1. PERNET Sarah, PERRET Louane, ARMANET Lola
L2
Rapport de recherche collectif
Etude d’un squat d’activités : Le 38
centre social tchoukar
UE : Innovations, mobilisations et contestations
territoriales
Année 2018/2019
2. Sommaire :
I. Introduction
II. Méthodologie et rendu de l’étude de terrain
III. Synthèse de l’étude de terrain
IV. Conclusion
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3. Introduction à l’étude de terrain :
Petit rappel historique des centres sociaux:
Le 1er centre social fut créé par Elise de Pressence en 1871 dans le 15e
arrondissement de Paris. Il s'appelait “Oeuvre de la chaussée du Maine” et
venait en aide aux familles en difficulté. 30 ans après, la résidence sociale
“Levallois Perret” fut fondée par Marie Jeanne BASSOT et Mathilde GIRAULT
surnommées “les résidentes”. Installées dans un quartier ouvrier aux
conditions sanitaires et sociales déplorables, ces dernières essayent de
nouvelles formes de vie quotidiennes en intensifiant les liens entre les
voisin.es du quartier. Par exemple, en créant des jardins d’enfants, des
ateliers de chant, de danse, de théâtre, de sport, d’étude, etc. Ce fut une
action globale qui agit à tous niveaux.
Notre étude se penche sur l’un des “centre sociaux” de la commune de
Grenoble : Le 38 centre social Tchoukar. Un squat d’activité à visée de centre
social autogéré, il ne s’agit donc pas d’un centre social institutionnalisé.
Il va de soi qu’il faut définir ce qui se cache derrière le mot “squat”, avant de
vous parler du fonctionnement de ce dernier et de notre enquête de terrain.
Depuis les années 1970, les squats reconquièrent la rue, celle-ci se voit de
plus en plus privatisée, ainsi que l’espace public se voit de plus en plus
marchandisé. En anglais, “to squat” signifie s’accroupir, se blottir : La notion
de protection de soi dans l'étymologie du mot est intéressante à souligner
ici. Il s’agit d’occupations illégales de bâtis privés, par une ou plusieurs
personnes. Les squats sont singuliers tout en partageant des points
communs, et sont dans l’esprit collectif, stigmatisés et à fonction unique
d’habitation. Nous distinguerons ici les squats d’habitats, dont le 38 ne fait
pas partie ; et les squats d’activités comme celui-ci.
Ce sont donc, des espaces où le besoin d’habiter et de vivre autrement s’est
fait ressentir en parallèle avec la gentrification des villes qui subissent le
“ravage de la machine économique” selon Arthur Bel.
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4. D’après Florence Bouillon, ils sont souvent stigmatisés, vulgarisés, bien que
remplis de diversité et hétérogènes. Leur but est la reconstruction d’une
manière d'être et de faire le “tiers espace”. Ce sont des lieux ouverts à tous
et toutes, au service de l'intérêt général et individuel. Par ailleurs, ce sont
des espaces qui permettent l’éducation populaire, c’est-à-dire qu’il y a une
“réhabilitation de la culture dans sa dimension politique”. La mise en place
d’assemblées générales, de débats, de projections etc, permet à tous et
toutes de se conscientiser.
Selon Monsieur Lepage, ils ont pour vocation de “rendre visible à tous et
toutes la domination, les antagonismes sociaux et les ravages de
l’exploitation”. Ainsi les squats s’inscrivent souvent dans des mouvements de
pensées similaires. L’instauration de l’autogestion, le rejet de la société de
consommation, de nouveau types de rapport sociaux plus égalitaires et
moins discriminatoires font partis des revendications soulevées. Contre
toutes formes d'altérisations (le fait de différencier les autres individus de
soi, par le genre, la couleur de peau, l’ethnie...), anti-spécistes, antifascistes
et anticonformistes, le squat s’inscrit dans une démarche égalitaire. La
contestation de toute forme de pouvoir et d’autorité sur les individus, ainsi
que la volonté d’une liberté et d’une initiative individuelle qui prime sur le
reste (c’est-à-dire l’anarchie), est souvent une cause largement relayée par
les squatteurs et squatteuses. Mais l’on ne saurait dans cette synthèse,
porter notre voix au nom du 38, car ce sont plusieurs personnes différentes
les unes des autres, comme nous ne pouvons pas généraliser notre analyse
à tous les squats, car ceux-ci sont singuliers.
Ainsi, dans la mesure où la situation actuelle de nos sociétés nécessite des
innovations et contestations du fonctionnement de celles-ci ; En quoi de
tels projets sont-ils vecteurs de renouveaux, de part leur dimension
fédératrice ?
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5. I. Méthodologie de l’étude de terrain
Pour l’étude de cet espace nous avons choisi d’adopter une démarche
d’observation participante qui a pour but : « la compréhension de l’autre
dans le partage d'une condition commune » (Whyte William Foote).
C’est-à-dire de participer à divers évènements et ateliers proposés dans
l’enceinte du centre social autogéré.
Cette approche nous a réellement permis de nous faire une idée plus claire
des évènements et enjeux liés au centre. Une simple interview d’un.e ou
deux acteurs ou actrices présent.es sur les lieux, n’aurait surement pas été
efficace et représentative des diverses personnes impliquées dans le
fonctionnement du 38. N’ayant pas de représentant.e officiel.le, une seule
voix ne peut s’exprimer en son nom. Une approche participative permet
d'être beaucoup moins intrusives, et en position de simple observatrices,
cela rend donc le contact plus facile et naturel.
Nous savions également, suite à un entretien exploratoire, que centre social
avait eu des problèmes d’ordres judiciaires, ce qui n’a pas pour effet de
libérer l’information lors d’interviews.
Cette approche d’observation aurait tout de même pu être envisageable mais
elle nous aurait permis d’accéder seulement à une vision très réduite de ce
qu’est le centre social. Celui-ci n'ayant pas de “chef.fe” à proprement parler
ou de personne assignée à la prise de décision, mais juste un collectif
d’individus différents avec des avis divergents : difficile d’accéder à une
vision globale.
Nous souhaitions avoir la possibilité de participer à différents évènements et
de discuter avec les différentes personnes présentes qu’iels soit très actif.ves
ou seulement de passage ; afin de s’immerger dans l’ambiance pour ensuite
pouvoir la restituer, l’analyser et l'interpréter aux travers de nos grilles
d'analyses.
Cette approche participative demande beaucoup de travail sur le terrain car
il faut avant tout suivre le rythme des activités et ne pas les perturber. On
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6. s’intègre réellement au groupe et on essaye au maximum de limiter le côté
perturbateur de notre travail. Même si, on le sait, la curiosité que nous
apporte ce travail n’est pas sans conséquence sur notre façon de voir,
comprendre et communiquer : il faut trouver l’équilibre qui convient. Une
fois immergées, beaucoup d’informations sont à disposition et c’est un
véritable apprentissage de les sélectionner.
Pour mener cette étude et réaliser ce dossier, il nous aurait fallu plus de
temps sur le terrain afin de participer à plus d’atelier et se familiariser avec
les lieux et les personnes présentes. Nous avons tout de même, à nous
trois, participé à un certains nombres d’activités qui nous ont permis une
première analyse intéressante du centre autogéré.
En l'occurrence, nous avons participé à un atelier vélo magique où des
personnes viennent réparer leurs vélos, et peuvent y trouver du matériel à
prix libre ainsi qu’une aide bénévole.
Nous nous sommes également rendues à une “boom” organisée par le 38,
précédée du concert d’un groupe aux chants féministes et d’un concert de
rap. Nous avons également pu nous rendre à la gratuiterie mise en place
afin d’y déposer des vêtements et d’en observer le fonctionnement.
A chacune de ces occasions nous avons pu discuter avec des habitué.es et
des moins habitué.es, bénévoles ou participant.es. Nous avions fait le choix
de ne pas enregistrer nos discussions pour encore une fois, ne pas perturber
le cours des activités et provoquer une gêne quelconque. Même si
l’enregistrement aurait permis une récupération d’informations plus facile et
surement moins de temps passé sur le terrain. Cependant, les informations
obtenues n’auraient pas été aussi authentiques.
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7. I. Synthèse de l’étude de terrain
Situé au 38 Rue d’Alembert, dans l’une des rues perpendiculaires au cours
Berriat à Grenoble, le 38 est un squat d’activité qui occupe les locaux depuis
4 ans. S’y déroulent chaque semaine de multiples activités permanentes :
Atelier vélo magique, kung-fu, self défense, magasin gratuit, laverie
solidaire, clowns activistes–Les Nanos, et La Tambrouille (cantine vegan à
prix libre et qui se déplace régulièrement sur le campus de Saint Martin
d'Hères). D’autres activités plus occasionnelles sont également accueillies
dans le centre social tchoukar, comme des projections de films ou de
documentaires, des soirées de soutien, des concerts, des booms, etc.
Le squat s’organise autour d’assemblées générales où les décisions sont
prises ensemble : chacun.e peut donner son avis et proposer de nouvelles
initiatives. Les questions politiques de défense et d’organisation du 38 y sont
également débattues. Pour se faire, deux types d’AG ont lieues : celles où les
sujets abordés vont être d’ordre organisationnels, et d’autres qui vont être
des assemblées des activités. Le collectif est autonome matériellement et
politiquement et a pour visée politique de lutter contre l’isolement et la
marginalisation des personnes précaires, de lutter pour plus de justice
sociale et d’entraide. C’est un « Espace ressource pour ceux et celles qui
tentent de survivre et de lutter » pour reprendre leurs mots.
Ce squat, c’est donc une “bulle d’air” dans une société où certain.es sont
laissé.es pour compte et ne s’y retrouvent plus. Il propose des services et des
activités non marchandes accessibles à tous.tes, tout en créant des
connexions entre les personnes. Mais malgré son caractère humaniste,
quelques individus, notamment du voisinage, s’opposent farouchement au
maintien du centre social. De plus, le squat subit une importante répression
policière.
Nous nous sommes donc rendues sur le terrain pour mieux comprendre
toutes les dimensions et les apports sociaux qu’offre cet espace. Le constat
que nous avons fait, est celui d’un espace des plus accueillants, où l’on s’y
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8. retrouve pour s'organiser, se divertir, créer des liens et toutes sortes de
choses tous.tes ensembles. Nous avons constaté que cet espace est
fédérateur et innovant sur plusieurs points que nous détaillerons dans la
suite de cette synthèse.
Tout d’abord, le 38 dans sa dimension politique et de lutte, permet de
fédérer l’action et le groupe dans le cadre d’une contestation, notamment
territoriale.
En effet, le squat permet de nouvelles manières de s’organiser hors des
corps intermédiaires et institutions classiques. Il fait de sa lutte pour son
droit à occuper les lieux, la lutte de tous.tes pour la reconquête de la rue
face à la privatisation. Les rencontres et les différentes activités proposées
permettent de se réunir et de s’organiser pour faire valoir sa parole, par
exemple concernant l’aménagement du quartier de Saint-Bruno.
Cet espace permet également de se conscientiser au sein du groupe,
d’apprendre et de débattre autour d’une multitudes de thématiques, de
problèmes de sociétés. Il permet de mener la contestation, en informant les
habitant.es et pratiquant.es du quartier, et agit parfois comme un
catalyseur du “capital militant” (Bourdieu).
Ensuite, le squat fait face à un violente répression policière. En effet, les
descentes de polices sont fréquentes, les contrôles abusifs, souvent sans
motifs tout comme les gardes a vues. N’hésitant pas à utiliser violence et gaz
lacrymogène face aux contestations des usager.es.
De plus il semble que ce soit la dimension politique du 38, plus que les
nuisances sonores “extrêmes” décrites par le voisinage qui dérangent. De
plus, iels ont l’air d'exagérer les faits, et ne sont qu’une minorité à se
plaindre des activités du 38. En effet, d’autres habitant.es du quartier et
voisin.es soutiennent le squat. Ensuite, quand on lit sur certains sites
internet (tel grenoble-le-changement.fr) les paroles des voisin.es
apparemment géné.es par le centre, on voit bien que ces personnes, sont
plus énervées par la portée politique et contestataire du lieu. En outre ces
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9. personnes ne tolèrent pas et ne comprennent pas les idéaux et modes de
vies des squatteur.ses. Et en plus de cela, iels n’ont pas l’air de chercher pas
à essayer de comprendre les apports politiques et sociaux de cet endroit. En
effet, selon Florence Bouillon, “les squats substituent aux manques sociaux
de l’état”.
Deuxièmement, le 38 possède un
réel potentiel en tant que créateur de liens
sociaux. En effet, il peut procurer soutien
et aide pour celles et ceux dans le besoin,
ainsi qu’une certaine réhabilitation sociale
par les activités et les rencontres. En
outre, le centre social a proposé des
activités et repas durant la période de Noël,
pour celles et ceux étant isolé.es et
marginalisé.es, ou qui ne veulent pas
passer noël de façon “traditionnelle”.
Le 38 propose également des cantines tous
les samedis midis, qui réunissent à chaque fois beaucoup de monde pour un
moment commun convivial.
Cet espace fonctionne sur un système de solidarité et d’entraide, donnant
accès à des activités culturelles pour tous les âges.
Nous avons pus remarquer qu’il s’agit d’un lieu où les personnes se
retrouvent régulièrement pour participer aux activités. Le lieu est
notamment connu d’un.es et des autres par le bouche à oreille, mais aussi
par les divers tracts, et affichages du squat. Le 38 c’est aussi un lieu ou l’on
peut sortir avec ses amis, et c’est comme cela que certain.es on croisé sa
route, nous personnellement y compris.
Chaque personne qui a envie de s’investir dans le lieu et/ou de proposer des
activités est la bienvenue. Les participant.es qui préparent les repas, qui
font les permanences des activités, servent les boissons et nourriture, etc
sont toutes et tous bénévoles.
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10. La volonté du 38, c’est aussi et principalement d’ailleurs, la volonté de créer
un espace commun, ou inventer et se réinventer ensembles.
C’est cet investissement commun, cette foi dans le projet et la lutte menée
par tous ces espaces, qu’il est important de conserver au sein de notre ville,
et plus largement de notre société.
Pour finir, le 38 centre social tchoukar s’inscrit également dans une
démarche écoresponsable, et de non-marchandisation. Ce qui fait tout son
sens dans une société capitaliste, dont le mode de fonctionnement est en
train de dérégler le climat et de polluer les écosystèmes.
Autant que le collectif exprime une volonté de justice sociale, celle-ci
passe aussi en leur sens et le nôtre, par le respect et la préservation de la
nature ainsi que des espèces animales et végétales.
Comme exemple, nous pouvons citer les cantines vegan, les récupérations
d’aliments en fin de marché le dimanche, ainsi que la récupération d’objets
divers qui seront plus utiles à d’autres personnes que jetés à la poubelle,
notamment via le magasin gratuit.
Le côté non-marchand du collectif permet d’avoir accès à des vêtements,
des jouets, des livres, à la culture, à des
activités diverses et variées pour un
moindre coût et une moindre empreinte
écologique. Sortant ainsi chacun.e de
son isolation potentiellement due à la
précarité, proposant des sorties à des
prix adaptés à tous les budgets.
Mais au-delà du fait de vouloir rendre
toutes ces choses plus accessibles aux
plus isolé.es, le 38 n’agit pas pour le
profit. Bien au contraire, iels refusent
clairement de s'inscrire dans une
démarche de marchandisation
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11. capitaliste, qui irait à l’encontre de leur idéaux politiques. Le 38 propose une
économie alternative pour contourner le circuit classique et capitaliste.
L’argent récoltée, est utilisée pour préparer les activités, les évènements,
construire de nouvelles choses, toujours tous et toutes ensemble. Les
richesses du squat sont les liens humains qui sont tissés autour.
IV. Conclusion
Pour conclure, nous pouvons dire que le squat/centre social autogéré
du 38 est vecteur de renouveau. Il agit et fonctionne en parallèle d’un
système préétabli par l’Etat, c’est-à-dire le centre social, tout en proposant
des manières de fonctionner alternatives et innovantes.
L’investigation du squat de manière illégale est une revendication politique
dans sa démarche de mobilisation territoriale pour plus de justice sociale.
Elle fait du squat l’objet de la contestation. De plus il est fédérateur de
l’action et de la conscientisation politique. L’implication dans cette dernière
et dans le fonctionnement du squat d’activités nécessite des compétences
d'organisation et un capital militant, souvent constitués au préalable, mais
qui s'entretiennent et se construisent au sein du groupe.
Cependant, le but premier du collectif est d’agir, et d’appliquer par leurs
actions et projets, un mode de fonctionnement alternatif pour développer
des liens entre les individus et proposer des soutiens. Mais “Faire une chose
comme on la fait, c’est ne pas la faire comme le font les autres.” (La sociologie
est un sport de combat, 2002, Pierre Carles).
Le 38 propose également un lieu d’entraide et de partage presque quotidien
pour celles et ceux qui le désire. En ce sens c’est une innovation territoriale
qui porte ses fruits, et qui apporte de nombreux apports d’un point de vue
politique, social, écologique et “économique”.
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12. Bibliographie et sitographie:
● Whyte William Foote, Street corner society, la structure sociale
d’un quartier italo-américain, Paris, La Découverte, coll. « Textes
à l’appui », 1995 (1re éd. 1943)
● Florence Bouillon, A quoi servent les squats, 2002
● Des migrants et des squats : précarités et résistances aux marges
de la ville, Florence BOUILLON dans revue européenne des
migrations internationales, 2003, n°19
● Les squats, une alter-urbanité riche et menacée, Cairn Arthur Bel
dans cahiers de l’action n°51-52, 2018, p 79-86
● Dérive dans une « ville créative », Récit subjectif, critique, politique,
partisan, radical, punk, anarchiste et à la limite de la mauvaise
foi des transformations urbaines à Grenoble, préface d’Anne
Clerval, Didier Moineau, 2014
● Le droit à la ville, cahier des 2e
rencontres de géopolitique
critique, mars 2017, sous la direction de Claske Dijkema et
Morgane Cohen
● Images et photos prises sur le site internet du 38 et page
facebook : lecentresocialtchoukar.noblogs.org
● squatteurs militants, l'occup-action des squatteurs militants :Le
squat comme outil d'expérimentation social, Céline LOUEY,
Université de Bordeaux
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