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LALIBERTÉ VENDREDI 2 MAI 2014
SPORT
VENDREDINino Niederreiter
17
19 TOUR DE ROMANDIE Avantage au plus courageux
19 TOUR DE ROMANDIE Albasini récidive et prend la tête
21 FOOTBALL L’ASF passe à la caisse et tourne le dos à Berne
23 FOOTBALL Europa League: la Juventus rate «sa» finale
24 HOCKEY SUR GLACE Nino Niederreiter, ce héros
24 DIVERS Les vagues de la semaine
MON FILS EST UN CHAMPION 2/5
«Etait-cevraimentuncadeau?»
CHRISTIANE GUERDAT • La maman du champion olympique a ce souffle dynamique et sensible à la fois.
A l’évocation de la carrière de son fils, l’œil est humide. Elle ne s’en cache pas. Steve est le même, à 31 ans.
TIPHAINE BÜHLER
Le téléphone ne cesse de l’interrompre, Christiane
Guerdat s’active derrière son bureau de Delémont.
Webmaster dans l’entreprise de son fils Yannick, la
Jurassienne (61 ans) n’accepte que rarement les in-
terviews, encore moins depuis l’été 2012 et l’or olym-
piquedeSteve.Cettefois,elleapourtantprisletemps
de partager, d’évoquer sa famille et ce cadet un peu
différent. Une histoire d’équilibre.
1La détection
«Steve préférait prendre le train à 6h30 du matin le
dimanche pour le manège de Glovelier et donner le
foin aux chevaux plutôt que de déjeuner avec nous»,
s’étonne encore sa maman. Cette passion se trans-
forme vite en prédisposition difficile à ignorer. «Mon
mari a anticipé et fait un grand sacrifice», souligne-
t-elle. Ancien cavalier, qualifié pour les Jeux de Los
Angeles et Séoul, il a cessé la compétition alors que
Steve n’avait que 13 ans. «Il ne rêvait pas d’en faire un
champion. Il l’a accompagné. Moi j’étais en retrait. Je
voulais qu’il passe sa maturité. Mais dès sa 8e
année,
je l’ai senti partir dans son sport.» Il allait à l’école
jusqu’au mercredi midi et terminait la semaine avec
les chevaux.
Philippe Guerdat est en terrain connu. Son
épouse, elle, s’interroge: «Steve avait clairement fait
sonchoix.Maisc’estquoiunrêve,quandona17ans?
Etait-ce vraiment un cadeau qu’on lui faisait? C’était
un coup de poker. Réussir dans le sport de haut ni-
veau comme le football, si on est doué, en bonne
santé et qu’on travaille cela peut fonctionner. Mais en
hippisme, même si on a tout ça et pas les chevaux, on
reste à pied. Sa directrice au lycée a su trouver les
mots. Steve avait de la facilité en classe. Si cela ne
jouait pas avec le sport, il pouvait aisément recoller à
un cursus scolaire. J’ai donc lâché mon rôle de mère
pour le laisser sous l’aile de son papa.»
Un enfant avec un talent hors norme, c’est désta-
bilisant pour la fratrie. Christiane a su maintenir un
équilibre. «C’était très dur. A l’extérieur, il n’y en avait
que pour Steve. Il m’est arrivé de quitter à la hâte des
concours avec Yannick parce qu’on ne cessait de me
parler de Steve sous les yeux de son frère en larmes.
Pour une maman, ses enfants ont tous la même va-
leur. C’est le regard extérieur qui change la donne.»
Le paramètre financier n’est pas simple non plus
et les soutiens quasi inexistants. Elle a géré la carrière
de son mari et savait combien coûte un cheval, les
déplacements, le vétérinaire… «On n’a pas fait d’em-
prunt», observe la femme aux multiples casquettes.
«Mais si on n’avait pas eu un manège, cela aurait été
impossible. Les coûts sont énormes. Il fallait que les
montures gagnent leur avoine.»
2Le grand saut
Le succès naissant, Steve est appelé par Jan Tops
(champion olympique paréquipes en 1992), pour re-
joindre son manège aux Pays-Bas. Il a 20 ans et est
majeur. Mais c’est un cap pour les parents. Il signe
son premier contrat professionnel et passe 41 mois
dans une minuscule chambre. «Mon grand souci
était qu’il mange bien», rigole la Jurassienne. «Moi, je
me nourrissais de son énergie positive. On s’appelait
le dimanche soir, lorsqu’il rentrait des concours en
camion. On parlait au téléphone pour qu’il ne s’en-
dorme pas…» Steve quitte l’écurie Tops début 2006. Il
s’apprête à vivre une année de doutes. Ses parents
doivent trouver les mots justes face à certains aspects
peu reluisants du monde adulte. «Ça faisait mal de le
voir revenir au point de départ», fronce-t-elle. «Steve
a pu immédiatement intégrer le manège de Jürg Notz
à Chiètres. Il était nourri, logé et n’avait pas de soucis
financiers. Mais c’était comme s’il revenait dix ans en
arrière. Je lui ai beaucoup écrit. J’essayais de montrer
tous les petits bonheurs du quotidien. Parfois aussi, il
faut savoir se retirer.»
3Le revers de la médaille
Enfin, la roue tourne. Les rencontres avec Yves Piaget,
propriétaire de Jalisca Solier, puis Urs Schwarzen-
bach, propriétaire de Nino des Buissonnets lui per-
mettent de retrouver le succès. En 2012, c’est l’or
olympique et une nouvelle exposition médiatique.
Une déferlante. «Depuis qu’il a dix ans, je lui mets
sous le sapin un «press-book» avec tous les articles
qu’on m’envoie sur lui. Le volume a augmenté», si-
gnale-t-elle sans gloriole aucune. «Depuis Londres,
on a mis en place une structure avec son frère d’un
côté, et un agent à Zurich de l’autre, histoire de gérer
les demandes. On fait également beaucoup plus
attention à ce qu’on signe avec les sponsors.» L’incur-
sion dans la vie de leur fils et les parasites attirés par
sonnouveaustatutsontdevenusuneréalité;poureux
aussi. On prête souvent à Steve des histoires de cœur.
«S’il n’était pas champion olympique, cela n’arriverait
pas», relativise sa mère. «C’est la presse people et cela
ne me prend pas d’énergie. Mon fils s’épanouit dans
sa vie professionnelle et c’est bien. Maintenant, il faut
aussi penser à sa vie personnelle et lorsque la réussite
est là, cela devient très difficile de trouver des per-
sonnes de confiance, ne serait-ce qu’une secrétaire.»
4Le lien du cœur
Aujourd’hui, Steve est plus passionné que jamais par
sa carrière. Ses parents vivent au rythme des
concours, un éternel recommencement. «On ne s’ha-
bitue pas au stress de la compétition. Ceux qui rêvent
d’avoirunenfantchampionneserendentpascompte
àquelpointilfautavoirlesnerfssolides.Quandjevois
des skieurs dans le portillon ou une patineuse qui
chute,j’aiunepenséepourlesmamans. Personnelle-
ment, j’ai toujours peur de l’accident. Il m’arrive d’ail-
leurs de pleurer lorsqu’un athlète tombe, dans n’im-
porte quel sport. Mon mari, lui, n’a pas pu regarder
sauter Steve lors des Jeux olympiques, alors qu’il était
dans les paddocks. Il est allé au pub du coin suivre la
course sur un écran avant de revenir.» I
STEVE GUERDAT
> Le 10 juin 1982. Christiane et
Philippe Guerdat voient naître Steve
à Bassecourt.Il a déjà un grand frère,
Yannick.
> 24 septembre 2002, coup de fil de
JanTops qui engage Steve dans ses
écuries aux Pays-Bas pour 41 mois.
> 8 août 2012, Steve devient
champion olympique à Londres.
> Aujourd’hui, sa mère est webmas-
ter dans l’entreprise de son filsYan-
nick.Son père est chef de l’équipe de
France de saut d’obstacles.Steve vit
à Herrliberg.
LA FAMILLE DE
LEJOUR DE L’OR OLYMPIQUE
«C’est le plus beau moment de ma vie après
la naissance de mes enfants», lance
Christiane Guerdat. «Je me suis d’abord dit
que je regarderais ça à la télévision depuis
le Jura, puis j’ai trouvé un hôtel à Londres
à un tarif raisonnable.» La médaille d’or de
son fils? Chaque détail reste gravé dans sa
mémoire.
«Le dernier jour de compétition est arrivé. Je
n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Sur la piste, il y a
une tension palpable et beaucoup d’erreurs.
Steve est un des derniers à passer. Je transpire
de froid, je suis glacée. On est au 8e
rang, place
26. J’ai toujours mon billet. Je souffre, j’ai des
crampes d’estomac. Steve saute: un sans-faute.
Nino est magnifique. Mon beau-frère me lance:
«Au pire, il est 4e
». A ce moment, je n’arrive pas à
réaliser ce qu’il dit. Puis, le cavalier suivant com-
met une faute. Steve sera médaillé. Je
reprends le fil de la compétition, un autre
saute et… faute. Steve sera en argent. C’est
au tour de Nick Skelton, un champion qui ne
fait jamais de barre. Je dis aux autres Jurassiens
vers moi, quoi qu’il se passe, on reste sportif. On
ne va pas se réjouir d’une erreur de l’adversaire.
Il s’élance et touche. On a explosé de joie. On n’a
pas pu se retenir.»
«Sur le moment, j’ai pensé à plein de choses:
à une connaissance décédée, à mon père…
Ce n’est juste pas possible. Je ne pouvais pas
aller vers Steve à cause des barrières de sécu-
rité. Mais c’était un bonheur unique. J’ai com-
mencé à réaliser lorsqu’il est monté sur le
podium et a embrassé sa médaille. Aujourd’hui
encore, j’ai parfois des flashes de cette scène
quand je dors. Ça a changé sa vie. La mienne
aussi d’une certaine manière. Lors des
concours, il ne peut plus venir me saluer
dans les tribunes sans être accaparé. On doit
davantage le protéger.» TBU
SOUVENIR D’ENFANCE
SonanimalavecungrandA
Petits, Steve et son frère Yannick n’avaient pas le droit
de déambuler dans le manège. Leur père était strict
avec la sécurité. Dès qu’il a pu, Steve a préparé les che-
vaux, il nettoyait les cuirs, les bandait… TBU/DR
Derrière chaque champion, il y a des parents.
Accepter très tôt la perte de contrôle, l’exposi-
tion, soutenir sans mettre de pression et gar-
der la tête froide aussi souvent que possible,
telle est la voie qu’ont suivie les proches de
ceux dont le métier fait rêver. Les réalités et les
obstacles sont différents dans chaque sport et
pour chacun. Les parents eux s’adaptent,
apprennent sur le tas, à trouver des finance-
ments, à décrypter les contrats, à s’accommo-
der du star-système et à maintenir le lien du
cœur. Ils témoignent. Après Danièle Diouf,
maman de Johan Djourou («La Liberté» du
26 avril), voici le deuxième volet de notre série.
Christiane Guerdat: «Ceux qui rêvent d’avoir un enfant champion ne se rendent pas compte à quel point il faut avoir les nerfs solides.» ALAIN WICHT

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Mon fils est un champion. Steve Guerdat, sa mère raconte

  • 1. LALIBERTÉ VENDREDI 2 MAI 2014 SPORT VENDREDINino Niederreiter 17 19 TOUR DE ROMANDIE Avantage au plus courageux 19 TOUR DE ROMANDIE Albasini récidive et prend la tête 21 FOOTBALL L’ASF passe à la caisse et tourne le dos à Berne 23 FOOTBALL Europa League: la Juventus rate «sa» finale 24 HOCKEY SUR GLACE Nino Niederreiter, ce héros 24 DIVERS Les vagues de la semaine MON FILS EST UN CHAMPION 2/5 «Etait-cevraimentuncadeau?» CHRISTIANE GUERDAT • La maman du champion olympique a ce souffle dynamique et sensible à la fois. A l’évocation de la carrière de son fils, l’œil est humide. Elle ne s’en cache pas. Steve est le même, à 31 ans. TIPHAINE BÜHLER Le téléphone ne cesse de l’interrompre, Christiane Guerdat s’active derrière son bureau de Delémont. Webmaster dans l’entreprise de son fils Yannick, la Jurassienne (61 ans) n’accepte que rarement les in- terviews, encore moins depuis l’été 2012 et l’or olym- piquedeSteve.Cettefois,elleapourtantprisletemps de partager, d’évoquer sa famille et ce cadet un peu différent. Une histoire d’équilibre. 1La détection «Steve préférait prendre le train à 6h30 du matin le dimanche pour le manège de Glovelier et donner le foin aux chevaux plutôt que de déjeuner avec nous», s’étonne encore sa maman. Cette passion se trans- forme vite en prédisposition difficile à ignorer. «Mon mari a anticipé et fait un grand sacrifice», souligne- t-elle. Ancien cavalier, qualifié pour les Jeux de Los Angeles et Séoul, il a cessé la compétition alors que Steve n’avait que 13 ans. «Il ne rêvait pas d’en faire un champion. Il l’a accompagné. Moi j’étais en retrait. Je voulais qu’il passe sa maturité. Mais dès sa 8e année, je l’ai senti partir dans son sport.» Il allait à l’école jusqu’au mercredi midi et terminait la semaine avec les chevaux. Philippe Guerdat est en terrain connu. Son épouse, elle, s’interroge: «Steve avait clairement fait sonchoix.Maisc’estquoiunrêve,quandona17ans? Etait-ce vraiment un cadeau qu’on lui faisait? C’était un coup de poker. Réussir dans le sport de haut ni- veau comme le football, si on est doué, en bonne santé et qu’on travaille cela peut fonctionner. Mais en hippisme, même si on a tout ça et pas les chevaux, on reste à pied. Sa directrice au lycée a su trouver les mots. Steve avait de la facilité en classe. Si cela ne jouait pas avec le sport, il pouvait aisément recoller à un cursus scolaire. J’ai donc lâché mon rôle de mère pour le laisser sous l’aile de son papa.» Un enfant avec un talent hors norme, c’est désta- bilisant pour la fratrie. Christiane a su maintenir un équilibre. «C’était très dur. A l’extérieur, il n’y en avait que pour Steve. Il m’est arrivé de quitter à la hâte des concours avec Yannick parce qu’on ne cessait de me parler de Steve sous les yeux de son frère en larmes. Pour une maman, ses enfants ont tous la même va- leur. C’est le regard extérieur qui change la donne.» Le paramètre financier n’est pas simple non plus et les soutiens quasi inexistants. Elle a géré la carrière de son mari et savait combien coûte un cheval, les déplacements, le vétérinaire… «On n’a pas fait d’em- prunt», observe la femme aux multiples casquettes. «Mais si on n’avait pas eu un manège, cela aurait été impossible. Les coûts sont énormes. Il fallait que les montures gagnent leur avoine.» 2Le grand saut Le succès naissant, Steve est appelé par Jan Tops (champion olympique paréquipes en 1992), pour re- joindre son manège aux Pays-Bas. Il a 20 ans et est majeur. Mais c’est un cap pour les parents. Il signe son premier contrat professionnel et passe 41 mois dans une minuscule chambre. «Mon grand souci était qu’il mange bien», rigole la Jurassienne. «Moi, je me nourrissais de son énergie positive. On s’appelait le dimanche soir, lorsqu’il rentrait des concours en camion. On parlait au téléphone pour qu’il ne s’en- dorme pas…» Steve quitte l’écurie Tops début 2006. Il s’apprête à vivre une année de doutes. Ses parents doivent trouver les mots justes face à certains aspects peu reluisants du monde adulte. «Ça faisait mal de le voir revenir au point de départ», fronce-t-elle. «Steve a pu immédiatement intégrer le manège de Jürg Notz à Chiètres. Il était nourri, logé et n’avait pas de soucis financiers. Mais c’était comme s’il revenait dix ans en arrière. Je lui ai beaucoup écrit. J’essayais de montrer tous les petits bonheurs du quotidien. Parfois aussi, il faut savoir se retirer.» 3Le revers de la médaille Enfin, la roue tourne. Les rencontres avec Yves Piaget, propriétaire de Jalisca Solier, puis Urs Schwarzen- bach, propriétaire de Nino des Buissonnets lui per- mettent de retrouver le succès. En 2012, c’est l’or olympique et une nouvelle exposition médiatique. Une déferlante. «Depuis qu’il a dix ans, je lui mets sous le sapin un «press-book» avec tous les articles qu’on m’envoie sur lui. Le volume a augmenté», si- gnale-t-elle sans gloriole aucune. «Depuis Londres, on a mis en place une structure avec son frère d’un côté, et un agent à Zurich de l’autre, histoire de gérer les demandes. On fait également beaucoup plus attention à ce qu’on signe avec les sponsors.» L’incur- sion dans la vie de leur fils et les parasites attirés par sonnouveaustatutsontdevenusuneréalité;poureux aussi. On prête souvent à Steve des histoires de cœur. «S’il n’était pas champion olympique, cela n’arriverait pas», relativise sa mère. «C’est la presse people et cela ne me prend pas d’énergie. Mon fils s’épanouit dans sa vie professionnelle et c’est bien. Maintenant, il faut aussi penser à sa vie personnelle et lorsque la réussite est là, cela devient très difficile de trouver des per- sonnes de confiance, ne serait-ce qu’une secrétaire.» 4Le lien du cœur Aujourd’hui, Steve est plus passionné que jamais par sa carrière. Ses parents vivent au rythme des concours, un éternel recommencement. «On ne s’ha- bitue pas au stress de la compétition. Ceux qui rêvent d’avoirunenfantchampionneserendentpascompte àquelpointilfautavoirlesnerfssolides.Quandjevois des skieurs dans le portillon ou une patineuse qui chute,j’aiunepenséepourlesmamans. Personnelle- ment, j’ai toujours peur de l’accident. Il m’arrive d’ail- leurs de pleurer lorsqu’un athlète tombe, dans n’im- porte quel sport. Mon mari, lui, n’a pas pu regarder sauter Steve lors des Jeux olympiques, alors qu’il était dans les paddocks. Il est allé au pub du coin suivre la course sur un écran avant de revenir.» I STEVE GUERDAT > Le 10 juin 1982. Christiane et Philippe Guerdat voient naître Steve à Bassecourt.Il a déjà un grand frère, Yannick. > 24 septembre 2002, coup de fil de JanTops qui engage Steve dans ses écuries aux Pays-Bas pour 41 mois. > 8 août 2012, Steve devient champion olympique à Londres. > Aujourd’hui, sa mère est webmas- ter dans l’entreprise de son filsYan- nick.Son père est chef de l’équipe de France de saut d’obstacles.Steve vit à Herrliberg. LA FAMILLE DE LEJOUR DE L’OR OLYMPIQUE «C’est le plus beau moment de ma vie après la naissance de mes enfants», lance Christiane Guerdat. «Je me suis d’abord dit que je regarderais ça à la télévision depuis le Jura, puis j’ai trouvé un hôtel à Londres à un tarif raisonnable.» La médaille d’or de son fils? Chaque détail reste gravé dans sa mémoire. «Le dernier jour de compétition est arrivé. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Sur la piste, il y a une tension palpable et beaucoup d’erreurs. Steve est un des derniers à passer. Je transpire de froid, je suis glacée. On est au 8e rang, place 26. J’ai toujours mon billet. Je souffre, j’ai des crampes d’estomac. Steve saute: un sans-faute. Nino est magnifique. Mon beau-frère me lance: «Au pire, il est 4e ». A ce moment, je n’arrive pas à réaliser ce qu’il dit. Puis, le cavalier suivant com- met une faute. Steve sera médaillé. Je reprends le fil de la compétition, un autre saute et… faute. Steve sera en argent. C’est au tour de Nick Skelton, un champion qui ne fait jamais de barre. Je dis aux autres Jurassiens vers moi, quoi qu’il se passe, on reste sportif. On ne va pas se réjouir d’une erreur de l’adversaire. Il s’élance et touche. On a explosé de joie. On n’a pas pu se retenir.» «Sur le moment, j’ai pensé à plein de choses: à une connaissance décédée, à mon père… Ce n’est juste pas possible. Je ne pouvais pas aller vers Steve à cause des barrières de sécu- rité. Mais c’était un bonheur unique. J’ai com- mencé à réaliser lorsqu’il est monté sur le podium et a embrassé sa médaille. Aujourd’hui encore, j’ai parfois des flashes de cette scène quand je dors. Ça a changé sa vie. La mienne aussi d’une certaine manière. Lors des concours, il ne peut plus venir me saluer dans les tribunes sans être accaparé. On doit davantage le protéger.» TBU SOUVENIR D’ENFANCE SonanimalavecungrandA Petits, Steve et son frère Yannick n’avaient pas le droit de déambuler dans le manège. Leur père était strict avec la sécurité. Dès qu’il a pu, Steve a préparé les che- vaux, il nettoyait les cuirs, les bandait… TBU/DR Derrière chaque champion, il y a des parents. Accepter très tôt la perte de contrôle, l’exposi- tion, soutenir sans mettre de pression et gar- der la tête froide aussi souvent que possible, telle est la voie qu’ont suivie les proches de ceux dont le métier fait rêver. Les réalités et les obstacles sont différents dans chaque sport et pour chacun. Les parents eux s’adaptent, apprennent sur le tas, à trouver des finance- ments, à décrypter les contrats, à s’accommo- der du star-système et à maintenir le lien du cœur. Ils témoignent. Après Danièle Diouf, maman de Johan Djourou («La Liberté» du 26 avril), voici le deuxième volet de notre série. Christiane Guerdat: «Ceux qui rêvent d’avoir un enfant champion ne se rendent pas compte à quel point il faut avoir les nerfs solides.» ALAIN WICHT