1. Force Science News No 148
24 avril 2010
Nouvelles études sur les activités multitâches : quel est le risque de surcharge de votre cerveau?
De nouvelles études sur la nature et les défis d’effectuer plusieurs tâches simultanément comportent
d’importantes implications relatives à la sécurité des policiers au volant, aussi bien en patrouille que dans les
poursuites à haute vitesse, selon le docteur Bill Lewinski, directeur général du Force Science Institute.
Une équipe de recherche de l’Université de l’Utah a repris le sujet souvent abordé de l’utilisation du téléphone
cellulaire au volant et découvert de nouveaux éléments.
Contrairement aux prévisions des chercheurs, certaines personnes se montrent capables de porter attention à
une conversation téléphonique en circulant sur la voie publique et ce, sans atténuer leurs facultés de conduite.
Ceci dit, ces « as des activités multitâches », comme les surnomment les docteurs Jason Watson et David
Strayer de la faculté de psychologie de l’université, ne forment qu’une infime minorité, soit 2,5 % des gens
testés. Une majorité écrasante « a démontré une baisse considérable de performance » au moment de tenter
d’accomplir plusieurs choses à la fois.
Watson et Strayer ont observé 200 volontaires, hommes et femmes, dont l’âge variait de 18 à 43 ans, dans le
cadre d’un exercice effectué à l’aide d’un simulateur de conduite perfectionné. On demandait aux sujets de
freiner « en temps opportun et de manière appropriée » au cours d’un déplacement simulé d’environ
50 kilomètres sur une autoroute « comprenant bretelles d’accès et de sortie, viaducs, deux et trois voies dans
chaque direction ». S’ils ne freinaient pas, « ils finiraient par entrer en collision » avec un autre véhicule.
Les chercheurs ont comparé la performance des sujets lorsqu’ils n’avaient qu’à se concentrer sur la conduite et
quand ils utilisaient un téléphone cellulaire mains libres pour écouter des questions d’ordre mathématique et de
mémoire posées au moment où ils tentaient d’effectuer des manœuvres sur la route.
Dans 97,5 % des cas, « la performance multitâche s’est avérée inférieure à celle d’une seule tâche », de
remarquer les chercheurs. En outre, la conduite et la résolution de problèmes étrangers à la route par téléphone
cellulaire s’amoindrissaient toutes deux chez la plupart des sujets qui tentaient de les effectuer simultanément.
L’impact de l’utilisation du cellulaire au volant établi par d’autres études se voyait confirmer de nouveau,
signalent Watson et Strayer : « Temps de réaction prolongé avant de freiner, détection d’objets diminuée,
facultés mentales relatives à la circulation réprimées et taux d’accidents accru… Les conversations au téléphone
cellulaire entraînent une certaine forme de cécité d’attention qui empêche les conducteurs de capter jusqu’à la
moitié des informations de leur environnement qu’ils auraient normalement enregistrées s’ils n’avaient pas été
en communication téléphonique ».
On ignore la raison pour laquelle les rares et extraordinaires as des activités multitâches se sont révélés capables
de mener « les deux activités à la fois avec grande compétence » et ce, sans défaillance ou presque. Les
chercheurs espèrent pouvoir se pencher davantage sur ces cas « étonnamment remarquables ».
Ce texte a été traduit sous la supervision de l’École nationale de police du Québec
et grâce au soutien du Centre canadien de recherches policières.
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2. Dans un même temps, ils mettent en garde contre la tentation de penser que vous faites partie de cette minorité
exceptionnelle. « Bon nombre de gens croient que les lois de l’attention ne s’appliquent pas à eux », écrivent
Watson et Strayer. Toutefois, « les probabilités jouent contre eux ».
Lewinski abonde dans le même sens. « Dans les autos-patrouilles d’aujourd’hui, nombreuses sont les
distractions durant la conduite… Téléphone cellulaire, terminal de données, répartiteur radio, présence de
collègues, en plus du besoin d’évaluer les renseignements reçus et d’établir une stratégie au moment de
répondre à un appel. »
« Lorsque vous vous trouvez dans un tel contexte, votre capacité à percevoir ce qui se passe autour de vous et à
réagir se trouve en fait diminuée, possiblement de beaucoup, même si vous croyez bien maîtriser plus d’un
élément à la fois. »
« Ajoutez la vitesse à ce mélange et vous représentez encore un plus grand risque pour vous-même, les autres
conducteurs et les piétons. »
« Afin de vous assurer une plus grande sécurité, vous devez réduire, soit vos éléments de distraction, soit les
défis que présente la route. Entre autres possibilités, vous pourriez conduire plus lentement, emprunter un
chemin moins fréquenté et maintenir une bonne distance entre vous et les véhicules qui vous précèdent afin de
vous accorder un meilleur temps de réaction et ainsi contribuer à compenser la « perte de performance »
associée à votre attention divisée ».
[Cliquez ici pour consulter le rapport complet, en langue anglaise, de l’étude menée dans l’État de l’Utah.]
Dans une autre récente étude, des chercheurs français en sont venus à une conclusion quant au fait d’effectuer
simultanément plusieurs tâches, conclusion envers laquelle Lewinski manifeste une certaine réserve.
Un rapport rédigé en collaboration avec le docteur Etienne Koechlin, professeur à l’Institut national français de
la Santé et de la Recherche médicale (INSERM http://www.inserm.fr/) de Paris, largement diffusé en avril 2010
dans les médias scientifiques, indique que le cerveau humain peut accomplir avec succès deux tâches à la fois,
mais s’embrouille au moment de tenter d’en effectuer une troisième.
Les chercheurs ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique dans le but d’étudier les lobes frontaux du
cerveau de 32 volontaires « au moment d’accomplir plusieurs tâches relativement compliquées », y compris des
répartitions et positionnements de lettres.
Lorsque les sujets n’effectuaient qu’une seule tâche, « on notait une activité dans les zones orientées vers un but
des deux lobes frontaux », de dire Koechlin, « ce qui suggère que les deux côtés du cerveau travaillaient
ensemble pour accomplir la tâche ».
Quand les volontaires entreprenaient une deuxième tâche, les lobes « se divisaient les responsabilités », chacun
effectuant sa propre tâche; le lobe gauche se concentrait sur le premier travail, tandis que le droit s’occupait du
deuxième.
Ce texte a été traduit sous la supervision de l’École nationale de police du Québec
et grâce au soutien du Centre canadien de recherches policières.
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3. Au moment de leur soumettre une troisième tâche, cependant, leur cerveau semblait débordé. « Les activités
ralentissaient et les gens commettaient beaucoup plus d’erreurs. On peut en déduire que les lobes frontaux se
révèlent incapables d’accomplir plus de deux tâches à la fois », affirme Koechlin.
Lewinski craint que les non-initiés puissent interpréter le tout comme la preuve qu’un humain peut vraiment se
concentrer de manière égale sur deux exigences d’attention simultanées. Cette conclusion trompeuse pourrait
s’avérer potentiellement dangereuse si elle engendre une trop grande confiance et une dépendance excessive
aux activités multitâches.
Ce qui s’est produit au cours de l’expérience, selon lui, c’est que les cerveaux étudiés passaient rapidement
d’une tâche à l’autre, en engageant de façon alternative les deux lobes frontaux. Mais dans une situation tendue
et menaçante, cette alternance ne serait plus possible, dit-il.
« Il est on ne peut plus clair, aussi bien en matière de gros bon sens que dans les documents scientifiques, qu’au
moment où quelque chose vient retenir votre attention, votre concentration externe se porte immédiatement et
exclusivement sur ce nouvel élément. Bien sûr, vous pouvez marcher tout en discutant, c’est l’une des formes
les plus simples du mode multitâche. Mais, lorsque vous trébuchez, il ne vous est plus possible de poursuivre la
conversation, car toute votre attention se concentre sur ce qui vous arrive ».
Voilà pourquoi il est si important de parfaire vos compétences au point que le plus clair de votre performance
dans une situation tendue soit automatique, de manière à permettre aux centres cognitifs de votre cerveau de se
concentrer pleinement sur les prises de décisions vitales.
Prenons la poursuite automobile. Comme nous l’avions mentionné précédemment dans Force Science News, les
policiers britanniques qui sont autorisés à s’engager dans des poursuites à bord d’un véhicule, reçoivent une
formation beaucoup plus complète en conduite à haute vitesse que leurs collègues américains. Par exemple, les
conducteurs spécialisés du Service de police de Londres suivent initialement une formation intensive de six
semaines avec pratique, donnée dans diverses conditions météorologiques et d’éclairage, sur de véritables
routes et autoroutes et dans une circulation réelle, à des vitesses pouvant atteindre les 240 km/h. Après quoi,
leur formation et leur pratique se poursuivent sur une base régulière.
Ces policiers deviennent des conducteurs extrêmement expérimentés, capables de déceler des subtilités telles
que l’impact de l’ombre d’un arbre sur la surface humide d’une route, de prévoir l’état de la circulation plus loin
et de contrôler de façon sécuritaire le jeu entre leur auto-patrouille et d’autres véhicules tout au long d’une
poursuite. « La maîtrise physique et la manœuvre de leur véhicule deviennent automatiques », explique
Lewinski. « N’ayant pas à se concentrer sur la conduite; leurs pensées ne se trouvent donc pas détournées des
décisions importantes qu’ils doivent prendre ».
« À l’inverse, un policier qui n’est pas bien entraîné à conduire à haute vitesse verra son attention se porter dans
plusieurs directions durant une poursuite, car il devra tenter de se concentrer à la fois sur la maîtrise de son
véhicule, les dangers de la route, les manœuvres du contrevenant, la circulation, les communications et la
coordination avec d’autres collègues répondant à l’appel, etc. Il n’a pas la faculté d’avoir une « vue d’ensemble
de la situation » et de prévoir les événements que possèdent d’autres policiers plus expérimentés et mieux
formés, alors une moins grande partie de sa performance se voit confiée à des automatismes. Il se retrouve
confronté malgré lui à de multiples tâches à risque et il épuise rapidement ses ressources cognitives. L’heure est
forcément aux compromis ».
Ce texte a été traduit sous la supervision de l’École nationale de police du Québec
et grâce au soutien du Centre canadien de recherches policières.
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