1. GAUCHE Avenir
INVITATION
Il y aura 50 ans le 31 décembre, malgré les nombreuses et imposantes
manifestations de protestation, le Gouvernement de Michel Debré faisait
voter la loi qui portera son nom.
En donnant un statut à l’enseignement privé, cette loi ouvrait la brèche par
laquelle les partis de droite saperaient la loi du 9 décembre 1905 de
séparation des Eglises et de l’Etat, fondatrice de la République laïque, c'est-
à-dire unie et attentive à l’égalité de ses citoyens.
Aujourd’hui, notre République dérive vers le communautarisme et le
cléricalisme renaissant, dont l’histoire et le présent montrent les dangers de
division et de conflits.
Il faut réagir. C’est le but du colloque :
«LAÏCITÉ 2010 :
RENAISSANCE DE LA RÉPUBLIQUE
INDIVISIBLE,LAÏQUE,DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE»
(Titre 1er de la Constitution Française)
Samedi 10 octobre 2009
Salle Victor-Hugo
101, rue de l’Université – Paris 7e
“Je veux ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui”
Victor Hugo à l’Assemblée Nationale le 15 janvier 1850
“La question scolaire rejoint la question sociale. Ces deux questions se tiennent.
Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles”
Discours de Jaurès à la Chambre des Députés le 25 janvier 1910
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2. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
PROGRAMME
9h Accueil
9h30 Ouverture du colloque par Marie-Noëlle Lienemann,
animatrice de Gauche Avenir
9h40 Valeur universelle de la laïcité
Intervenant : Henri Peña-Ruiz. Philosophe. Auteur
notamment de «Dieu et Marianne, philosophie de la laïcité»
10h10 Sciences et laïcité
Intervenant : Guillaume Lecointre, Professeur au Museum
d'Histoire Naturelle, coauteur de «Intrusions spiritualistes
et impostures intellectuelles en sciences»
10h30 Les atteintes à la laïcité de l'enseignement :
un cas d'école
Intervenant : Eddy Kaldi. Enseignant-militant associatif
10h50 Echange avec les participants
Animateur : Michel Charzat, Conseiller de Paris,
ancien député
14h20 Contre le communautarisme
Intervenant : Julien Landfried, porte-parole du
Mouvement Citoyen et Républicain, directeur de
l’Observatoire du communautarisme
14h40 Le retour du cléricalisme en France
et dans l'Union Européenne
Intervenante: Vera Pegna, représentante de la Fédération
Humaniste Européenne auprès de l'OSCE( organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe)
15h Exiger le retour à la loi du 9/12/1905
et son application
Intervenant: Guy Georges, ancien syndicaliste,
animateur de Gauche Avenir
15h20 Echange avec les participants
Animateur : Ivan Levaï, Journaliste
16h50 Présentation du manifeste et conclusion
du colloque
par Paul Quilès, animateur de Gauche Avenir
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3. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
INTERVENTION DE MARIE-NOËLLE LIENEMANN
Chers amis,
Je suis heureuse de vous accueillir au nom de Gauche Avenir et de vous dire
quelques mots de bienvenue. Je voudrais tout d’abord vous remercier de vous
être déplacés nombreux pour défendre cette cause majeure : la laïcité.
Le club "Gauche Avenir", est né de l’initiative de ses 18 premiers signataires, il
y a maintenant deux ans, juste après l'élection présidentielle parce que nous
estimions fondamental d'engager à nouveau une reconquête idéologique face
à la droite puisque Nicolas Sarkozy élu président considérait que sa victoire était
aussi sur ce terrain.
Nous ressentions la nécessité que la Gauche réaffirme son identité, son projet.
C’est le premier objectif que nous poursuivons.
Le second qui justifie pleinement le travail de Gauche Avenir est d’œuvrer au
rassemblement de la Gauche parce que nous pensons qu'il n'y aura pas de
victoire sans un grand élan unitaire qui puisse la fédérer. Nous constatons
qu'au sein de la Gauche, les divergences de fond, entre les différents partis ne
sont plus clairement identifiées par les citoyens et que certaines divisions d'hier
ne sont plus pertinentes. Il est donc impératif de recomposer la Gauche dans son
unité. Evidemment, cette unité, pour nous, ne signifie pas la négation de la diver-
sité, au contraire. Nous agissons pour reconnaître cette diversité,
l’apport de chacun et réaliser une synthèse dynamique.
Notre troisième raison d’être procède d’une constatation : la Gauche n'est pas
seulement la Gauche politique. C'est aussi des associations, des syndicats, des
clubs, des citoyens qui doivent être partie prenante de cette reconquête, qu'elle
soit idéologique ou politique. Et qui doivent être en même temps entendus,
compris, en dialogue permanent dans toutes les étapes de l'union de la gauche
quand elle veut conquérir le pouvoir, mais aussi quand elle l'exerce.
C'est pour cela que nous avons repris la formule qui évidemment ne peut pas
être totalement calquée sur l'histoire, mais qui montre la dynamique que nous
voulons créer, à savoir l'idée d'un nouveau front populaire. C'était l'unité des
forces de gauche autour d'un programme. Et il y avait une mobilisation de
mouvements, d'associations comme la Ligue des Droits de l'Homme, qui ont
constitué un puissant levier pour la victoire
Voilà le but de notre club.
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4. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
Les clubs, ont souvent été les creusets, les lieux de préparation des grands Merci à tous les intervenants d’aujourd’hui.
changements qui ont permis la rénovation de la pensée de la gauche, en
particulier lorsque cette dernière était mal en point. Avant de donner la parole à Henri Peña-Ruiz, je vais excuser quelques
C'est dans cet esprit - en référence aux clubs révolutionnaires, au club Jean personnalités, en particulier des partis politiques, le PCF, le PS, qui réunissent
Moulin, et d'autres qui ont marqué l'histoire de la gauche- que nous avons voulu leurs instances de décision au même moment. Martine Aubry nous a adressé
inscrire notre démarche. une lettre qui indique qu’elle «aurait été heureuse d’être à nos côtés» mais son
agenda ne le permet pas. Mme la Maire du 12e arrondissement de Paris, le
Ceux qui l'animent sont des hommes et des femmes qui n’appartiennent pas aux président de la région de Lorraine, se sont excusés pour la même raison.
mêmes partis, des militants associatifs, syndicaux, des intellectuels. Renouer les
liens avec tous ces milieux est essentiel. Gauche Avenir rassemble des respon- Nous avons reçu les excuses de Mme Hélène Langevin-Joliot, du Professeur
sables qui ne sont plus en activité et aussi des jeunes. Vous connaissez bien celui Changeux, qui souhaite recevoir la documentation de notre colloque, du
qui a été la cheville ouvrière et intellectuelle de ce colloque, notre ami Guy Professeur Philippe Meirieu, déjà requis par un autre engagement et qui «espère
Georges, qui symbolise des combats nombreux pour beaucoup d'entre vous, et d’autres occasions de collaboration», de Mme Elisabeth Badinter, prise
tout particulièrement pour moi-même qui ai adhéré à la FEN avant d'adhérer également par un autre engagement et qui «souhaite bonne chance» à notre
au PS. colloque.
Nous avons voulu mettre la Laïcité au cœur de nos réflexions après avoir traité Le Mouvement Républicain des Citoyens est représenté par M. Chailley, le
de la crise économique, de la crise financière, de la fiscalité. Parti de Gauche par François Cocq. La région des Pays de Loire est
Nous avons pensé que la laïcité était une question de principe fondamentale pour représentée, comme la Mairie d’Aubervilliers et celle de Fontenay sous Bois.
nous et pour la vision républicaine que nous voulons promouvoir. elle ne doit Trois syndicats sont présents, l’UNSA, la FSU, le SNPDEN, et 17 associations.
pas s'arrêter à nos frontières et elle est tout à fait essentielle dans le débat Je donne la parole à Henri Peña-Ruiz, qui a signé l’appel de Gauche Avenir et
européen et même au niveau de la planète où l'on observe la montée des mène le combat de la laïcité
intégrismes religieux, le recul d'une pensée rationnelle libre, le recul de l'esprit
critique. C'est un des grands combats de ce 21e siècle.
Et puis, la laïcité, c'est un peu comme le féminisme. A certains moments de
l'histoire, on croit qu'on a gagné la bataille. Et on découvre que c'est un
combat permanent parce que les forces en face de nous sont des forces
mobilisées, puissantes, organisées..Par manque de pugnacité, de vigilance, ou
par manque de réflexion sur la manière de transmettre à la jeunesse l'idéal qui
est le nôtre, nous nous voyons perdre le terrain que nous avions conquis. Le
plus grave évidemment, c'est quand les institutions de la République sont
actrices de ces reculs idéologiques.
Il est donc tout à fait important de contribuer à la mobilisation de la Gauche et
des laïques pour promouvoir ce bel idéal en lui donnant toute sa pertinence
contemporaine et en trouvant les mots, les concepts, les réflexions, les sujets
concrets qui soient de nature à élargir le camp qui les défend. Il s’agit d’abord
d’entretenir la flamme pour ceux qui l’ont. Mais faut-il encore la faire partager
et je pense en particulier aux jeunes générations. Nous devons avoir souci de
réfléchir à la manière de leur passer le flambeau. Nous aurons bien besoin d’eux
pour continuer le combat.
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5. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
INTERVENTION DE HENRI PEÑA-RUIZ
Je veux simplement rappeler ce qu'est véritablement la laïcité.
Nicolas Sarkozy dans son discours de Latran : «La République a besoin de
croyants parce que les croyants, ce sont des gens qui espèrent»
Dans l'exercice de ses fonctions, le premier fonctionnaire de la République
bafoue l'égalité de traitement des croyants et des athées
Aragon: «Celui qui croyait au ciel, Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y dérobât»
«La rose et le réséda», dédiée à Guy Môcquet et Gilbert Dru, l'un croyant, l’au-
tre athée. Gabriel Péri, communiste athée. D'Etienne d'Orves, officier catholique.
Tous les quatre légalement assassinés par les nazis.
Qu'est-ce que la laïcité ?
Ses adversaires , quelquefois inattendus car dans les rangs mêmes de ceux qui
devraient la défendre, ont inventé deux arguments pour brouiller les cartes ;
l'argument relativiste : il y a 36 définitions de la laïcité, 36 laïcités en Europe;
l'argument pragmatique : c'est un beau principe, mais quand on est dans le
cambouis de la pratique politique,il faut faire de petits accommodements raison-
nables aux principes.
Je voudrais répondre à ces deux arguments qui ont à ce point brouillé l'idéal laïque
Racontons une histoire. Il était une fois dans notre république un creuset, le
creuset français où coexistaient des personnes issues de traditions diverses, des
croyants, des athées, des agnostiques. Ils respiraient l'air de la laïcité sans y penser,
comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
N'est-il pas naturel que lorsque quelqu'un croit, il soit libre de croire; et lorsque
quelqu'un ne croit pas, il soit libre de ne pas croire ? Ils refusaient de définir néga-
tivement ceux qui ne croient pas en Dieu, mais qui croient dans le destin de
l'humanité. L'humanisme athée n'est pas la privation de la religion; il est une
option spirituelle comme la religion.
Ils vivaient donc sur la base de la liberté de conscience.
L'idée que la République, cette res-publica qui est commune à tous, les traitât
de la même manière leur semblait tellement évidente !
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6. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
Déclaration du 26 août 1789 : «Les hommes naissent libres et égaux en droits»; Première question. Il y a parmi nous des croyants, des athées, des agnostiques
Le mot «naissent» est le plus important puisqu'il veut dire que la liberté, comme dans toute la population française. Lorsque j'étais membre de la commis-
l'égalité ne sont pas des cadeaux octroyés, alors qu'ils pourraient être refusés, sion Stasi, je me suis renseigné sur les options spirituelles des Français. Il
mais des données natives. Dès qu'un être humain vit et respire, il doit jouir de apparaissait qu'il y avait en gros 45% d'athées, 5% d'agnostiques et 50% de
la liberté et de l'égalité. déistes ou de croyants , avec des fluctuations puisqu'on peut croire un jour et ne
L'égalité consiste à faire le même traitement de tous les citoyens. Finance-t-on plus croire le lendemain. Reste que je ne sais pas qui croit et qui ne croit pas;
sur fonds publics des écoles privées qui enseigneraient l'humanisme athée ? La ça ne me regarde pas parce que c'est la sphère privée de chacun.
réponse est négative. On ne doit donc pas financer sur fonds publics des écoles
privées qui diffusent la croyance religieuse parce qu'on détourne l'argent des Imaginons que nous devions jeter les bases de notre république. Trois principes
contribuables, athées ou agostiques, pour promouvoir la croyance religieuse. apparaissent comme évidents.
Ils croyaient naïvement, ceux qui respiraient l'air de la laïcité sans le savoir, que Premier principe ; la croyance religieuse doit-elle engager quelqu'un d'autre
c'était une donnée. Il se révéla que c'était une conquête. que le croyant ? Non. Donc la croyance est une affaire privée particulière qui
Cette conquête était périodiquement remise en question par ceux qui voulaient n'engage que les croyants, moyennant quoi elle doit être rigoureusement libre,
donner à un monde inhumain le supplément d'âme d'un monde sans âme, la libre de s'exprimer, de s'affirmer dans l'espace public. Un évêque hostile à la
dimension caritative d'une religion instrumentalisée comme spiritualité de pilule du lendemain a bien le droit de le dire, mais pas une maîtrise sur l'espace
compension, ce qui ferait frémir Victor Hugo, croyant, disant «Je veux l'Eglise public.
chez elle et l'Etat chez lui». Distinguons bien les choses: s'exprimer dans l'espace public, oui; avoir un
pouvoir sur l'espace public est totalement illégitime.
Les historiens ont brouillé les cartes. On appelle «concordat» la réintroduction
d'avantages unilatéralement consentis au Vatican. Moyennant quoi l'Alsace- L'humanisme athée n'engage que les athées. L'Union Soviétique stalinienne qui
Moselle «bénéficie» encore du financement public de la religion dans les lycées érigeait le matérialisme athée en religion officielle bafouait autant la laïcité que
et collèges. Dans le régime concordataire, la religion est la règle et l'athéisme la Pologne qui impose la prière dans les écoles.
une dérogation à la règle, ce qui est humiliant puisqu'on donne à entendre
qu'entre les options spirituelles des citoyens , il n'y a pas égalité de traitement. Nous comprenons que la laïcité, ce n'est pas l'athéisme officiel; mais ce n'est pas
non plus le régime des privilèges des religions.
Quand un parti de gauche mettra - il a à son programme l'abolition du concor- Le concept de laïcité n'implique aucune hostilité à la religion. En
dat en Alsace-Moselle et le retour à l'égalité de traitement sur tout le territoire ? revanche,lorsque ceux qui croient veulent dicter la loi au nom de leur foi,
Quand un parti de gauche mettra-t-il dans son programme la remise en ques- s'opposent à l'IVG comme c'est le cas dans beaucoup de pays (pensons aux
tion de la loi Debré aujourd'hui aggravée par la loi Carle? Loi Debré qui commandos anti-IVG en Amérique, où ils veulent interdire l'enseignement de
organise sur fonds publics le financement d'établissements religieux ayant leur la biologie sous prétexte que l'évolution darwinienne contredit la lettre du récit
«caractère propre» ? Hélas ! Je n'ai pas vu ces choses-là dans les programmes biblique), ceux-là doivent bien comprendre que la laïcité n'est pas hostile à la reli-
de la gauche républicaine. gion, mais ce n'est pas non plus le privilège de la religion.
Y a-t-il 36 définitions de la laïcté ? Sans dogmatisme, mais de façon raisonnée, Quand on hurle au scandale parce qu'on remet en question le financement public
je voudrais solliciter votre jugement. des religions ou qu'on baptise liberté religieuse le fait de jouir de fonds publics,
Fiction: nous sommes une assemblée constituante; nous étions les Etats Géné- comme le maire socialiste de Lyon en a donné pour la communauté San
raux et voilà que maintenant nous allons constituer notre république. Edgidio, alors, on se demande qui a brouillé les cartes.
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7. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
Deuxième principe. Serait-il légitime que la puissance publique, qui est ce qui Est-ce à cela que conduisent les accommodements raisonnables ?
nous unit tous par delà nos différences, donne plus aux croyants qu'aux athées ?
Si nous prenons au pied de la lettre le principe d'égalité sans accommodement Troisième principe : Quelle est la finalité de la puissance publique ? C’est
raisonnable, nous dirons : c'est illégitime. évidemment ce qui est commun à tous
Nous revendiquons en tant que citoyens la stricte égalité des croyants, des athées, Trois quantificateurs logiques nous aident à penser cette chose. Quelle place au
des agnostiques, ce qui veut dire qu'on ne peut pas donner plus aux croyants qu'aux singulier, au particulier, à l’universel ?
autres ; mais on ne doit pas non plus donner plus aux autres qu'aux croyants. Condorcet disait «les connaissances sont universelles et les croyances sont
Le deuxième principe que nous voterons est l'égalité stricte de tous les citoyens particulières». Dire qu’elles sont particulières , cela n’est pas les dévaloriser, c’est
quelles que soient leurs options spirituelles. dire qu’elles n’engagent qu’une partie des hommes. Donc la croyance est parti-
culière. La santé, la culture, l’éducation les services publics sont universels.
Posons-nous la question : comment vivre fraternellement dans un horizon qui Lorsqu’un croyant entre dans un hôpital public, il est souhaitable qu’il soit soigné
dépasse nos différences sans les nier ? Il faut répondre, me semble-t-il : stricte en fonction de ce que requiert son état de santé, sans franchise médicale, sans
égalité par la puissance publique des croyants, des athées, des agnostiques. dépassement d’honoraires.
C’est pourquoi j’ai jugé absolument scandaleuse la prise de position de Nicolas L’Etat est assez pauvre pour se replier de ses services publics qui sont universels
Sarkozy qui, ouvertement, dans l’exercice de ses fonctions, effectuait une pour financer ce qui n’engage qu’une partie de la population, la croyance religieuse.
Tel est le douloureux paradoxe en face duquel nous sommes : une République
discrimination entre les citoyens de la République.
ultralibérale qui se désinvestit de ses services publics, au nom de Lisbonne et
Quelle honte que, dans l’exercice de ses fonctions, le premier personnage de
de la dévolution à la concurrence privée de ce qui devrait rester de l’ordre des
la République bafoue le principe de l’égalité en accordant plus aux croyants
responsabilités de l’Etat commun à tous.
qu’aux athées ! Contradiction M. Sarkozy. Guy Môquet, dont vous avez
Un tel Etat est assez riche pour accorder des privilèges financiers à ceux qui
demandé qu’on lise la lettre bouleversante, n’était-il pas quelqu’un qui espé-
croient par rapport à ceux qui ne croient pas.
rait ? Mais c’était l’espérance de l’en-deça. Celle qui faisait dire à Altapayoulka
Dire qu’il faut réserver l’argent public à ce qui est d’intérêt public, ce n’est pas
«Nous ne voulons pas seulement être égaux dans le ciel, mais aussi sur terre»
léser les croyants. Raisonnons : si un croyant va à l’hôpital public et qu’il y est
Daignez aux athées la capacité d’espoir, «L’espoir» titre d’un livre de Malraux
soigné gratuitement et avec la meilleure qualité de soins possible, il fait des
sur la République espagnole.
économies par rapport à ce qu’il dépenserait dans l’hypothèse d’un libéralisme
qui l’obligerait à payer les soins et qui conditionnerait la qualité des soins à la
C’est une discrimination explicite. Il est étrange que le Conseil Constitution-
richesse de la personne. Ce croyant fait des économies parce que la puissance
nel, que toute la gauche, aient pu laisser passer ces choses-là, sans mettre en
publique est présente dans le champ social d’une République sociale et laïque,
accusation un Président de la république qui bafoue l’égalité de traitement des
comme le disait Jaurès. Ceux qui veulent consacrer ces économies à financer des
citoyens de la République. Moi, professeur de l’école publique, si j’entre dans
lieux de culte le pourront d’autant plus facilement que la République sociale et
ma classe et que je commence par dire « la République a besoin de croyants parce laïque, universelle, aura assumé son rôle
que les croyants, ce sont des gens qui espèrent», les parents d’élèves se lèveront Il n’est pas dans le rôle de la puissance publique de financer des lieux de culte,
tout de suite, scandalisés, en disant «Mais, Monsieur, vous utilisez votre parole mosquées, temples ou autres. Il est dans son rôle que tous les citoyens accèdent
publique pour faire de la discrimination.» Le Président de la République, lui, gratuitement aux services publics – gratuitement, non, on le sait bien : financés
ne se gène pas. par l’impôt de tous. Enfin, il est dans son rôle que tous les citoyens accèdent à
Quelque temps plus tard, Fadela Amara présente le «plan banlieue» avec ce qui est universel.
l’ouverture de 500 classes d’enseignement privé dans le moment même où on
supprime 12 000 postes d’enseignements. Je vous propose, à partir de cette observation, une définition simple de la laïcité.
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8. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
Trois mots grecs veulent dire peuple : laos, demos, ethnos. Laos, c’est la tota- la laïcité. Prétendre que la laïcité doit être ouverte, c’est sous-entendre qu’elle
lité d’une population ; demos, c’est la communauté des citoyens dont on sait qu’à est fermée. Ce sont donc les adversaires qui l’ont baptisée «laïcité ouverte».
Athènes, elle était singulièrement limitée ; ethnos qui a donné ethnographie, un
groupe d’humains selon ses caractéristiques culturelles. Je fais des conférences en Espagne, là où l’Eglise jouit encore de privilèges en
raison de «son rôle historique» Parlons-en ! Les bûchers de l’Inquisition sont
Nous sommes le Laos. Nous sommes le peuple indivis. Les différences qui sont entre encore dans toutes les mémoires. Et ce que disait Franco ! «En Espagne, on est
nous ne sauraient en aucun cas donner lieu à des affrontements si du moins, la puis- catholique ou on n’est rien». C’est cela le rôle historique de l’Eglise qui justi-
sance publique reflète ce qui est commun à tous. La croyance religieuse ou fierait qu’on continue aujourd’hui à la financer publiquement ? Est-ce faire
l’humanisme athée ne nous est pas commun. C’est une chose particulière. Le souci preuve d’hostilité à la religion quand je dis cela ? Non. Les adversaires de la laïcité
de la santé, de la culture, de l’éducation nous est commun. C’est universel. peuvent bien déguiser les choses comme ils veulent en disant qu’on est dogma-
De grâce, ne sacrifions pas l’universel sur l’autel du particulier. tique quand on défend une laïcité comme ils disent «intégriste». Quelle
stupidité ! L’intégrisme, c’est la non-reconnaissance de l’indépendance de la
J’appelle «laïcité» l’union de tout le peuple indivis sur la base de la liberté de sphère privée ; c’est donc le contraire de la laïcité.
conscience, de l’égalité de traitement quelle que soit l’option spirituelle et de la
finalité universelle de la puissance publique. Quand je définis la laïcité comme l’alliance indissociable de 3 principes, liberté
Trois principes qui entrent en résonance évidente avec le triptyque républicain. de conscience, égalité de traitement de tous les citoyens et finalité universelle
de la puissance publique, je ne vois pas en quoi cette définition est dogmatique.
Liberté de conscience : la religion n’engage que les croyants, l’athéisme que les Victor Hugo , croyant, qui dans son testament disait «Je crois en Dieu ; je refuse
athées. l’oraison de toutes les Eglises», qui s’exclamait le 15 janvier 1850 «je veux l’Eglise
Egalité de traitement : la puissance publique ne peut pas favoriser les uns par rapport chez elle et l’Etat chez lui», donnait la formule impeccable de la laïcité, 50 ans
aux autres. avant la loi du 9 décembre 1905.
C’est pourquoi la loi Debré que le mouvement laïque cesse de combattre est une
injustice perpétuée. Je veux rendre hommage à ceux qui ont prêté serment à Il est maintenant temps de conclure.
Vincennes de combattre cette loi. Deux objections. L’objection relativiste qui donne plusieurs définitions de la
Quand Baubérot exclut l’égalité, il renforce le privilège des croyants. Il renforce laïcité. On sait ce que recouvre ce relativisme qui en d’autres temps pouvait être
l’accommodement raisonnable. Je vous demande un peu… Qu’est-ce que cela un outil de liberté et de critique. Ici, le relativisme est une volonté de noyer le
signifie de faire des accommodements raisonnables sur le principe d’égalité des poisson, comme le fait Manuel Valls à Evry, quand il estime que la puissance
sexes ? Cela veut dire qu’il faut mixer l’égalité des sexes avec un peu d’inégalité ? publique est fondée être dans son rôle lorsqu’elle finance des lieux de culte. Il
Est-ce qu’on va transférer une femme à un tribunal islamique sous prétexte de n’y a pas 36 définitions de la laïcité. Ce n’est pas être dogmatique que de le dire.
diversité des cultures ? Ou est-ce qu’on va la garder sous la protection de la loi J’espère que vous ne m’estimez pas dogmatique quand je rappelle que les mots
générale qui implique la stricte égalité des sexes ? Expliquez-moi cet accom- ont un sens et non pas un autre.
modement raisonnable du principe d’égalité des sexes : il faut introduire un peu
d’inégalité…comme par hasard pour les religions… Deuxième argument, l’argument pragmatique. Je me suis entendu dire par des
responsables socialistes : «oui, vous avez de beaux principes, mais dans la
Non. Ceux qui ont inventé le concept abject de «laïcité ouverte» portent une pratique, c’est différent..». Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce qu’un prin-
écrasante part de responsabilité. Quand je dis « je suis pour la justice et pour les cipe qu’on viole au nom de la pratique ? Lorsque Jean Glavany m’a proposé de
droits de l’Homme», est-ce que je dis «attention, une justice ouverte, des droits venir l’aider à élaborer un projet de loi laïque pour l’Assemblée Nationale et qu’il
de l’Homme ouverts» Qu’est-ce à dire ? C’est une insulte à la connaissance de me met sous les yeux un projet qui commence par dire «il faudra renforcer le cahier
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9. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
des charges des écoles privées», j’ai dit «je ne fais pas de mise en cause ad nomi- république ultralibérale qui transforme en charité la justice sociale. Ce que fait
nem, mais nous ne pouvons pas continuer à travailler ensemble ; le ver est dans M. Sarkozy en disant que la République ne peut pas donner un sens à la vie, il
le fruit.» A partir du moment où des socialistes considèrent que la loi Debré est n’y a que les religions pour faire ça. En érigeant le curé au-dessus de l’institu-
une donnée qu’on ne remettra plus jamais en question et qu’on va même la teur. Il n’a rien compris. Ils ne peuvent être comparés, ils ne remplissent pas la
consacrer en renforçant le cahier des charges, le pire, c’est que vous renforcez même fonction. Qu’est-ce que l’instituteur ? C’est quelqu’un qui instruit l’en-
le cahier des charges pour mettre les écoles privées à identité avec les charges fant de ce qu’il ignore pour qu’un jour, cet enfant puisse se passer de maître. C’est
des écoles publiques, vous supprimez toute spécificité des écoles privées . cela, la fonction de l’école publique. On ne doit pas l’oublier.
J’espère que vous ne m’avez pas trouvé dogmatique dans cette démonstration
Ni l’argument relativiste ; ni l’argument pragmatique… Ces deux arguments ont raisonnée de l’idéal laïque et dans cet hommage vibrant de cette laïcité qui n’est
fait tant de mal à la laïcité ! Témoin cette odieuse loi «Carle» qui organise ce pas plurielle, singulière, ouverte, fermée, qui est la laïcité tout court.
que dit si bien Eddy Khaldi, Nanterre qui va financer Neuilly . N’adjectivons pas la laïcité. Le cœur est auprès de la raison. L’idéal laïque est
Pourquoi a-t-on tant de mal à réunir le camp laïque ? Pourquoi le concept de l’avenir parce que dans un monde où les migrations de populations ne cessent
laïcité est-il à ce point perdu de vue ? Ce beau concept que nous respirons sans de se développer, il est clair qu’on aura à traiter de la diversité culturelle ; et seul,
le savoir. N’est-il pas merveilleux de vivre dans un pays qui respecte les croyances un cadre juridico-politique émancipé de toute tradition particulière pourra
religieuses et qui respecte aussi l’humanisme athée ? Qui respecte la liberté de faire vivre ensemble, fraternellement, des personnes issues de cette diversité.
conscience, l’égalité de traitement de toutes les options spirituelles et qui consa-
cre les fonds publics uniquement à ce qui est universel ? N’est-ce pas une belle
et grand-chose ? Pourquoi l’avoir oublié ? Pourquoi en avoir brouillé le sens ?
Pourquoi avoir désespéré le camp laïque par des pratiques de compromission et
de trahison ? Pourquoi ne pourrait-on pas dire : dans un délai d’une législature
(5 ans) on demande aux écoles privées de se financer elle-même. On ne va pas
leur couper les vivres tout de suite ; on leur donne 5 ans pour s’organiser. Et l’ar-
gent public va aller à l’ouverture d’études surveillées, d’aide aux enfants en
difficulté dans les écoles publiques. On retirera ainsi aux parents qui mettent leurs
enfants dans les écoles privées parce qu’ils veulent plus d’encadrement, les
raisons qu’ils ont de le faire en donnant aux institutions publiques l’argent
public issu de tous les contribuables.
Je suis allé en Espagne tout récemment. J’y retourne pour défendre la laïcité
parce que nos amis espagnols ont besoin d’un sacré coup de main. Quand je leur
dis qu’il y a en France des écoles privées financées par des fonds publics, ils sont
abasourdis. Parce qu’ils voient dans la France le phare de la laïcité.
Nous avons une responsabilité et un devoir : défendre la laïcité en France, c’est
aussi rendre le plus grand des services à Taslima Nasrin, au Bengladesch, à
Educalaïca en Espagne, à nos amis italiens.
Nous avons une immense responsabilité non seulement à l’égard de la France
en disant qu’une république laïque et sociale est infiniment préférable à une
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10. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
INTERVENTION DE GUILLAUME LECOINTRE
Enseigner le périmètre des sciences : un enjeu laïque et démocratique
UN PÉRIMÈTRE DE SCIENCE TRÈS SOLLICITÉ
Les citoyens des pays occidentaux sont confrontés, dans l’exercice même de leur
citoyenneté, à deux périls opposés.
Ici, la science se trouve mimée ou instrumentalisée par des forces mercantiles,
politiques ou religieuses pour servir des objectifs qui n’ont pas de rapport avec
l’avancée des connaissances objectives. Cette dernière opération est facilitée
parce que la science semble détenir un prestige symbolique et les clés d’une
certaine efficience tout en étant dépourvue de moyens de défense. Par exemple,
les forces religieuses peuvent facilement faire intrusion en science en entrete-
nant une confusion entre discours de valeurs et discours de faits : soit on
cherche à utiliser les sciences pour légitimer des positions de valeurs, soit on fait
comme si les méthodes de travail et résultats des scientifiques étaient en eux-
mêmes l’expression de valeurs –forcément arbitraires- forgées à dessein. Dans
ce dernier cas, on réclamera alors en retour des modifications de la démarche
scientifique elle-même pour «modifier» ces valeurs et les soumettre à celles véhi-
culées par telle ou telle religion (ce fut le cas de l’Intelligent Design aux Etats
Unis d’Amérique), lorsqu’il ne s’agit pas tout bonnement de spiritualiser la
démarche scientifique.
Là, la science se trouve purement et simplement niée dans ses méthodes et ses
résultats sur la base d’arguments d’apparence rationnelle. Elle semble pouvoir
être facilement niée parce qu’elle produit des assertions contre-intuitives, dans
un langage spécialisé, et qui peuvent parfois paraître instables. La négation est
facilitée parce que l’on confond quatre acceptions courantes et vernaculaires du
mot «science» : 1. la science comme ensemble de résultats à un moment donné,
2. la science comme communauté professionnelle, 3. la science comme ensem-
ble d’applications à haute teneur technologique et 4. la science comme méthode
collective et rationnelle de compréhension du monde réel. Le procédé consiste
alors à «rejeter le bébé avec l’eau du bain», c’est-à-dire à refuser en bloc l’ap-
proche rationnelle du monde réel parce que l’un des trois premiers motifs a
dysfonctionné (résultats instables, scientifiques malhonnêtes, «mauvaises»
applications…).
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11. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
JEUX DE MOTS SUR LES «CROYANCES» Enfin, ces différents modes de production d’assertions sur le monde sont
D’autres difficultés proviennent d’un relativisme larvé qui utilise le mot méthodologiquement variés. Ils ont tous besoin de communiquer et donc de
«croyance» comme passe-partout. Les hommes sont capables de produire toute transmettre quelque chose à autrui, de convaincre, mais n’utilisent pas les
une gamme d’assertions sur le monde : philosophiques, religieuses, théologiques, mêmes codes et techniques pour cela. Ce que chacun va tenter de mobiliser chez
mythologiques, poétiques, oniriques, artistiques, politiques, scientifiques, narra- autrui afin de se faire comprendre est même différent. Nous expliciterons par
tives, idéologiques, morales, ludiques, etc. Nous serions enclins à penser que tous la suite comment les scientifiques produisent leurs affirmations et dans quel but.
ces modes reposent sur des croyances et produisent des croyances : tout serait La nécessité de bien faire identifier ces modes ne résulte pas d’une volonté
croyance, autant pour les scientifiques qui «croient» aux assertions ration- d’enfermer les assertions sur le monde dans des boîtes catégorielles étanches.
nelles, que les religieux qui «croient» à une transcendance à l’origine du monde, Bien au contraire, c’est créer la condition même de leur dialogue : on ne
voire à la version littérale d’un texte sacré, ou encore d’un homme politique qui dialogue jamais aussi bien, l’échange n’est jamais aussi fructueux que lorsque les
«croit» en un idéal de société. Si tout est croyance, nous serions alors autorisés partenaires identifient bien leurs objectifs et leurs modes de fonctionnement
à franchir le pas vers un relativisme où tout se vaut. Les assertions scientifiques respectifs. Par exemple, les problèmes que suscitent les créationnismes dans les
auraient le même statut que les assertions religieuses ou artistiques (ou autres). sciences viennent précisément du fait que ceux-ci assignent aux sciences des
Ce serait oublier deux questions fondamentales : 1. Il y a différents sens au mot objectifs qui ne sont normalement pas les leurs ; et tentent de modifier les
«croyance» et 2. les modalités de production des affirmations sur le monde sont méthodes scientifiques afin de les instrumentaliser.
extrêmement diverses : elles n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes
méthodes ; elles ne reposent pas sur les mêmes codes, les mêmes ressorts de DIVERSITÉ DES CRÉATIONNISMES
l’assentiment. Depuis quelques années le créationnisme déguisé en science refait surface dans
les medias et dans les écoles (du côté des élèves en France, du côté des parents
Il ne faut pas confondre le mot croyance au sens de « rational belief » et le mot d’élèves aux Etats-Unis et en Australie), ainsi que dans la bouche de certains
croyance au sens de « faith » (foi). Si un scientifique croit à un résultat et son hommes et femmes politiques des pays développés (comme la Pologne, l’Italie,
interprétation issus de ses expériences, cette croyance est à prendre au sens du la Serbie, les Pays-Bas, sans parler des Etats-Unis d’Amérique), sans qu’il soit
degré de confiance (très élevé) qu’il est permis d’accorder au résultat en toujours possible pour le citoyen d’identifier s’il s’agit vraiment d’une affaire de
question, au-delà de tout doute raisonnable. Une propriété essentielle de cette scientifiques. Il est vrai que certains journaux ont contribué à créer la confusion.
«croyance» est qu’elle reste questionnable, que sa remise en cause est toujours Cette contribution tente de donner des clés pour identifier les limites des
possible et même souhaitable. C’est le propre des assertions scientifiques. La sciences et montrer en quoi le créationnisme se positionne bien au-delà,
croyance au sens de «foi», elle, ne peut être remise en cause, de par la défini- c’est-à-dire en dehors des sciences. En fait, le créationnisme n’est pas un
tion même du mot. La foi n’éprouve pas le besoin de se justifier : elle est problème de scientifiques en tant que corps professionnel constitué. Aucune des
l’affirmation de la vérité non négociable de ce qui est. Dès lors, elle ne tire pas affirmations créationnistes n’est collectivement validée par les scientifiques
sa légitimité de la possibilité d’être remise en cause, mais d’un pouvoir qui spécialistes des champs concernés. Le créationnisme vient de l’extérieur du monde
produit et maintient l’affirmation. La «croyance» scientifique, elle, tire sa des sciences, pour être clair de forces politiques et religieuses qui éprouvent le
légitimité de l’ouverture laissée à sa propre déstabilisation. Les assertions scien- besoin de mobiliser de force les sciences et les scientifiques pour leurs besoins.
tifiques sortiront renforcées d’une résistance à de multiples mises à l’épreuve.
Examinons à présent les différentes versions du créationnisme. Nous ne traite-
En raison de ces différences fondamentales, il n’est pas souhaitable de parler de rons, d’un point de vue interne à la démarche scientifique, que de ceux d’entre
«croyance» lorsque l’on fait allusion au degré de confiance que les scientifiques eux qui entendent mobiliser la science de l’intérieur, soit au niveau de la société
accordent à leurs résultats, ni même à la confiance qu’ils accordent à leur des chercheurs, soit au niveau d’une redéfinition des objectifs de la science, voire
bagage méthodologique (voir plus loin). de la démarche scientifique. Voici une typologie de ces créationnismes :
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12. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
A. Les créationnismes intrusifs : «créationnisme» et «scientifique» sont deux mots antagonistes. Définir les
A.a. Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya. limites de la démarche scientifique implique en soi d’examiner les rapports entre
A.b. Mimer la science : le créationnisme mimétique de H. Morris et D. Gish. science et philosophie. C’est également utile car c’est sur ces frontières que les
A.c. Plier la science : le «Dessein Intelligent» ou la théologie de William spiritualistes convoquent la science.
Paley présentée comme théorie scientifique
DÉJOUER LES CRÉATIONNISMES «SCIENTIFIQUES» :
B. Le spiritualisme englobant : UN NÉCESSAIRE RETOUR À L’ÉPISTÉMOLOGIE
B.a. Science et théologie vues comme les pièces d’un même puzzle : l’Uni- Le créationnisme des élèves pose de nouveaux problèmes aux enseignants euro-
versité Interdisciplinaire de Paris péens, dès lors qu’il s’affirme ouvertement en classe de sciences naturelles (en
B.b. La fondation John Templeton : lorsque la théologie finance la science France : «SVT»). Face à la recrudescence des interventions créationnistes dans
les classes, il ne saurait y avoir pour l’enseignant de conduite adéquate à une
Dans le monde occidental, le créationnisme «scientifique» le plus puissant et le posture scientifique et laïque sans qu’il soit informé de quelques éléments
mieux organisé est certainement celui de certains fondamentalistes protestants, d’épistémologie rappelant le type de contrat que la science a passé avec la
qui cherche les preuves scientifiques de l’intégralité des affirmations de La connaissance voici un peu plus de deux siècles.
Genèse de la Bible. Littéralement, la Bible ne parle pas d’évolution des espèces
mais de création. En prenant le texte non pas comme une métaphore mais au Les sciences expérimentales vont prendre leur envol chez les philosophes-
pied de la lettre, les créationnistes s’orientent à coup sûr vers un conflit avec ce scientifiques naturalistes du XVIIème siècle dans un triangle situé entre
que dit la science d’aujourd’hui du déroulement historique et des modalités de Amsterdam, Londres et Paris, par un nouveau contrat qui va s’instaurer entre
la formation de notre univers, de notre planète et de la vie qui s’y développe. Ce la science et la connaissance, toujours en vigueur aujourd’hui. Le nouveau
conflit est à deux étages. D’abord, un conflit factuel : les faits tels que les racon- contrat est d’unir les hommes par leur raison mise en œuvre dans un rapport au
tent les créationnistes (toutes les espèces sont le fruit d’une création divine, la réel qui est l’expérimentation. Le projet scientifique devient un universalisme
terre a 6 000 ans) ne concordent pas avec ceux produits par la science d’au- non dogmatique : le but de la science est de construire des connaissances
jourd’hui (la diversité des espèces est le fruit d’un développement généalogique universellement partageables et partagées, des connaissances objectives. Une
passé au cours duquel elles se sont transformées, et la terre a 4,5 milliards d’an- connaissance n’acquiert cette qualité d’objectivité que lorsqu’elle a été corro-
nées). Ensuite il faut traiter d’un conflit beaucoup plus profond, de nature borée par plusieurs observateurs indépendants. Encore aujourd’hui, il n’est pas
épistémologique : comment les créationnistes prétendent-ils prouver scientifi- plus beau cadeau donné à un scientifique que de voir un résultat qu’il a publié
quement ce qu’ils avancent ? Il s’agit d’un scientisme extrême puisqu’ils font confirmé expérimentalement par une autre équipe avec laquelle il n’a pas inter-
outrepasser ses droits à la science en la faisant légiférer sur un terrain expéri- agi. La question de la reproductibilité des expériences scientifiques devient
mentalement inaccessible, dans le second cas ils tentent de prouver ce qui est déjà donc centrale à cet objectif. Elle est fondée sur quatre piliers :
écrit dans le marbre et, dès lors, le scepticisme initial à l’égard des faits, attitude
requise pour toute démarche scientifique, n’est plus de mise. - Premier pilier. La démarche scientifique ne peut s’initier que sur un
Ce premier constat montre bien que, pour traiter ces questions, le scientifique Scepticisme initial concernant les faits. Nous n’expérimentons sur le monde
d’aujourd’hui ne peut pas se contenter de relever les erreurs factuelles commises par les réel que parce que nous nous posons des questions. Si ce qui est à découvrir est
créationnistes. Quand bien même ne commettraient-ils pas d’erreurs, leur déjà écrit, nous n’avons d’emblée qu’une parodie de science. Ceci se produit
démarche n’en serait pas valide pour autant. Il faut donc, d’un point de vue chaque fois qu’une force extérieure à la science lui dicte ce qu’elle doit trouver.
critique et pédagogique, inévitablement définir la connaissance objective, rappe-
ler comment les scientifiques l’acquièrent, définir les objectifs et les limites de - Deuxième pilier. Les méthodes de la science sont réalistes. Le monde là dehors
la science. Ensuite, et seulement ensuite, on peut comprendre pourquoi les existe indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai et aux
constructions créationnistes sont des fraudes scientifiques, pourquoi descriptions que l’on en fait. En d’autres termes, le monde des idées n’a pas la
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13. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
priorité sur le monde physique. Si je fais des expériences et que je les publie, Ces propriétés conditionnent la reproductibilité des expériences, caractérisent
c’est dans l’espoir qu’un collègue inconnu me donnera raison en ayant trouvé les sciences expérimentales, et du même coup définissent la science par ses
le même résultat que moi. Je parie donc que le monde physique se manifes- méthodes. On remarquera que cette définition est la plus large qui soit ; beau-
tera à lui comme il s’est manifesté à moi. Je ne vois aucun sens à l’activité coup plus large que les critères de scientificité retenus par les poppériens, et
scientifique, en tant que poursuite d’un projet de connaissance universelle, si au-delà de l’imprécise et regrettable division entre «sciences dures» et «sciences
ce réalisme n’est pas de mise. molles». Mais si la science a pris son essor grâce à la philosophie matérialiste,
elle n’est pas pour autant cette philosophie. Comme le rappelle le philosophe
- Troisième pilier. Les méthodes de la science mettent en œuvre la rationalité Pascal Charbonnat, «Le matérialisme ne subsiste dans les sciences qu’à l’état de
de l’observateur. La rationalité consiste simplement à respecter les lois de la méthode, et non pas comme conception de l’origine, démarche non empirique par défi-
logique et le principe de parcimonie. Ce sont des propriétés de l’observateur, nition». C’est en ce sens qu’on parle de «matérialisme méthodologique».
pas celles des objets observés.
Logique - Aucune démonstration scientifique ne souffre de fautes de logique ; Les créationnismes qui se préoccupent de science commettent tous au
la sanction immédiate étant sa réfutation. L’universalité des lois de la logique, moins une entorse à l’un des quatre piliers cités plus haut. Les spiritualistes
soutenue par le fait que les mêmes découvertes mathématiques ont pu être faites englobants (catégorie B) dénigrent et déforment le matérialisme méthodologique
de manière convergente par différentes civilisations, devrait recevoir une expli- (quatrième pilier) pour pouvoir introduire en sciences un spiritualisme sans
cation naturaliste : elle proviendrait de la sélection naturelle. limites. Les créationnismes intrusifs A.a et A.b sont pris en défaut de
manquement au scepticisme initial sur les faits (premier pilier) : ce qui est à
Parcimonie - Les théories que nous acceptons sur le monde sont les plus démontrer scientifiquement est déjà écrit dans un texte sacré. On peut même dire
économiques en hypothèses. Plus les faits sont cohérents entre eux et moins la que le créationniste qui se qualifie de scientifique est le contraire d’un scientifique
théorie qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires non dans le sens où le premier cultive un scepticisme manipulateur sur les méthodes
documentées. Les théories les plus parcimonieuses sont donc les plus tout en étant convaincu des faits «à démontrer», tandis que le second fait
cohérentes. La parcimonie est une propriété d’une théorie ; elle n’est pas la confiance en ses méthodes pour questionner les faits au sujet desquels il est
propriété d’un objet réel. Ce n’est pas parce que nous utilisons la parcimonie sceptique. Enfin, la catégorie A.c commet des fautes de parcimonie, tout en
dans la construction de nos arbres phylogénétiques que nous supposons que récusant le matérialisme méthodologique que d’ailleurs il déforme pour mieux
l’évolution biologique a été parcimonieuse, comme le croient erronément l’accuser de tous les maux. Les créationnismes «scientifiques» sont incompatibles
certains. Le principe de parcimonie est utilisé partout en sciences, mais il peut avec la science, et c’est pour cela qu’ils tentent de la redéfinir à l’usage de leurs
être aussi utilisé hors des sciences, chaque fois que nous avons besoin de nous besoins politiques. Car en effet, à y regarder de près, les créationnismes sous
comporter en êtres rationnels. Le commissaire de police est, sur les écrans de toutes leurs formes prennent naissance en dehors des sciences et du milieu des
télévision, le plus médiatisé des utilisateurs du principe de parcimonie. Il scientifiques, mus par de puissants mouvements et motifs politiques (Intelligent
reconstitue le meurtre avec économie d’hypothèses, ce n’est pas pour autant Design), idéologiques (Harun Yahya) ou religieux (tous).
que le meurtrier a ouvert le moins de portes possibles, tiré le moins de balles
possible et économisé son essence pour se rendre sur les lieux du crime. Une dernière entorse commise par eux est, la plupart du temps, de déformer les
objectifs des sciences. Au lieu de cantonner les sciences à l’élucidation de
- Quatrième pilier : La science observe un matérialisme méthodologique : tout questions de faits et à l’élaboration de connaissances objectives telles que définies
ce qui est expérimentalement accessible dans le monde réel est matériel ou plus haut, ce qui devrait être, ils attendent des sciences qu’elles répondent ou
d’origine matérielle. Est matériel ce qui est changeant (Bunge, 1981), c’est-à- prescrivent dans des secteurs qui ne relèvent normalement pas d’elles, afin de les
dire ce qui est doté d’énergie. En d’autres termes, la science ne travaille pas avec instrumentaliser : attendre des sciences qu’elles répondent à des questions
des catégories par définition immatérielles (esprits, élans vitaux, etc.) ; cela métaphysiques de sens, qu’elles nous rassurent, ou faire d’elles des prescriptrices
participe de sa définition. de postures morales, politiques, législatives ou religieuses. Dévoyer ainsi une
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14. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
profession permet de l’infiltrer et d’utiliser son dynamisme pour légitimer des ouistiti, le gibbon et le chimpanzé, l’homme a ses deux os frontaux fusionnés
combats politiques ou métaphysiques que ces mouvements ne seraient pas et cette fusion fut acquise par ascendance commune». Cette assertion n’est pas
capables de gagner par ailleurs. C’est un point à examiner en détail. de l’ordre du discours des valeurs ; elle est testable empiriquement (os frontaux
par l’anatomie, ascendance commune par la phylogénie).
LA CONFUSION ENTRE LES QUESTIONS DE FAITS ET LES QUESTIONS MORALES :
UNE STRATÉGIE DE CHOIX POUR LES CRÉATIONNISMES En raison de l’indépendance des méthodes et objectifs de la science déjà évoquée
Les créationnismes philosophiques ou même «scientifiques» prônent un retour plus haut, la grande majorité des scientifiques n’utilise pas de valeurs ni de
de la religion dans la démarche scientifique parce qu’ils qualifient celle-ci postures morales ni politiques dans le cours des démonstrations ; ni ne
d’«immorale». Selon eux, seule la religion saurait moraliser la science. Certains démontrent le bien fondé de valeurs. Même si certains ont pu le faire au cours
vont même tenter de faire passer une théorie scientifique, la théorie contem- de l’Histoire des sciences, par exemple en distordant les faits plus ou moins
poraine – darwinienne – de l’évolution pour dégradante pour l’homme (cette consciemment pour conforter des valeurs, ils ont été récusés a posteriori. Si le
théorie dirait que «la vie d’un homme n’a pas plus de valeur que la vie d’un ver cœur méthodologique de la science est amoral (-et non pas immoral-), il n’en
de terre») ou encore comme prescrivant des comportements immoraux. va pas de même pour le contrôle social de l’activité scientifique. Le cœur des
L’indignation suscitée et attendue suffirait ensuite à remporter l’assentiment et démonstrations est amoral, mais les scientifiques expriment ou se plient à des
mobiliser les citoyens contre cette science délétère pour les valeurs. valeurs, normes et lois au niveau du contrôle social de la science, par exemple
lorsqu’un biologiste signe une charte contre la souffrance animale alors que
Il fut une époque où la science était le serviteur de la théologie, et donc de la l’anesthésie d’un animal ne sert pas en elle-même à l’expérience. Cette
philosophie. A ce titre, la science mélangeait les discours sur les faits et les distinction est importante pour déjouer les discours de rejet de la science sous
discours de valeur. Depuis la révolution scientifique des XVII et XVIIIe siècles, prétexte d’immoralisme, ou de tentatives de «spiritualisation» de la démarche
la science n’a pourtant plus vocation de servir ou de justifier à dessein un scientifique destinées à la «moraliser».
discours de valeurs. Son nouveau contrat passé avec la connaissance se
cantonne à mettre en lumière des faits expérimentalement reproductibles. Aujourd’hui les rapports entre la science et la philosophie sont asymétriques.
Cela n’empêche en rien les valeurs d’être régies dans les domaines moral, La science a acquis, depuis deux siècles, une pleine indépendance de ses
civique, éthique, politique, voire théologique ou religieux. Une bonne productions. Cela veut dire qu’aucune force extérieure à ses seules méthodes
compréhension de cette séparation des rôles aidera à faire face à l’irruption ne saurait lui dicter d’avance ce qu’elle a à découvrir ou démontrer, sous peine
d’interventions idéologiques, politiques ou religieuses au sein du cours de de corruption du processus expérimental et démonstratif. Cela vaut pour les
sciences, ou du dévoiement du cours de sciences naturelles en liste de forces mercantiles, idéologiques ou religieuses, mais aussi pour les injonctions
prescriptions civiques. Par exemple, le simple fait scientifiquement prouvé morales ou politiques, les philosophies. Les sciences ne sont pas isolées de la
qu’un sac plastique met plusieurs siècles à se dégrader dans un sol ne devrait philosophie ; elles s’y enracinent. Mais elles ne se déploient pas pour une
pas conduire dans la même leçon de sciences à l’injonction selon laquelle il ne philosophie particulière. En d’autres termes, si la philosophie matérialiste a
faut pas jeter les sacs au sol. Et si le sac ne mettait que trois jours à se dégrader, émancipé les sciences, en retour les sciences ne lui doivent rien, pas plus à elle
serait-il alors justifié de le jeter dans la nature ? Quelle est la véritable qu’à n’importe quelle autre philosophie. C’est en ce sens qu’on ne saurait
justification de l’injonction civique ou morale ? Par ailleurs, lorsqu’un demander à la science de servir sur commande une posture philosophique ou
scientifique ou un enseignant de sciences dit «l’homme est un singe» il ne des valeurs, quelles qu’elles soient. Le rapport est asymétrique en ce sens que
s’agit en rien d’une insulte et l’assertion ne doit pas être prise comme telle. Il la philosophie, si elle le souhaite, peut en revanche prendre en compte les
s’agit d’un discours de fait. Pour le discours scientifique, «singe» renvoie à résultats des sciences expérimentales. Mais en aucun cas ces résultats n’auront
«simiiformes» qui est, dans la classification, un ensemble argumenté par la été produits à dessein. Là réside toute la différence entre «servir» et «servir à».
fusion des deux os frontaux (entre autres caractéristiques) ; en d’autres termes Le rapport est asymétrique également dans le sens où, tout en ne produisant
une convention taxonomique. Cela revient à dire «comme le babouin, le rien sur commande, la science a de surcroît le pouvoir d’exercer une fonction
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15. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
critique sur les productions de la philosophie, des religions, des superstitions, que pour faire gagner du terrain à la théologie il faut brouiller les limites
des pseudosciences, dès lors que ces productions prétendent légiférer dans le épistémologiques de légitimité entre religion et science, et les limites politiques
monde réel. En ce sens la science est passivement contraignante pour la entre l’individuel et le collectif, entre le privé et le public. Ils ont bien compris
philosophie. «Passivement» signifie que toute philosophie est libre ou non qu'en finançant des scientifiques, des laboratoires, des colloques, elles peuvent
d’accepter une telle contrainte. coopter des scientifiques individuellement afin de créer la confusion sur le projet
collectif d'une profession ; et faire passer une posture métaphysique pour
UNE DISTINCTION RAREMENT RELEVÉE MAIS POURTANT CAPITALE : scientifiquement validée –et donc collectivement validée. Il est donc de leur plus
L’INDIVIDUEL ET LE COLLECTIF haut intérêt de se faire les amis de la science et des scientifiques. La fondation
Enfin, et en guise de conclusion, attirons l’attention du citoyen sur les méfaits T empleton soutient l’American Association for the Advancement of Science qui publie
d’une confusion accrue entre les domaines du public et du privé. Les le journal Science, et soutient surtout de nombreuses recherches. Sur le long
scientifiques professionnels payés par l’Etat ont signé un contrat de terme, l’« ouverture » au dialogue entre science et religion sur laquelle la fondation
construction collective de connaissances objectives. Une connaissance devient T empleton ou l’UIP fondent leur communication risque de s’avérer désastreuse
objective lorsqu’elle a été vérifiée et validée par des observateurs indépendants, pour l’autonomie de la science dans un contexte où le financement public des
ce qui implique la dimension collective du contexte de validation. Lors des tests recherches ne cesse de diminuer au profit des financements privés de ce type.
expérimentaux menés, chaque scientifique laisse au vestiaire de son laboratoire
ses options métaphysiques et politiques personnelles. Le contexte de validation CONCLUSION : L’INDÉPENDANCE DES SCIENCES ET LA LAÏCITÉ
des savoirs est donc tacitement laïque. Leur profession entière n’a pas à prendre DE SON ENSEIGNEMENT SONT D’UN SEUL TENANT.
position activement sur le plan métaphysique, ceci relevant du métier de Comment aider les citoyens ? Le scientifique citoyen doit être mobilisé, et il l’est
philosophe (ou de théologien). Autrement dit, un scientifique du secteur public souvent avec générosité : il sait mieux que quiconque –en principe- de quoi est
invité à titre professionnel devant un public doit s’abstenir de faire passer ses faite sa démarche professionnelle. Pour travailler sur le long terme, il doit aller
options métaphysiques personnelles pour validées scientifiquement –on ne le vers le corps enseignant. L’enseignement d’un périmètre méthodologique des
tolérerait pas d’un enseignant de sciences naturelles. La raison en est évidente : sciences, défi pédagogique porté sur une question épistémologique, apparaît
la validation des savoirs scientifiques possède une dimension laïque intrinsèque, d’une urgence renouvelée et d’une portée politique évidente. Il ne s’agit pas de
rarement revendiquée mais profondément ancrée dans l’ethos de la science. délivrer une norme ni une description angélique de ce que font les scientifiques
Pourtant, la principale activité des plus sophistiquées des formes du dans leur laboratoire, mais d’énoncer enfin les termes d’un contrat qui est bien
spiritualisme moderne telle la fondation John Templeton ou de l’Université celui que nous enseignons tacitement à nos doctorants qui apprennent le métier.
Interdisciplinaire de Paris est précisément de brouiller complètement ces Un enseignement laïque des sciences prépare la laïcité professionnelle des
limites de légitimité. Le citoyen doit être armé d’une conscience laïque très futurs scientifiques et donc leur indépendance quant à ce qu’il y a à dire de ration-
marquée pour déjouer les confusions qui sont à l’œuvre. nel sur le monde réel. En retour, la laïcité tacite des assertions scientifiques
maintient la laïcité de l’enseignement : comment pourrait-on produire un
Rien de tout cela ne remet en cause la liberté individuelle d'opter pour une enseignement laïque de résultats scientifiques si ceux-ci portaient la marque de
métaphysique de son choix. Mais ce choix ne saurait constituer une connaissance l’appartenance religieuse de ceux qui les ont produits ? C’est pourtant ce qui se
objective. Les connaissances empiriques, universellement testables, constituent la prépare avec les sciences «enfin spiritualisées» que nous préconisent la Fonda-
partie de nos savoirs qui unissent les hommes, et c’est pour cela qu’elles sont tion, John Templeton, l’Université Interdisciplinaire de Paris ou bien les
politiquement publiques. Les options métaphysiques restent personnelles et promoteurs de l’Intelligent Design. L’indépendance des sciences et la laïcité de
politiquement privées car elles peuvent diviser les hommes et donc devenir dans le son enseignement sont d’un seul tenant.
champ politique une source d’oppression. Les organisations telles que le Discovery
Institute (promotrice de l’idée d’Intelligent Design), la John Templeton
Foundation ou l’Université Interdisciplinaire de Paris en France ont bien compris
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16. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
INTERVENTION DE EDDY KHALDI
D’abord, je vais citer le Président de la République, au travers de son livre
co-écrit avec Thibault Collin et Philippe Verdin:
«On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des valeurs tempo-
relles, matérielles, voire même républicaines…
La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle procède d’une démarche
spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle recherche sa source dans le débat politique ou
dans le modèle républicain… La morale républicaine ne peut répondre à toutes les
questions ni satisfaire toutes les aspirations».
Il ajoute :
«La religion est un élément civilisateur. L’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent
contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté».
Il dit aussi, ceci cité par Henri Peña-Ruiz, il y a un instant :
«Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien
et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur». (citation
extraite de son discours au Latran le 20 décembre 2007 lorsqu’il fut intronisé
chanoine.)
Dans les 28 propositions de l’UMP, une seule proposition est explicite. La
suppression de la carte scolaire. Rien à l’époque de la campagne électorale sur
celles qui sont mises en œuvre depuis juin 2007 : la suppression des IUFM, la
suppression des postes, la suppression des RASED, la suppression des mater-
nelles... Un seul point a été suivi d’effets, les privilèges au privé : «l’UMP veut
donner aux parents le choix de l’établissement qui convient le mieux à leurs enfants. Le
parti a pour objectif de supprimer la carte scolaire mais compte procéder par étapes...».
D’ailleurs, il n’a pas procédé par étape il l’a supprimée définitivement dès la
première année. «Dans ce contexte, l’UMP qui prend acte des relations apai-
sées avec l’école privée, entend donner plus de liberté et d’implication aux
établissements privés sous contrat et permettre aux parents qui le veulent de
scolariser leurs enfants dans le privé.»
Emmanuelle Mignon, ex-directrice de cabinet du Président de la République,
dit en 2004 dans une interview donné au «Monde» :
«J’ai toujours été conservatrice, j’aime l’ordre. Je crois à l’initiative individuelle, à
l’effort personnel et, en matière économique, à la main invisible du marché.
Par exemple, je suis pour une privatisation totale de l’Education nationale».
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17. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
Le 14 février 2008, en charge de l’éducation, dans le cadre du plan «Espoir Pendant la période dite de Vichy, il est important de voir quelles mesures, rela-
Banlieue» M. Darcos déclare : tives à l’éducation, ont été prises. Abrogées par ordonnance en 1945, certaines
de ces dispositions ont été rétablies ou sont sur le point de l’être .
«... l’enseignement privé a fait la preuve de sa capacité à accueillir des publics très divers,
y compris des élèves en difficulté, et à leur proposer une pédagogie et un encadrement leur L’Eglise avait rencontré Pétain pour obtenir des subsistes scolaires. Ce qu’elle
permettant de renouer avec la réussite scolaire. Leur savoir-faire reste trop souvent aux a obtenu. Ils ont été étendus avec le décret Poinso Chapuis, les lois Marie et
portes de la banlieue parce que nous refusons de leur donner les moyens permettant de Barangé, et surtout, la loi Debré.
répondre à la demande. Je suis ministre de toutes les formes d’enseignement, et je veux Le 18 septembre 1940, les écoles normales sont supprimées. Voyons aujourd’hui
offrir aux familles la même liberté de choix que celles dont disposent les familles des centres les IUFM. Regardons la comparaison présidentielle du curé et du pasteur.
urbains». 13 décembre 1940 : les devoirs envers Dieu dans les programmes. 13 décembre
1940 les délégations cantonales, ancêtres des DDEN, sont supprimées. Regar-
Il faut que les choses soient dites clairement : depuis la loi Debré, la dons les tentatives actuelles pour les écarter de l’Ecole. On a reconnu d’utilité
République joue contre son camp. publique les instituts catholiques de Paris. Voyez les accords Vatican-Kouchner !
D’abord parce qu’on n’a plus une République unique, indivisible et laïque. Il ne La «caisse des écoles privées» instaurée en 1940, supprimée en 1945 réapparaît
s’agit pas de retracer tous les épisodes. dans la loi «libertés, responsabilités locales» du 13 août 2004. En gros, on a prati-
La loi Goblet du 30 octobre 1886 pour le premier degré définit un quement rétabli tout ce qui avait été abrogé en 1945.
principe fondamental : «à école publique fonds publics à école privée fonds
privés». La loi Falloux, qui n’est évidemment pas une loi laïque, est toujours, Arrive 1959, nous abordons une autre phase, après l’aide à la famille , l’aide à
considérée, par la juridiction administrative actuelle comme fondatrice du l’établissement .C’est le dualisme consacré, c’est la loi Debré. «Vichy n’était pas
second degré. allé aussi loin». Cette loi Debré devient, aujourd’hui, de plus en plus un
concordat scolaire. Le secrétaire général de l’enseignement catholique désigné
Ces deux lois nous disent, la même chose : «Il y a des écoles fondées et par la conférence épiscopale s’arroge le droit de représenter l’enseignement
entretenues par la puissance publique qui prennent le nom d’écoles privé globalement. Risque redouté par Debré : «je vous le dis, il n’ait pas
publiques» et «celles fondées et entretenues par des associations ou particuliers concevable pour l’avenir de la Nation, qu’à côté de l’édifice public, de l’éducation
qui prennent le nom d’écoles privées.» nationale, l’Etat participe à l’élaboration d’un autre édifice qui lui serait en
A partir de là, la loi Debré, est, toujours, une entorse au principe général quelque sorte concurrent et qui marquerait, pour faire face à une responsabilité
d’interdiction de financement. D’ailleurs, le juge administratif a fixé une fondamentale, la division absolue de l’enseignement en France».
jurisprudence pour le 1er degré qui se traduit par l’interdiction formelle de tout C’est ce qu’il se passe aujourd’hui, sous nos yeux.
financement qui n’est pas explicitement mentionné dans une loi. Il faut donc Olivier Giscard d’Estaing, rapporteur de la loi Pompidou, publie dans le
une habilitation législative expresse. même temps, un ouvrage intitulé «Education et civilisation». Son titre est
Pareillement avec la loi Falloux, qui fixe une limite de 10 %. La proposition explicite : «Pour une révolution libérale de l’enseignement». Giscard
de loi Bourg-Broc, de 1993-1994 visait à faire sauter ce verrou des 10%. d’Estaing dit en gros : l’enseignement catholique est surdimensionné, il doit
servir de cheval de Troie au libéralisme scolaire. A partir de là, il faut organiser
Christian Nique historien, dans le livre qu’il publie : «Comment l’école la concurrence, donner des moyens à l’enseignement privé et multiplier les
devient une affaire d’Etat » mentionne deux principes qui s’opposent dans le formes d’enseignement financé par l’Etat et les collectivités locales. Il parle
service public d’enseignement : «un principe dit commercial», «un principe déjà de désinstitutionnaliser l’école d’individualiser le rapport à l’école pour,
dit patriote». en particulier, supprimer la carte scolaire. Il veut aussi démanteler le service
Derrière ce «principe commercial», l’école marchande. L’école patriote devait public dont la surface est jugée trop importante. Il propose d’organiser
installer la République, la conforter. l’apprentissage le plus tôt possible. Il évoque l’inutilité de l’enseignement
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18. LE LIVRE NOIR DE LA LAÏCITÉ GAUCHE Avenir
préélémentaire pour le supprimer. T cela nous dit, aujourd’hui, quelque chose.
out l’école : le chèque éducation .Fuite en avant et concurrence sauvage dans
Il y a, depuis cette époque-là, une union sacrée entre le libéral et le clérical. laquelle l’enseignement catholique revendique d’être associé à l’Etat. Alors
Personnifiée par la secrétaire générale adjointe de l’enseignement catholique, que la loi Debré ne connaît légalement que des établissements à «caractère
Nicole Fontaine, qui nous vient du «club de l’Horloge». propre».
1984 arrive, et le grand service public unifié laïque de l’éducation a l’issue que C’est ce que dit très clairement, le secrétaire général de l’enseignement catho-
l’on connaît. Depuis cette époque, la gauche est complexée. La gauche ne parle lique : «l’enseignement catholique est associé à l’Etat». Ce secrétaire général de
plus du rapport public/privé. La loi Debré s’est aggravée constamment on est l’enseignement catholique qui ne se satisfait pas de la loi Carle, qui dit «c’est
passé à la «parité» un compromis à un instant T». On voit bien que la guerre scolaire n’est pas
L’enseignement privé revendique la parité des moyens et la disparité des apaisée.
obligations. Les projets libéraux se concrétisent, programmés, en catimini, comme nous dit
SOS Education : «il n’y a d’espoir que si l’Education nationale se trouve menacée dans
En 1962, l’enseignement public formait les enseignants du privé. A partir de sa survie par la concurrence d’un grand secteur éducatif libre.»
92, des moyens ont été donnés pour que l’enseignement privé mette en place
des centres de formations pédagogiques, financés par l’Etat. Il y en a 26 pour C’est aussi le propos du n° 2 du MEDEF que vous avez peut-être lu le 4 octo-
former des enseignants sous tutelle : en application des accords Lang-Cloupet. bre 2007 dans l’édito du magazine « Challenge » sous le titre : « le gouvernement
doit défaire méthodiquement le programme du conseil national de la résis-
La suppression des IUFM et l’accord Vatican-Kouchner sont liés. L’enseigne- tance ». Il nous dit : « le programme ambitieux de réforme tout azimut lancé par le
ment catholique voulait maintenir un verrou en matière de formation et de gouvernement Sarkozy possède une profonde unité quand bien même les annonces
recrutement de ses maîtres. Il fallait donc que cette formation des CFP ne soit successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression
pas adossée à l’Université publique mais à des facultés catholiques. Et l’ensei- de « Patchwork » tant elles paraissent varier d’importance inégale et de portée diverse ».
gnement privé revendique aussi la formation des maîtres de l’enseignement Et il cite le statut de la fonction publique, les régimes spéciaux de retraite, la
public dans ses facultés libres. Des maquettes pour cette formation des ensei- réforme de la Sécurité sociale, le paritarisme et l’Education
gnants publics ont été proposées. nationale... »
Dans «les Echos» du 5 décembre 2006, l’éditorialiste demande de se séparer du
L’association «des créateurs d’écoles» a repris le plan d’Olivier Giscard d’Es- préambule de la constitution de 1946, dont le point 13 dit : «la Nation
taing. Elle voulait «faire sauter des verrous», diminuer la surface de l’Etat en garantit l’égal accès de l’enfant et des adultes à l’instruction, à la formation
matière d’éducation, organiser la concurrence, supprimer la carte scolaire, professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit
introduire le bon scolaire, le chèque éducation. et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat.»
Dans cette équipe il y avait le Ministre de l’Education nationale, Darcos, le
conseiller éducation à l’Elysée, Dominique Antoine, un certain nombre de Ces clés de lecture, montrent une grande cohérence dans la politique de
recteurs. Cette équipe était déjà en place en 1993 avec Bayrou. C’était son cabi- l’Éducation nationale menée aujourd’hui.
net, Guy Bourgois, Président de «Créateurs d’écoles», directeur de cabinet de L’enseignement catholique aujourd’hui accepte d’être le cheval de Troie des
Bayrou, Darcos, directeur adjoint. libéraux pour le libre marché scolaire.
Ces «démanteleurs» avaient suggéré à Bourg-Broc une proposition de loi L’enseignement privé, c’est la discrimination, comme le montre, une étude du
permettant de faire sauter le verrou de 10 % de la loi Falloux pour financer les CNDP en 2004. On constate, d’après cette étude que les catégories sociales
investissements des établissements privés. Ces «Créateurs d’écoles» étaient en favorisées sont pour 39 % dans le privé et 20 % dans le public que les catégories
première ligne en 2007. Le privé revendiquait la «parité». Aujourd’hui il sociales défavorisées sont pour 18 % dans le privé et 43 % dans le public.
demande une déconnexion de cette «parité» pour se développer avec des
moyens supplémentaires. C‘est la loi Carle, l’individualisation du rapport à Illustrons cette offensive clérico- libérale par 5 dossiers lourds.
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