3. DOSSIER Un tour d’horizon sur l’un des enjeux liés à l’énergie
Avec un prix du baril quatre fois plus cher qu’en 2002 en moyenne
annuelle, les techniques d’exploration et de récupération poursuivent
leur montée en puissance. Conséquence : les compagnies relancent
la course à l’or noir et s’intéressent à des gisements qu’elles jugeaient
jusqu’à présent impossibles à exploiter. Des sables asphaltiques du grand
Nord canadien aux profondeurs de l’ultra off-shore des côtes brésiliennes,
voyage autour de cette nouvelle « planète pétrole ».
F
ace aux perspectives d’épui- “dégradés”, explique l’Institut français du
Les schistes bitumineux, presque cinq fois
sement de l’or noir classique, pétrole (IFP). Situés à faible profondeur dans plus coûteux à exploiter que le pétrole du
les groupes pétroliers se ruent des sables non consolidés et donc très perméa- Moyen-Orient
sur le brut « non convention- bles, ils ont subi une altération liée à des Niveau de prix nécessaire pour rentabiliser la production
de pétrole, y compris les coûts liés aux émissions de CO2
nel ». Ce type de pétrole est infiltrations d’eau et de bactéries. Ce phéno-
formé par les hydrocarbures, mène a détruit les molécules les plus légères en dollars par baril
denses et fortement visqueux, et a enrichi artificiellement l’huile en asphal- 70
Schistes bitumineux
qui doivent être rendus plus fluides et plus tènes et en résines. Ils contiennent, en outre,
60
Pétrole de l’Arctique
légers pour être produits en quantités suffi- des métaux lourds, de l’azote et du soufre,
santes et à des conditions économiquement qui impliquent un traitement particulier lors Pétrole extra-lourd 40
(Canada, Venezuela…)
rentables. À ces bruts « non conventionnels », du raffinage. »
LES PÉTROLES
40
Off-shore très profond
on ajoute également les gisements situés en Avec les techniques actuelles de production
off-shore profond. Extraire du pétrole par plus et un taux de récupération (c’est-à-dire la 35
Off-shore profond
de 2000 mètres de fond, mettre en production quantité de pétrole que l’on peut extraire d’un
15
Moyen-Orient
des champs pétroliers où la matière première gisement) compris entre 20 et 50 %, de tel-
ressemble davantage à du goudron qu’à les ressources permettent au Canada de
DE L’EXTRÊME
un liquide noirâtre : dans un contexte où revendiquer 152,2 milliards de barils de Source: AIE, 2007.
réserves récupérables1. Ce qui classerait ce
le baril brut reste encore 40 % plus cher qu’il
y a un an en moyenne annuelle, et quatre fois pays en deuxième position derrière l’Arabie
plus élevé qu’il y a huit ans, tous les moyens Saoudite, qui dispose, elle, de 264,2 milliards il est supérieur à 40 dollars au Canada, contre
sont déployés pour récupérer de l’or noir. de barils1… Sur la base d’un taux moyen 5 à 8 dollars maximum pour un nouveau
L’exploitation de ces gisements est de nature de récupération de 10 %, le sous-sol de projet d’exploitation de brut conventionnel
à retarder le pic pétrolier ou Peak Oil, c’est- l’Orénoque contient quant à lui environ au Moyen-Orient.
à-dire le moment où la production de pétrole 50 milliards de barils de brut extra-lourd. Les pétroles de l’Athabasca et de l’Orénoque
commencera à décroître. Direction le Vene- L’ampleur exceptionnelle de ces accumula- sont de natures très différentes. Les huiles de
zuela et le Canada, champions du pétrole tions d’hydrocarbures nécessite des projets l’Orénoque sont extraites à froid. Afin de faci-
« extra-lourd »… industriels, des compétences et des investis- liter la remontée du pétrole, déjà stimulée
sements considérables. Le coût moyen de par des pompes, un produit diluant, le naphta
150 milliards de barils seraient production pour les gisements en développe- (fraction très légère du pétrole brut), est injecté
«récupérables» au Canada ment est de 20 à 30 dollars au Venezuela et en tête et en fond de puits. Le naphta sert
L’appellation « extra-lourd » recouvre certai-
nes qualités de pétroles (on parle aussi
Le gaz d’Alaska fait rêver les compagnies
d’huiles) très denses du Venezuela, ainsi que
les sables asphaltiques du Canada. La majeure
partie du pétrole extra-lourd stricto sensu À l’instar des projets lancés en eaux très profon- de ce point de vue, pleins de promesses. Près de
des, dans le grand Nord canadien ou dans les zones 15 milliards de barils de réserves récupérables et
se situe au Venezuela, dans la « ceinture » qui
presque polaires (Snovhit en Norvège, Stockman en plus de 2 000 milliards de mètres cubes de gaz
borde le fleuve Orénoque. Les sables asphal-
Russie), les groupes pétroliers à la recherche de se trouveraient dans cette zone. En dépit de l’oppo-
tiques se trouvent principalement au Canada,
nouvelles ressources sont prêts à payer très cher sition des associations environnementales, l’admi-
✔ Une plate-forme dans le grand Nord dans la région de l’Athabasca (province de
Les groupes pétroliers à la recherche leur ticket d’entrée dans des zones inexploitées. Les nistration américaine a attribué au mois de février
de nouvelles ressources sont prêts l’Alberta). « Ces pétroles non conventionnels gisements de la mer des Tchouktches en Alaska sont, plusieurs centaines de licences d’exploration.
à payer très cher leur ticket d’entrée
sont, pour leur plus grande part, des bruts
dans des régions encore inexploitées.
Les zones septentrionales norvégiennes,
04 05
russes et l’Alaska sont particulièrement
convoitées.
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4. DOSSIER
également à fluidifier le brut pendant le Nord de la mer du Nord, les côtes du Brésil, projets grands fonds multiplient encore les
transport par pipeline jusqu’aux raffineries celles de l’Australie et la mer de Chine. défis qui sont liés, essentiellement, au poids
situées à quelque 200 kilomètres de là. D’immenses progrès ont été réalisés dans des installations nécessaires et à la tempéra-
Les bruts de l’Athabasca sont presque solides l’exploration (notamment dans la recherche ture de l’eau. Ainsi, au-delà de 2 000 mètres,
et s’extraient de puits ou de mines à ciel ouvert. sismique) et la production de pétrole marin. les conduites « classiques » qui relient le sup-
Bien que le formidable potentiel de cette Les supports de production ont également port de production en surface au fond de la
région ait été identifié depuis des décennies beaucoup évolué : les champs mer où elles sont connectées
par les compagnies pétrolières, l’exploitation ont été exploités à partir de sont incapables de supporter
Une dizaine
des sables asphaltiques est assez récente : plates-formes fixes de plus leur propre poids ! Les indus-
de gisements
le coût de la séparation du sable et de l’huile en plus hautes, puis à partir triels cherchent à mettre au
a longtemps été un frein au développement d’engins flottants quand la point des conduites dans des
seulement sont
de ces gisements, le prix de vente du brut construction d’installations fixes métaux moins lourds que
exploités à plus
ne couvrant pas les coûts de l’extraction. est devenue impossible. Au-delà l’acier, voire en matériaux
de 1500 mètres
Le niveau fluctuant des cours du brut n’ex- de 1 500 mètres, une dizaine composites.
plique pourtant pas à lui seul l’accélération de gisements seulement sont Quant à la température,
sous l’eau.
des projets au Canada. Si les sites de produc- exploités. Les compa gnies elle est de 4 °C seulement au-
tion de sables asphaltiques se multiplient pétrolières utilisent la technique dessous de 1 500 mètres de
aujourd’hui, c’est aussi parce que les compa- des plates-formes flottantes FPSO (Floating profondeur, alors que le pétrole sort du sous-
gnies peuvent enfin compter sur des procédés Production Storage and Offloading), amarrées sol jusqu’à des températures de 80 ou 100 °C
d’extraction qui ont fait leurs preuves. par une série de lignes d’ancrage destinées et doit être conservé aussi chaud que pos-
à assurer leur stabilité au-dessus du point sible pour éviter le dépôt sur le tube de
Les sables asphaltiques d’extraction malgré le vent et les courants. production de paraffine ou d’hydrates de
sont très gourmands en eau ✔ Canada carbone. Les conduites doivent donc en
Les conduites ne peuvent plus
Essentiellement deux modes d’exploitation, permanence être maintenues dans des condi-
Les exploitations de sables
bitumineux sont toujours
supporter leur propre poids !
en fonction de la profondeur et des caracté- tions strictes de pression et de température.
très étendues (ici, celle
exploitée par Shell/Albian).
ristiques du gisement, sont utilisés. Le coût technique (exploration, développe- Jusqu’où est-il possible de chercher du
Il y a, tout d’abord, la technique minière ment et production) de ce pétrole, qui était pétrole ? D’autres défis attendent les compa-
✔ Canada
classique à ciel ouvert, avec l’utilisation de Les taxes sur le CO2 conduiront à renchérir d’environ 10 dollars en 2000, peut atteindre gnies pétrolières. Les nappes découvertes
gigantesques pelleteuses. Elle concerne le baril produit par méthode thermique. aujourd’hui entre 20 et 30 dollars le baril. en grands fonds sont de tailles de plus en
Cet énorme camion
peut charger 400 tonnes
les zones où le sable se trouve à moins de C’est pourquoi, à terme, les opérateurs Il ne faudrait pas croire qu’aller chercher du plus modestes, dispersées ou éloignées des
de sable, soit 200 barils
de pétrole.
70 mètres de profondeur. D’énormes camions, devront investir pour capturer ou stocker pétrole aussi loin est devenu chose aisée: les côtes, et ces huiles sont de qualités variables :
ou des tapis roulants, acheminent ensuite les gaz émis.
La profondeur des exploitations off-shore a été multipliée par huit en trente ans
le sable pour un traitement à l’eau chaude,
Le pétrole marin représente un
le pétrole étant récupéré par dilution dans du
tiers de la production mondiale
pétrole léger. Les deux tiers de la production
Autre pétrole de l’extrême, celui que l’on
canadienne sont réalisés par ce procédé, qui
trouve par plus de 1 500 mètres de fond est
exige de grandes quantités d’eau, sa filtration
désigné par l’expression d’« off-shore ultra-pro-
après usage et la remise en place des sables 312 m
540 m
fond ». Le brut off-shore, dans son ensemble,
prélevés qui ont préalablement été lavés
752 m
représente aujourd’hui un quart des réserves
plusieurs fois.
prouvées (3 % seulement pour les grands
L’autre technique repose sur l’injection de 1 027 m
fonds au-delà de 1 500 mètres) et le tiers de
vapeur d’eau par un puits horizontal : c’est
la production pétrolière mondiale (0,5 % pour
la méthode thermique. Le pétrole ainsi flui- 1 650 m
1- Lieu
l’off-shore ultra-profond) selon l’IFP. Les
difié est récupéré par un autre puits. Mais 2 540 m
1 709 m
2- Opérateur
1 853 m
profondeurs atteintes sont aujourd’hui huit
cette technologie coûte très cher. Elle néces- 3- Support
fois plus importantes que lors des premières
site également d’énormes volumes d’eau,
1978 1989 1991 1994 1997 1997 2000 Oct. 2007
exploitations off-shore, passant de 312 mètres
beaucoup d’énergie pour fournir la vapeur
Roncador, At Water
Cognac, Jolliet, Marlim, Mensa,
Marlim, Marlim Sul,
de fond en 1978 à 2 540 mètres en 2007 (voir
injectée dans le réservoir, et génère d’impor- 1 Brésil Vortex, golfe
golfe du golfe du Brésil golfe du
Brésil Brésil
du Mexique
Mexique, USA Mexique, USA Mexique, USA
schéma). Les 2 700 mètres devraient être
tantes émissions de gaz à effet de serre. Autant 2
Shell Conoco Petrobras Petrobras Shell Petrobras Petrobras Anadarko
dépassés cette année dans cette même zone.
de facteurs contribuant au renchérissement 3
FPSO* FPSO*
FPSO*
Plate-forme Plate-forme à Semi- Semi- Connexion
Actuellement, une demi-douzaine de grands
des opérations. Dès lors, que dire de la fixe lignes tendues submersible submersible sous-marine * FPSO: Floating Production Storage and Offloading
d'un champ
bassins retiennent l’attention des géologues :
contrainte environnementale, qui entre (système flottant de production, de stockage
satellite et de déchargement).
le golfe de Guinée, le golfe du Mexique, le
aussi dans l’économie globale des projets ?
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