SYSTÈME D’INFORMATIOM PORTUAIRE LOGISTIQUE ET NAVIRE
Journée mobilité intelligente 2016 _ Interopérabilité ITS fret, enjeu de compétitivité
1. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 1
L’INTEROPERABILITE DES ITS :
ENJEU DE COMPETIVITE DU TRANSPORT DE
MARCHANDISES
Auteurs :
Anna Melsen, Guillaume Radenne, Jean-Pierre Grassien
Décembre 2015
2. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 2
1 Le transport de marchandises
La question des ITS est souvent abordée d’abord sous l’angle des solutions pour la mobilité
des personnes ou encore des solutions pour améliorer la gestion des flux et la sécurité,
notamment routière. Cette présentation vous propose de réfléchir sur les attentes et
besoins spécifiques des ITS fret.
1.1 Rappels fondamentaux
Le secteur d’activité ‘marchandises’ ou ‘fret’, aussi communément appelé
‘logistique’ ou encore ‘supply chain’ concerne l’ensemble de la gestion des
flux physiques de marchandises et des flux informationnels associés; des
approvisionnements à la distribution des produits finis et leurs retours.
Pour cela il mobilise des moyens de transport (par un ou plusieurs modes),
de stockage (entrepôts), de SI et de ressources humaines.
En France ce secteur représente environ 145 milliards € de chiffre d’affaire
(sans logistique pour compte propre), ou 1,8 millions d’emplois (1,4 millions
sans les fonctions supports) dans 53.000 entreprises (dont un nombre très
élevé de TPE/PME)1
.
Le coût logistique global en France se situe entre 10-15% du coût de
production d’un bien, ce qui est dans la moyenne des pays développés.
Les relations entre acteurs du secteur sont complexes avec une multitude
de couches décisionnelles. En effet, les décisions des modalités de
transport sont souvent déléguées par les chargeurs à des professionnels
d’organisation de transport (transitionnaires / commissionnaires), les ordres
de transports sont souvent réalisés par des chaînes de sous-traitants, le
marché notamment du transport a un nombre particulièrement élevé de
TPE et PME artisanales, …
Dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui, le transport des marchandises
(à des prix relativement bas) est l’épine dorsale du système. Le transport a
été porté dans ce rôle notamment par des vagues de normalisation
organisationnelles et technologiques comme les termes de commerce
international, la conteneurisation, l’internet, …
1
« La logistique – Tour d’horizon », édition 2015, MEDDE
3. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 3
La concurrence, nationale comme internationale, pèse lourdement sur les
entreprises du secteur qui font face à des marges de bénéfice de plus en
plus réduites. Les stratégies de survie relèvent en particulier de la
spécialisation (local/régional, services à valeur ajoutée, garanties de
fiabilité).
Le tissu économique marqué par un grand nombre de TPE/PME est
particulièrement vulnérable face à leurs concurrences quand il s’agit de
l’apport d’innovations ‘annexes’, notamment des ITS. En effet, une grande
partie du secteur de fret (et notamment le transport) se cantonne dans une
culture artisanale concentrée sur son cœur de métier traditionnel avec une
certaine méfiance sur les outils informatiques, considérés comme lourds,
chers, compliqués et peu adaptés à leurs besoins.
1.2 Les ITS fret
Des ITS fret existent et ont déjà révolutionné une
partie du travail de transport de marchandises depuis
leur émergence. Chaque ITS est conçu dans un
objectif fonctionnel bien délimité (par exemple un
système embarqué de traçabilité communiquant vers
sa base/flotte, les WMS pour optimiser les entrepôts,
les aides à la décision pour la planification des routes
etc.). Ces outils peuvent en certains cas communiquer
avec d’autres systèmes sous forme d’échange de
donnée EDI. Or, il s’agit d’échanges spécifiques et
limités.
Force est de constater également que les relations de pouvoir entre les acteurs régissent
fortement leurs stratégies et leurs actions en matière de partage de données. Les grands
acteurs poussent à la normalisation dans leur quête d’optimisation ; on citera par exemple :
• les armateurs très concentrés et influents qui imposent l’utilisation de normes dans
tous les ports pour faciliter les flux conteneurisés ;
• les grands chargeurs de la distribution qui se sont organisés autour d’une norme
devenue mondiale pour optimiser la logistique (GS1).
Des normes existent dans le champ du fret, organisées à niveau mondial (ISO,
UN/CEFACT), leurs usages rencontrent cependant de nombreux obstacles perdurent, tant
dans les normes que dans leurs applications. Au niveau européen, des directives pour
l’interopérabilité du fret s’appliquent.
4. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 4
2 Les particularités et enjeux des ITS fret
2.1 L’échelle géographique
Notre économie est aujourd’hui résolument mondiale ; et si une grande partie des
échanges est dématérialisée (communications, transactions financières), une tonne de
marchandises reste toujours 1.000 kg à physiquement
déplacer d’un endroit à un autre !
Intrinsèquement transfrontaliers, le commerce et le transport
de marchandises ont été optimisés par plusieurs vagues de
normalisation organisationnelles et technologiques pour
atteindre un coût global logistique (=part du coût de la
logistique) entre 10 et 15% dans les pays développés. On les
rappelle :
Les termes de commerce international (Incoterms)
La conteneurisation
Les TIC et l’internet
Les grandes routes du transport de marchandises sont planétaires (cf. carte ci-dessous),
avant d’être internationaux, nationaux, régionaux, locaux. L’organisation de ces flux est
fondée sur une baisse des prix marginaux, une organisation en étoile, une optimisation
poussée ou encore
nécessité du juste à
temps.
Pour maintenir (ou
augmenter) la
performance des flux,
les solutions
d’optimisation, de
gestion, de suivi etc. ne
doivent pas être
adaptées qu’à une
échelle, comme par
exemple un suivi pour le
transport
intercontinental et puis
un tout autre pour un
territoire national. Les
Le système de transport de
marchandises (ou le
commerce, plus
généralement) recèle un
potentiel d’optimisations
encore important, dans le
sens notamment des
concepts de Troisième
Révolution Industrielle de
Jérémy Rifkin ou d’Internet
Physique de Benoît
Montreuil.
5. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 5
logisticiens n’aiment pas les ruptures de charges, qui sont source de surcoûts ou au moins
réduction des marges, d’erreurs, de pertes de temps voire de pertes de marchandises.
Il est important de bien intégrer cet argument d’échelle géographique pour comprendre
l’importance de l’interopérabilité des systèmes fret qui ne peuvent pas s’appréhender
à un seul niveau régional ou même national pour être cohérents pour la grande
majorité des flux !
2.2 La structuration des prises de décisions
Contrairement au secteur de la mobilité passagers, la grande majorité des utilisateurs du
fret, et donc des ITS fret, sont des professionnels (entreprises ou organisations). La
professionnalisation va encore plus loin, car si le transport est une fonction transversale qui
concerne la quasi-totalité des filières professionnelles aujourd’hui, la tendance est à
l’externalisation des fonctions logistiques à des spécialistes. Ceci pour des raisons de
coûts, mais aussi de complexité des chaînes uni- ou multimodales, notamment à
l’international.
La multitude de couches décisionnelles peut être abordée dans la figure ci-haut d’une
chaîne de transport2
. Les chargeurs chargent des professionnels d’organisation de
transport (transitionnaires / commissionnaires), qui eux chargent des opérateurs de
transport, qui eux chargent en plus souvent des sous-traitants, ce qui résulte en de chaînes
particulièrement complexes d’acteurs divers qui ne se connaissent pas forcément tous.
L’importance de l’interopérabilité des ITS fret est donc évidente, pour faciliter les
échanges multi-partenariaux. Les normalisations et technologies existantes (notamment la
conteneurisation et l’internet) ont déjà harmonisé un grand nombre de systèmes,
permettant un fonctionnement globalement relativement fluide à ce jour. Une rupture est
néanmoins à constater aux niveaux plutôt régionaux ou locaux, et ce en particulier pour les
PME et a fortiori TPE – qui forment pourtant la part majoritaire du secteur.
L’interopérabilité a donc une dimension sociale importante.
2
Source : i-Fret (J.-P. Grassien & G. Radenne), 2014
6. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 6
2.3 L’interopérabilité comme enjeu de compétitivité
L’argument macro de l’interopérabilité – en
termes d’optimisation des chaînes et des
systèmes pour augmenter la performance
globale - est relativement facile à appréhender.
Or, pour garantir la réalisation de
l’interopérabilité, le concept et les solutions en
ce sens doivent être acceptés et appropriés
par les entreprises et organisations concernées3
. Quelles peuvent être leurs raisons de s’y
intéresser (donc nos arguments micro) ?
D’une part sensiblement les mêmes arguments que pour l’adoption des ITS en
général, mais poussant plus loin les opportunités d’optimisation : donc des raisons
économiques (optimisation, gains de productivité), écologiques (faire mieux pour
faire moins), organisationnelles (meilleure visibilité de ces opérations et matériels).
D’autre part :
o D’abord l’opportunité de nouvelles fonctions que les ITS fermés ne
peuvent pas, ou que de manière spécifique, exploiter : des échanges
automatisés (vers un ou plusieurs partenaires), la traçabilité, le suivi qualité,
des puits de données etc.
o Ensuite l’avantage concurrentiel d’être interopérable au plus préès du temps
réel avec un donneur d’ordre et donc plus compétitif par rapport à d’autres
concurrents (l’interopérabilité comme argument qualitatif, et ce d’autant
plus dans un secteur professionnel se souciant à la fois par la transparence
des opérations et la confidentialité des transactions).
3
Thèse de Stéphanie QUIGUER (en CIFRE avec ITS Bretagne) « Acceptabilité, acceptation et appropriation
des Systèmes de Transport Intelligents : élaboration d'un canevas de co-conception multidimensionnelle
orientée par l'activité », Université Rennes 2, 2013
‘La compétitivité des entreprises et
organisations européennes (publiques
comme privées) dépend fortement de
leur capacité d’utiliser des solutions et
systèmes TIC interopérables.’ Interop
VLab
7. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 7
3. Créer des conditions favorables pour le développement et
déploiement des ITS fret
3.1 Des ITS conçus pour l’interopérabilité
Des ITS existent, ainsi que des normes et solutions pour les interconnecter voire les rendre
interopérables. Aux niveaux nationaux, continentaux et international, des instances de
normalisation négocient, adaptent et créent les normes pour assurer un fonctionnement
toujours plus intelligent des flux de marchandises. En France, la question de
l’interopérabilité a été identifiée comme un des chantiers essentiels pour les ITS dans la
feuille de route Mobilité Intelligente 3.0.
Il serait utopique d’attendre un hypothétique cadre parfait d’interopérabilité pour la
conception, le développement et le déploiement des ITS fret – tout comme il ne serait pas
raisonnable d’espérer qu’un système universel s’impose dans une position unique et donc
standardisée Des stratégies d’interopérabilité dès conception des ITS sont plus
prometteurs si elles intègrent la notion d’ouverture, de développement progressif et
d’adaptation à l’existant à des solutions commercialisées.
3.2 Sensibilisation & appropriation
des ITS fret
Si des chantiers perdurent pour l’interopérabilité, il convient de rappeler un autre frein
essentiel au déploiement à grande échelle des ITS fret aujourd’hui : l’utilisation effective !
Le déploiement d’ITS fret est à considérer avec attention pour plusieurs raisons4
:
• Les processus de l’entreprise (qu’il convient souvent de repenser tout d’abord dans
un projet global qui aboutira sur une solution systémique intelligente) doivent se
refléter dans l’ITS installé, et non pas s’adapter à un système informatique. L’ITS
doit être un véritable vecteur d’optimisation et pas seulement un outil informatique
supplémentaire;
• Le choix de déploiement d’un ITS est toujours aussi un choix d’investissement.
L’équilibre entre coûts et gains ainsi que la question des (in)dépendances doit être
étudiée a priori, et notamment l’apport d’une approche d’interopérabilité (dans la
4
Pour une bonne catégorisation de ces considérations voir la thèse de Stéphanie QUIGUER
« Une part vitale du succès du déploiement européen
de différents systèmes et services ITS est
l’accompagnement, l’explication, de comment ils
marchent et quels bénéfices ils vont apporter. »
(ERTICO)
8. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 8
conception du système) mérite d’être plus popularisé auprès des entreprises du
secteur ;
• Il est essentiel d’accompagner le personnel dans l’appropriation des ITS, notamment
dans un secteur d’activité dont une partie importante des personnels opérationnels
(cœur de métier, non support) est peu formée à l’utilisation des TIC.
Les TPE/PME ne sont, aujourd’hui, que peu sensibilisées à l’enjeu de
l’interopérabilité. En même temps elles sont particulièrement
vulnérables dans leur équipement en TIC, qui représente aussi un
enjeu de robustesse, efficacité et compétitivité.
Pour les grandes entreprises, l’interopérabilité leur sera profitable dans une perspective
plus durable que celle d’imposer l’utilisation de leurs systèmes à leurs partenaires moins
équipées. Elles disposent en général de la compétence interne pour plus facilement
intégrer la dimension d’interopérabilité dans un véritable projet d’entreprise afin de rendre
plus fluide l’ensemble de ces opérations en lien avec le transport (et au-delà).
3.3 Pistes d’organisation de l’interopérabilité
Les constats sur les besoins et particularités du fret en matière d’ITS étant posés, nous
pouvons nous interroger sur les prochains pas. Quelles peuvent,
quelles doivent, être les actions qui peuvent débloquer ces gisements
de performance pour le secteur du fret ? Comment créer les modalités
de développement et diffusion durables des solutions ?
Pour le secteur privé :
La conception des ITS interopérables (basée sur des normes) est une piste à
adopter et surtout à mettre en avant par les développeurs et offreurs de solutions
informatiques.
La sensibilisation et les réflexions sur l’appropriation des ITS est une piste pour
les entreprises du transport ainsi que les structures qui les accompagnent dans leurs
démarches (associations ITS, pôles de compétitivité, d’excellence, de transfert de
technologies, universités, CCI, etc.).
9. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 9
Pistes pour le secteur public5
(en collaboration avec acteurs du privé) :
L’implication dans et le suivi des travaux de normalisation internationale dans
le domaine (exemple du groupe de travail MMT Multimodal Transport avec
soutien fort de la France).
La demande des autorités que les administrations & entreprises publiques
ouvrent leurs systèmes d’information, incitant ainsi l’ouverture des ou de
beaucoup de systèmes privées.
• Encourager & financer la recherche et l’innovation pour développer des
solutions alternatives, interopérables et adaptables.
• La prise en compte des besoins de confiance et sécurité (pour données
confidentielles mais aussi pour justifier les investissements). Il est essentiel que
des réflexions sur ces éléments soient portées dans toutes les instances de
normalisation, avec les réflexions sur la responsabilité des données et des
risques.
5
Lire aussi : le rapport d’études du Setra « Transports intelligents – Mise en œuvre de la directive 2010/40 pour la
période 2012-2017 »
10. Les Rencontres de la Mobilité Intelligente 2016 10
Biographies des auteurs
Anna MELSEN
Coordinateur d’i-Fret
Plateforme d’innovation i-Fret (i-Trans Association)
Suite à plusieurs expériences dans le domaine de la logistique, la sûreté et l’intelligence
économique (notamment au Grand Port Maritime de Dunkerque et chez Roquette Frères),
Anna Melsen a monté la plateforme d’innovation i-Fret dont elle continue à assumer le
poste de coordinatrice. Elle s’y occupe notamment des aspects stratégiques, partenariats
régionaux et européens et des actions de diffusion des ITS auprès des entreprises fret de
la région. Anna Melsen est diplômée de Sciences Po Paris en 2006 avec le Master des
Affaires Internationales, mention Conflit et sécurité.
Guillaume RADENNE
Coordinateur des systèmes d’information
Plateforme d’innovation i-Fret (i-Trans Association)
Diplômé en 2011 en Master Informatique de l’Université du Littoral Côte d’Opale, Guillaume
Radenne a depuis travaillé à la plateforme d’innovation i-Fret en tant que responsable des
systèmes d’information. Il a en particulier développé des solutions d’interopérabilité pour le
secteur transport & logistique, dans des projets d’innovation collaborative (notamment
NOSCIFeL (PIA) et Qualitrans). Ces solutions sont distribuées sous licence libre et ont été
conçues avec l’objectif particulier de s’adapter aux besoins des TPE/PME du secteur.
Jean-Pierre GRASSIEN
Conseiller technique d’i-Fret et d’i-Trans pour la comodalité fret
Plateforme d’innovation i-Fret & Pôle de compétitivité i-Trans (i-Trans Association)
Jean-Pierre Grassien est le conseiller technique spécialisé en fret intelligent et systèmes
d’information pour i-Trans et la plateforme d’innovation i-Fret qu’il a initié en 2010. Fort
d’une longue expérience au Grand Port Maritime de Dunkerque en recherche
opérationnelle, systèmes portuaires, systèmes embarqués, procédures commerciales et
informatique communautaire, il est aujourd’hui un expert reconnu pour les solutions
innovantes d’interopérabilité et d’interconnexion fret. Diplômé d’un DESE en Organisation,
économie et gestion du Conservatoire des Arts et Métiers, Jean-Pierre Grassien est à
l’origine de projets collaboratifs comme DETRACE (application de la norme TAF-TSI)
Interconnexion des Plateformes Multimodales, Qualitrans, NOSCIFeL, etc.