Extrait de La Fabrique de l'Homme endetté de Maurizio Lazzarato
1. extrait de la Fabrique de l’Homme Endetté
de Maurizio Lazzarato
La relation créancier-débiteur intensifie les mécanismes de l’exploitation
et de la domination de manière transversale puisqu’elle ne fait
aucune distinction entre travailleurs et chômeurs, consommateurs et
producteurs, actifs et inactifs, retraités et allocataires du RSA. Tous sont
des débiteurs responsables face au capital. Un des enjeux politiques
majeurs du néolibéralisme est encore, comme le dévoile sans ambiguïté
la «crise» actuelle, celui de la propriété, puisque la relation créancier-
débiteur exprime un rapport de force entre propriétaires (du capital) et
non propriétaires (du capital).
À travers la dette publique, la société entière est endettée, ce qui exacerbe
les inégalités.
La succession des crises financières a fait violemment émerger une figure
subjective qui était déjà présente mais qui occupe désormais l’ensemble
de l’espace public: la figure de «l’homme endetté».
La consommation, dans les pays développés, est une très importante
source de «rente» pour les créanciers. Les dépenses les plus importantes
d’une famille (achat d’une maison, d’une voiture, dépensés pour les
études...) se font à crédit. Par la consommation, nous entretenons un
rapport quotidien avec l’économie de la dette sans le savoir, dans nos
poches, nos porte-monnaie, nos cartes de crédit.
La dette n’est pas un handicap pour la croissance, elle constitue au
contraire le moteur de l’économie contemporaine.
La dette sécrète une «morale» propre, à la fois promesse (d’honorer sa
dette) et faute (de l’avoir contractée)». Le débiteur est «libre» mais ses
actions, ses comportements doivent se dérouler dans des cadres définis
par la dette qu’il a contractée. Cela vaut aussi bien pour l’individu que
pour une population, une nation.
La dette est un rapport de pouvoir universel, tout le monde y est inclus.
La relation créancier-débiteur concerne la population actuelle dans
son ensemble, mais aussi celle à venir. Un nouveau bébé français naît
déjà avec près de 30000 euros de dette. L ’homme endetté est soumis
à un rapport de pouvoir qui l’accompagne tout au long de sa vie, de la
naissance à la mort.