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28 EconomieEntreprises Mai 2017
THE DAY AFTER
INCOMPRÉHENSION
MUTUELLE
À QUAND LE BOUT
DU TUNNEL
«FAIRE D’AL
HOCEIMA UNE
ZES»
ENQUÊTE
Par Ghassan Waïl El Karmouni
Crise économique, mal-
être social, histoire
mythifiée…La situation
d’Al Hoceima appelle des
solutions immédiates.
Enquête
29 EconomieEntreprises Mai 2017
8h30 au centre d’Al Hoceima,
la ville dort encore. Un calme
qui contraste avec la manifes-
tation de la veille rassemblant
plusieurs milliers de jeunes du
«Hirak» (mouvement) en lin-
ceuls, qui ont sillonné la ville.
Quelques rares cafés sont ou-
verts. La place centrale est dé-
serte et seule la préfecture de
police semble animée. Un peu
plus loin se dresse le centre
culturel espagnol, un magni-
fique bâtiment néo-mauresque
tout en couleur qui réchauffe
les contours de cette grande
place propre, de noir dallée.
Sur son flanc nord, on peut sur-
plomber la magnifique plage
de Quémado avec ses unités
hôtelières typiques, témoins du
plus grand intérêt qu’a accordé
l’Etat, dès les années 60, au dé-
veloppement du tourisme dans
la région nord. Aujourd’hui en-
core, ces deux hôtels construits
par la CDG représentent la plus
grande capacité d’hébergement
de la ville. Celle-ci a été fondée
dans les années 1920 par la co-
lonisation espagnole, dont elle
a hérité le nom. Al Hoceima se-
rait un dérivé du mot espagnol,
d’origine arabe Al Khozama,
qui fait référence à la lavande
poussant abondamment à l’Etat
sauvage dans cette partie des
montagnes rifaines.
Farniente
Le quartier espagnol, ou
l’ancien centre-ville, est encore
aujourd’hui beaucoup plus ani-
mé que le reste des quartiers.
Même si, ce lundi matin, de
nombreuses échoppes sont en-
core fermées ou se préparent
à ouvrir. «Ici c’est une ville très
pauvre, ce n’est pas comme
chez vous à Casablanca ou
Rabat où on peut tout trouver
à tout moment. Si vous voulez
un petit déjeuner copieux, il
va falloir attendre midi», com-
mente un propriétaire de café
visiblement surpris de se voir
commander une bissara (purée
de fèves) de bon matin comme
cela se fait dans d’autres villes
du nord… Installé directement
sur le mince trottoir devant un
thé, on peut suivre les allées
et venues dans un souk im-
provisé sur la chaussée. Pois-
son, légumes, abats de viandes
rouges, pain ou encore herbes
aromatiques… les vendeurs
sont là mais très peu de clients
s’aventurent en cette matinée.
Quelques rues plus loin, une
corniche aménagée sur un
côté du cap Viejo permet de
surplomber la plage et le port
de la ville avec son terminal de
passager désert. Trois jeunes
désœuvrés fument du canna-
bis, dans un coin. De ce pro-
montoire, on peut voir jusqu’à
Nador à l’est, et légèrement
au-dessous de la ligne d’ho-
rizon les côtes espagnoles au
lointain vers le nord.
Investissements
improductifs
Adjacents à la corniche, deux
terrains de sport de proximité
avec gradins en amphithéâtre
grec, récemment construits, et
dûment estampillés INDH, mo-
bilisent une demi-douzaine de
jeunes basketteurs. Plus loin à
droite, on aperçoit deux grues
et une montagne terrassée.
C’est l’un des trois chantiers
de lotissement que nous avons
pu relever dans toute la ville.
«C’est un projet de Mohammed
Hamouti, un des députés de
la ville. C’est lui le plus grand
promoteur de la région», nous
renseigne notre taximan. A
quelques encablures de là, de
l’autre côté de la ville vers le
sud, le projet immobilier de la
ville nouvelle de Bades, dont
le scandale a coûté la tête aux
directeurs de la CGI et de sa
maison mère la CDG, est quasi-
ment à l’arrêt. Encore une fois,
deux ou trois grues esseulées
semblent être les vestiges d’un
projet grandiose. Les plaques
de chantier décrépites arborent
les logos de la CGI et d’Al
Omrane, les deux opérateurs
publics en charge du projet.
Quelques ouvriers s’affairent
à daller un trottoir. En contre-
bas, on peut arriver à la cor-
niche maritime Sabadia sentant
le neuf à plein nez. Quelques
joggeurs en profitent. Des pê-
cheurs à la ligne tentent leur
chance. Les cafés et kiosques
longeant cette infrastructure
sont fermés, rappelant la sai-
sonnalité de l’activité de la ville.
Le tourisme essentiellement
estival, multiplie la population
de la ville par trois en haute
saison. Ce qui fait dire à notre
taximan: «C’est bien d’avoir des
corniches, mais les Hoceimites
en ont-ils vraiment besoin?
Ce qu’il nous faut ce sont des
usines pour faire travailler nos
jeunes…». Du bout de la cor-
niche, derrière quelques fa-
laises, on peut apercevoir le
port de pêche traditionnel de
Cala Iris, à peine masqué par
une petite brume. «Vous voyez
la montagne tout au fond,
au-dessus du port, c’est là que
Sidna vient chaque année pas-
ser ses vacances d’été. Sa tente
est toujours dressée à cette en-
droit», nous informe fièrement
notre chauffeur. Le roi est, en
effet, un habitué de la ville
où il séjourne une dizaine de
jours par an. En remontant la
corniche vers le port, un autre
chantier tourne au ralenti. C’est
Al Omrane qui est en charge
«Ce qu’il nous faut ce
sont des usines pour
faire travailler nos
jeunes»
Forte d’une attractivité naturelle, Al Hoceima regorge d’atouts touristiques d’exception.
Enquête
30 EconomieEntreprises Mai 2017
vous voyez d’autres plats sur
la carte, ici nous ne servons
que du poisson», nous informe
d’emblée le serveur. Celui-ci
nous explique que la marchan-
dise est acheminée de Nador:
«C’est en fait du poisson qui fait
la route en camion frigorifique
d’Agadir jusqu’au marché de
gros de Nador, il revient moins
cher…». Pourtant nous sommes
dans un port? «Depuis quelques
temps, la plupart des bateaux
partent pécher sur la côte At-
lantique. Ici, les filets sont atta-
qués par le Nigrou», explique-
t-il. Ce poisson Nigrou qui
déchire les filets des pêcheurs
est sur toutes les bouches. Une
vraie calamité qui fait que plu-
sieurs centaines de travailleurs
du port se retrouvent sur le car-
reau. «En fait, c’est le grand dau-
phin, une espèce protégée qui
attaque les filets des pêcheurs.
Ça vient du fait de l’épuise-
ment des réserves de pélagique
à proximité des côtes depuis
quelques années. Les pêcheurs
se sont retrouvés à aller pêcher
de plus en plus loin avec des
filets plus grands, entrant direc-
tement en concurrence avec ce
grand mammifère marin qui,
ne trouvant plus quoi manger,
a appris à aller chasser dans les
filets des pêcheurs», explique
Houssine Nibani, enseignant
de sciences de vie et de la terre
et président de l’association
AGIR, spécialisé dans la pêche
durable dans la baie d’Al Ho-
ceima. Une perte sèche des
patrons de pêches de 800.000 à
un million de dirhams par filet
qui peuvent atteindre jusqu’à
800m de long et 65m de pro-
fondeur. Et ce n’est pas que la
pêche qui souffre. Il suffit de
faire un petit tour dans la zone
d’activité économique d’Ait
Kamra construite par MedZ à
15 kilomètres d’Al Hoceima
pour s’en rendre compte. La
zone dont la première tranche
s’étend sur 27 hectares est dé-
serte. Trois unités occupant
quelques centaines de mètres
tivité de la pêche tourne au
ralenti et c’est à peine si on
trouve du poisson à vendre»,
témoigne le seul vendeur de
poisson au port d’Al Hoceima
devant son étal où sont dispo-
sés trois cageots à moitié pleins.
Et les prix s’en ressentent. Qua-
siment le double par rapport
aux prix pratiqués pour les
mêmes variétés à Casablanca.
«Je préfère ramener un peu
de poisson frais pêché locale-
ment et tout vendre plutôt que
d’aller le chercher ailleurs et
risquer de me retrouver avec
des méventes», témoigne notre
poissonnier. Ici l’activité est mo-
ribonde et la tension palpable.
Une demi-douzaine de pé-
cheurs rafistolent leurs filets de-
vant la vingtaine de chalutiers et
de barques à quais. L’enceinte
du port est quasiment déserte,
le terminal de passager attend
l’arrivée, mercredi, du seul na-
vire hebdomadaire reliant la
ville à Motril en Espagne.
La colère monte
Au niveau des deux restau-
rants du port, même ambiance.
A l’heure du déjeuner, quelques
clients attablés au comptoir re-
gardent, sans conviction, la
rediffusion d’un match de foot
devant une bière. «Même si
du projet du quartier Sidi Abid.
Plusieurs dizaines de lots viabi-
lisés sont en friche. Les routes
et trottoirs bien tracés font pen-
ser à un circuit de course au-
tomobile. Des lots d’immeubles
achevés trônent au milieu. «C’est
la partie du promoteur Hamou-
ti. C’est lui qui a commencé à
construire ici. Après cela, Al
Omrane est venu. La plupart
des bâtiments que vous voyez
là sont déjà vendus», nous in-
forme un ouvrier sur place.
Pourtant, tous les volets sont
fermés et nul ne semble habi-
ter dans ce nouveau quartier.
Tout comme dans nombreux
autres bâtiments de la ville où
les pancartes «à vendre» font
légion. Selon des statistiques
de la commune d’Al Hoceima,
60% des logements de la ville
sont vacants. Il faut dire que la
population a quasiment stagné
depuis 1994. Selon les statis-
tiques du HCP, la population
tourne autour de 55.000 habi-
tants depuis 33 ans.
Dépeuplée
«La ville est frappée de plein
fouet par la migration, qu’elle
soit nationale ou internatio-
nale, c’est une région qui se
dépeuple», s’alarme Mohamed
Boudra, président du conseil
communal. Et d’ajouter: «Ce dé-
peuplement a été accentué par
le dernier découpage régional
qui a fait que la ville est passée
de chef lieu de la région à sa
périphérie. Ce qui a constitué
un choc économique et social
important». Il n’y a qu’à voir
le rythme de la ville pour s’en
rendre compte. En effet, l’activi-
té ne commence réellement que
vers 11h pour s’éteindre douce-
ment vers 19h. «Les seules acti-
vités de la ville à savoir le tou-
risme, le commerce et la pêche
fonctionnent au ralenti depuis
quelques années», témoigne
Mortada, un jeune activiste
ayant pratiqué le commerce,
aujourd’hui au chômage. Et
d’ajouter:«Avec l’ouverture d’un
hypermarché, le commerce de
proximité a directement été im-
pacté. En plus avec ramadan
qui tombe en pleine saison es-
tivale, toute l’activité commer-
çante se concentre sur deux
mois. Ces dernières années,
tous les évènements qui font
tourner le commerce (Rama-
dan et fêtes religieuses) arrivent
en été, ce qui fait que le reste
de l’année les commerçants se
tournent les pouces». Une si-
tuation qui, selon lui, explique
la forte mobilisation de toutes
les strates sociales de la ville,
lors des manifestations. «Quand
vous n’avez rien à perdre, c’est
facile de fermer boutique et
descendre manifester», analyse
notre activiste. Le matin même,
une manifestation de pêcheurs
a fait le tour de la ville, mena-
çant de rejoindre le «Hirak» si
leurs revendications ne sont
pas entendues. Non loin de là,
dans l’ancien siège de la région,
se tient une réunion au sommet
entre le ministre de l’Intérieur,
le wali de la région, l’inspecteur
général du ministère, les élus,
etc. Le message leur est adres-
sé. Ils sont près d’un millier de
pécheurs de sardine qui sont au
chômage technique. La pêche
génère près de 4.000 emplois
selon Mohamed Boudra. «L’ac-
Les pêcheurs vivent un vrai calvaire, leurs filets se faisant
systématiquement déchirer par les gros dauphins noirs.
Enquête
32 EconomieEntreprises Mai 2016
soit au niveau central, notam-
ment de Mohammed Hassad
et Charki Draiss, ou régional,
comme le wali Mohamed Yaa-
koubi, qui mène des visites de
terrain dans quasiment tous les
foyers de contestation. Sauf que
la tension ne baisse pas. «En
agissant de la sorte, l’Etat croit
affaiblir le mouvement en le
coupant de sa base mais c’est
le contraire qui se produit. Vous
n’avez qu’à voir le grand suc-
cès de la manifestation du di-
manche 9 avril où ce sont près
de 50.000 personnes venant de
tous les villages avoisinants qui
sont sortis dans la ville habillés
de linceuls», se targue Nabil…
Contacté par nos soins au té-
léphone, le Wali de la région
nous a répondu cordialement,
en affirmant qu’il allait nous
apporter tous les éléments de
réponse nécessaires, mais plu-
sieurs rappels et messages, plus
tard, nous attendons toujours
ses retours. Ilias Omari, géné-
ralemet prolixe a évité de ré-
pondre à nos nombreux appels
téléphoniques, Sms et messages
Facebook. Entre temps, les ef-
fets d’annonce se sont succédés
laissant penser à une issue de la
crise, mais la blessure est telle
qu’elle prendra du temps à se
refermer.
pour nous faire entendre. On
ne s’arrêtera que lorsque toutes
nos demandes seront réalisées.
Nous avons le soutien de toute
la population car nos revendi-
cations sont légitimes», tonne
Nabil. Comme lui, ce sont des
milliers de manifestants qui ré-
pondent présents aux appels à
manifester du Hirak. Et la mobi-
lisation ne se cantonne pas qu’à
la ville; c’est toute la province
qui se mobilise. «L’approche
adoptée par l’Etat est de nature
à décrédibiliser toute médiation
à travers les élus. Nous nous
retrouvons dans une situation
où nous ne sommes écoutés
ni en bas ni en haut», se désole
Boudra. Et d’ajouter: «En répon-
dant au cas par cas, village par
village à certaines revendica-
tions, les autorités risquent de
susciter des jalousies et pousser
d’autres villages à contester et
ça peut être contreproductif.
Ce qu’il faut c’est un engage-
ment symbolique de l’Etat avec
des mesures politiques fortes
à même de calmer les esprits»,
estime le président du conseil
communal. En effet, en plus
de la réunion tenue avec le mi-
nistre de l’Intérieur, le 10 avril,
la première d’Abdelouali Laftit,
depuis sa nomination, plusieurs
visites d’officiels ont été effec-
tuées dans la région, que ce
s’y sont installées, dont une
seule est opérationnelle. Et
c’est en fait un concessionnaire
automobile et non pas une uni-
té de production. «Ces terrains
ont été expropriés entre 80 et
100 dirhams, beaucoup moins
que le prix du marché. Ce qui a
engendré des frictions avec les
propriétaires. Et, depuis plus
de 5 ans, aucune usine n’a été
créée, comme ça a été promis»,
témoigne Fayçal, un habitant
du village. Pour plus d’explica-
tions sur les retards que connait
la zone, nous avons essayé de
contacter les responsables de
MedZ, mais sans succès. Le
responsable de la zone nous a
prestement renvoyé à son col-
lègue dont le numéro n’est pas
attribué, puis silence radio...
Quasiment le même modus
operandi que le directeur du
CRI de la région Omar Chraibi.
Contacté par téléphone et par
email, ce dernier s’est dit prêt
à nous aider avant de ne plus
répondre au téléphone.
«Comme vous pouvez le voir,
la région est abandonnée à son
sort; ne voyons pas de perspec-
tives d’avenir. Il n’y a pas d’op-
portunités d’emploi. Pour faire
des études supérieures, il faut
aller à Oujda, Fès ou Tétouan.
Nous avons un des taux de
cancer les plus élevés du Ma-
roc, mais le centre d’oncologie
ne dispose pas de matériel et
de ressources humaines néces-
saires. Al Hoceima est la ville la
plus chère du Maroc, selon le
HCP à cause de l’enclavement
et du fait que l’immobilier a gri-
gnoté sur les terrains agricoles;
c’est aussi la première région
qui reçoit des transferts de MRE
en devise, mais nous conti-
nuons à être marginalisés…»,
égrène Nabil Ahamjik, un des
activistes de la ville. Et d’ajou-
ter: «Depuis la mort de Mohcine
Fikri, nous nous sommes soule-
vés contre la hogra. Nous avons
formulé un cahier revendicatif
d’une manière large et partici-
pative et nous battons le pavé
La situation sociale d’Al Ho-
ceima rappelle à plusieurs
égards celle de plusieurs
autres zones marginalisées
du Maroc. Les indicateurs
sociaux sont en plusieurs
points comparables avec
les régions du sud-est du
royaume. Ce qui n’empêche
qu’en visitant la ville, on sent
l’effort de rattrapage entre-
pris par l’Etat depuis 1999.
Plusieurs infrastructures
datent, en effet, de moins
de 10 ans. Les grands axes
routiers pour y arriver sont
en meilleur état que certains
tronçons à l’entrée de la
ville de Casablanca. Mais le
sentiment d’enclavement est
bien présent. Et il faut, en au-
tocar, plus de 12 heures pour
atteindre la ville à partir de la
côte Atlantique.
Ce qui frappe aussi, c’est la
perception des gens vis-à-
vis des initiatives publiques.
Le sentiment que l’on a est
que le manque de confi-
ance envers l’Etat et ses
institutions est patent à Al
Hoceima. Toute initiative est
sujette à surinterprétation,
voire à être vue sous le
prisme de la théorie du com-
plot. L’histoire tumultueuse
de la région n’est pas
étrangère à cela mais aussi
les promesses non tenues
et l’approche sécuritaire
qui est adoptée pour régler
tout problème social. Et en
l’absence de confiance, tout
développement local est
impossible. Les visites de
terrain des officiels sont un
pas important vers le rétab-
lissement de celle-ci, mais la
réponse aux problématiques
de cette région l’est encore
plus.
INCOMPRÉHENSION
MUTUELLE
GHASSAN W. EL KARMOUNI
La province d’Al Hoceima compte 397.000 habitants, dont 38% sont
âgés entre 15 et 34 ans. Le taux d’analphabétisme atteint 39,3%. Et
malgré un effort de scolarisation important (92% des enfants entre 7
et 10 ans), le taux d’échec et d’abandon scolaire est particulièrement
élevé. En effet, la population n’ayant aucun niveau d’étude atteint les
43,8%. Le niveau d’éducation supérieur de la population ne dépasse
pas les 3,8%, celle qui a un niveau primaire 29,6%, le niveau collégial
11% et le secondaire 5,9%. Concernant la santé, la province dispose
de deux hôpitaux généralistes et un de spécialité totalisant 525 lits,
soit 1,89% de la capacité nationale. La province compte 180 médecins
entre privé et public, soit 0,4 médecin par 1.000 habitants, c’est-à-dire,
50% de moins que la moyenne nationale. Concernant l’emploi, le taux
d’activité atteint 47,6% avec un taux de chômage dépassant les 16,3%
contre 9,6% au niveau national. Le salariat dans le privé ne dépasse pas
les 24% alors que 38% des employés se disent indépendants. Selon les
statistiques du HCP, 25% de la population vit de l’aide familiale.
Indicateurs sociaux alarmants
Enquête
34 EconomieEntreprises Mai 2017
«L’Etat va poursuivre son
approche de développe-
ment, en consacrant tous ses
moyens financiers et logis-
tiques et ses ressources hu-
maines à la mise en œuvre
des projets d’«Al Hoceima
Manarat Al Moutawassit» dans
les délais fixés et rattraper le
retard enregistré sur certains
autres». C’est en substance un
des messages clés lancés par
le ministre de l’Intérieur Ab-
delouafi Laftit, suite à sa visite
éclaire à la ville, le 10 avril
dernier. Celle-ci est survenue
le lendemain de la plus grosse
manifestation qu’a connu
la cité depuis le déclenche-
ment d’un mouvement dès
novembre 2016. Une réponse
programmatique au gronde-
ment de la rue tout en appe-
lant les autorités «à adopter
le dialogue pour interagir
avec les citoyens, et à être à
l’écoute des besoins sociaux
de la population».
Or, le programme de dé-
veloppement de la province
présenté en 2015 devant le
roi, doté d’une enveloppe
budgétaire de 6,515 milliards
de dirhams sur la période
2015-2019, soulève les cri-
tiques des activistes de la
région. «Ce programme ne
répond pas à nos préoccu-
pations. Nous cherchons des
opportunités d’emploi. Ici, il
n’y a pas d’usines pour nous
embaucher, ni une université
pour étudier et les infrastruc-
tures de transport sont insuf-
fisantes (pas d’autoroutes, pas
de chemin de fer…)» pointe
Nabil Ahamjik, un des leaders
de la contestation locale. En
effet, le plan semble avoir fait
l’impasse sur la création d’op-
portunités d’emploi durable
dans la région (voir encadré).
«Ce plan vise essentiellement
la mise à niveau de la région»,
précise Mohamed Boudra,
président du conseil commu-
nal de la ville d’Al Hoceima.
Et d’ajouter: «C’est un prére-
quis, car nous misons essen-
tiellement sur le tourisme du-
rable mais aussi sur la petite
industrie de la transformation
des produits locaux. Mais il
serait illusoire d’imaginer Al
Hoceima concurrencer de
grands centres industriels
comme Tanger ou Casablan-
ca».
Un problème
écologique
En revendiquant l’indus-
trie, les jeunes de la ville se-
raient-il nostalgiques d’une
ère révolue comme l’avance
notre élu? «La ville a disposé
de cinq unités de conserve
de poissons dont la dernière
a été délocalisée dans les
années 1990 à cause du ta-
rissement de la ressource,
notamment les anchois et la
sardine. La sardine d’Al Ho-
ceima était réputée jusqu’en
Russie», témoigne Houssine
Nibani de l’association de
la gestion intégrée des res-
sources marines (AGIR). Et
d’ajouter: «Avec la surpêche
et l’utilisation des techniques
interdites qui ont affecté les
aires de reproduction, la res-
source en poisson a énormé-
ment diminué au point où
elle ne peut même plus satis-
faire la demande locale. C’est
une vraie catastrophe écolo-
gique, économique et sociale
pour la région, d’autant que
la consommation de sardines
et d’anchois est très ancrée
dans la culture culinaire lo-
cale», affirme Nibani. Pour lui,
les solutions avancées par les
autorités, notamment le dé-L’emploi demeure le point focal des revendications.
Confronté à une contestation sans précédent, l’Etat essaye
autant que faire se peut de juguler la crise dans le Rif
central. Si les solutions proposées procèdent d’une bonne
volonté, elles risquent de ne pas forcément répondre aux
attentes.
À QUAND LE BOUT
DU TUNNEL ?
Enquête
35 EconomieEntreprises Mai 2017
tion des pêcheurs dont les
filets sont attaqués par le
grand dauphin, la tension ne
semble pas encore s’apaiser.
Si dans le centre de la pro-
vince et son chef-lieu, les
manifestations se sont cal-
mées depuis la mi-avril, dans
d’autres endroits, notamment
des villages excentrés, de
nouvelles revendications ap-
paraissent. «C’est à cause de
l’approche adoptée par le mi-
nistère de l’Intérieur», accuse
Boudra. Et de continuer: «En
répondant épisodiquement
à certaines revendications,
en plus de délégitimer les
autres institutions, l’Etat crée
des attentes nouvelles chez
la population et les pousse à
manifester», s’emporte-t-il. A
cela il faut ajouter «une tra-
dition militante issue d’une
conscience citoyenne forte
liée au vécu de la région en
plus du chômage des jeunes
qui se sentent sans perspec-
tives d’avenir», analyse Afsahi,
sans compter que nombre de
personnes rencontrées ob-
servent d’une manière mé-
fiante toute initiative venant
de l’Etat. Ce qui pousse le
président de commune à en
appeler à un soutien de l’Etat
beaucoup plus fort. «Il faut
que les gens comprennent
que l’Etat ne les a pas aban-
donnés. Et pour ça, il faut des
initiatives politiques fortes et
une compréhension moins
superficielle des probléma-
tiques. C’est sûr qu’il y a des
gens à l’extérieur qui ont in-
térêt à ce que la contestation
perdure dans le Rif, mais cer-
taines actions des pouvoirs
publics y contribuent aussi»,
tranche Boudra. Une situa-
tion complexe où se mêlent
crise économique, mal-être
social, mauvaise gestion des
ressources et une histoire my-
thifiée. Tout cela concoure à
ce que la situation dans le Rif
reste préoccupante et mérite
une attention particulière.
socio-économique sur la ré-
gion.
La tension se maintient
Partant de là, les options
envisagées par le plan de
développement risquent de
constituer encore un sujet de
discorde avec la population.
Et malgré les promesses des
autorités d’accélérer sa mise
en place et les divers effets
d’annonces, notamment le
lancement de recrutements
régionaux ou l’indemnisa-
notre chercheuse ayant fait
ses recherches sur la région,
la problématique de la culture
de cannabis peut aussi impac-
ter le tourisme à cause de son
illégalité. «Il est indéniable que
la région dispose d’un poten-
tiel touristique très important,
mais en même temps une
partie de l’espace rural souffre
d’un manque d’infrastructures
et d’un relief accidenté. Les
gens associent aussi ces mon-
tagnes à la culture du can-
nabis, ce qui ne les met pas
touche une grande partie du
Rif. La fragilité de l’environne-
ment et la surexploitation des
terres à travers l’intensification
de la culture du cannabis a
fait que la nappe phréatique
a massivement été impactée,
en plus de l’appauvrissement
des sols», analyse Kenza Afsa-
hi, sociologue économiste et
chercheuse au Centre Emile
Durkheim (CNRS, Bordeaux)
spécialisée dans les questions
liées à la culture et consom-
mation de drogues. Pour
forcément en confiance. J’ai
du mal à imaginer une famille
marocaine s’aventurant à faire
une randonnée au milieu des
champs de kif ou dormant
chez l’habitant sans se soucier
de la répression…», souligne
Afsahi. Pour elle, l’option du
tourisme durable est intéres-
sante, mais l’environnement
fragilisé la rend difficile à
envisager dans l’immédiat,
d’autant plus que ce type de
tourisme ne peut être que de
niche limitant, de fait, l’impact
Le programme Al Hoceima Manarat Al Moutawassit est un plan
quinquennal qui prévoit cinq axes de développement. La mise à
niveau territoriale comprend, entre autres, des opérations de plan-
tations d’arbres fruitiers, l’aménagement de l’entrée de la ville et
la requalification urbaine, la construction d’une marina et l’aména-
gement de plateformes panoramiques. Le plan comprend égale-
ment un axe concernant la promotion de l’environnement social,
notamment la construction ou l’équipement d’infrastructures sani-
taires et scolaires, la construction d’un grand stade et des salles
de sport couvertes ainsi que des infrastructures culturelles (théâtre,
conservatoire de musique, maison de la culture). Le troisième
axe concerne la protection de l’environnement et la gestion des
risques. Il comprend notamment la lutte contre l’érosion des sols,
la construction d’une ceinture verte, d’un musée écologique, d’un
laboratoire maritime et la valorisation du parc naturel d’Al Hocei-
ma. Le dernier axe concerne le renforcement des infrastructures et
le développement de l’espace cultuel avec notamment l’élargis-
sement des routes classées, la construction d’une unité de dessa-
lement d’eau de mer, l’élargissement des réseaux d’adduction en
eau potable et d’électricité et la construction de mosquées et d’un
complexe administratif et culturel du ministère des Habbous.
L’ambition d’un programme
dommagement des pécheurs
victimes des conséquences
de la surpêche, sont plus
ponctuelles que structurelles.
«Ce qu’il faut c’est promouvoir
une pêche plus soutenable.
Et pour cela, il faut changer
les techniques de pêche. Or,
il s’avère que c’est une solu-
tion très compliquée et coû-
teuse à mettre en œuvre car
la plupart des pécheurs ont
appris le métier sur le tas, et
en l’absence de formations
qui peuvent être longues et
fastidieuses, il sera très diffi-
cile de les faire changer d’ap-
proche pour les adapter à la
fragilité du milieu marin».
Et ce n’est pas qu’au niveau
de la mer et de la valorisation
de ses produits que la surex-
ploitation des ressources peut
être une entrave au déve-
loppement de la région. Elle
concerne aussi l’agriculture,
le tourisme les autres axes
forts du plan de développe-
ment. En effet, et selon plu-
sieurs sources locales, un des
plus grands espaces agricoles
dans la province, le bassin de
l’Oued Nekkour, a fait l’ob-
jet d’une razzia de la part les
promoteurs immobiliers pri-
vant la ville et sa région de
ses principales sources d’ap-
provisionnement en produits
frais. Il s’y ajoute la pauvreté
des terrains et la pénurie de
l’eau pour l’irrigation. Une si-
tuation qui a fini par renché-
rir le coût de la vie puisque
la ville, enclavée, est essen-
tiellement desservie à partir
de Nador, démultipliant les
intermédiaires et les coûts
logistiques. «La sécurité ali-
mentaire est un problème qui
Les solutions
avancées par les
autorités sont plus
ponctuelles que
structurelles
Enquête
36 EconomieEntreprises Mai 2017
Comment
expliquez-vous le
mécontentement des
habitants de la ville d’Al
Hoceima?
Al Hoceima est une ville
marquée par sa résistance
contre le colonialisme fran-
çais et espagnol. Sa figure
de proue n’est autre que Ab-
delkrim EL Khattabi. Après
l’indépendance, les gens ici
se sont sentis oubliés par
l’Etat. Les manifestations de
1958-1959 ont été violem-
ment réprimées par l’armée
marocaine. Puis, il y a eu
d’autres manifestations en
1984 tout aussi réprimées
dans le sang et une margi-
nalisation de la région (pas
de route, pas d’infrastructure,
etc.). Les gens ont massive-
ment fui le pays, d’où l’exis-
tence d’une grande diaspora
en Europe, notamment en
Belgique et en Hollande.
L’arrivée du nouveau Mo-
narque a représenté une ré-
volution avec tout ce qu’il
a fait à partir de 1999. Les
grands chantiers, la rocade,
la voie expresse, l’hôpital
d’oncologie, l’aéroport, la
gare maritime, etc.
Il y a eu une nouvelle
phase de réconciliation avec
le Rif. Sa Majesté vient chaque
année et tout le monde était
content. Durant les dernières
années, depuis 2010-2011, et
surtout depuis l’avènement
du dernier gouvernement,
les projets royaux ne se sont
pas exécutés dans les meil-
leurs délais. Il y a des retards
très importants, comme c’est
le cas de la route expresse
Taza-Al Hoceima. Elle était
prévue en 2015, mais elle a
été retardée pour 2017, et là,
elle risque de partir jusqu’en
2020 au meilleur des cas.
Comment expliquez-
vous ces retards?
Abdelilah Benkirane et
Abass El Fassi m’ont expli-
qué qu’Al Hoceima a béné-
ficié de budgets importants,
que beaucoup de régions
marocaines accusent les
mêmes déficits que le nord,
etc. Ce qui est vrai, mais ils
ont oublié que ce qui est en
train d’être fait ici est une
compensation des erreurs
qui ont été commises par
l’Etat dans cette région. Et le
plus grave est que ce genre
de discours a commencé à
circuler même dans l’Etat.
Or, ce qu’il faut souligner est
que les indicateurs de san-
té, d’éducation, de chômage
sont encore très en retard
par rapport à la moyenne
nationale. En fait il y a une
confusion entre Al Hocei-
ma et d’autres villes comme
Tanger ou Tétouan. On com-
met une erreur d’apprécia-
tion, celle de croire que la
réconciliation avec le nord
est terminée. Malheureuse-
ment, même si elle avait bien
avancé, elle n’est pas encore
close.
Mohammed Boudra, président du conseil communal d’Al
Hoceima depuis 2009 et radiologue de formation, nous
détaille son diagnostic sur la situation de la ville et les pistes
pour sortir de l’impasse.
«FAIRE D’AL HOCEIMA UNE
ZONE ÉCONOMIQUE SPÉCIALE»
Enquête
37 EconomieEntreprises Mai 2017
Car cette région n’est pas
suffisamment mature pour
être lâchée par l’Etat. D’au-
tant qu’il y a des blessures
historiques non encore cica-
trisées et le fait de vouloir les
fermer trop vite ne va faire
que les infecter et créer des
hémorragies qui seront plus
couteuses à traiter.
Mais l’Etat est en train
de se désengager
massivement,
notamment en faveur
des régions et des
collectivités locales…
J’ai très bien suivi cette
histoire de régionalisation.
Jusqu’à présent, 95% des
budgets publics sont encore
gérés au niveau central et
seul 5% aux niveaux local et
régional. Les compétences et
les ressources sont encore
contrôlées par l’Etat. Car
les collectivités territoriales
n’ont pas de fiscalité propre.
Juste à titre d’exemple, dans
le passé, la région touchait,
en termes d’impôts directs,
1% des recettes de l’IS et de
l’IR. Avec la régionalisation
avancée, on est passé à 2%.
Ce qui me fait dire que les
collectivités territoriales sont
plus un pare-choc que des
institutions ayant vraiment
les moyens d’agir. Au niveau
du conseil communal d’Al
Hoceima, nous disposons
d’un budget de 60 millions
de dirhams avec 70% au
titre des salaires. Que vou-
lez-vous en faire quand vous
savez qu’une route goudron-
née coûte 7 à 8 millions de
dirhams le kilomètre? Afin
de terminer les 40 kilo-
mètres qui nous restent pour
boucler la voie rapide entre
Ajdir et Taza, il nous faut in-
vestir l’équivalent de 60 ans
de notre budget sans payer
les fonctionnaires. C’est dire
à quel point l’implication de
l’Etat reste vitale.
tamment en termes fiscaux
et de facilité d’installation.
D’autant plus qu’une exo-
nération des impôts ne va
pas coûter trop cher à l’Etat
sachant que toutes les re-
cettes fiscales récoltées à Al
Hoceima ne dépassent pas
les 30 millions de dirhams.
C’est une mesure avant tout
symbolique, qui pourrait dé-
montrer que la volonté de
réconciliation de l’Etat existe
encore.
Mais il y a eu le projet
de développement «Al
Hoceima Manarat Al
Moutawassite» pour
plus de 6 milliards de
dirhams…
Effectivement, c’est un
projet qui a été présenté de-
vant le roi en 2015 et qui doit
s’achever en 2020, mais il est
resté dans les cartons. Car,
on ne sait pas qui est censé
le mener: la ville, la région,
la wilaya, la préfecture, l’Etat?
Ce sont des conventions
entre les diverses délégations
régionales avec des projets
sociaux, d’infrastructure, des
projets touristiques, des pro-
jets d’adductions d’eau…
Certains disent qu’il ne
répond pas à la priorité
de la ville…
C’est le dilemme de l’œuf
et de la poule. Comment
est-ce qu’on peut créer de
l’emploi si on ne mène pas
de projets de mise à niveau
de la région? Ces gens qui
disent ça veulent peut-être
que l’enveloppe leur soit
distribuée. Ce sont des gens
qui n’ont rien et qui veulent
des solutions immédiates, je
peux comprendre ça, mais
on ne peut pas faire de l’as-
sistanat. Il faut développer la
ville et la région pour qu’elle
soit attractive. Nous misons
sur le tourisme. Cela ne peut
pas se faire sans une mise à
niveau des infrastructures et
le désenclavement de la ré-
gion. C’est un investissement
à moyen et long termes né-
cessaire. Et puis le gouverne-
ment a très mal agi notam-
ment avec la problématique
de la pêche. Dans le cas de
l’agriculture, quand il y a des
calamités naturelles, l’Etat
aide les agriculteurs et leur
donne des subventions. Il
doit en être de même pour
la pêche.
Quels sont les autres
axes de développement
que vous avez
identifiés?
Nous avons trois territoires
au niveau de la province. La
baie d’Al Hoceima, le parc
national et la zone de mon-
tagnes. Nous avons identifié
un secteur transversal qui
est le tourisme durable. Avec
l’attractivité naturelle de la
province, il y a des atouts
indéniables. Il y a aussi le
domaine de la pêche. L’agri-
culture avec les arbres frui-
tiers. Et on voudrait créer
une activité industrielle de
transformation des produits
du terroir. Il y a aussi la vo-
lonté de donner à Al Ho-
ceima une vocation univer-
sitaire. Cette orientation est
essentielle et comporte de
nombreux avantages. D’une
part, l’ouverture d’esprit avec
plus de mixité sociale et ré-
gionale, et puis ça permet
d’attirer des fonctionnaires,
des enseignants et des étu-
diants qui constituent du
pouvoir d’achat additionnel
pour la ville. Si dans d’autres
villes, c’est le privé qui doit
primer, ici il faut que l’Etat
intervienne massivement.
L’autre erreur qui a été
commise vis-à-vis d’Al Ho-
ceima est lors du découpage
territorial. En la déclassant
de chef-lieu à une périphé-
rie d’une région avec deux
très grandes villes (Tanger et
Tétouan) cela a été un coup
dur aussi bien symbolique-
ment, puisqu’Al Hoceima
a toujours été considérée
comme une ville centrale au
Rif, qu’économiquement. En
effet, toutes les administra-
tions régionales avec leurs
ressources humaines, leurs
familles, ont été déplacées
à Tanger, ce qui a constitué
un coup dur pour la ville.
Ajoutées à cela les secousses
telluriques de 2016 et l’im-
pact de la crise économique
en Europe qui a affecté les
revenus de transferts que
reçoivent les familles de la
ville. Tous ces facteurs se
sont combinés pour créer un
climat de crise économique
et sociale sévère. La baisse
du chiffre d’affaires des com-
merçants est de l’ordre de
75%! Tout comme les autres
secteurs, même au niveau
de la clinique de la ville, la
baisse d’activité est de l’ordre
de 60%.. Tous les jeunes sont
au chômage. Et quand tu es
jeune à l’âge de 30 ou 34
ans et que tu ne vois pas de
perspectives, tu es enclin au
désespoir et tu peux même
devenir suicidaire.
Comment sortir de
cette situation à votre
avis?
Ma proposition est de dé-
clarer la ville d’Al Hoceima
comme zone économique
spéciale. Une ZES car il est
difficile de ramener des in-
vestisseurs à Al Hoceima. Il
y a l’enclavement, les pro-
blèmes géologiques, les ten-
sions sociales… Pour qu’un
investisseur vienne, il faut
qu’il soit militant ou qu’il ait
suffisamment d’avantage no-
On ne peut pas créer
de l’emploi sans
une véritable mise à
niveau de la région

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AL HOCEIMA THE DAY AFTER

  • 1.
  • 2. 28 EconomieEntreprises Mai 2017 THE DAY AFTER INCOMPRÉHENSION MUTUELLE À QUAND LE BOUT DU TUNNEL «FAIRE D’AL HOCEIMA UNE ZES» ENQUÊTE Par Ghassan Waïl El Karmouni Crise économique, mal- être social, histoire mythifiée…La situation d’Al Hoceima appelle des solutions immédiates.
  • 3. Enquête 29 EconomieEntreprises Mai 2017 8h30 au centre d’Al Hoceima, la ville dort encore. Un calme qui contraste avec la manifes- tation de la veille rassemblant plusieurs milliers de jeunes du «Hirak» (mouvement) en lin- ceuls, qui ont sillonné la ville. Quelques rares cafés sont ou- verts. La place centrale est dé- serte et seule la préfecture de police semble animée. Un peu plus loin se dresse le centre culturel espagnol, un magni- fique bâtiment néo-mauresque tout en couleur qui réchauffe les contours de cette grande place propre, de noir dallée. Sur son flanc nord, on peut sur- plomber la magnifique plage de Quémado avec ses unités hôtelières typiques, témoins du plus grand intérêt qu’a accordé l’Etat, dès les années 60, au dé- veloppement du tourisme dans la région nord. Aujourd’hui en- core, ces deux hôtels construits par la CDG représentent la plus grande capacité d’hébergement de la ville. Celle-ci a été fondée dans les années 1920 par la co- lonisation espagnole, dont elle a hérité le nom. Al Hoceima se- rait un dérivé du mot espagnol, d’origine arabe Al Khozama, qui fait référence à la lavande poussant abondamment à l’Etat sauvage dans cette partie des montagnes rifaines. Farniente Le quartier espagnol, ou l’ancien centre-ville, est encore aujourd’hui beaucoup plus ani- mé que le reste des quartiers. Même si, ce lundi matin, de nombreuses échoppes sont en- core fermées ou se préparent à ouvrir. «Ici c’est une ville très pauvre, ce n’est pas comme chez vous à Casablanca ou Rabat où on peut tout trouver à tout moment. Si vous voulez un petit déjeuner copieux, il va falloir attendre midi», com- mente un propriétaire de café visiblement surpris de se voir commander une bissara (purée de fèves) de bon matin comme cela se fait dans d’autres villes du nord… Installé directement sur le mince trottoir devant un thé, on peut suivre les allées et venues dans un souk im- provisé sur la chaussée. Pois- son, légumes, abats de viandes rouges, pain ou encore herbes aromatiques… les vendeurs sont là mais très peu de clients s’aventurent en cette matinée. Quelques rues plus loin, une corniche aménagée sur un côté du cap Viejo permet de surplomber la plage et le port de la ville avec son terminal de passager désert. Trois jeunes désœuvrés fument du canna- bis, dans un coin. De ce pro- montoire, on peut voir jusqu’à Nador à l’est, et légèrement au-dessous de la ligne d’ho- rizon les côtes espagnoles au lointain vers le nord. Investissements improductifs Adjacents à la corniche, deux terrains de sport de proximité avec gradins en amphithéâtre grec, récemment construits, et dûment estampillés INDH, mo- bilisent une demi-douzaine de jeunes basketteurs. Plus loin à droite, on aperçoit deux grues et une montagne terrassée. C’est l’un des trois chantiers de lotissement que nous avons pu relever dans toute la ville. «C’est un projet de Mohammed Hamouti, un des députés de la ville. C’est lui le plus grand promoteur de la région», nous renseigne notre taximan. A quelques encablures de là, de l’autre côté de la ville vers le sud, le projet immobilier de la ville nouvelle de Bades, dont le scandale a coûté la tête aux directeurs de la CGI et de sa maison mère la CDG, est quasi- ment à l’arrêt. Encore une fois, deux ou trois grues esseulées semblent être les vestiges d’un projet grandiose. Les plaques de chantier décrépites arborent les logos de la CGI et d’Al Omrane, les deux opérateurs publics en charge du projet. Quelques ouvriers s’affairent à daller un trottoir. En contre- bas, on peut arriver à la cor- niche maritime Sabadia sentant le neuf à plein nez. Quelques joggeurs en profitent. Des pê- cheurs à la ligne tentent leur chance. Les cafés et kiosques longeant cette infrastructure sont fermés, rappelant la sai- sonnalité de l’activité de la ville. Le tourisme essentiellement estival, multiplie la population de la ville par trois en haute saison. Ce qui fait dire à notre taximan: «C’est bien d’avoir des corniches, mais les Hoceimites en ont-ils vraiment besoin? Ce qu’il nous faut ce sont des usines pour faire travailler nos jeunes…». Du bout de la cor- niche, derrière quelques fa- laises, on peut apercevoir le port de pêche traditionnel de Cala Iris, à peine masqué par une petite brume. «Vous voyez la montagne tout au fond, au-dessus du port, c’est là que Sidna vient chaque année pas- ser ses vacances d’été. Sa tente est toujours dressée à cette en- droit», nous informe fièrement notre chauffeur. Le roi est, en effet, un habitué de la ville où il séjourne une dizaine de jours par an. En remontant la corniche vers le port, un autre chantier tourne au ralenti. C’est Al Omrane qui est en charge «Ce qu’il nous faut ce sont des usines pour faire travailler nos jeunes» Forte d’une attractivité naturelle, Al Hoceima regorge d’atouts touristiques d’exception.
  • 4. Enquête 30 EconomieEntreprises Mai 2017 vous voyez d’autres plats sur la carte, ici nous ne servons que du poisson», nous informe d’emblée le serveur. Celui-ci nous explique que la marchan- dise est acheminée de Nador: «C’est en fait du poisson qui fait la route en camion frigorifique d’Agadir jusqu’au marché de gros de Nador, il revient moins cher…». Pourtant nous sommes dans un port? «Depuis quelques temps, la plupart des bateaux partent pécher sur la côte At- lantique. Ici, les filets sont atta- qués par le Nigrou», explique- t-il. Ce poisson Nigrou qui déchire les filets des pêcheurs est sur toutes les bouches. Une vraie calamité qui fait que plu- sieurs centaines de travailleurs du port se retrouvent sur le car- reau. «En fait, c’est le grand dau- phin, une espèce protégée qui attaque les filets des pêcheurs. Ça vient du fait de l’épuise- ment des réserves de pélagique à proximité des côtes depuis quelques années. Les pêcheurs se sont retrouvés à aller pêcher de plus en plus loin avec des filets plus grands, entrant direc- tement en concurrence avec ce grand mammifère marin qui, ne trouvant plus quoi manger, a appris à aller chasser dans les filets des pêcheurs», explique Houssine Nibani, enseignant de sciences de vie et de la terre et président de l’association AGIR, spécialisé dans la pêche durable dans la baie d’Al Ho- ceima. Une perte sèche des patrons de pêches de 800.000 à un million de dirhams par filet qui peuvent atteindre jusqu’à 800m de long et 65m de pro- fondeur. Et ce n’est pas que la pêche qui souffre. Il suffit de faire un petit tour dans la zone d’activité économique d’Ait Kamra construite par MedZ à 15 kilomètres d’Al Hoceima pour s’en rendre compte. La zone dont la première tranche s’étend sur 27 hectares est dé- serte. Trois unités occupant quelques centaines de mètres tivité de la pêche tourne au ralenti et c’est à peine si on trouve du poisson à vendre», témoigne le seul vendeur de poisson au port d’Al Hoceima devant son étal où sont dispo- sés trois cageots à moitié pleins. Et les prix s’en ressentent. Qua- siment le double par rapport aux prix pratiqués pour les mêmes variétés à Casablanca. «Je préfère ramener un peu de poisson frais pêché locale- ment et tout vendre plutôt que d’aller le chercher ailleurs et risquer de me retrouver avec des méventes», témoigne notre poissonnier. Ici l’activité est mo- ribonde et la tension palpable. Une demi-douzaine de pé- cheurs rafistolent leurs filets de- vant la vingtaine de chalutiers et de barques à quais. L’enceinte du port est quasiment déserte, le terminal de passager attend l’arrivée, mercredi, du seul na- vire hebdomadaire reliant la ville à Motril en Espagne. La colère monte Au niveau des deux restau- rants du port, même ambiance. A l’heure du déjeuner, quelques clients attablés au comptoir re- gardent, sans conviction, la rediffusion d’un match de foot devant une bière. «Même si du projet du quartier Sidi Abid. Plusieurs dizaines de lots viabi- lisés sont en friche. Les routes et trottoirs bien tracés font pen- ser à un circuit de course au- tomobile. Des lots d’immeubles achevés trônent au milieu. «C’est la partie du promoteur Hamou- ti. C’est lui qui a commencé à construire ici. Après cela, Al Omrane est venu. La plupart des bâtiments que vous voyez là sont déjà vendus», nous in- forme un ouvrier sur place. Pourtant, tous les volets sont fermés et nul ne semble habi- ter dans ce nouveau quartier. Tout comme dans nombreux autres bâtiments de la ville où les pancartes «à vendre» font légion. Selon des statistiques de la commune d’Al Hoceima, 60% des logements de la ville sont vacants. Il faut dire que la population a quasiment stagné depuis 1994. Selon les statis- tiques du HCP, la population tourne autour de 55.000 habi- tants depuis 33 ans. Dépeuplée «La ville est frappée de plein fouet par la migration, qu’elle soit nationale ou internatio- nale, c’est une région qui se dépeuple», s’alarme Mohamed Boudra, président du conseil communal. Et d’ajouter: «Ce dé- peuplement a été accentué par le dernier découpage régional qui a fait que la ville est passée de chef lieu de la région à sa périphérie. Ce qui a constitué un choc économique et social important». Il n’y a qu’à voir le rythme de la ville pour s’en rendre compte. En effet, l’activi- té ne commence réellement que vers 11h pour s’éteindre douce- ment vers 19h. «Les seules acti- vités de la ville à savoir le tou- risme, le commerce et la pêche fonctionnent au ralenti depuis quelques années», témoigne Mortada, un jeune activiste ayant pratiqué le commerce, aujourd’hui au chômage. Et d’ajouter:«Avec l’ouverture d’un hypermarché, le commerce de proximité a directement été im- pacté. En plus avec ramadan qui tombe en pleine saison es- tivale, toute l’activité commer- çante se concentre sur deux mois. Ces dernières années, tous les évènements qui font tourner le commerce (Rama- dan et fêtes religieuses) arrivent en été, ce qui fait que le reste de l’année les commerçants se tournent les pouces». Une si- tuation qui, selon lui, explique la forte mobilisation de toutes les strates sociales de la ville, lors des manifestations. «Quand vous n’avez rien à perdre, c’est facile de fermer boutique et descendre manifester», analyse notre activiste. Le matin même, une manifestation de pêcheurs a fait le tour de la ville, mena- çant de rejoindre le «Hirak» si leurs revendications ne sont pas entendues. Non loin de là, dans l’ancien siège de la région, se tient une réunion au sommet entre le ministre de l’Intérieur, le wali de la région, l’inspecteur général du ministère, les élus, etc. Le message leur est adres- sé. Ils sont près d’un millier de pécheurs de sardine qui sont au chômage technique. La pêche génère près de 4.000 emplois selon Mohamed Boudra. «L’ac- Les pêcheurs vivent un vrai calvaire, leurs filets se faisant systématiquement déchirer par les gros dauphins noirs.
  • 5. Enquête 32 EconomieEntreprises Mai 2016 soit au niveau central, notam- ment de Mohammed Hassad et Charki Draiss, ou régional, comme le wali Mohamed Yaa- koubi, qui mène des visites de terrain dans quasiment tous les foyers de contestation. Sauf que la tension ne baisse pas. «En agissant de la sorte, l’Etat croit affaiblir le mouvement en le coupant de sa base mais c’est le contraire qui se produit. Vous n’avez qu’à voir le grand suc- cès de la manifestation du di- manche 9 avril où ce sont près de 50.000 personnes venant de tous les villages avoisinants qui sont sortis dans la ville habillés de linceuls», se targue Nabil… Contacté par nos soins au té- léphone, le Wali de la région nous a répondu cordialement, en affirmant qu’il allait nous apporter tous les éléments de réponse nécessaires, mais plu- sieurs rappels et messages, plus tard, nous attendons toujours ses retours. Ilias Omari, géné- ralemet prolixe a évité de ré- pondre à nos nombreux appels téléphoniques, Sms et messages Facebook. Entre temps, les ef- fets d’annonce se sont succédés laissant penser à une issue de la crise, mais la blessure est telle qu’elle prendra du temps à se refermer. pour nous faire entendre. On ne s’arrêtera que lorsque toutes nos demandes seront réalisées. Nous avons le soutien de toute la population car nos revendi- cations sont légitimes», tonne Nabil. Comme lui, ce sont des milliers de manifestants qui ré- pondent présents aux appels à manifester du Hirak. Et la mobi- lisation ne se cantonne pas qu’à la ville; c’est toute la province qui se mobilise. «L’approche adoptée par l’Etat est de nature à décrédibiliser toute médiation à travers les élus. Nous nous retrouvons dans une situation où nous ne sommes écoutés ni en bas ni en haut», se désole Boudra. Et d’ajouter: «En répon- dant au cas par cas, village par village à certaines revendica- tions, les autorités risquent de susciter des jalousies et pousser d’autres villages à contester et ça peut être contreproductif. Ce qu’il faut c’est un engage- ment symbolique de l’Etat avec des mesures politiques fortes à même de calmer les esprits», estime le président du conseil communal. En effet, en plus de la réunion tenue avec le mi- nistre de l’Intérieur, le 10 avril, la première d’Abdelouali Laftit, depuis sa nomination, plusieurs visites d’officiels ont été effec- tuées dans la région, que ce s’y sont installées, dont une seule est opérationnelle. Et c’est en fait un concessionnaire automobile et non pas une uni- té de production. «Ces terrains ont été expropriés entre 80 et 100 dirhams, beaucoup moins que le prix du marché. Ce qui a engendré des frictions avec les propriétaires. Et, depuis plus de 5 ans, aucune usine n’a été créée, comme ça a été promis», témoigne Fayçal, un habitant du village. Pour plus d’explica- tions sur les retards que connait la zone, nous avons essayé de contacter les responsables de MedZ, mais sans succès. Le responsable de la zone nous a prestement renvoyé à son col- lègue dont le numéro n’est pas attribué, puis silence radio... Quasiment le même modus operandi que le directeur du CRI de la région Omar Chraibi. Contacté par téléphone et par email, ce dernier s’est dit prêt à nous aider avant de ne plus répondre au téléphone. «Comme vous pouvez le voir, la région est abandonnée à son sort; ne voyons pas de perspec- tives d’avenir. Il n’y a pas d’op- portunités d’emploi. Pour faire des études supérieures, il faut aller à Oujda, Fès ou Tétouan. Nous avons un des taux de cancer les plus élevés du Ma- roc, mais le centre d’oncologie ne dispose pas de matériel et de ressources humaines néces- saires. Al Hoceima est la ville la plus chère du Maroc, selon le HCP à cause de l’enclavement et du fait que l’immobilier a gri- gnoté sur les terrains agricoles; c’est aussi la première région qui reçoit des transferts de MRE en devise, mais nous conti- nuons à être marginalisés…», égrène Nabil Ahamjik, un des activistes de la ville. Et d’ajou- ter: «Depuis la mort de Mohcine Fikri, nous nous sommes soule- vés contre la hogra. Nous avons formulé un cahier revendicatif d’une manière large et partici- pative et nous battons le pavé La situation sociale d’Al Ho- ceima rappelle à plusieurs égards celle de plusieurs autres zones marginalisées du Maroc. Les indicateurs sociaux sont en plusieurs points comparables avec les régions du sud-est du royaume. Ce qui n’empêche qu’en visitant la ville, on sent l’effort de rattrapage entre- pris par l’Etat depuis 1999. Plusieurs infrastructures datent, en effet, de moins de 10 ans. Les grands axes routiers pour y arriver sont en meilleur état que certains tronçons à l’entrée de la ville de Casablanca. Mais le sentiment d’enclavement est bien présent. Et il faut, en au- tocar, plus de 12 heures pour atteindre la ville à partir de la côte Atlantique. Ce qui frappe aussi, c’est la perception des gens vis-à- vis des initiatives publiques. Le sentiment que l’on a est que le manque de confi- ance envers l’Etat et ses institutions est patent à Al Hoceima. Toute initiative est sujette à surinterprétation, voire à être vue sous le prisme de la théorie du com- plot. L’histoire tumultueuse de la région n’est pas étrangère à cela mais aussi les promesses non tenues et l’approche sécuritaire qui est adoptée pour régler tout problème social. Et en l’absence de confiance, tout développement local est impossible. Les visites de terrain des officiels sont un pas important vers le rétab- lissement de celle-ci, mais la réponse aux problématiques de cette région l’est encore plus. INCOMPRÉHENSION MUTUELLE GHASSAN W. EL KARMOUNI La province d’Al Hoceima compte 397.000 habitants, dont 38% sont âgés entre 15 et 34 ans. Le taux d’analphabétisme atteint 39,3%. Et malgré un effort de scolarisation important (92% des enfants entre 7 et 10 ans), le taux d’échec et d’abandon scolaire est particulièrement élevé. En effet, la population n’ayant aucun niveau d’étude atteint les 43,8%. Le niveau d’éducation supérieur de la population ne dépasse pas les 3,8%, celle qui a un niveau primaire 29,6%, le niveau collégial 11% et le secondaire 5,9%. Concernant la santé, la province dispose de deux hôpitaux généralistes et un de spécialité totalisant 525 lits, soit 1,89% de la capacité nationale. La province compte 180 médecins entre privé et public, soit 0,4 médecin par 1.000 habitants, c’est-à-dire, 50% de moins que la moyenne nationale. Concernant l’emploi, le taux d’activité atteint 47,6% avec un taux de chômage dépassant les 16,3% contre 9,6% au niveau national. Le salariat dans le privé ne dépasse pas les 24% alors que 38% des employés se disent indépendants. Selon les statistiques du HCP, 25% de la population vit de l’aide familiale. Indicateurs sociaux alarmants
  • 6. Enquête 34 EconomieEntreprises Mai 2017 «L’Etat va poursuivre son approche de développe- ment, en consacrant tous ses moyens financiers et logis- tiques et ses ressources hu- maines à la mise en œuvre des projets d’«Al Hoceima Manarat Al Moutawassit» dans les délais fixés et rattraper le retard enregistré sur certains autres». C’est en substance un des messages clés lancés par le ministre de l’Intérieur Ab- delouafi Laftit, suite à sa visite éclaire à la ville, le 10 avril dernier. Celle-ci est survenue le lendemain de la plus grosse manifestation qu’a connu la cité depuis le déclenche- ment d’un mouvement dès novembre 2016. Une réponse programmatique au gronde- ment de la rue tout en appe- lant les autorités «à adopter le dialogue pour interagir avec les citoyens, et à être à l’écoute des besoins sociaux de la population». Or, le programme de dé- veloppement de la province présenté en 2015 devant le roi, doté d’une enveloppe budgétaire de 6,515 milliards de dirhams sur la période 2015-2019, soulève les cri- tiques des activistes de la région. «Ce programme ne répond pas à nos préoccu- pations. Nous cherchons des opportunités d’emploi. Ici, il n’y a pas d’usines pour nous embaucher, ni une université pour étudier et les infrastruc- tures de transport sont insuf- fisantes (pas d’autoroutes, pas de chemin de fer…)» pointe Nabil Ahamjik, un des leaders de la contestation locale. En effet, le plan semble avoir fait l’impasse sur la création d’op- portunités d’emploi durable dans la région (voir encadré). «Ce plan vise essentiellement la mise à niveau de la région», précise Mohamed Boudra, président du conseil commu- nal de la ville d’Al Hoceima. Et d’ajouter: «C’est un prére- quis, car nous misons essen- tiellement sur le tourisme du- rable mais aussi sur la petite industrie de la transformation des produits locaux. Mais il serait illusoire d’imaginer Al Hoceima concurrencer de grands centres industriels comme Tanger ou Casablan- ca». Un problème écologique En revendiquant l’indus- trie, les jeunes de la ville se- raient-il nostalgiques d’une ère révolue comme l’avance notre élu? «La ville a disposé de cinq unités de conserve de poissons dont la dernière a été délocalisée dans les années 1990 à cause du ta- rissement de la ressource, notamment les anchois et la sardine. La sardine d’Al Ho- ceima était réputée jusqu’en Russie», témoigne Houssine Nibani de l’association de la gestion intégrée des res- sources marines (AGIR). Et d’ajouter: «Avec la surpêche et l’utilisation des techniques interdites qui ont affecté les aires de reproduction, la res- source en poisson a énormé- ment diminué au point où elle ne peut même plus satis- faire la demande locale. C’est une vraie catastrophe écolo- gique, économique et sociale pour la région, d’autant que la consommation de sardines et d’anchois est très ancrée dans la culture culinaire lo- cale», affirme Nibani. Pour lui, les solutions avancées par les autorités, notamment le dé-L’emploi demeure le point focal des revendications. Confronté à une contestation sans précédent, l’Etat essaye autant que faire se peut de juguler la crise dans le Rif central. Si les solutions proposées procèdent d’une bonne volonté, elles risquent de ne pas forcément répondre aux attentes. À QUAND LE BOUT DU TUNNEL ?
  • 7. Enquête 35 EconomieEntreprises Mai 2017 tion des pêcheurs dont les filets sont attaqués par le grand dauphin, la tension ne semble pas encore s’apaiser. Si dans le centre de la pro- vince et son chef-lieu, les manifestations se sont cal- mées depuis la mi-avril, dans d’autres endroits, notamment des villages excentrés, de nouvelles revendications ap- paraissent. «C’est à cause de l’approche adoptée par le mi- nistère de l’Intérieur», accuse Boudra. Et de continuer: «En répondant épisodiquement à certaines revendications, en plus de délégitimer les autres institutions, l’Etat crée des attentes nouvelles chez la population et les pousse à manifester», s’emporte-t-il. A cela il faut ajouter «une tra- dition militante issue d’une conscience citoyenne forte liée au vécu de la région en plus du chômage des jeunes qui se sentent sans perspec- tives d’avenir», analyse Afsahi, sans compter que nombre de personnes rencontrées ob- servent d’une manière mé- fiante toute initiative venant de l’Etat. Ce qui pousse le président de commune à en appeler à un soutien de l’Etat beaucoup plus fort. «Il faut que les gens comprennent que l’Etat ne les a pas aban- donnés. Et pour ça, il faut des initiatives politiques fortes et une compréhension moins superficielle des probléma- tiques. C’est sûr qu’il y a des gens à l’extérieur qui ont in- térêt à ce que la contestation perdure dans le Rif, mais cer- taines actions des pouvoirs publics y contribuent aussi», tranche Boudra. Une situa- tion complexe où se mêlent crise économique, mal-être social, mauvaise gestion des ressources et une histoire my- thifiée. Tout cela concoure à ce que la situation dans le Rif reste préoccupante et mérite une attention particulière. socio-économique sur la ré- gion. La tension se maintient Partant de là, les options envisagées par le plan de développement risquent de constituer encore un sujet de discorde avec la population. Et malgré les promesses des autorités d’accélérer sa mise en place et les divers effets d’annonces, notamment le lancement de recrutements régionaux ou l’indemnisa- notre chercheuse ayant fait ses recherches sur la région, la problématique de la culture de cannabis peut aussi impac- ter le tourisme à cause de son illégalité. «Il est indéniable que la région dispose d’un poten- tiel touristique très important, mais en même temps une partie de l’espace rural souffre d’un manque d’infrastructures et d’un relief accidenté. Les gens associent aussi ces mon- tagnes à la culture du can- nabis, ce qui ne les met pas touche une grande partie du Rif. La fragilité de l’environne- ment et la surexploitation des terres à travers l’intensification de la culture du cannabis a fait que la nappe phréatique a massivement été impactée, en plus de l’appauvrissement des sols», analyse Kenza Afsa- hi, sociologue économiste et chercheuse au Centre Emile Durkheim (CNRS, Bordeaux) spécialisée dans les questions liées à la culture et consom- mation de drogues. Pour forcément en confiance. J’ai du mal à imaginer une famille marocaine s’aventurant à faire une randonnée au milieu des champs de kif ou dormant chez l’habitant sans se soucier de la répression…», souligne Afsahi. Pour elle, l’option du tourisme durable est intéres- sante, mais l’environnement fragilisé la rend difficile à envisager dans l’immédiat, d’autant plus que ce type de tourisme ne peut être que de niche limitant, de fait, l’impact Le programme Al Hoceima Manarat Al Moutawassit est un plan quinquennal qui prévoit cinq axes de développement. La mise à niveau territoriale comprend, entre autres, des opérations de plan- tations d’arbres fruitiers, l’aménagement de l’entrée de la ville et la requalification urbaine, la construction d’une marina et l’aména- gement de plateformes panoramiques. Le plan comprend égale- ment un axe concernant la promotion de l’environnement social, notamment la construction ou l’équipement d’infrastructures sani- taires et scolaires, la construction d’un grand stade et des salles de sport couvertes ainsi que des infrastructures culturelles (théâtre, conservatoire de musique, maison de la culture). Le troisième axe concerne la protection de l’environnement et la gestion des risques. Il comprend notamment la lutte contre l’érosion des sols, la construction d’une ceinture verte, d’un musée écologique, d’un laboratoire maritime et la valorisation du parc naturel d’Al Hocei- ma. Le dernier axe concerne le renforcement des infrastructures et le développement de l’espace cultuel avec notamment l’élargis- sement des routes classées, la construction d’une unité de dessa- lement d’eau de mer, l’élargissement des réseaux d’adduction en eau potable et d’électricité et la construction de mosquées et d’un complexe administratif et culturel du ministère des Habbous. L’ambition d’un programme dommagement des pécheurs victimes des conséquences de la surpêche, sont plus ponctuelles que structurelles. «Ce qu’il faut c’est promouvoir une pêche plus soutenable. Et pour cela, il faut changer les techniques de pêche. Or, il s’avère que c’est une solu- tion très compliquée et coû- teuse à mettre en œuvre car la plupart des pécheurs ont appris le métier sur le tas, et en l’absence de formations qui peuvent être longues et fastidieuses, il sera très diffi- cile de les faire changer d’ap- proche pour les adapter à la fragilité du milieu marin». Et ce n’est pas qu’au niveau de la mer et de la valorisation de ses produits que la surex- ploitation des ressources peut être une entrave au déve- loppement de la région. Elle concerne aussi l’agriculture, le tourisme les autres axes forts du plan de développe- ment. En effet, et selon plu- sieurs sources locales, un des plus grands espaces agricoles dans la province, le bassin de l’Oued Nekkour, a fait l’ob- jet d’une razzia de la part les promoteurs immobiliers pri- vant la ville et sa région de ses principales sources d’ap- provisionnement en produits frais. Il s’y ajoute la pauvreté des terrains et la pénurie de l’eau pour l’irrigation. Une si- tuation qui a fini par renché- rir le coût de la vie puisque la ville, enclavée, est essen- tiellement desservie à partir de Nador, démultipliant les intermédiaires et les coûts logistiques. «La sécurité ali- mentaire est un problème qui Les solutions avancées par les autorités sont plus ponctuelles que structurelles
  • 8. Enquête 36 EconomieEntreprises Mai 2017 Comment expliquez-vous le mécontentement des habitants de la ville d’Al Hoceima? Al Hoceima est une ville marquée par sa résistance contre le colonialisme fran- çais et espagnol. Sa figure de proue n’est autre que Ab- delkrim EL Khattabi. Après l’indépendance, les gens ici se sont sentis oubliés par l’Etat. Les manifestations de 1958-1959 ont été violem- ment réprimées par l’armée marocaine. Puis, il y a eu d’autres manifestations en 1984 tout aussi réprimées dans le sang et une margi- nalisation de la région (pas de route, pas d’infrastructure, etc.). Les gens ont massive- ment fui le pays, d’où l’exis- tence d’une grande diaspora en Europe, notamment en Belgique et en Hollande. L’arrivée du nouveau Mo- narque a représenté une ré- volution avec tout ce qu’il a fait à partir de 1999. Les grands chantiers, la rocade, la voie expresse, l’hôpital d’oncologie, l’aéroport, la gare maritime, etc. Il y a eu une nouvelle phase de réconciliation avec le Rif. Sa Majesté vient chaque année et tout le monde était content. Durant les dernières années, depuis 2010-2011, et surtout depuis l’avènement du dernier gouvernement, les projets royaux ne se sont pas exécutés dans les meil- leurs délais. Il y a des retards très importants, comme c’est le cas de la route expresse Taza-Al Hoceima. Elle était prévue en 2015, mais elle a été retardée pour 2017, et là, elle risque de partir jusqu’en 2020 au meilleur des cas. Comment expliquez- vous ces retards? Abdelilah Benkirane et Abass El Fassi m’ont expli- qué qu’Al Hoceima a béné- ficié de budgets importants, que beaucoup de régions marocaines accusent les mêmes déficits que le nord, etc. Ce qui est vrai, mais ils ont oublié que ce qui est en train d’être fait ici est une compensation des erreurs qui ont été commises par l’Etat dans cette région. Et le plus grave est que ce genre de discours a commencé à circuler même dans l’Etat. Or, ce qu’il faut souligner est que les indicateurs de san- té, d’éducation, de chômage sont encore très en retard par rapport à la moyenne nationale. En fait il y a une confusion entre Al Hocei- ma et d’autres villes comme Tanger ou Tétouan. On com- met une erreur d’apprécia- tion, celle de croire que la réconciliation avec le nord est terminée. Malheureuse- ment, même si elle avait bien avancé, elle n’est pas encore close. Mohammed Boudra, président du conseil communal d’Al Hoceima depuis 2009 et radiologue de formation, nous détaille son diagnostic sur la situation de la ville et les pistes pour sortir de l’impasse. «FAIRE D’AL HOCEIMA UNE ZONE ÉCONOMIQUE SPÉCIALE»
  • 9. Enquête 37 EconomieEntreprises Mai 2017 Car cette région n’est pas suffisamment mature pour être lâchée par l’Etat. D’au- tant qu’il y a des blessures historiques non encore cica- trisées et le fait de vouloir les fermer trop vite ne va faire que les infecter et créer des hémorragies qui seront plus couteuses à traiter. Mais l’Etat est en train de se désengager massivement, notamment en faveur des régions et des collectivités locales… J’ai très bien suivi cette histoire de régionalisation. Jusqu’à présent, 95% des budgets publics sont encore gérés au niveau central et seul 5% aux niveaux local et régional. Les compétences et les ressources sont encore contrôlées par l’Etat. Car les collectivités territoriales n’ont pas de fiscalité propre. Juste à titre d’exemple, dans le passé, la région touchait, en termes d’impôts directs, 1% des recettes de l’IS et de l’IR. Avec la régionalisation avancée, on est passé à 2%. Ce qui me fait dire que les collectivités territoriales sont plus un pare-choc que des institutions ayant vraiment les moyens d’agir. Au niveau du conseil communal d’Al Hoceima, nous disposons d’un budget de 60 millions de dirhams avec 70% au titre des salaires. Que vou- lez-vous en faire quand vous savez qu’une route goudron- née coûte 7 à 8 millions de dirhams le kilomètre? Afin de terminer les 40 kilo- mètres qui nous restent pour boucler la voie rapide entre Ajdir et Taza, il nous faut in- vestir l’équivalent de 60 ans de notre budget sans payer les fonctionnaires. C’est dire à quel point l’implication de l’Etat reste vitale. tamment en termes fiscaux et de facilité d’installation. D’autant plus qu’une exo- nération des impôts ne va pas coûter trop cher à l’Etat sachant que toutes les re- cettes fiscales récoltées à Al Hoceima ne dépassent pas les 30 millions de dirhams. C’est une mesure avant tout symbolique, qui pourrait dé- montrer que la volonté de réconciliation de l’Etat existe encore. Mais il y a eu le projet de développement «Al Hoceima Manarat Al Moutawassite» pour plus de 6 milliards de dirhams… Effectivement, c’est un projet qui a été présenté de- vant le roi en 2015 et qui doit s’achever en 2020, mais il est resté dans les cartons. Car, on ne sait pas qui est censé le mener: la ville, la région, la wilaya, la préfecture, l’Etat? Ce sont des conventions entre les diverses délégations régionales avec des projets sociaux, d’infrastructure, des projets touristiques, des pro- jets d’adductions d’eau… Certains disent qu’il ne répond pas à la priorité de la ville… C’est le dilemme de l’œuf et de la poule. Comment est-ce qu’on peut créer de l’emploi si on ne mène pas de projets de mise à niveau de la région? Ces gens qui disent ça veulent peut-être que l’enveloppe leur soit distribuée. Ce sont des gens qui n’ont rien et qui veulent des solutions immédiates, je peux comprendre ça, mais on ne peut pas faire de l’as- sistanat. Il faut développer la ville et la région pour qu’elle soit attractive. Nous misons sur le tourisme. Cela ne peut pas se faire sans une mise à niveau des infrastructures et le désenclavement de la ré- gion. C’est un investissement à moyen et long termes né- cessaire. Et puis le gouverne- ment a très mal agi notam- ment avec la problématique de la pêche. Dans le cas de l’agriculture, quand il y a des calamités naturelles, l’Etat aide les agriculteurs et leur donne des subventions. Il doit en être de même pour la pêche. Quels sont les autres axes de développement que vous avez identifiés? Nous avons trois territoires au niveau de la province. La baie d’Al Hoceima, le parc national et la zone de mon- tagnes. Nous avons identifié un secteur transversal qui est le tourisme durable. Avec l’attractivité naturelle de la province, il y a des atouts indéniables. Il y a aussi le domaine de la pêche. L’agri- culture avec les arbres frui- tiers. Et on voudrait créer une activité industrielle de transformation des produits du terroir. Il y a aussi la vo- lonté de donner à Al Ho- ceima une vocation univer- sitaire. Cette orientation est essentielle et comporte de nombreux avantages. D’une part, l’ouverture d’esprit avec plus de mixité sociale et ré- gionale, et puis ça permet d’attirer des fonctionnaires, des enseignants et des étu- diants qui constituent du pouvoir d’achat additionnel pour la ville. Si dans d’autres villes, c’est le privé qui doit primer, ici il faut que l’Etat intervienne massivement. L’autre erreur qui a été commise vis-à-vis d’Al Ho- ceima est lors du découpage territorial. En la déclassant de chef-lieu à une périphé- rie d’une région avec deux très grandes villes (Tanger et Tétouan) cela a été un coup dur aussi bien symbolique- ment, puisqu’Al Hoceima a toujours été considérée comme une ville centrale au Rif, qu’économiquement. En effet, toutes les administra- tions régionales avec leurs ressources humaines, leurs familles, ont été déplacées à Tanger, ce qui a constitué un coup dur pour la ville. Ajoutées à cela les secousses telluriques de 2016 et l’im- pact de la crise économique en Europe qui a affecté les revenus de transferts que reçoivent les familles de la ville. Tous ces facteurs se sont combinés pour créer un climat de crise économique et sociale sévère. La baisse du chiffre d’affaires des com- merçants est de l’ordre de 75%! Tout comme les autres secteurs, même au niveau de la clinique de la ville, la baisse d’activité est de l’ordre de 60%.. Tous les jeunes sont au chômage. Et quand tu es jeune à l’âge de 30 ou 34 ans et que tu ne vois pas de perspectives, tu es enclin au désespoir et tu peux même devenir suicidaire. Comment sortir de cette situation à votre avis? Ma proposition est de dé- clarer la ville d’Al Hoceima comme zone économique spéciale. Une ZES car il est difficile de ramener des in- vestisseurs à Al Hoceima. Il y a l’enclavement, les pro- blèmes géologiques, les ten- sions sociales… Pour qu’un investisseur vienne, il faut qu’il soit militant ou qu’il ait suffisamment d’avantage no- On ne peut pas créer de l’emploi sans une véritable mise à niveau de la région