est finie, et 
pourtant la violence est 
loin d’être terminée. 
Alors que les Alle-mands 
sont en train de quitter le 
territoire belge, le maintien de 
l’ordre devient aléatoire et la po-pulation 
décide de se venger. Non 
pas contre l’ennemi, mais contre 
les « mauvais » Belges. 
Ce seront deux mois de justice 
populaire, expéditive et sans 
gloire avant que l’armée, auréolée 
de prestige, ne rétablisse l’ordre et 
le confie aux forces de police. 
D’abord complaisante, la presse se 
reprend à son tour, et condamne 
bientôt les excès de rue. 
Traîtres à la Patrie 
Quatre années de privation, de 
souffrance et de rancoeurs mo-tivent 
les civils à faire justice eux-mêmes. 
La cible de leur vendetta : 
les traîtres à la Patrie, ces inci-viques 
qui ont préféré leurs inté-rêts 
personnels au bien commun 
et n’ont donc pas souffert de l’oc-cupation 
allemande comme l’en-semble 
de la Belgique martyre. Si 
l’Histoire a surtout retenu les 
activistes flamands (tel August 
Borms), c’est surtout contre les 
profiteurs de guerre que la popu-lation 
va déverser sa colère. 
Les vitrines des commerçants 
« bochophiles » sont brisées, des 
maisons sont saccagées, les indus-triels 
qui ont profité de la guerre 
pour s’enrichir sont boycottés, des 
fermes sont brûlées, des hommes 
sont battus et abattus, des femmes 
sont rasées. Les Belges n’ont donc 
pas attendu 1944 et la célèbre ton-due 
de Chartres pour connaître 
les tondues de la Libération. 
Les détails de l’histoire que 
nous allons vous raconter aujour-d’hui 
sont inédits ; nous les avons 
exhumés en cette fin août dans les 
archives de la Ville de Bruxelles. 
Femmes à Boches 
Nous sommes le 23 novembre 
1918 à Bruxelles. Marie Seyn-haeve, 
28 ans, originaire de Rou-lers 
mais habitant aujourd’hui 
Saint-Gilles, vient de déposer une 
prescription médicale chez son 
pharmacien. En attendant que ce-lui- 
ci l’exécute, la jeune femme 
décide de se promener sur le bou-levard 
Anspach. Il est bientôt 18 h 
lorsqu’elle croise la fratrie Muyle, 
à hauteur du magasin Le Grand 
Bazar, devenu aujourd’hui les ga-leries 
Anspach. 
Valère, Norbert, Berthilde et 
Estelle Muyle connaissent bien 
Marie Seynhaeve : elle était leur 
ménagère deux ans auparavant, 
lorsqu’ils étaient encore tous do-miciliés 
à Roulers. 
Le frère aîné, Valère, soldat 
belge tout juste rentré du front, la 
reconnaît et l’interpelle : «Oh ! 
vous voilà sale putain (sic). 
Maintenant que je suis soldat, je 
peux commander que l’on vous 
fasse ce que je veux. […] Voilà mes 
soeurs et mon frère et ils m’ont dit 
que vous aviez couru avec des 
Boches et que vous aviez dénoncé 
mon père. » 
Dans un esprit de vengeance, le 
soldat Muyle appela ses collègues 
belges, français et anglais à l’aide : 
« Il faut la tuer ! Dommage que je 
n’ai pas de couteau. » Les soldats 
se précipitent sur Marie, lui 
arrachent tous ses vêtements, ne 
lui laissant que ses bas et ses bot-tines. 
Son chapeau en taupe gris 
disparut lui aussi afin que les 
soldats puissent lui couper les 
cheveux. À défaut de couteau, 
c’est donc une paire de ciseaux qui 
l’atteindra. 
Car le châtiment en vigueur 
pour les « femmes à Boches », 
comme on les appelait à l’époque, 
est de se faire raser la chevelure, 
comme on le faisait déjà dans 
l’Ancien Régime avec les prosti-tuées 
atteintes de maladies véné-riennes. 
Le déshabillage, le port 
de symboles allemands comme 
des casques à pointes, l’exposition 
publique ou la promenade en car-riole 
font également partie du ri-tuel. 
Pour Fabrice Virgili, le but 
est « d’exclure la femme de la com-munauté, 
mais aussi de détruire 
l’image de la féminité par un pro-cessus 
de désexualisation » (1). 
Tondue et humiliée 
Chauve et nue, Marie Seyn-haeve 
est ensuite traînée sur les 
escaliers de la Bourse où elle est 
exposée aux injures des passants. 
Parmi eux se trouvait Pierre de 
Soete, sculpteur belge. Dans ses 
mémoires, publiées en 1953, il ra-conte 
ce « spectacle ignoble et ef-frayant 
» auquel il a assisté une 
trentaine d’années plus tôt : 
« C’était une fille assez belle et en-core 
jeune. En un instant (…) ses 
vêtements, pauvres défroques d’un 
faux luxe de courtisane bon mar-ché, 
furent accrochés, comme des 
trophées, aux branches des lan-ternes. 
Puis, empoigné par chaque 
jambe, par chaque bras, le jeune 
corps fut lancé en l’air, comme un 
mannequin, rattrapé, projeté de 
nouveau à un rythme de plus en 
plus accéléré. La foule était si com-pacte 
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semblait l’être de moins en 
moins – ne pouvait choir sur le 
pavé ; des mains avides se tendant 
de plus en plus nombreuses. » 
Après l’humiliation publique 
viennent les blessures physiques. 
La jeune femme est poussée au 
bas des marches où elle est piéti-née, 
frappée et subit même des at-touchements 
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La servante de Roulers n’est pas 
la première femme à faire les frais 
de cette vindicte populaire. En ef-fet, 
depuis les quelques jours qui 
nous séparent de l’Armistice, une 
véritable chasse aux sorcières 
s’était mise en place afin de châ-tier 
publiquement celles qui 
avaient eu des relations intimes 
avec les Allemands. Quatre jours 
plus tôt, ce sont, dixit Le Peuple du 
22 novembre, « une quinzaine de 
ces créatures qui firent scandale 
par leur inconduite avec les 
Boches » qui furent tondues dans 
les quartiers de Schaerbeek, Mo-lenbeek 
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Le quotidien L’Etoile belge en fit 
le récit le 21 novembre 1918 : 
après avoir été insultées, les 
femmes tondues « furent coiffées 
de casques à pointes et de cas-quettes 
grises ramassées un peu 
partout dans le village et [ils] y 
attachèrent les photos des Boches. 
Cela fait, ils leur lièrent les mains 
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Le cortège parcourut le village en 
tous sens pour arriver enfin à 
proximité de Schaerbeek. Là, les 
femmes furent descendues de leurs 
véhicules ; on leur arracha leurs 
vêtements, ne leur laissant que la 
chemise et on les rendit à la liber-té, 
en ayant soin de ne pas les dé-barrasser 
ni de leurs liens ni de 
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Justice d’hommes 
Il n’y a pas que la capitale qui 
connut ces scènes de tonte. Grâce 
à la presse de l’époque, nous avons 
pu retrouver des traces de faits si-milaires 
à Bruges, Gand, Liège, 
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les campagnes. Les auteurs sont 
presque toujours des hommes, 
souvent même des soldats. Par-tout 
la foule est présente en masse 
pour assister à l’exécution, y com-pris 
les enfants. Les gens applau-dissent 
les bourreaux et insultent 
les victimes. 
On le voit, les accusées de « col-laboration 
horizontale » étaient 
particulièrement haïes par la po-pulation. 
En effet, grâce à leurs 
amants, elles n’avaient pas souf-fert 
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comme le reste des civils. Elles 
« Vendit son corps à 
l’ennemi » : l’une des 
rares illustrations 
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© JAMES THIRIAR. 
Le jugement, 
conservé 
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générales, 
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© CANDICE DENIS. 
Les caricatures de collabos, 
marchands de savon 
Pour représenter la figure de l’incivique – et du profiteur de 
guerre en particulier –, les quotidiens belges auront recours à 
une série de caricatures, notamment celles réalisées par 
Jacques Ochs (1883-1071), qui deviendra célèbre en Belgique 
comme caricaturiste du Pourquoi pas ? Pilote de chasse durant 
la Première Guerre – il sera résistant durant la Seconde 
Guerre –, Jacques Ochs imagine et dessine les aventures de 
Monsieur Zeep, marchand de savon qui a fait fortune durant la 
guerre. On le découvre en vacances à la plage, à la chasse, en 
voyage avec sa grosse voiture, portant de beaux vêtements… 
Les dessins des « Zeep » seront publiés de 1920 à 1922 dans 
Le Soir, La Libre Belgique ou La Nation belge. 
A travers les Zeep, la presse montre la rancune qu’elle éprouve 
envers les inciviques. D’ailleurs, dans un premier temps, 
lorsque la presse relate des faits de vengeance populaire, 
jamais elle ne condamne vraiment ces débordements, jugés 
compréhensibles. Mais par la suite, la règle sera de prôner le 
retour au calme et de laisser la Justice faire son travail. « Nous 
comprenons fort bien la haine, l’esprit de vengeance et de colère 
qui ont couvé si longtemps en nous, contre ceux qui ont trafiqué 
avec l’ennemi. Nous comprenons que cette haine éclate un jour. 
Mais ne faisons pas justice nous-mêmes, attendons que les tribu-naux 
agissent. La colère est souvent aveugle et mauvaise 
conseillère. » (Le Bulletin liégeois, 26 novembre 1918). Le Soir 
n’en disait pas moins, la veille, alors qu’il nous informait de la 
tonte de Marie Seynhaeve : « [ll faut] laisser à la justice le soin 
de punir tous ceux qui ont pactisé avec l’ennemi. (…) Au surplus, 
contentons-nous d’éprouver pour les marchandes de sourires qui 
ont fait commerce avec les Allemands le mépris et la réprobation 
qu’elles méritent, sans nous déshonorer par des excès. Laissons 
aux Boches ce qui leur appartient. » 
Six jours après l’Armistice, le 17 novembre 1918, 
les Allemands quittent Bruxelles. © D.R. 
C.D. 
LES OBJETS DE LA GUERRE 
© JACQUES OCHS. 
Il y a cent ans, 
la Grande Guerre 
submergeait 
la Belgique. 
Mais il n’existera 
bientôt plus 
de témoin 
pour raconter, 
transmettre, faire 
parler les sépias. 
« Le Soir » 
et l’UCL 
vous invitent 
à découvrir 
les ultimes récits 
de l’été 14. 
Demain 
Le mystère du 
soldat Ollivier 
Chaque jour 
dans LeSoir17h, 
découvrez la 
version longue 
du prochain 
sujet : 
Un graffiti sur un 
arbre, un nom… 
Où est le corps ? 
22 
sur lesoir.be 
Notre site consacré à la Pre-mière 
Guerre mondiale vous en 
offre davantage : retrouvez-y 
les souvenirs de nos lecteurs, 
nos archives, photos et sous 
l’onglet « notre série UCL », 
ces récits dans leur version 
longue avec hyperliens, galeries 
photos et vidéos. 
www.lesoir.be/14-18 
Cette série exceptionnelle a 
été réalisée sur deux années 
académiques, de 2012 à 
2014, par les étudiants de 
dernière année de l’Ecole de 
Journalisme de Louvain. 
L’historien Olivier Standaert 
a assuré la critique et 
l’édition historiques. Le jour-naliste 
Alain Lallemand 
assure le coaching narratif et 
l’édition finale. Les vidéos et 
visuels web ont été dirigés 
par le Pr. Philippe Marion. 
Le P-V de Marie, gardé aux ar-chives 
de la Ville de Bruxelles : 
« L’an 1918, le 23 du mois de 
novembre, à 6 heures du soir, 
devant nous Contere Joseph, 
la nommée Seynhaeve Marie... » 
© CANDICE DENIS. 
23 
DANS LE CADRE DES 
COMMÉMORATIONS 
14-18 
J’y vois clair 
LE 6 SEPTEMBRE : 
Carte routière de 75 hauts 
lieux de commémoration. 
LE 6 SEPTEMBRE : 
DVD «Les 3 serments», 
film documentaire émouvant sur la 
Première Guerre mondiale en Belgique. 
+ EN BONUS 
le DVD 
9,90€* 
*Hors prix du journal dans la limite des stocks disponibles. 
© Province de Liège-Musée de la Vie wallonne. Visuels non contractuels

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Le Soir 02/09/14 femme tondue

  • 1. SÉRIE UN ÉTÉ 14 31/35 Marie S., tondue à tort le 23 novembre 1918 Personne à ce jour n’avait raconté l’histoire de Marie, 28 ans, tondue par erreur dans le quartier du Grand Bazar. Les tribunaux, eux, se souviennent. 22 Le Soir Mardi 2 septembre 2014 LE SOIR VOUS PROPOSE $%$+ %$#%( *$# LES 4 ET 5 SEPTEMBRE : Reproduction d’affiches de propagande de l’époque, avec commentaires de nos journalistes. 23 Le Soir Mardi 2 septembre 2014 avaient donc des privilèges, mais aussi un certain pouvoir : celui de dénoncer leurs ennemis auprès des Allemands. Les violences qu’elles subiront seront d’autant plus légitimées aux yeux du public si ces dames avaient trahi leur hé-roïque mari parti défendre le pays sur le front. Cette répression était attendue par certaines coupables. Des femmes ont fui les villes comme en témoigne le journal La Flandre libérale : « La précipitation du dé-part de ces dames était surtout due au désir d’échapper à la vin-dicte populaire et de ne pas se voir tondre les cheveux. » D’autres ont préféré accepter leur sentence en silence, révélant ainsi une possible culpabilité. Mais dans la folie de l’épuration, plusieurs dames ont été accusées et punies à tort. Ce fut malheureusement le cas de Marie Seynhaeve. Accusée à tort Après avoir été si durement malmenée, elle fut conduite au commissariat de la troisième di-vision de police par Antoine Charles, un soldat belge bien-veillant qui, lui, ne cautionnait pas ce genre de pratique. Toujours vêtue uniquement de ses bas et de ses bottes mais réchauffée d’une couverture, elle raconta les faits au commissaire adjoint Contere. Elle expliqua qu’elle s’était ma-riée deux mois auparavant avec Joseph Bouckaert, et que jamais elle n’avait eu de rapport avec des militaires allemands. Selon elle, cet acte vengeur serait unique-ment dû au fait que la famille Muyle n’ait pas accepté qu’elle quitte leur service en 1916. Heureusement pour Marie et les autres victimes, les tribunaux font leur retour dès le début de l’année 1919, mettant ainsi fin aux violences populaires qui auront duré deux mois. Pour rétablir l’ordre au plus vite, ce sont d’ailleurs les auteurs de ces débor-dements qui seront jugés les pre-miers, soit avant les procès des in-civiques eux-mêmes. L’État de-vient alors l’organe légitime de la vengeance. Prix d’une chevelure C’est ainsi que le 26 juillet 1920, Valère et Norbert Muyle se re-trouvèrent devant la quatorzième chambre du tribunal de première instance de Bruxelles, suite à la plainte que leur victime avait dé-posée le jour de son agression. Ils furent accusés d’avoir « porté at-teinte à l’honneur de Seynhaeve Marie, ou à l’exposer au mépris public », de lui avoir « volontaire-ment fait des blessures ou porté des coups », d’avoir « commis un attentat à la pudeur avec vio-lences ou menace sur cette per-sonne » et ainsi d’avoir « publi-quement outragé les moeurs par des actions qui blessent la pu-deur ». Valère, l’initiateur des faits, fut condamné à quinze mois d’empri-sonnement, contre treize mois pour son cadet, Norbert. Ils durent également verser 5.500 francs de dommages et intérêts à leur victime et faire publier le ju-gement dans le journal Het Laatste Nieuws, et ce afin de réta-blir l’honneur de la tondue. Les deux soeurs, Berthille et Estelle, n’avaient pas participé aux faits de violence et furent acquittées. Selon nos informations, une tondue de Gand obtint aussi gain de cause dans un tel procès, bien que son bourreau se vit infliger une peine plus clémente : 15 jours de prison et 2.000 francs de dom-mages et intérêts. Deux Vervié-toises iront également en Justice. D’après La Gazette de Liège citée par l’historienne Laurence Van Ypersele (UCL), la première des Verviétoises, Adèle B., sera déboutée, car elle n’avait pas ac-cepté l’aide de la police le jour des faits. Quant à la seconde, une cer-taine G. qui se serait fait tondre sur la place Verte le 29 novembre 1918 (2), nous ignorons le résultat du procès entamé le 5 décembre. Justice clémente En règle générale, les tribunaux seront indulgents envers les au-teurs d’acte de vengeance, ce qui correspond bien aux souhaits du peuple et de la presse qui n’ont toujours pas digéré l’incivisme. Pour se faire, les juges utiliseront la loi du 28 août 1919 qui, selon les historiens Xavier Rousseaux et Laurence Van Ypersele, « amnis-tie toute infraction entraînant une peine inférieure à un an de prison, commise entre le 4 août 1914 et le 4 août 1919 », c’est-à-dire la plupart des faits de vio-lence populaire. Valère et Norbert Muyle bénéfi-cieront de cette amnistie lors de leur procès en appel du 23 octobre 1920 : leur condamnation pour diffamation sera supprimée, mais pas celles pour atteinte à la pu-deur, ni pour coups et blessures. Autre clémence qui devient au-jourd’hui problématique : en dé-cembre 1928, Norbert sera réha-bilité, son frère aîné devra pour sa part attendre 1947. Si ce n’était l’intérêt historique et exemplatif du dossier, il nous serait impos-sible de l’évoquer aujourd’hui dans ces colonnes. Et les inciviques ? Quant aux inciviques eux-mêmes, ils seront poursuivis par les Conseils de guerre pour at-teinte à la sûreté de l’État (art. 113 à 123 du Code pénal) avant d’être transférés, pour les civils, dès avril 1919 aux cours d’assises en cas de crimes, et aux tribunaux correc-tionnels en cas de délit. Les af-faires s’y succéderont jusqu’en 1923. Les Belges, ayant des at-tentes élevées, seront déçus de cette justice qu’ils trouveront trop lente et trop indulgente. Ce qui aura pour conséquence une aug-mentation de la répression à la fin de la Seconde Guerre mondiale. ■ CANDICE DENIS (1) Fabrice Virgili, « Les tondues à la Libération : le corps des femmes, enjeu d’une réappropriation », in Clio, femmes, genres, histoire, (1/1993), p.5. (2) Alex Doms, « Représailles populaires et arrestations à Verviers après l’Armis-tice », in Journée de l’Histoire 2010 de la Société verviétoise d’archéologie et d’histoire, p.29. RÉCIT Novembre 1918. La guerre est finie, et pourtant la violence est loin d’être terminée. Alors que les Alle-mands sont en train de quitter le territoire belge, le maintien de l’ordre devient aléatoire et la po-pulation décide de se venger. Non pas contre l’ennemi, mais contre les « mauvais » Belges. Ce seront deux mois de justice populaire, expéditive et sans gloire avant que l’armée, auréolée de prestige, ne rétablisse l’ordre et le confie aux forces de police. D’abord complaisante, la presse se reprend à son tour, et condamne bientôt les excès de rue. Traîtres à la Patrie Quatre années de privation, de souffrance et de rancoeurs mo-tivent les civils à faire justice eux-mêmes. La cible de leur vendetta : les traîtres à la Patrie, ces inci-viques qui ont préféré leurs inté-rêts personnels au bien commun et n’ont donc pas souffert de l’oc-cupation allemande comme l’en-semble de la Belgique martyre. Si l’Histoire a surtout retenu les activistes flamands (tel August Borms), c’est surtout contre les profiteurs de guerre que la popu-lation va déverser sa colère. Les vitrines des commerçants « bochophiles » sont brisées, des maisons sont saccagées, les indus-triels qui ont profité de la guerre pour s’enrichir sont boycottés, des fermes sont brûlées, des hommes sont battus et abattus, des femmes sont rasées. Les Belges n’ont donc pas attendu 1944 et la célèbre ton-due de Chartres pour connaître les tondues de la Libération. Les détails de l’histoire que nous allons vous raconter aujour-d’hui sont inédits ; nous les avons exhumés en cette fin août dans les archives de la Ville de Bruxelles. Femmes à Boches Nous sommes le 23 novembre 1918 à Bruxelles. Marie Seyn-haeve, 28 ans, originaire de Rou-lers mais habitant aujourd’hui Saint-Gilles, vient de déposer une prescription médicale chez son pharmacien. En attendant que ce-lui- ci l’exécute, la jeune femme décide de se promener sur le bou-levard Anspach. Il est bientôt 18 h lorsqu’elle croise la fratrie Muyle, à hauteur du magasin Le Grand Bazar, devenu aujourd’hui les ga-leries Anspach. Valère, Norbert, Berthilde et Estelle Muyle connaissent bien Marie Seynhaeve : elle était leur ménagère deux ans auparavant, lorsqu’ils étaient encore tous do-miciliés à Roulers. Le frère aîné, Valère, soldat belge tout juste rentré du front, la reconnaît et l’interpelle : «Oh ! vous voilà sale putain (sic). Maintenant que je suis soldat, je peux commander que l’on vous fasse ce que je veux. […] Voilà mes soeurs et mon frère et ils m’ont dit que vous aviez couru avec des Boches et que vous aviez dénoncé mon père. » Dans un esprit de vengeance, le soldat Muyle appela ses collègues belges, français et anglais à l’aide : « Il faut la tuer ! Dommage que je n’ai pas de couteau. » Les soldats se précipitent sur Marie, lui arrachent tous ses vêtements, ne lui laissant que ses bas et ses bot-tines. Son chapeau en taupe gris disparut lui aussi afin que les soldats puissent lui couper les cheveux. À défaut de couteau, c’est donc une paire de ciseaux qui l’atteindra. Car le châtiment en vigueur pour les « femmes à Boches », comme on les appelait à l’époque, est de se faire raser la chevelure, comme on le faisait déjà dans l’Ancien Régime avec les prosti-tuées atteintes de maladies véné-riennes. Le déshabillage, le port de symboles allemands comme des casques à pointes, l’exposition publique ou la promenade en car-riole font également partie du ri-tuel. Pour Fabrice Virgili, le but est « d’exclure la femme de la com-munauté, mais aussi de détruire l’image de la féminité par un pro-cessus de désexualisation » (1). Tondue et humiliée Chauve et nue, Marie Seyn-haeve est ensuite traînée sur les escaliers de la Bourse où elle est exposée aux injures des passants. Parmi eux se trouvait Pierre de Soete, sculpteur belge. Dans ses mémoires, publiées en 1953, il ra-conte ce « spectacle ignoble et ef-frayant » auquel il a assisté une trentaine d’années plus tôt : « C’était une fille assez belle et en-core jeune. En un instant (…) ses vêtements, pauvres défroques d’un faux luxe de courtisane bon mar-ché, furent accrochés, comme des trophées, aux branches des lan-ternes. Puis, empoigné par chaque jambe, par chaque bras, le jeune corps fut lancé en l’air, comme un mannequin, rattrapé, projeté de nouveau à un rythme de plus en plus accéléré. La foule était si com-pacte que la poupée vivante – elle semblait l’être de moins en moins – ne pouvait choir sur le pavé ; des mains avides se tendant de plus en plus nombreuses. » Après l’humiliation publique viennent les blessures physiques. La jeune femme est poussée au bas des marches où elle est piéti-née, frappée et subit même des at-touchements sexuels. La servante de Roulers n’est pas la première femme à faire les frais de cette vindicte populaire. En ef-fet, depuis les quelques jours qui nous séparent de l’Armistice, une véritable chasse aux sorcières s’était mise en place afin de châ-tier publiquement celles qui avaient eu des relations intimes avec les Allemands. Quatre jours plus tôt, ce sont, dixit Le Peuple du 22 novembre, « une quinzaine de ces créatures qui firent scandale par leur inconduite avec les Boches » qui furent tondues dans les quartiers de Schaerbeek, Mo-lenbeek et Evere. Le quotidien L’Etoile belge en fit le récit le 21 novembre 1918 : après avoir été insultées, les femmes tondues « furent coiffées de casques à pointes et de cas-quettes grises ramassées un peu partout dans le village et [ils] y attachèrent les photos des Boches. Cela fait, ils leur lièrent les mains et les hissèrent sur deux carrioles. Le cortège parcourut le village en tous sens pour arriver enfin à proximité de Schaerbeek. Là, les femmes furent descendues de leurs véhicules ; on leur arracha leurs vêtements, ne leur laissant que la chemise et on les rendit à la liber-té, en ayant soin de ne pas les dé-barrasser ni de leurs liens ni de leurs coiffures ». Justice d’hommes Il n’y a pas que la capitale qui connut ces scènes de tonte. Grâce à la presse de l’époque, nous avons pu retrouver des traces de faits si-milaires à Bruges, Gand, Liège, Verviers, Nivelles, mais aussi dans les campagnes. Les auteurs sont presque toujours des hommes, souvent même des soldats. Par-tout la foule est présente en masse pour assister à l’exécution, y com-pris les enfants. Les gens applau-dissent les bourreaux et insultent les victimes. On le voit, les accusées de « col-laboration horizontale » étaient particulièrement haïes par la po-pulation. En effet, grâce à leurs amants, elles n’avaient pas souf-fert de la faim et des restrictions comme le reste des civils. Elles « Vendit son corps à l’ennemi » : l’une des rares illustrations d’époque. © JAMES THIRIAR. Le jugement, conservé aux Archives générales, fut suivi d’un appel et d’une réhabilita-tion. © CANDICE DENIS. Les caricatures de collabos, marchands de savon Pour représenter la figure de l’incivique – et du profiteur de guerre en particulier –, les quotidiens belges auront recours à une série de caricatures, notamment celles réalisées par Jacques Ochs (1883-1071), qui deviendra célèbre en Belgique comme caricaturiste du Pourquoi pas ? Pilote de chasse durant la Première Guerre – il sera résistant durant la Seconde Guerre –, Jacques Ochs imagine et dessine les aventures de Monsieur Zeep, marchand de savon qui a fait fortune durant la guerre. On le découvre en vacances à la plage, à la chasse, en voyage avec sa grosse voiture, portant de beaux vêtements… Les dessins des « Zeep » seront publiés de 1920 à 1922 dans Le Soir, La Libre Belgique ou La Nation belge. A travers les Zeep, la presse montre la rancune qu’elle éprouve envers les inciviques. D’ailleurs, dans un premier temps, lorsque la presse relate des faits de vengeance populaire, jamais elle ne condamne vraiment ces débordements, jugés compréhensibles. Mais par la suite, la règle sera de prôner le retour au calme et de laisser la Justice faire son travail. « Nous comprenons fort bien la haine, l’esprit de vengeance et de colère qui ont couvé si longtemps en nous, contre ceux qui ont trafiqué avec l’ennemi. Nous comprenons que cette haine éclate un jour. Mais ne faisons pas justice nous-mêmes, attendons que les tribu-naux agissent. La colère est souvent aveugle et mauvaise conseillère. » (Le Bulletin liégeois, 26 novembre 1918). Le Soir n’en disait pas moins, la veille, alors qu’il nous informait de la tonte de Marie Seynhaeve : « [ll faut] laisser à la justice le soin de punir tous ceux qui ont pactisé avec l’ennemi. (…) Au surplus, contentons-nous d’éprouver pour les marchandes de sourires qui ont fait commerce avec les Allemands le mépris et la réprobation qu’elles méritent, sans nous déshonorer par des excès. Laissons aux Boches ce qui leur appartient. » Six jours après l’Armistice, le 17 novembre 1918, les Allemands quittent Bruxelles. © D.R. C.D. LES OBJETS DE LA GUERRE © JACQUES OCHS. Il y a cent ans, la Grande Guerre submergeait la Belgique. Mais il n’existera bientôt plus de témoin pour raconter, transmettre, faire parler les sépias. « Le Soir » et l’UCL vous invitent à découvrir les ultimes récits de l’été 14. Demain Le mystère du soldat Ollivier Chaque jour dans LeSoir17h, découvrez la version longue du prochain sujet : Un graffiti sur un arbre, un nom… Où est le corps ? 22 sur lesoir.be Notre site consacré à la Pre-mière Guerre mondiale vous en offre davantage : retrouvez-y les souvenirs de nos lecteurs, nos archives, photos et sous l’onglet « notre série UCL », ces récits dans leur version longue avec hyperliens, galeries photos et vidéos. www.lesoir.be/14-18 Cette série exceptionnelle a été réalisée sur deux années académiques, de 2012 à 2014, par les étudiants de dernière année de l’Ecole de Journalisme de Louvain. L’historien Olivier Standaert a assuré la critique et l’édition historiques. Le jour-naliste Alain Lallemand assure le coaching narratif et l’édition finale. Les vidéos et visuels web ont été dirigés par le Pr. Philippe Marion. Le P-V de Marie, gardé aux ar-chives de la Ville de Bruxelles : « L’an 1918, le 23 du mois de novembre, à 6 heures du soir, devant nous Contere Joseph, la nommée Seynhaeve Marie... » © CANDICE DENIS. 23 DANS LE CADRE DES COMMÉMORATIONS 14-18 J’y vois clair LE 6 SEPTEMBRE : Carte routière de 75 hauts lieux de commémoration. LE 6 SEPTEMBRE : DVD «Les 3 serments», film documentaire émouvant sur la Première Guerre mondiale en Belgique. + EN BONUS le DVD 9,90€* *Hors prix du journal dans la limite des stocks disponibles. © Province de Liège-Musée de la Vie wallonne. Visuels non contractuels
  • 2. GRATUIT Affiches de propagande et carte routière