Chaque mois, Arts Magazine dresse le portrait d’une de ces «Very Important Persons» qui soutiennent et rendent visible la création, qu’elle soit contemporaine ou historique. Ce mois-ci, Hilde Teerlinck nous donne rendez-vous à Dunkerque, au Fonds Régional d’Art du Nord-Pas-de-Calais, institution d’art Contemporain qu’elle a dirigé depuis 2006 au 2014.
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de sa nomination en 2006. « Je veux faire
de ce Frac une maison ouverte, un lieu qui
favorise les rencontres et les échanges, les
dialogues et les interactions, explique-t-
elle. Et pas simplement avec l’art contem-
porain. Je vais continuer à y développer des
problématiques en liaison avec la société et
l’environnement. » Ainsi, l’exposition inti-
tulée « Le Futur commence ici » présente
des œuvres qui « s’inscrivent au cœur d’un
questionnement sur la condition humaine et
traitent des enjeux fondamentaux de notre
société actuelle. »
Avec vue sur la mer
« Jesouhaiteouvrirlesesprits. »Convaincue,
Hide Teerlinck enchaîne: « Je veux pro-
voquer un déclic, en bien ou en mal.
Évidemment, l’art ne change pas la société
mais peut changer notre regard sur elle.
Cette institution est ancrée dans un haut
lieu du patrimoine industriel. Il faut donc
tenir compte des habitants, les écouter et
répondre à leurs attentes, à leurs deman-
des. » Certes, l’idée séduit mais comment
l’appliquer à une population marquée par
la précarité (33,5 % des 15-64 ans sont au
chômage)? « Le Frac Nord-Pas-de-Calais
est un pur exemple de la décentralisation.
Ma mission est d’aller là où on n’attend pas
forcément l’art contemporain, commente
avec enthousiasme Hilde Teerlinck. Il ne
faut pas toujours tout savoir à l’avance, mais
s’autoriser à douter de nos certitudes, et pour
aller plus loin, ne pas hésiter à s’adapter, à
réorienter, à changer. Nous allons mettre
en place un calendrier d’activités à destina-
tion d’un public non-averti ou en tout cas,
moins familiarisé avec l’art contemporain.
C’est un défi. » Si Hilde Teerlinck rêve d’un
Frac porté par sa population locale, il l’est
d’ores et déjà par l’équipe d’accueil, cinq
médiateurs qui ont élaboré quelques
« Un Flamand naît avec une brique
dans le ventre. » À défaut de construire
son propre nid, Hilde Teerlinck (native de
Belgique) a respecté le dicton en menant
à bien la construction d’une maison pour
tous, le Frac Nord-Pas-de-Calais. Dans
une robe assortie aux couleurs acidulées
de l’espace café signé Lang & Bauman, la
directrice accueille les visiteurs en ce pre-
mier jour pluvieux de 2014.
Planté au carrefour de l’Europe, cet édifice
inauguré le 16 novembre dernier (année
au cours de laquelle Dunkerque devenait
une des capitales régionales de la culture)
permet à Hilde Teerlinck de continuer au
format extralarge un programme défini lors
Ils et elles sont collectionneurs, galeristes ou dirigent un lieu dévolu à l’art… Chaque mois,
Arts Magazine dresse le portrait d’une de ces «Very Important Persons» qui soutiennent et rendent
visible la création, qu’elle soit contemporaine ou historique. Ce mois-ci, Hilde Teerlinck nous donne
rendez-vous à Dunkerque, au Frac Nord-Pas-de-Calais, institution qu’elle dirige depuis 2006.
Sabrina Silamo TEXTE
Conçu par les architectes
Lacaton et Vassal, le Fonds
régional d’art contemporain
a emménagé dans cette
tour jumelle de La Cathédrale,
vestige symbolique des
chantiers navals de Dunkerque.
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HILDE TEERLINCK
projets à destination de publics diffé-
rents (Aparthé: explication de trois œuvres
majeures et dégustation de trois thés
classiques; L’envers du décor: explora-
tion des coulisses de l’institution et de ses
réserves; Belvédère party: visite guidée de
l’exposition inaugurale et soirée électro
avec vue sur la mer…). Les 20000 visiteurs
venus des environs, c’est-à-dire de France,
de Belgique, d’Allemagne et d’Angleterre,
qui ont déjà foulé les espaces de ce bâtiment
semblent transformer ce rêve en réalité.
L’intuition plutôt que l’ambition
L’idée du partage régie le parcours de cette
Belge dynamique. À Barcelone, où coordi-
natrice artistique, elle invita, au cours des
six années passées dans le pavillon Mies
van der Rohe Jeff Wall, Panamareko ou
Dominique Gonzales-Foerster; à l’espace
d’art contemporain de Perpignan; puis au
Crac Alsace (Centre rhénan d’art contem-
porain) où elle a exposé, entre 2002 et 2006,
Doug Aitken, Cindy Sherman, Franz
West ou Harmony Korine. Hilde Teerlink
reconnaît: « Je vais là où mon intuition me
mène. » Avant de poursuivre: « Ma nomi-
nation au Frac est motivée par deux envies.
La première, constituer une collection,
un métier que je connaissais pour l’avoir
exercé auprès d’un collectionneur privé.
Et la deuxième, participer à la construction
de ce bâtiment. »
Un terrain d’expérimentation
Le Frac Nord-Pas-de-Calais, créé en 1983,
est riche de 1500 œuvres. Peinture, sculp-
ture, dessin, photo, vidéo, design… la col-
lection recense des pièces majeures de l’art
du XXe
siècle à nos jours. Ainsi maîtres
de l’arte povera, du nouveau réalisme, du
pop art ou de Fluxus (Duchamp, Warhol,
Lichtenstein, Dan Flavin…) côtoient
photographes(BerndetHillaBecher,Henri
Cartier-Bresson) et artistes émergents
À VOIR
Le futur
commence ici
JUSQU’AU 27 AVRIL
FRAC NORD-PAS DE CALAIS / AP2,
DUNKERQUE (59)
503, avenue des Bancs-
de-Flandres. 12h-18h
(sf lun. et mar.). 2 €/4 €.
Tél. : 0328658420.
www.fracnpdc.fr
Au premier niveau du Frac, l’œuvre de Latifa Echakhch
– lauréate du Prix Marcel Duchamp 2013 –, À chaque
stencil une révolution, emprunte son titre à une citation
de Yasser Arafat, l’homme d’État palestinien. Les murs
recouverts de papier carbone ont été aspergés d’alcool
à brûler, le pigment qui s’écoule – d’un bleu électrique
qui rappelle l’IKB d’Yves Klein – emporte avec lui
le souvenir des messages diffusés grâce à cet outil
emblématique des lenteurs bureaucratiques et des
engagements politiques de la jeunesse contestataire.
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HILDE TEERLINCK
actuelle. » Ce bâtiment translucide, terrain
d’expérimentations curatoriales et scéno-
graphiques qui rappelle la Tate Modern de
Londres, Hilde Teerlinck l’animera avec
des projets d’envergure.
Nouvelle génération & Constellations
« En mai, “Nouvelle génération” envahira
les 600 m2
du forum, s’enthousiasme la
directrice. C’est une exposition consacrée
aux adolescents composée de quatre volets :
musique, révolte, mode et passions, et à la
façon dont les artistes s’approprient ces thè-
mes. »Tandisque« Constellations »propo-
sera des œuvres en lien direct avec le cosmos
comme Scotch Gambit, de Panamarenko,
sorte d’aéroglisseur qui symbolise son
(Mathieu Mercier ou Lorena Zilleruelo).
Ces chefs-d’œuvre sont désormais abri-
tés dans les 9000 m2
d’un écrin qui dou-
ble La Cathédrale, surnom donné par les
Dunkerquois à cet atelier des chantiers
navals édifié en 1945 où pendant près de
quatre décennies furent construits une
quarantaine de navires par an. Ce lieu de
mémoire, symbole de la richesse d’antan
de la cité de Jean Bart, possède désormais
un jumeau aux dimensions identiques,
75 mètres de long sur 30 mètres de hau-
teur… « Sur six niveaux, les réserves, les
espaces d’exposition, de médiation et d’ad-
ministration sont conçus pour être modu-
lables et ainsi parfaitement adaptés à la
transdisciplinarité qu’implique la création
travail sur des notions telles que l’espace,
le mouvement, le vol, l’énergie et la gra-
vitation. Ces réjouissances seront suivies
en 2015 de deux expositions qui s’an-
noncent alléchantes: « Americana », pour
se demander ce qu’il est advenu de l’Ame-
rican Dream, et « Littérature » consacrée
aux mots utilisés dans l’art contemporain.
Au fronton du Frac, une œuvre de Scott
King scintille en lettres roses : L’art est
simplement la preuve d’une vie pleine-
ment vécue. Cette maxime, extraite d’une
chanson éructée par feu Stiv Bators,
leader du combo punk The Dead Boys,
nul mieux qu’Hilde Teerlinck ne saurait
l’incarner.
Installée au quatrième niveau, sur le Belvédère,
cette salle de cinéma ambulante, la H Box, est
l’œuvre de l’architecte-designer Didier Faustino.
Créée à l’initiative de la fondation Hermès, elle diffuse
des vidéos d’artistes choisies par Le Fresnoy, studio
national des arts contemporains de Tourcoing. Jusqu’au
4 mai, elle permet de Faire le mur avec Bertille Bak ou
d’écouter les Nocturnes d’Anri Sala (qui a représenté
la France à la dernière Biennale de Venise), deux des
neuf films illustrant le thème des « Fictions urbaines ».
Au deuxième niveau, Élan et Élégie, la vidéo
de Lorena Zilleruelo répond à un tableau
de l’Italien Giuseppe da Volpedo, peint
en hommage aux ouvriers qui se lèvent et
marchent vers leur émancipation. Plus d’un
siècle plus tard, l’artiste Chilienne propose
aux spectateurs de se poursuivre leur
combat avec cette installation interactive.