Par Jérémie Foa
2022 marque le 450e anniversaire du massacre de la Saint-Barthélémy qui eut lieu à Paris le 24 août 1572 et eut des répercussions considérables dans l’ensemble du royaume de France.
Avec son ouvrage Tous ceux qui tombent, visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Jérémie Foa propose une approche inédite. Ne se contentant pas d’interroger des sources secondaires, l’historien plonge dans les archives notariales, au plus près des individus d’alors, exhumant ainsi des liasses de documents les noms des bourreaux et des victimes et redonne à chacun d’entre eux un visage, une histoire, un destin. Jérémie Foa montre qui sont les tueurs oubliés de ce massacre de proximité : ce sont les voisins qui ont assassiné les voisins, des bourreaux ordinaires qui côtoyaient chaque matin leurs futures victimes, se nourrissant de ressentiments ancrés depuis longtemps, finissant dans un flot de haine.
Se proposant de retracer les portraits des tueurs et de leurs victimes, Jérémie Foa démontre ainsi toute l’importance des archives comme source d’Histoire, d’humanité mais hélas, également, d’inhumanité.
9. Les archives criminelles du Parlement de Paris
(X2B59)
• La requête de Guillaume Gaultier, août 1569
• Veu par la court les interrogations et confessions faictes par devant l’un des conseillers d’icelles adce commis
par Guillaume Gaultier me menuisier à Paris demeurant rue des Prouvelles prisonnier en la Conciergerie du
palais comme pretendu estre de la nouvelle oppinion ; les conclusions du procureur du roy auquel le tout a
esté communiqué ; vue la declaration du cappitaine qui avoit faict ledict emprisonnement et interrogé et oy
sur ce ledict Guillaume Gaultier, mandé en icelle, qui auroit declaré n’estre plus de ladicte novelle oppinion
ains de l’antienne religion catholique apostolique et romaine en laquelle il vouloit perseverer, vivre et mourir.
10. • La malice et cruauté de la femme d’un menuisier, demeurant en la rue des Prouvelles, homme désja
aagé, fut estrange et monstrueuse. Car estant la nuit, jetté en la rivière, il se sauva à nage jusques au
bord et de là ayant grimpé sur les grosses poultres du pont, vint tout nud près la cousture Sainte
Catherine, où sa femme s’estoit retirée chez une sienne parente, pensant y avoir quelque seureté.
Mais en lieu de le recueillir, sa femme le fit renvoyer et chasser nud comme il estoit, de façon que le
povre homme ne sachant où aller, et se trouvant le matin sur les carreaux en tel équipage, fut bien
tost reprins et noyé.
• Simon Goulart, Mém. Est. France, I, p. 220.
11. La mort de Loys
Chesneau
Aujourd’huy en la presence des notaires du roy nostre sire au Chastelet de Paris
soubzsignés sont comparus venerable et discrette personne me Estienne Pasquier prebstre
et chanoyne prebendier de l’eglise Saint Germain l’Auxerrois, aagé de 80 ans et plus, me
Alexandre Aublanc aussi chanoyne prebendier en l’eglise Saint-Germain de l’Auxerrois
aagé de 24 ans ou environ, me Lucas Boyssymon escollier estudiant en l’université de Paris
aagé de 22 ans ou environ et me Julien Trahan aussi escolier estudiant en ladicte université
de Paris aagé de 25 ans ou environ lesquels ont dict, actesté et certifié, protesté et affermé
en leurs conscience concordiablement ensemble avoir eu bonne, certaine et vraye
cognoissance de feu me Loys Chesneau en son vivant [soy disant] principal du college de
Tours fondé en l’université de Paris et scavent que le dimenche 24e jour d’aoust dernier
passé, en passant par devant le college de Presle fondé en ladicte université environ les
huict heures de matin, ilz veirent ledict Chesneau devant ledict college de Presle estendu
sur le carreau qui estoyt mort et avoyt esté tué, dont desquelles choses me Mathurin Riddé
principal du college de Tours, à ce present, a requis et demandé acte ausdicts notaires qui
ont octroyé ces presentes pour luy servir et valloir en temps et lieu.
Ce fut faict ledit jour l’an mil cinq cens soixante douze, mercredi troisiesme jour de
septembre.
« Soi disant » a été ajouté ultérieurement en superscription.
AN, MC/ET/XLIX/136 (notaire Michel Charpentier, à la porte Saint-Jacques).
13. A la recherche de l’inventaire de
Nicolas Aubert († 1583)
L’inventaire de Gabrielle
Douillié, femme de Thomas
Croizier, janvier 1583 (AN,
MC/ET/LIV/225)
18. Ouvrons le registre.
Les comptes sont implacables : trois
hommes sont à l’origine de la moitié des 504 emprisonnements
pour hérésie à la Conciergerie entre octobre 1567 et
août 157012. Trois hommes ! Leurs noms ? Thomas
Croizier, Claude Chenet, Nicolas Pezou. Enseigne,
sergent, capitaine. Croizier est responsable, a minima, de
110 arrestations dont 72 tout seul. Tous les jours, parfois
plusieurs fois par jour, il interpelle les protestants restés
à Paris pendant la guerre – au passage, il se sert dans la
caisse. Une de ses victimes, Nicolas Godeffroy, présente
par exemple au parlement une requête accablante... »
20. AN, X2B 56, Supplication de Nicolas
Godeffroy Détenu
pour hérésie à la Conciergerie en mai
1569, il dénonce
nommément Croizier, qu’il accuse de
lui avoir confisqué
“deux cens sols pistolletz, quatre-
vingt dix-sept doubles ducatz
à deux testes, quatre vingtz quatre
imperialles d’or, deux noble roze, cent
soixante cinq escuz sol, quarante
escuz à la royne,
neuf doubles Henriz et aultres
especes d’or et d’argent qui
estoient en son escarcelle".
22. La supplication des frères
d’Eyrolles, AN XB255
• “amenez prisonniers en la Conciergerie du pallais
par Croizier...”
23. Leur butin est un bottin
Le 24 mars 1569, Thomas Croizier conduisait à la Conciergerie la femme de
Pierre Feret, Marie, dont l’adresse « à la Corne-de-Cerf », rue Saint-Denis, est
dûment notée15. Le 24 août 1572, parmi les victimes du massacre on compte
Pierre Feret, « à la Corne-de-Cerf », avec sa femme et trois de ses enfants16.
L’hôtelier LouisBrescheulx, qui tient le Fer-à-Cheval, est incarcéré en janvier
1570 avec Marie Creichant sa femme17. C’est « Place Maubert », adresse
consignée à son arrestation qu’on viendra le faucher le 24 août18. Antoine le
Saulnier, plumassier, massacré : arrêté par Croizier quelques années
auparavant19. L’orfèvre Simon Boursette, assassiné le 24 août : emprisonné le
12 janvier 1569 par Jean Godefroy, qui travaille avec Claude Chenet20.
Dernier exemple, évoqué en ouverture de ce livre : Nicolas Aubert,
commissaire examinateur au Châtelet de Paris, a été arrêté en janvier 1570 «
rue Fontayne Maubue » pour hérésie21. Lorsdu massacre, sa femme, Marye
Robert, est assassinée « rue Simon le Franc près la Fontaine Maubue ». Le
massacre est poursuite du temps ordinaire par d’autres moyens23.
24. Le côté obscur du
capital
• La requête de Marie Passart, X2B57
25. L’histoire de Marie Passart
L’arrestation de Marye Passart (23 mars 1569)
Archives de la Préfecture de Police de Paris ( APP, AB3, fol. 12 )
• « Marye Passart, femme de Pierre Feret, marchant native de Paris, demeurant
rue Saint Denys, à l’enseigne de la Corne de Cerf, amenée prisonnier par
Thomas Croizier, enseigne du cap. cousturier et Claude channay sergent
de la compagnie du capitaine Cousturier comme estant ladit Passart de la
nouvelle oppinion et faulte d’avoir baillé caution
26. Requête de Marie Passart au Parlement de Paris,
15 juillet 1569 (AN, Archives criminelles, X2B57)
La cour a vu requête présentée par Marie Passart femme de Pierre Feret
contenant qu’elle avait été constituée prisonnière dans les prisons de la
Conciergerie du palais à Paris comme étant de la nouvelle prétendue religion
et que par arrêt et parce qu’elle avait refusé de dénoncer celui que l’on
prétend lui avoir tranmis une lettre, mémoire, au procès criminel fait contre
elle, elle avait été condamnée à deux cent livres d’amende. Et aussi qu’elle
était grosse d’enfants.
Après avoir entendu le procureur genéral du roy, la cour a ordonné et
ordonne que après avoir payé la somme de deux cent livres d’amende, la
suppliante sera confiée en la garde de l’un de ses parents de la religion
catholicque apostolique et romaine qui se chargera de la représenter chaque
fois qu’il lui sera ordonné. La cour enjoint à la suppliante de se comporter
suivant les edits, ordonnances et arrets de la court sans y contrevenir sur les
peines mentionnées (15 juillet 1569)
27. La mort de Marie Passart
• « Mon oncle, c’est aujourd’hui qu’il faut que vous et ma tante,
qui avez esté tant opiniastre, alliez à tous les diables. » Et sans
respect de parentage ni d’excuse quelconque, les firent
promptement habiller, puis les menèrent à l’abreuvoir Poupain.
La femme fort resolue et d’un visage constant, en sortant de sa
maison, donna son demi-ceint d’argent à vne buandiere qu’elle
connoissoit, puis encouragea son mari par les chemins. Estans
au lieu de leur supplice, ils furent assomez, et leurs propres
neveux y mirent la main ; puis on jetta leurs corps en l’eau.
• Simon Goulart, Mém. Hist. France, I, p. 222.
28. Tuer ses proches avec ses proches
A Lyon comme à Paris, les assassinats sont commis par des groupes d’hommes qui se connaissent. Lors du
massacre, André Mornieu est flanqué de son neveu, Maurice Poculot et de son ami Claude de Fenoyl, qui est
le beau-frère de Claude de Rubys – commanditaire à distance du massacre. Comme dans la capitale, on tue
ses proches avec ses proches.
A Paris, Thomas Croizier massacre avec son ami, le brodeur Claude Chenet et un autre proche, le financier
Nicolas Pezou.
A Toulouse, le massacre est commis par les deux frères Delpuech, Pierre Madron, Pierre Belin beau-frère de
Pierre Delpuech, de Jean Brisault capitoul en 1568, de Sanson Lacroix, beau-frère du précédent
Ils sont soudés dans des réseaux professionnels ou familiaux, à l’intérieur desquels le conformisme, la
confiance ou le clientélisme édulcorent en partie la réalité des meurtres commis, rendent les gestes violents
moins impensables, moins frontaux, moins « idéologiques » aussi. L’événement anormal est coulé dans des
cadres connus, routinisant ce faisant ce qui est pour tous une expérience extraordinaire.
29. Et la sonnette
retentit
Mathurin Lussault est chez lui, rue Saint-Germain, quand il
entend « tirer la sonnette de sa fenestre ». C’est intrigant
mais chez Lussault les meurtriers sonnent avant d’entrer –
un reste de bonne habitude. Lussault descend, ouvre, est
accueilli d’« un coup d’espée ». Chez Pierre Baillet,
marchand teinturier de la rue Saint-Denis, on vient aussi «
sonner la clochette de sa maison ». Un peu plus loin, le
joaillier Olivier de Montault n’entend pas « heurter à sa
porte », mais sa femme est réveillée : c’est elle qui ouvre aux
assassins, comme on ouvre aux voisins, toute la famille est
exécutée. À Orléans, « quelque massacreurs » viennent «
heurter à la porte d’un docteur en droit nommé Taillebois,
lequel ouvre la fenestre, et entend qu’ils vouloient parler à
luy, descend et vient ouvrir la porte de l’huis
30. Où habitent les tueurs ?
La vallée de Misère – Agrippa d’Aubigné
« En la valee de misere, il y une porte que nous avons veuë peinte de
rouge, à laquelle les principaux massacreurs, comme Tanchon, Pezou,
Croiset et Perier, estoyent durant les trois jours ou tout, ou partie d’eux.
Là, on amenoit à l’entrée de la porte les miserables que ceux ci recevoyent
et menoyent sur des planches, par où on va aux moulins pour les precipiter
entre deux piliers du pont ».