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Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
1 ©Raphaëlle Bats 2017
Mesdames, messieurs,
Bonjour,
Je remercie Médiaquitaine et l’ABF pour cette invitation à parler d’un sujet qui est à la fois essentiel à
notre métier et en pleine actualité. Je les remercie de l’honneur qui m’est fait d’inaugurer les
échanges de la journée, échanges qui j’en suis sûre se poursuivront au-delà de cette rencontre.
Introduction
Avant de commencer je voudrais préciser d’où je parle, de quel type de bibliothèques je parle et à
quel type de bibliothèques je m’adresse et enfin de quoi nous allons parler.
Je suis bibliothécaire, au sens large, j’ai travaillé en bibliothèque universitaire, puis à l’Enssib, mais je
fais de la recherche sur les bibliothèques municipales. Je suis doctorante en philosophie et sociologie
politique, mais mon objet d’étude est la bibliothèque. Ma thèse, que j’espère finir l’année prochaine,
porte le titre suivant : de la participation à la mobilisation collective, la bibliothèque à la recherche de
sa vocation démocratique. Pour cette thèse, je m’appuie à la fois sur des apports théoriques plutôt
issus de la philosophie politique, avec des auteurs, dont j’aurais l’occasion de parler, comme Dewey,
Rancière, Abensour, Arendt…, et sur des apports de terrain. J’ai ainsi suivi un terrain principal, qui est
le projet Démocratie de la BM de Lyon, mais aussi des terrains parallèle à partir de la collecte
d’actions menées par les bibliothèques après les attentats de Janvier 2015 (collecte nommée
#bibenaction) et à partir de la mise en place d’une bibliothèque participative pendant les Nuits
Debouts, la Bibliodebout. Ces terrains m’ont permis de collecter des données quantitatives,
qualitatives (après observations et / ou entretiens) et d’étudier des documents publics ou internes.
La présentation qui va suivre prend appui sur ce fond théorique et sur les données traitées. Ma thèse
étant encore en cours, et dans tous les cas elle ne fera pas le tour de toutes les questions, certains
éléments restent en suspens, à travailler, compléter, etc. certaines données ne sont pas encore
traitées. C’est donc le résultat de mes recherches à l’instant d’aujourd’hui.
Voilà d’où je parle, mais de qui et à qui est-ce je parle ? Je vise des bibliothèques et centre de
documentation et d’information publics, privés ou associatifs, qui partagent une même mission de
service public, de non profit et d’intérêt public. En France, je m’adresse donc à des bibliothèques
municipales, ou disons territoriales, mais aussi à des bibliothèques universitaires, scolaires ou
associatives. Vous le verrez mon propos, surtout dans la première partie semble plutôt concerner les
BM, c’est parce que plus celles-ci parlent plus volontiers de leur rôle politique et social, mais tous
mes propos concernent aussi bien les bibliothèques universitaires, qui sont pour moi tout autant que
les BM des acteurs de leur territoire et ont par conséquent une action citoyenne : de formation à
l’esprit critique, de conservation d’une mémoire académique et d’accueil de tous les publics,
universitaires ou pas. Les propos que je vais tenir, notamment dans les 2ème
et 3ème
partie de cette
intervention, s’adressent donc tout aussi bien aux bibliothèques municipales qu’universitaires, mais
je laisserai le soin aux professionnels de ces établissements de voir quelles mises en œuvre adaptées
à leurs situations particulières sont à mener.
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
2 ©Raphaëlle Bats 2017
De quoi allons-nous donc parler ? La commande qui m’a été faite portait sur le rôle social et politique
de la bibliothèque. Je pensais au départ faire un cours sur ce double rôle, sa signification, ses formes
et ses limites. J’ai finalement choisi de faire un pas de côté pour me concentrer davantage sur ce qui
en ce moment se transforme dans notre métier. Il me semble que sans cela, nous traiterions de la
bibliothèque, sans traiter de ce qui la rend à la fois nécessaire et la justifie , à savoir le fait que nous
vivons ensemble dans une société démocratique. Parler de politique, sans parler de la démocratie,
me semblerait un discours un peu vidé de ce qui rattache notre métier au sol, à son utilité réelle, à
son rôle possible, attendu, espéré.
Aujourd’hui notre société connait un certain nombre de problèmes, mais aussi d’opportunités. Les
élections présidentielles, assez surréalistes à mon avis, ont consacré la montée de l’extrême droite.
Nous venons de vivre une série d’attaques, qui n’en finissent pas de bousculer la représentation de
notre vivre ensemble. Et nous somme encore aujourd’hui en pleine période de migrations massives,
qui interrogent ce qu’est l’hospitalité et la citoyenneté. En tant que citoyen, comme en tant que
spécialiste de l’information, nous ne pouvons pas rester indifférents à ces situations.
Par ailleurs, nous ne pouvons donc que constater aujourd’hui que les politiques publiques sont
saisies par des exigences démocratiques renouvelées en des temps qualifiés de crise de la
représentation ou crise de la démocratie, et se saisissent de nouvelles formes démocratiques,
qualifiées cette fois-ci de participatives, citoyennes, locales...dont on trouve notamment des mises
en œuvre dans nombre de projets urbains. Ces formes démocratiques font appel à une participation
plus large, plus active des citoyens que la représentation, le vote ou même les manifestations ne le
permettraient. Elles interrogent la possibilité pour les individus d’être certes consultés, mais aussi de
prendre part activement à la réflexion sur les projets et sur les solutions, à la délibération permettant
des choix qui auront un impact sur l’existence quotidienne. En d’autres termes, elles proposent de
ré-interroger cette vieille tension entre démocratie directe, héritée de l’agora grecque, et une
démocratie indirecte, institutionnalisée ou portée par les institutions. La première étant la
participation du peuple, du démos, aux délibérations et décisions, la seconde étant la médiation
qu’effectuent les institutions entre le peuple et la réalisation de la démocratie ou réalisation d’une
société démocrate. Ce débat sur la démocratie qui a traversé aussi bien les Lumières françaises que
les auteurs américains comme Jefferson ou Hamilton, qui s’est poursuivi ensuite avec John Dewey
puis Habermas, se voit ainsi renouvelé. Cet appel à la participation a été particulièrement visible lors
de cette dernière année, à travers des mouvements de contestation tels que Nuit Debout, ou avec
l’émergence de mouvements politiques, sortis du cadre biparti habituel, avec En marche, la
consultation par Mélenchon de son parti, l’enthousiasme des militants de partis pour les
mouvements (à droite comme à gauche). Bref, l’heure est à la participation, sous ses formes les plus
pures comme les plus institutionnalisées.
Alors, oui. Je pense que nous sommes dans une période, historique, et c’est pourquoi je vous
propose de reprendre les choses dans le bon ordre. Je vous propose donc d’aborder à nouveau le
sujet par une nouvelle porte, par un temps de définition de la démocratie, car sur ce type de concept
largement utilisé dans le monde, qui s’entend sur les mots, mieux se comprend. Puis j’en viendrais à
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
3 ©Raphaëlle Bats 2017
un tour des enjeux du pluralisme en démocratie, détour qui me paraît nécessaire d’une part dans
notre contexte politique particulier, et d’autre part tout simplement parce que la pluralité est le
premier corollaire de la démocratie. Alors, et seulement alors, nous parlerons de bibliothèques, car la
bibliothèque ne préexiste pas à la société. Elle est à son service. Il conviendra donc alors de
demander en quoi les enjeux d’une démocratie plurielle et ouverte confortent ou renouvellement
aujourd’hui le rôle social et politique des bibliothèques.
C’est donc une occasion, au sens du terme grec de kairos, qui m’est donnée d’interroger à la fois la
manière dont l’évolution de nos démocraties transforme notre métier (et notamment son rôle
politique et social) et la manière dont notre métier transforme nos sociétés démocratiques.
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
4 ©Raphaëlle Bats 2017
Partie 1 : la démocratie ?
Définitions
Il n’est pas une démocratie, mais des démocraties. Toutes les démocraties sont le reflet d’une culture
et d’une histoire sociale et politique particulière. Il en va de même de la démocratie française,
héritée des lumières, fondée par la révolution, transformée par les républiques successives (nous en
sommes à la 5ème), les guerres, la colonisation, la décolonisation, etc. Si la démocratie française
n’est pas totalement soluble dans la révolution, en revanche elle en est difficilement séparable.
J’insiste sur ce point sur lequel je reviendrais, car si la démocratie est culturelle, le regard de la
chercheuse sur ce thème l’est aussi. J’assume donc une approche de la démocratie qui me situe
culturellement.
Pour autant, il est des démocraties dans le monde entier. Il importe donc d’interroger, au-delà des
différences, ce qui donne le sens commun, compréhensible à cette expérience politique, que nous
partageons avec d’autres, celle d’être citoyens d’une démocratie. Posons-le autrement ? Peut-on
convenir d’universels qui permettent à plusieurs pays, culturellement et historiquement différents,
de s’affirmer comme autant de variation de la démocratie ? Par ailleurs, est-il des démocraties qui se
vivent uniquement en vase clos, bornées par les frontières géographiques, sans que le monde (et la
mondialisation) n’y ait un impact ? En d’autres termes, pour reprendre les termes d’Etienne Balibar,
philosophe français, je me refuse à « identifier l’espace politique à un champ purement national »,
assumant par là un certain cosmopolitisme.
Qu’est-ce donc que la démocratie et plus précisément qu’est donc que la démocratie aujourd’hui ?
Des mondes séparent la démocratie française du 19ème siècle et celle du 21ème. Repartons donc
plutôt du terme lui-même, de son étymologie, à défaut de repartir d’expériences qui seraient toutes
singulières.
• Démocratie : démos le peuple.
• Kratos/kratè : force-puissance / pouvoir-souveraineté.
Dire que le peuple a le pouvoir n’est pas un vain mot, ce n’est pas un statut, c’est un mouvement, un
mouvement par lequel le peuple choisit le sens dans lequel la société va avancer, rappelant ainsi la
proximité linguistique entre les mots « gouvernement » et « gouvernail ». La démocratie n’est pas la
description d’un régime nous donnant simplement les clés pour définir les modes d’élection, de
délibération et de prise de parole. N’en déplaise à tous les observateurs des élections, qui fondent la
démocratie sur la tenue d’élections sans fraude. Non, la démocratie est bien un mouvement par
lequel on détermine les conditions de notre vie commune, le chemin que l’on va prendre pour
parvenir à ce que nous souhaitons tous : une vie sociale, partagée, en sécurité, tout en conservant la
liberté qui nous permet de n’être ni spectateur, ni prisonnier du dessin qui se fait de notre avenir
partagé.
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
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politique
5 ©Raphaëlle Bats 2017
Oui, car la démocratie concerne toujours et d’abord l’avenir. Elle est ce mode de gouvernement,
plutôt que régime, qui nous autorise à continuer à penser le monde et à le transformer. John Dewey,
philosophe américain, décrivait ainsi la démocratie, comme ce régime qui favorise l’expérimentation
continuelle que nous sommes appelés à mener pour construire ce vivre-ensemble, dont nous
sommes en quête. Si la démocratie est-ce là et maintenant qui nous invite à construire ensemble un
avenir partagé, alors quelles relations devons-nous entretenir les uns avec les autres pour que ce
tous, ce collectif se crée un avenir ? Reprenons le modèle originel, la démocratie athénienne et
notons les conditions de ce modèle :
• D’abord la liberté : liberté de prendre part et de s’exprimer, liberté d’autant plus forte, que
nous le savons, tous les habitants d’Athènes n’avaient pas cette chance d’être libres et donc
citoyens, car esclaves, étrangers, ou femmes…
• Ensuite l’égalité : tous les citoyens étaient égaux non seulement dans le possible énoncé de
leurs idées, mais aussi dans le vote et même dans l’élection, dont je rappelle qu’elle
procédait par tirage au sort.
• Enfin la reconnaissance : les citoyens s’entre-reconnaissaient, à travers les droits et devoirs
comme con-citoyens, comme à la fois partageant et assumant collectivement la tâche de
citoyen, donc de mettre en œuvre les conditions d’un vivre ensemble sur un territoire fini.
C’est ce qu’en France, nous entendons par la notion de fraternité.
Des hommes égaux, des hommes libres, et des hommes qui se reconnaissent égaux et libres. Voilà ce
qui fonde le socle de base de toutes les démocraties, et qui est d’ailleurs inscrit dans le seul
document véritablement universel que nous ayons, à savoir la déclaration universelle des droits de
l’homme.
Bien, c’est donc écrit, fondé, signé. L’égalité est un prérequis. La liberté également. Sur le papier, ça
fonctionne. Nombre de démocraties peuvent considérer reposer sur une reconnaissance de la liberté
et de l’égalité, tout simplement en offrant une possibilité de suffrage universel pour les élections des
gouvernements (locaux ou nationaux). Alors, voilà, nous y serions, à cette démocratie rêvée,
attendue, espérée ?
Non, désolée, mais non. La démocratie ne se construit pas une bonne fois pour toutes. Dire que
l’égalité et la liberté sont les socles, ne signifie pas qu’elles existent réellement. Etienne Balibar parle
plutôt de démocratisation de la démocratie, ou de cet effort constant pour que la démocratie
renouvelle son moment fondateur, au fil de l’eau des nouvelles égalités à construire et des nouvelles
libertés à défendre. Jacques Rancière parle de démocratie inachevée, marquant par-là combien la
démocratie ne peut se figer dans une forme, qui serait l’acmé de la démocratie. Il me semble ainsi
que la démocratie demande une grande part d’utopie et d’imaginaire pour rester toujours vivante et
toujours alerte. Si la démocratie est donc ce qui ne fait pas cesser l’horizon utopique, mais au
contraire le garde en visée, alors nous devons en reconnaitre le socle fondamentalement conflictuel.
Pluralité
Qu’entends-je par-là ?
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
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6 ©Raphaëlle Bats 2017
Dire que les hommes sont égaux signifie qu’avant l’égalité il y a, non pas l’inégalité, mais la différence
des idées, des pratiques, des corps, etc. Fonder la démocratie sur l’égalité, c’est d’abord reconnaitre
qu’un peuple se construit dans le respect des distinctions de chacun et chacune. Poser l’égalité, c’est
reconnaitre la pluralité. Or qui dit pluralité, dit accords ou désaccords, dit identification à des groupes
en opposition à d’autres, dit en d’autres termes < conflit >. Attention, le conflit n’est pas la guerre,
mais l’expression de la pluralité se rencontrant elle-même. Parler d’égalité, c’est reconnaitre que la
liberté n’est possible que lorsqu’un conflit pacifique des idées est rendu possible dans une société.
C’est là, qu’arrive le pluralisme, quand une société accepte le conflit qui est en son sein et le
transforme via l’égalité et la liberté en des opportunités constamment renouvelées de construire un
monde ensemble et de se projeter dans un avenir commun.
Comment donc faire vivre la pluralité, et donc le conflit, dans nos sociétés démocratiques ? Comment
la garder vivace ? Tout d’abord, comment faire cohabiter des idées qui entrent en conflit les unes
avec les autres ? Des réponses très pratiques sont données : le pluralisme politique déjà pour
commencer, le suffrage universel, la conditionnelle ou le tirage au sort, l’alternance pourquoi pas ?
En d’autres termes, nous pouvons avoir des réponses juridiques, légales au pluralisme. Mais la
légalité ne fait pas la légitimité. La question de la légitimité peut s’entrevoir de deux façons :
légitimité des idées elles-mêmes et légitimité des citoyens qui expriment ces idées. Ces situations
appellent à des réflexions sur la connaissance et donc sur le rôle que peut avoir une bibliothèque au
service de la démocratie.
Pluralité et émancipation
D’une part, admettre la pluralité est admettre que puissent circuler dans la société des bonnes et des
mauvaises idées. Cela vous ne va pas étonner, mais il existe de mauvaises idées. En disant mauvaises,
je ne porte pas de jugement moral, je parle d’un point de vue très technique : des idées qui ne
fonctionnent pas ou des raisonnements qui ne portent pas la logique qu’on espère y voir, et son
corollaire : le « mauvais » vote... Dans une démocratie indirecte comme indirecte, la question se pose
dans la capacité de l’opinion publique à pouvoir choisir entre de bonnes et de mauvaises idées.
Evidemment la notion ici de bon ou de mauvais n’est pas moralisatrice, mais simplement utilisée
pour se faire le reflet de la critique de la pluralité et surtout de la compétence du peuple. ”Ils votent
mal.” Cette inquiétude peut dans les pires moments conduire à la limitation du droit de vote, mais
peut trouver également une réponse dans des structures dédiées à donner les clés de
compréhension des enjeux, mais aussi de construction d’un avis propre et d’une vision de la société
personnelle à chaque citoyen. Mais attention, il ne s’agisse pas de changer les idées des citoyens,
mais bien de s’assurer que c’est cartes en main qu’ils prennent des décisions pour l’avenir partagé. Je
crois que les dernières élections américaines, le brexit et les élections françaises de dimanche
dernier, sont autant de rappels que les mauvaises idées sont toujours légion et font recette. Qu’il
convient par conséquent de déployer un arsenal éducatif et culturel pour que les citoyens soient en
mesure de se construire une représentation du monde leur permettant de faire des choix éclairés.
Ainsi, le pluralisme ne suffit pas à lui-même, il doit s’accompagner pour être légitime d’un travail
d’émancipation au sein de la société. Les structures visant à la fois la connaissance et l’émancipation
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politique
7 ©Raphaëlle Bats 2017
sont des acteurs clés de la pluralité des idées dans une démocratie. La bibliothèque fait partie de ces
structures.
Pour autant la connaissance proposée dans les bibliothèques est-elle au service de la pluralité ou des
”bonnes” idées ? Est-elle au service de la transmission d’idées légitimées (du fait de leur publication)
ou au service d’une critique individuelle ou collective des idées ? En d’autres termes, la bibliothèque
est-elle dédiée à une émancipation moralisatrice et prescriptrice ou à une émancipation radicale et
potentiellement subversive ?
Pluralité et institution
D’autre part, admettre la pluralité des idées questionne la légitimité de l’expression des idées
dangereuses. Lors des présidentielles françaises, comme vous le savez, nous avons une sorte de pré-
premier tour, pendant lequel les candidats pour être reconnus comme tels doivent obtenir au moins
500 soutiens de maires. Parmi ces pré-candidats, une sorte de fou furieux, ex militaire, avait un
programme dont une des idées phares était qu’il fallait abattre toute personne portant une cagoule.
Ce n’est pas seulement une mauvaise idée, c’est une idée dangereuse ! Mais comment dans la
pluralité distinguer entre une idée qui mette en péril la démocratie et une idée qui tout simplement
nous parait une mauvaise réponse à un vrai problème (ainsi que l’avait dit Fabius à propos du Front
National et ce dont on aurait pu se passer, à mon avis) ? Si en France, la liberté d’expression a des
limites juridiques, telle que l’interdiction du négationnisme, ce n’est pas le cas dans toutes les
démocraties. Ainsi aux Etats-Unis d’Amérique il est interdit d’interdire l’expression des opinions,
toutes critiquables, fausses et dangereuses pour le vivre-ensemble soient elles. J’ai appris samedi
qu’aux USA un homme avait obtenu le droit de changer son nom pour prendre celui d’Hitler... Il sort
en ce moment au cinéma en France un film appelé « Le procès du siècle ». C’est l’histoire d’une
historienne qui est en procès contre un négationniste, qui lui demande de prouver qu’il y a eu des
chambres à gaz. Outre l’enquête scientifique à laquelle elle va devoir répondre et qui est
passionnante, un autre débat émerge de ce procès. Cette historienne, qui a gagné le procès et
permis de trouver des preuves concrètes et réquisitionnables de ces appareils d’extermination, a
tenu un discours très clair sur son opposition à ce que son contradicteur soit puni pour ses propos.
Elle affirmait que la liberté d’expression est un socle fondamental, contre lequel on ne doit pas avoir
une réponse juridique, mais scientifique et communicationnelle. Que faire donc des idées
dangereuses dans une société qui se fonde sur la reconnaissance de la liberté d’expression ? La
légitimité de la pluralité est donc peut-être conditionnée à ce que la société se donne les moyens
d’un appareil critique des idées. Il est peut-être du ressort des spécialistes de l’information :
enseignants, bibliothécaires, archivistes, journalistes, de veiller à ce que l’information puisse être
vérifiée, analysée autant qu’accessible et diffusée. Dans une société où l’information est
surabondante, ce n’est pas une tâche aisée à mener et à l’heure actuelle aux Etats-Unis, et cela
commence en France, les bibliothèques se mobilisent contre les « Fake News ».
Pour autant la bibliothèque, en tant qu’institution mettant en œuvre des politiques publiques, peut-
elle vraiment s’autoriser un rôle critique et sous quelle forme ? En d’autres termes, si la bibliothèque
permet à chacun et chacune de se construit une vision critique, peut-elle être aussi un lieu public où
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
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8 ©Raphaëlle Bats 2017
débattre collectivement des questions de société ? Le débat démocratique n’est-il pas plutôt rendu
possible par la bibliothèque que véritablement mené à la bibliothèque ? L’inquiétude concernant à la
fois la gestion du conflit en bibliothèque, mais aussi la neutralité des institutions culturelles et
l’engagement des bibliothécaires nourrit un rapport distancié à la démocratie et à la pluralité. Et est-
il possible à ces institutions de faire de ces conflits de nouvelles potentialités de connaissances et
d’émancipation, sans les institutionnaliser ?
Pluralité et espace public
Par ailleurs, quand bien la pluralité dans l’expression des idées serait assurée, elle ne serait réelle
qu’à condition qu’une pluralité d’idées ait un quelconque impact sur la société. En d’autres termes, si
la liberté d’expression et d’opinion est réelle, mais qu’une seule opinion n’a d’impact sur la
construction de la société, alors le pluralisme est un vain mot. La légitimité du pluralisme tient au
pouvoir réel de la pluralité des idées. Une société plurielle doit donc envisager aussi la mise en œuvre
de la rencontre des opinions et de la participation de ces opinions à la construction de la société,
qu’elles ne restent pas « opinions mortes ». Traditionnellement en France, cette mise en
confrontation des idées passe par l’assemblée nationale, où sont élus des députés de plusieurs
partis, permettant certes de donner une certaine coloration à l’assemblée, mais aussi de donner la
parole à de petits partis. Pour un philosophe comme Jürgen Habermas, s’en contenter, pour assurer
la visibilité des opinions des français et leur participation réelle à la construction de la société, est
réducteur. Sa conception de l’espace public ouvre des possibilités à la légitimation de la pluralité des
idées, car il s’agit un espace d’une part dans lequel les idées argumentées peuvent être rendues
publiques, et d’autre part dans lequel les lois pourraient être discutées jusqu’à faire remonter
l’opinion commune aux élus, qui en prendraient alors acte dans leurs décisions. En vérité, on peut
retrouver ce même type de lieu de débats et de délibération dans les assemblées constituantes
pendant la période de la révolution française. Or, quels lieux pourraient aujourd’hui dans nos
sociétés proposer aux individus de construire leur pensée argumentée, de la mettre en public et d’en
débattre, de collectivement produire des contenus, le tout dans une approche où une diversité des
idées serait présente ? Je pense que vous voyez où je veux en venir… La gratuité d’accès au lieu, son
positionnement sur l’information et le savoir (pour construire des arguments), son activité culturelle
et scientifique, sa proximité avec les habitants, font de la bibliothèque l’espace public par excellence,
sinon dans la réalité, du moins par principe.
Il me faut préciser quelque chose. Si j’aime prendre appui sur Habermas, c’est cependant en voyant
les limites, notamment en termes de démocratisation réelle de cette prise de parole publique (mais
j’y reviendrai juste après), en termes de doutes sur la capacité des assemblées à tenir compte dans
leurs décisions de délibérations locales, et enfin en termes de consensus versus publicité du conflit.
Pourtant, si malgré tout cela je suis attachée à cette notion d’espace public, c’est parce qu’elle
propose d’une part un engagement de la société à la mise en public des idées, à leur visibilité et donc
à leur discussion possible, et d’autre part une pensée de l’espace public comme un lieu de pratique
et non pas de passage et d’usage, mais bien un lieu de transformation du monde. Habermas redonne
ici, avec les limites mentionnées, les possibilités de penser des lieux dans lesquels les individus
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
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9 ©Raphaëlle Bats 2017
pourraient développer des pratiques collectives de pensée du monde. Si je pense que des espaces
publics pris en ce sens seraient une manière de légitimer, au sens de donner corps au pluralisme, il
n’en reste qu’il ne faille rendre ça plutôt réel qu’utopique.
Je proposais donc la bibliothèque, comme espace public parfait. Pour autant, la bibliothèque n’est-
elle pas l’espace d’un certain public plutôt que du public entendu au sens général comme l’ensemble
des habitants d’un territoire ? La bibliothèque a-t-elle réussi à se démocratiser ? Ou les projets
participatifs lui permettent-elles d’appréhender la notion de démocratisation par un autre chemin ?
Tout projet de participation citoyenne, comme l’est l’espace public habermassien, rencontre un
écueil récurrent : sa véritable accessibilité à tous. Sans maîtrise de la langue du débat, il est
impossible d’y prendre part. Sans clés culturelles pour répondre à des contre-arguments, Il est
difficile de poursuivre le débat. Enfin, sans le bon dressing-code (qui peut-être la couleur, les
vêtements, l’accent, etc.) pour être reconnu comme légitime au débat, alors la parole n’est pas
appréciée au même niveau qu’une parole plus conventionnelle. Une participation citoyenne peut se
transformer rapidement en un débat entre personnes qui maitrisent les mêmes codes, et dès lors ne
peut pas renouveler l’émergence d’idées au sein d’une société. Le pluralisme n’est possible qu’à
condition d’une véritable reconnaissance des citoyens, notamment à prendre la parole.
Cela pose la question de la capacité de la bibliothèque à reconnaitre toutes les communautés et à
faciliter leur empowerment ou accroissement de leur capacité à agir. Les bibliothèques sont-elles
suffisamment intégrées dans leur territoire pour qu’elles puissent véritablement être un espace
public, dans lequel les habitants acquièrent du pouvoir ? Peut-on transformer en profondeur les
formes et processus de démocratisation, ce que l’on voit peut-être dans l’émergence de concepts
tels que celui d’inclusion ?
Pluralité et sociabilité
Enfin, cette pluralité au sein du peuple relève de la capacité de la démocratie à faire un peuple, à
penser une communauté unie malgré ses diversité et par là-même fonde la possibilité d’un vivre-
ensemble constamment renouvelé. En France, l’unité du peuple repose sur la notion de nation, mais
penser que la nation efface toutes les distinctions revient d’une part à ne pas comprendre le coeur
de certaines lois, comme celle de laïcité, et d’autres part à défaire notre héritage révolutionnaire.
Comme le rappelait Sophie Wahnich, pour les révolutionnaires, étaient français tous ceux qui
luttaient pour la liberté et l’égalité. C’est sur ce socle révolutionnaire que la France a reçu son titre de
terre d’accueil. En des temps d’afflux massif de réfugiés, et notamment de réfugiés musulmans, la
question de l’accueil et donc du peuple se voit questionnée. Ouvertes à tous, pour tous usages, y
compris les moins attendus, les bibliothèques se placent volontiers du côté de l’accueil.
Pour autant cet accueil est cependant balancé par des situations de conflits entre usagers légitimés
par leurs usages (lecture notamment) et usagers rendus moins légitimes de par leurs corps (odeur et
saleté dans le cas des SDF, mais aussi cris et comportements pour les publics handicapés psychiques)
et leurs usages (recharger son téléphone et contacter sa famille sur internet pour les réfugiés ou tout
simplement pour ceux n’ayant pas de connexion, se laver dans les lavabos pour les SDF, etc.). Notre
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
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10 ©Raphaëlle Bats 2017
époque questionne les lieux d’accueil, leur hospitalité, leur convivialité et leur capacité à créer du
lien entre les différents usagers, à créer de la solidarité. Les bibliothèques se sont-elles saisies de la
notion d’hospitalité comme elles se sont saisies avec un certain enthousiasme de la notion de
convivialité, à travers le modèle de bibliothèque 3ème lieu ? Par ailleurs, comment les bibliothèques
travaillent à la reconnaissance mutuelle des différentes communautés ?
Cela nous amène à deux réflexions sur la notion de citoyenneté. Reconnaitre les citoyens, ne peut se
faire qu’en leur ajoutant du pouvoir, du pouvoir d’agir dans la société. Sinon, c’est peut-être
reconnaitre leur égalité, leur différence, leur présence, mais sans pouvoir d’agir, on n’en reconnait
certainement pas la citoyenneté. La manière dont nos sociétés démocratiques s’attèle à favoriser
l’empowerment des plus minoritaires, des plus invisibles, des exilés de la citoyenneté est une
condition du pluralisme. En d’autres termes, l’égalité est toujours une égalité devant l’action
politique. L’autre réflexion à tenir sur le sujet concerne ce que borne le mot citoyenneté. Si un
citoyen est celui qui prend part active à la transformation de la société, alors tout habitant d’un
territoire en est potentiellement citoyen, si on lui en donne les moyens. Se pose alors la question de
la relation entre citoyenneté et nationalité. A mon sens, les lier par une relation conditionnelle crée
des territoires inégaux, surtout si la citoyenneté est réduite au droit de vote. Si la citoyenneté est un
ensemble d’actions politiques que des habitants vont mettre en commun pour transformer leur vie
partagée, alors la nationalité n’est pas une condition nécessaire et le vote n’est qu’une opportunité
parmi tant d’autres d’agir. Là encore, je pense que les bibliothèques sont une des réponses possibles
à cet enjeu du pluralisme, qui est celui de la reconnaissance de toutes les communautés et de leur
capacité à agir. Les bibliothèques sont des acteurs de la société civile, ce sont des acteurs de la
citoyenneté. J’ai dernièrement visité une toute petite bibliothèque en Colombie. La responsable nous
a parlé d’une session de nettoyage d’un lieu de pèlerinage proposée au quartier et qui a réuni 32
personnes, 32 personnes qui ont marché pendant 6 heures (aller et retour) pour aller faire un acte
citoyen. La bibliothèque a aussi ce rôle d’impulser des dynamiques dans lesquelles les citoyens
retrouvent par des chemins divers une reconnaissance de leur rôle politique et citoyen et une
réappropriation de leur territoire.
Vous l’aurez compris, je crois que les bibliothèques sont une des clés pour une démocratie plurielle,
qui donne corps aux conflits qui nous traversent, tout en donnant sens à l’égalité et à la liberté et en
renouvelant l’instant fondateur de la démocratie.
C’est bien de croire. C’est encore mieux de voir comment concrètement les bibliothèques
aujourd’hui se saisissent de ces enjeux : d’émancipation, d’institution confrontée à la liberté
d’expression, d’espace public et de sociabilité.
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
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11 ©Raphaëlle Bats 2017
Partie 2 : transformation du rôle des bibliothèques
L’émancipation
Je voudrais commencer avec la question de l’émancipation, celle-ci relève de cette fonction du rôle
politique et social de la bibliothèque qui consiste dans le « faire-société ». Héritière de la révolution,
mais aussi du 19ème
siècle et des bibliothèques populaires, la bibliothèque se veut, comme la décrivait
Eugène Morel (bibliothécaire français du début du XXe siècle et dont l’essai sur la bibliothèque
publique a marqué le projet à venir de développement de la lecture publique en France), la
bibliothèque disais-je, se veut éminemment politique : lieu de rassemblement, lieu de
compréhension du monde, elle offre à chaque membre de la société l’opportunité de construire sa
place dans la communauté et de participer avec celle-ci à la construction d’une société, à savoir un
espace de vie en commun. D’ailleurs, en l’absence de lois des bibliothèques en France, le Manifeste
de l’Unesco pour les bibliothèques publiques nous sert bien souvent de document permettant
d’afficher et d’affirmer ce rôle. Au lendemain des attentats de janvier 2015, la bibliothèque
de Hérouville a ainsi présenté une exposition combinant dessins de presse post-attentats et texte du
Manifeste, inscrivant ainsi le rôle de la bibliothèque dans la défense de la liberté d’expression comme
justifié par ce texte. Celui-ci annonce des missions tout à fait politiques. Certes, le Manifeste se garde
bien de parler de démocratie, car certains pays de l’IFLA n’en sont pas. Pourtant, les missions listées
ne prennent vraiment sens qu’en démocratie : pluralité, ouverture, accessibilité…, que l’on peut
résumer par les mots : « mission d’émancipation du citoyen ».
Les exemples de la manière dont les bibliothèques mènent cette mission sont nombreux. Je voudrais
prendre un exemple très frais, autour des élections. Camille Hubert, de la BM d’Epinal et qui parlera
cet après-midi, m’a demandé il y a quelques temps si des bibliothèques menaient des actions
spécifiques pour les élections, pour donner accès aux documents des différents partis ou des
documents qui font référence pour ces partis, et comment cela pouvait se conjuguer ou pas avec
notre neutralité. Je précise que je ne vais pas parler ici de neutralité, car ce sera l’objet de la partie
suivante. Je reviens à la question de Camille. N’ayant que peu ou pas d’exemples sous la main, j’ai
demandé à Twitter : « BP, BU, BDP, est-ce que vous présentez des tables de sélections présentations
de docs liés aux élections ? Merci ! ». Un collègue de BM a ajouté la question subsidiaire suivante :
« Avez-vous un budget dédié pour acheter les livres programmatiques.» Nous avons eu plusieurs
réponses dont des BM et des BU qui font des tables de présentation de documents et parfois avec
une cote flottante (BM Toulouse), une BU (école centrale) qui fait une compilation storyfy, d’infos
twitter autour de l’actualité des élections, une BM du coin d’ailleurs propose une sélection de
ressources numériques sous forme de carte mentale, une BU de socio qui propose une table sur les
mécanismes du vote, l’abstention, etc. enfin d’autres ne font pas de tables car les ouvrages (de tout
le spectre électoral) sortent trop rapidement.
Voici un exemple, mais nous en aurions 1000, 10000, 100000, car il s’agit là du cœur de métier des
bibliothèques, proposer des collections plurielles (je reviendrai plus loin sur la réalité de la chose),
permettant de se développer un esprit critique, participant ainsi à la possibilité pour chaque citoyen
de se construire un rapport au monde qui lui soit propre et qui lui donne les moyens de faire des
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12 ©Raphaëlle Bats 2017
choix concernant son action dans la cité (le vote ou autre). L’évidence est là. Les bibliothécaires en
sont convaincus, notre rôle est là. Politique et social, par principe, puisque faire société est bien une
action citoyenne.
Mais ne nous en contentons pas. Intéressons-nous plutôt à la manière dont cette émancipation me
semble actuellement se transformer. Car il faut le reconnaitre, ce qui était sous-entendu dans
l’émancipation par la documentation est la place bien particulière du bibliothécaire dans le
processus. Prescripteur, il ou elle choisit de construire une collection susceptible d’émanciper. Si la
bibliothécaire est dans le processus d’émancipation, c’est en tant que déjà émancipée, capable de
définir les besoins des non émancipés. L’émancipation, telle que construite dans les formes
habituelles éducatives et culturelles, est souvent basée sur une inégalité fondamentale concernant le
savoir : celui ou celle qui l’a et celui ou celle qui ne l’a pas. Le second ayant besoin du premier.
Dans les différentes terrains que je suis, le projet Démocratie à la bibliothèque municipale de Lyon, le
projet sur la formation à la citoyenneté à la bibliothèque départementale du Nord, et différents
projets sur le pluralisme et la laïcité dans des bibliothèques municipales françaises, j’ai été frappée
par le fait que les bibliothécaires reconnaissaient avec beaucoup de douleur mais de clairvoyance la
limite de cette émancipation descendante. Beaucoup de douleur, parce que cette vision s’est
développée au lendemain des attentats de Janvier 2015 en France.
Comme je l’ai écrit par ailleurs,
****1
si les attentats ont touché les bibliothécaires (en tant que spécialistes de l’information), c’est bien
entendu en lien avec le cœur de l’attaque qui visait la liberté d’expression, de culture, de la presse,
mais c’est aussi à mon sens parce que la nationalité française des terroristes, c’est-à-dire d’enfants
de France, nourris aux mêmes slogans républicains que le reste de la nation, éduqués dans les
mêmes écoles et ayant accès aux mêmes bibliothèques, qui ont pu se fourvoyer à un point aussi
violent et sanglant dans l’analyse, la compréhension et la définition des modes d’action politique, qui
placent notre existence partagée sous le signe de la démocratie souligne pour les spécialistes de
l’émancipation, que sont les bibliothécaires, un échec du processus d’émancipation, qu’il convient de
chercher à résoudre.
Un des premiers points ressortant des entretiens est justement l’incapacité à proposer une solution.
Un grand nombre de bibliothécaires ont manifesté leur difficulté à définir leur action, une fois la
réaction émotive passée, ou plutôt une fois la réponse bibliothéconomique standard donnée. Ainsi
les sélections et les tables de présentation de documents sur l’islam ou la laïcité sont proposées par
habitude, plutôt que par conviction d’une utilité. Elles sont présentées comme des actions
obligatoires, qui ne résolvent pas le problème. Le manque de foi dans ces actions habituelles nous
1
Note : les paragraphes encadrés par des *** sont extraits d’un article en cours de publication.
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13 ©Raphaëlle Bats 2017
parait le signe d’une remise en question profonde d’une conception de l’émancipation qui
consisterait à transmettre les bons documents au bon moment.
Dans le texte de David Lankes, qui a beaucoup ému les bibliothécaires français par les pistes qu’il
donnait de réactions possibles face aux attentats, la première action décrite était celle qui avait lui-
même mené dans sa bibliothèque en 2001 après les attaques à New York, à savoir créer des listes de
documents permettant de mieux connaitre et comprendre l’islam. Les autres actions décrites,
notamment celle de Ferguson, étaient de nature différente. Dans ce cas où la bibliothèque décide de
jouer un rôle dans une ville en pleine émeute sans obéir à l’injonction de fermeture venue de la
mairie, c’est la question de la résistance, du partage des difficultés avec les habitants (l’école s’est
tenue dans la bibliothèque, évitant aux enfants de trainer dehors) et du sens de la communauté qui a
alors prévalu sur la fonction documentaire de la bibliothèque. Si en 2001, la bibliothèque se veut un
lieu d’information avant tout, en 2015, elle se présente comme partie prenante de la communauté.
Dès lors, on ne s’étonnera pas que les tables de sélections et donc l’émancipation descendante
n’aient pas suffit aux bibliothécaires pour remplir leur besoin d’action.
Par ailleurs, réunir de l’information sur un sujet nécessite soit une certaine expertise sur le sujet, soit
au moins un certain regard sur le sujet qui permet de sélectionner l’information. Or, au lendemain
des attentats, le doute semble avoir envahi les bibliothécaires : et si finalement on ne savait pas ce
que signifiait le pluralisme ? Et dans ces conditions, plusieurs interviewés se demandent comment se
positionner comme facilitateurs de compréhension d’une situation qui les dépasse eux-mêmes ? Plus
encore, ne manque-t-il pas aux bibliothécaires pour transmettre de l’information une bonne
compréhension de ce qui marque la différence entre leur propre analyse de la situation et celle de
leurs publics ? C’est ce trouble sur la connaissance même d’une institution qui a pour vocation à
transmettre de la connaissance, à émanciper par la connaissance, qui nous laisse entrevoir une
forme renversée d’émancipation dans laquelle public et bibliothécaires sont dans un même cas,
sinon d’ignorance, du moins de défaut de connaissance.
****
Enfin, ajoutons à cette équation le développement des pratiques participatives en bibliothèque. La
participation propose de fait une nouvelle réflexion sur le savoir et la connaissance, mais aussi sur
l’expertise. Dans la participation, se côtoient les connaissances légitimées, par leur acquisition par la
bibliothèque, les connaissances expertes des bibliothécaires, sur leur métier, sur le service public, sur
le fonctionnement des administrations publiques, et les savoirs mobilisés par les participants, savoirs
qui peuvent être manuels, professionnels, maternels, d’usage, etc. Un exemple est celui des
acquisitions participatives, un autre diamétralement opposé est celui de la bibliothèque vivante.
L’introduction de nouveaux savoirs et donc de nouveaux sachants en bibliothèque est donc
également susceptible de renouveler les formes d’émancipation proposée par la bibliothèque.
Ce renouvellement est selon nous à rattacher au travail de Jacques Rancière sur l’émancipation,
mené dans l’ouvrage « Le maître ignorant. ». Dans ce livre, Rancière présente le cas de Jacotot, un
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14 ©Raphaëlle Bats 2017
révolutionnaire exilé aux Pays-Bas et qui en situation de devoir enseigner le français à un public ne
parlant pas français et lui-même ne parlant pas le néerlandais, va développer une conception de
l’émancipation basée sur l’ignorance. Pour faire court, ce texte nous amène à penser que
l’émancipation est d’abord un acte de liberté, dans lequel on se désengage de catégories dans
lesquelles on préexistait, et que cette émancipation est facilitée par une impulsion donnée non pas
par un maitre sachant, mais par un individu ayant déjà expérimenté sa propre émancipation. Pour
nous bibliothèques, cela voudrait dire qu’en découvrant notre propre ignorance ou nos défauts de
connaissance et en y faisant face en construisant à nouveau notre émancipation vis-à-vis des idées
qui nous portaient précédemment, nous nous mettons en situation de proposer à nos publics de
revivre notre propre expérience et non pas simplement d’avoir accès au résultat de notre
émancipation.
Donner à vivre l’expérience de l’émancipation implique au moins les points suivants :
 Une certaine humilité
 La reconnaissance d’une égalité dans le fait d’être toujours en train de s’émanciper et de ne
pouvoir émanciper l’autre que par la présentation de son processus plutôt que du résultat
 Une emphase de toutes les actions en bibliothèques dans lesquelles publics et bibliothécaires
sont dans une position égalitaire : partageant un même objectif, découvrant les mêmes
questionnements, etc. Par exemple, les projets participatifs.
Attention, en disant je ne choisis pas du tout de déplacer les collections du cœur de notre métier vers
une périphérie. Au contraire, je pense que nos collections doivent d’une part s’enrichir de ces
expériences d’émancipation et d’autre part doivent les accompagner à tout moment. Ainsi, je pense
que c’est le mode d’accès à la collection qui doit être transformé. Je travaille actuellement sur un
projet qui vise à créer une interface permettant de faire des liens entre les activités proposées par
une bibliothèque et le catalogue, pour que la collection soit toujours au cœur du processus
d’émancipation, mais pas nécessairement sous une forme prescriptive.
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15 ©Raphaëlle Bats 2017
Débat démocratique et institution
J’en viens maintenant au point suivant sur le débat démocratique, le conflit et l’institution. La
question posée en préambule était la bibliothèque, en tant qu’institution mettant en œuvre des
politiques publiques, peut-elle vraiment s’autoriser un rôle critique et sous quelle forme ? Comment
donc combiner ce statut d’institution, le débat démocratique et la liberté d’expression ?
En vérité, les bibliothèques organisent souvent des débats, mais dans les entretiens menés lors de
mes terrains, il apparait une certaine restriction liée au contenu du débat. Je voudrais prendre un
exemple lié à la collecte Bibenaction. Les actions de type débat ont finalement été plus que
minoritaires. Si cette collecte n’est pas exhaustive, elle permet cependant de mettre en lumière des
différences entre les types d’actions et de pointer aussi des absences. Les débats semblent faire
partie de ces actions qui ont été moins menées que l’on ne s’y attendait.
Une première raison se comprend au vu du calendrier des actions. Si la plupart des actions
bibliothéconomiques se sont mises en place dès le mois de janvier, les autres actions de type débat
ou même formation interne ont plutôt été organisées après le printemps. Le fait est que ce sont des
actions qui d’une part ont besoin d’un certain temps d’organisation et d’autre part dont le besoin
s’est d’autant plus fait ressentir que l’insatisfaction liée aux actions bibliothéconomiques se faisait
forte. Ainsi, on verra plus de débats ou de temps de réflexions organisés pendant le second semestre
2015, mais aussi dans l’année suivante en 2016, année qui ne fait pas partie de notre champ d’étude.
Une seconde raison à la faible présence des débats est l’inquiétude liée à la forme même de
l’exercice qui implique de mettre en confrontation des idées. Au-delà de ce que j’ai dit
précédemment sur la connaissance des termes du débat, c’est la crainte du conflit qui est souvent
convoquée comme argument pour ne pas en organiser. Plusieurs bibliothécaires m’ont dit ne pas
avoir souhaité volontairement mettre en place d’actions de type débat, surtout autour des religions
ou de la laïcité. La seule qui en ait organisé a bien précisé qu’il ne s’agissait pas de débats, mais d’une
rencontre avec des experts. D’autres encore relèvent leur évitement du sujet. L’argument évoqué à
chaque fois est celui d’une inquiétude liée à des conflits potentiels.
Certains interviewés parlent d’autocensure en exprimant leur crainte d’un conflit contrariant et
contraignant bien qu’hypothétique avec des élus soucieux d’éviter dans la bibliothèque, lieu culturel,
des débats politiques. De fait, un des établissements interviewés m’a expliqué qu’après avoir affiché
partout dans la bibliothèque « Je suis charlie », ce qui à mon avis n’est pas neutre, mais avec l’accord
de la mairie, ils avaient voulu faire un débat sur les religions. Le maire leur a alors répondu : « Ici, on
ne fait pas de politique». De la même manière, à Lyon, pendant le projet Démocratie, la bibliothèque
a été plusieurs fois amenée à des discussions avec la mairie notamment sur les documents de
communication. Sur l’un d’entre eux, la bibliothèque avait rédigé un éditorial signalant que notre
époque parle volontiers de crise de la démocratie, soulignant par-là, non pas leur point de vue, mais
un discours général. La mairie leur a demandé de reprendre le document estimant qu’il n’était pas du
ressort de la bibliothèque de tenir un discours politique.
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16 ©Raphaëlle Bats 2017
Une institution politique ?
Mais soyons clairs, les élus ne nient pas que la bibliothèque soit une institution politique, mais qu’elle
ait une fonction politique. Car, on ne doutera pas que la bibliothèque soit une institution et
notamment dans le regard du public. Or qui dit institution, dit référence à l’Etat ou à quelque chose
d’aussi stable et fixe, et donc à une certaine représentation de la politique. Comme le rappelle
Christian Jacob : « Le pouvoir des bibliothèques ne se situe pas seulement dans le monde des mots et
des concepts. Comme Alexandrie le signifiait déjà clairement, la maîtrise de la mémoire écrite et
l’accumulation des livres ne sont pas sans significations politiques. Elles sont signe et instrument de
pouvoir. » Dès lors, il n’est pas étonnant que les bibliothèques se voient étroitement surveillées dans
certains pays (sans aller très loin, les bibliothèques françaises des villes du front national dans les
années 90 ont été le lieu de ce type de censure dans les collections), mais aussi qu’elles soient
confondues avec l’exercice du pouvoir. Ainsi, régulièrement, dans les moments révolutionnaires, les
collections des bibliothèques sont mises à sac, soient qu’elles soient trop représentatives d’un
discours dictatorial, soient qu’elles soient simplement identifiées comme un des éléments d’une
institution que l’on cherche à faire rompre. Rappelons-nous en Egypte où pendant le printemps
arabe, certaines bibliothèques, telles que l’institut d’Egypte, fondée par Bonaparte au Caire, ont été
saccagées, quand d’autres, telles que la Bibliothèque d’Alexandrie, ont été préservées et protégées
par des manifestants, qui ont fait une chaine humaine devant la bibliothèque.
Par ailleurs, la bibliothèque dans le lien qu’elle entretient ne serait-ce que de manière administrative
avec des politiques publiques est non seulement un lieu dans lequel ces dernières s’exercent, mais
aussi un lieu où ces dernières sont représentées. Ce mode politique de la bibliothèque est d’ailleurs
tout à fait reconnu par les bibliothécaires, d’une part parce que la gestion administrative de leur
établissement ne leur permet pas de la mettre de côté et d’autre part parce que la vocation même
de la bibliothèque s’exprime comme service public tout autant que service au public. Cela est tout à
fait manifeste dans des actions menées par les associations professionnelles, parmi lesquelles on en
prendra pour exemple le congrès de l’Association des Bibliothécaires de France de 2012 « La
bibliothèque, une affaire publique » et par l’invitation, pour chacun de ses congrès, du ministère de
la Culture et de la Communication et des élus locaux d’introduire le congrès rappelant ainsi
l’intégration des bibliothèques sur un territoire public et politique. La bibliothèque est donc
également pensée et comprise comme en lien étroit avec les politiques publiques portées par les
territoires ou par l’Etat et les différents ministères en charge d’élaborer et de définir la lecture
publique, la culture ou l’éducation.
Le statut d’institution politique ne fait donc aucun doute, quant à la fonction. Pourtant on ne
s’étonnera pas outre-mesure que les élus aient du mal à comprendre notre fonction. Sans texte de
loi permettant de décrire clairement le rôle et la vocation des bibliothèques, les élus en sont amenés
à comprendre de la bibliothèque à travers seulement ce que nous voulons bien en montrer et en
faire. Certes, il existe des textes, mais d’une part sans valeur juridique et d’autre part avec des
relations à la question politique plus ou moins clair. Ainsi le texte de 1991, la charte des
bibliothèques du Conseil supérieur des bibliothèques, proclame en article 3 : « La bibliothèque est un
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17 ©Raphaëlle Bats 2017
service public nécessaire à l’exercice de la démocratie. Elle doit assurer l’égalité d’accès à la lecture
et aux sources documentaires pour permettre l’indépendance intellectuelle de chaque individu et
contribuer au progrès de la société »(Conseil supérieur des bibliothèques (CSB), 1991). Les textes des
années 2010 sont en revanche moins clairs. Le manifeste de 2012 intitulé « La bibliothèque est une
affaire publique », liste les raisons de l’utilité des bibliothèques, parmi lesquelles n’arrivent qu’en
dernière position les rôles de lieux de débats et d’espace public de la bibliothèque (Association des
Bibliothécaires de France- ABF, 2012). Lieux de débats, la bibliothèque y est présentée comme lieu
d’animation de la vie citoyenne. Espace public, la bibliothèque y est présentée comme un lieu de
rencontre et de diversité, loin de la notion habermassienne, plus centrée sur la discussion et
l’argumentation. Quant à la charte Bib’Lib’, de 2015 (ABF, 2015), si tout un éventail de notions
politiques sont présentes : le pluralisme, la participation, le débat citoyen, les communs, la diversité,
le mot démocratique n’est en revanche utilisé que pour mentionner la mise en œuvre par les
bibliothèques de politiques publiques débattues démocratiquement. Les bibliothécaires semblent
affirmer un rôle politique, sans oser y mettre un nom dessus. Ainsi, les raisons de la participation
sont celles du droit à la formation tout au long de la vie.
Si donc les bibliothécaires n’ont pas de textes de références pour assumer leur rôle politique, il
s’agirait de poser la question suivante : le veulent-ils ? La fonction politique de la bibliothèque,
l’émancipation est-elle toujours la mission que les bibliothécaires se reconnaissent porter ? Or
chaque interview le montre positivement. Mieux encore, certaines interviews ayant eu lieu à des
dates éloignées (1 an) ont montré tantôt une réponse négative envers l’émancipation et l’année
suivante un attachement fort pour cette notion, avec cependant une réflexion poussée sur ses
limites (Itw 5). C’est qu’assumer ce rôle est aussi endosser une certaine responsabilité, notamment
celle de le défendre et de savoir le présenter. Le nouvel engouement pour l’advocacy (Verneuil &
Chaimbault, 2016) en France demandera une attention particulière pour que ce rôle ne soit pas
simplement noyé dans une volonté des bibliothécaires de garder leurs budgets.
Neutralité
Cette séparation entre institution politique et fonction politique, nous ramène finalement à la notion
de neutralité. Qu’en est-il de la neutralité des bibliothèques ? Est-elle réelle ? Et la réflexion sur la
neutralité peut-elle nous amener à avoir une approche différente de l’institution bibliothèque ?
La neutralité commence avec les collections et leur pluralité. Si le rôle des bibliothèques est
l’émancipation du citoyen, alors oui, nos collections doivent aussi refléter des idées qui nous
paraissent les moins propices à la construction d’une société d’égalité, de liberté et de fraternité.
Mais est-ce le cas de nos bibliothèques ? Je ne le crois pas. Désolée. Après les attentats, plusieurs
bibliothèques se sont réabonnées à Charlie Hebdo, s’en étant donc désabonnés des années avant par
crainte des polémiques et autres conflits potentiels pouvant émerger. En d’autres termes, la
neutralité des collections est aussi un moyen d’éviter un conflit qu’on ne sait pas gérer ou qu’on ne
reconnait pas comme fondamental dans notre société, ou comme une véritable affirmation du débat
public. Si tel était le cas, on trouverait des collections bien plus plurielles qu’elles ne le sont en vérité.
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18 ©Raphaëlle Bats 2017
En 2014, les bibliothèques ont été interpellées par des groupes d’extrême droite sur les documents
concernant l’égalité de genre dans les fonds jeunesse, j’avais été amenée à l’époque à intervenir sur
ce point dans différents médias. J’avais alors été interpellée (directement) par un site d’extrême-
droite catholique, qui me disait : « ah oui, et nos livres alors ? Ils sont où dans vos bibliothèques ? ».
J’ai eu un peu de mal à l’admettre, mais ils n’avaient pas tort. De la même manière, nombre de
bibliothécaires me disent refuser d’acheter certains ouvrages plutôt de droite, tendancieux, assez
extrémistes. Certains reconnaissent même chercher davantage des arguments pour défendre leur
bon droit de ne pas les acheter que des arguments pour les intégrer dans leurs fonds.
Comme le souligne Allnutt, dans son mémoire sur les bibliothèques et la censure, « (…) dans les faits,
les bibliothécaires seraient bien plus des gardiens du consensus social que des défenseurs acharnés
de la liberté d’expression. » (p 126).
Or, je l’ai dit le conflit fait partie de notre démocratie et vouloir le nier, c’est refuser l’héritage que
nous laisse la révolution française ; c’est reconnaître la république plutôt que la démocratie. Cela me
gêne. Cela me gêne, parce que je crois que nous sommes au service de la démocratie et du débat
d’idées. Je pense donc que nos collections doivent être le plus neutre possible (la neutralité parfaite
est impossible, nous sommes humains tout de même). En revanche, je pense aussi que si vraiment
nous voulons émanciper les citoyens, nous devons rendre possible l’échange entre les idées, et
accompagner cela d’un vrai travail documentaire de décryptage, d’analyse, etc. En d’autres termes,
«égalité, liberté et fraternité » devraient être nos mots d’ordre dans la médiation, et c’est par cette
médiation que la coexistence de documents d’obédiences différentes dans les bibliothèques trouvera
son sens démocratique. La neutralité est donc nécessaire dans nos collections, parce que nous avons
un métier qui est engagé dans bien plus que la collection, engagé dans la définition de notre mode de
vivre ensemble. Il convient donc de nous réapproprier vite ces valeurs démocratiques, des valeurs
plutôt révolutionnaires et donc fondamentalement subversives.
Car, oui, la bibliothèque doit être neutre, mais pas le bibliothécaire. Il doit être engagé, porté par des
missions de service public. J’aime à parler d’institution insurgente (pour faire référence à Miguel
Abensour) quand je parle de bibliothèques. La bibliothèque, par l’action du bibliothécaire, est une
institution garante de la possibilité constamment renouvelée de l’insurrection, c’est-à-dire du
renversement de ce qui nous opprime (renversement qui n’a pas besoin d’être violent). J’ai parlé
précédemment de la déclaration universelle des droits de l’homme, par rapport à la déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1793 (et non celle de 1789), cette déclaration universelle fait
l’impasse sur l’article de celle de 1793 concernant l’insurrection, article qui sous une autre forme
figure aussi dans la déclaration d’indépendance américaine, à savoir que si la liberté est à nouveau
perdue, si le peuple est à nouveau assujetti, alors il lui est légitime de rejeter le gouvernement et de
revivre l’acteur fondateur de l’égalité entre les hommes. Poser l’insurrection dans ces déclarations,
n’est pas faire l’apologie de la guerre civile, mais c’est interroger la place et la valeur de la liberté et
de l’égalité et annoncer l’imminence du pluralisme. Dire que la bibliothèque est une institution
insurgente, c’est dire qu’en tant qu’institution elle porte en elle-même les conditions de sa remise en
question, par la mise à disposition de tout ce qui peut amener le peuple à faire entendre sa voix.
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19 ©Raphaëlle Bats 2017
La bibliothèque une institution au service de la liberté : cela passe par la liberté de penser (et donc la
neutralité des collections) et cela passe aussi par un engagement politique fort des bibliothécaires.
Pour cela, je crois qu’il nous faut retrouver le chemin d’une culture politique des bibliothécaires.
Culture qui gagnerait à se doter d’une approche critique, et je ne parle pas de cette critique facile
que l’on peut faire sur les RSN, mais d’approche critique des concepts, des termes, des mots-clés de
notre profession, au sens d’une Critical LIS (Library and Information Science). Culture politique qui
passe aussi par « "remettre l’engagement du bibliothécaire comme une valeur forte de la profession
et retrouver ces héros, hérauts de nos actes de résistance, hérauts de notre participation à la
politique en œuvre, à la démocratie en train de se faire (des gens comme en France Eugène Morel ou
Julien Cain) ».
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20 ©Raphaëlle Bats 2017
L’espace public
J’en viens à mon troisième point. Je proposais donc la bibliothèque comme espace public parfait,
tout en soulignant combien sans démocratisation, cet espace reste hypothétique.
Avant d’en venir à sa démocratisation, je voudrais vous parler d’un exemple d’action menée en
bibliothèque et qui pour moi relève vraiment de l’espace public.
La bibliothèque municipale de Jean Macé, du réseau de la BM de Lyon, a organisé une nuit de la
démocratie dans le cadre du projet démocratique. Avec beaucoup d’humour, ils en expliquent le
titre : bibliothèque, nuit, démocratie. L’objectif était l’apprentissage des débats argumentés, via des
outils type rivières du doute, bâton de parole, tout en proposant aux usagers de discuter du
désherbage à venir à la bibliothèque. Sujet risqué !
 Les élections
 Le sketch
 Les équations
 Les courses au désherbage
 Les débats
Il me faut peut-être préciser qu’il y avait 70 personnes. J’en ai interviewé 8, qui venaient de quartiers
différents de la ville, des âges allant de 14 à 75 ans, des non-usagers, des usagers ponctuels et des
grands habitués…
Cet exemple ne nie cependant pas que la bibliothèque ne parvient pas toujours à être l’espace public
qu’elle souhaiterait être.
Des espaces publics
Mais il me faut être honnête. Bien sûr, mon discours est très orienté. Les bibliothèques ne sont pas
l’unique espace public.
Il est vrai qu’il est un autre espace qui porte les caractéristiques que j’ai relevé précédemment : c’est
Internet. C’est ouvert, c’est gratuit, chacun peut y construire puis y exposer ses idées, elles sont
rendues publiques.
Pour certains penseurs de l’espace public, la rue, les parcs, les bancs publics sont autant d’espaces
publics, entendus comme des lieux de rencontre, qui peuvent amener vers une mise en commun des
usages, des différences. Je ne suis pas totalement en accord car il me semble qu’un espace public
doit proposer aussi un ensemble de connaissances et d’arguments. L’espace public Habermassien est
plutôt un lieu pensé comme lieu de pratiques, alors que leur espace est un lieu de rencontre, plutôt
basé sur la sociabilité que l’émancipation et la participation, en d’autres termes. Dans les deux cas,
l’espace public se voit reconnaitre une fonction de modification de la société, soit parce qu’elle
permet la publicité des arguments et favorise les délibérations, soit parce qu’elle permet la mixité
sociale.
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21 ©Raphaëlle Bats 2017
De fait, c’est une des limites de l’espace public qu’est la bibliothèque, sa capacité à véritablement
diversifier ses usagers. Il serait donc intéressant pour la bibliothèque, non pas seulement de se
penser comme espace public, mais de se penser comme devant intervenir sur tous les espaces
publics et de les investir pour y porter aussi les voix les moins entendues, les moins présentes et
souligner l’importance de la connaissance et de l’argument.
Les bibliothèques sont déjà actives, de manière sporadique, mais réelle sur les espaces publics de la
ville. Des bibliothèques investissent les marchés. La BM de Dunkerque a monté un partenariat avec
un théâtre et tient une permanence dans le bar du théâtre. La bibliothèque municipale de Lyon a
organisé un très beau projet, appelé Démocratie, dans lequel le point d’orgue de l’événement, un
forum, se situait sur des places publiques, dans la rue, où y étaient organisés des ateliers, des
conférences, des présentations... Pendant les Nuits debouts, la bibliodebout investissait les places
publiques et continue de le faire, dans certains endroits, quand la contestation-elle s’est éteinte.
Aller sur la place publique, qu’elle soit physique ou virtuelle, c’est renverser les perspectives. C'est
dire que la bibliothèque est au service du peuple, là où sont les habitants, pas en un lieu qui est
parfois peu rassurant et renvoie parfois à un sentiment fort d’illégitimité. Alors comment renverser
cette perspective ? Je voudrais parler ici de la bibliothèque participante.
La bibliothèque participante est le renversement de la bibliothèque participative. Pour nombre de
bibliothécaires aujourd’hui, il suffirait de proposer des actions participatives pour que le public afflue
à nouveau dans nos espaces. Au-delà du fait qu’on ne fait de participation pour accroitre ses
statistiques sous risque d’en rester au barreau manipulation de l’échelle de la participation de Sherry
Arnstein, c’est à mon sens prendre les choses à l’envers.
Plutôt que de chercher à créer une bibliothèque participative, nous pourrions penser plutôt des
bibliothèques participantes, qui s’intègrent pleinement dans les projets culturels ou non de leurs
territoires. Je prends un exemple que j’utilise souvent. Si dans votre ville, il y a une association de
cirque qui propose annuellement un spectacle. Vous pouvez attendre les affiches du spectacle, pour
en découvrir le thème (disons la savane) et faire une sélection d’ouvrages sur ce thème, sélection
mise à disposition du public qui vient à la bibliothèque, ou d’un public plus large via les réseaux
sociaux numériques et votre site web. Pourquoi ne pas penser les choses en amont, et se rapprocher
de l’association de cirque pour accompagner d’un point de vue documentaire le projet tout au long
de l’année et de la création du spectacle ? La fonction documentaire du bibliothécaire prendrait alors
un double sens : intégrée dans un projet local en accompagnement aux acteurs locaux et réinjectée
dans les collections et leur valorisation en direction de publics plus habituels. C’est ce qu’on appelle
le bibliothécaire embarqué ou intégré (Embedded librarian). Cela me semble une piste à suivre, qui
implique de faire corps avec son territoire.
Cependant, quand j’interroge les bibliothécaires sur leurs réseaux, ils citent rarement les habitants
eux-mêmes, quand je leur demande s’ils vivent dans la ville ou le quartier où ils travaillent, 75% me
signalent ne pas être habitants du territoire. Or si nous voulons vraiment servir la communauté, nous
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
22 ©Raphaëlle Bats 2017
devons interroger ce qui nous lie à elle, les conditions de la fraternité, de la reconnaissance entre non
pas eux (les publics) et nous (les bibliothécaires) mais au sein de la communauté que nous formons :
habitants ou citoyens d’un territoire.
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
23 ©Raphaëlle Bats 2017
Sociabilité
J’en viens donc à mon dernier point, celui de la sociabilité. Nous nous demandions comment faciliter
l’empowerment des habitants, leur reconnaissance comme citoyen. Je fais l’hypothèse que cela
passe par un travail sur la sociabilité, entendue en plusieurs sens.
La bibliothèque a un rôle social. Elle joue un rôle dans la construction du lien social. Il n’y a de
société, que s’il y a un lien et une reconnaissance mutuelle des individus de la société, c’est ce qu’on
appelle la solidarité sociale. Or cette reconnaissance mutuelle, cette solidarité, construit son socle
notamment sur une identité partagée, en l’occurrence dans une société sur ce qu’on appelle, ou ce
qu’on appelait avec que Sarkozy en donne une représentation négative, l’identité nationale. Les
bibliothèques en tant que gardiennes de la mémoire, conservatrices de tout ce que la nation produit
(par le dépôt légal), de tout ce qu’elle utilise pour se penser (fonds anciens), les bibliothèques
participent de la possibilité d’un lien social dans une nation.
Sociabilité directe
Mais la bibliothèque a également une fonction que j’appellerai de sociabilité directe. La bibliothèque,
tout comme l’école, mêle dans son espace des publics variés, tous mus par leur volonté d’apprendre,
de se construire ou de se délasser. Cette fonction sociale de la bibliothèque repose sur la notion de
mixité sociale, avec une conscience assez forte des bibliothécaires que cette mixité est plutôt un
principe qu’une réalité, pour deux raisons : la première est que la diversité dans les bibliothèques
n’est pas aussi importante qu’on le souhaiterait, et la seconde que la rencontre entre les différents
groupes socio-culturels dans la bibliothèque n’est pas si évidente. Certaines bibliothèques travaillent
beaucoup à faire se rencontrer les différents groupes sociaux qui la fréquentent. Je prends deux
exemples.
Le premier est celui de la BM de Montreuil. J’ai assisté, il y quelques semaines à une présentation de
son directeur de leur travail approfondi sur l’accueil des migrants. La bibliothèque a des partenariats
avec les associations locales d’accompagnement des migrants et notamment tout autour d’ateliers
linguistiques. Mais il tenait à cœur de la bibliothèque d’organiser des temps où les migrants ne sont
pas seulement les uns avec les autres, mais trouvent leur place dans la communauté par leur
fréquentation avec d’autres. Au moment du salon de l’agriculture, la bibliothèque mène deux actions
distinctes, d’une part l’organisation d’une rencontre-débat avec un agriculteur, en général qui fait de
l’agriculture bio ou alternative. En gros, un sujet qui va amener à la bibliothèque des publics d’un
certain niveau de vie. Et d’autre part un travail dans les ateliers linguistiques avec les migrants autour
de cette rencontre pour que les participants élaborent des questions à poser pendant la rencontre. A
noter que certains de ces migrants étaient agriculteurs dans leurs pays. Le jour de la rencontre ce
sont donc ces deux publics qui sont ensemble dans la salle, qui posent des questions, ce qui joue
beaucoup sur le sentiment de reconnaissance et d’appropriation de ces nouveaux publics que sont es
migrants, mais aussi sur l’inter-connaissance par les deux groupes sociaux.
Cet exemple est révélateur de la manière dont la bibliothèque peut interroger sa capacité à
véritablement inclure le public dans ses préoccupations, non pas en tant qu’usager, mais en tant
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
24 ©Raphaëlle Bats 2017
qu’habitant partageant un même projet commun dans une société démocratique. L’inclusion peut
prendre plusieurs formes : présence de collections dédiées, mise en visibilité des publics, notamment
des minorités… Si l’inclusion me parait une approche préférable à celle de l’intégration, qui est
toujours du côté d’une certaine domination, elle serait très réductrice si elle se posait comme une
pure question de visibilité, de communication, sans un travail poussé sur ce que chacun peut amener
de savoirs à la communauté. Une réflexion forte sur les savoirs des habitants : savoirs pratiques,
manuels, maternels, professionnels, d’usage, permettrait de les mobiliser et de donner visibilité à ces
publics par une légitimation de leurs points de vue sur la société, par point de vue je parle ici plutôt
d’un point géographique ou cartographique, que d’un contenu.
J’en viens à mon deuxième exemple. La BM de Languidic, en Bretagne en zone rurale, a développé un
nouveau service d’échanges de savoir au sein de la communauté des habitants. La bibliothèque a
créé un compte sur Steeple, une plateforme d’échange, et a pris en charge de favoriser la rencontre
des habitants via la connaissance ou la compétence. En d’autres termes, si j’habitais à Languidic, je
pourrais m’inscrire sur la plateforme de la bibliothèque et dire : Je sais tricoter, et je voudrais
apprendre l’arabe. Quelqu’un d’autre y annoncerait : je sais parler arabe et je voudrais savoir faire du
pain. Une troisième dirait : je sais bien cuisiner et je voudrais savoir faire des pompons. La plateforme
permet alors que je propose mes compétences de tricoteuse à la 3ème
personne, qui proposera ses
compétences de cuisinière à la seconde, qui me proposera de m’apprendre l’arabe. Ce que je trouve
fascinant dans cet exemple, c’est que la bibliothèque a fait de la sociabilité sa mission, mais sans
mettre de côté la notion de connaissance. D’autres bibliothèques organisent des foires aux savoirs,
comme à la BM de Vaise, réseau de Lyon, mais de manière plus ponctuelle. Le cas de Languidic, qui
existe également à la BM de Lyon sous une forme plus manuelle avec des panneaux d’affichage, est
intéressant car ce n’est pas un événement, mais bien un service pérenne. Je reviendrais à la fin de
cette partie sur l’importance de ce critère dans la création du lien social et dans l’empowerment de
tous les citoyens.
Solidarité
Mais avant cela, je voudrais parler d’une autre fonction sociale de la bibliothèque, liée à la notion de
solidarité et donc à l’idée que la bibliothèque est aussi une porte d’entrée dans la société et la
nation. De fait, la bibliothèque travaille à l’intégration ou à l’inclusion de publics qui sont en marge
de la société. L’autoformation en bibliothèque est emblématique de ce type de services dédiés à la
possibilité pour l’individu de retrouver sa place dans la société. Cette fonction est exacerbée en
temps de crise : aide à la recherche d’emploi, formation à la rédaction de CV, mais aussi aide à la
maîtrise du français… La BM de Martigues a mis en place un service, basé sur la notion de solidarité,
tout à fait originale. Ils proposent une fringothèque. Les personnes peuvent venir chercher des
vêtements, notamment lorsqu’ils ont des entretiens à passer.
Si tous ces exemples sont légitimes et pires nécessaires, il n’en reste pas moins vrai qu’il faille
questionner cette notion de solidarité et faire attention. La solidarité implique normalement un
double mouvement : chacun est solidaire de l’autre. La solidarité n’est ni la compassion, ni la charité.
C’est un lien d’engagement et de dépendance réciproque. Il me semble qu’il faut prêter attention à
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
25 ©Raphaëlle Bats 2017
ce que la solidarité en bibliothèque favorise la reconnaissance de cette dépendance réciproque et ne
soit : ni dépendance exclusive : des plus pauvres envers les plus riches par exemple, ni obligation
d’un engagement dans la conception sociale de celui qui donne, prête… En d’autres termes,
l’autoformation par exemple peut vite relever d’une fonction sociale de la bibliothèque qui repose
sur l’idée que la solidarité sociale ne peut s’exercer que sur des individus jouant le jeu de la société :
recherchant du travail, parlant la même langue, etc.
Aux Pays-Bas, il a été sorti il y a quelques années des textes des bibliothèques la notion de citoyen
pour la remplacer par celle d’individus. La bibliothèque ne forme plus des citoyens, mais des
individus qui vont chercher leur place dans la société, une société capitaliste, de marché… Tournée
vers l’individu, la bibliothèque favorise alors une fonction sociale, qui ne relève plus ni de
l’émancipation, ni du collectif. Attention, comme je l’ai dit les services d’autoformation sont à la fois
légitimes et nécessaires, mais la solidarité implique plus que cela, elle implique que nous ayons une
interdépendance et que nous la reconnaissions.
Se pose alors la question de la place de la parole des plus démunis dans l’espace de la bibliothèque.
Je prends un autre exemple : la Bibliothèque du Bachut, à Lyon, est une bibliothèque qui reçoit
énormément de SDF. Comme déjà dit, ils ne sentent pas toujours bon. Certains ont des
comportements inattendus. Leur usage de la bibliothèque n’était pas standard. Bref, un conflit s’est
vite créé avec les usagers qui se considéraient plus légitimes. Pour recreer du lien social et de la
solidarité entre ces publics, la bibliothèque a fait un immense travail avec les SDF pour leur faire
raconter leurs parcours, en faire un livre et une exposition. Non seulement la narration de ces
parcours a facilité la réhumanisation des SDF dans les yeux de leurs concitoyens, mais elle a surtout
montré l’étendue de ce que ce public avait en vérité de connaissances à partager, connaissances tout
à fait légitimes en bibliothèques. La reconnaissance marche sur à la fois l’appréciation d’une
identité : je me reconnais dans l’autre et lui en moi, et sur la certitude d’une solidarité effective, d’un
apport identique que nous pouvons porter à l’évolution de la société.
Sur cette question de la reconnaissance et de l’identité, je voudrais m’arrêter rapidement sur ce que
Lordon, philosophe français, appelle les affects de la politique. S’inspirant de Spinoza, il développe
l’idée qu’une lutte médiatique est à mener pour faire voir, entendre et sentir les histoires qui ne sont
jamais médiatisées, et qui sont susceptibles par les images qu’elles créent de favoriser une action
politique de ceux qui vont les recevoir. Laisser les médias avoir toute la main sur les images, c’est
abandonner à des médias dont on ne doute pas de leur vision du monde, toute capacité à créer de
l’action politique. Je me demande si la bibliothèque n’a pas un rôle à jouer dans la création des
affects et des images autres, parce que les bibliothèques sont présentes au cœur des communautés,
dans le quotidien parfois merveilleux et parfois dramatique des habitants. En investissant leur
capacité à produire du contenu en lien avec les habitants, les bibliothèques se positionnent peut-être
comme non pas de nouveaux médias, mais comme expérimentant une nouvelle facette de leur
rapport au savoir et donc au pouvoir. Je prends un autre exemple, celui de BU de Boulogne sur mer,
cote d’opale, qui a travaillé sur l’accueil des réfugiés au travers d’une exposition conçue avec des
chercheurs et des associations et qui a reconstruit dans ses locaux une cabane de tôle telles qu’elles
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
26 ©Raphaëlle Bats 2017
sont dans la jungle de calais. On retrouve dans cet exemple la volonté de donner à voir et donner à
sentir pour que la solidarité se créée, mais cet exemple me permet aussi de rebondir sur un dernier
point, celui de l’hospitalité.
En temps d’accueil massif de réfugiés en France, et dans nombre d’autres pays, cette question se
retrouve plus que jamais importante. Les bibliothèques qui sont des lieux d’accueil, sont-elles
hospitalières ? On peut réduire cette question à celle de la convivialité et se satisfaire de faire de
beaux lieux, agréables, comme à la maison pour se dire accueillant. C’est vrai, cela joue
certainement. Cependant cela ne me parait pas suffisant. Offrir l’hospitalité, c’est ouvrir sa maison à
l’autre, c’est l’intégrer dans sa famille, dans sa communauté. C’est donner à l’autre une place
centrale dans son monde. Ce n’est pas disparaitre pour laisser chacun se trouver une place, c’est bien
au contraire re-manifester que le lien social se conjugue en collectif en termes de solidarité, de
sociabilité et de faire société. Je n’ai pas encore travaillé de manière approfondi cette notion
d’hospitalité, mais il me semble l’avoir déjà approché à partir d’une autre notion, qui est celle
d’événement et que je relie donc à mon exemple de Languidic, dont je salue au contraire le caractère
pérenne de la mise en visibilité des publics.
J’ai déjà tenu ce discours au sujet des bibliothèques vivantes, mais il me semble que cette question
de l’événementiel est générale aux services de la bibliothèque. L’inclusion des publics, pour plus de
lien social, ne peut se satisfaire d’être événementielle. En faisant apparaitre pour un unique instant
ces citoyens invisibles, qui re-disparaissent ensuite, on court le risque de condamner ces individus à
une nouvelle forme d’existence politique (au sens de vie en commun dans la cité) qui serait
événementielle, voire spectaculaire. Faire de ceux qui émargent au silence les rois de la fête pendant
deux heures peut être certes considéré comme le fameux battement d’ailes du papillon, prélude à de
rencontres, idées, pensées qui vont créer de nouvelles situations politiques, mais c’est là à la fois
laisser faire le destin et parier sur l’avenir. Les bibliothèques en tant qu’institution devraient garantir
à chacun leur apparition, non événementielle, mais pérenne dans l’espace public.
Comme le dit Etienne Tassin, « La politique relève de l’action, l’action est manifestation, la
manifestation est apparition des acteurs et l’apparition des acteurs révélation de ce qui est en jeu
dans toute vie collective : une existence apparaissant à tous et dessinant par ses actions l’espace de
cette apparence qu’il revient aux institutions et aux autorités légitimes de garantir et aux citoyens
d’actualiser. » (Etienne Tassin , p 203).
C’est donc là que se joue le glissement de la lutte contre l’exclusion à l’inclusion, de la cohabitation à
la solidarité, de l’accueil à l’hospitalité, en allant vers une apparition permanente, établie, qui ne se
fasse pas par à-coups.
Aller au bout de la réflexion implique à mon sens également un travail fort à mener sur la restitution
des ateliers, événements, activités. Ainsi, la Bibliothèque municipale de Lyon a notamment
développé pour son projet Démocratie une webradio, redistribuant ainsi les apports des habitants
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
27 ©Raphaëlle Bats 2017
dans l’espace public internet. Par la restitution, la participation des habitants aux événements est
replacée au sein du processus d’émancipation. La boucle est bouclée.
Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques,
rôle social et
politique
28 ©Raphaëlle Bats 2017
CONCLUSION :
Il est temps de conclure.
Il me semble que, plus que jamais, les bibliothèques doivent assumer leur rôle social et politique,
d’acteur de la démocratie, de lieu démocratique et de lieu où expérimenter des formes
démocratiques.
La bibliothèque n’est pas une utopie, mais elle crée des utopies. Elle permet à chacun et chacune,
mais aussi collectivement de créer de nouveaux chemins, inattendus, pour penser des avenirs
partagés.
Pour résumer, la bibliothèque est fabrique d’égalité, fabrique d’utopie, fabrique d’émotion et
fabrique d’expérimentation.
Alors, si avec cela, nous ne parvenons pas à changer le monde…
….
Merci !

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Bibliothèques : rôle social et politique

  • 1. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 1 ©Raphaëlle Bats 2017 Mesdames, messieurs, Bonjour, Je remercie Médiaquitaine et l’ABF pour cette invitation à parler d’un sujet qui est à la fois essentiel à notre métier et en pleine actualité. Je les remercie de l’honneur qui m’est fait d’inaugurer les échanges de la journée, échanges qui j’en suis sûre se poursuivront au-delà de cette rencontre. Introduction Avant de commencer je voudrais préciser d’où je parle, de quel type de bibliothèques je parle et à quel type de bibliothèques je m’adresse et enfin de quoi nous allons parler. Je suis bibliothécaire, au sens large, j’ai travaillé en bibliothèque universitaire, puis à l’Enssib, mais je fais de la recherche sur les bibliothèques municipales. Je suis doctorante en philosophie et sociologie politique, mais mon objet d’étude est la bibliothèque. Ma thèse, que j’espère finir l’année prochaine, porte le titre suivant : de la participation à la mobilisation collective, la bibliothèque à la recherche de sa vocation démocratique. Pour cette thèse, je m’appuie à la fois sur des apports théoriques plutôt issus de la philosophie politique, avec des auteurs, dont j’aurais l’occasion de parler, comme Dewey, Rancière, Abensour, Arendt…, et sur des apports de terrain. J’ai ainsi suivi un terrain principal, qui est le projet Démocratie de la BM de Lyon, mais aussi des terrains parallèle à partir de la collecte d’actions menées par les bibliothèques après les attentats de Janvier 2015 (collecte nommée #bibenaction) et à partir de la mise en place d’une bibliothèque participative pendant les Nuits Debouts, la Bibliodebout. Ces terrains m’ont permis de collecter des données quantitatives, qualitatives (après observations et / ou entretiens) et d’étudier des documents publics ou internes. La présentation qui va suivre prend appui sur ce fond théorique et sur les données traitées. Ma thèse étant encore en cours, et dans tous les cas elle ne fera pas le tour de toutes les questions, certains éléments restent en suspens, à travailler, compléter, etc. certaines données ne sont pas encore traitées. C’est donc le résultat de mes recherches à l’instant d’aujourd’hui. Voilà d’où je parle, mais de qui et à qui est-ce je parle ? Je vise des bibliothèques et centre de documentation et d’information publics, privés ou associatifs, qui partagent une même mission de service public, de non profit et d’intérêt public. En France, je m’adresse donc à des bibliothèques municipales, ou disons territoriales, mais aussi à des bibliothèques universitaires, scolaires ou associatives. Vous le verrez mon propos, surtout dans la première partie semble plutôt concerner les BM, c’est parce que plus celles-ci parlent plus volontiers de leur rôle politique et social, mais tous mes propos concernent aussi bien les bibliothèques universitaires, qui sont pour moi tout autant que les BM des acteurs de leur territoire et ont par conséquent une action citoyenne : de formation à l’esprit critique, de conservation d’une mémoire académique et d’accueil de tous les publics, universitaires ou pas. Les propos que je vais tenir, notamment dans les 2ème et 3ème partie de cette intervention, s’adressent donc tout aussi bien aux bibliothèques municipales qu’universitaires, mais je laisserai le soin aux professionnels de ces établissements de voir quelles mises en œuvre adaptées à leurs situations particulières sont à mener.
  • 2. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 2 ©Raphaëlle Bats 2017 De quoi allons-nous donc parler ? La commande qui m’a été faite portait sur le rôle social et politique de la bibliothèque. Je pensais au départ faire un cours sur ce double rôle, sa signification, ses formes et ses limites. J’ai finalement choisi de faire un pas de côté pour me concentrer davantage sur ce qui en ce moment se transforme dans notre métier. Il me semble que sans cela, nous traiterions de la bibliothèque, sans traiter de ce qui la rend à la fois nécessaire et la justifie , à savoir le fait que nous vivons ensemble dans une société démocratique. Parler de politique, sans parler de la démocratie, me semblerait un discours un peu vidé de ce qui rattache notre métier au sol, à son utilité réelle, à son rôle possible, attendu, espéré. Aujourd’hui notre société connait un certain nombre de problèmes, mais aussi d’opportunités. Les élections présidentielles, assez surréalistes à mon avis, ont consacré la montée de l’extrême droite. Nous venons de vivre une série d’attaques, qui n’en finissent pas de bousculer la représentation de notre vivre ensemble. Et nous somme encore aujourd’hui en pleine période de migrations massives, qui interrogent ce qu’est l’hospitalité et la citoyenneté. En tant que citoyen, comme en tant que spécialiste de l’information, nous ne pouvons pas rester indifférents à ces situations. Par ailleurs, nous ne pouvons donc que constater aujourd’hui que les politiques publiques sont saisies par des exigences démocratiques renouvelées en des temps qualifiés de crise de la représentation ou crise de la démocratie, et se saisissent de nouvelles formes démocratiques, qualifiées cette fois-ci de participatives, citoyennes, locales...dont on trouve notamment des mises en œuvre dans nombre de projets urbains. Ces formes démocratiques font appel à une participation plus large, plus active des citoyens que la représentation, le vote ou même les manifestations ne le permettraient. Elles interrogent la possibilité pour les individus d’être certes consultés, mais aussi de prendre part activement à la réflexion sur les projets et sur les solutions, à la délibération permettant des choix qui auront un impact sur l’existence quotidienne. En d’autres termes, elles proposent de ré-interroger cette vieille tension entre démocratie directe, héritée de l’agora grecque, et une démocratie indirecte, institutionnalisée ou portée par les institutions. La première étant la participation du peuple, du démos, aux délibérations et décisions, la seconde étant la médiation qu’effectuent les institutions entre le peuple et la réalisation de la démocratie ou réalisation d’une société démocrate. Ce débat sur la démocratie qui a traversé aussi bien les Lumières françaises que les auteurs américains comme Jefferson ou Hamilton, qui s’est poursuivi ensuite avec John Dewey puis Habermas, se voit ainsi renouvelé. Cet appel à la participation a été particulièrement visible lors de cette dernière année, à travers des mouvements de contestation tels que Nuit Debout, ou avec l’émergence de mouvements politiques, sortis du cadre biparti habituel, avec En marche, la consultation par Mélenchon de son parti, l’enthousiasme des militants de partis pour les mouvements (à droite comme à gauche). Bref, l’heure est à la participation, sous ses formes les plus pures comme les plus institutionnalisées. Alors, oui. Je pense que nous sommes dans une période, historique, et c’est pourquoi je vous propose de reprendre les choses dans le bon ordre. Je vous propose donc d’aborder à nouveau le sujet par une nouvelle porte, par un temps de définition de la démocratie, car sur ce type de concept largement utilisé dans le monde, qui s’entend sur les mots, mieux se comprend. Puis j’en viendrais à
  • 3. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 3 ©Raphaëlle Bats 2017 un tour des enjeux du pluralisme en démocratie, détour qui me paraît nécessaire d’une part dans notre contexte politique particulier, et d’autre part tout simplement parce que la pluralité est le premier corollaire de la démocratie. Alors, et seulement alors, nous parlerons de bibliothèques, car la bibliothèque ne préexiste pas à la société. Elle est à son service. Il conviendra donc alors de demander en quoi les enjeux d’une démocratie plurielle et ouverte confortent ou renouvellement aujourd’hui le rôle social et politique des bibliothèques. C’est donc une occasion, au sens du terme grec de kairos, qui m’est donnée d’interroger à la fois la manière dont l’évolution de nos démocraties transforme notre métier (et notamment son rôle politique et social) et la manière dont notre métier transforme nos sociétés démocratiques.
  • 4. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 4 ©Raphaëlle Bats 2017 Partie 1 : la démocratie ? Définitions Il n’est pas une démocratie, mais des démocraties. Toutes les démocraties sont le reflet d’une culture et d’une histoire sociale et politique particulière. Il en va de même de la démocratie française, héritée des lumières, fondée par la révolution, transformée par les républiques successives (nous en sommes à la 5ème), les guerres, la colonisation, la décolonisation, etc. Si la démocratie française n’est pas totalement soluble dans la révolution, en revanche elle en est difficilement séparable. J’insiste sur ce point sur lequel je reviendrais, car si la démocratie est culturelle, le regard de la chercheuse sur ce thème l’est aussi. J’assume donc une approche de la démocratie qui me situe culturellement. Pour autant, il est des démocraties dans le monde entier. Il importe donc d’interroger, au-delà des différences, ce qui donne le sens commun, compréhensible à cette expérience politique, que nous partageons avec d’autres, celle d’être citoyens d’une démocratie. Posons-le autrement ? Peut-on convenir d’universels qui permettent à plusieurs pays, culturellement et historiquement différents, de s’affirmer comme autant de variation de la démocratie ? Par ailleurs, est-il des démocraties qui se vivent uniquement en vase clos, bornées par les frontières géographiques, sans que le monde (et la mondialisation) n’y ait un impact ? En d’autres termes, pour reprendre les termes d’Etienne Balibar, philosophe français, je me refuse à « identifier l’espace politique à un champ purement national », assumant par là un certain cosmopolitisme. Qu’est-ce donc que la démocratie et plus précisément qu’est donc que la démocratie aujourd’hui ? Des mondes séparent la démocratie française du 19ème siècle et celle du 21ème. Repartons donc plutôt du terme lui-même, de son étymologie, à défaut de repartir d’expériences qui seraient toutes singulières. • Démocratie : démos le peuple. • Kratos/kratè : force-puissance / pouvoir-souveraineté. Dire que le peuple a le pouvoir n’est pas un vain mot, ce n’est pas un statut, c’est un mouvement, un mouvement par lequel le peuple choisit le sens dans lequel la société va avancer, rappelant ainsi la proximité linguistique entre les mots « gouvernement » et « gouvernail ». La démocratie n’est pas la description d’un régime nous donnant simplement les clés pour définir les modes d’élection, de délibération et de prise de parole. N’en déplaise à tous les observateurs des élections, qui fondent la démocratie sur la tenue d’élections sans fraude. Non, la démocratie est bien un mouvement par lequel on détermine les conditions de notre vie commune, le chemin que l’on va prendre pour parvenir à ce que nous souhaitons tous : une vie sociale, partagée, en sécurité, tout en conservant la liberté qui nous permet de n’être ni spectateur, ni prisonnier du dessin qui se fait de notre avenir partagé.
  • 5. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 5 ©Raphaëlle Bats 2017 Oui, car la démocratie concerne toujours et d’abord l’avenir. Elle est ce mode de gouvernement, plutôt que régime, qui nous autorise à continuer à penser le monde et à le transformer. John Dewey, philosophe américain, décrivait ainsi la démocratie, comme ce régime qui favorise l’expérimentation continuelle que nous sommes appelés à mener pour construire ce vivre-ensemble, dont nous sommes en quête. Si la démocratie est-ce là et maintenant qui nous invite à construire ensemble un avenir partagé, alors quelles relations devons-nous entretenir les uns avec les autres pour que ce tous, ce collectif se crée un avenir ? Reprenons le modèle originel, la démocratie athénienne et notons les conditions de ce modèle : • D’abord la liberté : liberté de prendre part et de s’exprimer, liberté d’autant plus forte, que nous le savons, tous les habitants d’Athènes n’avaient pas cette chance d’être libres et donc citoyens, car esclaves, étrangers, ou femmes… • Ensuite l’égalité : tous les citoyens étaient égaux non seulement dans le possible énoncé de leurs idées, mais aussi dans le vote et même dans l’élection, dont je rappelle qu’elle procédait par tirage au sort. • Enfin la reconnaissance : les citoyens s’entre-reconnaissaient, à travers les droits et devoirs comme con-citoyens, comme à la fois partageant et assumant collectivement la tâche de citoyen, donc de mettre en œuvre les conditions d’un vivre ensemble sur un territoire fini. C’est ce qu’en France, nous entendons par la notion de fraternité. Des hommes égaux, des hommes libres, et des hommes qui se reconnaissent égaux et libres. Voilà ce qui fonde le socle de base de toutes les démocraties, et qui est d’ailleurs inscrit dans le seul document véritablement universel que nous ayons, à savoir la déclaration universelle des droits de l’homme. Bien, c’est donc écrit, fondé, signé. L’égalité est un prérequis. La liberté également. Sur le papier, ça fonctionne. Nombre de démocraties peuvent considérer reposer sur une reconnaissance de la liberté et de l’égalité, tout simplement en offrant une possibilité de suffrage universel pour les élections des gouvernements (locaux ou nationaux). Alors, voilà, nous y serions, à cette démocratie rêvée, attendue, espérée ? Non, désolée, mais non. La démocratie ne se construit pas une bonne fois pour toutes. Dire que l’égalité et la liberté sont les socles, ne signifie pas qu’elles existent réellement. Etienne Balibar parle plutôt de démocratisation de la démocratie, ou de cet effort constant pour que la démocratie renouvelle son moment fondateur, au fil de l’eau des nouvelles égalités à construire et des nouvelles libertés à défendre. Jacques Rancière parle de démocratie inachevée, marquant par-là combien la démocratie ne peut se figer dans une forme, qui serait l’acmé de la démocratie. Il me semble ainsi que la démocratie demande une grande part d’utopie et d’imaginaire pour rester toujours vivante et toujours alerte. Si la démocratie est donc ce qui ne fait pas cesser l’horizon utopique, mais au contraire le garde en visée, alors nous devons en reconnaitre le socle fondamentalement conflictuel. Pluralité Qu’entends-je par-là ?
  • 6. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 6 ©Raphaëlle Bats 2017 Dire que les hommes sont égaux signifie qu’avant l’égalité il y a, non pas l’inégalité, mais la différence des idées, des pratiques, des corps, etc. Fonder la démocratie sur l’égalité, c’est d’abord reconnaitre qu’un peuple se construit dans le respect des distinctions de chacun et chacune. Poser l’égalité, c’est reconnaitre la pluralité. Or qui dit pluralité, dit accords ou désaccords, dit identification à des groupes en opposition à d’autres, dit en d’autres termes < conflit >. Attention, le conflit n’est pas la guerre, mais l’expression de la pluralité se rencontrant elle-même. Parler d’égalité, c’est reconnaitre que la liberté n’est possible que lorsqu’un conflit pacifique des idées est rendu possible dans une société. C’est là, qu’arrive le pluralisme, quand une société accepte le conflit qui est en son sein et le transforme via l’égalité et la liberté en des opportunités constamment renouvelées de construire un monde ensemble et de se projeter dans un avenir commun. Comment donc faire vivre la pluralité, et donc le conflit, dans nos sociétés démocratiques ? Comment la garder vivace ? Tout d’abord, comment faire cohabiter des idées qui entrent en conflit les unes avec les autres ? Des réponses très pratiques sont données : le pluralisme politique déjà pour commencer, le suffrage universel, la conditionnelle ou le tirage au sort, l’alternance pourquoi pas ? En d’autres termes, nous pouvons avoir des réponses juridiques, légales au pluralisme. Mais la légalité ne fait pas la légitimité. La question de la légitimité peut s’entrevoir de deux façons : légitimité des idées elles-mêmes et légitimité des citoyens qui expriment ces idées. Ces situations appellent à des réflexions sur la connaissance et donc sur le rôle que peut avoir une bibliothèque au service de la démocratie. Pluralité et émancipation D’une part, admettre la pluralité est admettre que puissent circuler dans la société des bonnes et des mauvaises idées. Cela vous ne va pas étonner, mais il existe de mauvaises idées. En disant mauvaises, je ne porte pas de jugement moral, je parle d’un point de vue très technique : des idées qui ne fonctionnent pas ou des raisonnements qui ne portent pas la logique qu’on espère y voir, et son corollaire : le « mauvais » vote... Dans une démocratie indirecte comme indirecte, la question se pose dans la capacité de l’opinion publique à pouvoir choisir entre de bonnes et de mauvaises idées. Evidemment la notion ici de bon ou de mauvais n’est pas moralisatrice, mais simplement utilisée pour se faire le reflet de la critique de la pluralité et surtout de la compétence du peuple. ”Ils votent mal.” Cette inquiétude peut dans les pires moments conduire à la limitation du droit de vote, mais peut trouver également une réponse dans des structures dédiées à donner les clés de compréhension des enjeux, mais aussi de construction d’un avis propre et d’une vision de la société personnelle à chaque citoyen. Mais attention, il ne s’agisse pas de changer les idées des citoyens, mais bien de s’assurer que c’est cartes en main qu’ils prennent des décisions pour l’avenir partagé. Je crois que les dernières élections américaines, le brexit et les élections françaises de dimanche dernier, sont autant de rappels que les mauvaises idées sont toujours légion et font recette. Qu’il convient par conséquent de déployer un arsenal éducatif et culturel pour que les citoyens soient en mesure de se construire une représentation du monde leur permettant de faire des choix éclairés. Ainsi, le pluralisme ne suffit pas à lui-même, il doit s’accompagner pour être légitime d’un travail d’émancipation au sein de la société. Les structures visant à la fois la connaissance et l’émancipation
  • 7. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 7 ©Raphaëlle Bats 2017 sont des acteurs clés de la pluralité des idées dans une démocratie. La bibliothèque fait partie de ces structures. Pour autant la connaissance proposée dans les bibliothèques est-elle au service de la pluralité ou des ”bonnes” idées ? Est-elle au service de la transmission d’idées légitimées (du fait de leur publication) ou au service d’une critique individuelle ou collective des idées ? En d’autres termes, la bibliothèque est-elle dédiée à une émancipation moralisatrice et prescriptrice ou à une émancipation radicale et potentiellement subversive ? Pluralité et institution D’autre part, admettre la pluralité des idées questionne la légitimité de l’expression des idées dangereuses. Lors des présidentielles françaises, comme vous le savez, nous avons une sorte de pré- premier tour, pendant lequel les candidats pour être reconnus comme tels doivent obtenir au moins 500 soutiens de maires. Parmi ces pré-candidats, une sorte de fou furieux, ex militaire, avait un programme dont une des idées phares était qu’il fallait abattre toute personne portant une cagoule. Ce n’est pas seulement une mauvaise idée, c’est une idée dangereuse ! Mais comment dans la pluralité distinguer entre une idée qui mette en péril la démocratie et une idée qui tout simplement nous parait une mauvaise réponse à un vrai problème (ainsi que l’avait dit Fabius à propos du Front National et ce dont on aurait pu se passer, à mon avis) ? Si en France, la liberté d’expression a des limites juridiques, telle que l’interdiction du négationnisme, ce n’est pas le cas dans toutes les démocraties. Ainsi aux Etats-Unis d’Amérique il est interdit d’interdire l’expression des opinions, toutes critiquables, fausses et dangereuses pour le vivre-ensemble soient elles. J’ai appris samedi qu’aux USA un homme avait obtenu le droit de changer son nom pour prendre celui d’Hitler... Il sort en ce moment au cinéma en France un film appelé « Le procès du siècle ». C’est l’histoire d’une historienne qui est en procès contre un négationniste, qui lui demande de prouver qu’il y a eu des chambres à gaz. Outre l’enquête scientifique à laquelle elle va devoir répondre et qui est passionnante, un autre débat émerge de ce procès. Cette historienne, qui a gagné le procès et permis de trouver des preuves concrètes et réquisitionnables de ces appareils d’extermination, a tenu un discours très clair sur son opposition à ce que son contradicteur soit puni pour ses propos. Elle affirmait que la liberté d’expression est un socle fondamental, contre lequel on ne doit pas avoir une réponse juridique, mais scientifique et communicationnelle. Que faire donc des idées dangereuses dans une société qui se fonde sur la reconnaissance de la liberté d’expression ? La légitimité de la pluralité est donc peut-être conditionnée à ce que la société se donne les moyens d’un appareil critique des idées. Il est peut-être du ressort des spécialistes de l’information : enseignants, bibliothécaires, archivistes, journalistes, de veiller à ce que l’information puisse être vérifiée, analysée autant qu’accessible et diffusée. Dans une société où l’information est surabondante, ce n’est pas une tâche aisée à mener et à l’heure actuelle aux Etats-Unis, et cela commence en France, les bibliothèques se mobilisent contre les « Fake News ». Pour autant la bibliothèque, en tant qu’institution mettant en œuvre des politiques publiques, peut- elle vraiment s’autoriser un rôle critique et sous quelle forme ? En d’autres termes, si la bibliothèque permet à chacun et chacune de se construit une vision critique, peut-elle être aussi un lieu public où
  • 8. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 8 ©Raphaëlle Bats 2017 débattre collectivement des questions de société ? Le débat démocratique n’est-il pas plutôt rendu possible par la bibliothèque que véritablement mené à la bibliothèque ? L’inquiétude concernant à la fois la gestion du conflit en bibliothèque, mais aussi la neutralité des institutions culturelles et l’engagement des bibliothécaires nourrit un rapport distancié à la démocratie et à la pluralité. Et est- il possible à ces institutions de faire de ces conflits de nouvelles potentialités de connaissances et d’émancipation, sans les institutionnaliser ? Pluralité et espace public Par ailleurs, quand bien la pluralité dans l’expression des idées serait assurée, elle ne serait réelle qu’à condition qu’une pluralité d’idées ait un quelconque impact sur la société. En d’autres termes, si la liberté d’expression et d’opinion est réelle, mais qu’une seule opinion n’a d’impact sur la construction de la société, alors le pluralisme est un vain mot. La légitimité du pluralisme tient au pouvoir réel de la pluralité des idées. Une société plurielle doit donc envisager aussi la mise en œuvre de la rencontre des opinions et de la participation de ces opinions à la construction de la société, qu’elles ne restent pas « opinions mortes ». Traditionnellement en France, cette mise en confrontation des idées passe par l’assemblée nationale, où sont élus des députés de plusieurs partis, permettant certes de donner une certaine coloration à l’assemblée, mais aussi de donner la parole à de petits partis. Pour un philosophe comme Jürgen Habermas, s’en contenter, pour assurer la visibilité des opinions des français et leur participation réelle à la construction de la société, est réducteur. Sa conception de l’espace public ouvre des possibilités à la légitimation de la pluralité des idées, car il s’agit un espace d’une part dans lequel les idées argumentées peuvent être rendues publiques, et d’autre part dans lequel les lois pourraient être discutées jusqu’à faire remonter l’opinion commune aux élus, qui en prendraient alors acte dans leurs décisions. En vérité, on peut retrouver ce même type de lieu de débats et de délibération dans les assemblées constituantes pendant la période de la révolution française. Or, quels lieux pourraient aujourd’hui dans nos sociétés proposer aux individus de construire leur pensée argumentée, de la mettre en public et d’en débattre, de collectivement produire des contenus, le tout dans une approche où une diversité des idées serait présente ? Je pense que vous voyez où je veux en venir… La gratuité d’accès au lieu, son positionnement sur l’information et le savoir (pour construire des arguments), son activité culturelle et scientifique, sa proximité avec les habitants, font de la bibliothèque l’espace public par excellence, sinon dans la réalité, du moins par principe. Il me faut préciser quelque chose. Si j’aime prendre appui sur Habermas, c’est cependant en voyant les limites, notamment en termes de démocratisation réelle de cette prise de parole publique (mais j’y reviendrai juste après), en termes de doutes sur la capacité des assemblées à tenir compte dans leurs décisions de délibérations locales, et enfin en termes de consensus versus publicité du conflit. Pourtant, si malgré tout cela je suis attachée à cette notion d’espace public, c’est parce qu’elle propose d’une part un engagement de la société à la mise en public des idées, à leur visibilité et donc à leur discussion possible, et d’autre part une pensée de l’espace public comme un lieu de pratique et non pas de passage et d’usage, mais bien un lieu de transformation du monde. Habermas redonne ici, avec les limites mentionnées, les possibilités de penser des lieux dans lesquels les individus
  • 9. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 9 ©Raphaëlle Bats 2017 pourraient développer des pratiques collectives de pensée du monde. Si je pense que des espaces publics pris en ce sens seraient une manière de légitimer, au sens de donner corps au pluralisme, il n’en reste qu’il ne faille rendre ça plutôt réel qu’utopique. Je proposais donc la bibliothèque, comme espace public parfait. Pour autant, la bibliothèque n’est- elle pas l’espace d’un certain public plutôt que du public entendu au sens général comme l’ensemble des habitants d’un territoire ? La bibliothèque a-t-elle réussi à se démocratiser ? Ou les projets participatifs lui permettent-elles d’appréhender la notion de démocratisation par un autre chemin ? Tout projet de participation citoyenne, comme l’est l’espace public habermassien, rencontre un écueil récurrent : sa véritable accessibilité à tous. Sans maîtrise de la langue du débat, il est impossible d’y prendre part. Sans clés culturelles pour répondre à des contre-arguments, Il est difficile de poursuivre le débat. Enfin, sans le bon dressing-code (qui peut-être la couleur, les vêtements, l’accent, etc.) pour être reconnu comme légitime au débat, alors la parole n’est pas appréciée au même niveau qu’une parole plus conventionnelle. Une participation citoyenne peut se transformer rapidement en un débat entre personnes qui maitrisent les mêmes codes, et dès lors ne peut pas renouveler l’émergence d’idées au sein d’une société. Le pluralisme n’est possible qu’à condition d’une véritable reconnaissance des citoyens, notamment à prendre la parole. Cela pose la question de la capacité de la bibliothèque à reconnaitre toutes les communautés et à faciliter leur empowerment ou accroissement de leur capacité à agir. Les bibliothèques sont-elles suffisamment intégrées dans leur territoire pour qu’elles puissent véritablement être un espace public, dans lequel les habitants acquièrent du pouvoir ? Peut-on transformer en profondeur les formes et processus de démocratisation, ce que l’on voit peut-être dans l’émergence de concepts tels que celui d’inclusion ? Pluralité et sociabilité Enfin, cette pluralité au sein du peuple relève de la capacité de la démocratie à faire un peuple, à penser une communauté unie malgré ses diversité et par là-même fonde la possibilité d’un vivre- ensemble constamment renouvelé. En France, l’unité du peuple repose sur la notion de nation, mais penser que la nation efface toutes les distinctions revient d’une part à ne pas comprendre le coeur de certaines lois, comme celle de laïcité, et d’autres part à défaire notre héritage révolutionnaire. Comme le rappelait Sophie Wahnich, pour les révolutionnaires, étaient français tous ceux qui luttaient pour la liberté et l’égalité. C’est sur ce socle révolutionnaire que la France a reçu son titre de terre d’accueil. En des temps d’afflux massif de réfugiés, et notamment de réfugiés musulmans, la question de l’accueil et donc du peuple se voit questionnée. Ouvertes à tous, pour tous usages, y compris les moins attendus, les bibliothèques se placent volontiers du côté de l’accueil. Pour autant cet accueil est cependant balancé par des situations de conflits entre usagers légitimés par leurs usages (lecture notamment) et usagers rendus moins légitimes de par leurs corps (odeur et saleté dans le cas des SDF, mais aussi cris et comportements pour les publics handicapés psychiques) et leurs usages (recharger son téléphone et contacter sa famille sur internet pour les réfugiés ou tout simplement pour ceux n’ayant pas de connexion, se laver dans les lavabos pour les SDF, etc.). Notre
  • 10. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 10 ©Raphaëlle Bats 2017 époque questionne les lieux d’accueil, leur hospitalité, leur convivialité et leur capacité à créer du lien entre les différents usagers, à créer de la solidarité. Les bibliothèques se sont-elles saisies de la notion d’hospitalité comme elles se sont saisies avec un certain enthousiasme de la notion de convivialité, à travers le modèle de bibliothèque 3ème lieu ? Par ailleurs, comment les bibliothèques travaillent à la reconnaissance mutuelle des différentes communautés ? Cela nous amène à deux réflexions sur la notion de citoyenneté. Reconnaitre les citoyens, ne peut se faire qu’en leur ajoutant du pouvoir, du pouvoir d’agir dans la société. Sinon, c’est peut-être reconnaitre leur égalité, leur différence, leur présence, mais sans pouvoir d’agir, on n’en reconnait certainement pas la citoyenneté. La manière dont nos sociétés démocratiques s’attèle à favoriser l’empowerment des plus minoritaires, des plus invisibles, des exilés de la citoyenneté est une condition du pluralisme. En d’autres termes, l’égalité est toujours une égalité devant l’action politique. L’autre réflexion à tenir sur le sujet concerne ce que borne le mot citoyenneté. Si un citoyen est celui qui prend part active à la transformation de la société, alors tout habitant d’un territoire en est potentiellement citoyen, si on lui en donne les moyens. Se pose alors la question de la relation entre citoyenneté et nationalité. A mon sens, les lier par une relation conditionnelle crée des territoires inégaux, surtout si la citoyenneté est réduite au droit de vote. Si la citoyenneté est un ensemble d’actions politiques que des habitants vont mettre en commun pour transformer leur vie partagée, alors la nationalité n’est pas une condition nécessaire et le vote n’est qu’une opportunité parmi tant d’autres d’agir. Là encore, je pense que les bibliothèques sont une des réponses possibles à cet enjeu du pluralisme, qui est celui de la reconnaissance de toutes les communautés et de leur capacité à agir. Les bibliothèques sont des acteurs de la société civile, ce sont des acteurs de la citoyenneté. J’ai dernièrement visité une toute petite bibliothèque en Colombie. La responsable nous a parlé d’une session de nettoyage d’un lieu de pèlerinage proposée au quartier et qui a réuni 32 personnes, 32 personnes qui ont marché pendant 6 heures (aller et retour) pour aller faire un acte citoyen. La bibliothèque a aussi ce rôle d’impulser des dynamiques dans lesquelles les citoyens retrouvent par des chemins divers une reconnaissance de leur rôle politique et citoyen et une réappropriation de leur territoire. Vous l’aurez compris, je crois que les bibliothèques sont une des clés pour une démocratie plurielle, qui donne corps aux conflits qui nous traversent, tout en donnant sens à l’égalité et à la liberté et en renouvelant l’instant fondateur de la démocratie. C’est bien de croire. C’est encore mieux de voir comment concrètement les bibliothèques aujourd’hui se saisissent de ces enjeux : d’émancipation, d’institution confrontée à la liberté d’expression, d’espace public et de sociabilité.
  • 11. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 11 ©Raphaëlle Bats 2017 Partie 2 : transformation du rôle des bibliothèques L’émancipation Je voudrais commencer avec la question de l’émancipation, celle-ci relève de cette fonction du rôle politique et social de la bibliothèque qui consiste dans le « faire-société ». Héritière de la révolution, mais aussi du 19ème siècle et des bibliothèques populaires, la bibliothèque se veut, comme la décrivait Eugène Morel (bibliothécaire français du début du XXe siècle et dont l’essai sur la bibliothèque publique a marqué le projet à venir de développement de la lecture publique en France), la bibliothèque disais-je, se veut éminemment politique : lieu de rassemblement, lieu de compréhension du monde, elle offre à chaque membre de la société l’opportunité de construire sa place dans la communauté et de participer avec celle-ci à la construction d’une société, à savoir un espace de vie en commun. D’ailleurs, en l’absence de lois des bibliothèques en France, le Manifeste de l’Unesco pour les bibliothèques publiques nous sert bien souvent de document permettant d’afficher et d’affirmer ce rôle. Au lendemain des attentats de janvier 2015, la bibliothèque de Hérouville a ainsi présenté une exposition combinant dessins de presse post-attentats et texte du Manifeste, inscrivant ainsi le rôle de la bibliothèque dans la défense de la liberté d’expression comme justifié par ce texte. Celui-ci annonce des missions tout à fait politiques. Certes, le Manifeste se garde bien de parler de démocratie, car certains pays de l’IFLA n’en sont pas. Pourtant, les missions listées ne prennent vraiment sens qu’en démocratie : pluralité, ouverture, accessibilité…, que l’on peut résumer par les mots : « mission d’émancipation du citoyen ». Les exemples de la manière dont les bibliothèques mènent cette mission sont nombreux. Je voudrais prendre un exemple très frais, autour des élections. Camille Hubert, de la BM d’Epinal et qui parlera cet après-midi, m’a demandé il y a quelques temps si des bibliothèques menaient des actions spécifiques pour les élections, pour donner accès aux documents des différents partis ou des documents qui font référence pour ces partis, et comment cela pouvait se conjuguer ou pas avec notre neutralité. Je précise que je ne vais pas parler ici de neutralité, car ce sera l’objet de la partie suivante. Je reviens à la question de Camille. N’ayant que peu ou pas d’exemples sous la main, j’ai demandé à Twitter : « BP, BU, BDP, est-ce que vous présentez des tables de sélections présentations de docs liés aux élections ? Merci ! ». Un collègue de BM a ajouté la question subsidiaire suivante : « Avez-vous un budget dédié pour acheter les livres programmatiques.» Nous avons eu plusieurs réponses dont des BM et des BU qui font des tables de présentation de documents et parfois avec une cote flottante (BM Toulouse), une BU (école centrale) qui fait une compilation storyfy, d’infos twitter autour de l’actualité des élections, une BM du coin d’ailleurs propose une sélection de ressources numériques sous forme de carte mentale, une BU de socio qui propose une table sur les mécanismes du vote, l’abstention, etc. enfin d’autres ne font pas de tables car les ouvrages (de tout le spectre électoral) sortent trop rapidement. Voici un exemple, mais nous en aurions 1000, 10000, 100000, car il s’agit là du cœur de métier des bibliothèques, proposer des collections plurielles (je reviendrai plus loin sur la réalité de la chose), permettant de se développer un esprit critique, participant ainsi à la possibilité pour chaque citoyen de se construire un rapport au monde qui lui soit propre et qui lui donne les moyens de faire des
  • 12. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 12 ©Raphaëlle Bats 2017 choix concernant son action dans la cité (le vote ou autre). L’évidence est là. Les bibliothécaires en sont convaincus, notre rôle est là. Politique et social, par principe, puisque faire société est bien une action citoyenne. Mais ne nous en contentons pas. Intéressons-nous plutôt à la manière dont cette émancipation me semble actuellement se transformer. Car il faut le reconnaitre, ce qui était sous-entendu dans l’émancipation par la documentation est la place bien particulière du bibliothécaire dans le processus. Prescripteur, il ou elle choisit de construire une collection susceptible d’émanciper. Si la bibliothécaire est dans le processus d’émancipation, c’est en tant que déjà émancipée, capable de définir les besoins des non émancipés. L’émancipation, telle que construite dans les formes habituelles éducatives et culturelles, est souvent basée sur une inégalité fondamentale concernant le savoir : celui ou celle qui l’a et celui ou celle qui ne l’a pas. Le second ayant besoin du premier. Dans les différentes terrains que je suis, le projet Démocratie à la bibliothèque municipale de Lyon, le projet sur la formation à la citoyenneté à la bibliothèque départementale du Nord, et différents projets sur le pluralisme et la laïcité dans des bibliothèques municipales françaises, j’ai été frappée par le fait que les bibliothécaires reconnaissaient avec beaucoup de douleur mais de clairvoyance la limite de cette émancipation descendante. Beaucoup de douleur, parce que cette vision s’est développée au lendemain des attentats de Janvier 2015 en France. Comme je l’ai écrit par ailleurs, ****1 si les attentats ont touché les bibliothécaires (en tant que spécialistes de l’information), c’est bien entendu en lien avec le cœur de l’attaque qui visait la liberté d’expression, de culture, de la presse, mais c’est aussi à mon sens parce que la nationalité française des terroristes, c’est-à-dire d’enfants de France, nourris aux mêmes slogans républicains que le reste de la nation, éduqués dans les mêmes écoles et ayant accès aux mêmes bibliothèques, qui ont pu se fourvoyer à un point aussi violent et sanglant dans l’analyse, la compréhension et la définition des modes d’action politique, qui placent notre existence partagée sous le signe de la démocratie souligne pour les spécialistes de l’émancipation, que sont les bibliothécaires, un échec du processus d’émancipation, qu’il convient de chercher à résoudre. Un des premiers points ressortant des entretiens est justement l’incapacité à proposer une solution. Un grand nombre de bibliothécaires ont manifesté leur difficulté à définir leur action, une fois la réaction émotive passée, ou plutôt une fois la réponse bibliothéconomique standard donnée. Ainsi les sélections et les tables de présentation de documents sur l’islam ou la laïcité sont proposées par habitude, plutôt que par conviction d’une utilité. Elles sont présentées comme des actions obligatoires, qui ne résolvent pas le problème. Le manque de foi dans ces actions habituelles nous 1 Note : les paragraphes encadrés par des *** sont extraits d’un article en cours de publication.
  • 13. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 13 ©Raphaëlle Bats 2017 parait le signe d’une remise en question profonde d’une conception de l’émancipation qui consisterait à transmettre les bons documents au bon moment. Dans le texte de David Lankes, qui a beaucoup ému les bibliothécaires français par les pistes qu’il donnait de réactions possibles face aux attentats, la première action décrite était celle qui avait lui- même mené dans sa bibliothèque en 2001 après les attaques à New York, à savoir créer des listes de documents permettant de mieux connaitre et comprendre l’islam. Les autres actions décrites, notamment celle de Ferguson, étaient de nature différente. Dans ce cas où la bibliothèque décide de jouer un rôle dans une ville en pleine émeute sans obéir à l’injonction de fermeture venue de la mairie, c’est la question de la résistance, du partage des difficultés avec les habitants (l’école s’est tenue dans la bibliothèque, évitant aux enfants de trainer dehors) et du sens de la communauté qui a alors prévalu sur la fonction documentaire de la bibliothèque. Si en 2001, la bibliothèque se veut un lieu d’information avant tout, en 2015, elle se présente comme partie prenante de la communauté. Dès lors, on ne s’étonnera pas que les tables de sélections et donc l’émancipation descendante n’aient pas suffit aux bibliothécaires pour remplir leur besoin d’action. Par ailleurs, réunir de l’information sur un sujet nécessite soit une certaine expertise sur le sujet, soit au moins un certain regard sur le sujet qui permet de sélectionner l’information. Or, au lendemain des attentats, le doute semble avoir envahi les bibliothécaires : et si finalement on ne savait pas ce que signifiait le pluralisme ? Et dans ces conditions, plusieurs interviewés se demandent comment se positionner comme facilitateurs de compréhension d’une situation qui les dépasse eux-mêmes ? Plus encore, ne manque-t-il pas aux bibliothécaires pour transmettre de l’information une bonne compréhension de ce qui marque la différence entre leur propre analyse de la situation et celle de leurs publics ? C’est ce trouble sur la connaissance même d’une institution qui a pour vocation à transmettre de la connaissance, à émanciper par la connaissance, qui nous laisse entrevoir une forme renversée d’émancipation dans laquelle public et bibliothécaires sont dans un même cas, sinon d’ignorance, du moins de défaut de connaissance. **** Enfin, ajoutons à cette équation le développement des pratiques participatives en bibliothèque. La participation propose de fait une nouvelle réflexion sur le savoir et la connaissance, mais aussi sur l’expertise. Dans la participation, se côtoient les connaissances légitimées, par leur acquisition par la bibliothèque, les connaissances expertes des bibliothécaires, sur leur métier, sur le service public, sur le fonctionnement des administrations publiques, et les savoirs mobilisés par les participants, savoirs qui peuvent être manuels, professionnels, maternels, d’usage, etc. Un exemple est celui des acquisitions participatives, un autre diamétralement opposé est celui de la bibliothèque vivante. L’introduction de nouveaux savoirs et donc de nouveaux sachants en bibliothèque est donc également susceptible de renouveler les formes d’émancipation proposée par la bibliothèque. Ce renouvellement est selon nous à rattacher au travail de Jacques Rancière sur l’émancipation, mené dans l’ouvrage « Le maître ignorant. ». Dans ce livre, Rancière présente le cas de Jacotot, un
  • 14. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 14 ©Raphaëlle Bats 2017 révolutionnaire exilé aux Pays-Bas et qui en situation de devoir enseigner le français à un public ne parlant pas français et lui-même ne parlant pas le néerlandais, va développer une conception de l’émancipation basée sur l’ignorance. Pour faire court, ce texte nous amène à penser que l’émancipation est d’abord un acte de liberté, dans lequel on se désengage de catégories dans lesquelles on préexistait, et que cette émancipation est facilitée par une impulsion donnée non pas par un maitre sachant, mais par un individu ayant déjà expérimenté sa propre émancipation. Pour nous bibliothèques, cela voudrait dire qu’en découvrant notre propre ignorance ou nos défauts de connaissance et en y faisant face en construisant à nouveau notre émancipation vis-à-vis des idées qui nous portaient précédemment, nous nous mettons en situation de proposer à nos publics de revivre notre propre expérience et non pas simplement d’avoir accès au résultat de notre émancipation. Donner à vivre l’expérience de l’émancipation implique au moins les points suivants :  Une certaine humilité  La reconnaissance d’une égalité dans le fait d’être toujours en train de s’émanciper et de ne pouvoir émanciper l’autre que par la présentation de son processus plutôt que du résultat  Une emphase de toutes les actions en bibliothèques dans lesquelles publics et bibliothécaires sont dans une position égalitaire : partageant un même objectif, découvrant les mêmes questionnements, etc. Par exemple, les projets participatifs. Attention, en disant je ne choisis pas du tout de déplacer les collections du cœur de notre métier vers une périphérie. Au contraire, je pense que nos collections doivent d’une part s’enrichir de ces expériences d’émancipation et d’autre part doivent les accompagner à tout moment. Ainsi, je pense que c’est le mode d’accès à la collection qui doit être transformé. Je travaille actuellement sur un projet qui vise à créer une interface permettant de faire des liens entre les activités proposées par une bibliothèque et le catalogue, pour que la collection soit toujours au cœur du processus d’émancipation, mais pas nécessairement sous une forme prescriptive.
  • 15. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 15 ©Raphaëlle Bats 2017 Débat démocratique et institution J’en viens maintenant au point suivant sur le débat démocratique, le conflit et l’institution. La question posée en préambule était la bibliothèque, en tant qu’institution mettant en œuvre des politiques publiques, peut-elle vraiment s’autoriser un rôle critique et sous quelle forme ? Comment donc combiner ce statut d’institution, le débat démocratique et la liberté d’expression ? En vérité, les bibliothèques organisent souvent des débats, mais dans les entretiens menés lors de mes terrains, il apparait une certaine restriction liée au contenu du débat. Je voudrais prendre un exemple lié à la collecte Bibenaction. Les actions de type débat ont finalement été plus que minoritaires. Si cette collecte n’est pas exhaustive, elle permet cependant de mettre en lumière des différences entre les types d’actions et de pointer aussi des absences. Les débats semblent faire partie de ces actions qui ont été moins menées que l’on ne s’y attendait. Une première raison se comprend au vu du calendrier des actions. Si la plupart des actions bibliothéconomiques se sont mises en place dès le mois de janvier, les autres actions de type débat ou même formation interne ont plutôt été organisées après le printemps. Le fait est que ce sont des actions qui d’une part ont besoin d’un certain temps d’organisation et d’autre part dont le besoin s’est d’autant plus fait ressentir que l’insatisfaction liée aux actions bibliothéconomiques se faisait forte. Ainsi, on verra plus de débats ou de temps de réflexions organisés pendant le second semestre 2015, mais aussi dans l’année suivante en 2016, année qui ne fait pas partie de notre champ d’étude. Une seconde raison à la faible présence des débats est l’inquiétude liée à la forme même de l’exercice qui implique de mettre en confrontation des idées. Au-delà de ce que j’ai dit précédemment sur la connaissance des termes du débat, c’est la crainte du conflit qui est souvent convoquée comme argument pour ne pas en organiser. Plusieurs bibliothécaires m’ont dit ne pas avoir souhaité volontairement mettre en place d’actions de type débat, surtout autour des religions ou de la laïcité. La seule qui en ait organisé a bien précisé qu’il ne s’agissait pas de débats, mais d’une rencontre avec des experts. D’autres encore relèvent leur évitement du sujet. L’argument évoqué à chaque fois est celui d’une inquiétude liée à des conflits potentiels. Certains interviewés parlent d’autocensure en exprimant leur crainte d’un conflit contrariant et contraignant bien qu’hypothétique avec des élus soucieux d’éviter dans la bibliothèque, lieu culturel, des débats politiques. De fait, un des établissements interviewés m’a expliqué qu’après avoir affiché partout dans la bibliothèque « Je suis charlie », ce qui à mon avis n’est pas neutre, mais avec l’accord de la mairie, ils avaient voulu faire un débat sur les religions. Le maire leur a alors répondu : « Ici, on ne fait pas de politique». De la même manière, à Lyon, pendant le projet Démocratie, la bibliothèque a été plusieurs fois amenée à des discussions avec la mairie notamment sur les documents de communication. Sur l’un d’entre eux, la bibliothèque avait rédigé un éditorial signalant que notre époque parle volontiers de crise de la démocratie, soulignant par-là, non pas leur point de vue, mais un discours général. La mairie leur a demandé de reprendre le document estimant qu’il n’était pas du ressort de la bibliothèque de tenir un discours politique.
  • 16. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 16 ©Raphaëlle Bats 2017 Une institution politique ? Mais soyons clairs, les élus ne nient pas que la bibliothèque soit une institution politique, mais qu’elle ait une fonction politique. Car, on ne doutera pas que la bibliothèque soit une institution et notamment dans le regard du public. Or qui dit institution, dit référence à l’Etat ou à quelque chose d’aussi stable et fixe, et donc à une certaine représentation de la politique. Comme le rappelle Christian Jacob : « Le pouvoir des bibliothèques ne se situe pas seulement dans le monde des mots et des concepts. Comme Alexandrie le signifiait déjà clairement, la maîtrise de la mémoire écrite et l’accumulation des livres ne sont pas sans significations politiques. Elles sont signe et instrument de pouvoir. » Dès lors, il n’est pas étonnant que les bibliothèques se voient étroitement surveillées dans certains pays (sans aller très loin, les bibliothèques françaises des villes du front national dans les années 90 ont été le lieu de ce type de censure dans les collections), mais aussi qu’elles soient confondues avec l’exercice du pouvoir. Ainsi, régulièrement, dans les moments révolutionnaires, les collections des bibliothèques sont mises à sac, soient qu’elles soient trop représentatives d’un discours dictatorial, soient qu’elles soient simplement identifiées comme un des éléments d’une institution que l’on cherche à faire rompre. Rappelons-nous en Egypte où pendant le printemps arabe, certaines bibliothèques, telles que l’institut d’Egypte, fondée par Bonaparte au Caire, ont été saccagées, quand d’autres, telles que la Bibliothèque d’Alexandrie, ont été préservées et protégées par des manifestants, qui ont fait une chaine humaine devant la bibliothèque. Par ailleurs, la bibliothèque dans le lien qu’elle entretient ne serait-ce que de manière administrative avec des politiques publiques est non seulement un lieu dans lequel ces dernières s’exercent, mais aussi un lieu où ces dernières sont représentées. Ce mode politique de la bibliothèque est d’ailleurs tout à fait reconnu par les bibliothécaires, d’une part parce que la gestion administrative de leur établissement ne leur permet pas de la mettre de côté et d’autre part parce que la vocation même de la bibliothèque s’exprime comme service public tout autant que service au public. Cela est tout à fait manifeste dans des actions menées par les associations professionnelles, parmi lesquelles on en prendra pour exemple le congrès de l’Association des Bibliothécaires de France de 2012 « La bibliothèque, une affaire publique » et par l’invitation, pour chacun de ses congrès, du ministère de la Culture et de la Communication et des élus locaux d’introduire le congrès rappelant ainsi l’intégration des bibliothèques sur un territoire public et politique. La bibliothèque est donc également pensée et comprise comme en lien étroit avec les politiques publiques portées par les territoires ou par l’Etat et les différents ministères en charge d’élaborer et de définir la lecture publique, la culture ou l’éducation. Le statut d’institution politique ne fait donc aucun doute, quant à la fonction. Pourtant on ne s’étonnera pas outre-mesure que les élus aient du mal à comprendre notre fonction. Sans texte de loi permettant de décrire clairement le rôle et la vocation des bibliothèques, les élus en sont amenés à comprendre de la bibliothèque à travers seulement ce que nous voulons bien en montrer et en faire. Certes, il existe des textes, mais d’une part sans valeur juridique et d’autre part avec des relations à la question politique plus ou moins clair. Ainsi le texte de 1991, la charte des bibliothèques du Conseil supérieur des bibliothèques, proclame en article 3 : « La bibliothèque est un
  • 17. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 17 ©Raphaëlle Bats 2017 service public nécessaire à l’exercice de la démocratie. Elle doit assurer l’égalité d’accès à la lecture et aux sources documentaires pour permettre l’indépendance intellectuelle de chaque individu et contribuer au progrès de la société »(Conseil supérieur des bibliothèques (CSB), 1991). Les textes des années 2010 sont en revanche moins clairs. Le manifeste de 2012 intitulé « La bibliothèque est une affaire publique », liste les raisons de l’utilité des bibliothèques, parmi lesquelles n’arrivent qu’en dernière position les rôles de lieux de débats et d’espace public de la bibliothèque (Association des Bibliothécaires de France- ABF, 2012). Lieux de débats, la bibliothèque y est présentée comme lieu d’animation de la vie citoyenne. Espace public, la bibliothèque y est présentée comme un lieu de rencontre et de diversité, loin de la notion habermassienne, plus centrée sur la discussion et l’argumentation. Quant à la charte Bib’Lib’, de 2015 (ABF, 2015), si tout un éventail de notions politiques sont présentes : le pluralisme, la participation, le débat citoyen, les communs, la diversité, le mot démocratique n’est en revanche utilisé que pour mentionner la mise en œuvre par les bibliothèques de politiques publiques débattues démocratiquement. Les bibliothécaires semblent affirmer un rôle politique, sans oser y mettre un nom dessus. Ainsi, les raisons de la participation sont celles du droit à la formation tout au long de la vie. Si donc les bibliothécaires n’ont pas de textes de références pour assumer leur rôle politique, il s’agirait de poser la question suivante : le veulent-ils ? La fonction politique de la bibliothèque, l’émancipation est-elle toujours la mission que les bibliothécaires se reconnaissent porter ? Or chaque interview le montre positivement. Mieux encore, certaines interviews ayant eu lieu à des dates éloignées (1 an) ont montré tantôt une réponse négative envers l’émancipation et l’année suivante un attachement fort pour cette notion, avec cependant une réflexion poussée sur ses limites (Itw 5). C’est qu’assumer ce rôle est aussi endosser une certaine responsabilité, notamment celle de le défendre et de savoir le présenter. Le nouvel engouement pour l’advocacy (Verneuil & Chaimbault, 2016) en France demandera une attention particulière pour que ce rôle ne soit pas simplement noyé dans une volonté des bibliothécaires de garder leurs budgets. Neutralité Cette séparation entre institution politique et fonction politique, nous ramène finalement à la notion de neutralité. Qu’en est-il de la neutralité des bibliothèques ? Est-elle réelle ? Et la réflexion sur la neutralité peut-elle nous amener à avoir une approche différente de l’institution bibliothèque ? La neutralité commence avec les collections et leur pluralité. Si le rôle des bibliothèques est l’émancipation du citoyen, alors oui, nos collections doivent aussi refléter des idées qui nous paraissent les moins propices à la construction d’une société d’égalité, de liberté et de fraternité. Mais est-ce le cas de nos bibliothèques ? Je ne le crois pas. Désolée. Après les attentats, plusieurs bibliothèques se sont réabonnées à Charlie Hebdo, s’en étant donc désabonnés des années avant par crainte des polémiques et autres conflits potentiels pouvant émerger. En d’autres termes, la neutralité des collections est aussi un moyen d’éviter un conflit qu’on ne sait pas gérer ou qu’on ne reconnait pas comme fondamental dans notre société, ou comme une véritable affirmation du débat public. Si tel était le cas, on trouverait des collections bien plus plurielles qu’elles ne le sont en vérité.
  • 18. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 18 ©Raphaëlle Bats 2017 En 2014, les bibliothèques ont été interpellées par des groupes d’extrême droite sur les documents concernant l’égalité de genre dans les fonds jeunesse, j’avais été amenée à l’époque à intervenir sur ce point dans différents médias. J’avais alors été interpellée (directement) par un site d’extrême- droite catholique, qui me disait : « ah oui, et nos livres alors ? Ils sont où dans vos bibliothèques ? ». J’ai eu un peu de mal à l’admettre, mais ils n’avaient pas tort. De la même manière, nombre de bibliothécaires me disent refuser d’acheter certains ouvrages plutôt de droite, tendancieux, assez extrémistes. Certains reconnaissent même chercher davantage des arguments pour défendre leur bon droit de ne pas les acheter que des arguments pour les intégrer dans leurs fonds. Comme le souligne Allnutt, dans son mémoire sur les bibliothèques et la censure, « (…) dans les faits, les bibliothécaires seraient bien plus des gardiens du consensus social que des défenseurs acharnés de la liberté d’expression. » (p 126). Or, je l’ai dit le conflit fait partie de notre démocratie et vouloir le nier, c’est refuser l’héritage que nous laisse la révolution française ; c’est reconnaître la république plutôt que la démocratie. Cela me gêne. Cela me gêne, parce que je crois que nous sommes au service de la démocratie et du débat d’idées. Je pense donc que nos collections doivent être le plus neutre possible (la neutralité parfaite est impossible, nous sommes humains tout de même). En revanche, je pense aussi que si vraiment nous voulons émanciper les citoyens, nous devons rendre possible l’échange entre les idées, et accompagner cela d’un vrai travail documentaire de décryptage, d’analyse, etc. En d’autres termes, «égalité, liberté et fraternité » devraient être nos mots d’ordre dans la médiation, et c’est par cette médiation que la coexistence de documents d’obédiences différentes dans les bibliothèques trouvera son sens démocratique. La neutralité est donc nécessaire dans nos collections, parce que nous avons un métier qui est engagé dans bien plus que la collection, engagé dans la définition de notre mode de vivre ensemble. Il convient donc de nous réapproprier vite ces valeurs démocratiques, des valeurs plutôt révolutionnaires et donc fondamentalement subversives. Car, oui, la bibliothèque doit être neutre, mais pas le bibliothécaire. Il doit être engagé, porté par des missions de service public. J’aime à parler d’institution insurgente (pour faire référence à Miguel Abensour) quand je parle de bibliothèques. La bibliothèque, par l’action du bibliothécaire, est une institution garante de la possibilité constamment renouvelée de l’insurrection, c’est-à-dire du renversement de ce qui nous opprime (renversement qui n’a pas besoin d’être violent). J’ai parlé précédemment de la déclaration universelle des droits de l’homme, par rapport à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 (et non celle de 1789), cette déclaration universelle fait l’impasse sur l’article de celle de 1793 concernant l’insurrection, article qui sous une autre forme figure aussi dans la déclaration d’indépendance américaine, à savoir que si la liberté est à nouveau perdue, si le peuple est à nouveau assujetti, alors il lui est légitime de rejeter le gouvernement et de revivre l’acteur fondateur de l’égalité entre les hommes. Poser l’insurrection dans ces déclarations, n’est pas faire l’apologie de la guerre civile, mais c’est interroger la place et la valeur de la liberté et de l’égalité et annoncer l’imminence du pluralisme. Dire que la bibliothèque est une institution insurgente, c’est dire qu’en tant qu’institution elle porte en elle-même les conditions de sa remise en question, par la mise à disposition de tout ce qui peut amener le peuple à faire entendre sa voix.
  • 19. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 19 ©Raphaëlle Bats 2017 La bibliothèque une institution au service de la liberté : cela passe par la liberté de penser (et donc la neutralité des collections) et cela passe aussi par un engagement politique fort des bibliothécaires. Pour cela, je crois qu’il nous faut retrouver le chemin d’une culture politique des bibliothécaires. Culture qui gagnerait à se doter d’une approche critique, et je ne parle pas de cette critique facile que l’on peut faire sur les RSN, mais d’approche critique des concepts, des termes, des mots-clés de notre profession, au sens d’une Critical LIS (Library and Information Science). Culture politique qui passe aussi par « "remettre l’engagement du bibliothécaire comme une valeur forte de la profession et retrouver ces héros, hérauts de nos actes de résistance, hérauts de notre participation à la politique en œuvre, à la démocratie en train de se faire (des gens comme en France Eugène Morel ou Julien Cain) ».
  • 20. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 20 ©Raphaëlle Bats 2017 L’espace public J’en viens à mon troisième point. Je proposais donc la bibliothèque comme espace public parfait, tout en soulignant combien sans démocratisation, cet espace reste hypothétique. Avant d’en venir à sa démocratisation, je voudrais vous parler d’un exemple d’action menée en bibliothèque et qui pour moi relève vraiment de l’espace public. La bibliothèque municipale de Jean Macé, du réseau de la BM de Lyon, a organisé une nuit de la démocratie dans le cadre du projet démocratique. Avec beaucoup d’humour, ils en expliquent le titre : bibliothèque, nuit, démocratie. L’objectif était l’apprentissage des débats argumentés, via des outils type rivières du doute, bâton de parole, tout en proposant aux usagers de discuter du désherbage à venir à la bibliothèque. Sujet risqué !  Les élections  Le sketch  Les équations  Les courses au désherbage  Les débats Il me faut peut-être préciser qu’il y avait 70 personnes. J’en ai interviewé 8, qui venaient de quartiers différents de la ville, des âges allant de 14 à 75 ans, des non-usagers, des usagers ponctuels et des grands habitués… Cet exemple ne nie cependant pas que la bibliothèque ne parvient pas toujours à être l’espace public qu’elle souhaiterait être. Des espaces publics Mais il me faut être honnête. Bien sûr, mon discours est très orienté. Les bibliothèques ne sont pas l’unique espace public. Il est vrai qu’il est un autre espace qui porte les caractéristiques que j’ai relevé précédemment : c’est Internet. C’est ouvert, c’est gratuit, chacun peut y construire puis y exposer ses idées, elles sont rendues publiques. Pour certains penseurs de l’espace public, la rue, les parcs, les bancs publics sont autant d’espaces publics, entendus comme des lieux de rencontre, qui peuvent amener vers une mise en commun des usages, des différences. Je ne suis pas totalement en accord car il me semble qu’un espace public doit proposer aussi un ensemble de connaissances et d’arguments. L’espace public Habermassien est plutôt un lieu pensé comme lieu de pratiques, alors que leur espace est un lieu de rencontre, plutôt basé sur la sociabilité que l’émancipation et la participation, en d’autres termes. Dans les deux cas, l’espace public se voit reconnaitre une fonction de modification de la société, soit parce qu’elle permet la publicité des arguments et favorise les délibérations, soit parce qu’elle permet la mixité sociale.
  • 21. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 21 ©Raphaëlle Bats 2017 De fait, c’est une des limites de l’espace public qu’est la bibliothèque, sa capacité à véritablement diversifier ses usagers. Il serait donc intéressant pour la bibliothèque, non pas seulement de se penser comme espace public, mais de se penser comme devant intervenir sur tous les espaces publics et de les investir pour y porter aussi les voix les moins entendues, les moins présentes et souligner l’importance de la connaissance et de l’argument. Les bibliothèques sont déjà actives, de manière sporadique, mais réelle sur les espaces publics de la ville. Des bibliothèques investissent les marchés. La BM de Dunkerque a monté un partenariat avec un théâtre et tient une permanence dans le bar du théâtre. La bibliothèque municipale de Lyon a organisé un très beau projet, appelé Démocratie, dans lequel le point d’orgue de l’événement, un forum, se situait sur des places publiques, dans la rue, où y étaient organisés des ateliers, des conférences, des présentations... Pendant les Nuits debouts, la bibliodebout investissait les places publiques et continue de le faire, dans certains endroits, quand la contestation-elle s’est éteinte. Aller sur la place publique, qu’elle soit physique ou virtuelle, c’est renverser les perspectives. C'est dire que la bibliothèque est au service du peuple, là où sont les habitants, pas en un lieu qui est parfois peu rassurant et renvoie parfois à un sentiment fort d’illégitimité. Alors comment renverser cette perspective ? Je voudrais parler ici de la bibliothèque participante. La bibliothèque participante est le renversement de la bibliothèque participative. Pour nombre de bibliothécaires aujourd’hui, il suffirait de proposer des actions participatives pour que le public afflue à nouveau dans nos espaces. Au-delà du fait qu’on ne fait de participation pour accroitre ses statistiques sous risque d’en rester au barreau manipulation de l’échelle de la participation de Sherry Arnstein, c’est à mon sens prendre les choses à l’envers. Plutôt que de chercher à créer une bibliothèque participative, nous pourrions penser plutôt des bibliothèques participantes, qui s’intègrent pleinement dans les projets culturels ou non de leurs territoires. Je prends un exemple que j’utilise souvent. Si dans votre ville, il y a une association de cirque qui propose annuellement un spectacle. Vous pouvez attendre les affiches du spectacle, pour en découvrir le thème (disons la savane) et faire une sélection d’ouvrages sur ce thème, sélection mise à disposition du public qui vient à la bibliothèque, ou d’un public plus large via les réseaux sociaux numériques et votre site web. Pourquoi ne pas penser les choses en amont, et se rapprocher de l’association de cirque pour accompagner d’un point de vue documentaire le projet tout au long de l’année et de la création du spectacle ? La fonction documentaire du bibliothécaire prendrait alors un double sens : intégrée dans un projet local en accompagnement aux acteurs locaux et réinjectée dans les collections et leur valorisation en direction de publics plus habituels. C’est ce qu’on appelle le bibliothécaire embarqué ou intégré (Embedded librarian). Cela me semble une piste à suivre, qui implique de faire corps avec son territoire. Cependant, quand j’interroge les bibliothécaires sur leurs réseaux, ils citent rarement les habitants eux-mêmes, quand je leur demande s’ils vivent dans la ville ou le quartier où ils travaillent, 75% me signalent ne pas être habitants du territoire. Or si nous voulons vraiment servir la communauté, nous
  • 22. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 22 ©Raphaëlle Bats 2017 devons interroger ce qui nous lie à elle, les conditions de la fraternité, de la reconnaissance entre non pas eux (les publics) et nous (les bibliothécaires) mais au sein de la communauté que nous formons : habitants ou citoyens d’un territoire.
  • 23. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 23 ©Raphaëlle Bats 2017 Sociabilité J’en viens donc à mon dernier point, celui de la sociabilité. Nous nous demandions comment faciliter l’empowerment des habitants, leur reconnaissance comme citoyen. Je fais l’hypothèse que cela passe par un travail sur la sociabilité, entendue en plusieurs sens. La bibliothèque a un rôle social. Elle joue un rôle dans la construction du lien social. Il n’y a de société, que s’il y a un lien et une reconnaissance mutuelle des individus de la société, c’est ce qu’on appelle la solidarité sociale. Or cette reconnaissance mutuelle, cette solidarité, construit son socle notamment sur une identité partagée, en l’occurrence dans une société sur ce qu’on appelle, ou ce qu’on appelait avec que Sarkozy en donne une représentation négative, l’identité nationale. Les bibliothèques en tant que gardiennes de la mémoire, conservatrices de tout ce que la nation produit (par le dépôt légal), de tout ce qu’elle utilise pour se penser (fonds anciens), les bibliothèques participent de la possibilité d’un lien social dans une nation. Sociabilité directe Mais la bibliothèque a également une fonction que j’appellerai de sociabilité directe. La bibliothèque, tout comme l’école, mêle dans son espace des publics variés, tous mus par leur volonté d’apprendre, de se construire ou de se délasser. Cette fonction sociale de la bibliothèque repose sur la notion de mixité sociale, avec une conscience assez forte des bibliothécaires que cette mixité est plutôt un principe qu’une réalité, pour deux raisons : la première est que la diversité dans les bibliothèques n’est pas aussi importante qu’on le souhaiterait, et la seconde que la rencontre entre les différents groupes socio-culturels dans la bibliothèque n’est pas si évidente. Certaines bibliothèques travaillent beaucoup à faire se rencontrer les différents groupes sociaux qui la fréquentent. Je prends deux exemples. Le premier est celui de la BM de Montreuil. J’ai assisté, il y quelques semaines à une présentation de son directeur de leur travail approfondi sur l’accueil des migrants. La bibliothèque a des partenariats avec les associations locales d’accompagnement des migrants et notamment tout autour d’ateliers linguistiques. Mais il tenait à cœur de la bibliothèque d’organiser des temps où les migrants ne sont pas seulement les uns avec les autres, mais trouvent leur place dans la communauté par leur fréquentation avec d’autres. Au moment du salon de l’agriculture, la bibliothèque mène deux actions distinctes, d’une part l’organisation d’une rencontre-débat avec un agriculteur, en général qui fait de l’agriculture bio ou alternative. En gros, un sujet qui va amener à la bibliothèque des publics d’un certain niveau de vie. Et d’autre part un travail dans les ateliers linguistiques avec les migrants autour de cette rencontre pour que les participants élaborent des questions à poser pendant la rencontre. A noter que certains de ces migrants étaient agriculteurs dans leurs pays. Le jour de la rencontre ce sont donc ces deux publics qui sont ensemble dans la salle, qui posent des questions, ce qui joue beaucoup sur le sentiment de reconnaissance et d’appropriation de ces nouveaux publics que sont es migrants, mais aussi sur l’inter-connaissance par les deux groupes sociaux. Cet exemple est révélateur de la manière dont la bibliothèque peut interroger sa capacité à véritablement inclure le public dans ses préoccupations, non pas en tant qu’usager, mais en tant
  • 24. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 24 ©Raphaëlle Bats 2017 qu’habitant partageant un même projet commun dans une société démocratique. L’inclusion peut prendre plusieurs formes : présence de collections dédiées, mise en visibilité des publics, notamment des minorités… Si l’inclusion me parait une approche préférable à celle de l’intégration, qui est toujours du côté d’une certaine domination, elle serait très réductrice si elle se posait comme une pure question de visibilité, de communication, sans un travail poussé sur ce que chacun peut amener de savoirs à la communauté. Une réflexion forte sur les savoirs des habitants : savoirs pratiques, manuels, maternels, professionnels, d’usage, permettrait de les mobiliser et de donner visibilité à ces publics par une légitimation de leurs points de vue sur la société, par point de vue je parle ici plutôt d’un point géographique ou cartographique, que d’un contenu. J’en viens à mon deuxième exemple. La BM de Languidic, en Bretagne en zone rurale, a développé un nouveau service d’échanges de savoir au sein de la communauté des habitants. La bibliothèque a créé un compte sur Steeple, une plateforme d’échange, et a pris en charge de favoriser la rencontre des habitants via la connaissance ou la compétence. En d’autres termes, si j’habitais à Languidic, je pourrais m’inscrire sur la plateforme de la bibliothèque et dire : Je sais tricoter, et je voudrais apprendre l’arabe. Quelqu’un d’autre y annoncerait : je sais parler arabe et je voudrais savoir faire du pain. Une troisième dirait : je sais bien cuisiner et je voudrais savoir faire des pompons. La plateforme permet alors que je propose mes compétences de tricoteuse à la 3ème personne, qui proposera ses compétences de cuisinière à la seconde, qui me proposera de m’apprendre l’arabe. Ce que je trouve fascinant dans cet exemple, c’est que la bibliothèque a fait de la sociabilité sa mission, mais sans mettre de côté la notion de connaissance. D’autres bibliothèques organisent des foires aux savoirs, comme à la BM de Vaise, réseau de Lyon, mais de manière plus ponctuelle. Le cas de Languidic, qui existe également à la BM de Lyon sous une forme plus manuelle avec des panneaux d’affichage, est intéressant car ce n’est pas un événement, mais bien un service pérenne. Je reviendrais à la fin de cette partie sur l’importance de ce critère dans la création du lien social et dans l’empowerment de tous les citoyens. Solidarité Mais avant cela, je voudrais parler d’une autre fonction sociale de la bibliothèque, liée à la notion de solidarité et donc à l’idée que la bibliothèque est aussi une porte d’entrée dans la société et la nation. De fait, la bibliothèque travaille à l’intégration ou à l’inclusion de publics qui sont en marge de la société. L’autoformation en bibliothèque est emblématique de ce type de services dédiés à la possibilité pour l’individu de retrouver sa place dans la société. Cette fonction est exacerbée en temps de crise : aide à la recherche d’emploi, formation à la rédaction de CV, mais aussi aide à la maîtrise du français… La BM de Martigues a mis en place un service, basé sur la notion de solidarité, tout à fait originale. Ils proposent une fringothèque. Les personnes peuvent venir chercher des vêtements, notamment lorsqu’ils ont des entretiens à passer. Si tous ces exemples sont légitimes et pires nécessaires, il n’en reste pas moins vrai qu’il faille questionner cette notion de solidarité et faire attention. La solidarité implique normalement un double mouvement : chacun est solidaire de l’autre. La solidarité n’est ni la compassion, ni la charité. C’est un lien d’engagement et de dépendance réciproque. Il me semble qu’il faut prêter attention à
  • 25. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 25 ©Raphaëlle Bats 2017 ce que la solidarité en bibliothèque favorise la reconnaissance de cette dépendance réciproque et ne soit : ni dépendance exclusive : des plus pauvres envers les plus riches par exemple, ni obligation d’un engagement dans la conception sociale de celui qui donne, prête… En d’autres termes, l’autoformation par exemple peut vite relever d’une fonction sociale de la bibliothèque qui repose sur l’idée que la solidarité sociale ne peut s’exercer que sur des individus jouant le jeu de la société : recherchant du travail, parlant la même langue, etc. Aux Pays-Bas, il a été sorti il y a quelques années des textes des bibliothèques la notion de citoyen pour la remplacer par celle d’individus. La bibliothèque ne forme plus des citoyens, mais des individus qui vont chercher leur place dans la société, une société capitaliste, de marché… Tournée vers l’individu, la bibliothèque favorise alors une fonction sociale, qui ne relève plus ni de l’émancipation, ni du collectif. Attention, comme je l’ai dit les services d’autoformation sont à la fois légitimes et nécessaires, mais la solidarité implique plus que cela, elle implique que nous ayons une interdépendance et que nous la reconnaissions. Se pose alors la question de la place de la parole des plus démunis dans l’espace de la bibliothèque. Je prends un autre exemple : la Bibliothèque du Bachut, à Lyon, est une bibliothèque qui reçoit énormément de SDF. Comme déjà dit, ils ne sentent pas toujours bon. Certains ont des comportements inattendus. Leur usage de la bibliothèque n’était pas standard. Bref, un conflit s’est vite créé avec les usagers qui se considéraient plus légitimes. Pour recreer du lien social et de la solidarité entre ces publics, la bibliothèque a fait un immense travail avec les SDF pour leur faire raconter leurs parcours, en faire un livre et une exposition. Non seulement la narration de ces parcours a facilité la réhumanisation des SDF dans les yeux de leurs concitoyens, mais elle a surtout montré l’étendue de ce que ce public avait en vérité de connaissances à partager, connaissances tout à fait légitimes en bibliothèques. La reconnaissance marche sur à la fois l’appréciation d’une identité : je me reconnais dans l’autre et lui en moi, et sur la certitude d’une solidarité effective, d’un apport identique que nous pouvons porter à l’évolution de la société. Sur cette question de la reconnaissance et de l’identité, je voudrais m’arrêter rapidement sur ce que Lordon, philosophe français, appelle les affects de la politique. S’inspirant de Spinoza, il développe l’idée qu’une lutte médiatique est à mener pour faire voir, entendre et sentir les histoires qui ne sont jamais médiatisées, et qui sont susceptibles par les images qu’elles créent de favoriser une action politique de ceux qui vont les recevoir. Laisser les médias avoir toute la main sur les images, c’est abandonner à des médias dont on ne doute pas de leur vision du monde, toute capacité à créer de l’action politique. Je me demande si la bibliothèque n’a pas un rôle à jouer dans la création des affects et des images autres, parce que les bibliothèques sont présentes au cœur des communautés, dans le quotidien parfois merveilleux et parfois dramatique des habitants. En investissant leur capacité à produire du contenu en lien avec les habitants, les bibliothèques se positionnent peut-être comme non pas de nouveaux médias, mais comme expérimentant une nouvelle facette de leur rapport au savoir et donc au pouvoir. Je prends un autre exemple, celui de BU de Boulogne sur mer, cote d’opale, qui a travaillé sur l’accueil des réfugiés au travers d’une exposition conçue avec des chercheurs et des associations et qui a reconstruit dans ses locaux une cabane de tôle telles qu’elles
  • 26. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 26 ©Raphaëlle Bats 2017 sont dans la jungle de calais. On retrouve dans cet exemple la volonté de donner à voir et donner à sentir pour que la solidarité se créée, mais cet exemple me permet aussi de rebondir sur un dernier point, celui de l’hospitalité. En temps d’accueil massif de réfugiés en France, et dans nombre d’autres pays, cette question se retrouve plus que jamais importante. Les bibliothèques qui sont des lieux d’accueil, sont-elles hospitalières ? On peut réduire cette question à celle de la convivialité et se satisfaire de faire de beaux lieux, agréables, comme à la maison pour se dire accueillant. C’est vrai, cela joue certainement. Cependant cela ne me parait pas suffisant. Offrir l’hospitalité, c’est ouvrir sa maison à l’autre, c’est l’intégrer dans sa famille, dans sa communauté. C’est donner à l’autre une place centrale dans son monde. Ce n’est pas disparaitre pour laisser chacun se trouver une place, c’est bien au contraire re-manifester que le lien social se conjugue en collectif en termes de solidarité, de sociabilité et de faire société. Je n’ai pas encore travaillé de manière approfondi cette notion d’hospitalité, mais il me semble l’avoir déjà approché à partir d’une autre notion, qui est celle d’événement et que je relie donc à mon exemple de Languidic, dont je salue au contraire le caractère pérenne de la mise en visibilité des publics. J’ai déjà tenu ce discours au sujet des bibliothèques vivantes, mais il me semble que cette question de l’événementiel est générale aux services de la bibliothèque. L’inclusion des publics, pour plus de lien social, ne peut se satisfaire d’être événementielle. En faisant apparaitre pour un unique instant ces citoyens invisibles, qui re-disparaissent ensuite, on court le risque de condamner ces individus à une nouvelle forme d’existence politique (au sens de vie en commun dans la cité) qui serait événementielle, voire spectaculaire. Faire de ceux qui émargent au silence les rois de la fête pendant deux heures peut être certes considéré comme le fameux battement d’ailes du papillon, prélude à de rencontres, idées, pensées qui vont créer de nouvelles situations politiques, mais c’est là à la fois laisser faire le destin et parier sur l’avenir. Les bibliothèques en tant qu’institution devraient garantir à chacun leur apparition, non événementielle, mais pérenne dans l’espace public. Comme le dit Etienne Tassin, « La politique relève de l’action, l’action est manifestation, la manifestation est apparition des acteurs et l’apparition des acteurs révélation de ce qui est en jeu dans toute vie collective : une existence apparaissant à tous et dessinant par ses actions l’espace de cette apparence qu’il revient aux institutions et aux autorités légitimes de garantir et aux citoyens d’actualiser. » (Etienne Tassin , p 203). C’est donc là que se joue le glissement de la lutte contre l’exclusion à l’inclusion, de la cohabitation à la solidarité, de l’accueil à l’hospitalité, en allant vers une apparition permanente, établie, qui ne se fasse pas par à-coups. Aller au bout de la réflexion implique à mon sens également un travail fort à mener sur la restitution des ateliers, événements, activités. Ainsi, la Bibliothèque municipale de Lyon a notamment développé pour son projet Démocratie une webradio, redistribuant ainsi les apports des habitants
  • 27. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 27 ©Raphaëlle Bats 2017 dans l’espace public internet. Par la restitution, la participation des habitants aux événements est replacée au sein du processus d’émancipation. La boucle est bouclée.
  • 28. Raphaëlle Bats, Enssib Bibliothèques, rôle social et politique 28 ©Raphaëlle Bats 2017 CONCLUSION : Il est temps de conclure. Il me semble que, plus que jamais, les bibliothèques doivent assumer leur rôle social et politique, d’acteur de la démocratie, de lieu démocratique et de lieu où expérimenter des formes démocratiques. La bibliothèque n’est pas une utopie, mais elle crée des utopies. Elle permet à chacun et chacune, mais aussi collectivement de créer de nouveaux chemins, inattendus, pour penser des avenirs partagés. Pour résumer, la bibliothèque est fabrique d’égalité, fabrique d’utopie, fabrique d’émotion et fabrique d’expérimentation. Alors, si avec cela, nous ne parvenons pas à changer le monde… …. Merci !