2. un spectacle pour
deux acteurs-manipulateurs
et un sonorisateur
conception : Jean Pierre Larroche
création : 2013
production : Les ateliers du spectacle
3. , les mots, les dates,
les gens, l’avant, mes papiers,
mon âge, les clefs, les histoires, la chanson, les noms,
j’oublie comment ça marche, le mode d’emploi,
l’ordre des choses,
ma langue, les bonnes manières, de dire merci, bonsoir,
les visages,
j’oublie les êtres disparus,
mes rêves, j’ai un trou, mes idées : perdues,
je ne me rappelle plus quand j’étais petit, je perds le fil
je m’oublie, je ne me reconnais pas, j’observe la tournure
des événements mais j’oublie ce qui vient de se passer,
je ne suis pas surpris puisque j’oublie tout.
4. Au creux de notre travail il y a des textes perdus de
G.K Bradcock-Burnaby tirés d’un mémoire intitulé
l’Oubli mémorable.
G.K B.B nous avait déjà fourni la matière de travaux précédents
avec un disparate de textes réunis dans une publication de 1863 (The Art
of Legerdemain-Londres). Ce recueil (G.K B.B le présente comme prove-
nant de plusieurs sources mais il semble cependant avoir été écrit d’une
seule main) comprenait : un Théorème des Substitutions, le Chapitre des
objets sympathiques, le Langage des Fantômes ou comment dialoguer
avec les êtres spectraux, la Prestidigitation en cinq leçons, un Dialogue de
Giordano Bruno avec son bourreau, les Formes du Semblable.
L’Oubli mémorable - demeuré à l’état de manuscrit - se
présente à la fois sous la forme d’un traité de
mnémotechnique (fondé principalement sur le principe
des correspondances et des associations d’idées) et d’une
analyse obstinée des mécanismes d’oubli dans la langue.
Le mémoire de G.K B.B (qui obscurcit un peu son objet en
le dispersant en nombreux renvois et annotations)
multiplie les hypothèses sur les formes de l’oubli et les
exemplifie à chaque fois de la façon la plus singulière et
imagée. Ce texte est un matériau délicat et lacunaire qui
semble s’effacer à mesure que nous le parcourons, il nous
emmène (et nous égare un peu) sur ses chemins ramifiés.
5.
6. sur la scène :
un endormi (il s’éveille régulièrement),
des tables partout, qui sont les scènes de ses oublis,
des «horloges» (c’est à dire des dispositifs autonomes
de régulation d’un mouvement de longue durée),
de vrais automates,
de faux automates, des mots à lire,
peu de mots à entendre,
des machines à transformations,
de vraies ombres portées,
des ombres factices,
des machines pour disparaître...
7. La mémoire est comme l’estomac de l’esprit
Saint Augustin
8. j’oublie tout, je tire les fils emmêlés de mes spectacles
depuis quelques années : en Equilibre indifférent,
à Distances, Prolixe, Achille immobile à grands pas,
Bafouilles...
certains de ces fils activent sans doute toujours les mêmes
choses, ou des semblables : l’idée de la scène prise comme
un atelier d’expérimentation du présent (du plus que pré-
sent), l’envie de retourner les effets contre les causes, un
léger trafic de l’ordre des faits, le plaisir de faire à
distance...
tout cela sera donc encore à l’oeuvre même si j’oublie tout
9.
10. Sans abréviation, il n’y a point de connaissance.
L’abréviation est une de ces « conditions » innombrables.
La mémoire repose au fond sur la possibilité d’équation
imparfaite. Si le souvenir était intégral, impossibilités.
Répéter n’est pas se souvenir.
C’est agir, au moyen et dans les bornes du souvenir.
La rapidité avec laquelle l’homme qui s’éveille d’un
profond sommeil, se reprend à être ce qu’il fut et ce qu’il
sera, est un effet de prodigieuse abréviation.
11. Il se secoue et franchit, en quelques minutes de temps
solaire, un intervalle d’états qui vaut des années de
gestation, d’éducation, d’adaptation et d’exercices.
C’est un coup de mémoire générale qui rappelle presque
instantanément le système à ses devoirs, l’être à ses
pouvoirs, le tas de matériaux à l’édifice, le néant à la
capacité d’agir, le désordre – à l’utilisable.
Paul Valéry
12. L’oubli se conserve dans la mémoire et la présence de ce
qui fait que nous oublions nous est quelques fois nécessaire
pour nous empêcher d’oublier.
Nous ne pouvons pas dire avoir du tout oublié ce que nous
nous souvenons d’avoir oublié et nous ne pourrions pas
chercher ce que nous aurions perdu si nous l’avions
entièrement oublié.
Saint Augustin