L’impératrice Élisabeth d’Autriche, mieux connue sous le nom de Sissi, reste dans l’imaginaire de plusieurs comme une souveraine mièvre, voire insipide. Pourtant, elle était tout autre : une âme libre, républicaine et… anarchiste. Son recueil de poème (traduit de l’allemand par Nicole Cassanova ) composé entre 1885 et 1888 est tributaire d’une prégnance féministe surprenante. D’ailleurs, par le seul fait d’écrire, comme l’atteste Patricia Smart dans Écrire dans la maison du père (2003), elle remet en question la structure masculine dominante de la sa société. Le penchant féministe de la poétesse est attestée tant par ses thématiques politiques, amoureuses et humaines, d’où émane une grande douleur de vivre.
Dans cette poésie demeurée secrète jusqu’en 1951 à la demande de sa créatrice, on découvre des prises de positions modernes, ce à quoi les femmes de son temps et du milieu aristocratique ne se risquaient ordinairement pas. Il faut donc voir dans la praxis littéraire de l’impératrice non pas une œuvre exceptionnelle sur le plan de la qualité des vers, mais bien une voix avant-gardiste et originale. À une époque où les féministes commençaient leur regroupement, en parallèle, Élisabeth exprime ses visions du monde de manière souvent tranchée. Elle flirte avec un ton subversif et même parfois grossier, ce qui n’aurait pas été admissible en public : les poèmes sont donc une rare zone de liberté d’expression toute féminine de cette période. L’écrivaine rejetait l’idée d’être une femme-objet au service d’un empire qu’elle n’aimait pas et dont elle prédisait une fin qui s’est bel et bien produite une vingtaine d’années après son assassinat.
5. Le proto-féminisme
= féminisme individuel
«femmes qui ont cherché, par le
biais de leurs écrits, à déconstruire les discours
misogynes au sein des nombreuses
querelles des femmes et à proposer des
alternatives.»
9. «À mon enfant» (1887)
De quoi sert-il d’avoir enfanté,
Et pour l’amour de toi renoncé
À une vie où, telle les fées,
J’allais libre de par le monde?
(…)
Tu vois en esprit autour de toi
Déjà bouger une douzaine d’enfants
Tu aimerasi donc douze morveux
Plus que moi, qui t’avais dorlotée.
L’amour est bête, l’amour est aveugle!
Ainsi l’a voulu le livre du Destin
Et c’est, mon enfant, à ton tour
De ployer sous la malédiction.
(…)
(Hamman, 514)
11. «À Bismark» (1886)
Prédestiné et voué à la victoire,
Tu marches, toi le plus grand esprit du
[temps,
Plein d’énergie, dominant notre monde,
Fauchant les peuples à ta guise.
(…)
12. «La fête du 13 mai 1888» (1888)
Pourquoi tous ces militaires
En groupes et en haies?
Pourquoi cette armée de policiers?
Vienne voudrait-elle conspirer aujourd’hui?
On non! On célèbre seulement une fête,
Une fête de la cour, de la noblesse,
Dont on laisser approcher tous ceux
Dont l’arbre généalogique est sans tache.
(…)
13. «Mon rêve» (1887)
J’étais cette nuit un empereur,
En rêve seulement, certes,
Et en plus, un empereur sage
Comme il y en a sans doute peu.
Depuis bientôt cinquante ans
Je suis assis sur le trône,
Pensais-je; et en vérité,
Personne n’en tire du bienfait.
(…)
14. Le goût de la liberté
Titania, aquarelle de John
Simmons, 1866,
Musée de Bristol
15. «Titania» (1885)
Profondément fatiguée, Titania va et
[vient dans le jardin,
Défait, songeuse, ses tresses, compose
[en errant de nouveaux chants,
Et elle songe aux temps depuis
[longtemps enfuis où elle demeurait ici
(…)
16. «Extrait de la chronique de cour de Titania» (1887)
Je m’approche de ce nouveau pays,
Si aimablement situé, cerné par la mer;
Il y a bien cent ans
Que j’y ai posé mon regard pour la première
fois.
(…)
Je ne le fais que sur l’ordre d’Obéron.
(…)
Mais ici la rigide étiquette
Ne fait que contrarier Titania.
17. «Corfou à l’automne 1888 (Chants d’Arvid)»
(octobre 1888)
Nous étions sur une colline d’un vert
profond
Dans le bosquet aux feuilles argentées
De noirs oliviers mélancoliques,
Le ciel était d’un bleu profond et pur.
Devant nous resplendissait
La mer rayonnate et infinie,
Nous nous regardions dans les yeux,
Sans plus rire ni plaisanter.
(…)
18. «Garouna, le 30 octobre 1888»
Les vagues murmurent, la mer murumure,
Le vent du soir les pousse vers le rivage.
Là où le soleil porupre s’est abîmé à l’horizon,
Maintenant des nuages dorés font voile.
(…)
L’étoile qui reçut son nom de l’amour,
L’étoile où séjourne le vaillant, le magnifique
Vers lequel mon âme, ailes ouvertes, vole.