Après sept ans d’enquête, la volumineuse instruction ouverte à Liège depuis 2004 pour des faits de blanchiment d’argent présumé au Standard est arrivé devant la justice en octobre 2012. Voici l’enquête de David Leloup publiée le 18 octobre 2012.

1. Le Soir Vendredi 19 octobre 2012
FOCUS
LESSPORTS 35
Le Standard passait par Chypre
et la Suisse pour ses transferts
La justice reproche à l’ancien directeur général du Standard, Pierre Delahaye, d’avoir signé des
contrats suspects lors de trois transferts fin 1999. Alphonse Costantin lui a succédé et l’a imité !
ctobre 1999. L’international
roumain Liviu Ciobotariu
est transféré du Dinamo Bucarest au Standard. Lucien
D’Onofrio est à la manœuvre, comme pour tous les transferts des
Rouches. C’est lui qui a négocié la transaction avec Cristi Borcea, le sulfureux
président du Dinamo qui a déjà fait fortune, à même pas 30 ans, dans l’industrie du gaz liquéfié.
Au total, le Standard déboursera
1,53 million de dollars pour acquérir le
défenseur roumain. Pourtant, le Dinamo ne touchera que 600.000 dollars, le
prix officiel du transfert. Mais où est
passé le reste ?
Pierre Delahaye, alors directeur général du Standard, signera en octobre
1999 pas moins de 4 conventions liées à
ce transfert. Trois d’entre elles apparaissent suffisamment suspectes à la justice
liégeoise pour que celle-ci décide de l’inculper pour « faux » et « usage de
faux » en juin 2011.
Les deux premières conventions, de
300.000 et 230.000 dollars, sont signées avec Ioan Becali, l’agent de Ciobotariu. Elles concernent son « assistance
et collaboration dans le transfert » du
joueur, et une « collaboration active et
future entre l’agent et le Standard pour
du scouting et la recherche de nouveaux
talents ». Les montants, surtout les
300.000 dollars perçus pour le transfert, paraissent exorbitants pour un
joueur vendu 600.000 dollars. La commission d’un agent tourne habituellement autour des 7 % du prix de vente.
Que cachent ces conventions honorées par le Standard ? Mystère : versés
sur un compte de Becali à la Compagnie Bancaire Genève, les fonds ont disparu dans le brouillard suisse. A ce
jour, Berne n’a toujours pas répondu à
la demande d’entraide de la justice belge.
La troisième convention, plus suspecte encore, est signée entre le Standard
et le Dinamo. Elle stipule qu’une indemnité complémentaire « de formation et
de collaboration » de 400.000 dollars
sera payée non pas au Dinamo mais à
une mystérieuse société écran,
Fleetway Trading Co. Ltd., en 2 tranches de 200.000 dollars, sur un compte
à la banque Hofmann de Zurich. La première tranche est versée en novembre
1999. Puis, contre toute attente, le 3
juillet 2000, le Standard verse la seconde tranche à une autre entité, Hostar
Corporation Limited, une société offshore domiciliée dans le paradis fiscal
de Chypre.
Qui se cache derrière ces deux boîtes
aux lettres ? La justice croit savoir que
Fleetway a servi d’écran à Cristi Borcea,
le président du Dinamo. Quant à Hostar, le mystère s’est dissipé en septem-
O
De gauche à droite, les intervenants du dossier : Pierre Delahaye, Liviu Ciobotariu, Lucien
D’Onofrio, Adrian Aliaj, Josko Bilic, Alphonse Costantin, Ivica Dragutinovic, Daniel Van Buyten, Vedran Runje, Joseph Yobo, Jurgen Cavens et Fabian Carini. © BELGA, AFP.
bre 2009, quand les enquêteurs se sont
rendus en Roumanie. Ils y ont découvert que la société était administrée par
un avocat de Bucarest qui sert de prêtenom à Ioan Becali, l’agent de Ciobotariu.
Hostar n’est en fait qu’un véhicule
anonyme « loué » par Becali pour réceptionner des fonds en toute discrétion. Quand les 200.000 dollars de la
seconde tranche ont été crédités sur le
compte de Hostar, à la Banca Turco-Romana de Bucarest, l’avocat prête-nom a
récupéré les fonds via plusieurs retraits
de cash étalés entre le 13 juillet et le 5
septembre 2000. Il remettra ensuite
les liasses de billets à son client Becali,
qui dira aux enquêteurs les avoir rétrocédées à Ciobotariu.
« Ce sont les Roumains qui ont proposé deux paiements de 600.000 (Ndlr :
prix officiel du transfert) et 400.000
dollars (Ndlr : prix des commissions occultes), expliquera Lucien D’Onofrio
aux enquêteurs. Nous voulions le
joueur. Il était difficile de refuser. »
Concernant les virements effectués à
Fleetway et Hostar, il admettra qu’« on
peut supposer que Borcea et Ciobotariu
sont les bénéficiaires de ces paiements ». Quant à Pierre Delahaye, qui a
signé les conventions, il affirmera ne jamais avoir entendu parler de Hostar.
En juin dernier, le parquet a inculpé
Ciobotariu, Becali et Borcea pour
« faux », « usage de faux » et « faux fiscaux ».
A partir de ce lundi 22 octobre, la
chambre du conseil de Liège examinera
le dossier en vue de décider de l’éventuel renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel. ■
DAVID LELOUP
Aliaj, Bilic, un diamantaire, le Wyoming…
n 1999 Pierre Delahaye a signé une
convention avec une
E lettres du Wyoming, unsociété boîte
aux
paradis fiscal opaque qui n’aurait rien à envier aux
îles Caïmans ou à Chypre. La justice reproche également à Pierre Delahaye
d’avoir signé des conventions douteuses
avec 2 sociétés écrans lors du transfert
de 2 joueurs vers Israël, fin 1999. Mais, à
côté des montants cités dans le dossier
Ciobotariu, les sommes en jeu sont plus
modestes : on parle de 6 factures suspectes pour un total de 40.000 euros.
A l’été 1998, le défenseur croate Josko
Bilic et le milieu albanais Adrian Aliaj
débarquent en bord de Meuse. Un an
plus tard, le Standard souhaite se séparer de ces deux joueurs car ils jouent
peu, et leurs salaires pèsent inutilement
sur les finances du club. Fin 1999, un cerwww.lesoir.be
18/10/12 22:06 - LE_SOIR
tain Jozef Spiegel, courtier en diamants
à Anvers, joue les intermédiaires entre
Sclessin et deux clubs israéliens : le Maccabi Petah-Tikva, intéressé par Aliaj, et
le Maccabi Herzliya, pour Bilic.
Delahaye signera alors 2 conventions
jugées suspectes par la justice. La première concerne le transfert d’Aliaj. Elle
est conclue avec Darlen LLC, une société offshore enregistrée à Cheyenne, dans
le Wyoming. Cet Etat de 568.000 habitants – le moins peuplé des Etats-Unis –
est un paradis fiscal selon Reuters.
Début 2000, une certaine Stella Ashkenazi signe 3 factures envoyées par
Darlen au Standard. Montant total :
20.000 dollars. Motif ? « Plusieurs
voyages, travaux de traduction, demandes de visas, et rôle d’intermédiaire entre
les clubs. » Pour le transfert de Bilic,
c’est une boîte aux lettres londonienne,
Global Soccer Promotions Limited, gérée par un homme de paille chypriote,
qui émet elle aussi trois factures pour un
total de 20.000 dollars. Aucun numéro
de compte ne figure sur les factures. Les
paiements se font par chèque. Et les chèques sont touchés cash à Genève auprès
de la Banque Diamantaire Anversoise…
Une telle opacité intrigue la justice. Que
sont devenus ces fonds ?
Selon l’intermédiaire diamantaire son
interlocuteur en Israël pour les 2 clubs
était l’ancien joueur Avi Cohen (ex Liverpool). « Quand j’ai reçu les factures de
Cohen, je les ai remises à Delahaye », a-til dit aux enquêteurs. Difficile à vérifier :
Cohen est mort dans un accident de moto fin 2010, peu de temps avant l’interrogatoire de Jozef Spiegel… ■
D.Lp
Costantin Un faux
pour sauver le Standard ?
l’ancien
qui dirigea le Standard de Liège
A lphonseàCostantin, 2002, estarbitre
d’avril 2000 décembre
égale-
teurs ont soupçonné une surévaluation
du transfert pour faire rentrer du cash
dans les caisses du Standard, qui en
avait bien besoin.
Mais cela n’a jamais pu être prouvé.
En revanche, la justice croit savoir qu’Alphonse Costantin aurait commis un
faux en écriture afin d’intégrer la vente
des quatre joueurs à l’exercice comptable antérieur du club. Un tour de passepasse qui aurait permis… de sauver le
Standard de la faillite !
Carini. Le transfert du gardien uruguayen de la Juventus de Turin à Sclessin, réalisé pendant le mercato estival
2002, interpelle également la justice liégeoise.
ment poursuivi par la justice liégeoise.
Il a été inculpé en juin 2011 en même
temps que son prédécesseur, Pierre Delahaye, et que son successeur, Pierre
François. Il lui est reproché des faux en
écriture liés à des transferts de joueurs.
Voici lesquels.
Dragutinovic. Le 30 juin 2000, soit
trois jours avant le transfert d’Ivica Dragutinovic de la Gantoise au Standard,
Alphonse Costantin signe une étrange
convention avec le FK Borac, le club
croate où le jeune « Drago » a fait ses armes avant de rejoindre la Gantoise. La
convention stipule que le Standard paiera à Borac des indemnités pour la « for- Fabian Carini quitte la Juve
mation du joueur » à hauteur de 1,3 mil- pour 5 millions d’euros.
lion de Deutsche Mark (environ A l’époque, c’est le plus gros
675.000 euros), payables en 3 tranches. transfert belge. Sauf que la
Le règlement de la Fifa est pourtant facture émise par la Juve…
clair : ce type d’indemnités est dû « lors n’a jamais été payée.
de chaque transfert d’un professionnel
jusqu’à la saison de son 23e anniversaiFabian Carini quitte la Juve pour
re ». Or Dragutinovic avait déjà 24 ans 5 millions d’euros. A l’époque, c’est le
lors de la signature de cette convention. plus gros transfert belge. Sauf que la facLa justice soupçonne qu’il s’agit d’un ture émise par la Juve… n’a jamais été
faux réalisé pour dégager du cash et ré- payée.
Deux ans plus tard, Carini retourne à
munérer au noir le joueur – inculpé lui
Turin, toujours sans le moindre paieaussi.
Van Buyten, Runje, Yobo, et Cavens. A ment. Les dessous du deal sont appal’été 2001, les quatre Standardmen sont remment complexes. Dans cette histoitransférés vers l’Olympique de Marseil- re, Alphonse Costantin aurait réalisé un
le pour un montant global dépassant les faux en écriture « pour faire plaisir à la
17 millions d’euros. Daniel Van Buyten Juventus qui avait trop de joueurs », seest vendu 11,5 millions d’euros à lui seul, lon une source proche du dossier. ■
soit près de 15 fois le prix auquel il a été
D. Lp
acheté deux ans auparavant.
A l’époque, le Standard et l’OM ont le Ǡ DEMAIN
même actionnaire principal : Robert
QU’EST-CE QUE LA JUSTICE REPROCHE
Louis-Dreyfus. Longtemps, les enquêÀ PIERRE FRANÇOIS ?
1NL BIS
du 19/10/12 - p. 35