La société de gestion genevoise Semper Gestion ouvre une bureau de représentation à Shanghai et étoffe son équipe chinoise.
Plus la dégradation conjoncturelle de l'Europe et des Etats-Unis devient une réalité acceptée par les investisseurs, plus le marché de la Chine devrait sur-performer en termes boursiers.
1. FINANCE // DOSSIER
DOSSIER
MARCHÉS
ASIATIQUES
SHANGHAI TOUJOURS
SIGNE DES TEMPS, LA SOCIÉTÉ DE GES-
TION GENEVOISE SEMPER OUVRE UN
BUREAU DE REPRÉSENTATION À SHAN-
GHAI ET ÉTOFFE SON ÉQUIPE CHINOISE.
«PLUS LA DÉGRADATION CONJONC-
TURELLE DE L’EUROPE ET DES ETATS-
UNIS DEVIENT UNE RÉALITÉ ACCEP-
TÉE PAR LES INVESTISSEURS, PLUS LE
MARCHÉ DE LA CHINE DEVRAIT SUR-
PERFORMER EN TERMES BOURSIERS»,
PRÉCISE GRÉGOIRE VAUCHER, L’UN DES
ASSOCIÉS-GÉRANTS DE LA SOCIÉTÉ.
Véronique Bühlmann
14// 15 MARKET.CH - OCTOBRE 2011
tion, celle qui est susceptible d’acheter des
montres qui ne sont pas des montres».
Les atouts de l’irrationnel
Plus généralement, pour l’entrepreneur,
«en Chine, l’expansion future du luxe paraît
infinie», et toute l’horlogerie suisse de luxe
y dispose d’atouts décisifs. Il explique:
«contrairement à ce qui se passe dans les
‘vieilles’ économies où la tendance est plu-
tôt à cacher sa richesse, dans les économies
émergentes, on observe un besoin très net
de sortir de l’incognito et de communiquer
son statut. Ce besoin est un véritable pain
bénit pour les fabricants d’objets de luxe.
Et parmi ces objets, la montre possède le
grand avantage d’être un marqueur puissant:
contrairement au yacht ou à la voiture, elle
peut être portée et donc montrée, partout et
en toutes circonstances.
L’horlogerie suisse a su s’échapper de la
prison de la rationalité, celle de fournisseur
de garde-temps qui l’aurait conduite à la
faillite. Elle est entrée dans la communica-
tion de l’irrationnel, dans la communication
d’un statut (élégance, culture, raffinement,
richesse, sportivité, etc.). Cette communica-
tion est d’autant plus forte qu’elle repose sur
des qualités rationnelles (fiabilité, précision,
innovation, etc.). Et sur ce plan, contrairement
à l’horlogerie japonaise toujours axée sur le
rationnel, l’horlogerie suisse est devenue
pratiquement imbattable. Je dirais même
que l’industrie s’est construite un monopole
planétaire. Alors que dans d’autres domaines
du luxe comme la mode ou l’automobile
il existe plusieurs nations concurrentes,
en matière d’horlogerie de luxe, les seuls
concurrents en lice sont tous suisses».
Une Ferrari made in Shanghai
Grâce à cette situation très particulière, la
branche devrait être en mesure de résister
aux aléas conjoncturels. À la question de
savoir si, au vu de l’importance des marchés
asiatiques, il ne serait pas tenté de délocali-
ser, Jean-Claude Biver répond: «ce serait un
non sens, voire un suicide. Délocaliser signi-
fierait nous couper de nos racines, de notre
force, de notre histoire, de notre culture et de
notre savoir-faire. Il existe des objets de pres-
tige qui ne peuvent jamais déménager parce
qu’ils incarnent un pays ou une région. Le
jour où l’on apprendrait que Ferrari ou Dior
fabriquent à Shanghai, leur aura disparaî-
trait immédiatement». Autre bonne nouvelle,
Jean-Claude Biver désamorce la spirale
pessimiste liée à la force du franc suisse.
S’il fustige les spéculateurs qui ont poussé
notre monnaie à la hausse, et reconnaît que
son appréciation fait temporairement souffrir
les entreprises (du moins celles exposées à
l’euro ou au dollar car, souligne-t-il, le ren-
minbi, le dollar de Singapour ou le Yen sont
également des monnaies fortes), il se garde
bien de toute panique: «en 1975, lorsque
j’ai commencé, le dollar valait 4,40 francs.
Il en vaut aujourd’hui 0,80… et pourtant les
Suisses vendent toujours des montres aux
américains. Tout ne passe donc pas seu-
lement par les ajustements de prix. La pro-
ductivité, la créativité, l’innovation, la qualité,
le service constituent autant de moyens de
combattre la cherté!»
Pour l’investisseur comment profiter de cet
essor économique et battre les indices?
Peut-être en méditant ce leitmotiv de Jean-
Claude Biver qui représente une véritable
ligne de conduite de son entreprise: «tou-
jours nager contre le courant, parce qu’un
poisson qui nage avec le courant est un pois-
son mort». Et la première application pratique
de cette sentence pourrait être de jouer
l’Asie au travers d’un fonds axé sur le luxe,
«pour autant qu’il ait un bon gérant», précise
le CEO de Hublot.
Han Han, coureur automobile et partenaire de Hublot
D
epuis plus de quatre ans, Semper
investit dans des sociétés chinoises
et depuis deux ans, cet engagement
s’est concrétisé par la création d’un fonds
de private equity axé sur les entreprises en
forte croissance et tournées vers la consom-
mation interne du pays. Comme l’explique
Grégoire Vaucher: «Notre métier étant basé
avant tout sur les relations humaines, il nous
a paru indispensable de disposer d’un relais
sur place. Cette décision d’opter pour la Chine
plutôt que, comme beaucoup d’autres, pour
Singapour, reflète notre vision de l’avenir à
long terme». «Par ailleurs, précise-t-il, en étant
présents sur le terrain et directement investis,
nous sommes en mesure d’apporter une valeur
ajoutée à notre clientèle, ce petit plus qui fait
la différence».
À plus brève échéance, que conseiller aux
investisseurs dont la monnaie de référence
est le franc suisse et pour lesquels l’Asie en
général, et la Chine en particulier, se sont avé-
rées plutôt décevantes ces dernières années?
Venant de la BCV où elle gérait les fonds
Seapac et Chinac, Tianning Ning Kernen qui
vient de rejoindre Semper pour prendre la
responsabilité de la gestion d’actifs sur le mar-
ché chinois, répond: «Tout dépend de ce que
les investisseurs anticipent pour le dollar. S’ils
sont très pessimistes sur cette monnaie, il leur
faudra évidemment couvrir une partie de leurs
positions. Cela dit, considérant que le franc
suisse est actuellement surévalué, il n’y a pas
lieu de le faire».
Des valorisations attrayantes
Pour ce qui est du marché chinois, malgré
des estimations révisées à la baisse pour
2012 et des perspectives de croissance
ramenées à 8-8,5%, la gérante estime que:
«après la forte baisse de cet été, je pense
que nous approchons un point d’entrée. En
termes de valorisation, le marché chinois se
traite au même niveau que la Corée, soit à
8,5 fois les bénéfices. Il est donc proche du
support de 8 fois touché durant la crise de
2008. De plus, les actions chinoises offrant
un rendement moyen de 3,5%, le potentiel
de baisse me paraît limité».
Compte tenu de ces perspectives allé-
chantes, les gérants devraient être sur le
point d’entamer un mouvement d’achat.
Est-ce votre cas, avons-nous demandé à
Manuel de Acevedo, gérant du fonds actions
internationales de Semper? «La Chine, via
Hong Kong, représente actuellement 7%
du fonds et l’Asie 19%. En moyenne, la
région compte pour 15% du portefeuille et
a pu représenter jusqu’à 25% de nos actifs.
Mais nous avons diminué notre exposition à
la Chine au profit de la Corée et axons notre
recherche sur les valeurs de croissance peu
chères, essentiellement dans le domaine
des petites et moyennes capitalisations, un
secteur très dynamique. À titre d’exemple, je
citerais la société coréenne CKD Bio Corp
opérant dans la production d’antibiotiques
et qui se paie environ 5 fois les bénéfices.
Bioland, active dans l’extraction de plantes,
est également un titre intéressant. Il se traite
à 6,5 fois les bénéfices alors que pour 2012,
la croissance attendue des bénéfices est de
l’ordre de 40%. Ce sont certes de petites
capitalisations boursières (moins de 125 mil-
lions d’euros), mais c’est dans ce secteur que
nous trouvons les meilleures opportunités».
Croissance de 30% pour les pharmas
Pour ce qui est de la Chine et sur le long
terme, Tianning Ning Kernen privilé-
gie le secteur pharmaceutique qui devrait
connaître une croissance supérieure à celle
du marché. Selon elle, les mauvaises nou-
velles sont déjà dans les cours et ce sec-
teur devrait être amené à croître fortement.
Contrairement aux marchés développés où
il représente grosso modo 20 à 30% de l’in-
dice, sa part n’est que de 3% en Chine. Avec
le vieillissement de la population chinoise et
l’inévitable consolidation d’un secteur phar-
maceutique qui compte encore quelques
6’000 sociétés, ce secteur possède tous
les atouts pour une forte progression. Pour
2012, la gérante anticipe déjà une crois-
sance de l’ordre de 30% et privilégie les
grandes capitalisations.
À l’instar des autres gérants actifs sur cette
zone, elle croit fermement au thème de la
consommation privée ainsi qu’au secteur
de la technologie de l’information. Enfin,
elle prévoit un bel avenir pour les valeurs
bancaires: «ce secteur jouit de bons fonda-
mentaux et il y a un beau rattrapage à faire»,
conclut-elle.
«Le marché chinois
approche d’un point
d’entrée»
Tianning Ning Kernen,
responsable de la gestion
d’actifs sur le marché chinois
chez Semper
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