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« Moi Jovial, chef cuisinier Togolais »
Je m’appelle Jovial, j’ai 31 ans.
Je suis né à Kara, dans la région de la Kozah, d’où sont
originaires mes parents. Nous appartenons au groupe
ethnique des Kabye.

Une enfance loin de la maison:
Mon papa était un ancien militaire, ma mère a du le quitter
lorsque j’avais 5 ans, et ma soeur Nadège 3 ans. Nous
sommes allés demander de l’aide à une de mes tantes qui habitait la région de Dapaong;
celle-ci a accepté de nous héberger, mais a clairement fait comprendre à ma mère qu’elle
allait devoir travailler, et que pour ça, elle devait décrocher au moins son BEPC. En effet,
comme beaucoup de jeunes femmes dans la même situation, ma mère a quitté l’école
quand elle est tombée enceinte. Ma mère a courageusement repris les cours, décroché
son diplôme, et dès lors ma tante a pu la faire entrer à l’hôpital local comme assistante
médicale (l’équivalent d’aide soignante). Par la suite elle a gravit les échelons au CHR de
Dapaong, où elle a maintenant un rôle de cadre et fait partie des plus anciennes
employées. Nous avons pu louer notre propre maison, où j’ai vécu avec ma mère et ma
soeur, jusqu’à mon année de CE1. 

C’est le moment où ma mère a décidé que j’avais besoin de recevoir une « éducation
d’homme », et m’a envoyé vivre chez mon oncle à Lomé, la capitale qui est loin au Sud
du pays. J’y suis resté du CE1 à la 5ème. Là-bas, ça ne s’est pas très bien passé ; je me
sentais « orphelin », et je ne m’entendais pas avec la femme de mon oncle. Elle me traitait
comme du personnel de maison, et mon oncle ne s’en apercevait pas car il n’était pas
présent en journée. La matin, je devais me lever à 4h pour aller chercher de l’eau au
marigot situé à 3km de là… A cause de l’interminable queue, je revenais rarement avant
6h. Je devais alors faire le ménage de la maison, nettoyer la cour, puis être en classe à
7h. Je ne petit-déjeunais pas, j’arrivais systématiquement en retard et je me faisais punir.
J’étais épuisé et je dormais souvent, et me faisais encore plus punir. 

Un jour en CM1, le directeur de l’école est passé devant la maison, m’a vu en train de
faire la vaisselle à 7h30, alors que j’aurais déjà dû être en classe, et a compris la situation.
A partir de ce moment-là, j’ai été sauvé… je n’ai plus été puni en cours. En fait, je me
sentais globalement mieux à l’école car j’aimais apprendre, et surtout ça se passait très
mal à la maison, où mon oncle me battait régulièrement, parfois avec des câbles
électriques. Mais je ne disais jamais rien à ma mère car ici, ça ne se fait pas pour un
enfant de dire du mal de ses aînés ; et les rares fois où elle venait me voir, mon oncle et
ma tante faisaient en sorte qu’elle ne voit rien.

Des années collège et lycée tourmentées:
En 5ème, un de mes cousins est venu en stage 3 mois à Lomé ; il a logé chez mon oncle,
et a vu ce qui se passait. Il est allé parler à ma mère et lui a dit de me reprendre. Quand
1
ma mère m’a vu, elle a pleuré car elle a compris ce que j’avais enduré et que je n’étais
pas heureux. Pendant les 2-3 années qui ont suivi mon retour, je lui en ai voulu car j’avais
l’impression qu’elle m’avait un peu abandonné, et aussi qu’elle préférait ma soeur. 

Quand je suis retourné vivre avec ma mère à Dapaong, je suis passé d’un établissement
public à un établissement privé, et ça a été un peu compliqué. J’ai redoublé ma 5ème et
ma 4ème, et ma petite soeur qui avait 1 an d’avance, m’a rattrapé puis dépassé.
Lorsqu’elle est entrée au Lycée, cet écart est devenu plus visible, et la situation entre
nous s’est dégradée : elle a commencé à se moquer de moi, à me manquer de respect, si
bien qu’un jour je l’ai tapée. Ma mère, exaspérée, a demandé à un autre de ses frères de
me parler; je lui ai confié toutes mes frustrations, alors mon oncle est allé voir ma mère
pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas été impartiale. Le retour de sa considération
m’a redonné du courage, j’ai repris les études.

Il faut savoir qu’au Togo, beaucoup de familles font avancer leurs enfants par la punition:
si tu n’as pas de bonnes notes, tu es battu, tu es privé de repas, tu es cloitré. Il y a parfois
des jeunes qui fuguent, ou même se suicident. Ça a été comme ça pour moi jusqu’en
4ème, mais après que mon oncle ait parlé à ma mère, les punitions sévères ont cessé, et
ont été remplacées par un discours du type « débrouille-toi pour réussir », ou au pire, des
punitions du type privation de loisirs ou de vacances, en tous les cas pas de choses
vitales mais de choses superflues. L’idée de manquer des vacances avec mes cousins,
m’a bien plus motivé que les privations de repas ou châtiments corporels.

En 1ère cependant, nouveau creux de la vague. J’étais oisif, j’avais de mauvaises
fréquentations, et j’étais de nouveau frustré par le fait que ma soeur passait avant moi à
l’université. Cette année-là ma classe a été tellement turbulente, que tous ses élèves ont
été renvoyés de l’établissement; en fin d’année le directeur nous a dit « Ce n’était pas la
peine de revenir à la rentrée prochaine! ». Ma maman était très fâchée, elle m’a dit qu’à la
rentrée prochaine je n’avais qu’à me débrouiller pour mes fournitures scolaires. J’ai du
trouver un job d’été au champs, dans un village situé à 15km de chez nous. Je n’étais
plus vraiment en colère, je savais que cet échec était de ma faute et j’avais honte; j’ai
travaillé tout l’été si bien que j’ai gagné 35 000 FCFA (environ 55 euros). Lorsque je suis
revenu avec cet argent, j’ai remarqué un certain respect de la part de ma mère; c’était une
fierté pour moi, je me sentais homme. 

Le souci c’est que le directeur du lycée n’avais pas prononcé ces paroles en l’air, alors
quand je me suis présenté à la rentrée, j’ai été refusé. Maman était tellement en colère
qu’elle m’a inscrit dans un établissement à 15km de chez nous. J’ai refusé d’y aller, il y a
eu un gros conflit à la maison. Finalement, ma mère m’a convoqué et m’a dit 

- « Qu’est-ce que tu veux faire? 

-  Je ne veux plus aller à l’école, je veux apprendre le métier.

-  OK, trouve la formation que tu veux faire et on verra, mais sache que dans cette vie les
choses ne sont pas aussi simples que tu le penses. »

Le choix d’une autre voie, le début d’une réussite:
Je ne savais pas vraiment par où commencer mes recherches, je suis tombé sur la
cuisine un peu par hasard : d’une part parce que ma maman m’y avait initié quand j’étais
plus jeune, alors que je l’aidais à préparer le repas du 1er mai pour son équipe de
l’Hôpital ; d’autre part, parce que ma maman était en train de passer un bac technique
dans l’établissement IBM (Institut Buame Management) de Dapaong. Or, le chef Marcellin
2
Lare, ancien chef du président gabonais Omar Bongo, cherchait à transmettre sa réussite
à d’autres et avait mis en place des cours de cuisine dans cet établissement. Ma chance
a été de tomber directement sur lui quand je suis venu me renseigner; le courant est
passé tout de suite, car il a vu que j’aimais vraiment la cuisine. 

Après cette rencontre, j’étais très pressé de m’inscrire, et ce d’autant plus que je ne
supportais déjà plus de rester à la maison à ne rien faire. J’ai en parlé le soir même à ma
mère, qui a été assez surprise mais a accepté. Dès le lendemain, elle est allée souscrire
un emprunt auprès de son employeur; puis elle
m’a donné l’enveloppe contenant 250 000
FCFA (380 euros) pour que j’aille m’inscrire :
elle voulait me responsabiliser, «  c’est ton
projet », m’a-t-elle dit. 

Une fois inscrit, il y a eu une autre difficulté: en
effet, la préparation au bac technique
comportait des matières généralistes comme
les maths, la comptabilité, etc. Moi je ne
supportais plus l’idée de rester assis à un
bureau à écrire, alors j’ai dit au chef que je ne
voulais faire que les cours théoriques, tant pis
si je ne validais pas un vrai bac technique à la
fin. Il a accepté. J’ai pris le train en marche car
l’année avait déjà commencé, je me souviens
que mon premier enseignement devait être un
cours pratique de tartes. Je n’avais pas les
acquis préalables, mais quand je suis rentré
chez moi le soir, j’ai fait des recherches sur les tartes, pour arriver armé au cours du
lendemain. Puis c’est vite devenu une habitude de faire des recherches systématiques
sur tous les sujets que nous abordions. J’ai tout donné et en 6 mois, je suis devenu major
de ma classe. Cette réussite, couplée à l’appréciation du chef Marcellin, constituait pour
moi une très belle récompense.

Dès le départ, j’ai eu l’ambition de devenir un grand chef ; pendant qu’on m’apprenait la
cuisine classique, je cherchais à découvrir la gastronomie en tant qu’art, à innover. Je
voulais tout le temps aller plus loin que les règles, à l’inverse des gens vraiment studieux.
J’avais la reconnaissance du chef, qui m’a beaucoup encouragé.

Il m’a recommandé pour un boulot en extra, qui m’a fait découvrir la réalité de terrain : le
stress de la vie active, les horaires de travail, la pression… Ça m’a permis de grandir, de
murir, de comprendre ce que les gens vivent en tant que salariés, surtout lorsqu’ils
gagnent peu. J’ai fini par arrêté car c’était difficile de jongler entre formation et vie active,
mais je ne regrette pas.

J’ai trouvé ensuite une second boulot, plus pratique car je travaillais sur un gros site
touristique de la région de Bombouaka, les WE seulement. C’est à ce moment que j’ai
commencé à gagner suffisamment pour économiser (je gagnais 5000 FCFA/ 8 euros par
WE) et que j’ai pu m’occuper mieux de ma maman, en l’invitant au restaurant par
exemple. 

Après 3 ans de formation théorique, j’ai fait 1 an de stage non rémunéré chez le chef
Patrick. Normalement le stage ne dure que 6 mois, mais moi j’ai remarqué que c’était
justement le temps qu’un nouveau-venu passait à la plonge et aux menues besognes,
avant qu’un nouveau stagiaire arrive et le remplace, le libérant ainsi pour passer vraiment
du temps en cuisine et apprendre des choses. Donc, j’ai prolongé mon stage de 6 mois.
3
Le chef Patrick m’a beaucoup appris sur les sauces, or « on reconnait un vrai chef à ses
sauces  ». J’ai pris la mesure de l’ambiance dans une grosse cuisine, la frénésie au
moment du coup de feu. J’ai aussi vu ce que c’était d’être en bas de l’échelle, à gratter
les marmites. Certains de mes collègues de formation, issus de famille aisées, disaient
« je n’ai pas payé une formation pour que vous me fassiez faire des tâches ingrates » ou
«  je n’ai pas payé pour que vous me punissiez  ». Ils pensent que l’argent fait tout, et
évitent les gens comme moi parce qu’ils considèrent la pauvreté comme contagieuse.
Mais eux, ils n’apprennent rien pendant un stage comme ça. 

Premiers emplois, l’occasion de faire ses armes:
Après cette année de stage, j’ai eu la chance d’être embauché directement par un ancien
Ministre de la communication et de l’audiovisuel, du nom de KOKOU Tozoun. Le salaire
était bon, 70 000 FCFA (106 euros) par mois. 

Mais sa femme était de Kara comme moi, et à cause de vieilles rivalités familiales, elle a
fait en sorte que je ne reste pas longtemps. Depuis, entre cette histoire et celle de ma
tante, je refuse de travailler pour des particuliers, sauf s’il n’y pas pas d’épouse! 

Après quelques mois d’inactivité, j’ai trouvé un travail dans un hôtel au Burkina. Là-bas,
c’est la mentalité anglophone, on te dit : les papiers et les diplômes on s’en fiche, qu’est-
ce que tu sais faire ? Les 2 premiers jours, j’ai du superviser au pied levé l’inauguration de
l’hôtel, avec 700 invités; j’ai été embauché, et j’y suis resté 3 ans, à gérer une équipe de 5
personnes. Au bout d’un temps, j’ai eu l’impression que je ne méritais plus mon salaire de
100 000 FCFA (150 euros), je ne faisais plus rien de nouveau, mon staff savais déjà tout
faire. Quand le patron a voulu diminuer le salaire du staff parce que son affaire marchait
moins bien, je suis parti en me disant qu’il pourrait utiliser l’argent de mon salaire pour
payer les gens de mon équipe. 

Je suis allé travailler à TIIEBA dans les cuisines collectives de NORGOLD, une compagnie
qui exploite une mine d’or pour des Russes. C’était principalement de la gestion de
buffets, de BBQ, j’aimais bien ça et le salaire était bon à 280 000 FCFA (430 euros). Mais
la pression était intense, si bien qu’au bout d’un an, je suis revenu à Dapaong faire un
break. J’y ai rencontré une jeune fille, et 3 mois après être reparti travailler au Burkina,
j’apprenais que j’allais être père, et de jumelles ! C’était une nouvelle étape dans ma vie.

Rebondir avec la compétition:
Plus question de repartir loin, j’ai du rechercher du boulot plus près mais ça a été un peu
un retour à la case départ, notamment en matière de salaire. J’ai eu des petits contrats ça
et là, mais ça n’a pas été facile et j’étais un peu déprimé. 

Un jour ma soeur, avec laquelle j’avais pourtant une relation relativement distante,
m’envoie un lien pour participer à une compétition internationale de cuisine, La « African
Young Chefs Competition  ». Il s’agissait en fait d’un évènement promotionnel pour la
Culinary Academy of Nigeria. Ma soeur m’a beaucoup poussé à m’inscrire, j’ai fini par
emprunter 300 dollars à une cousine au Liban qui m’a dit « j’ai confiance en toi, je te les
envoie ». J’ai été rapidement sélectionné, et j’ai surmonté mes dernières appréhensions à
aller seul dans ce pays que les Togolais considèrent comme dangereux. Après un voyage
interminable en bus (je ne pouvais pas payer l’avion), je suis arrivé au Nigeria. Nous étions
4
logé dans un hôtel ACOORD, très luxueux pour moi. Il y avait une quinzaine de
compétiteurs, mais j’étais le seul à être francophone. J’ai appris à parler anglais en
autodidacte, au Burkina, mais ça m’a rassuré quand dès le début de la compétition, le
chef COCO Reinagh, qui est bilingue, a annoncé aux autres qu’il voulait bien traduire pour
moi quand ce serait nécessaire. 

A l’inverse des autres candidats, qui sont venus avec une délégation de leur pays, des
journalistes, etc., je suis venu tout seul ; les autorités togolaises n’étaient pas au courant
de la compétition car ils se fichent de tout ce qui est gastronomie, mais si j’avais porté
cet évènement à leur attention, ils auraient peut être voulu envoyer quelqu’un de plus
connu, bardé de diplôme, leur « poulain ». Donc je suis venu sans le leur dire, et je n’avais
même pas de drapeau pour représenter mon pays. Au dernier moment, j’ai eu peur mais
je n’ai pas voulu douter, je me suis dit « Jésus, tu es mon mentor ». 

Les épreuves ne se sont pas trop mal passées, mais ça a quand même été un gros stress
à la fin au moment de la reprise des prix. J’ai été troisième, j’étais content car je savais
que c’était le maximum que je pouvais faire. Au moment de la remise des prix, l’émotion
était intense, je n’entendais plus rien ! 

5
J’ai découvert beaucoup de choses ce jour-là, notamment qu’il y avait meilleur que moi.
Je me suis fait des amis aussi, et un réseau. « Il faut sortir pour découvrir ». J’ai aussi
découvert que j’aimais le Nigeria, que ce n’était pas du tout un pays « barbare » comme
les Togolais le pensent ; ils ont un bon niveau en cuisine, ils ont pas mal évolué quant à la
qualité et à la place de la gastronomie dans leur société, contrairement à nous. C’est
également le cas pour l’Afrique du Sud, et le Kenya par exemple. Pourtant avant, le Togo
était réputé pour ses cuisiniers… Mais les pays anglophones évoluent plus vite, ils sont
plus ambitieux, leur système de formation est meilleur. 

Plus récemment, en mars 2018, j’ai participé à une compétition amicale organisée par
l’ambassade de France à Abuja, capitale du Nigeria, entre les restaurants et hôtels
participant à la semaine annuelle « Goûts de France - Good France ». Le restaurant que je
représentais est décroché la seconde place.

Aujourd’hui, je rêve de progresser encore dans mon art; mon ambition est d’intégrer
l’école d’arts culinaires et de management hotelier « le Cordon bleu », à Paris. C’est là-
bas que les chefs d’état recrutent leurs cuisiniers!



6
Vous l’aurez compris, Jovial n’a ni un parcours, ni une personnalité « comme les
autres » ; nous sommes intrigués et cherchons à savoir pourquoi et comment il se
distingue d’une majorité de personnes plus ou moins résignées… Nous lui posons
donc quelques questions:
S: Beaucoup de jeunes ont du mal à trouver leur voie, c’est à dire à savoir ce pour
quoi ils ont du talent, ce pour quoi ils sont faits; qu’est ce qui a fait que toi tu l’as su
assez tôt, à l’inverse des autres?
J: A l’école, lorsque tu demandes aux jeunes ce qu’ils veulent faire, ils répondent:
médecin, comptable, militaire. Mais en réalité leur réponse est immature car ils ne savent
pas en quoi consistent ces métiers, ils en ont une idée préconçue. 

A mon avis, on ne peut pas avoir une idée toute faîte sur ce qu’on veut faire, il faut murir
ce choix dans le temps; il faut discerner ce qu’on aime, ce pour quoi on est doué, et
creuser progressivement dans cette direction. Ce discernement peut se faire dans le
cadre de l’école, par exemple: « quelles sont les matières que j’aime vraiment? », mais
aussi dans le cadre de la vie personnelle et familiale, et dans ce cas le point de vue des
proches peut aussi être une aide précieuse. 

La famille a un rôle important, car elle peut observer très tôt les dispositions de l’enfant;
elle doit aussi faire attention à respecter ces dispositions, et ne pas le forcer plus que de
raison à persévérer dans une voie qui le rend malheureux.

Elle doit aussi ne pas hésiter à laisser l’enfant explorer tous les domaines; dans mon cas,
heureusement que ma maman m’a laissé l’approcher du feu (expression pour dire
« rentrer dans la cuisine »), chose qui ne se font traditionnellement pas pour les garçons
au Togo, sinon je ne serais peut être pas chef aujourd’hui. 

C’est vrai qu’au terme de ma formation chez IBM, je n’ai pas eu mon Bac technique, car
j’avais dès le départ refusé de suivre la partie théorique. Mais j’ai eu une attestation de
formation pour la partie pratique, et ça m’a suffit. Ce que je veux dire, c’est que ça ne sert
à rien de viser des notes ou des diplômes per se… Ce qui est beaucoup plus motivant
et important, c’est savoir pourquoi on fait ça ; par exemple, pour moi la motivation
était «  comment satisfaire un jour des gens, comment les rendre heureux par ma
cuisine ? ». Aujourd’hui c’est ce que je fais, ce qui prouve que ce n’est pas le papier qui
fait le professionnel ! 

S: Quelles sont d’après toi les qualités nécessaires pour réussir dans la vie?
J: Tout d’abord, il faut préciser que je suis actuellement en voie de réussir, mais je n’ai
pas encore réussi… Pour répondre à la question:

• D’abord, le respect de tout le monde, du plus petit que soi, du plus grand que soi;
un dicton Africain dit : « on ne sait pas qui est qui ». Le respect ouvre les portes,
c’est peut être lui la clé de mon succès. Un exemple m’a marqué: lorsque je
travaillais dans mon premier hôtel au Burkina Faso, un monsieur s’est présenté en
tongs culotte (= bermuda) chemise, plein de poussière, à la réception de l’hôtel où
je travaillais. Or c‘était un hotel plutôt luxueux, il a donc été plus ou moins mis
dehors et est descendu dans un autre hôtel un peu plus bas. En fait, nous avons su
après coup que c’était le chef d’un gros chantier du coin, qui avait travaillé toute la
7
journée. Le soir, il est quand même revenu pour manger, cette fois-ci bien sur lui,
les gens l’ont à peine reconnu. Il est reparti en laissant un très bon pourboire, y
compris au réceptionniste! C’était la honte pour tout le personnel, nous avons été
sévèrement débriefé à ce sujet, et je n’ai pas oublié cette aventure. 

• Avoir des objectifs. Etre curieux, se renseigner sur le domaine que l’on envisage,
se cultiver sur ceux qui ont réussi dans ce métier. Savoir demander conseil.
• Etre ambitieux mais pas de façon démesurée, faire selon ses moyens. Accepter
de commencer en bas, ensuite tu pourras évoluer. Nos jeunes d’aujourd’hui sont
pressés. 

• Honnêteté, intégrité. Un proverbe africain dit: « Si tu ne sais pas où tu vas, saches
d’où tu viens ». Attention aux raccourcis. Si tu réussis non pas par le mérite et le
travail, mais parce que tu as mis en place plein de petites tricheries, à la fin tu ne
seras pas fier de toi, ça ne t’aura pas vraiment aidé.

• Ne jamais douter de tes capacités; lorsque les gens me disent « tu rêves trop
beau », je ne les écoute pas. C’est moi seul qui décide ce que je veux faire ou pas.
Parfois, les gens qui te mettent des bâtons dans les roues peuvent même te
booster, si tu es suffisamment fort mentalement. 

D’ici quelques années j’aurai réussi à grandir, je pourrai compléter. 

S: Si tu devais changer une chose dans le système éducatif scolaire au Togo, quelle
serait-elle?
J: A vrai dire, plein de choses…

Tout d’abord, ce n’est pas autour du bac qu’il faut penser orientation; dès le début du
collège, il faudrait commencer à avoir une idée de ce que l’enfant veut faire. En effet, le
système est tel que certaines matières à gros coefficients font échouer inutilement
certains élèves. En fait d’après mon expérience personnelle, l’idéal serait une
spécialisation plus précoce des études. 

Ensuite, un des gros problèmes est qu’il n’y a pas de redoublement ; si bien que lorsque
ces jeunes arrivent au bac, ils restent bloqués parce qu’en réalité, ils n’ont pas le niveau.
Les tentatives répétées deviennent vite une rente pour la famille, mais l’enfant s’accroche
car tout le monde lui dit que le bac est ce qu’il lui faut… Pour ces jeunes, il faudrait un
cursus différent, tenant compte plus et plus tôt, de leurs vraies aspirations. 

Enfin, il faudrait beaucoup plus de vraies bourses. Tous les ans, le gouvernement vote
des budgets pour des bourses, mais le système d’attribution et les montants ne
permettent pas une vraie ascension sociale. Comme les aides sont inappropriées, elles
font l’objet d’un véritable marché noir, les élèves qui en auraient le plus besoin les
revendent à des jeunes plus aisés qui pourront prendre en charge transport et logement.
Il faudrait non pas des prises en charge partielles des frais de scolarité, mais de
vrais packages qui permette de vraiment faire ses études (logement, transport…).

8
S: Si tu réussis, te poses-tu la question de partager ce succès avec ton milieu
d’origine, et si oui comment?
J: J’y pense beaucoup. 

Durant ma période de chômage, j’avais pas mal de temps libre et je me suis dis que je
pourrais partager ce que j’ai déjà acquis. J’ai donné des cours à des dames de la
communauté, qui voulaient se perfectionner en cuisine, notamment en pâtisserie. C’était
très satisfaisant pour moi. Je me dis que je pourrais donc faire grandir ce que j’ai
commencé, et un jour ouvrir mon propre centre de formation pour partager mon cursus,
et surtout, faire changer la mentalité des togolais concernant la cuisine. En effet, ils
considèrent pour la plupart que la cuisine n’est qu’une affaire de femmes, et que la
gastronomie n’a aucun intérêt car mieux vaut la quantité que la qualité.

Mes compatriotes ont besoin qu’on leur enseigne autre chose à ce sujet; j’aimerais
développer une cuisine de type «  afro-fusion  » (fusion des gastronomies de différents
pays africains), et aussi valoriser nos produits africains; par exemple, nous avons nos
propres épinards, haricots verts, aubergines, basilics… qui ont un goût différent de leurs
analogues européens. Je voudrais les faire découvrir aux autres nationalités, les faire
aimer à d’autres pays. 

Lorsque je participe à des salons de produits fermiers et autres évènements à caractère
gastronomique, je n’oublie donc jamais de dire d’où je viens, et je tague beaucoup
#228togo. Je voudrais faire de notre cuisine une fierté nationale, et l’utiliser pour faire
la promotion de mon pays. Certes le Togo est tout petit sur la carte… Mais je crois en
mon pays, et je crois que grâce à mon talent je peux vendre mon pays, mieux que ne le
font nos représentants politiques! La cuisine réunit le monde. On peut se battre, mais
devant un bon plat de riz et de poisson (les ingrédients les plus universels en termes de
cuisine), tout le monde s’assoit et se retrouve. En pays Anglosaxon, on dit aussi qu’un
contrat se signe devant un bon plat… En fait, on peut faire Amnesty International grâce à
la cuisine!

Pour moi c’est très important, et ça prendra le temps qu’il faut, mais le le ferai. Mais je
dois commencer par le faire ici au Togo; faire accepter à mes concitoyens que ce ne sont
pas seulement les annonces politiques et les conflits qui font connaître un pays, pas
seulement le foot et la musique qui le mettent sur le devant de la scène… Personne ne
pense à le faire par la gastronomie, elle n’a ici aucun sponsor, et les jeunes chefs sont
contraints d’aller vendre leur talent ailleurs!

Pourtant comme je l’ai dit, la cuisine a vraiment beaucoup à offrir.
9
Inspire 2019 - Alex et Sara Baudoux

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  • 1. « Moi Jovial, chef cuisinier Togolais » Je m’appelle Jovial, j’ai 31 ans. Je suis né à Kara, dans la région de la Kozah, d’où sont originaires mes parents. Nous appartenons au groupe ethnique des Kabye. Une enfance loin de la maison: Mon papa était un ancien militaire, ma mère a du le quitter lorsque j’avais 5 ans, et ma soeur Nadège 3 ans. Nous sommes allés demander de l’aide à une de mes tantes qui habitait la région de Dapaong; celle-ci a accepté de nous héberger, mais a clairement fait comprendre à ma mère qu’elle allait devoir travailler, et que pour ça, elle devait décrocher au moins son BEPC. En effet, comme beaucoup de jeunes femmes dans la même situation, ma mère a quitté l’école quand elle est tombée enceinte. Ma mère a courageusement repris les cours, décroché son diplôme, et dès lors ma tante a pu la faire entrer à l’hôpital local comme assistante médicale (l’équivalent d’aide soignante). Par la suite elle a gravit les échelons au CHR de Dapaong, où elle a maintenant un rôle de cadre et fait partie des plus anciennes employées. Nous avons pu louer notre propre maison, où j’ai vécu avec ma mère et ma soeur, jusqu’à mon année de CE1. C’est le moment où ma mère a décidé que j’avais besoin de recevoir une « éducation d’homme », et m’a envoyé vivre chez mon oncle à Lomé, la capitale qui est loin au Sud du pays. J’y suis resté du CE1 à la 5ème. Là-bas, ça ne s’est pas très bien passé ; je me sentais « orphelin », et je ne m’entendais pas avec la femme de mon oncle. Elle me traitait comme du personnel de maison, et mon oncle ne s’en apercevait pas car il n’était pas présent en journée. La matin, je devais me lever à 4h pour aller chercher de l’eau au marigot situé à 3km de là… A cause de l’interminable queue, je revenais rarement avant 6h. Je devais alors faire le ménage de la maison, nettoyer la cour, puis être en classe à 7h. Je ne petit-déjeunais pas, j’arrivais systématiquement en retard et je me faisais punir. J’étais épuisé et je dormais souvent, et me faisais encore plus punir. Un jour en CM1, le directeur de l’école est passé devant la maison, m’a vu en train de faire la vaisselle à 7h30, alors que j’aurais déjà dû être en classe, et a compris la situation. A partir de ce moment-là, j’ai été sauvé… je n’ai plus été puni en cours. En fait, je me sentais globalement mieux à l’école car j’aimais apprendre, et surtout ça se passait très mal à la maison, où mon oncle me battait régulièrement, parfois avec des câbles électriques. Mais je ne disais jamais rien à ma mère car ici, ça ne se fait pas pour un enfant de dire du mal de ses aînés ; et les rares fois où elle venait me voir, mon oncle et ma tante faisaient en sorte qu’elle ne voit rien. Des années collège et lycée tourmentées: En 5ème, un de mes cousins est venu en stage 3 mois à Lomé ; il a logé chez mon oncle, et a vu ce qui se passait. Il est allé parler à ma mère et lui a dit de me reprendre. Quand 1
  • 2. ma mère m’a vu, elle a pleuré car elle a compris ce que j’avais enduré et que je n’étais pas heureux. Pendant les 2-3 années qui ont suivi mon retour, je lui en ai voulu car j’avais l’impression qu’elle m’avait un peu abandonné, et aussi qu’elle préférait ma soeur. Quand je suis retourné vivre avec ma mère à Dapaong, je suis passé d’un établissement public à un établissement privé, et ça a été un peu compliqué. J’ai redoublé ma 5ème et ma 4ème, et ma petite soeur qui avait 1 an d’avance, m’a rattrapé puis dépassé. Lorsqu’elle est entrée au Lycée, cet écart est devenu plus visible, et la situation entre nous s’est dégradée : elle a commencé à se moquer de moi, à me manquer de respect, si bien qu’un jour je l’ai tapée. Ma mère, exaspérée, a demandé à un autre de ses frères de me parler; je lui ai confié toutes mes frustrations, alors mon oncle est allé voir ma mère pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas été impartiale. Le retour de sa considération m’a redonné du courage, j’ai repris les études. Il faut savoir qu’au Togo, beaucoup de familles font avancer leurs enfants par la punition: si tu n’as pas de bonnes notes, tu es battu, tu es privé de repas, tu es cloitré. Il y a parfois des jeunes qui fuguent, ou même se suicident. Ça a été comme ça pour moi jusqu’en 4ème, mais après que mon oncle ait parlé à ma mère, les punitions sévères ont cessé, et ont été remplacées par un discours du type « débrouille-toi pour réussir », ou au pire, des punitions du type privation de loisirs ou de vacances, en tous les cas pas de choses vitales mais de choses superflues. L’idée de manquer des vacances avec mes cousins, m’a bien plus motivé que les privations de repas ou châtiments corporels. En 1ère cependant, nouveau creux de la vague. J’étais oisif, j’avais de mauvaises fréquentations, et j’étais de nouveau frustré par le fait que ma soeur passait avant moi à l’université. Cette année-là ma classe a été tellement turbulente, que tous ses élèves ont été renvoyés de l’établissement; en fin d’année le directeur nous a dit « Ce n’était pas la peine de revenir à la rentrée prochaine! ». Ma maman était très fâchée, elle m’a dit qu’à la rentrée prochaine je n’avais qu’à me débrouiller pour mes fournitures scolaires. J’ai du trouver un job d’été au champs, dans un village situé à 15km de chez nous. Je n’étais plus vraiment en colère, je savais que cet échec était de ma faute et j’avais honte; j’ai travaillé tout l’été si bien que j’ai gagné 35 000 FCFA (environ 55 euros). Lorsque je suis revenu avec cet argent, j’ai remarqué un certain respect de la part de ma mère; c’était une fierté pour moi, je me sentais homme. Le souci c’est que le directeur du lycée n’avais pas prononcé ces paroles en l’air, alors quand je me suis présenté à la rentrée, j’ai été refusé. Maman était tellement en colère qu’elle m’a inscrit dans un établissement à 15km de chez nous. J’ai refusé d’y aller, il y a eu un gros conflit à la maison. Finalement, ma mère m’a convoqué et m’a dit - « Qu’est-ce que tu veux faire?  -  Je ne veux plus aller à l’école, je veux apprendre le métier. -  OK, trouve la formation que tu veux faire et on verra, mais sache que dans cette vie les choses ne sont pas aussi simples que tu le penses. » Le choix d’une autre voie, le début d’une réussite: Je ne savais pas vraiment par où commencer mes recherches, je suis tombé sur la cuisine un peu par hasard : d’une part parce que ma maman m’y avait initié quand j’étais plus jeune, alors que je l’aidais à préparer le repas du 1er mai pour son équipe de l’Hôpital ; d’autre part, parce que ma maman était en train de passer un bac technique dans l’établissement IBM (Institut Buame Management) de Dapaong. Or, le chef Marcellin 2
  • 3. Lare, ancien chef du président gabonais Omar Bongo, cherchait à transmettre sa réussite à d’autres et avait mis en place des cours de cuisine dans cet établissement. Ma chance a été de tomber directement sur lui quand je suis venu me renseigner; le courant est passé tout de suite, car il a vu que j’aimais vraiment la cuisine. Après cette rencontre, j’étais très pressé de m’inscrire, et ce d’autant plus que je ne supportais déjà plus de rester à la maison à ne rien faire. J’ai en parlé le soir même à ma mère, qui a été assez surprise mais a accepté. Dès le lendemain, elle est allée souscrire un emprunt auprès de son employeur; puis elle m’a donné l’enveloppe contenant 250 000 FCFA (380 euros) pour que j’aille m’inscrire : elle voulait me responsabiliser, «  c’est ton projet », m’a-t-elle dit. Une fois inscrit, il y a eu une autre difficulté: en effet, la préparation au bac technique comportait des matières généralistes comme les maths, la comptabilité, etc. Moi je ne supportais plus l’idée de rester assis à un bureau à écrire, alors j’ai dit au chef que je ne voulais faire que les cours théoriques, tant pis si je ne validais pas un vrai bac technique à la fin. Il a accepté. J’ai pris le train en marche car l’année avait déjà commencé, je me souviens que mon premier enseignement devait être un cours pratique de tartes. Je n’avais pas les acquis préalables, mais quand je suis rentré chez moi le soir, j’ai fait des recherches sur les tartes, pour arriver armé au cours du lendemain. Puis c’est vite devenu une habitude de faire des recherches systématiques sur tous les sujets que nous abordions. J’ai tout donné et en 6 mois, je suis devenu major de ma classe. Cette réussite, couplée à l’appréciation du chef Marcellin, constituait pour moi une très belle récompense. Dès le départ, j’ai eu l’ambition de devenir un grand chef ; pendant qu’on m’apprenait la cuisine classique, je cherchais à découvrir la gastronomie en tant qu’art, à innover. Je voulais tout le temps aller plus loin que les règles, à l’inverse des gens vraiment studieux. J’avais la reconnaissance du chef, qui m’a beaucoup encouragé. Il m’a recommandé pour un boulot en extra, qui m’a fait découvrir la réalité de terrain : le stress de la vie active, les horaires de travail, la pression… Ça m’a permis de grandir, de murir, de comprendre ce que les gens vivent en tant que salariés, surtout lorsqu’ils gagnent peu. J’ai fini par arrêté car c’était difficile de jongler entre formation et vie active, mais je ne regrette pas. J’ai trouvé ensuite une second boulot, plus pratique car je travaillais sur un gros site touristique de la région de Bombouaka, les WE seulement. C’est à ce moment que j’ai commencé à gagner suffisamment pour économiser (je gagnais 5000 FCFA/ 8 euros par WE) et que j’ai pu m’occuper mieux de ma maman, en l’invitant au restaurant par exemple. Après 3 ans de formation théorique, j’ai fait 1 an de stage non rémunéré chez le chef Patrick. Normalement le stage ne dure que 6 mois, mais moi j’ai remarqué que c’était justement le temps qu’un nouveau-venu passait à la plonge et aux menues besognes, avant qu’un nouveau stagiaire arrive et le remplace, le libérant ainsi pour passer vraiment du temps en cuisine et apprendre des choses. Donc, j’ai prolongé mon stage de 6 mois. 3
  • 4. Le chef Patrick m’a beaucoup appris sur les sauces, or « on reconnait un vrai chef à ses sauces  ». J’ai pris la mesure de l’ambiance dans une grosse cuisine, la frénésie au moment du coup de feu. J’ai aussi vu ce que c’était d’être en bas de l’échelle, à gratter les marmites. Certains de mes collègues de formation, issus de famille aisées, disaient « je n’ai pas payé une formation pour que vous me fassiez faire des tâches ingrates » ou «  je n’ai pas payé pour que vous me punissiez  ». Ils pensent que l’argent fait tout, et évitent les gens comme moi parce qu’ils considèrent la pauvreté comme contagieuse. Mais eux, ils n’apprennent rien pendant un stage comme ça. Premiers emplois, l’occasion de faire ses armes: Après cette année de stage, j’ai eu la chance d’être embauché directement par un ancien Ministre de la communication et de l’audiovisuel, du nom de KOKOU Tozoun. Le salaire était bon, 70 000 FCFA (106 euros) par mois. Mais sa femme était de Kara comme moi, et à cause de vieilles rivalités familiales, elle a fait en sorte que je ne reste pas longtemps. Depuis, entre cette histoire et celle de ma tante, je refuse de travailler pour des particuliers, sauf s’il n’y pas pas d’épouse! Après quelques mois d’inactivité, j’ai trouvé un travail dans un hôtel au Burkina. Là-bas, c’est la mentalité anglophone, on te dit : les papiers et les diplômes on s’en fiche, qu’est- ce que tu sais faire ? Les 2 premiers jours, j’ai du superviser au pied levé l’inauguration de l’hôtel, avec 700 invités; j’ai été embauché, et j’y suis resté 3 ans, à gérer une équipe de 5 personnes. Au bout d’un temps, j’ai eu l’impression que je ne méritais plus mon salaire de 100 000 FCFA (150 euros), je ne faisais plus rien de nouveau, mon staff savais déjà tout faire. Quand le patron a voulu diminuer le salaire du staff parce que son affaire marchait moins bien, je suis parti en me disant qu’il pourrait utiliser l’argent de mon salaire pour payer les gens de mon équipe. Je suis allé travailler à TIIEBA dans les cuisines collectives de NORGOLD, une compagnie qui exploite une mine d’or pour des Russes. C’était principalement de la gestion de buffets, de BBQ, j’aimais bien ça et le salaire était bon à 280 000 FCFA (430 euros). Mais la pression était intense, si bien qu’au bout d’un an, je suis revenu à Dapaong faire un break. J’y ai rencontré une jeune fille, et 3 mois après être reparti travailler au Burkina, j’apprenais que j’allais être père, et de jumelles ! C’était une nouvelle étape dans ma vie. Rebondir avec la compétition: Plus question de repartir loin, j’ai du rechercher du boulot plus près mais ça a été un peu un retour à la case départ, notamment en matière de salaire. J’ai eu des petits contrats ça et là, mais ça n’a pas été facile et j’étais un peu déprimé. Un jour ma soeur, avec laquelle j’avais pourtant une relation relativement distante, m’envoie un lien pour participer à une compétition internationale de cuisine, La « African Young Chefs Competition  ». Il s’agissait en fait d’un évènement promotionnel pour la Culinary Academy of Nigeria. Ma soeur m’a beaucoup poussé à m’inscrire, j’ai fini par emprunter 300 dollars à une cousine au Liban qui m’a dit « j’ai confiance en toi, je te les envoie ». J’ai été rapidement sélectionné, et j’ai surmonté mes dernières appréhensions à aller seul dans ce pays que les Togolais considèrent comme dangereux. Après un voyage interminable en bus (je ne pouvais pas payer l’avion), je suis arrivé au Nigeria. Nous étions 4
  • 5. logé dans un hôtel ACOORD, très luxueux pour moi. Il y avait une quinzaine de compétiteurs, mais j’étais le seul à être francophone. J’ai appris à parler anglais en autodidacte, au Burkina, mais ça m’a rassuré quand dès le début de la compétition, le chef COCO Reinagh, qui est bilingue, a annoncé aux autres qu’il voulait bien traduire pour moi quand ce serait nécessaire. A l’inverse des autres candidats, qui sont venus avec une délégation de leur pays, des journalistes, etc., je suis venu tout seul ; les autorités togolaises n’étaient pas au courant de la compétition car ils se fichent de tout ce qui est gastronomie, mais si j’avais porté cet évènement à leur attention, ils auraient peut être voulu envoyer quelqu’un de plus connu, bardé de diplôme, leur « poulain ». Donc je suis venu sans le leur dire, et je n’avais même pas de drapeau pour représenter mon pays. Au dernier moment, j’ai eu peur mais je n’ai pas voulu douter, je me suis dit « Jésus, tu es mon mentor ». Les épreuves ne se sont pas trop mal passées, mais ça a quand même été un gros stress à la fin au moment de la reprise des prix. J’ai été troisième, j’étais content car je savais que c’était le maximum que je pouvais faire. Au moment de la remise des prix, l’émotion était intense, je n’entendais plus rien ! 5
  • 6. J’ai découvert beaucoup de choses ce jour-là, notamment qu’il y avait meilleur que moi. Je me suis fait des amis aussi, et un réseau. « Il faut sortir pour découvrir ». J’ai aussi découvert que j’aimais le Nigeria, que ce n’était pas du tout un pays « barbare » comme les Togolais le pensent ; ils ont un bon niveau en cuisine, ils ont pas mal évolué quant à la qualité et à la place de la gastronomie dans leur société, contrairement à nous. C’est également le cas pour l’Afrique du Sud, et le Kenya par exemple. Pourtant avant, le Togo était réputé pour ses cuisiniers… Mais les pays anglophones évoluent plus vite, ils sont plus ambitieux, leur système de formation est meilleur. Plus récemment, en mars 2018, j’ai participé à une compétition amicale organisée par l’ambassade de France à Abuja, capitale du Nigeria, entre les restaurants et hôtels participant à la semaine annuelle « Goûts de France - Good France ». Le restaurant que je représentais est décroché la seconde place. Aujourd’hui, je rêve de progresser encore dans mon art; mon ambition est d’intégrer l’école d’arts culinaires et de management hotelier « le Cordon bleu », à Paris. C’est là- bas que les chefs d’état recrutent leurs cuisiniers! 6
  • 7. Vous l’aurez compris, Jovial n’a ni un parcours, ni une personnalité « comme les autres » ; nous sommes intrigués et cherchons à savoir pourquoi et comment il se distingue d’une majorité de personnes plus ou moins résignées… Nous lui posons donc quelques questions: S: Beaucoup de jeunes ont du mal à trouver leur voie, c’est à dire à savoir ce pour quoi ils ont du talent, ce pour quoi ils sont faits; qu’est ce qui a fait que toi tu l’as su assez tôt, à l’inverse des autres? J: A l’école, lorsque tu demandes aux jeunes ce qu’ils veulent faire, ils répondent: médecin, comptable, militaire. Mais en réalité leur réponse est immature car ils ne savent pas en quoi consistent ces métiers, ils en ont une idée préconçue. A mon avis, on ne peut pas avoir une idée toute faîte sur ce qu’on veut faire, il faut murir ce choix dans le temps; il faut discerner ce qu’on aime, ce pour quoi on est doué, et creuser progressivement dans cette direction. Ce discernement peut se faire dans le cadre de l’école, par exemple: « quelles sont les matières que j’aime vraiment? », mais aussi dans le cadre de la vie personnelle et familiale, et dans ce cas le point de vue des proches peut aussi être une aide précieuse. La famille a un rôle important, car elle peut observer très tôt les dispositions de l’enfant; elle doit aussi faire attention à respecter ces dispositions, et ne pas le forcer plus que de raison à persévérer dans une voie qui le rend malheureux. Elle doit aussi ne pas hésiter à laisser l’enfant explorer tous les domaines; dans mon cas, heureusement que ma maman m’a laissé l’approcher du feu (expression pour dire « rentrer dans la cuisine »), chose qui ne se font traditionnellement pas pour les garçons au Togo, sinon je ne serais peut être pas chef aujourd’hui. C’est vrai qu’au terme de ma formation chez IBM, je n’ai pas eu mon Bac technique, car j’avais dès le départ refusé de suivre la partie théorique. Mais j’ai eu une attestation de formation pour la partie pratique, et ça m’a suffit. Ce que je veux dire, c’est que ça ne sert à rien de viser des notes ou des diplômes per se… Ce qui est beaucoup plus motivant et important, c’est savoir pourquoi on fait ça ; par exemple, pour moi la motivation était «  comment satisfaire un jour des gens, comment les rendre heureux par ma cuisine ? ». Aujourd’hui c’est ce que je fais, ce qui prouve que ce n’est pas le papier qui fait le professionnel ! S: Quelles sont d’après toi les qualités nécessaires pour réussir dans la vie? J: Tout d’abord, il faut préciser que je suis actuellement en voie de réussir, mais je n’ai pas encore réussi… Pour répondre à la question: • D’abord, le respect de tout le monde, du plus petit que soi, du plus grand que soi; un dicton Africain dit : « on ne sait pas qui est qui ». Le respect ouvre les portes, c’est peut être lui la clé de mon succès. Un exemple m’a marqué: lorsque je travaillais dans mon premier hôtel au Burkina Faso, un monsieur s’est présenté en tongs culotte (= bermuda) chemise, plein de poussière, à la réception de l’hôtel où je travaillais. Or c‘était un hotel plutôt luxueux, il a donc été plus ou moins mis dehors et est descendu dans un autre hôtel un peu plus bas. En fait, nous avons su après coup que c’était le chef d’un gros chantier du coin, qui avait travaillé toute la 7
  • 8. journée. Le soir, il est quand même revenu pour manger, cette fois-ci bien sur lui, les gens l’ont à peine reconnu. Il est reparti en laissant un très bon pourboire, y compris au réceptionniste! C’était la honte pour tout le personnel, nous avons été sévèrement débriefé à ce sujet, et je n’ai pas oublié cette aventure. • Avoir des objectifs. Etre curieux, se renseigner sur le domaine que l’on envisage, se cultiver sur ceux qui ont réussi dans ce métier. Savoir demander conseil. • Etre ambitieux mais pas de façon démesurée, faire selon ses moyens. Accepter de commencer en bas, ensuite tu pourras évoluer. Nos jeunes d’aujourd’hui sont pressés. • Honnêteté, intégrité. Un proverbe africain dit: « Si tu ne sais pas où tu vas, saches d’où tu viens ». Attention aux raccourcis. Si tu réussis non pas par le mérite et le travail, mais parce que tu as mis en place plein de petites tricheries, à la fin tu ne seras pas fier de toi, ça ne t’aura pas vraiment aidé. • Ne jamais douter de tes capacités; lorsque les gens me disent « tu rêves trop beau », je ne les écoute pas. C’est moi seul qui décide ce que je veux faire ou pas. Parfois, les gens qui te mettent des bâtons dans les roues peuvent même te booster, si tu es suffisamment fort mentalement. D’ici quelques années j’aurai réussi à grandir, je pourrai compléter. S: Si tu devais changer une chose dans le système éducatif scolaire au Togo, quelle serait-elle? J: A vrai dire, plein de choses… Tout d’abord, ce n’est pas autour du bac qu’il faut penser orientation; dès le début du collège, il faudrait commencer à avoir une idée de ce que l’enfant veut faire. En effet, le système est tel que certaines matières à gros coefficients font échouer inutilement certains élèves. En fait d’après mon expérience personnelle, l’idéal serait une spécialisation plus précoce des études. Ensuite, un des gros problèmes est qu’il n’y a pas de redoublement ; si bien que lorsque ces jeunes arrivent au bac, ils restent bloqués parce qu’en réalité, ils n’ont pas le niveau. Les tentatives répétées deviennent vite une rente pour la famille, mais l’enfant s’accroche car tout le monde lui dit que le bac est ce qu’il lui faut… Pour ces jeunes, il faudrait un cursus différent, tenant compte plus et plus tôt, de leurs vraies aspirations. Enfin, il faudrait beaucoup plus de vraies bourses. Tous les ans, le gouvernement vote des budgets pour des bourses, mais le système d’attribution et les montants ne permettent pas une vraie ascension sociale. Comme les aides sont inappropriées, elles font l’objet d’un véritable marché noir, les élèves qui en auraient le plus besoin les revendent à des jeunes plus aisés qui pourront prendre en charge transport et logement. Il faudrait non pas des prises en charge partielles des frais de scolarité, mais de vrais packages qui permette de vraiment faire ses études (logement, transport…). 8
  • 9. S: Si tu réussis, te poses-tu la question de partager ce succès avec ton milieu d’origine, et si oui comment? J: J’y pense beaucoup. Durant ma période de chômage, j’avais pas mal de temps libre et je me suis dis que je pourrais partager ce que j’ai déjà acquis. J’ai donné des cours à des dames de la communauté, qui voulaient se perfectionner en cuisine, notamment en pâtisserie. C’était très satisfaisant pour moi. Je me dis que je pourrais donc faire grandir ce que j’ai commencé, et un jour ouvrir mon propre centre de formation pour partager mon cursus, et surtout, faire changer la mentalité des togolais concernant la cuisine. En effet, ils considèrent pour la plupart que la cuisine n’est qu’une affaire de femmes, et que la gastronomie n’a aucun intérêt car mieux vaut la quantité que la qualité. Mes compatriotes ont besoin qu’on leur enseigne autre chose à ce sujet; j’aimerais développer une cuisine de type «  afro-fusion  » (fusion des gastronomies de différents pays africains), et aussi valoriser nos produits africains; par exemple, nous avons nos propres épinards, haricots verts, aubergines, basilics… qui ont un goût différent de leurs analogues européens. Je voudrais les faire découvrir aux autres nationalités, les faire aimer à d’autres pays. Lorsque je participe à des salons de produits fermiers et autres évènements à caractère gastronomique, je n’oublie donc jamais de dire d’où je viens, et je tague beaucoup #228togo. Je voudrais faire de notre cuisine une fierté nationale, et l’utiliser pour faire la promotion de mon pays. Certes le Togo est tout petit sur la carte… Mais je crois en mon pays, et je crois que grâce à mon talent je peux vendre mon pays, mieux que ne le font nos représentants politiques! La cuisine réunit le monde. On peut se battre, mais devant un bon plat de riz et de poisson (les ingrédients les plus universels en termes de cuisine), tout le monde s’assoit et se retrouve. En pays Anglosaxon, on dit aussi qu’un contrat se signe devant un bon plat… En fait, on peut faire Amnesty International grâce à la cuisine! Pour moi c’est très important, et ça prendra le temps qu’il faut, mais le le ferai. Mais je dois commencer par le faire ici au Togo; faire accepter à mes concitoyens que ce ne sont pas seulement les annonces politiques et les conflits qui font connaître un pays, pas seulement le foot et la musique qui le mettent sur le devant de la scène… Personne ne pense à le faire par la gastronomie, elle n’a ici aucun sponsor, et les jeunes chefs sont contraints d’aller vendre leur talent ailleurs! Pourtant comme je l’ai dit, la cuisine a vraiment beaucoup à offrir. 9 Inspire 2019 - Alex et Sara Baudoux