2. Les Espagnols votent ce dimanche à l’occasion d’élections générales
qui s’annoncent serrées. Les derniers sondages placent tous en tête le
parti populaire au pouvoir (25,3 à 28,3 % des voix) devant le parti
socialiste ouvrier (20,3 % à 21,2 %). Mais les deux formations sont
talonnées de près par les libéraux de Ciudadanos (18,1 %-19,6 %) et la
gauche radicale de Podemos (17,6 %-18,4 %). Ces deux partis, dont les
programmes et les stratégies sont étudiés de près, symbolisent ce
renouvellement politique que les Français appellent de leurs vœux.
Ils sont quatre pour un fauteuil ! Pour la première fois depuis
l’organisation d’élections démocratiques en 1977, après quarante ans
de dictature franquiste, les Espagnols vont avoir l’embarras du choix
dimanche pour désigner leur futur président du gouvernement.
Mettant fin à un bipartisme qui a vu, depuis 1982, le parti socialiste
ouvrier (PSOE) et le parti populaire (PP) se succéder au pouvoir, deux
nouvelles formations jouent aujourd’hui les trouble-fête, faisant
souffler un vent nouveau sur la scène politique. La « regeneracion »,
comme on l’appelle en Espagne, est en marche et rien ne semble
vouloir l’arrêter. L’Espagne, un modème de renouvellement politique?
Positionné à gauche de la gauche, Podemos, officiellement créé au
printemps 2014, est issu du mouvement des « Indignés » né à
Madrid de la spectaculaire occupation par des dizaines de milliers de
personnes de la place de la Puerta del Sol, le 15 mai 2011, pour
protester contre la crise économique et sociale, le chômage de masse,
les saisies immobilières, etc. Cette colère se traduira dans les urnes en
novembre de cette même année par une déroute des socialistes alors
au gouvernement. Cantonné jusque-là à la seule
Catalogne, Ciudadanos,d’inspiration libérale, est monté en puissance
cette année à l’occasion desélections régionales et locales en
braconnant sur les terres du PP au pouvoir, embourbé dans
les affaires de corruption.
Une autre manière d’aborder la politique. « Nous assistons
à un scénario totalement nouveau avec l’émergence de nouvelles
formations politiques et de jeunes leaders qui ont une autre manière
d’aborder la politique et d’entretenir les relations avec les citoyens,
devenus de plus en plus méfiants à l’égard des partis existants depuis
l’éclatement de la crise de 2008 », analyse Fran Delgado Morales,
politologue et président de l’association espagnole pour la
transparence. « Ces nouveaux venus ont su faire le bon diagnostic de
la situation du pays et répondre aux attentes de l’opinion publique de
3. faire de la politique autrement sur le thème des réformes, de la
transparence, de la lutte contre la corruption », ajoute-t-il.
Pablo Iglesias (37 ans), le leader de Podemos, et Albert Rivera (36
ans), son homologue de Ciudadanos, ont d’un seul coup d’un seul
donné un coup de vieux à la classe politique espagnole
Maîtrisant les nouveaux outils de communication, abordables et
parlant vrai chacun sur leurs créneaux, Pablo Iglesias (37 ans), le
leader de Podemos, et Albert Rivera (36 ans), son homologue de
Ciudadanos, ont d’un seul coup d’un seul donné un coup de vieux à la
classe politique espagnole. A Mariano Rajoy (60 ans), l’actuel
Président du gouvernement, dans les allées du pouvoir depuis une
bonne vingtaine d’années, mais aussi à Pedro Sanchez, son rival
socialiste pourtant âgé de seulement 42 ans !
De nouvelles idées. « Il ne s’agit pas seulement d’une question de
jeunesse, mais d’idées », continue Fran Delgado Morales. « Face au
parti populaire, traditionnel et conservateur, qui met en avant des
valeurs d’expérience et de solidité, le parti socialiste s’est certes
présenté comme le candidat du changement mais sa manière d’agir en
tant que parti politique ne diffère guère aujourd’hui de celle du parti
populaire. »
Cette « révolution » a pris tout le monde de court. Même les
professionnels de la chose comme Izquierda Unida (IU), réunissant le
parti communiste et les Verts ! « Si nous ne sommes pas là pour nous
lamenter, il y a toujours un élément d’injustice dans la politique »,
expliquait, la semaine dernière, dans les colonnes d’El Pais son leader
Alberto Garzon (30 ans), quelque peu amer. Il poursuivait: « Les gens
croient que les nouveaux partis sont les seuls en mesure de construire
quelque chose de nouveau. C’est faux ! Ils n’ont fait que répliquer une
grande part des vices des partis anciens ».
Fuite en avant. Questionné au sein même de son propre parti,
inquiet de se voir déborder sur sa gauche par Podemos, Pedro Sanchez
a choisi la fuite en avant, en multipliant les promesses électorales
(hausse du smic, augmentation des budgets de la santé, de l’éducation
et de la dépendance etc.). Une vraie caricature politicienne !
A droite, Mariano Rajoy qui a refusé tout débat public avec Pablo
Iglesias comme avec Albert Rivera met en avant son bilan économique
en matière de lutte contre le chômage et de maîtrise des dépenses
publiques. Il dénonce aussi l’aventure que représentent les nouveaux
venus. « Ce n’est pas le moment des expériences avec des partis qui,
4. comme les tournesols, regardent vers le levant le matin et l’après-midi
vers le couchant selon l’endroit où brille le soleil des sondages »,
répète-t-il à l’envi en refusant de participer à « un concours de beauté
pour savoir qui passe mieux à la télévision ».
Sa prestation tout comme celle de Pedro Sanchez, lundi soir, lors du
seulface-à-face télévisé de la campagne où les insultes et les
accusations ont volé bas n’a, en tout cas, pas dû réconcilier les
Espagnols avec la « vieille classe politique ! « Albert et moi, nous
pouvons avoir beaucoup de différends idéologiques mais jamais
personne ne nous a vus nous injurier de cette manière » n’a pas
manqué de commenter Pablo Iglesias en parlant d’« épilogue d’une
époque ». « L’Espagne mérite autre chose » a abondé Albert Rivera en
évoquant le « dernier débat du bipartisme ».
Si aucun sondage ne donne leur formation en tête au soir du
20 décembre, les deux hommes pourraient être amenés à jouer « les
faiseurs de roi » dans les jours qui suivront. Podemos et Ciudadanos
ont prévenu qu’ils ne participeraient pas à un gouvernement sans en
avoir la présidence. Ce qui ferme la porte à toute coalition comme
force d’appoint. Ils pourraient toutefois être en mesure de faire
pencher la balance en concluant un pacte avec l’un des deux grands
partis. A leurs conditions. Le PSOE et le PP n’ont sans doute pas fini
d’entendre parler de Pablo Iglesias et d’Albert Rivera…