Conférence par Catherine Hoffman pour les Amis du Musée de l'Imprimerie
Imaginés dès !'Antiquité grecque alors qu'était posée l'hypothèse de la sphéricité du monde, les globes terrestres et célestes connaissent un véritable âge d'or en Occident à la Renaissance et dans les siècles qui suivent. Produits en grand nombre grâce à la technique des fuseaux gravés, large ment diffusés dans la société, commentés et expliqués dans de nombreux traités de cosmographie, les globes s'imposent comme des instruments indispensables dans les cabinets d'étude, mais aussi comme des ornements incontournables dans les galeries des puissants, les officines des banquiers et des marchands ou encore les demeures des simples lettrés. Leur image envahit les livres, les estampes, la peinture et les arts plastiques, porteuse d'une symbolique riche et polysémique. Pourquoi et comment fut possible un tel engouement? Quels en sont les ambiguïtés, voire les paradoxes ?
Les églises dans l'oeuvre de l'architecte Tony Desjardins
Les paradoxes du globe, de la Renaissance aux Lumières
1. {
Les paradoxes du globe
de la Renaissance aux
Lumières
Catherine Hofmann
Conservatrice à la Bibliothèque
nationale de France,
Département des Cartes et plans
Musée de l’Imprimerie et de la
communication graphique
Conférence du 4 décembre 2023
3. Atlas dit « Farnèse » portant la sphère céleste
Copie romaine en marbre d’une sculpture hellénistique, IIe siècle.
Marbre, H. 210 cm ; D. (sphère) 65 cm.
Naples, Museo Archeologico Nazionale, Inv. 6374
Globe céleste, IIe siècle av. J.-C.
Argent, D. 6,3 cm.
Collection privée Kugel, Paris
Schéma du globe terrestre
de Cratès de Mallos
4. Troisième projection de Ptolémée
montrant la place occupée par
l’oecumène sur le globe
Extrait d’un manuscrit de Claude Ptolémée, Cosmographia,
réalisé à Florence/Milan, 1450-1512
BNF, Manuscrits, Latin 4801, f.74 r°.
Image numérique :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55002486w/f155.item
5. Globe terrestre de Martin Behaim.
Copie manuscrite réalisée en 1847 d’un original confectionné à
Nuremberg en 1492. 50 cm de diamètre.
Le globe montre un monde sans l’Amérique.
BnF, Cartes et Plans, GE A- 276 (RES). Image numérique : IFN-
55008737 (1ère image)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55008737g/f1.item
6. Martin Waldseemüller (1470-1520)
(attribué à), Globe terrestre dit « Globe vert »
vers 1506.
Papier, plâtre, peinture, piètement en bois,
H. 45 ; D. 24 cm.
BnF, Cartes et plans, Ge A 335 Rés
Détail montrant l’Amérique, avec son nom
« America », et à l’ouestle Japon, ou «
Zipango insula »
7. Globe céleste de Jodocus
Hondius, Amsterdam, 1600.
Diam. 35 cm.
Imprimé, colorié et vernissé, monté sur
quatre pieds colonnes.
BnF, Cartes et plans, Ge A 1151
Globe céleste avec, au centre, la
constellation de Persée
Italie ou Europe centrale, 1502.
Diam. 69 cm.
Gravé sur métal
Écouen, musée national
de la Renaissance, E.Cl.3218
8. Willem J. Blaeu, Le Flambeau de la navigation,
1620, frontispice
BnF, RLR, V-2380
Gérard Mercator, Globe terrestre,
Louvain, 1541, avec rhumbs
loxodromiques.
42 cm de diamètre
Paire de l’Université de Lausanne
9. Représentation du globe cosmographique
de Gemma Frisius
Extrait de : Gemma Frisius, De Principiis astronomiae et
cosmographiae, Louvain, 1530 (frontispice).
Equipé d’un cercle méridien, d’une table d’horizon et d’un cercle
horaire, ce globe terrestre porte également la position de
certaines étoiles.
BnF, Cartes et Plans, GE FF- 7513, frontispice
10. Les principes d’astronomie et cosmographie, avec
l’usage du globe, traduit de Gemma Frisius, Paris
1582 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1518264r
Frontispice de Methode pour etudier la
geographie par N. Lenglet du Fresnoy, 1716.
12. Globe céleste arabo-coufique,
[Espagne],[XIe siècle]
Grave gravé sur cuivre
BnF, Cartes et plans, , GE A-325
(RES)
Globe terrestre dit « Globe
doré », ca 1527
Globe gravé sur cuivre doré
BnF, Cartes et plans, GE A-333
(RES)
Globe terrestre dit « Globe vert »
attribué à Martin Waldseemüller,
ca 1506-1507
Globe peint sur une sphère en plâtre
BnF, Cartes et plans, GE A-335 (RES)
13. Claude Ptolémée (100-168),
Syntaxe mathématique (dite
Almageste),
traduit en latin par Gérard de Crémone,
Paris, 1213.
Manuscrit sur parchemin, 34 × 25 cm.
BnF, Manuscrits, Latin 16200, f. 1r
L’initiale historiée représente un Ptolémée-
roi, trônant en majesté, rehaussée à la
feuille d’or.
Reconstitution du globe
céleste d’après Ptolémée,
Almageste 8.3.
14. Martin Waldseemüller,
Globe terrestre imprimé en
fuseaux, 1507 (fac-sim 1890)
Fuseaux dits d'Ingolstadt, 1518
Gravure sur bois
BnF, Cartes et plans, GE D-3286 (RES)
15. Construction des fuseaux
Diagramme de construction des fuseaux
par Henricus Glareanus
De VI arithmeticae practicae speciebus … epitome, Paris,
1563. BnF, RLR, V-19177
1ère éd. dans son De geographia liber , 1527,
chap. XIX: ‘De inducendo papyro in
globum’.
16. Diderot et d’Alembert, L'Encyclopédie - Astronomie et Géographie
[Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts
méchaniques], Paris, Briasson, 1751-1780
Astronomie – Planche VI
Les figures 59-2 et 60 ont
rapport à la construction des
globes
Géographie – Planche I
Construction géométrique des
fuseaux
17. MÉTHODE POUR FORMER DES SECTIONS DE GLOBE HÉMISPHÉRIQUE.
Brevet U.S. déposé le 12 mai 1947 par Albert F.Pityo et Harry Butterfield et obtenu le 6
juin 1950.
Ces illustrations décrivent les sections du globe pour l'hémisphère nord et l'hémisphère sud, ainsi
qu'une vue en perspective et un « agrandissement fragmentaire verticale » du globe assemblé, produit
par un appareil de compression également décrit.
18. PRODUCTION DE GLOBES CHEZ COLUMBUS-VERLAG.
Les hémisphères des globes sont produits par une combinaison de
thermoformage et de moulage par injection.
Hémisphère retiré de la machine (à gauche) et empilé (à droite).
19. Encyclopédie - Géographie – Planche II
Construction mécanique des globes
James Wilson, dessin par Roy F.
Heinrich, 1810 (Library of Congress)
Demi-cercle en en fer pour
répartir le plâtre
Moule
Os de
mort à
rayons
22. Des globes imprimés
conçus et diffusés par paire dès le XVIe siècle
Gérard Mercator, Globes terrestre et céleste
Louvain, 1541 et 1551. 42 cm de diamètre
Paire de l’Université de Lausanne
23. Production hollandaise au XVIIe siècle
Globe terrestre de Floris
Van Langren, 1612-1616,
51 cm diam.
Globes terrestres de Willem J. Blaeu, Amsterdam,
1602 – 1603 - 1606, de 13 cm, 21 et 33 cm de diam.
24. Les globes de Coronelli
Réductions
gravées (ca
1690)
1 m de
diam.
Globe terrestre gravé
(ca 1693)
15 cm de diam.
Globes de Louis IV (1683)
4 m de diam.
25. Production française
XVIIIe siècle
Paire de globes de l’abbé Jean-Antoine Nollet,
1728, 32,5 cm de diam.
Dédiés au comte de Clermont et à la duchesse du
Maine. Prov. : Ducs de La Rochefoucauld
Globe composite de Edme Mentelle,
dit « Globe du Dauphine », 1789
115 cm de diam, 240 cm de hauteur
26. Ensemble de 4 sphères fabriquées par Jean-
Baptiste Fortin, 1780-1786
(23 cm de diamètre)
Globe céleste Globe terrestre Sphère armillaire
géocentrée,
dite de Ptolémée
Sphère armillaire
héliocentrée,
dite de Copernic
29. Octave/Auguste
Rome, 29 avant JC
Denier en argent
BnF, MMA, BNC I, 14
Dioclétien (285-286)
Multiple en or
BnF, MMA, FG 16
Dioclétien consul
(294-305)
Multiple en or
BnF, MMA, FG 14
30. Gossuin de Metz, L’Image du monde
Copié vers 1320-1325.
Manuscrit sur parchemin, 38 × 25,5 cm.
BnF, Manuscrits, Français 574, f. 136v
Le Christ en majesté,
le globe en main,
au-dessus des
sphères de l’univers
31. Justinien II
Constantinople, 705-711
Solidus en or, diamètre : 1,9 cm.
BnF, MMA, Collection
Schlumberger 2863
Henri III, Empereur du Saint-
Empire romain germanique, avec
„Reichsapfel“ et sceptre
Miniature
Echternach, milieu du XIe siècle.
Staats- und Universitätsbibliothek Bremen, Ms. b.
21, fol. 3v
„Reichsapfel“
Vienne, Weltliche
Schatzkammer
32. Statuette équestre dite de « Charlemagne »,
exécutée sous le règne de son petit-fils
Charles le Chauve (823-877), seconde
moitié du IXe siècle.
Bronze, H. 25 cm.
Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art,
OA 8260
À l’instar d’un empereur romain, le
monarque chrétien tient un orbe dans la
main gauche.
33. Portrait d’Elisabeth 1er dit de l’Armada
Daté de 1588 et attribué à John Gower
Woburn Abbaye
Victorieuse de
l’Armada espagnole,
Elisabeth 1er est
représentée ici en
impératrice du monde,
la main posée sur une
sphère terrestre figurée
au premier plan.
34. Jahangir embrassant shah Abbas, debout sur
un globe terrestre
par Abu’l Hasan, Nadir al-Zaman, vers 1618-
1622, marges 1714-1718.
Aquarelle opaque, encre et or
sur papier, 23,8 × 15,4 cm.
Washington, Freer Gallery of Art,
Achat, F1945.9
35. Louis XIV, Médaille de l’assiduité du roi en ses
conseils (revers), 1661. Or ; diamètre : 7,2 cm
BnF, MMA, Série royale, n° 1026
Portrait de Henri IV, monté sur un cheval qui
se cabre sur le globe du monde.
BnF, Estampes.
36. Claude Lefebvre, Portrait de Jean-
Baptiste Colbert, 1666
Huile sur toile, 130 x 96 cm
Versailles, musée national, MV 2185
38. Mosaïque des philosophes
Pompéi, villa de T. Siminius
Stephanus, Ier siècle.
86 × 85 cm.
Naples, Museo archeologico
Nazionale, Inv. 124545
Piero Bonaccorsi (d’après), Figures de
philosophes autour d'un globe
1ere moitié XVIe siècle.
Plume et encre noire, pinceau et lavis gris-brun sur papier
brun, 24,6 x 25 cm
Musée du Louvre, Arts graphiques, INV 10583, recto
39. Bramante (1444-1514), Héraclite et Démocrite, 1486-1487.
Fresque transférée sur toile,102 × 127 cm.
Milan, Pinacoteca di Brera, Inv. 1240
40. Johannes Vermeer,
L’Astronome, 1668
Huile sur toile, 51 x 45 cm
Paris, musée du Louvre,
département des Peintures
Globe céleste de J. Hondius,
Amsterdam, 1600, 35 cm diam.
41. Portrait de Mercator par Frans Hogenberg, 1574.
https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Mercator
42. Portrait de J. d’Alembert
d’après N.R. Jollain, vers 1777.
BnF, Estampes, N2
Portrait de la Marquise de Pompadour
D’après Maurice Quentin de la Tour.
BnF, Estampes, N2
43. Jan Cornelis Woudanus, Bibliothecae Lugduno-Batavae com pulpitis et arcis
vera ixnographia, dans Joannes Neursius Icones, elogia ac vitae professorum
Lugdunensiumapud Batavos, Leyde, 1617.
BnF, Estampes, HD-199-FOL
44. Symbole de la Création divine
et
de la Vanité du monde
45. Crispin de Pas,
Monde à l’envers,
1635
Gravure sur cuivre, 23 x 27
cm.
BnF, EST, Rés Qb 201 (29)
fol. p. 35
46. Pieter Boel, Allégorie des vanités du monde, 1663
Huile sur toile, 207 x 260 cm
Lille, Palais des Beaux-Arts, Inv.P.78
48. « Vivitur ingenio, caetera mortis
erunt », dans Gabriel Rollenhagen,
Les emblèmes, Cologne, 1611.
Gravure sur cuivre, 15 x 15 cm.
BnF, ARS, 4 BL 4988
« Espérance en adversité », dans Gilles
Corrozet, Hécatomgraphie, c'est à dire les
descriptions de cent figures et hystoires…,
Paris, 1540
BnF, Réserve des Livres rares, RES-Z-2598
50. Le Monde en sphères
exposition virtuelle :
http://expositions.bnf.fr/monde-en-spheres/
51. Les globes dans Gallica
https://gallica.bnf.fr/html/un
d/cartes/globes
52.
53. • Germaine Aujac, ‘Sphérique et sphéropée en Grèce ancienne’, dans La sphère, instrument au service de la
découverte du monde : d'Autolycos de Pitanè à Jean de Sacrobosco, Caen, Paradigme, 1993, p. 135 sq.
• Germaine Aujac, Claude Ptolémée : astronome, astrologue, géographe : connaissance et représentation du monde
habité, Paris, Editions du CTHS, 1993, p. 64-66 instructions pour la fabrication du globe céleste
(Almageste, VIII, 3) et p.135-137 pour le globe terrestre (Géographie, I, 22-23).
• Alfred Stückelberger und Gerd Grasshoff éd., Ptolemaios Handbuch der Geographie: Griechisch-Deutsch,
Basel, 2006, vol. 1, p. 113-117, bibliog. (instructions pour la fabrication d’un globe terrestre)
• Elly Dekker, Illustrating the phaenomena : celestial cartography in Antiquity and the Middle, Oxford, Oxford
university press, 2013, 467 p.
• Elly Dekker, ‘Globes in Renaissance Europe’, dans David Woodward dir. Cartography in the European
Renaissance, The History of Cartography, Volume 3-I, 2007, p. 135-173.
• Patrick Gautier Dalché, ‘Avant Behaim : les globes terrestres au XVe siècle’, Médiévales (Langues, Textes,
Histoire), n° 58, 2010, p. 43-61.
• Catherine Hofmann et François Nawrocki dir., Le Monde en sphères, Paris, BnF, 2019
Références bibliographiques
54. Références bibliographiques : symbolique des globes
Percy Ernst Schramm, Sphaira, Globus, Reichsapfel : Wanderung and Wandlung eines Herrschaftszeichnens
von Caesar bis zu Elisabeth II. Ein Beitrag zum ‘Nachleben’ der Antike, Stuttgart, Anton Hiersemann, 1958
François de Dainville, “Les Amateurs de globes”, Gazette des beaux-arts, t. LXXI, 1968, p. 51-64.
Arnaud Pascal. « L'image du globe dans le monde romain », In: Mélanges de l'École française de Rome.
Antiquité, tome 96, n°1. 1984. pp. 53-116.
Peter van der Krogt, Globi Neerlandici: The Production of Globes in the Low Countries, Utrecht, Hes
Publishers, 1993, p. 247-250.
Monique Pelletier dir., Le Globe et son image, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1995.
Jan Mokre, “Immensum in parvo : Der Globus als Symbol”, in Peter E. Allmayer (dir.), Modelle der
Welt : Erd- und Himmelsgloben, Wien, Christian Brandstatter Verlag, 1997, p. 71-87.
Catherine Hofmann, “The globe as Symbol in Emblem Books in the West, Sixteenth and Seventeenth
Century”, Globe Studies, n°49-50, 2002, p. 81-120.
Kristen Lippincott, “Globes in Art: Problems of Interpretation and Representation”, in Elly Dekker
(dir.), Globes at Greenwich: A Catalogue of the Globes and Armillary Spheres in the National Maritime
Museum, Greenwich, New York, Oxford University Press / National Maritime Museum, 1999, p. 75-86
55. Maître du Couronnement de Charles VI, Scènes de la Création
dans La Cité de Dieu de saint Augustin
traduit en français par Raoul de Presles, Paris,1375.
Manuscrit enluminé sur parchemin, 27,5 × 19,5 cm.
BnF, Manuscrits, Français 22913, f. 2v
56. Modèles sphériques de l’univers
Nicolas de Fer, L’ordre des sphères
célestes selon Ptolémée qui veut que la terre
soit immobile et au centre du monde, 1669.
BnF, Cartes et plans, Ge D 12734
Nicolas de Fer, L’ordre des sphères célestes
selon Copernic qui tient que la terre est mobile et le
soleil immobile au centre du monde, 1669.
BnF, Cartes et plans, Ge D 12742
57. Johann Reinhold (1550-1596),
Globe céleste mécanique,
Augsburg, 1588.
Acier, bois, laiton, verre,
D. 34 ; H. 47 cm.
Paris, Musée des arts et métiers –
Cnam, Inv. 07491-0000
58. Légende des planches de Géographie,
notamment les planches I et II sur la
construction des globes, conçues par
Didier Robert de Vaugondy.
Notes de l'éditeur
Octave affirmant sa domination sur le monde romain
C’est Octave, fils adoptif de César, premier empereur romain sous le nom d’Auguste (27 avant J.-C.), qui associe étroitement l’image du globe au pouvoir de Rome et de ses empereurs. Peu après sa victoire à la bataille d'Actium (32 av. J.-C.), succès qui le laisse seul maître de l'Empire romain, il célèbre l'évènement et se fait représenter nu en Neptune, tenant un sceptre et un aplustre, ornement de la poupe des navires, soulignant ainsi le caractère naval de sa victoire. Le pied posé sur un globe, Octave/Auguste signifie sa domination sur le monde romain
Dominer le monde par la Victoire militaire
L’autorité des empereurs romains est tributaire de leurs victoires militaires qui garantissent la prospérité de Rome et légitiment leur pouvoir. La Victoire, déesse ailée vêtue d’une longue robe, allégorie du triomphe des empereurs au combat, est associée très tôt à l’image du globe. Sur ce denier frappé par Octave/Auguste en 29 av. J.-C., la Victoire se tient debout sur un globe et tend la couronne de laurier au vainqueur, portant la palme du triomphe de son autre main. L’héritier de César ne peut être plus explicite pour célébrer la suprématie de Rome, et le caractère universel de sa victoire.
Le globe tout entier dans la main de l’empereur
Sur ce multiple en or, l’empereur Dioclétien se fait représenter drapé en consul. Il porte le globe dans une main et tient le sceptre de l'autre main, comme insignes de sa dignité.
Le Christ en majesté, le globe en main, au-dessus des sphères de l’univers
L’Image du monde est une encyclopédie adaptée en prose française en 1246 par maître Gossuin de Metz, à partir d’un traité en latin du xiie siècle, l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis. Nous dirions aujourd’hui qu’il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation scientifique, mettant à la portée d’un public plus large des notions savantes d’astronomie, de géographie et de sciences naturelles. L’oeuvre connut un grand succès dont témoignent plus de soixante-dix manuscrits, le plus souvent enluminés. Ce très bel exemplaire fut réalisé au début du xive siècle pour Guillaume Flote, chancelier de France sous le roi Philippe VI, et seigneur de Revel. Le manuscrit a ensuite fait partie de la riche collection du duc Jean de Berry, le frère du roi Charles V.
Cette miniature en pleine page représente le Christ en majesté, assis de face sur un trône, au-dessus d’un schéma des sphères de l’univers. Il tient de la main gauche un globe qui représente également le monde et fait un geste de bénédiction de la main droite. Il est entouré du tétramorphe, c’est-à-dire des symboles des quatre évangélistes : saint Matthieu (l’ange), saint Jean (l’aigle), saint Marc (le lion), saint Luc (le taureau).
Les cercles concentriques en dessous de la figure du Christ représentent l’univers formé de sphères emboîtées. La sphère du firmament, où sont enchâssées les étoiles fixes, enferme les sept sphères des astres (Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure, Lune) puis les quatre sphères des éléments (feu, air, eau, terre). Au-delà du firmament (huitième sphère) se trouvent les neuvième, dixième et onzième cieux (dont le ciel cristallin). Au-dessus de toutes les sphères se trouve l’empyrée, où séjournent les bienheureux aux côtés de Dieu. À l’inverse, au centre de ce système, et au plus profond des sphères du monde se trouve l’enfer, représenté par un
monstre dévorant les damnés. La souveraineté de Dieu sur le monde s’exprime ainsi de deux manières dans cette image : par le globe, que le Christ tient à la main, et par sa position en majesté au-delà du monde, dans cet espace abstrait rouge et bleu qui représente l’empyrée.
Le globe crucifère, emblème des empereurs byzantins
C'est à partir du second règne de Justinien II (705-711) que l'on trouve fréquemment dans les monnaies byzantines le symbole du globe orné de la croix, proclamant l’essence divine du pouvoir sur le monde détenu par l'empereur. Le globe crucifère est marqué ici du mot latin Pax (paix), signifiant la mission première d’un détenteur du pouvoir souverain
Voir notamment le portrait d’Elisabeth 1er dit de l’Armada, daté de 1588 et attribué à John Gower, conservé à la Woburn Abbaye : victorieuse de l’Armada espagnole, Elisabeth 1er y est représentée en impératrice du monde, la main posée sur une sphère terrestre figurée au premier plan.
Cet usage s’étend à la Renaissance à de nombreux princes, tels les rois d’Espagne, d’Angleterre ou de Pologne, mais aussi en Orient, où la sphère du monde, parfois surmontée d’un croissant, est adoptée au xviie siècle par les souverains moghols, non comme regalia au sens propre, mais comme signe de leur aspiration à être « conquérant » ou « roi du monde » (voir texte de S. Ramaswamy).
De leur côté, les rois de France, s’ils n’intègrent pas le globe aux insignes de leur pouvoir, accordent néanmoins une place originale, au XVIIe siècle, à l’orbe du monde au sein de l’iconologie célébrant leur puissance. Le roi Henri IV est représenté ainsi tantôt chevauchant un globe terrestre, où l’on reconnaît les contours de l’Eurasie et de l’Afrique, tantôt en ‘Hercule françois’ terrassant d’une main l’hydre de la discorde et tenant de l’autre un orbe indéfini, à la manière de Reichsapfel des empereurs germaniques. Sous Louis XIV, l’approche est profondément renouvelée par la symbolique du Roi-Soleil. Sur certaines médailles frappées pour commémorer les grandes dates de son règne, le roi apparaît sous les traits d’Apollon assis sur le globe ou parcourant le ciel avec son char, illuminant de ses rayons bienfaisants un globe terrestre orné de trois fleurs de lys, symbole de la Trinité chrétienne et emblème des rois de France depuis le Moyen Age (fig. 2). Plusieurs ministres de Louis XIII et Louis XIV se font aussi représenter avec un globe, témoin de leur puissance, mais aussi de l’ampleur de la charge qui leur est confiée. Ainsi Colbert, principal ministre de Louis XIV, est peint en 1666 par Claude Lefebvre en Grand Trésorier des ordres du Roi (fig. 3). A l’arrière-plan du tableau à gauche se dresse une demi-colonne qui renvoie à la stabilité de la puissance publique que le ministre incarne, et à droite une pendule ouvragée surmontée d’un Atlas portant la sphère du monde, symbolisant la constance du grand commis au service du souverain, la vocation universelle de sa politique et le poids de la charge qui pèse sur ses épaules.
Voir notamment le portrait d’Elisabeth 1er dit de l’Armada, daté de 1588 et attribué à John Gower, conservé à la Woburn Abbaye : victorieuse de l’Armada espagnole, Elisabeth 1er y est représentée en impératrice du monde, la main posée sur une sphère terrestre figurée au premier plan.
Voir Monique Pelletier, “La symbolique royale française : des globes et des rois”, in Le Globe et son image, op. cit., p. 31-47.
Voir la gravure de Thomas de Leu (1555 ?-1612), Portrait de Henri IV, monté sur un cheval qui se cabre sur le globe du monde, 1601, Bibliothèque nationale de France, EST, RES. ED-11 (D) – FOL.
Voir frontispice du Théâtre géographique du royaume de France par Jean Leclerc (Paris, 1631), qui figure Louis XIII en Apollon à gauche et à droite, Henri IV en Hercule, Bibliothèque nationale de France, PHS, Fol8.1A
Voir médaille en argent frappé pour célébrer le début du règne personnel, avec au revers, le roi en Apollon assis sur un globe aux fleurs de lys, tenant le gouvernail et la lyre. Bibliothèque nationale de France, MMA, Série royale, n° 586 (ou Inv.592, RC-A-23079)
Médaille
Le roi est représenté par le Soleil conduisant son char. Au-dessus, le zodiaque ; au-dessous, le globe fleurdelisé avec palme et laurier.
Hérité de l’Antiquité, le thème de la sphère du monde comme objet de méditation philosophique apparaît très tôt à la Renaissance. Elle est traitée au moins de deux manières. On retrouve le globe figuré selon une tradition remontant à la période hellénistique dans un dessin attribué au peintre Piero Buonaccorsi, dit Perino del Vaga, collaborateur de Raphaël, qui contribua à la décoration de la salle du Vatican ornée de l’Ecole d’Athènes, célèbre peinture du maître italien dédiée aux grandes figures de la pensée antique. Tout comme dans la mosaïque des philosophes trouvée à Torre Annunziata, près de Pompéi (voir article de C. Jacob), elle représente un groupe de savants discutant avec vivacité autour d’une sphère dont la nature ici reste indéfinie. Sous un angle plus novateur appelé à une vogue durable dans toute l’Europe, la sphère terrestre apparaît sur de nombreuses peintures ou gravures des XVIe et XVIIe siècles associée à deux philosophes antiques aux attitudes opposées, Héraclite et Démocrite, connus l’un pour rire et l’autre pour pleurer de la misère du monde.
Le champ sémantique de la sphère dans l’iconographie occidentale subit une inflexion importante au cours du XVIe siècle, lorsque le globe, forme iconique facile à représenter et à identifier, est intégré au vocabulaire graphique pour porter des interrogations métaphysiques, morales ou satiriques faisant écho à l’éclatement de la Chrétienté occidentale, aux guerres de religion et au désordre qui en résulta. D’une image éminemment positive léguée par l’Antiquité, on passa à une vision ambivalente, exprimée dans plusieurs genres iconographiques. Cet élargissement sémantique s’appuie sur une réinterprétation des conceptions aristotéliciennes sur la structure de monde, largement adoptées par l’Eglise occidentale au XIIIe siècle. Pour Aristote, l’univers constitué d’un emboîtement de sphères centrées sur une Terre sphérique et immobile, se partageait en un monde ‘supra-lunaire’ (au-delà de la lune) parfait et incorruptible, alors que le monde ‘sub-lunaire’, incluant chaque aspect de la vie terrestre, était voué au changement et à la destruction.
Le globe occupe ainsi une place centrale dans les gravures consacrées au thème du ‘monde renversé’, le monde d’après la chute d’Adam et Eve chassés du paradis, genre qui apparaît dans l’estampe occidentale au XVIe siècle et qui allie souvent à des fins d’édification morale et religieuse, une volonté de satire sociale et politique. Ainsi dans une gravure de Crispin de Pas datée de 1635, un globe dont la croix est fichée en terre montre des scènes de meurtre, de vol, de jeu et de débauche. Juché sur le globe, Satan soumet à la tentation, avec un sac plein de richesses, un fou et la femme qu’il enlace. De part et d’autre, Démocrite et Héraclite assistent impuissants à ce spectacle affligeant. Les angelots qui surmontent la scène rapprochent cette gravure d’une vanité : l’un forme des bulles de savon, l’autre tient un sablier et un crâne.
Publiés également en Europe aux xvie et xviie siècles, les livres d’emblèmes traduisent les doutes, les interrogations et les espérances religieuses de leurs contemporains en associant des images énigmatiques, semées de symboles, et des textes courts, poèmes et devises. Les différentes formes qu’y revêt la sphère –simple boule, globe terrestre muni de ses accessoires (cercles méridien et horizon), sphère cosmique (céleste ou armillaire) - guident également l’interprétation. En dernière analyse, l’ambivalence symbolique du globe semble découler, dans ces ouvrages, des propriétés physiques de la sphère elle-même : instabilité et imprévisibilité d’une part, perfection géométrique d’autre part, qui lui valut d’être érigée en modèle de l’univers. Réinterprétées sur le plan moral, ces qualités déterminent comme l’avers et le revers d’une même médaille. Boule qui tourne, la sphère symbolise l’inconstance de l’amour, les revers de la fortune, et, plus généralement, notre monde sublunaire, voué à l’impermanence et à la mort. Figure géométrique parfaite, la sphère évoque le pouvoir des puissants et le savoir des doctes, tout comme l’œuvre parfaite du Créateur, le refuge ultime de la vie céleste ou encore le monde supra-lunaire supposé parfaitement immuable… Vision d’un univers clos et stable héritée d’Aristote, mais que les découvertes de Copernic, de Tycho Brahé et de Galilée sont en train, à la même époque, de faire voler en éclat.
De fait, dans les peintures de vanité qui ont fleuri dans le nord de l’Europe au XVIIe siècle, la présence du globe n’est pas rare. Dans l’Allégorie des vanités du monde, un tableau de grand format réalisé en 1633 par le peintre flamand Pieter Boel, le globe – une sphère terrestre - occupe même le centre de la composition, qui offre une véritable accumulation des vanités humaines. A l’intérieur d’un palais (ou bien d’une église) en ruines s’entassent en une construction pyramidale une multitude d’objets symbolisant les arts (musique, sculpture, peinture), la gloire (sabre, arc et flèches, cuirasse), le pouvoir temporel (couronnes) et spirituel (tiare et crosse), la richesse (cuivre, argent et or, fourrure et étoffes précieuses) et la connaissance (livres). Ils sont surplombés par un crâne ironiquement couronné de lauriers qui donne toute sa signification à l’œuvre. À l'arrière-plan, un sarcophage porte l'inscription : « Vanitati S » (le sacrifice de la Vanité). Le globe terrestre, en position centrale, vaut tout à la fois comme symbole de la Connaissance et d’une Création soumise depuis la Chute à l’éphémère, au transitoire.
À partir du XIII e siècle, certaines images mettent en scène la figure divine et le monde en sphère dans le contexte de la Genèse, en particulier dans les nombreux manuscrits de la Bible historiale de Guyart des Moulins,
une traduction glosée et illustrée de la Bible, achevée en 1297. Selon les enluminures, Dieu le Père tient soit dans sa main, soit devant lui, le globe du monde qu’il façonne et contemple.
Ces représentations de la création du monde répondent au thème néoplatonicien d’un démiurge extérieur au monde. La source principale de cette iconographie vient du Timée de Platon, commenté notamment au XIIe siècle
par le maître de Chartres Guillaume de Conches. Platon décrit la création du cosmos sous forme d’une mise en ordre harmonieuse du chaos informe. Le monde sensible est créé à partir d’un modèle idéal, conçu par l’intellect. Le processus de création doit être guidé par les principes supérieurs de la géométrie, et la forme du monde est nécessairement celle de la sphère parfaite.
Cette idée est illustrée au XIVe et au XVe siècle par la représentation d’un Dieu muni d’un compas, en train de mesurer le monde et d’en tracer les contours. Une interprétation de ce thème apparaît au début de la Cité de Dieu de saint Augustin. Le Créateur, tenant un compas dans la main droite, dessine la sphère du monde comme s’il s’inspirait du livre qu’il tient dans la main gauche levée vers le ciel ; puis, dans la même image, mais plus à droite, il est entré dans le monde lui-même, et, toujours le livre à la main, aide Ève à sortir du corps d’Adam.