1. Article publicat el 15 de novembre de 2011 a Le Monde (amb declaracions d’Enric
Morist i un usuari d’ocupació de la Creu Roja) :
A Barcelone, la crise économique délabre le tissu
Universalitat
social
Durement frappées par le chômage et les expulsions de logement, les
classes moyennes recourent à leur tour aux associations caritatives
Unitat
Barcelonne / Envoyée spéciale.- En apparence, tout semble normal. Barcelone l’industrieuse porte beau.
Dans ses rues, on compte bien désormais quelques sans-logis, mais rien à voir avec une grande ville
Voluntariat
française. Le métro est moderne, les trains de banlieue sentent le neuf. A la périphérie, dans les grands
ensembles urbains, la délinquance reste faible, les rues propres et les installations collectives bien
soignées. Les boutiques de luxe du passeig de Gracia, dans le centre, ont la prospérité insolente et le
tourisme, cette année, a battu des records.
Mais dès que l’on gratte un peu cette surface avantageuse, on bute sur une réalité sociale bien différente.
Independència
Celle d’une agglomération où, en silence, le chômage de masse (il touche 21,5% de la population active en
Espagne, 19,43% en Catalogne) met à l’épreuve un tissu social pourtant historiquement solide, vivifié par la
solidarité familiale et un réseau associatif exceptionnel, auquel participent de très nombreux citoyens. Les
vecteurs de cette solidarité donnent des signes de saturation alors même que, de l’avis des acteurs
économiques, la crise n’a pas encore produit tous ses effets sur la société.
Tous les acteurs sociaux témoignent de la forte augmentation du nombre de familles qui, à bout de
ressources, n’ont d’autre solution que de se tourner vers les associations caritatives. Enric Morist i Güell,
coordinateur de la Croix-Rouge en Catalogne: «Depuis trois ans, 50% des gens qui viennent chez nous
Neutralitat
n’avaient jamais eu besoin de notre aide. Nous n’y étions pas préparés. Nous avons été débordés. » Jordi
Rogla de Leuw, directeur de Caritas à Barcelone: «Les organisations comme la nôtre s’approchent du
moment où elles devront dire: nous ne pouvons faire davantage. Cette année, des familles nous ont
prévenus qu’elles ne pourraient plus aider Caritas. Elles nous ont dit : “Nous avons maintenant Caritas à la
maison.”» Autant dire un fils ou une fille au chômage et qu’il faut aider, ou même loger.
Imparcialitat
Angel Serradora 47 ans, une femme et deux enfants de 14 et 6 ans. Il a arrêté ses études à14 ans, lorsqu’il
est entré comme fraiseur à l’usine de fabrication de moules où travaillait son père. Des années plus tard, la
crise venue, il était chauffeur de cars lorsque son entreprise l’a licencié. Il a touché les indemnités chômage
pendant deux ans, puis l’allocation de fin de droits (426 euros). Trois ans à chercher du travail en vain
jusqu’à ce qu’en mai, une entreprise de transport de passagers lui fasse un contrat pour 400 heures
annuelles. Il ne s’est pas retrouvé à la rue car sa mère lui a laissé un appartement, « juste devant la
Sagrada Familia». «Les amis, la famille» et la fréquentation de la Croix-Rouge l’ont aidé à tenir et à revenir
Humanitat
dans le circuit du travail. Mais sa situation reste précaire: «Aujourd’hui, trouver un contrat est quasi-
impossible.» Dans son entreprise, sur 270 conducteurs, 8 seulement ont un contrat à durée indéterminée à
plein-temps.
Comme Angel, de plus en plus de salariés font appel, contraints et forcés, aux associations caritatives
lorsqu’ils basculent dans la pauvreté, qui touche 20,4% de la population catalane. Jordi Rogla, de Caritas,
tient à nuancer la nouveauté du phénomène : « Nous avons bénéficié de douze ans de croissance. Eh
bien, c’est la première fois depuis cinquante ans qu’une phase d’expansion économique ne s’est pas
accompagnée d’une réduction du taux de pauvreté.» Pourtant, il reconnaît sa progression. «Le nombre de
gens qui s’adressent à nous augmente depuis 2007. A partir de 2008, sont arrivés les employés de la
2. construction. Début 2009, ils ont été rejoints par des employés des services. On a alors commencé à voir
apparaître des familles où les deux parents étaient au chômage [1,4million de foyers en Espagne n’ont
aucun membre qui travaille]. Le nombre de personnes venant nous voir est passé de 22000 en 2004-2005
à plus de 60000 déjà en 2011.» Les « usagers » habituels ont été rejoints par les nouveaux pauvres,
anciens salariés ou autonomes, de plus en plus souvent membres des classes moyennes, jusqu’alors
parfaitement insérés dans le monde du travail. « Ils ont un point commun, observe M.Rogla de Leuw, ils
disent tous : “Je n’avais jamais pensé que ça m’arriverait à moi.”»
Universalitat
Ensuite, l’enchaînement est rapide. Si aucun des deux adultes de la famille n’a de travail, ou si un seul
salaire est insuffisant, le foyer ne peut plus rembourser l’emprunt de leur logement – plus de 85% des
Espagnols sont propriétaires. Là, un point de droit bancaire espagnol s’impose. Carla crise économique a
révélé aux Espagnols stupéfaits ce qu’ils ignoraient en signant leur emprunt : une loi autorise leur banque
prêteuse, s’ils ne peuvent s’acquitter de leurs mensualités et si personne n’achete leur logement au prix
Unitat
évalué lors du calcul du prêt, à se l’approprier pour une valeur égale à 50%de ce prix (seuil revu à 60 % il y
a un mois). Si l’emprunteur n’a pas encore remboursé les 50% restant du capital, il en reste redevable à la
banque.
Voluntariat
«Non seulement ils se retrouvent à la rue, mais en plus ils sont endettés jusqu’à la fin de leurs jours. C’est
une forme d’esclavage !», s’indigne Ada Colau. Cette jeune juriste a contribué à fonder, en février 2009, la
Plateforme des victimes des emprunts, qui a depuis essaimé en Espagne, dont l’objectif est d’aider les
emprunteurs menacés d’expulsion par leur banque. Jusqu’au second trimestre 2011, on en comptait déjà
300000 en Espagne dont 59 000en Catalogne. Son association conseille les familles, tente de forcer les
banques à une négociation, d’impliquer les administrations locales. En cas d’échec, elle appelle par Internet
Independència
à manifester devant le logement qui doit être exproprié pour dissuader l’exécution du jugement.
Avec les syndicats et d’autres associations, la Plateforme a lancé, il y a six mois, une initiative législative
populaire (pétition obligeant les députés à débattre d’une réforme) en faveur d’une loi permettant aux
emprunteurs incapables de rembourser de s’acquitter de leur dette en laissant leur logement à la banque.
Hostiles, les deux grands partis, les socialistes et le Parti populaire, ont fait traîner l’affaire. En attendant,
indique Jordi Rogla, «deux tiers des aides versées par Caritas sont consacrés au logement ». Caritas
évalue entre 15 et 20 le nombre d’expulsions chaque jour en Catalogne.
Neutralitat
Mais le pire est à venir. Car les chômeurs cessent de percevoir leurs indemnités au bout de deux ans. «
70% des Catalans qui touchent aujourd’hui le chômage n’y auront plus droit d’ici février 2012», avertit Enric
Morist, de la Croix-Rouge. Et aussi parce que les procédures d’expulsion lancées il y a dixhuit mois ou deux
ans contre les mauvais payeurs ne commencent à aboutir qu’aujourd’hui.
Les syndicats s’attendent eux aussi à une aggravation de la situation. Emili Rey i Baldo, directeur de la
Imparcialitat
communication du principal syndicat espagnol, les Commissions ouvrières, porte un regard inquiet : «La
crise est pire que les précédentes. Elle est longue, elle génère pauvreté et exclusion sociale. Elle affecte
les classes moyennes. Les gens touchés ont un sentiment d’échec social. » Jordi Alberich, directeur
général du Cercle d’economia, club de réflexion du patronat catalan, réclame d’urgence un «plan de
réforme global touchant tous les Espagnols ». Sinon, prévient-il, «le risque de conflit social est élevé, si on
donne le sentiment de ne pas mettre tout le monde à contribution».
Humanitat
Cécile Chambraud