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LALIBERTÉ SAMEDI 26 AVRIL 2014
SPORT
SAMEDIMichael Skibbe
21
23 FOOTBALL Yann Hartmann, Singinois compatible
25 FOOTBALL Michael Skibbe, la force tranquille
25 DIVERS La chronique de la semaine
27 HOCKEY La Suisse bat la République tchèque
29 BASKETBALL Arnaud Cotture dans la cour des grands
30 BASKETBALL Hélios, l’équipe qui ne perd jamais
MON FILS EST UN CHAMPION 1/5
«JevisdansunautremondequeJohan»
DANIÈLE DIOUF • Derrière ce nom et cette allure simple se dévoile, au fil des mots, la maman de Johan Djourou.
Elle a adopté le fils de son ex-époux lorsqu’il avait 6 ans. Le footballeur a grandi avec elle. Une famille recomposée.
TIPHAINE BÜHLER
C’est dans son quartier de Chêne-Bourg que Da-
nièle Diouf replonge dans ses souvenirs, dans le
self-service d’un centre commercial où elle a ses ha-
bitudes. A l’appartement de la Genevoise de 72 ans,
il y a «trop de valises et de cartons», dit-elle; le cumul
des voyages à l’étranger et des vies successives. Une
richesse, celle de l’émotion.
Son histoire familiale est plutôt complexe…
«C’est tout à fait croustillant pour les médias», rit
Danièle Diouf. «La première chose dont on parle
lorsque Johan change de club, c’est de ses deux ma-
mans, de son père et de cette famille recomposée
dans laquelle tout le monde s’entend bien.»
1La détection
Né en Côte d’Ivoire, Johan passe son enfance à
Genève. A 13 ans, on lui propose de s’entraîner la
semaine au centre de l’ASF de Payerne, ce qui im-
plique de vivre en famille d’accueil. La décision est
une évidence pour Danièle. «J’avais une très grande
confiance en ses capacités, même si le football me
laissait de marbre», se souvient-elle. «Mon souci a
été de savoir s’il pouvait prendre sa Nintendo. J’ai
pensé que ça l’aiderait à s’éloigner. Moi je devrais
m’y faire. Je suis devenue infirmière à domicile
pour être disponible le week-end. C’est en le sui-
vant sur ses matches que j’ai appris à connaître sa
passion.»
Très vite, les premières propositions de clubs
sont arrivées. Cet intérêt est d’abord vu comme une
intrusion par les parents du junior d’Etoile Ca-
rouge. «Alors qu’il a 14 ans, des rumeurs nous par-
viennent d’Auxerre. Il était hors de question qu’il
file où que ce soit avant d’avoir fini sa scolarité»,
appuie la maman. «Peu de temps après, lors d’un
match à Balexert, un ami de son manager actuel
(Costa Bonato, ndlr) m’aborde et veut présenter
Johan à du «beau monde». J’étais presque fâchée.
Qui était-il pour vouloir faire partir mon petit beau-
coup trop tôt? Ce n’est qu’à la fin des deux ans à
Payerne que Johan m’annonce qu’il a un rendez-
vous à l’hôtel Warwick à Genève avec un agent.
Arsenal s’intéresse à lui. Nous y allons ensemble,
avec son père.» Johan a 15 ans.
Le club anglais veut le tester pour un contrat
qui commencerait en juillet 2003. «Son père
s’est tout de suite opposé à ce qu’il parte avant ses
18 ans», se rappelle-t-elle. Je n’étais pas d’accord
avec ce veto (lire ci-dessous).»
2Le grand saut
Londres n’est pas Payerne. L’éloignement outre-
Manche de Johan, encore mineur, est un cap à fran-
chir. Un parent peut se sentir éclipsé. Une distance
qu’il a fallu combler. «Johan a cessé d’être un petit
garçon lorsqu’il est parti à Payerne déjà. C’est sûr
qu’àcemoment,jelevoyaisplutôtcuisinier,carilme
ramenait de superbes pâtisseries le vendredi. Il avait
«cuisine» là-bas. Lorsqu’il a été à Arsenal, je me ser-
rais la ceinture pour aller une fois par mois à Lon-
dres», confie-t-elle.
Elle logeait dans sa famille d’accueil. Ils allaient
au resto, voir des spectacles. «On parlait peu du foot»
poursuit-elle. «C’était très difficile pour moi, mais
encore plus pour lui. C’était un effort à consentir.
Une fois, son père a pris l’avion en urgence pour
lui remonter le moral. On a tous fait le sacrifice de la
séparation.»
3Le revers de la médaille
Arrivent le succès avec Arsenal, le Mondial 2006, le
premier appartement à 19 ans, la gloire et les salaires
démesurés. La donne est radicalement différente de
celledespremiersbiberons.«Dèsqu’ilaétémajeur,il
a signé lui-même ses contrats», précise l’infirmière.
«J’y jetais un œil, mais pour moi qui étais remariée
avec un charpentier gagnant près de 4000 francs par
mois, tout cela n’avait guère de sens. Je vivais dans un
autre monde que lui. Je privilégie l’être et non l’avoir.
Johanestrestésimpledanssesrelations,maisilserait
probablement réticent à venir dormir dans une ca-
baneduclubalpin.En2012,lorsqueNapless’intéres-
saitàlui,lesmédiasparlaientde10millionsdefrancs
pour racheter son contrat à Arsenal. Grotesque!»
Entendre une mère parler en millions de son fils
peut choquer. Danièle Diouf se devait de compren-
dre cette réalité. «J’ai appris à m’y faire. Un joueur,
c’estunpeucommedubétail.Ilfautbienaccepterce
système. Pourtant, je suis une femme de gauche. J’ai
manifesté contre le G8. Mais on ne peut pas toujours
être en révolte. Johan a un autre discours que moi.»
S’ajoute à cela une exposition médiatique lourde
à gérer pour bien des parents. «J’essaye le lâcher-
prise», dit-elle les yeux clos. «Aujourd’hui, ça va
mieux, même si je ne peux pas m’empêcher d’éplu-
cherle«MorgenPost» pourvoircequ’ilsécriventsur
Johan à Hambourg.»
4Le lien du cœur
La carrière de Johan se poursuit en 2013 au SV Ham-
bourg. Il y a eu, avant, six mois à Hanovre. Il a 27 ans
et 43 sélections en équipe de Suisse. Ce petit devenu
champion est un adulte depuis longtemps. La mère,
elle, reste aimante, soucieuse parfois… «Il a horreur
qu’on lui envoie des ondes négatives, comme il les
appelle. Si une chose m’inquiète, j’en parle à son
agent ou à la compagne de Johan. Je n’aimerais pas
qu’il termine sa carrière en étant trop souvent prêté,
comme certains. Car mon fils n’est plus une seule
personne, il a une famille, avec deux petites filles
qui changent d’école à chaque fois. J’ai le souci
du contexte familial, celui d’une grand-mère, tout
simplement.»I
Danièle Diouf – du nom de son 2e
époux – a suivi Johan sur les terrains de toute la Suisse. ALAIN WICHT
SOUVENIR D’ENFANCE
A5 ans avec maman
C’est sur les places de jeux genevoises que Johan a été
attiré par ses premiers ballons, alors que d’autres
enfants ne décolaient pas du carré de sable. TBU/DR
C’ESTELLE QUIASIGNÉAVECARSENAL
«C’était une chance inouïe que mon fils
de 15 ans soit appelé par un tel club. Dans ma
tête, il ne partait pas en prison. Si ça n’allait
pas, il pourrait toujours revenir. Je l’ai accompa-
gné à son test à Londres pendant les vacances
des patates. En décembre, nous avons été
conviés par les dirigeants d’Arsenal à l’hôtel
Warwick. Liam Brady, le directeur de l’académie
d’Arsenal et David Dein, le vice-président du
club à l’époque, nous attendaient avec un
café et les contrats.
Arsène Wenger n’était pas là. Je l’ai rencontré
seulement plus tard à la cafétéria d’Arsenal. Il
n’y avait pas de champagne ou de tralala. Mon
ex-mari était là, mais pas Johan. David Dein
parle bien le français. Avant de signer, je lui ai
demandé si c’était bien sûr que Johan pourrait
rentrer à la maison quand il le souhaitait si cela
ne jouait pas. Le club aurait aimé que je m’ins-
talle à Londres avec lui. J’ai refusé.
Le salaire était précisé dans le contrat, c’était
celui d’un apprenti. Son agent, qui était là,
m’a montré par la suite une tabelle des salaires
pratiqués dans le foot anglais. De toute façon,
la carrière de Johan ne nous a jamais rien
coûté si ce n’est un peu d’essence pour le
suivre sur les terrains.
J’étais fière, mais pas plus que ça. Le moment
où j’ai eu le plus d’émotions dans la carrière de
mon fils, c’était lors d’un match à Porrentruy
quand il était en équipe de Suisse juniors et que
l’hymne national a commencé. Son côté suisse
ressortait, c’était un peu de moi.
Le choix d’Arsenal était celui de Johan,
mais j’ai signé le contrat. Celui-ci portait jusqu’à
sa majorité deux ans plus tard. Dès qu’il a eu
18 ans, je n’ai évidemment plus eu à le faire,
mais Johan ou son agent m’ont toujours
tenue au courant du contenu des contrats
ultérieurs.» TBU
JOHAN DJOUROU
> 18 janvier 1987,Joachim Djourou etAngéline
donnent naissance àJohan àAbidjan.
> 25 juin 1988,Johan arrive en Suisse et vit chez
Danièle à Genève,la 2e
femme de son papaJoachim.
> 1991,Joachim et Danièle se séparent,Johan a
4 ans.Il reste vivre avec Danièle qui l’adopte en 1993.
> Juillet 2003,Johan part vivre à Londres et
s’entraîne avecArsenal.
> En 2013, il est prêté au SVHambourg.Il sera
ensuite transféré définitivement enAllemagne.
> Johan a une grande sœur et un petit frère en Côte
d’Ivoire de sa mère biologiqueAngéline,et un petit
frère et deux petites sœurs,enfants de son père
Joachim et de sa 3e
épouse Monique.
LA FAMILLE DE
Derrière chaque champion, il y a des parents.
Accepter très tôt la perte de contrôle,
l’exposition, soutenir sans mettre de pression
et garder la tête froide aussi souvent que
possible, telle est la voie qu’ont suivie les
proches de ceux dont le métier fait rêver. Les
réalités et les obstacles sont différents dans
chaque sport et pour chacun. Les parents,
eux, s’adaptent, apprennent sur le tas, à
décrypter les contrats, à s’accommoder du
star-system et à maintenir le lien du cœur.
Ils témoignent.

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Mon fils estun champion. Johan Djourou, sa mère raconte

  • 1. LALIBERTÉ SAMEDI 26 AVRIL 2014 SPORT SAMEDIMichael Skibbe 21 23 FOOTBALL Yann Hartmann, Singinois compatible 25 FOOTBALL Michael Skibbe, la force tranquille 25 DIVERS La chronique de la semaine 27 HOCKEY La Suisse bat la République tchèque 29 BASKETBALL Arnaud Cotture dans la cour des grands 30 BASKETBALL Hélios, l’équipe qui ne perd jamais MON FILS EST UN CHAMPION 1/5 «JevisdansunautremondequeJohan» DANIÈLE DIOUF • Derrière ce nom et cette allure simple se dévoile, au fil des mots, la maman de Johan Djourou. Elle a adopté le fils de son ex-époux lorsqu’il avait 6 ans. Le footballeur a grandi avec elle. Une famille recomposée. TIPHAINE BÜHLER C’est dans son quartier de Chêne-Bourg que Da- nièle Diouf replonge dans ses souvenirs, dans le self-service d’un centre commercial où elle a ses ha- bitudes. A l’appartement de la Genevoise de 72 ans, il y a «trop de valises et de cartons», dit-elle; le cumul des voyages à l’étranger et des vies successives. Une richesse, celle de l’émotion. Son histoire familiale est plutôt complexe… «C’est tout à fait croustillant pour les médias», rit Danièle Diouf. «La première chose dont on parle lorsque Johan change de club, c’est de ses deux ma- mans, de son père et de cette famille recomposée dans laquelle tout le monde s’entend bien.» 1La détection Né en Côte d’Ivoire, Johan passe son enfance à Genève. A 13 ans, on lui propose de s’entraîner la semaine au centre de l’ASF de Payerne, ce qui im- plique de vivre en famille d’accueil. La décision est une évidence pour Danièle. «J’avais une très grande confiance en ses capacités, même si le football me laissait de marbre», se souvient-elle. «Mon souci a été de savoir s’il pouvait prendre sa Nintendo. J’ai pensé que ça l’aiderait à s’éloigner. Moi je devrais m’y faire. Je suis devenue infirmière à domicile pour être disponible le week-end. C’est en le sui- vant sur ses matches que j’ai appris à connaître sa passion.» Très vite, les premières propositions de clubs sont arrivées. Cet intérêt est d’abord vu comme une intrusion par les parents du junior d’Etoile Ca- rouge. «Alors qu’il a 14 ans, des rumeurs nous par- viennent d’Auxerre. Il était hors de question qu’il file où que ce soit avant d’avoir fini sa scolarité», appuie la maman. «Peu de temps après, lors d’un match à Balexert, un ami de son manager actuel (Costa Bonato, ndlr) m’aborde et veut présenter Johan à du «beau monde». J’étais presque fâchée. Qui était-il pour vouloir faire partir mon petit beau- coup trop tôt? Ce n’est qu’à la fin des deux ans à Payerne que Johan m’annonce qu’il a un rendez- vous à l’hôtel Warwick à Genève avec un agent. Arsenal s’intéresse à lui. Nous y allons ensemble, avec son père.» Johan a 15 ans. Le club anglais veut le tester pour un contrat qui commencerait en juillet 2003. «Son père s’est tout de suite opposé à ce qu’il parte avant ses 18 ans», se rappelle-t-elle. Je n’étais pas d’accord avec ce veto (lire ci-dessous).» 2Le grand saut Londres n’est pas Payerne. L’éloignement outre- Manche de Johan, encore mineur, est un cap à fran- chir. Un parent peut se sentir éclipsé. Une distance qu’il a fallu combler. «Johan a cessé d’être un petit garçon lorsqu’il est parti à Payerne déjà. C’est sûr qu’àcemoment,jelevoyaisplutôtcuisinier,carilme ramenait de superbes pâtisseries le vendredi. Il avait «cuisine» là-bas. Lorsqu’il a été à Arsenal, je me ser- rais la ceinture pour aller une fois par mois à Lon- dres», confie-t-elle. Elle logeait dans sa famille d’accueil. Ils allaient au resto, voir des spectacles. «On parlait peu du foot» poursuit-elle. «C’était très difficile pour moi, mais encore plus pour lui. C’était un effort à consentir. Une fois, son père a pris l’avion en urgence pour lui remonter le moral. On a tous fait le sacrifice de la séparation.» 3Le revers de la médaille Arrivent le succès avec Arsenal, le Mondial 2006, le premier appartement à 19 ans, la gloire et les salaires démesurés. La donne est radicalement différente de celledespremiersbiberons.«Dèsqu’ilaétémajeur,il a signé lui-même ses contrats», précise l’infirmière. «J’y jetais un œil, mais pour moi qui étais remariée avec un charpentier gagnant près de 4000 francs par mois, tout cela n’avait guère de sens. Je vivais dans un autre monde que lui. Je privilégie l’être et non l’avoir. Johanestrestésimpledanssesrelations,maisilserait probablement réticent à venir dormir dans une ca- baneduclubalpin.En2012,lorsqueNapless’intéres- saitàlui,lesmédiasparlaientde10millionsdefrancs pour racheter son contrat à Arsenal. Grotesque!» Entendre une mère parler en millions de son fils peut choquer. Danièle Diouf se devait de compren- dre cette réalité. «J’ai appris à m’y faire. Un joueur, c’estunpeucommedubétail.Ilfautbienaccepterce système. Pourtant, je suis une femme de gauche. J’ai manifesté contre le G8. Mais on ne peut pas toujours être en révolte. Johan a un autre discours que moi.» S’ajoute à cela une exposition médiatique lourde à gérer pour bien des parents. «J’essaye le lâcher- prise», dit-elle les yeux clos. «Aujourd’hui, ça va mieux, même si je ne peux pas m’empêcher d’éplu- cherle«MorgenPost» pourvoircequ’ilsécriventsur Johan à Hambourg.» 4Le lien du cœur La carrière de Johan se poursuit en 2013 au SV Ham- bourg. Il y a eu, avant, six mois à Hanovre. Il a 27 ans et 43 sélections en équipe de Suisse. Ce petit devenu champion est un adulte depuis longtemps. La mère, elle, reste aimante, soucieuse parfois… «Il a horreur qu’on lui envoie des ondes négatives, comme il les appelle. Si une chose m’inquiète, j’en parle à son agent ou à la compagne de Johan. Je n’aimerais pas qu’il termine sa carrière en étant trop souvent prêté, comme certains. Car mon fils n’est plus une seule personne, il a une famille, avec deux petites filles qui changent d’école à chaque fois. J’ai le souci du contexte familial, celui d’une grand-mère, tout simplement.»I Danièle Diouf – du nom de son 2e époux – a suivi Johan sur les terrains de toute la Suisse. ALAIN WICHT SOUVENIR D’ENFANCE A5 ans avec maman C’est sur les places de jeux genevoises que Johan a été attiré par ses premiers ballons, alors que d’autres enfants ne décolaient pas du carré de sable. TBU/DR C’ESTELLE QUIASIGNÉAVECARSENAL «C’était une chance inouïe que mon fils de 15 ans soit appelé par un tel club. Dans ma tête, il ne partait pas en prison. Si ça n’allait pas, il pourrait toujours revenir. Je l’ai accompa- gné à son test à Londres pendant les vacances des patates. En décembre, nous avons été conviés par les dirigeants d’Arsenal à l’hôtel Warwick. Liam Brady, le directeur de l’académie d’Arsenal et David Dein, le vice-président du club à l’époque, nous attendaient avec un café et les contrats. Arsène Wenger n’était pas là. Je l’ai rencontré seulement plus tard à la cafétéria d’Arsenal. Il n’y avait pas de champagne ou de tralala. Mon ex-mari était là, mais pas Johan. David Dein parle bien le français. Avant de signer, je lui ai demandé si c’était bien sûr que Johan pourrait rentrer à la maison quand il le souhaitait si cela ne jouait pas. Le club aurait aimé que je m’ins- talle à Londres avec lui. J’ai refusé. Le salaire était précisé dans le contrat, c’était celui d’un apprenti. Son agent, qui était là, m’a montré par la suite une tabelle des salaires pratiqués dans le foot anglais. De toute façon, la carrière de Johan ne nous a jamais rien coûté si ce n’est un peu d’essence pour le suivre sur les terrains. J’étais fière, mais pas plus que ça. Le moment où j’ai eu le plus d’émotions dans la carrière de mon fils, c’était lors d’un match à Porrentruy quand il était en équipe de Suisse juniors et que l’hymne national a commencé. Son côté suisse ressortait, c’était un peu de moi. Le choix d’Arsenal était celui de Johan, mais j’ai signé le contrat. Celui-ci portait jusqu’à sa majorité deux ans plus tard. Dès qu’il a eu 18 ans, je n’ai évidemment plus eu à le faire, mais Johan ou son agent m’ont toujours tenue au courant du contenu des contrats ultérieurs.» TBU JOHAN DJOUROU > 18 janvier 1987,Joachim Djourou etAngéline donnent naissance àJohan àAbidjan. > 25 juin 1988,Johan arrive en Suisse et vit chez Danièle à Genève,la 2e femme de son papaJoachim. > 1991,Joachim et Danièle se séparent,Johan a 4 ans.Il reste vivre avec Danièle qui l’adopte en 1993. > Juillet 2003,Johan part vivre à Londres et s’entraîne avecArsenal. > En 2013, il est prêté au SVHambourg.Il sera ensuite transféré définitivement enAllemagne. > Johan a une grande sœur et un petit frère en Côte d’Ivoire de sa mère biologiqueAngéline,et un petit frère et deux petites sœurs,enfants de son père Joachim et de sa 3e épouse Monique. LA FAMILLE DE Derrière chaque champion, il y a des parents. Accepter très tôt la perte de contrôle, l’exposition, soutenir sans mettre de pression et garder la tête froide aussi souvent que possible, telle est la voie qu’ont suivie les proches de ceux dont le métier fait rêver. Les réalités et les obstacles sont différents dans chaque sport et pour chacun. Les parents, eux, s’adaptent, apprennent sur le tas, à décrypter les contrats, à s’accommoder du star-system et à maintenir le lien du cœur. Ils témoignent.