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    le contrat
    écologique
    pour
    l’europe
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                                             {
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     Pascal Canfin
    le contrat
    écologique
    pour
    l’europe
     essai

    { L E S Pe t i t s ma ti ns}


     Pr é f a c e d e Da n i e l C o h n - B e n d i t
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           Du même auteur :
           L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, Les petits matins, 2007
           C’est pollué près de chez vous. Les Scandales écologiques en France, avec
           Wilfrid Séjeau, Les petits matins, 2008




           Design original de la collection : Labomatic, Paris
           Direction artistique : William Hessel
           Maquette : Atelier Dazibao, Montels

           Ce livre a été imprimé sur papier recyclé Cyclus Offset.

           © Les petits matins, 2009
           31, rue Faidherbe, 75011 Paris
           Site : www.lespetitsmatins.fr

           ISBN : 978-2-915-87947-6
           Diffusion en France : Volumen
           Diffusion en Belgique : Interforum Benelux

           Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
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                        neuf     Préface
                                 Par Daniel Cohn-Bendit

                     dix-sept    Introduction
                                 Un nouveau modèle, maintenant

                   vingt-cinq    Chapitre 1
                                 Le Vert pour sortir du rouge
                  trente-neuf    Chapitre 2
                                 Marché, capitalisme, écologie
             cinquante-cinq      Chapitre 3
                                 Faire le ménage dans la finance
              soixante-neuf      Chapitre 4
                                 Tirer la mondialisation vers le haut
           quatre-vingt-sept     Chapitre 5
                                 Faire enfin l’Europe sociale
                   cent trois    Chapitre 6
                                 Faire de l’Europe un modèle
                                 de développement soutenable

                  cent quinze    Conclusion
                                 L’écologie maintenant

             cent vingt et un    Annexes
         cent quarante-deux      Index
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                                                           PRÉFACE
                                              Par Daniel Cohn-Bendit


           Daniel Cohn-Bendit est coprésident du groupe des Verts au
           Parlement européen. Il conduit la liste Europe Écologie en
           Île-de-France aux élections européennes de 2009.

           En ce printemps marqué par une aggravation inquié-
           tante de la crise économique et un rendez-vous aux
           urnes donné à tous les citoyens européens, l’essai que
           vous tenez dans les mains est à mes yeux particuliè-
           rement important et opportun.
                 Important et opportun, car ce livre pose, avec
           intelligence et surtout avec une clarté pédagogique
           rare, les bonnes questions à un moment qui devrait
           s’avérer décisif dans les choix que nous avons à faire
           de survie écologique de notre planète. Pendant des
           décennies, le dogme productiviste – qu’il soit libéral
           ou étatiste – s’est complu à objecter le « réalisme » de
           l’économie au prétendu « utopisme » de la pensée
           écologiste.
                 Mais, depuis quelques mois, le monde s’accélère
           et l’ordre des choses évolue à un point tel que nous
           sommes en droit de nous demander si notre véritable
           entrée dans le XXIe siècle ne serait pas en train de se
           jouer sous nos yeux plutôt qu’à l’aune du soi-disant
           « choc des civilisations » proclamé par certains à
           la suite du 11 septembre 2001. Car nous sommes
           aujourd’hui à un carrefour des crises. Un moment

                                                                  neuf
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           capital où le séisme de très forte magnitude qui
           ébranle l’économie mondiale vient croiser dans le
           temps et dans l’espace un état de consumation
           avancé de notre planète ; une maison dévorée par un
           feu de deux siècles de productivisme effréné et
           d’insouciance écologique presque totale.
                Nous voici donc à un moment décisif ; celui où il
           est encore possible de choisir, où il reste une chance
           – que nous qualifierons sans mentir d’historique – de
           pouvoir infléchir le cours des événements à condition
           de ne pas, en raison d’un strabisme imbécile, négliger
           une urgence pour une autre et se trouver in fine à
           devoir payer deux fois pour la même crise. Car c’est là
           une des richesses majeures du livre de Pascal Canfin
           que de montrer l’impossibilité d’un règlement de la
           crise économique actuelle sans engager une transfor-
           mation écologique et sociale profonde de nos modes
           de production et de nos modes de vie.
                Bien sûr, les quatre dernières décennies ont été
           jalonnées par une série de catastrophes environne-
           mentales d’ampleur, mais le discours écologiste du-
           rant la période continuait à résonner comme une
           prophétie pour des temps assez lointains, toujours
           repoussés par la promesse de nouveaux remèdes ou
           la découverte de nouveaux gisements de richesses
           naturelles. La prise de consciente assez récente des
           conséquences quasi immédiates du changement cli-
           matique à l’œuvre sous l’effet d’une progression expo-
           nentielle des émissions de carbone a changé la donne.
                La génération des écologistes presque vétérans
           (à laquelle j’appartiens désormais) ne saurait cepen-
           dant se réjouir d’avoir eu raison trop tôt, comme celle
           de la relève (dont Pascal Canfin fait partie) refuse que
           l’urgence économiste et les impératifs industriels

           dix
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                                                                  Préface



           viennent une fois de plus repousser l’enclenchement
           d’une conversion radicale de nos façons de produire,
           de consommer et de vivre.
                 La politique, telle que nous la concevons, ce n’est
           pas se satisfaire de la justesse de nos raisonnements
           ou de nos prévisions : c’est savoir se doter des moyens
           justes et appropriés pour agir. L’action est toujours
           indissociable d’une certaine forme d’exercice du
           pouvoir, et une des caractéristiques majeures de la
           culture écologiste en politique est de toujours conser-
           ver une certaine défiance à l’égard du pouvoir, y com-
           pris lorsqu’il s’agit de son propre exercice du pouvoir.
                 Chacun aura noté que, depuis quelques années,
           d’autres formations politiques que les Verts ont com-
           mencé à développer un discours et des propositions
           teintés d’écologie. Si les actes et les pratiques de ces
           nouveaux convertis étaient à la hauteur de leurs in-
           tentions déclarées, cela entraînerait plusieurs consé-
           quences. Il serait d’abord beaucoup plus facile de
           dégager des majorités politiques pour engager la
           grande transformation écologique de l’économie que
           nous réclamons, notamment dans une période aussi
           cruciale que celle que nous traversons actuellement.
           Ensuite, la question de l’utilité d’une formation écolo-
           giste sur l’échiquier politique – autre que celle d’assu-
           mer le rôle de la mouche du coche – serait d’autant
           plus légitime que nous nourrissons presque intrinsè-
           quement une propension élevée à nous interroger sur
           la finalité de nos actes et sur la nécessité ou non
           de devoir durablement instituer notre présence en
           politique.
                 Malheureusement, nous sommes très loin du
           compte. En dépit de l’urgence écologique aujour-
           d’hui comprise par une large partie de l’opinion, les

                                                                 onze
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           formations classiques ont bien du mal à mettre leurs
           choix politiques en conformité avec leurs bonnes ré-
           solutions environnementalistes. La crise financière et
           économique a bon dos, et les exemples régressifs ne
           manquent pas. Illustration ? En cette fin mars, nous
           débattions au Parlement européen d’un plan de sou-
           tien à l’industrie automobile à l’échelle de l’Union. Au-
           delà de la quasi-unanimité politique sur la nécessité
           de soutenir socialement ce secteur en pleine déconfi-
           ture, le groupe des Verts européens s’est retrouvé
           étrangement seul lorsqu’il s’est agi d’imposer un mini-
           mum de conditionnalités écologiques à un tel soutien.
           Un isolement d’autant plus affligeant quand on sait les
           mesures prises en la matière par la nouvelle adminis-
           tration américaine peu de temps auparavant !
                 Mais la cécité des uns ne fait pas toujours la
           prospérité des autres. C’est un fait indiscutable : la
           représentation politique des écologistes en cette fin
           de décennie demeure bien trop modeste pour peser à
           sa juste valeur dans le débat démocratique capital qui
           se joue dans toute l’Europe. Après avoir accédé à des
           fonctions ministérielles dans plusieurs pays de
           l’Union durant les premières années du nouveau mil-
           lénaire, la plupart des partis Verts du continent ont
           connu une certaine décrue électorale. Ce recul a été
           particulièrement flagrant en France, notamment lors
           de l’élection présidentielle de 2007. Au-delà des
           explications propres au contexte politique de chaque
           situation nationale, j’y vois au moins trois raisons
           d’ordre plus global.
                 Premièrement, notre évolution électorale récente
           est à rapprocher du recul idéologique et politique dans
           toute l’Europe de la gauche, avec laquelle nous
           avons régulièrement été associés. Dans ce contexte,

           douze
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           l’alternative écologiste a eu du mal à s’incarner face à
           la poussée néolibérale autant que par rapport à nos
           alliés de la gauche productiviste traditionnelle.
           Heureusement, il semblerait depuis quelques mois que
           les temps aient commencé de changer, même si, à mon
           sens, il est toujours plus sûr de compter sur ses propres
           forces que sur les faiblesses de ses concurrents.
                 Deuxièmement, l’échelon national semble plus
           que jamais mal adapté à une politique écologiste
           d’envergure. Je le répète souvent : « L’écologie dans
           un seul pays, ça ne marche pas. » Pas plus d’ailleurs
           qu’une collection disparate et non concertée de poli-
           tiques écologistes dans plusieurs États. C’est tout
           l’enjeu d’un renforcement politique de l’Europe à
           l’heure d’une mondialisation économique et financière
           exacerbée que Pascal Canfin met en relief avec une
           extrême pertinence dans les pages qui suivent.
                 Enfin, il y a aussi un défi interne à la grande
           famille écologiste, mais dont les enjeux concernent
           l’avenir de notre société dans son ensemble : l’urgence
           de nous rassembler afin que la diversité qui fait notre
           richesse cesse de s’étioler dans des divisions stériles
           qui traduisent souvent davantage des oppositions de
           personnes et des différences de parcours que des
           désaccords majeurs sur les objectifs. L’écologie poli-
           tique en France, comme dans bien d’autres pays
           d’Europe, est née dans les années 1970 des grandes
           luttes environnementales et antinucléaires, du refus
           de se soumettre à une agriculture productiviste et de la
           volonté d’entretenir des échanges équitables avec les
           peuples et les pays du sud de la planète. Ce « mouve-
           mentisme » et cet activisme écologiste demeurent le
           fondement de notre culture politique aux côtés de
           l’intervention et de l’expertise environnementalistes

                                                                 treize
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           mises en place par des associations initialement régio-
           nales ou nationales avant de devenir souvent trans-
           nationales sous la forme de grandes ONG regroupant
           parfois plusieurs centaines de milliers de citoyens ac-
           tifs. La forme partidaire, connue sous l’appellation de
           parti Vert, n’est apparue que plus tardivement, durant
           les années 1980, avec les succès qu’on lui connaît et
           aussi parfois, plus récemment, avec ses déboires élec-
           toraux. L’erreur de certains de ces partis est, au fil du
           temps, de s’être développés de manière trop « off-
           shore » par rapport aux autres réalités de l’écologie
           politique. En bâtissant, dans la perspective des élec-
           tions européennes de juin 2009, des listes Europe
           Écologie qui rassemblent l’essentiel des grandes fa-
           milles de l’écologie, et même parfois au-delà, nous
           avons su, je crois, faire preuve d’intelligence politique
           sans renier notre diversité et nous mettre en condition
           favorable pour affronter l’urgence d’une transforma-
           tion profonde de notre société, confrontée à une série
           de crises sans précédent.
                 Dans cette aventure toujours périlleuse qui
           consiste à se soumettre au verdict des urnes, Pascal
           Canfin est là aussi à nos côtés. Sa belle capacité dans
           ses écrits à rendre intelligible et presque évidente la
           complexité des choix économiques, écologiques et
           politiques à mettre en œuvre aujourd’hui nous laisse
           augurer du meilleur dans cet autre moment décisif.
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                                              À ma famille
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                                                             INTRODUCTION
                                                Un nouveau modèle, maintenant


           Y a-t-il aujourd’hui un seul pays au monde qui puisse se
           targuer de répondre aux exigences d’un développement
           soutenable ? Pour répondre à cette question, consi-
           dérons à la fois l’empreinte écologique et l’indicateur
           de développement humain (IDH). La première mesure la
           pression exercée sur l’environnement. Si celle-ci est
           supérieure à la capacité de la planète à régénérer son
           capital naturel, la pression exercée est insoutenable à
           moyen terme. Le second mesure la qualité de l’accès aux
           droits fondamentaux, comme l’éducation, la santé, l’ali-
           mentation, etc. Un pays qui aurait une empreinte écolo-
           gique soutenable et un IDH élevé serait un modèle
           à suivre. Malheureusement, comme le montre le gra-
           phique page suivante, la case du développement durable
           est désespérément vide. Celui-ci reste donc à inventer.
                La crise actuelle est l’occasion ou jamais de
           changer de modèle. Et l’Europe est un niveau perti-
           nent et incontournable pour le faire. Les États nations
           ne peuvent agir que sur un territoire limité et, à l’ex-
           ception des États-Unis, leur capacité d’action isolée
           sur la mondialisation est faible. Ce n’est pas le cas de
           l’Union européenne. Premier marché du monde1, elle

           1. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB de l’Union européenne
           est de 14 700 milliards de dollars contre 13 800 milliards pour les États-Unis
           (données exprimées en parité de pouvoir d’achat).



                                                                                     dix-sept
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           est l’endroit adéquat pour reprendre le contrôle de la
           mondialisation et imposer des réformes ambitieuses
           aux grandes multinationales (chapitre 4). C’est aussi
           un levier déterminant pour transformer les politiques
           publiques mondiales. L’Europe parle déjà d’une seule
           voix dans les grandes négociations internationales sur
           le climat ou à l’Organisation mondiale du commerce
           (OMC). Et les écologistes ont une vision précise de
           l’agenda international que l’Union doit porter pour
           changer le cours de la mondialisation (chapitre 4).
                 L’Europe est le bon niveau pour inventer un nou-
           veau modèle, lutter contre les paradis fiscaux, protéger
           nos modèles sociaux (chapitre 5) ou faire le ménage
           dans le capitalisme financier (chapitre 3). Alors
           pourquoi l’Union n’a-t-elle pas fait grand-chose dans




           Source : Alternatives Économiques.



           dix-huit
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           ces domaines jusqu’à aujourd’hui ? La réponse est
           politique et se structure autour d’un double clivage :
           gauche/droite et souverainiste/fédéraliste.
                 L’Union européenne est gouvernée par une majo-
           rité de droite. La majorité des États membres sont
           à droite (voir page 126), le président de la Com-
           mission, José Manuel Barroso, est de droite – il est
           l’ancien leader du Parti social-démocrate (PSD)2 du
           Portugal –, et la majorité du Parlement européen est à
           droite. Il est logique, dans ces conditions, que les
           politiques suivies jusqu’à présent par l’Union soient
           d’inspiration libérale. Ce n’est pas l’Europe en tant que
           telle qui est en cause, mais bien la majorité politique
           qui la domine.
                 La gauche sociale-démocrate ferait-elle autre
           chose ? Il est permis d’en douter. À la fin des années
           1990, celle-ci était majoritaire en Europe. La France,
           l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, notamment,
           avaient des gouvernements de gauche. Qu’ont-ils fait
           de différent ? Ont-ils lutté contre les paradis fiscaux ?
           Harmonisé l’impôt sur les sociétés pour éviter
           l’absurde et destructrice concurrence fiscale entre les
           Européens ? Construit une Europe sociale ? Certes
           non. Et leur responsabilité est grande car, on le sait,
           l’histoire repasse rarement les plats.
                 Si ces États de gauche n’ont rien fait, c’est parce
           qu’à côté du clivage gauche/droite, il en est un autre
           qui détermine les avancées européennes : le clivage
           souverainiste/fédéraliste. L’Union européenne n’est
           rien d’autre que la mise en commun de ressources et
           de compétences pour faire des choses ensemble. Les
           traités sont là pour fixer par écrit les compétences

           2. Un parti conservateur, même si son intitulé ne l’indique pas.



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           que les pays acceptent de gérer de concert. Ainsi les
           États européens se sont-ils entendus pour créer une
           monnaie commune, avoir le même mandat de négo-
           ciation à l’OMC ou encore mener une seule politique
           agricole. Mais ils n’ont pas accepté d’avoir un vrai
           budget unique : celui de l’Union européenne est limité
           par les traités à 1,24 % du PIB européen quand le bud-
           get fédéral américain est de 20 % du PIB. Ils n’ont pas
           voulu non plus se doter d’un impôt unique sur le capi-
           tal ou d’un siège unique au Conseil de sécurité des
           Nations unies. Résultat : sur certains dossiers,
           l’Europe est un nain. Alors que tout le monde
           s’accorde à dire que la « relance » de l’économie doit
           passer par une coordination européenne, l’Union n’a
           pas de budget et pas le droit de s’endetter. Alors que
           l’Europe est le bon échelon pour taxer les capitaux et
           les bénéfices des sociétés, mobiles d’un pays à l’autre,
           elle n’a aucun pouvoir puisque en la matière les
           décisions se prennent à l’unanimité, ce qui revient à
           donner un droit de veto au Royaume-Uni ou au
           Luxembourg, qui bloque de fait toute avancée. Enfin,
           tant que l’Europe ne parlera pas d’une seule voix sur
           les grands problèmes géopolitiques, sa capacité
           d’influence sur la paix mondiale sera limitée.
                 Or, si les partis sociaux-démocrates ont, avec les
           chrétiens-démocrates, porté jusque dans les années
           1990 les grandes réformes d’inspiration fédéraliste,
           dont la dernière en date est l’euro, ils ont, depuis, très
           largement perdu cette vision pour se recentrer sur les
           intérêts nationaux de court terme. Ni Tony Blair, ni
           Lionel Jospin, ni Gerhard Schröder n’étaient suffi-
           samment fédéralistes pour trouver l’énergie des
           grands compromis qui ont fait avancer l’Europe.
           Quant à la « gauche de la gauche », en France comme

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           en Allemagne, elle reste largement souverainiste et
           place surtout son espace politique dans le champ
           national. De plus, elle est incapable de construire des
           alliances majoritaires pour transformer les politiques
           publiques. Et dans un Parlement européen élu au
           scrutin proportionnel, et où aucune force politique n’a
           la majorité seule, cette incapacité est un frein au
           changement.
                 L’Europe aborde donc les crises économiques et
           écologiques en ordre dispersé et dotée d’une majorité
           politique élue sur une idéologie libérale dont les im-
           passes sont maintenant clairement établies. Elle doit
           changer, et les élections européennes sont la pre-
           mière étape de ce changement.
                 Celui-ci passe par une nouvelle majorité au
           Parlement européen, à la fois antilibérale et d’inspi-
           ration fédéraliste, pour faire avancer l’Europe sur de
           nouveaux chantiers, comme l’indispensable lutte
           contre les paradis fiscaux ou la concurrence fiscale.
           Cette ligne politique, dans tous les pays européens, ce
           sont les listes écologistes qui l’incarnent le mieux. La
           gauche de la gauche est certes antilibérale. Mais une
           partie d’entre elle est aussi antieuropéenne : aux jour-
           nées d’été de la LCR (devenue, début 2009, le NPA),
           en 2008, on pouvait lire partout des pancartes « Non
           au capitalisme, non à l’Europe ». C’est une gauche qui
           renonce à utiliser le bon outil pour changer le sys-
           tème. Et mène donc un combat stérile. Les sociaux-
           démocrates, comme le PS en France, ne sont ni
           antilibéraux ni fédéralistes. Lorsqu’ils ont eu le pou-
           voir, ils n’en ont rien fait. Quant au Modem, il souffre
           d’une terrible contradiction : il est certes d’inspiration
           fédéraliste, dans la lignée des partis chrétiens-
           démocrates européens, mais ses élus siègent avec les

                                                               vingt et un
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           libéraux au Parlement européen. Ainsi, même si les
           élus français de ce parti étaient déterminés à lutter
           contre le libéralisme, ils seraient en permanence mis
           en minorité au sein de leur groupe politique européen.
           Une contradiction qui mine l’utilité du vote Modem
           pour transformer l’Europe.
                À l’inverse, les écologistes de toute l’Europe sont
           réunis au sein d’un même parti, le Parti vert européen,
           qui a voté en mars 2009 un programme unique porté
           par l’ensemble des partis Verts nationaux, et siègent
           au sein du même groupe politique au Parlement euro-
           péen, le groupe Verts Alliance libre européenne. Ils
           disposent aujourd’hui de 42 sièges et constituent le
           cinquième groupe politique au Parlement (voir
           page 131). Leur influence est donc loin d’être négli-
           geable, mais elle est encore insuffisante. Or, il nous
           reste peu de temps pour inventer le modèle soute-
           nable dont nous avons besoin. Selon le président du
           Groupement international d’études sur le climat
           (Giec), qui coordonne les recherches sur l’évolution
           du changement climatique et a obtenu le prix Nobel
           de la paix en 2007, il nous reste sept ans pour mettre
           en place les mesures qui nous permettront de diviser
           par deux nos émissions de gaz à effet de serre en
           2050 au niveau mondial. Si nous n’y parvenons pas,
           alors l’augmentation de la température moyenne de la
           planète sera supérieure à + 2 °C par rapport au
              e
           XX siècle. Or, + 2 °C, c’est le seuil jugé critique par les
           climatologues. En deçà, le changement climatique
           aura des conséquences dramatiques mais contrô-
           lables. Au-delà, il sera incontrôlable, et le pire devien-
           dra réellement possible. L’Europe ne peut agir seule
           dans ce combat, mais elle a un rôle capital à jouer. Et le
           Parlement européen qui sortira des urnes le 7 juin aura

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                                                              Introduction



           une grande part de responsabilité. La place des écolo-
           gistes doit donc y être la plus importante possible. En
           France (comme en Allemagne, par exemple), les écolo-
           gistes se présentent rassemblés dans une dynamique
           collective. Avec Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, José
           Bové, avec d’anciens responsables de grandes asso-
           ciations comme Greenpeace ou France Nature
           Environnement, avec des proches de Nicolas Hulot, la
           liste Europe Écologie constitue une équipe de choc.
           Qui mieux que José Bové pourra porter au Parlement
           européen le combat pour une autre politique agricole
           et pour le respect du droit à la souveraineté alimen-
           taire au Sud ? Qui mieux qu’Eva Joly pourra porter le
           combat contre les paradis fiscaux et la corruption ? En
           Allemagne, Sven Giegold, le cofondateur d’Attac, et
           Barbara Lochbihler, l’ancienne secrétaire générale
           d’Amnesty International, sont engagés en position éli-
           gible sur les listes des Grünen (le parti Vert) pour dé-
           fendre une réforme radicale de notre modèle
           économique, insoutenable pour les hommes comme
           pour la planète.
                 Avec des écologistes forts, nous pouvons inven-
           ter le nouveau modèle dont nous avons tant besoin.
           Le 7 juin, ne ratons pas le rendez-vous.
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                                                       CHAPITRE 1
                                    LE VERT POUR SORTIR DU ROUGE
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           Revenons au graphique présenté en introduction.
           Que signifie-t-il ? Que nous devons impérativement
           réduire notre empreinte écologique si nous voulons
           laisser un futur viable à nos enfants – voire à nous-
           mêmes. Car les dérèglements climatiques ont déjà
           commencé à produire leurs effets négatifs. La cani-
           cule de 2003 a tué 15 000 personnes en France et
           70 000 en Europe, principalement des personnes
           âgées que l’on a laissé mourir de chaud et de soif.
                 Il nous reste au maximum sept ans pour inverser
           la courbe mondiale du CO2 afin d’avoir une chance de
           limiter les dégâts du réchauffement : résoudre la crise
           climatique est donc tout aussi urgent que résoudre la
           crise sociale. La vraie question est donc de savoir s’il
           existe un chemin pour transformer la solution au pro-
           blème climatique en solution au problème social. Si la
           réponse était négative, nous serions en très grande
           difficulté. Heureusement, elle est positive. Mais en-
           core faut-il faire les bons choix. L’élection de Barack
           Obama aux États-Unis montre qu’un pays peut chan-
           ger. Le 7 juin, l’Europe devra à son tour se doter d’une
           nouvelle majorité.

           Plus d’écologie, c’est plus d’emplois
                Quels sont les secteurs les plus émetteurs de gaz à
           effet de serre ? Les transports, l’énergie, l’industrie, le
           bâtiment et l’agriculture. Or, toutes les études3 montrent

           3. Voir Eva Sas, « La Conversion écologique de l’économie : quel impact
           sur l’emploi ? », Cosmopolitiques, n° 13, juillet 2006.



                                                                                     vingt-sept
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                                                           Le contrat écologique pour l’Europe




           que diminuer leurs émissions de CO2 conduit à créer
           bien plus d’emplois que les laisser continuer à fonc-
           tionner comme aujourd’hui. Les mesures pour isoler
           les 17 millions de logements qui, en France, ne sont
           pas aux normes thermiques créeraient 120 000 em-
           plois sur l’ensemble des territoires pendant plus de
           vingt ans. Un chiffre évalué par la Commission euro-
           péenne à un million en Europe (voir page 138). Par
           ailleurs, la France s’est engagée, dans le cadre du pa-
           quet Énergie-Climat européen (voir chapitre 6), à pro-
           duire 23 % de son énergie à partir de ressources
           renouvelables comme le solaire et l’éolien. Selon une
           étude européenne, le fait de passer de la situation
           actuelle (10,3 %) à 23 % permettrait de créer plus de
           240 000 emplois en France, selon le Syndicat des
           énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que l’inten-
           sité en emplois des énergies renouvelables et de l’ef-
           ficacité énergétique est nettement supérieure à celle
           des modes de production énergétique dominants,
           comme le pétrole, le gaz ou le nucléaire. Selon une
           étude publiée en décembre 2008 par un laboratoire
           du Centre national de la recherche scientifique
           (CNRS), il faut seize emplois dans l’isolation des bâti-
           ments pour générer un million d’euros de chiffre
           d’affaires, quand le même million d’euros dans le raf-
           finage de pétrole n’en crée que trois.
                 Dans l’agriculture, si nous passions de 2 % de la
           surface agricole cultivée en bio à 9 %, comme en
           Autriche, le meilleur de la classe européenne, nous
           pourrions créer 90 000 emplois4. Et il n’y a aucune
           raison de s’arrêter à 9 %. Si nous allions jusqu’à 15 %,

           4. Source : Fédération nationale d’agriculture biologique des régions
           de France (Fnab).



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                                                     Le Vert pour sortir du rouge



           nous pourrions créer environ 150 000 emplois. Au
           total, ce sont 10 millions d’emplois verts non déloca-
           lisables que l’on peut créer en Europe, en y incluant
           le développement des emplois de service aux per-
           sonnes. Soit entre 500 000 et 1 million en France
           (voir le détail du chiffrage page 138).
                Les créations d’emplois ne sont que l’un des as-
           pects positifs de la mécanique vertueuse de la
           conversion écologique des principaux secteurs émet-
           teurs de CO2. L’isolation des logements, par exemple,
           permet de réduire la facture énergétique des ménages
           de 80 %, soit plusieurs centaines d’euros par an. Pour
           que ces travaux puissent être profitables tout de suite
           et que les économies soient immédiates, leur coût doit
           être pris en charge partiellement ou totalement en
           fonction des revenus des foyers concernés. Ce qui re-
           présente une somme pour l’État français comprise
           entre 5 et 7 milliards d’euros par an. Un investisse-
           ment qui crée des emplois et améliore le pouvoir
           d’achat. Une partie de l’investissement est donc récu-
           pérée immédiatement par l’État en cotisations supplé-
           mentaires qui vont financer la protection sociale, et
           en impôt sur les sociétés des entreprises du bâtiment.
           Par ailleurs, diminuer la facture de chauffage de
           200 euros pour un ménage, c’est diminuer la de-
           mande en électricité nucléaire, en gaz ou en fuel im-
           portés. Ces 200 euros dépensés sont aujourd’hui très
           peu créateurs d’emplois en France, soit parce qu’ils
           portent sur une technologie très capitalistique, fai-
           sant appel à peu de travail par kilowattheure produit
           (le nucléaire), soit parce que l’énergie est importée
           (par exemple de Russie, dans le cas du gaz). Il est
           donc fort probable que cet argent économisé sera
           dépensé dans des secteurs plus intensifs en emplois

                                                                   vingt-neuf
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                                                Le contrat écologique pour l’Europe




           que le secteur énergétique. L’effet positif sur l’emploi
           en France sera donc amplifié.
                 Dernier élément du cercle vertueux qui peut s’en-
           clencher : la diminution du déficit commercial et la relo-
           calisation de la valeur ajoutée. En 2008, la facture
           énergétique (gaz, charbon et pétrole) a coûté à la France
           près de 60 milliards d’euros, soit 85 % du montant total
           du déficit commercial. Dit autrement : nous avons collec-
           tivement envoyé 60 milliards d’euros vers le Qatar,
           l’Arabie Saoudite, la Russie ou encore le Venezuela,
           et dans les caisses de Total et des autres majors. Investir
           dans l’efficacité énergétique des logements, remplacer
           des voitures gourmandes en carburant par des trans-
           ports collectifs dont l’électricité est fournie par des
           éoliennes ou des panneaux solaires implantés locale-
           ment revient à conserver en France une partie de cette
           somme. Et à garder chez nous la valeur ajoutée pour
           qu’elle crée des emplois ici au lieu de financer des ré-
           gimes très peu démocratiques ou des fonds souverains
           qui prennent le contrôle de nos entreprises. La conver-
           sion écologique de l’économie est donc également un
           enjeu d’indépendance géopolitique. Les montants en jeu
           ne sont pas négligeables : 45 milliards en 2007, 60 mil-
           liards en 2008. Et combien lorsque le prix du baril sera
           structurellement au-delà des 120 dollars ? Rappelons
           que le plan de relance de Nicolas Sarkozy est évalué au
           mieux à 26 milliards d’euros de crédits, qui seront en fait
           étalés sur plus d’un an. Garder chez nous un tiers de la
           facture énergétique payée en 2008 grâce aux inves-
           tissements dans l’isolation des bâtiments, l’efficacité
           énergétique de nos industries, les voitures moins
           polluantes, etc., c’est presque l’équivalent d’un « plan de
           relance » par an ! De quoi booster notre économie tout
           en diminuant notre empreinte écologique.

           trente
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                                                       Le Vert pour sortir du rouge



                 Plus d’écologie, c’est donc plus d’emplois, tout de
           suite et de manière pérenne. Cette conclusion est es-
           sentielle car elle permet de résoudre une contradic-
           tion qu’il y a en chacun de nous. Quand les instituts de
           sondage demandent aux Français ce qui est important
           pour eux à court terme, les priorités sont l’emploi et le
           pouvoir d’achat. Quand on leur demande ce qui les in-
           quiète le plus dans les cinquante prochaines années,
           ils répondent : le changement climatique et l’augmen-
           tation du prix des matières premières, notamment du
           pétrole5.
                 Pouvoir démontrer que la réponse aux angoisses
           à long terme des citoyens est aussi la réponse à leurs
           problèmes immédiats est un facteur important de
           changement social. D’ailleurs, cette idée est presque
           majoritaire aujourd’hui : 47 % des Français pensent
           qu’il ne faut pas faire passer la crise environnemen-
           tale au second plan, même en période de crise écono-
           mique, mais qu’il faut traiter les deux en même temps ;
           seuls 14 % pensent qu’elle est secondaire, et 38 % im-
           portante mais non prioritaire6. Ce sont donc bien les
           hommes politiques qui sont en retard sur la société.
           Les élections de juin 2009 peuvent contribuer à les
           remettre à niveau. Car un bon résultat des écologistes
           aurait pour effet non seulement d’envoyer un maxi-
           mum de députés au Parlement européen pour mener
           d’autres politiques en Europe, mais aussi de faire
           pression sur le gouvernement français pour que son
           plan de relance s’inspire beaucoup plus des engage-
           ments du Grenelle que ce n’est le cas aujourd’hui.
           Malgré leurs insuffisances, les mesures issues des

           5. Source : institut CSA, 2008.
           6. Source : institut CSA, janvier 2009.



                                                                    trente et un
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           discussions menées avec les ONG pendant l’été 2007
           constituaient une feuille de route pour engager la
           conversion écologique de notre économie et un grand
           plan de relance verte. Mais, au lieu de déclarer
           l’urgence sur ce texte, le gouvernement ne l’a toujours
           pas fait voter par le Parlement plus d’un an et demi
           après les conclusions des groupes de travail du
           Grenelle. Et s’il est voté un jour, ce sera un texte édul-
           coré sous la pression des lobbies industriels, chi-
           miques, automobiles, de l’agroalimentaire, etc., qui
           prétendent tous faire du développement durable mais
           qui, en coulisses, font tout pour que rien ne change.

           Du plan de relance aux contrats de conversion écologique
                Ce qui est devant nous ne peut être une simple
           relance de l’économie. Compte tenu de la crise clima-
           tique, l’idée que l’on pourrait conserver les mêmes
           modes de production qu’au XXe siècle est absurde. La
           crise est donc le moment ou jamais de s’interroger
           sur notre mode de développement, sur le sens du
           « toujours plus », et d’investir massivement dans de
           nouvelles façons de produire, plus économes et plus
           utiles socialement. Malheureusement, les plans de
           relance européens passent très largement à côté de
           cet enjeu. En France, le plan prévoit 300 millions
           d’euros de crédits pour isoler les bâtiments publics,
           quand le Grenelle de l’environnement a évalué à
           26 milliards le coût total de l’opération ! Les crédits
           portent donc sur un centième de la somme néces-
           saire. Dans le domaine des transports, 400 millions
           d’euros vont financer la route et seulement 300 mil-
           lions le rail. Par ailleurs, le plan de relance ne fait
           preuve d’aucune vision d’ensemble : les mille projets
           annoncés partent dans tous les sens, et l’on finance

           trente-deux
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           un aéroport par ici, une autoroute par là et une ligne
           à grande vitesse à côté !
                 À la place de ce plan fourre-tout qui ne prépare
           pas l’avenir, nous proposons des contrats de conver-
           sion écologique des grands secteurs industriels dont
           l’impact sur l’environnement est important. Détaillons
           à titre d’exemple le contrat de conversion de l’indus-
           trie automobile européenne. Celle-ci doit faire face à
           une double tendance : quand la conjoncture écono-
           mique est bonne, le prix du pétrole est élevé, ce qui
           renchérit le coût d’usage de la voiture. Et quand la
           conjoncture est mauvaise, comme en ce moment, le
           véhicule neuf devient un achat que l’on repousse au
           maximum. La situation favorable que l’on a connue
           dans les années 1990 – une croissance forte avec un
           pétrole faible – est sans doute pour toujours derrière
           nous. Mais les constructeurs ont agi comme si demain
           devait être comme avant. En faisant par exemple un
           lobbying forcené pour que la norme européenne sur la
           limitation des émissions de CO2 par kilomètre, adop-
           tée en décembre 2008, soit la plus faible possible.
           Cette posture est d’autant plus scandaleuse que les
           constructeurs ne cessent de communiquer dans leurs
           publicités sur leur conversion à l’écologie, et qu’ils
           s’étaient engagés en 1994 à atteindre un objectif de
           manière volontaire – promesse qu’ils n’ont pas tenue7.
           Leur responsabilité étant écrasante, il n’est pas envi-
           sageable de leur donner de l’argent public sans
           contrepartie. Cette contrepartie, c’est un contrat de
           conversion écologique reposant sur trois piliers :
           technique, sociétal et social.

           7. L’objectif volontaire de 1994 était d’atteindre 140 g de CO2 par km en 2008.
           Or, la moyenne des émissions constatées en 2008 était de 160 g.


                                                                                      trente-trois
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                  Technique, tout d’abord, car il faut rapidement in-
           venter le véhicule de demain. Nous proposons que l’ar-
           gent public soit utilisé avec comme objectif de produire
           en masse dans les trois ans un véhicule émettant
           80 grammes de CO2 maximum (contre environ 160 ac-
           tuellement). Pour être pleinement efficace, cette re-
           cherche doit se faire au niveau européen. Les
           constructeurs et leurs équipementiers qui se seront
           associés à la recherche auront le droit d’utiliser le bre-
           vet qui en sortira. Il s’agit à la fois de mettre toutes les
           compétences disponibles autour de la table et d’éviter
           qu’un brevet déposé par un constructeur empêche les
           autres d’accéder à la technologie (voir page 52). Mais
           ce soutien public à la recherche doit également être lié
           à la baisse immédiate des émissions de CO2 avec les
           moyens existants. Ainsi, le bridage des moteurs
           – par exemple à 150 kilomètres/heure –, qui permet
           de diminuer la consommation de carburant même à
           50 kilomètres/heure en ville, doit être une des condi-
           tions au financement européen.
                  Le contrat de conversion de l’automobile est égale-
           ment sociétal. Car si le progrès technique est indispen-
           sable pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre,
           il ne peut rien contre ce que les économistes appellent
           « l’effet rebond » : si chacun dispose d’une voiture qui
           émet deux fois moins de CO2 par kilomètre parcouru
           mais parcourt deux fois plus de kilomètres, le résultat
           global est nul. C’est pourquoi il faut aborder la question
           de la mobilité en général, de façon à réduire à la fois les
           émissions par kilomètre et le nombre de kilomètres par-
           courus. La partie sociétale du contrat de conversion mo-
           bilise des compétences bien plus larges que celles des
           entreprises de la filière automobile : il s’agira d’associer
           l’ensemble des fournisseurs de mobilité, des fabricants

           trente-quatre
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                                                      Le Vert pour sortir du rouge



           de transports ferrés, des sociologues, des urbanistes,
           etc. pour diminuer concrètement à court et à moyen
           termes les distances à parcourir en voiture.
                 Enfin, et ce n’est pas la moindre dimension, le
           troisième pilier du contrat est social. Les salariés ne
           sont pas responsables de la crise de leur industrie.
           Pour autant, ce serait un mauvais service à leur
           rendre que de leur dire qu’ils continueront à fabriquer
           autant de voitures qu’aujourd’hui dans cinq ou dix
           ans. Nous proposons donc d’instaurer une sécurité
           sociale professionnelle pour les salariés en reconver-
           sion : pendant trois ans maximum, ils conserveront
           l’intégralité de leur rémunération initiale, le temps de
           se former à un nouveau métier, dans la filière auto-
           mobile ou dans une autre, comme consultants en mo-
           bilité douce, conducteurs de transports collectifs,
           fabricants de tramways, coordinateurs de services
           d’autopartage, formateurs en écoconduite, fabricants
           d’éoliennes, artisans dans l’isolation des bâtiments,
           voire agriculteurs bios pour ceux qui auraient envie de
           changer de vie ! Comme nous l’avons vu, la conversion
           écologique de l’économie peut créer plusieurs cen-
           taines de milliers d’emplois exigeant de nouvelles
           compétences. Il serait absurde de ne pas utiliser
           celles acquises par les salariés de l’automobile pour
           les mettre au service de ces nouvelles filières. Cette
           conversion a d’ailleurs déjà commencé, mais elle doit
           changer d’échelle. L’usine Ford de Blanquefort, près
           de Bordeaux, a été rachetée en février 2009 par un
           groupe allemand qui va y fabriquer des pièces
           d’éoliennes. 1 600 emplois qui étaient menacés de
           disparaître sont ainsi sauvés grâce au développement
           des énergies renouvelables.



                                                                   trente-cinq
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                                                     Le contrat écologique pour l’Europe




           Le rôle de l’Europe
                 Pour répondre à la crise et engager la conversion
           écologique de notre économie, l’Europe est un échelon-
           clé. En matière de recherche et d’innovation, il serait
           infiniment plus intelligent et efficace de mettre en com-
           mun nos forces pour inventer les procédés dont nous
           aurons besoin demain, dans un contexte de pétrole
           cher et de contrainte climatique, que de continuer à
           nous livrer une guerre économique sans merci. Seule
           l’Europe peut piloter cette mise en commun. Et ce n’est
           pas utopique : la Commission européenne finance déjà
           des programmes de recherche pour diminuer de 30 %
           les émissions de CO2 par tonne d’acier produite ; elle a
           mis pour cela tous les sidérurgistes européens autour
           de la même table8. En ce qui concerne l’automobile, l’en-
           jeu n’est pas de savoir qui de Fiat, Renault, Volkswagen
           ou Siemens et Alsthom va inventer le moteur de de-
           main, mais bien que ce moteur soit disponible rapide-
           ment et qu’il puisse être utilisé par tous. Nous avons
           donc besoin de coopération au travers de projets finan-
           cés en commun par la Commission européenne, et non
           de compétition entre nos champions nationaux.
                 L’Europe est également le bon niveau pour déve-
           lopper de nouvelles infrastructures, comme les auto-
           routes de la mer, qui permettront de transporter les
           conteneurs aujourd’hui présents sur nos autoroutes.
           Ou les lignes à grande vitesse transeuropéennes, qui
           vont nous permettre de nous passer de l’avion à
           moyenne échéance, et de réserver ce moyen de
           transport – qui redeviendra très cher en raison de
           l’augmentation du prix du pétrole – à des usages à
           forte valeur ajoutée, comme c’était le cas il y a encore

           8. Programme Ulcos. Voir www.ulcos.org.



           trente-six
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           une cinquantaine d’années. Ces réseaux maritimes
           ou terrestres doivent être conçus dès le début dans
           un cadre européen. Ces grands travaux seront à la
           fois créateurs d’emplois et réducteurs d’empreinte
           écologique.
                Mais comment les financer ? C’est une question
           centrale au niveau européen que celle d’accroître la
           capacité d’intervention de l’Union en tant que telle.
           Aujourd’hui, l’Europe est doublement limitée : les trai-
           tés européens lui interdisent de s’endetter et limitent
           son budget à 1,24 % du PIB européen, budget qui doit
           être en permanence à l’équilibre. Cette contrainte est
           le résultat de réflexes souverainistes qu’il est mainte-
           nant temps de dépasser. Nous voulons que la France
           propose à ses principaux partenaires de mettre en
           commun jusqu’à 5 % du PIB européen, soit cinq fois
           plus qu’aujourd’hui, pour mener ensemble des pro-
           jets d’utilité européenne. Cela représente environ
           460 milliards d’euros supplémentaires9. Ils provien-
           dront pour une part de la remontée au niveau euro-
           péen de recettes actuellement utilisées au plan
           national. Mais, dans leur majorité, il s’agira de fonds
           collectés par la création d’impôts directement euro-
           péens sur les flux financiers, les paradis fiscaux, les
           transactions boursières, etc. Les recettes potentielles
           issues de la fermeture des paradis fiscaux sont éva-
           luées autour de 200 milliards d’euros.
                Si l’augmentation du budget européen via de
           nouvelles recettes ne suffit pas, nous voulons que
           l’Union puisse s’endetter pour financer les grands tra-
           vaux d’investissement qui assureront la conversion
           écologique de notre économie.

           9. Le budget 2009 de l’Union européenne est de 116 milliards d’euros.


                                                                                    trente-sept
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                                              Le contrat écologique pour l’Europe




                 La crise actuelle peut devenir une chance si l’on
           parvient à saisir les deux opportunités qui s’offrent à
           nous : profiter du retour de l’investissement public
           pour financer la conversion de notre économie, parti-
           culièrement de nos industries, et profiter du fait que
           les États sont impuissants à régler seuls cette crise
           mondiale pour aller vers plus de mise en commun au
           niveau européen. Ce serait une sortie par le haut.
           Mais, si le pire n’est jamais sûr, le meilleur, malheureu-
           sement, non plus. Il se peut aussi que l’argent public
           que l’on met aujourd’hui dans les plans de relance ne
           serve en rien à préparer l’avenir. Et que les États se
           replient sur eux-mêmes en préférant lutter chacun
           de leur côté contre la crise. Même s’il n’est pas le seul,
           le 7 juin 2009 sera un moment décisif pour décider de
           prendre la sortie par le haut ou de choisir le chemin
           de la division et de l’impuissance. Un Parlement
           européen plus écologiste et plus fédéraliste est la
           meilleure garantie pour l’avenir.
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                                                      CHAPITRE 2
                                    MARCHÉ, CAPITALISME, ÉCOLOGIE
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           Alors que le débat sur l’avenir du capitalisme resurgit
           avec la crise, les écologistes ont une vision originale à
           faire valoir : une économie plurielle qui utilise au mieux
           les avantages de l’économie publique, d’un marché
           responsable et de l’économie sociale et solidaire.

           De quoi cette crise est-elle la crise ?
                La crise actuelle n’est pas seulement d’origine
           financière, au sens où la réponse pourrait consister
           seulement en quelques nouvelles règles sur les mar-
           chés financiers. Elle ne provient pas des dysfonction-
           nements du système mais du fonctionnement du
           système lui-même. Ce ne sont pas des dérives aux-
           quelles il faut mettre fin, mais une matrice entière qu’il
           faut remettre en cause. Cette matrice est à la fois
           libérale, productiviste et inégalitaire.
                Libérale car, depuis la fin des années 1970,
           l’idéologie dominante considère que la société
           entière doit se transformer en un vaste marché.
           Suppression des services publics au nom de la
           concurrence, ouverture toujours plus grande des
           frontières au nom du libre-échange, retrait de l’État
           de la création monétaire au bénéfice des banques
           privées et des marchés financiers, développement
           des retraites par capitalisation au détriment des ré-
           gimes par répartition, flexibilisation des contrats de
           travail au nom du bon fonctionnement du marché de
           l’emploi… La liste est longue des politiques menées
           en Europe aussi bien par la droite que par la gauche
           social-démocrate depuis les années 1980 pour

                                                             quarante et un
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           rendre nos sociétés conformes à l’idéologie libérale
           de la société de marché.
                 Productiviste, car la finalité de notre économie
           n’est pas le bien-être des personnes, mais le plus
           haut niveau de production possible. Il s’agit bien de
           faire croître toujours plus le produit intérieur brut
           sans s’interroger sur ses conséquences (positives
           comme négatives) en termes de bien-être, ni sur les
           dégâts causés aux hommes et à la planète. Or, on le
           sait maintenant : dans nos pays riches, plus de PIB ne
           veut plus dire plus de bien-être et de qualité de vie.
           Aux États-Unis, par exemple, le PIB a plus que dou-
           blé depuis 1970, alors que l’indice qui mesure le bien-
           être de la population a diminué de moitié sous l’effet
           du développement de la précarité, du phénomène des
           travailleurs pauvres, du renoncement croissant aux
           soins, etc. En France, entre 1980 et 2003, le PIB a
           augmenté de 46 % alors que l’indice de bien-être éco-
           nomique n’a crû que de 25 % et diminue même depuis
           2001. Quant à la pression que l’on exerce sur l’envi-
           ronnement, on sait aussi qu’elle est insoutenable.
           L’empreinte écologique compare la capacité de la
           terre à renouveler les services écologiques qu’elle
           fournit (sa biocapacité) et la ponction que l’on pré-
           lève chaque année. Or, cette empreinte a dépassé
           depuis le milieu des années 1980 la biocapacité de la
           Terre. Ce qui se traduit concrètement par la dispa-
           rition progressive des poissons, le changement cli-
           matique, lié au fait que l’on émet plus de CO2 que la
           planète n’est capable d’en absorber naturellement,
           ou encore par ce que les scientifiques appellent la
           « sixième extinction des espèces », c’est-à-dire la
           diminution dramatique du nombre d’espèces vivant
           sur la Terre.

           quarante-deux
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                 Enfin, la matrice est inégalitaire. Aux États-Unis,
           d’où est partie la crise, les inégalités sont revenues à
           leur niveau d’avant 1929. En France, selon les travaux
           de l’économiste Camille Landais, les inégalités de re-
           venu, qui étaient restées stables jusqu’en 1998, sont
           reparties à la hausse sous le double effet de l’explo-
           sion des très hautes rémunérations et des diminutions
           d’impôts pour les plus riches (baisse des tranches
           supérieures de l’impôt sur le revenu, diminution de
           l’impôt sur la fortune, baisse des droits de succes-
           sions, bouclier fiscal…).
                 Les trois dimensions de la matrice sont liées :
           plus un système est libéral, plus il est inégalitaire et
           plus il est productiviste. Selon les travaux de l’ONU, le
           scénario de développement de l’économie mondiale le
           plus libéral dans les vingt prochaines années est aussi
           le plus émetteur de CO2 et le plus prédateur pour les
           ressources de la planète10. Et les pays où le taux d’im-
           position total est le plus faible sont les pays les plus
           inégalitaires. Le coefficient d’inégalités aux États-
           Unis (coefficient de Gini) est ainsi presque égal à ce-
           lui du Burkina Faso, alors que le PIB par habitant y
           est quarante fois plus élevé. Enfin, plus un pays est
           inégalitaire, plus il faut produire pour que les plus
           pauvres aient un peu. Les inégalités ne sont pas
           bonnes non plus pour l’état de la planète.
                 Le temps est donc venu de changer de modèle.
           D’aller vers un mode de développement moins libéral,
           où le marché n’est pas considéré comme autorégula-
           teur ; moins productiviste, où la finalité de la crois-
           sance pour la croissance est remplacée par un double

           10. Rapport GEO-4 du Programme des Nations unies pour
           l’environnement, 2007.



                                                                               quarante-trois
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           objectif d’amélioration de la qualité de vie et de dé-
           croissance de l’empreinte écologique ; et moins inéga-
           litaire, dans lequel sont définis un revenu maximum et
           un revenu minimum, et où les politiques fiscales re-
           distributives retrouvent la place qu’elles ont perdue
           ces trente dernières années.

           Sortir du capitalisme ?
                 Si l’on veut vraiment apporter une réponse qui
           dépasse les simples slogans, il faut d’abord définir les
           termes. Le capitalisme est le système économique
           dans lequel l’initiative privée a pour objectif l’accumu-
           lation d’un profit sans cesse croissant, et dont les
           moyens de production (les entreprises) sont la pro-
           priété des détenteurs des capitaux. Une économie pu-
           rement capitaliste n’existe pas et n’a jamais existé. En
           Europe, aujourd’hui, plus de 10 % des emplois relèvent
           de l’économie sociale et solidaire, dans laquelle le
           contrôle du capital ne donne pas le pouvoir, et dont la
           finalité n’est pas le profit. Les mutuelles de santé, les
           maisons de retraite associatives, les entreprises de
           commerce équitable, la chaîne de moyennes surfaces
           bios Biocoop, le journal Alternatives Économiques, en
           France, ne fonctionnent pas sur un mode capitaliste.
           En Suisse, les deux principales chaînes de distribu-
           tion, qui pèsent plus de 70 % de parts de marché, sont
           organisées en coopératives. En Italie, on compte plus
           de sept mille entreprises organisées sous forme de
           « coopératives sociales ». Par ailleurs, de nombreux
           secteurs d’activité relèvent de l’économie publique ou
           d’une économie qui fait cohabiter des entreprises ca-
           pitalistes, des services publics et l’économie sociale
           et solidaire selon des modèles encore largement
           spécifiques à chaque État : l’éducation, la santé, la

           quarante-quatre
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                                                     Marché, capitalisme, écologie



           culture, les services aux personnes, la distribution de
           l’eau, de l’énergie, les médias, etc., ne sont, dans au-
           cun État européen, des secteurs pleinement capita-
           listes. Dire que nos économies sont des économies
           capitalistes est donc réducteur. Ce sont clairement
           des économies à système capitaliste, mais pas uni-
           quement.
                 Il faut également distinguer le capitalisme du mar-
           ché. Celui-ci est un espace organisé et normé où se
           rencontrent une offre et une demande. Les entreprises
           publiques et les entreprises de l’économie sociale et
           solidaire sont sur le marché, mais elles ne sont pas ca-
           pitalistes. Pour les libéraux, le marché est un espace
           autorégulateur s’il est livré à lui-même. Mais cette vi-
           sion est un mythe. Car le marché n’est en aucun cas un
           espace spontané. C’est une construction sociale où les
           normes publiques jouent un rôle essentiel. Par ailleurs,
           jusqu’à 50 % de la demande économique (dans les
           pays scandinaves) passe par les pouvoirs publics au
           travers de l’impôt ou des cotisations sociales. Même au
           Royaume-Uni, un des pays européens les plus libé-
           raux, le taux de prélèvements obligatoires est de l’ordre
           de 35 %. Plus d’un tiers de la richesse produite y est
           donc à un moment donné socialisé.
                 Ainsi, nos économies sont des économies avec
           marché, et non uniquement « de » marché.
                 L’objectif de l’idéologie libérale dominante depuis
           trente ans est de transformer nos économies plu-
           rielles en des économies purement capitalistes de
           marché. Elle a donc cherché à privatiser les entre-
           prises publiques, à développer la concurrence mar-
           chande dans des secteurs comme l’éducation, la
           santé, etc. C’est l’agenda libéral de la Commission
           européenne tel que les écologistes le dénoncent

                                                                 quarante-cinq
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                                                      Le contrat écologique pour l’Europe




           depuis le début. Mais ce projet, heureusement, est
           loin d’avoir abouti. Le taux de prélèvements obliga-
           toires dans les principaux États de l’Union n’a pas
           baissé depuis trente ans. Au contraire. Cela signifie
           que, si l’État a abandonné certains secteurs, comme
           les télécoms ou le transport aérien, encore large-
           ment publics il y a quelques décennies, son poids
           dans l’économie, sa capacité d’intervention dans la
           demande globale, n’a pas diminué. Le poids de l’éco-
           nomie sociale et solidaire n’a pas non plus baissé,
           malgré des tentatives de déstabilisation conduites
           par la Commission. Nous sommes donc bien tou-
           jours dans une économie plurielle : à la fois publique,
           capitaliste et avec marché. Faut-il en sortir, et
           pour aller où ? Vers une économie 100 % publique ?
           L’histoire a montré que confier la production de tous
           les biens et les services à l’État n’était ni efficace ni
           juste. Ni très écologique, d’ailleurs, puisque deux
           des plus grands scandales environnementaux du
              e
           XX siècle ont eu lieu en Union soviétique : l’explosion
           de la centrale nucléaire de Tchernobyl et l’assèche-
           ment de la mer d’Aral, en Asie centrale, pour irriguer
           les champs de coton. D’ailleurs, lorsque les partis
           politiques qui se réclament de la sortie du capita-
           lisme font des propositions concrètes, ce sont sou-
           vent finalement des propositions de régulation du
           capitalisme. Les banques ont déjà été publiques
           en France sans que l’on sorte du capitalisme.
           L’autorisation administrative de licenciement a déjà
           existé sans que l’on sorte du capitalisme. La volonté
           de demander des comptes aux entreprises sur l’uti-
           lisation des aides publiques et de les poursuivre en
           justice si elles en ont fait un mauvais usage, ce n’est
           pas non plus une sortie du capitalisme.

           quarante-six
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           Encastrer le capitalisme dans une économie plurielle
                 Nous proposons deux grands types de réformes
           radicales pour limiter le poids du capitalisme dans
           notre économie. La première est de défendre et de
           promouvoir les formes non capitalistes d’organisation
           économique, comme les services publics et l’écono-
           mie sociale et solidaire. D’où, par exemple, le fait de
           dire stop à la libéralisation des services publics en
           instaurant un moratoire européen sur toute nouvelle
           privatisation. D’un point de vue strictement démocra-
           tique, il est d’ailleurs étonnant que la Commission
           cherche à poursuivre la libéralisation de nouveaux
           secteurs comme l’éducation, la santé ou la culture
           alors qu’elle n’a tiré aucun bilan de celle des autres
           secteurs. Avant de poursuivre une politique, il faut au
           moins l’évaluer. Au-delà de ce moratoire, tous les éco-
           logistes européens sont d’accord pour proposer une
           directive-cadre sur les services d’intérêt général, dont
           l’objectif est de sécuriser et de protéger les secteurs
           où les logiques non capitalistiques sont encore domi-
           nantes, comme l’éducation, la culture, les services
           aux personnes, l’éducation populaire… Cette direc-
           tive, le groupe des élus écologistes l’a proposée au
           Parlement européen le 28 novembre 2006. Mais le
           Parti populaire européen, où siège l’UMP, et les libé-
           raux, où siègent les élus du Modem, ont voté contre.
           Voilà un exemple précis de contradiction entre ce qui
           est dit en France et ce qui est défendu à Bruxelles ou
           à Strasbourg.
                 Par ailleurs, nous pensons qu’il est temps d’in-
           verser la tendance et de créer des services publics
           européens. Prenons l’exemple de l’énergie. Nous
           importons près de la moitié de notre gaz auprès de la
           Russie. Le conflit de janvier 2008 entre ce pays et


                                                                        quarante-sept
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           l’Ukraine a montré la dépendance de l’Europe vis-à-
           vis de la Russie : si elle décide de fermer les robinets,
           les pays européens ont de quelques semaines à trois
           mois de stock au maximum. La concurrence en
           Europe entre les États et entre les entreprises pour
           l’accès à ce gaz est totalement contre-productive. Car
           la Russie joue bien sûr telle entreprise contre telle
           autre, ou tel pays contre tel autre, pour obtenir les
           meilleures conditions possibles de négociation. Outre
           la réduction des consommations, et donc de la dépen-
           dance, la solution passe par la création d’un acheteur
           unique transeuropéen, dont le statut serait directe-
           ment de droit européen, qui redistribuerait le gaz vers
           les différentes compagnies et les différents États au
           sein de l’Union.
                 Défendre les services publics et l’économie so-
           ciale et solidaire est donc une première forme de com-
           bat contre le capitalisme. Mais nous voulons aller plus
           loin, et le principe même de développement soutenable
           nous offre une clé. Car, au sens strict, le développe-
           ment soutenable constitue une forme de dépassement
           du capitalisme. En mettant au même niveau les inté-
           rêts sociaux, environnementaux et économiques, il va
           bien au-delà de la prise en compte privilégiée des seuls
           intérêts des propriétaires du capital. En exigeant que
           les intérêts des générations futures, autrement dit les
           effets à long terme des comportements actuels, soient
           pris en compte, il oblige à sortir du « court-termisme »
           des résultats financiers trimestriels. Comment traduire
           cela au niveau européen ? Par exemple, au travers d’un
           paquet « Finance propre » qui luttera contre les
           paradis fiscaux, interdira la publication de comptes
           trimestriels et semestriels, etc. (voir chapitre 3).
           Nous proposons également que le droit européen

           quarante-huit
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                                                     Marché, capitalisme, écologie



           reconnaisse le fait qu’une entreprise ne se définisse
           pas simplement vis-à-vis de ses actionnaires, comme
           c’est le cas aujourd’hui, mais qu’elle soit définie comme
           une personne morale ayant à la fois un objectif (renta-
           biliser le capital investi par ses actionnaires) et des
           responsabilités (vis-à-vis de ses salariés, de l’environ-
           nement, des collectivités locales, etc.). Nous propo-
           sons enfin que les grandes entreprises européennes
           qui possèdent des filiales dans les pays du Sud
           puissent être tenues responsables devant la justice
           européenne des agissements de celles-ci. Il serait alors
           possible de sortir de l’impunité dont elles jouissent
           aujourd’hui (voir page 76).

           Pour un marché responsable
                 Pour comprendre le rôle du marché, revenons à
           une question toute simple. Qui décide que j’ai besoin
           de telle maison, de telle voiture, de telle paire de
           chaussures ? Il y a deux réponses possibles : les indi-
           vidus définissent leurs besoins et confrontent sur un
           marché leur demande à une offre, ou une instance
           publique définit et règle les besoins privés. Dans la
           réalité, l’économie est un mélange de ces deux
           réponses, qui ont chacune leurs avantages et leurs in-
           convénients. L’avantage du marché est sa souplesse,
           le fait d’être décentralisé et le respect de la liberté
           individuelle. Mais il possède deux inconvénients
           majeurs. D’une part, il ne tient pas compte a priori de
           contraintes globales qui pourraient s’imposer à l’en-
           semble des acteurs présents sur le marché : ainsi, si
           une instance centralisée ne fixe pas de règles en
           matière de lutte contre le changement climatique,
           il n’y a strictement aucune raison pour que le marché
           le prenne en compte. D’autre part, le marché ne

                                                                 quarante-neuf
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                                                   Le contrat écologique pour l’Europe




           reconnaît que la demande solvable et laisse de côté
           ceux qui ne peuvent payer les biens qu’il propose. À
           l’inverse, un système centralisé qui définirait les be-
           soins des gens à leur place peut être très équitable et
           social, mais il a un potentiel liberticide évident,
           comme on l’a vu dans tous les systèmes économiques
           qui ont cherché à se passer totalement du marché.
                  Dans ces conditions, il est temps de sortir des
           vieilles querelles idéologiques et de proposer la
           meilleure organisation possible, qui tente de maximi-
           ser les avantages du marché et ceux de la centralisa-
           tion. Les propositions concrètes sont multiples, et on
           en trouvera tout au long de cet ouvrage. Il s’agit par
           exemple de « l’accès qualifié au marché » (voir cha-
           pitre 4), qui permet de limiter l’accès au marché euro-
           péen des produits qui ne respectent pas les grandes
           conventions de l’Organisation internationale du travail
           (OIT), les droits de l’homme tels que reconnus par la
           Déclaration universelle de 1948, les accords interna-
           tionaux sur le climat, etc. À partir du moment où le
           monde se dote de textes reconnaissant des droits et
           des obligations, il est logique d’interdire sur notre
           marché les produits qui ne les respectent pas.
                  Deuxième grande réforme de l’économie de mar-
           ché qu’il faut entreprendre au niveau européen :
           prendre en compte dans les coûts de production le
           véritable impact sur l’environnement. Pour Nicholas
           Stern, ancien économiste en chef de la Banque mon-
           diale et auteur en 2006 d’un rapport important sur le
           climat, « le changement climatique est la plus grande
           faillite du marché de toute l’histoire ». L’impact sur le
           climat de nos modes de production n’est en effet que
           très marginalement pris en compte dans le prix des
           biens et des services que nous achetons. Les services

           cinquante
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                                                      Marché, capitalisme, écologie



           écologiques n’étant pas considérés comme des biens
           rares, ils n’entrent pas dans le prix des facteurs de
           production, à la différence du travail et du capital.
           Mais ce qui hier était abondant (un air pur, la biodiver-
           sité, un climat équilibré…) est aujourd’hui devenu rare
           ou fragile. Intégrer cette nouvelle rareté dans les prix
           est incontournable pour qu’ils ne soient plus globale-
           ment sous-estimés. Ainsi, faire payer le carbone à son
           juste prix offrirait un avantage comparatif aux tech-
           niques les plus économes en énergie. Taxer le fuel
           lourd des bateaux et le kérosène des avions, qui
           échappent aujourd’hui à toute imposition, réduirait les
           transports inutiles, et de nombreuses productions se-
           raient sans doute relocalisées. Pour ce faire, nous dé-
           fendons une taxe carbone-énergie que seule l’Europe
           peut mettre en place de manière efficace. Nous dé-
           fendons également l’extension et l’approfondissement
           du système actuel de permis échangeables de droits à
           polluer achetés aux enchères.
                 Dans le cadre de la lutte contre le changement
           climatique, l’Union européenne a mis en place le pre-
           mier marché réglementaire du CO2. Plus de mille en-
           treprises industrielles sont soumises à un quota
           maximum d’émissions. Si l’une d’entre elles dépasse
           son quota individuel, elle est tenue d’acheter le droit
           d’émission de CO2 d’une autre entreprise qui ne l’au-
           rait pas utilisé. Il s’agit bien d’un système croisant une
           centralisation (une instance centrale définit le quota
           maximum autorisé) et un marché (à l’intérieur de
           cette contrainte globale, les entreprises échangent
           entre elles). Ce système existe depuis 2005 au sein
           de l’Union européenne. Et il va être renforcé à partir
           de 2013 avec l’obligation d’acheter le droit d’émettre
           du CO2 dès la première tonne émise. Les sceptiques

                                                                 cinquante et un
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                                                         Le contrat écologique pour l’Europe




           diront que ce système ne fonctionne pas puisque le
           prix de la tonne de CO2 n’est pas assez élevé. Elle s’est
           échangée en moyenne en 2008 à 20 euros, quand le
           niveau souhaitable pour lutter vraiment contre le
           changement climatique se situe plutôt, selon l’OCDE,
           au niveau de 100 euros la tonne. Mais pourquoi le ta-
           rif est-il si bas ? Parce que la contrainte initiale (le
           quota) n’est pas assez forte. Or, cette contrainte, c’est
           le politique qui la fixe. Jusqu’à présent, ces quotas
           étaient déterminés par État membre. Résultat, chacun
           favorisait son industrie en lui donnant un maximum de
           quotas, de peur de se voir concurrencé par un voisin
           qui en donnerait encore plus. Dès 2013, le volume
           sera fixé au niveau européen par la Commission, qui,
           on peut l’espérer, sera moins sensible au lobbying de
           chaque industrie nationale. Couplé au fait que les en-
           treprises vont devoir acheter progressivement leurs
           droits à émettre du CO2 dès la première tonne émise,
           ce système va devenir bien plus contraignant et effi-
           cace11. Si ces réformes se mettent réellement en place,
           ce sera un exemple intéressant de planification stra-
           tégique qui utilise les bons côtés de la centralisation
           et les bons côtés du marché.
                Autre élément de l’intervention politique pour al-
           ler vers une économie de marché responsable : l’inno-
           vation partagée. Nous savons qu’une partie de la
           solution au changement climatique et à l’invention
           d’une économie capable, dans cinquante ans, de se
           passer de pétrole et de gaz passe par l’innovation et la

           11. D’autres aspects doivent encore être améliorés pour rendre ce mécanisme
           de droits à polluer échangeables pleinement efficace, comme la limitation
           de la possibilité pour les entreprises européennes de s’acquitter
           de leurs obligations de diminution d’émissions dans les pays du Sud.


           cinquante-deux
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                                                     Marché, capitalisme, écologie



           recherche. Se pose donc la question du financement
           de cette recherche et du droit des brevets résultant de
           la recherche. Si l’on en reste à un système de marché,
           chaque entreprise est libre d’investir ou pas dans
           des technologies « vertes », et celle qui trouve, par
           exemple, une voiture hybride conserve la propriété du
           brevet, empêchant ainsi les autres d’utiliser le résultat
           de ses recherches. Cette solution n’est évidemment
           pas à la hauteur des enjeux, car il ne s’agit pas seule-
           ment qu’une entreprise trouve « la » solution tech-
           nique, encore faut-il que celle-ci se généralise
           rapidement à l’ensemble du secteur pour être efficace
           et diminuer les émissions de CO2, par exemple.
                Inversement, toute solution qui consisterait à mi-
           ser uniquement sur la recherche publique en laissant
           de côté les immenses moyens financiers des multi-
           nationales et les compétences de leurs salariés est
           également inefficace. D’autant qu’une fois le nouveau
           procédé inventé, il faudra bien des entreprises pour le
           produire et le généraliser.
                Nous proposons donc un système intermédiaire :
           une puissance publique (par exemple, la Commission
           européenne) apporte des financements en fixant
           un objectif de résultat aux entreprises privées d’un
           secteur (par exemple, mettre au point la voiture qui
           n’émet que 80 grammes de CO2/km, contre environ
           160 en moyenne actuellement). Toutes les entreprises
           européennes du secteur sont invitées à participer à la
           recherche en lien avec des organismes et universités
           publics, et seules celles qui participent auront le droit
           par la suite d’utiliser le brevet, qui sera collectif.
           C’est une incitation forte à participer au projet. Une
           fois le résultat atteint, il est possible de créer
           une norme d’accès au marché qui dise : puisqu’il est

                                                                cinquante-trois
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                                              Le contrat écologique pour l’Europe




           techniquement possible de produire une voiture qui
           émet 80 grammes de CO2/km et que vous avez le droit
           de le faire, nous fixons à 80 grammes la limite d’émis-
           sion des véhicules qui seront mis sur le marché dans
           cinq ans. Ce mécanisme de pilotage oriente la concur-
           rence de manière utile et planifie les objectifs, sans
           pour autant que l’on nationalise tous les construc-
           teurs automobiles.
                Toutes ces réformes sont possibles, et l’Europe
           est vraiment le niveau pertinent pour mettre en place
           cette économie de marché responsable. Mais encore
           faut-il que siègent en force au Parlement européen
           des élus qui ont cette vision et cette volonté.
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                                                    CHAPITRE 3
                               FAIRE LE MÉNAGE DANS LA FINANCE
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           L’Europe doit adopter un paquet « Finance propre »
           qui mette fin à trente ans de déréglementation de la fi-
           nance et de soumission aux impératifs de court terme
           des actionnaires.

           D’où vient la crise financière ?
                Pour faire les bons choix et adopter les mesures
           qui empêcheront la crise financière de se reproduire,
           mieux vaut poser le bon diagnostic. Prenons donc le
           temps de comprendre les mécanismes à l’œuvre. La
           crise financière qui a débuté à l’été 2007 et a pris une
           ampleur historique à partir de l’été 2008 est la
           conjonction de trois phénomènes.
                Le premier est la dérégulation des marchés
           financiers sous l’effet de deux décennies d’idéologie
           libérale. Suppression de la réglementation publique,
           création de nouveaux produits financiers qui ne re-
           posent sur aucune contrepartie dans l’économie
           réelle, développement de fonds spéculatifs hébergés
           dans les paradis fiscaux pour contourner les règles de
           gestion du risque… La finance mondiale est devenue
           un immense casino qui tourne sur lui-même.
                Ce casino a vu affluer de l’argent comme jamais
           dans l’histoire. C’est d’ailleurs la deuxième cause de la
           crise, car un casino vide n’aurait pas été très dange-
           reux. D’où vient cet argent ? De deux sources princi-
           pales. La première est la financiarisation de la
           protection sociale. Le vieillissement démographique
           et la tension financière sur les systèmes de retraite
           par répartition ont poussé les classes moyennes des

                                                            cinquante-sept
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                                                   Le contrat écologique pour l’Europe




           pays riches à se constituer une épargne placée soit
           dans des fonds de pension, comme aux États-Unis ou
           au Royaume-Uni, soit dans des produits d’assurance-
           vie, comme en France. L’assurance-vie représentait
           ainsi 122 milliards d’euros en 2007. Contrairement au
           système par répartition (dans lequel l’argent collecté
           est utilisé immédiatement pour payer les retraites des
           retraités actuels), avec la capitalisation, l’argent des
           épargnants est placé sur les marchés financiers pour
           payer leur propre retraite dans plusieurs décennies.
           Les gestionnaires de cette épargne ont donc acheté
           en masse des actions des entreprises cotées. La de-
           mande étant supérieure à l’offre, leur valeur a mécani-
           quement augmenté. La deuxième pompe qui alimente
           la finance mondiale est la rente des matières pre-
           mières. Dès 2005, leur prix commence à augmenter.
           Le prix du pétrole passe de 28 dollars le baril en
           moyenne en 2003 à plus de 55 dollars en 2005, pour
           atteindre près de 150 dollars à l’été 200812. Or, même
           si le prix du baril augmente, son coût de production,
           lui, est stable, autour de 15 dollars au Moyen-Orient,
           par exemple. Les pays producteurs se constituent
           donc une rente de centaines de milliards de dollars
           qu’ils n’utilisent que très marginalement chez eux. Ils
           vont donc constituer des fonds dits « souverains »,
           qui vont eux aussi placer leur capital sur les marchés
           financiers.
                 Le troisième phénomène à l’origine de la crise fi-
           nancière est la stagnation des salaires et la captation
           par les détenteurs du capital d’une part de plus en
           plus importante de la valeur ajoutée produite par les
           entreprises. Dans tous les pays de l’OCDE, la part des

           12. Source : BP.



           cinquante-huit
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                                                      Faire le ménage dans la finance



           salaires dans la valeur ajoutée a diminué, parfois mo-
           destement, comme en France, parfois de manière im-
           portante. À l’inverse, la part de la valeur ajoutée
           captée par les actionnaires a explosé. En 2007, ils ont
           reçu 74 milliards d’euros des entreprises françaises
           contre 46 milliards en 2001 (en euros constants pour
           annuler l’effet de l’inflation). Résultat : pour continuer
           à consommer toujours plus, les salariés ont dû
           s’endetter massivement. Le taux d’endettement des
           ménages aux États-Unis a ainsi doublé entre 1998 et
           200713. En Europe, c’est l’Espagne et le Royaume-Uni
           qui ont connu les évolutions les plus marquées :
           en 2007, la dette des ménages représentait 145 % de
           leur revenu disponible au Royaume-Uni et 115 % en
           Espagne, contre 70 % en France – un record histo-
           rique (le taux d’endettement n’était que de 60 % deux
           ans plus tôt), mais qui la situe bien en dessous des
           niveaux atteints chez ses deux voisins.
                 Pour s’endetter, encore faut-il que des banques
           acceptent de prêter. Là encore, plusieurs phéno-
           mènes expliquent pourquoi les ménages ont pu s’en-
           detter comme jamais. Il faut prendre le temps de les
           analyser. On retiendra les trois principaux.
                 D’une part, l’augmentation des prix de l’immo-
           bilier a mis les ménages dans une position psycho-
           logique favorable à l’endettement : puisque la valeur
           de mon patrimoine augmente, je suis plus riche, je
           peux donc m’endetter plus. En cas de problème, au
           pire, je revendrai ma maison. Un raisonnement qui
           tient la route lorsque le problème est individuel. Mais,
           lorsqu’il devient collectif et que tout le monde veut
           vendre en même temps, les prix de l’immobilier

           13. Source : Réserve fédérale.



                                                                   cinquante-neuf
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                                                  Le contrat écologique pour l’Europe




           chutent et la valeur du patrimoine fond. C’est ce qui se
           passe depuis 2007 aux États-Unis, et en France de-
           puis le milieu de l’année 2008.
                 Deuxièmement, l’accès au crédit a été encou-
           ragé dans certains pays européens par les pouvoirs
           publics. Coïncidence, ce sont ceux aujourd’hui qui
           souffrent le plus de la crise ! Ainsi, au Royaume-Uni
           ou en Islande, lorsqu’une personne souscrivait un
           nouveau crédit, le banquier prenait en compte non
           seulement ses revenus mais aussi la valeur de mar-
           ché de son capital, par exemple sa maison. Au plus
           fort de la bulle immobilière, chacun pouvait valoriser
           au plus haut son patrimoine et ainsi obtenir de nou-
           veaux crédits. En France, la loi interdit ce mode de
           calcul, qui repose sur une appréciation fictive du pa-
           trimoine. Mais un homme politique a voulu changer la
           loi en 2004 pour l’aligner sur le modèle anglo-saxon.
           Il s’agissait d’un certain Nicolas Sarkozy, alors mi-
           nistre des Finances. Heureusement, sa proposition
           n’est pas entrée en vigueur, mais une telle clair-
           voyance mérite d’être soulignée…
                 Troisième raison ayant permis une ouverture ir-
           raisonnée des robinets du crédit, les banques ont pris
           plus de risque qu’elles n’auraient dû le faire car elles
           ont pu transformer les crédits qu’elles avaient en
           titres sur les marchés financiers. Concrètement, que
           se passe-t-il lorsqu’une banque me prête 100 000 eu-
           ros pour acheter un appartement ? Elle prend le
           risque que je ne la rembourse pas. Au-delà des dispo-
           sitifs de caution et d’hypothèque, les banques ont
           donc inventé ces dernières années des dispositifs
           pour partager le risque avec d’autres acteurs écono-
           miques et gagner encore plus d’argent sur les prêts
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Le contrat écologique pour l'Europe - intégral - Pascal Canfin - éditions Les Petits Matins
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  • 5. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 4 {
  • 6. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 5 Pascal Canfin le contrat écologique pour l’europe essai { L E S Pe t i t s ma ti ns} Pr é f a c e d e Da n i e l C o h n - B e n d i t
  • 7. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 6 Du même auteur : L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, Les petits matins, 2007 C’est pollué près de chez vous. Les Scandales écologiques en France, avec Wilfrid Séjeau, Les petits matins, 2008 Design original de la collection : Labomatic, Paris Direction artistique : William Hessel Maquette : Atelier Dazibao, Montels Ce livre a été imprimé sur papier recyclé Cyclus Offset. © Les petits matins, 2009 31, rue Faidherbe, 75011 Paris Site : www.lespetitsmatins.fr ISBN : 978-2-915-87947-6 Diffusion en France : Volumen Diffusion en Belgique : Interforum Benelux Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
  • 8. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 7 neuf Préface Par Daniel Cohn-Bendit dix-sept Introduction Un nouveau modèle, maintenant vingt-cinq Chapitre 1 Le Vert pour sortir du rouge trente-neuf Chapitre 2 Marché, capitalisme, écologie cinquante-cinq Chapitre 3 Faire le ménage dans la finance soixante-neuf Chapitre 4 Tirer la mondialisation vers le haut quatre-vingt-sept Chapitre 5 Faire enfin l’Europe sociale cent trois Chapitre 6 Faire de l’Europe un modèle de développement soutenable cent quinze Conclusion L’écologie maintenant cent vingt et un Annexes cent quarante-deux Index
  • 9. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 8
  • 10. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 9 PRÉFACE Par Daniel Cohn-Bendit Daniel Cohn-Bendit est coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. Il conduit la liste Europe Écologie en Île-de-France aux élections européennes de 2009. En ce printemps marqué par une aggravation inquié- tante de la crise économique et un rendez-vous aux urnes donné à tous les citoyens européens, l’essai que vous tenez dans les mains est à mes yeux particuliè- rement important et opportun. Important et opportun, car ce livre pose, avec intelligence et surtout avec une clarté pédagogique rare, les bonnes questions à un moment qui devrait s’avérer décisif dans les choix que nous avons à faire de survie écologique de notre planète. Pendant des décennies, le dogme productiviste – qu’il soit libéral ou étatiste – s’est complu à objecter le « réalisme » de l’économie au prétendu « utopisme » de la pensée écologiste. Mais, depuis quelques mois, le monde s’accélère et l’ordre des choses évolue à un point tel que nous sommes en droit de nous demander si notre véritable entrée dans le XXIe siècle ne serait pas en train de se jouer sous nos yeux plutôt qu’à l’aune du soi-disant « choc des civilisations » proclamé par certains à la suite du 11 septembre 2001. Car nous sommes aujourd’hui à un carrefour des crises. Un moment neuf
  • 11. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 10 Le contrat écologique pour l’Europe capital où le séisme de très forte magnitude qui ébranle l’économie mondiale vient croiser dans le temps et dans l’espace un état de consumation avancé de notre planète ; une maison dévorée par un feu de deux siècles de productivisme effréné et d’insouciance écologique presque totale. Nous voici donc à un moment décisif ; celui où il est encore possible de choisir, où il reste une chance – que nous qualifierons sans mentir d’historique – de pouvoir infléchir le cours des événements à condition de ne pas, en raison d’un strabisme imbécile, négliger une urgence pour une autre et se trouver in fine à devoir payer deux fois pour la même crise. Car c’est là une des richesses majeures du livre de Pascal Canfin que de montrer l’impossibilité d’un règlement de la crise économique actuelle sans engager une transfor- mation écologique et sociale profonde de nos modes de production et de nos modes de vie. Bien sûr, les quatre dernières décennies ont été jalonnées par une série de catastrophes environne- mentales d’ampleur, mais le discours écologiste du- rant la période continuait à résonner comme une prophétie pour des temps assez lointains, toujours repoussés par la promesse de nouveaux remèdes ou la découverte de nouveaux gisements de richesses naturelles. La prise de consciente assez récente des conséquences quasi immédiates du changement cli- matique à l’œuvre sous l’effet d’une progression expo- nentielle des émissions de carbone a changé la donne. La génération des écologistes presque vétérans (à laquelle j’appartiens désormais) ne saurait cepen- dant se réjouir d’avoir eu raison trop tôt, comme celle de la relève (dont Pascal Canfin fait partie) refuse que l’urgence économiste et les impératifs industriels dix
  • 12. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 11 Préface viennent une fois de plus repousser l’enclenchement d’une conversion radicale de nos façons de produire, de consommer et de vivre. La politique, telle que nous la concevons, ce n’est pas se satisfaire de la justesse de nos raisonnements ou de nos prévisions : c’est savoir se doter des moyens justes et appropriés pour agir. L’action est toujours indissociable d’une certaine forme d’exercice du pouvoir, et une des caractéristiques majeures de la culture écologiste en politique est de toujours conser- ver une certaine défiance à l’égard du pouvoir, y com- pris lorsqu’il s’agit de son propre exercice du pouvoir. Chacun aura noté que, depuis quelques années, d’autres formations politiques que les Verts ont com- mencé à développer un discours et des propositions teintés d’écologie. Si les actes et les pratiques de ces nouveaux convertis étaient à la hauteur de leurs in- tentions déclarées, cela entraînerait plusieurs consé- quences. Il serait d’abord beaucoup plus facile de dégager des majorités politiques pour engager la grande transformation écologique de l’économie que nous réclamons, notamment dans une période aussi cruciale que celle que nous traversons actuellement. Ensuite, la question de l’utilité d’une formation écolo- giste sur l’échiquier politique – autre que celle d’assu- mer le rôle de la mouche du coche – serait d’autant plus légitime que nous nourrissons presque intrinsè- quement une propension élevée à nous interroger sur la finalité de nos actes et sur la nécessité ou non de devoir durablement instituer notre présence en politique. Malheureusement, nous sommes très loin du compte. En dépit de l’urgence écologique aujour- d’hui comprise par une large partie de l’opinion, les onze
  • 13. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 12 Le contrat écologique pour l’Europe formations classiques ont bien du mal à mettre leurs choix politiques en conformité avec leurs bonnes ré- solutions environnementalistes. La crise financière et économique a bon dos, et les exemples régressifs ne manquent pas. Illustration ? En cette fin mars, nous débattions au Parlement européen d’un plan de sou- tien à l’industrie automobile à l’échelle de l’Union. Au- delà de la quasi-unanimité politique sur la nécessité de soutenir socialement ce secteur en pleine déconfi- ture, le groupe des Verts européens s’est retrouvé étrangement seul lorsqu’il s’est agi d’imposer un mini- mum de conditionnalités écologiques à un tel soutien. Un isolement d’autant plus affligeant quand on sait les mesures prises en la matière par la nouvelle adminis- tration américaine peu de temps auparavant ! Mais la cécité des uns ne fait pas toujours la prospérité des autres. C’est un fait indiscutable : la représentation politique des écologistes en cette fin de décennie demeure bien trop modeste pour peser à sa juste valeur dans le débat démocratique capital qui se joue dans toute l’Europe. Après avoir accédé à des fonctions ministérielles dans plusieurs pays de l’Union durant les premières années du nouveau mil- lénaire, la plupart des partis Verts du continent ont connu une certaine décrue électorale. Ce recul a été particulièrement flagrant en France, notamment lors de l’élection présidentielle de 2007. Au-delà des explications propres au contexte politique de chaque situation nationale, j’y vois au moins trois raisons d’ordre plus global. Premièrement, notre évolution électorale récente est à rapprocher du recul idéologique et politique dans toute l’Europe de la gauche, avec laquelle nous avons régulièrement été associés. Dans ce contexte, douze
  • 14. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 13 Préface l’alternative écologiste a eu du mal à s’incarner face à la poussée néolibérale autant que par rapport à nos alliés de la gauche productiviste traditionnelle. Heureusement, il semblerait depuis quelques mois que les temps aient commencé de changer, même si, à mon sens, il est toujours plus sûr de compter sur ses propres forces que sur les faiblesses de ses concurrents. Deuxièmement, l’échelon national semble plus que jamais mal adapté à une politique écologiste d’envergure. Je le répète souvent : « L’écologie dans un seul pays, ça ne marche pas. » Pas plus d’ailleurs qu’une collection disparate et non concertée de poli- tiques écologistes dans plusieurs États. C’est tout l’enjeu d’un renforcement politique de l’Europe à l’heure d’une mondialisation économique et financière exacerbée que Pascal Canfin met en relief avec une extrême pertinence dans les pages qui suivent. Enfin, il y a aussi un défi interne à la grande famille écologiste, mais dont les enjeux concernent l’avenir de notre société dans son ensemble : l’urgence de nous rassembler afin que la diversité qui fait notre richesse cesse de s’étioler dans des divisions stériles qui traduisent souvent davantage des oppositions de personnes et des différences de parcours que des désaccords majeurs sur les objectifs. L’écologie poli- tique en France, comme dans bien d’autres pays d’Europe, est née dans les années 1970 des grandes luttes environnementales et antinucléaires, du refus de se soumettre à une agriculture productiviste et de la volonté d’entretenir des échanges équitables avec les peuples et les pays du sud de la planète. Ce « mouve- mentisme » et cet activisme écologiste demeurent le fondement de notre culture politique aux côtés de l’intervention et de l’expertise environnementalistes treize
  • 15. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 14 Le contrat écologique pour l’Europe mises en place par des associations initialement régio- nales ou nationales avant de devenir souvent trans- nationales sous la forme de grandes ONG regroupant parfois plusieurs centaines de milliers de citoyens ac- tifs. La forme partidaire, connue sous l’appellation de parti Vert, n’est apparue que plus tardivement, durant les années 1980, avec les succès qu’on lui connaît et aussi parfois, plus récemment, avec ses déboires élec- toraux. L’erreur de certains de ces partis est, au fil du temps, de s’être développés de manière trop « off- shore » par rapport aux autres réalités de l’écologie politique. En bâtissant, dans la perspective des élec- tions européennes de juin 2009, des listes Europe Écologie qui rassemblent l’essentiel des grandes fa- milles de l’écologie, et même parfois au-delà, nous avons su, je crois, faire preuve d’intelligence politique sans renier notre diversité et nous mettre en condition favorable pour affronter l’urgence d’une transforma- tion profonde de notre société, confrontée à une série de crises sans précédent. Dans cette aventure toujours périlleuse qui consiste à se soumettre au verdict des urnes, Pascal Canfin est là aussi à nos côtés. Sa belle capacité dans ses écrits à rendre intelligible et presque évidente la complexité des choix économiques, écologiques et politiques à mettre en œuvre aujourd’hui nous laisse augurer du meilleur dans cet autre moment décisif.
  • 16. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 15 À ma famille
  • 17. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 16
  • 18. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 17 INTRODUCTION Un nouveau modèle, maintenant Y a-t-il aujourd’hui un seul pays au monde qui puisse se targuer de répondre aux exigences d’un développement soutenable ? Pour répondre à cette question, consi- dérons à la fois l’empreinte écologique et l’indicateur de développement humain (IDH). La première mesure la pression exercée sur l’environnement. Si celle-ci est supérieure à la capacité de la planète à régénérer son capital naturel, la pression exercée est insoutenable à moyen terme. Le second mesure la qualité de l’accès aux droits fondamentaux, comme l’éducation, la santé, l’ali- mentation, etc. Un pays qui aurait une empreinte écolo- gique soutenable et un IDH élevé serait un modèle à suivre. Malheureusement, comme le montre le gra- phique page suivante, la case du développement durable est désespérément vide. Celui-ci reste donc à inventer. La crise actuelle est l’occasion ou jamais de changer de modèle. Et l’Europe est un niveau perti- nent et incontournable pour le faire. Les États nations ne peuvent agir que sur un territoire limité et, à l’ex- ception des États-Unis, leur capacité d’action isolée sur la mondialisation est faible. Ce n’est pas le cas de l’Union européenne. Premier marché du monde1, elle 1. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB de l’Union européenne est de 14 700 milliards de dollars contre 13 800 milliards pour les États-Unis (données exprimées en parité de pouvoir d’achat). dix-sept
  • 19. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 18 Le contrat écologique pour l’Europe est l’endroit adéquat pour reprendre le contrôle de la mondialisation et imposer des réformes ambitieuses aux grandes multinationales (chapitre 4). C’est aussi un levier déterminant pour transformer les politiques publiques mondiales. L’Europe parle déjà d’une seule voix dans les grandes négociations internationales sur le climat ou à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Et les écologistes ont une vision précise de l’agenda international que l’Union doit porter pour changer le cours de la mondialisation (chapitre 4). L’Europe est le bon niveau pour inventer un nou- veau modèle, lutter contre les paradis fiscaux, protéger nos modèles sociaux (chapitre 5) ou faire le ménage dans le capitalisme financier (chapitre 3). Alors pourquoi l’Union n’a-t-elle pas fait grand-chose dans Source : Alternatives Économiques. dix-huit
  • 20. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 19 Introduction ces domaines jusqu’à aujourd’hui ? La réponse est politique et se structure autour d’un double clivage : gauche/droite et souverainiste/fédéraliste. L’Union européenne est gouvernée par une majo- rité de droite. La majorité des États membres sont à droite (voir page 126), le président de la Com- mission, José Manuel Barroso, est de droite – il est l’ancien leader du Parti social-démocrate (PSD)2 du Portugal –, et la majorité du Parlement européen est à droite. Il est logique, dans ces conditions, que les politiques suivies jusqu’à présent par l’Union soient d’inspiration libérale. Ce n’est pas l’Europe en tant que telle qui est en cause, mais bien la majorité politique qui la domine. La gauche sociale-démocrate ferait-elle autre chose ? Il est permis d’en douter. À la fin des années 1990, celle-ci était majoritaire en Europe. La France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, notamment, avaient des gouvernements de gauche. Qu’ont-ils fait de différent ? Ont-ils lutté contre les paradis fiscaux ? Harmonisé l’impôt sur les sociétés pour éviter l’absurde et destructrice concurrence fiscale entre les Européens ? Construit une Europe sociale ? Certes non. Et leur responsabilité est grande car, on le sait, l’histoire repasse rarement les plats. Si ces États de gauche n’ont rien fait, c’est parce qu’à côté du clivage gauche/droite, il en est un autre qui détermine les avancées européennes : le clivage souverainiste/fédéraliste. L’Union européenne n’est rien d’autre que la mise en commun de ressources et de compétences pour faire des choses ensemble. Les traités sont là pour fixer par écrit les compétences 2. Un parti conservateur, même si son intitulé ne l’indique pas. dix-neuf
  • 21. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 20 Le contrat écologique pour l’Europe que les pays acceptent de gérer de concert. Ainsi les États européens se sont-ils entendus pour créer une monnaie commune, avoir le même mandat de négo- ciation à l’OMC ou encore mener une seule politique agricole. Mais ils n’ont pas accepté d’avoir un vrai budget unique : celui de l’Union européenne est limité par les traités à 1,24 % du PIB européen quand le bud- get fédéral américain est de 20 % du PIB. Ils n’ont pas voulu non plus se doter d’un impôt unique sur le capi- tal ou d’un siège unique au Conseil de sécurité des Nations unies. Résultat : sur certains dossiers, l’Europe est un nain. Alors que tout le monde s’accorde à dire que la « relance » de l’économie doit passer par une coordination européenne, l’Union n’a pas de budget et pas le droit de s’endetter. Alors que l’Europe est le bon échelon pour taxer les capitaux et les bénéfices des sociétés, mobiles d’un pays à l’autre, elle n’a aucun pouvoir puisque en la matière les décisions se prennent à l’unanimité, ce qui revient à donner un droit de veto au Royaume-Uni ou au Luxembourg, qui bloque de fait toute avancée. Enfin, tant que l’Europe ne parlera pas d’une seule voix sur les grands problèmes géopolitiques, sa capacité d’influence sur la paix mondiale sera limitée. Or, si les partis sociaux-démocrates ont, avec les chrétiens-démocrates, porté jusque dans les années 1990 les grandes réformes d’inspiration fédéraliste, dont la dernière en date est l’euro, ils ont, depuis, très largement perdu cette vision pour se recentrer sur les intérêts nationaux de court terme. Ni Tony Blair, ni Lionel Jospin, ni Gerhard Schröder n’étaient suffi- samment fédéralistes pour trouver l’énergie des grands compromis qui ont fait avancer l’Europe. Quant à la « gauche de la gauche », en France comme vingt
  • 22. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 21 Introduction en Allemagne, elle reste largement souverainiste et place surtout son espace politique dans le champ national. De plus, elle est incapable de construire des alliances majoritaires pour transformer les politiques publiques. Et dans un Parlement européen élu au scrutin proportionnel, et où aucune force politique n’a la majorité seule, cette incapacité est un frein au changement. L’Europe aborde donc les crises économiques et écologiques en ordre dispersé et dotée d’une majorité politique élue sur une idéologie libérale dont les im- passes sont maintenant clairement établies. Elle doit changer, et les élections européennes sont la pre- mière étape de ce changement. Celui-ci passe par une nouvelle majorité au Parlement européen, à la fois antilibérale et d’inspi- ration fédéraliste, pour faire avancer l’Europe sur de nouveaux chantiers, comme l’indispensable lutte contre les paradis fiscaux ou la concurrence fiscale. Cette ligne politique, dans tous les pays européens, ce sont les listes écologistes qui l’incarnent le mieux. La gauche de la gauche est certes antilibérale. Mais une partie d’entre elle est aussi antieuropéenne : aux jour- nées d’été de la LCR (devenue, début 2009, le NPA), en 2008, on pouvait lire partout des pancartes « Non au capitalisme, non à l’Europe ». C’est une gauche qui renonce à utiliser le bon outil pour changer le sys- tème. Et mène donc un combat stérile. Les sociaux- démocrates, comme le PS en France, ne sont ni antilibéraux ni fédéralistes. Lorsqu’ils ont eu le pou- voir, ils n’en ont rien fait. Quant au Modem, il souffre d’une terrible contradiction : il est certes d’inspiration fédéraliste, dans la lignée des partis chrétiens- démocrates européens, mais ses élus siègent avec les vingt et un
  • 23. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 22 Le contrat écologique pour l’Europe libéraux au Parlement européen. Ainsi, même si les élus français de ce parti étaient déterminés à lutter contre le libéralisme, ils seraient en permanence mis en minorité au sein de leur groupe politique européen. Une contradiction qui mine l’utilité du vote Modem pour transformer l’Europe. À l’inverse, les écologistes de toute l’Europe sont réunis au sein d’un même parti, le Parti vert européen, qui a voté en mars 2009 un programme unique porté par l’ensemble des partis Verts nationaux, et siègent au sein du même groupe politique au Parlement euro- péen, le groupe Verts Alliance libre européenne. Ils disposent aujourd’hui de 42 sièges et constituent le cinquième groupe politique au Parlement (voir page 131). Leur influence est donc loin d’être négli- geable, mais elle est encore insuffisante. Or, il nous reste peu de temps pour inventer le modèle soute- nable dont nous avons besoin. Selon le président du Groupement international d’études sur le climat (Giec), qui coordonne les recherches sur l’évolution du changement climatique et a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007, il nous reste sept ans pour mettre en place les mesures qui nous permettront de diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre en 2050 au niveau mondial. Si nous n’y parvenons pas, alors l’augmentation de la température moyenne de la planète sera supérieure à + 2 °C par rapport au e XX siècle. Or, + 2 °C, c’est le seuil jugé critique par les climatologues. En deçà, le changement climatique aura des conséquences dramatiques mais contrô- lables. Au-delà, il sera incontrôlable, et le pire devien- dra réellement possible. L’Europe ne peut agir seule dans ce combat, mais elle a un rôle capital à jouer. Et le Parlement européen qui sortira des urnes le 7 juin aura vingt-deux
  • 24. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 23 Introduction une grande part de responsabilité. La place des écolo- gistes doit donc y être la plus importante possible. En France (comme en Allemagne, par exemple), les écolo- gistes se présentent rassemblés dans une dynamique collective. Avec Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, José Bové, avec d’anciens responsables de grandes asso- ciations comme Greenpeace ou France Nature Environnement, avec des proches de Nicolas Hulot, la liste Europe Écologie constitue une équipe de choc. Qui mieux que José Bové pourra porter au Parlement européen le combat pour une autre politique agricole et pour le respect du droit à la souveraineté alimen- taire au Sud ? Qui mieux qu’Eva Joly pourra porter le combat contre les paradis fiscaux et la corruption ? En Allemagne, Sven Giegold, le cofondateur d’Attac, et Barbara Lochbihler, l’ancienne secrétaire générale d’Amnesty International, sont engagés en position éli- gible sur les listes des Grünen (le parti Vert) pour dé- fendre une réforme radicale de notre modèle économique, insoutenable pour les hommes comme pour la planète. Avec des écologistes forts, nous pouvons inven- ter le nouveau modèle dont nous avons tant besoin. Le 7 juin, ne ratons pas le rendez-vous.
  • 25. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 24
  • 26. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 25 CHAPITRE 1 LE VERT POUR SORTIR DU ROUGE
  • 27. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 26
  • 28. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 27 Revenons au graphique présenté en introduction. Que signifie-t-il ? Que nous devons impérativement réduire notre empreinte écologique si nous voulons laisser un futur viable à nos enfants – voire à nous- mêmes. Car les dérèglements climatiques ont déjà commencé à produire leurs effets négatifs. La cani- cule de 2003 a tué 15 000 personnes en France et 70 000 en Europe, principalement des personnes âgées que l’on a laissé mourir de chaud et de soif. Il nous reste au maximum sept ans pour inverser la courbe mondiale du CO2 afin d’avoir une chance de limiter les dégâts du réchauffement : résoudre la crise climatique est donc tout aussi urgent que résoudre la crise sociale. La vraie question est donc de savoir s’il existe un chemin pour transformer la solution au pro- blème climatique en solution au problème social. Si la réponse était négative, nous serions en très grande difficulté. Heureusement, elle est positive. Mais en- core faut-il faire les bons choix. L’élection de Barack Obama aux États-Unis montre qu’un pays peut chan- ger. Le 7 juin, l’Europe devra à son tour se doter d’une nouvelle majorité. Plus d’écologie, c’est plus d’emplois Quels sont les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre ? Les transports, l’énergie, l’industrie, le bâtiment et l’agriculture. Or, toutes les études3 montrent 3. Voir Eva Sas, « La Conversion écologique de l’économie : quel impact sur l’emploi ? », Cosmopolitiques, n° 13, juillet 2006. vingt-sept
  • 29. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 28 Le contrat écologique pour l’Europe que diminuer leurs émissions de CO2 conduit à créer bien plus d’emplois que les laisser continuer à fonc- tionner comme aujourd’hui. Les mesures pour isoler les 17 millions de logements qui, en France, ne sont pas aux normes thermiques créeraient 120 000 em- plois sur l’ensemble des territoires pendant plus de vingt ans. Un chiffre évalué par la Commission euro- péenne à un million en Europe (voir page 138). Par ailleurs, la France s’est engagée, dans le cadre du pa- quet Énergie-Climat européen (voir chapitre 6), à pro- duire 23 % de son énergie à partir de ressources renouvelables comme le solaire et l’éolien. Selon une étude européenne, le fait de passer de la situation actuelle (10,3 %) à 23 % permettrait de créer plus de 240 000 emplois en France, selon le Syndicat des énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que l’inten- sité en emplois des énergies renouvelables et de l’ef- ficacité énergétique est nettement supérieure à celle des modes de production énergétique dominants, comme le pétrole, le gaz ou le nucléaire. Selon une étude publiée en décembre 2008 par un laboratoire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), il faut seize emplois dans l’isolation des bâti- ments pour générer un million d’euros de chiffre d’affaires, quand le même million d’euros dans le raf- finage de pétrole n’en crée que trois. Dans l’agriculture, si nous passions de 2 % de la surface agricole cultivée en bio à 9 %, comme en Autriche, le meilleur de la classe européenne, nous pourrions créer 90 000 emplois4. Et il n’y a aucune raison de s’arrêter à 9 %. Si nous allions jusqu’à 15 %, 4. Source : Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France (Fnab). vingt-huit
  • 30. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 29 Le Vert pour sortir du rouge nous pourrions créer environ 150 000 emplois. Au total, ce sont 10 millions d’emplois verts non déloca- lisables que l’on peut créer en Europe, en y incluant le développement des emplois de service aux per- sonnes. Soit entre 500 000 et 1 million en France (voir le détail du chiffrage page 138). Les créations d’emplois ne sont que l’un des as- pects positifs de la mécanique vertueuse de la conversion écologique des principaux secteurs émet- teurs de CO2. L’isolation des logements, par exemple, permet de réduire la facture énergétique des ménages de 80 %, soit plusieurs centaines d’euros par an. Pour que ces travaux puissent être profitables tout de suite et que les économies soient immédiates, leur coût doit être pris en charge partiellement ou totalement en fonction des revenus des foyers concernés. Ce qui re- présente une somme pour l’État français comprise entre 5 et 7 milliards d’euros par an. Un investisse- ment qui crée des emplois et améliore le pouvoir d’achat. Une partie de l’investissement est donc récu- pérée immédiatement par l’État en cotisations supplé- mentaires qui vont financer la protection sociale, et en impôt sur les sociétés des entreprises du bâtiment. Par ailleurs, diminuer la facture de chauffage de 200 euros pour un ménage, c’est diminuer la de- mande en électricité nucléaire, en gaz ou en fuel im- portés. Ces 200 euros dépensés sont aujourd’hui très peu créateurs d’emplois en France, soit parce qu’ils portent sur une technologie très capitalistique, fai- sant appel à peu de travail par kilowattheure produit (le nucléaire), soit parce que l’énergie est importée (par exemple de Russie, dans le cas du gaz). Il est donc fort probable que cet argent économisé sera dépensé dans des secteurs plus intensifs en emplois vingt-neuf
  • 31. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 30 Le contrat écologique pour l’Europe que le secteur énergétique. L’effet positif sur l’emploi en France sera donc amplifié. Dernier élément du cercle vertueux qui peut s’en- clencher : la diminution du déficit commercial et la relo- calisation de la valeur ajoutée. En 2008, la facture énergétique (gaz, charbon et pétrole) a coûté à la France près de 60 milliards d’euros, soit 85 % du montant total du déficit commercial. Dit autrement : nous avons collec- tivement envoyé 60 milliards d’euros vers le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Russie ou encore le Venezuela, et dans les caisses de Total et des autres majors. Investir dans l’efficacité énergétique des logements, remplacer des voitures gourmandes en carburant par des trans- ports collectifs dont l’électricité est fournie par des éoliennes ou des panneaux solaires implantés locale- ment revient à conserver en France une partie de cette somme. Et à garder chez nous la valeur ajoutée pour qu’elle crée des emplois ici au lieu de financer des ré- gimes très peu démocratiques ou des fonds souverains qui prennent le contrôle de nos entreprises. La conver- sion écologique de l’économie est donc également un enjeu d’indépendance géopolitique. Les montants en jeu ne sont pas négligeables : 45 milliards en 2007, 60 mil- liards en 2008. Et combien lorsque le prix du baril sera structurellement au-delà des 120 dollars ? Rappelons que le plan de relance de Nicolas Sarkozy est évalué au mieux à 26 milliards d’euros de crédits, qui seront en fait étalés sur plus d’un an. Garder chez nous un tiers de la facture énergétique payée en 2008 grâce aux inves- tissements dans l’isolation des bâtiments, l’efficacité énergétique de nos industries, les voitures moins polluantes, etc., c’est presque l’équivalent d’un « plan de relance » par an ! De quoi booster notre économie tout en diminuant notre empreinte écologique. trente
  • 32. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 31 Le Vert pour sortir du rouge Plus d’écologie, c’est donc plus d’emplois, tout de suite et de manière pérenne. Cette conclusion est es- sentielle car elle permet de résoudre une contradic- tion qu’il y a en chacun de nous. Quand les instituts de sondage demandent aux Français ce qui est important pour eux à court terme, les priorités sont l’emploi et le pouvoir d’achat. Quand on leur demande ce qui les in- quiète le plus dans les cinquante prochaines années, ils répondent : le changement climatique et l’augmen- tation du prix des matières premières, notamment du pétrole5. Pouvoir démontrer que la réponse aux angoisses à long terme des citoyens est aussi la réponse à leurs problèmes immédiats est un facteur important de changement social. D’ailleurs, cette idée est presque majoritaire aujourd’hui : 47 % des Français pensent qu’il ne faut pas faire passer la crise environnemen- tale au second plan, même en période de crise écono- mique, mais qu’il faut traiter les deux en même temps ; seuls 14 % pensent qu’elle est secondaire, et 38 % im- portante mais non prioritaire6. Ce sont donc bien les hommes politiques qui sont en retard sur la société. Les élections de juin 2009 peuvent contribuer à les remettre à niveau. Car un bon résultat des écologistes aurait pour effet non seulement d’envoyer un maxi- mum de députés au Parlement européen pour mener d’autres politiques en Europe, mais aussi de faire pression sur le gouvernement français pour que son plan de relance s’inspire beaucoup plus des engage- ments du Grenelle que ce n’est le cas aujourd’hui. Malgré leurs insuffisances, les mesures issues des 5. Source : institut CSA, 2008. 6. Source : institut CSA, janvier 2009. trente et un
  • 33. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 32 Le contrat écologique pour l’Europe discussions menées avec les ONG pendant l’été 2007 constituaient une feuille de route pour engager la conversion écologique de notre économie et un grand plan de relance verte. Mais, au lieu de déclarer l’urgence sur ce texte, le gouvernement ne l’a toujours pas fait voter par le Parlement plus d’un an et demi après les conclusions des groupes de travail du Grenelle. Et s’il est voté un jour, ce sera un texte édul- coré sous la pression des lobbies industriels, chi- miques, automobiles, de l’agroalimentaire, etc., qui prétendent tous faire du développement durable mais qui, en coulisses, font tout pour que rien ne change. Du plan de relance aux contrats de conversion écologique Ce qui est devant nous ne peut être une simple relance de l’économie. Compte tenu de la crise clima- tique, l’idée que l’on pourrait conserver les mêmes modes de production qu’au XXe siècle est absurde. La crise est donc le moment ou jamais de s’interroger sur notre mode de développement, sur le sens du « toujours plus », et d’investir massivement dans de nouvelles façons de produire, plus économes et plus utiles socialement. Malheureusement, les plans de relance européens passent très largement à côté de cet enjeu. En France, le plan prévoit 300 millions d’euros de crédits pour isoler les bâtiments publics, quand le Grenelle de l’environnement a évalué à 26 milliards le coût total de l’opération ! Les crédits portent donc sur un centième de la somme néces- saire. Dans le domaine des transports, 400 millions d’euros vont financer la route et seulement 300 mil- lions le rail. Par ailleurs, le plan de relance ne fait preuve d’aucune vision d’ensemble : les mille projets annoncés partent dans tous les sens, et l’on finance trente-deux
  • 34. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 33 Le Vert pour sortir du rouge un aéroport par ici, une autoroute par là et une ligne à grande vitesse à côté ! À la place de ce plan fourre-tout qui ne prépare pas l’avenir, nous proposons des contrats de conver- sion écologique des grands secteurs industriels dont l’impact sur l’environnement est important. Détaillons à titre d’exemple le contrat de conversion de l’indus- trie automobile européenne. Celle-ci doit faire face à une double tendance : quand la conjoncture écono- mique est bonne, le prix du pétrole est élevé, ce qui renchérit le coût d’usage de la voiture. Et quand la conjoncture est mauvaise, comme en ce moment, le véhicule neuf devient un achat que l’on repousse au maximum. La situation favorable que l’on a connue dans les années 1990 – une croissance forte avec un pétrole faible – est sans doute pour toujours derrière nous. Mais les constructeurs ont agi comme si demain devait être comme avant. En faisant par exemple un lobbying forcené pour que la norme européenne sur la limitation des émissions de CO2 par kilomètre, adop- tée en décembre 2008, soit la plus faible possible. Cette posture est d’autant plus scandaleuse que les constructeurs ne cessent de communiquer dans leurs publicités sur leur conversion à l’écologie, et qu’ils s’étaient engagés en 1994 à atteindre un objectif de manière volontaire – promesse qu’ils n’ont pas tenue7. Leur responsabilité étant écrasante, il n’est pas envi- sageable de leur donner de l’argent public sans contrepartie. Cette contrepartie, c’est un contrat de conversion écologique reposant sur trois piliers : technique, sociétal et social. 7. L’objectif volontaire de 1994 était d’atteindre 140 g de CO2 par km en 2008. Or, la moyenne des émissions constatées en 2008 était de 160 g. trente-trois
  • 35. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 34 Le contrat écologique pour l’Europe Technique, tout d’abord, car il faut rapidement in- venter le véhicule de demain. Nous proposons que l’ar- gent public soit utilisé avec comme objectif de produire en masse dans les trois ans un véhicule émettant 80 grammes de CO2 maximum (contre environ 160 ac- tuellement). Pour être pleinement efficace, cette re- cherche doit se faire au niveau européen. Les constructeurs et leurs équipementiers qui se seront associés à la recherche auront le droit d’utiliser le bre- vet qui en sortira. Il s’agit à la fois de mettre toutes les compétences disponibles autour de la table et d’éviter qu’un brevet déposé par un constructeur empêche les autres d’accéder à la technologie (voir page 52). Mais ce soutien public à la recherche doit également être lié à la baisse immédiate des émissions de CO2 avec les moyens existants. Ainsi, le bridage des moteurs – par exemple à 150 kilomètres/heure –, qui permet de diminuer la consommation de carburant même à 50 kilomètres/heure en ville, doit être une des condi- tions au financement européen. Le contrat de conversion de l’automobile est égale- ment sociétal. Car si le progrès technique est indispen- sable pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, il ne peut rien contre ce que les économistes appellent « l’effet rebond » : si chacun dispose d’une voiture qui émet deux fois moins de CO2 par kilomètre parcouru mais parcourt deux fois plus de kilomètres, le résultat global est nul. C’est pourquoi il faut aborder la question de la mobilité en général, de façon à réduire à la fois les émissions par kilomètre et le nombre de kilomètres par- courus. La partie sociétale du contrat de conversion mo- bilise des compétences bien plus larges que celles des entreprises de la filière automobile : il s’agira d’associer l’ensemble des fournisseurs de mobilité, des fabricants trente-quatre
  • 36. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 35 Le Vert pour sortir du rouge de transports ferrés, des sociologues, des urbanistes, etc. pour diminuer concrètement à court et à moyen termes les distances à parcourir en voiture. Enfin, et ce n’est pas la moindre dimension, le troisième pilier du contrat est social. Les salariés ne sont pas responsables de la crise de leur industrie. Pour autant, ce serait un mauvais service à leur rendre que de leur dire qu’ils continueront à fabriquer autant de voitures qu’aujourd’hui dans cinq ou dix ans. Nous proposons donc d’instaurer une sécurité sociale professionnelle pour les salariés en reconver- sion : pendant trois ans maximum, ils conserveront l’intégralité de leur rémunération initiale, le temps de se former à un nouveau métier, dans la filière auto- mobile ou dans une autre, comme consultants en mo- bilité douce, conducteurs de transports collectifs, fabricants de tramways, coordinateurs de services d’autopartage, formateurs en écoconduite, fabricants d’éoliennes, artisans dans l’isolation des bâtiments, voire agriculteurs bios pour ceux qui auraient envie de changer de vie ! Comme nous l’avons vu, la conversion écologique de l’économie peut créer plusieurs cen- taines de milliers d’emplois exigeant de nouvelles compétences. Il serait absurde de ne pas utiliser celles acquises par les salariés de l’automobile pour les mettre au service de ces nouvelles filières. Cette conversion a d’ailleurs déjà commencé, mais elle doit changer d’échelle. L’usine Ford de Blanquefort, près de Bordeaux, a été rachetée en février 2009 par un groupe allemand qui va y fabriquer des pièces d’éoliennes. 1 600 emplois qui étaient menacés de disparaître sont ainsi sauvés grâce au développement des énergies renouvelables. trente-cinq
  • 37. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 36 Le contrat écologique pour l’Europe Le rôle de l’Europe Pour répondre à la crise et engager la conversion écologique de notre économie, l’Europe est un échelon- clé. En matière de recherche et d’innovation, il serait infiniment plus intelligent et efficace de mettre en com- mun nos forces pour inventer les procédés dont nous aurons besoin demain, dans un contexte de pétrole cher et de contrainte climatique, que de continuer à nous livrer une guerre économique sans merci. Seule l’Europe peut piloter cette mise en commun. Et ce n’est pas utopique : la Commission européenne finance déjà des programmes de recherche pour diminuer de 30 % les émissions de CO2 par tonne d’acier produite ; elle a mis pour cela tous les sidérurgistes européens autour de la même table8. En ce qui concerne l’automobile, l’en- jeu n’est pas de savoir qui de Fiat, Renault, Volkswagen ou Siemens et Alsthom va inventer le moteur de de- main, mais bien que ce moteur soit disponible rapide- ment et qu’il puisse être utilisé par tous. Nous avons donc besoin de coopération au travers de projets finan- cés en commun par la Commission européenne, et non de compétition entre nos champions nationaux. L’Europe est également le bon niveau pour déve- lopper de nouvelles infrastructures, comme les auto- routes de la mer, qui permettront de transporter les conteneurs aujourd’hui présents sur nos autoroutes. Ou les lignes à grande vitesse transeuropéennes, qui vont nous permettre de nous passer de l’avion à moyenne échéance, et de réserver ce moyen de transport – qui redeviendra très cher en raison de l’augmentation du prix du pétrole – à des usages à forte valeur ajoutée, comme c’était le cas il y a encore 8. Programme Ulcos. Voir www.ulcos.org. trente-six
  • 38. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 37 Le Vert pour sortir du rouge une cinquantaine d’années. Ces réseaux maritimes ou terrestres doivent être conçus dès le début dans un cadre européen. Ces grands travaux seront à la fois créateurs d’emplois et réducteurs d’empreinte écologique. Mais comment les financer ? C’est une question centrale au niveau européen que celle d’accroître la capacité d’intervention de l’Union en tant que telle. Aujourd’hui, l’Europe est doublement limitée : les trai- tés européens lui interdisent de s’endetter et limitent son budget à 1,24 % du PIB européen, budget qui doit être en permanence à l’équilibre. Cette contrainte est le résultat de réflexes souverainistes qu’il est mainte- nant temps de dépasser. Nous voulons que la France propose à ses principaux partenaires de mettre en commun jusqu’à 5 % du PIB européen, soit cinq fois plus qu’aujourd’hui, pour mener ensemble des pro- jets d’utilité européenne. Cela représente environ 460 milliards d’euros supplémentaires9. Ils provien- dront pour une part de la remontée au niveau euro- péen de recettes actuellement utilisées au plan national. Mais, dans leur majorité, il s’agira de fonds collectés par la création d’impôts directement euro- péens sur les flux financiers, les paradis fiscaux, les transactions boursières, etc. Les recettes potentielles issues de la fermeture des paradis fiscaux sont éva- luées autour de 200 milliards d’euros. Si l’augmentation du budget européen via de nouvelles recettes ne suffit pas, nous voulons que l’Union puisse s’endetter pour financer les grands tra- vaux d’investissement qui assureront la conversion écologique de notre économie. 9. Le budget 2009 de l’Union européenne est de 116 milliards d’euros. trente-sept
  • 39. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 38 Le contrat écologique pour l’Europe La crise actuelle peut devenir une chance si l’on parvient à saisir les deux opportunités qui s’offrent à nous : profiter du retour de l’investissement public pour financer la conversion de notre économie, parti- culièrement de nos industries, et profiter du fait que les États sont impuissants à régler seuls cette crise mondiale pour aller vers plus de mise en commun au niveau européen. Ce serait une sortie par le haut. Mais, si le pire n’est jamais sûr, le meilleur, malheureu- sement, non plus. Il se peut aussi que l’argent public que l’on met aujourd’hui dans les plans de relance ne serve en rien à préparer l’avenir. Et que les États se replient sur eux-mêmes en préférant lutter chacun de leur côté contre la crise. Même s’il n’est pas le seul, le 7 juin 2009 sera un moment décisif pour décider de prendre la sortie par le haut ou de choisir le chemin de la division et de l’impuissance. Un Parlement européen plus écologiste et plus fédéraliste est la meilleure garantie pour l’avenir.
  • 40. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 39 CHAPITRE 2 MARCHÉ, CAPITALISME, ÉCOLOGIE
  • 41. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 40
  • 42. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 41 Alors que le débat sur l’avenir du capitalisme resurgit avec la crise, les écologistes ont une vision originale à faire valoir : une économie plurielle qui utilise au mieux les avantages de l’économie publique, d’un marché responsable et de l’économie sociale et solidaire. De quoi cette crise est-elle la crise ? La crise actuelle n’est pas seulement d’origine financière, au sens où la réponse pourrait consister seulement en quelques nouvelles règles sur les mar- chés financiers. Elle ne provient pas des dysfonction- nements du système mais du fonctionnement du système lui-même. Ce ne sont pas des dérives aux- quelles il faut mettre fin, mais une matrice entière qu’il faut remettre en cause. Cette matrice est à la fois libérale, productiviste et inégalitaire. Libérale car, depuis la fin des années 1970, l’idéologie dominante considère que la société entière doit se transformer en un vaste marché. Suppression des services publics au nom de la concurrence, ouverture toujours plus grande des frontières au nom du libre-échange, retrait de l’État de la création monétaire au bénéfice des banques privées et des marchés financiers, développement des retraites par capitalisation au détriment des ré- gimes par répartition, flexibilisation des contrats de travail au nom du bon fonctionnement du marché de l’emploi… La liste est longue des politiques menées en Europe aussi bien par la droite que par la gauche social-démocrate depuis les années 1980 pour quarante et un
  • 43. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 42 Le contrat écologique pour l’Europe rendre nos sociétés conformes à l’idéologie libérale de la société de marché. Productiviste, car la finalité de notre économie n’est pas le bien-être des personnes, mais le plus haut niveau de production possible. Il s’agit bien de faire croître toujours plus le produit intérieur brut sans s’interroger sur ses conséquences (positives comme négatives) en termes de bien-être, ni sur les dégâts causés aux hommes et à la planète. Or, on le sait maintenant : dans nos pays riches, plus de PIB ne veut plus dire plus de bien-être et de qualité de vie. Aux États-Unis, par exemple, le PIB a plus que dou- blé depuis 1970, alors que l’indice qui mesure le bien- être de la population a diminué de moitié sous l’effet du développement de la précarité, du phénomène des travailleurs pauvres, du renoncement croissant aux soins, etc. En France, entre 1980 et 2003, le PIB a augmenté de 46 % alors que l’indice de bien-être éco- nomique n’a crû que de 25 % et diminue même depuis 2001. Quant à la pression que l’on exerce sur l’envi- ronnement, on sait aussi qu’elle est insoutenable. L’empreinte écologique compare la capacité de la terre à renouveler les services écologiques qu’elle fournit (sa biocapacité) et la ponction que l’on pré- lève chaque année. Or, cette empreinte a dépassé depuis le milieu des années 1980 la biocapacité de la Terre. Ce qui se traduit concrètement par la dispa- rition progressive des poissons, le changement cli- matique, lié au fait que l’on émet plus de CO2 que la planète n’est capable d’en absorber naturellement, ou encore par ce que les scientifiques appellent la « sixième extinction des espèces », c’est-à-dire la diminution dramatique du nombre d’espèces vivant sur la Terre. quarante-deux
  • 44. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 43 Marché, capitalisme, écologie Enfin, la matrice est inégalitaire. Aux États-Unis, d’où est partie la crise, les inégalités sont revenues à leur niveau d’avant 1929. En France, selon les travaux de l’économiste Camille Landais, les inégalités de re- venu, qui étaient restées stables jusqu’en 1998, sont reparties à la hausse sous le double effet de l’explo- sion des très hautes rémunérations et des diminutions d’impôts pour les plus riches (baisse des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, diminution de l’impôt sur la fortune, baisse des droits de succes- sions, bouclier fiscal…). Les trois dimensions de la matrice sont liées : plus un système est libéral, plus il est inégalitaire et plus il est productiviste. Selon les travaux de l’ONU, le scénario de développement de l’économie mondiale le plus libéral dans les vingt prochaines années est aussi le plus émetteur de CO2 et le plus prédateur pour les ressources de la planète10. Et les pays où le taux d’im- position total est le plus faible sont les pays les plus inégalitaires. Le coefficient d’inégalités aux États- Unis (coefficient de Gini) est ainsi presque égal à ce- lui du Burkina Faso, alors que le PIB par habitant y est quarante fois plus élevé. Enfin, plus un pays est inégalitaire, plus il faut produire pour que les plus pauvres aient un peu. Les inégalités ne sont pas bonnes non plus pour l’état de la planète. Le temps est donc venu de changer de modèle. D’aller vers un mode de développement moins libéral, où le marché n’est pas considéré comme autorégula- teur ; moins productiviste, où la finalité de la crois- sance pour la croissance est remplacée par un double 10. Rapport GEO-4 du Programme des Nations unies pour l’environnement, 2007. quarante-trois
  • 45. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 44 Le contrat écologique pour l’Europe objectif d’amélioration de la qualité de vie et de dé- croissance de l’empreinte écologique ; et moins inéga- litaire, dans lequel sont définis un revenu maximum et un revenu minimum, et où les politiques fiscales re- distributives retrouvent la place qu’elles ont perdue ces trente dernières années. Sortir du capitalisme ? Si l’on veut vraiment apporter une réponse qui dépasse les simples slogans, il faut d’abord définir les termes. Le capitalisme est le système économique dans lequel l’initiative privée a pour objectif l’accumu- lation d’un profit sans cesse croissant, et dont les moyens de production (les entreprises) sont la pro- priété des détenteurs des capitaux. Une économie pu- rement capitaliste n’existe pas et n’a jamais existé. En Europe, aujourd’hui, plus de 10 % des emplois relèvent de l’économie sociale et solidaire, dans laquelle le contrôle du capital ne donne pas le pouvoir, et dont la finalité n’est pas le profit. Les mutuelles de santé, les maisons de retraite associatives, les entreprises de commerce équitable, la chaîne de moyennes surfaces bios Biocoop, le journal Alternatives Économiques, en France, ne fonctionnent pas sur un mode capitaliste. En Suisse, les deux principales chaînes de distribu- tion, qui pèsent plus de 70 % de parts de marché, sont organisées en coopératives. En Italie, on compte plus de sept mille entreprises organisées sous forme de « coopératives sociales ». Par ailleurs, de nombreux secteurs d’activité relèvent de l’économie publique ou d’une économie qui fait cohabiter des entreprises ca- pitalistes, des services publics et l’économie sociale et solidaire selon des modèles encore largement spécifiques à chaque État : l’éducation, la santé, la quarante-quatre
  • 46. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 45 Marché, capitalisme, écologie culture, les services aux personnes, la distribution de l’eau, de l’énergie, les médias, etc., ne sont, dans au- cun État européen, des secteurs pleinement capita- listes. Dire que nos économies sont des économies capitalistes est donc réducteur. Ce sont clairement des économies à système capitaliste, mais pas uni- quement. Il faut également distinguer le capitalisme du mar- ché. Celui-ci est un espace organisé et normé où se rencontrent une offre et une demande. Les entreprises publiques et les entreprises de l’économie sociale et solidaire sont sur le marché, mais elles ne sont pas ca- pitalistes. Pour les libéraux, le marché est un espace autorégulateur s’il est livré à lui-même. Mais cette vi- sion est un mythe. Car le marché n’est en aucun cas un espace spontané. C’est une construction sociale où les normes publiques jouent un rôle essentiel. Par ailleurs, jusqu’à 50 % de la demande économique (dans les pays scandinaves) passe par les pouvoirs publics au travers de l’impôt ou des cotisations sociales. Même au Royaume-Uni, un des pays européens les plus libé- raux, le taux de prélèvements obligatoires est de l’ordre de 35 %. Plus d’un tiers de la richesse produite y est donc à un moment donné socialisé. Ainsi, nos économies sont des économies avec marché, et non uniquement « de » marché. L’objectif de l’idéologie libérale dominante depuis trente ans est de transformer nos économies plu- rielles en des économies purement capitalistes de marché. Elle a donc cherché à privatiser les entre- prises publiques, à développer la concurrence mar- chande dans des secteurs comme l’éducation, la santé, etc. C’est l’agenda libéral de la Commission européenne tel que les écologistes le dénoncent quarante-cinq
  • 47. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 46 Le contrat écologique pour l’Europe depuis le début. Mais ce projet, heureusement, est loin d’avoir abouti. Le taux de prélèvements obliga- toires dans les principaux États de l’Union n’a pas baissé depuis trente ans. Au contraire. Cela signifie que, si l’État a abandonné certains secteurs, comme les télécoms ou le transport aérien, encore large- ment publics il y a quelques décennies, son poids dans l’économie, sa capacité d’intervention dans la demande globale, n’a pas diminué. Le poids de l’éco- nomie sociale et solidaire n’a pas non plus baissé, malgré des tentatives de déstabilisation conduites par la Commission. Nous sommes donc bien tou- jours dans une économie plurielle : à la fois publique, capitaliste et avec marché. Faut-il en sortir, et pour aller où ? Vers une économie 100 % publique ? L’histoire a montré que confier la production de tous les biens et les services à l’État n’était ni efficace ni juste. Ni très écologique, d’ailleurs, puisque deux des plus grands scandales environnementaux du e XX siècle ont eu lieu en Union soviétique : l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl et l’assèche- ment de la mer d’Aral, en Asie centrale, pour irriguer les champs de coton. D’ailleurs, lorsque les partis politiques qui se réclament de la sortie du capita- lisme font des propositions concrètes, ce sont sou- vent finalement des propositions de régulation du capitalisme. Les banques ont déjà été publiques en France sans que l’on sorte du capitalisme. L’autorisation administrative de licenciement a déjà existé sans que l’on sorte du capitalisme. La volonté de demander des comptes aux entreprises sur l’uti- lisation des aides publiques et de les poursuivre en justice si elles en ont fait un mauvais usage, ce n’est pas non plus une sortie du capitalisme. quarante-six
  • 48. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 47 Marché, capitalisme, écologie Encastrer le capitalisme dans une économie plurielle Nous proposons deux grands types de réformes radicales pour limiter le poids du capitalisme dans notre économie. La première est de défendre et de promouvoir les formes non capitalistes d’organisation économique, comme les services publics et l’écono- mie sociale et solidaire. D’où, par exemple, le fait de dire stop à la libéralisation des services publics en instaurant un moratoire européen sur toute nouvelle privatisation. D’un point de vue strictement démocra- tique, il est d’ailleurs étonnant que la Commission cherche à poursuivre la libéralisation de nouveaux secteurs comme l’éducation, la santé ou la culture alors qu’elle n’a tiré aucun bilan de celle des autres secteurs. Avant de poursuivre une politique, il faut au moins l’évaluer. Au-delà de ce moratoire, tous les éco- logistes européens sont d’accord pour proposer une directive-cadre sur les services d’intérêt général, dont l’objectif est de sécuriser et de protéger les secteurs où les logiques non capitalistiques sont encore domi- nantes, comme l’éducation, la culture, les services aux personnes, l’éducation populaire… Cette direc- tive, le groupe des élus écologistes l’a proposée au Parlement européen le 28 novembre 2006. Mais le Parti populaire européen, où siège l’UMP, et les libé- raux, où siègent les élus du Modem, ont voté contre. Voilà un exemple précis de contradiction entre ce qui est dit en France et ce qui est défendu à Bruxelles ou à Strasbourg. Par ailleurs, nous pensons qu’il est temps d’in- verser la tendance et de créer des services publics européens. Prenons l’exemple de l’énergie. Nous importons près de la moitié de notre gaz auprès de la Russie. Le conflit de janvier 2008 entre ce pays et quarante-sept
  • 49. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 48 Le contrat écologique pour l’Europe l’Ukraine a montré la dépendance de l’Europe vis-à- vis de la Russie : si elle décide de fermer les robinets, les pays européens ont de quelques semaines à trois mois de stock au maximum. La concurrence en Europe entre les États et entre les entreprises pour l’accès à ce gaz est totalement contre-productive. Car la Russie joue bien sûr telle entreprise contre telle autre, ou tel pays contre tel autre, pour obtenir les meilleures conditions possibles de négociation. Outre la réduction des consommations, et donc de la dépen- dance, la solution passe par la création d’un acheteur unique transeuropéen, dont le statut serait directe- ment de droit européen, qui redistribuerait le gaz vers les différentes compagnies et les différents États au sein de l’Union. Défendre les services publics et l’économie so- ciale et solidaire est donc une première forme de com- bat contre le capitalisme. Mais nous voulons aller plus loin, et le principe même de développement soutenable nous offre une clé. Car, au sens strict, le développe- ment soutenable constitue une forme de dépassement du capitalisme. En mettant au même niveau les inté- rêts sociaux, environnementaux et économiques, il va bien au-delà de la prise en compte privilégiée des seuls intérêts des propriétaires du capital. En exigeant que les intérêts des générations futures, autrement dit les effets à long terme des comportements actuels, soient pris en compte, il oblige à sortir du « court-termisme » des résultats financiers trimestriels. Comment traduire cela au niveau européen ? Par exemple, au travers d’un paquet « Finance propre » qui luttera contre les paradis fiscaux, interdira la publication de comptes trimestriels et semestriels, etc. (voir chapitre 3). Nous proposons également que le droit européen quarante-huit
  • 50. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 49 Marché, capitalisme, écologie reconnaisse le fait qu’une entreprise ne se définisse pas simplement vis-à-vis de ses actionnaires, comme c’est le cas aujourd’hui, mais qu’elle soit définie comme une personne morale ayant à la fois un objectif (renta- biliser le capital investi par ses actionnaires) et des responsabilités (vis-à-vis de ses salariés, de l’environ- nement, des collectivités locales, etc.). Nous propo- sons enfin que les grandes entreprises européennes qui possèdent des filiales dans les pays du Sud puissent être tenues responsables devant la justice européenne des agissements de celles-ci. Il serait alors possible de sortir de l’impunité dont elles jouissent aujourd’hui (voir page 76). Pour un marché responsable Pour comprendre le rôle du marché, revenons à une question toute simple. Qui décide que j’ai besoin de telle maison, de telle voiture, de telle paire de chaussures ? Il y a deux réponses possibles : les indi- vidus définissent leurs besoins et confrontent sur un marché leur demande à une offre, ou une instance publique définit et règle les besoins privés. Dans la réalité, l’économie est un mélange de ces deux réponses, qui ont chacune leurs avantages et leurs in- convénients. L’avantage du marché est sa souplesse, le fait d’être décentralisé et le respect de la liberté individuelle. Mais il possède deux inconvénients majeurs. D’une part, il ne tient pas compte a priori de contraintes globales qui pourraient s’imposer à l’en- semble des acteurs présents sur le marché : ainsi, si une instance centralisée ne fixe pas de règles en matière de lutte contre le changement climatique, il n’y a strictement aucune raison pour que le marché le prenne en compte. D’autre part, le marché ne quarante-neuf
  • 51. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 50 Le contrat écologique pour l’Europe reconnaît que la demande solvable et laisse de côté ceux qui ne peuvent payer les biens qu’il propose. À l’inverse, un système centralisé qui définirait les be- soins des gens à leur place peut être très équitable et social, mais il a un potentiel liberticide évident, comme on l’a vu dans tous les systèmes économiques qui ont cherché à se passer totalement du marché. Dans ces conditions, il est temps de sortir des vieilles querelles idéologiques et de proposer la meilleure organisation possible, qui tente de maximi- ser les avantages du marché et ceux de la centralisa- tion. Les propositions concrètes sont multiples, et on en trouvera tout au long de cet ouvrage. Il s’agit par exemple de « l’accès qualifié au marché » (voir cha- pitre 4), qui permet de limiter l’accès au marché euro- péen des produits qui ne respectent pas les grandes conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), les droits de l’homme tels que reconnus par la Déclaration universelle de 1948, les accords interna- tionaux sur le climat, etc. À partir du moment où le monde se dote de textes reconnaissant des droits et des obligations, il est logique d’interdire sur notre marché les produits qui ne les respectent pas. Deuxième grande réforme de l’économie de mar- ché qu’il faut entreprendre au niveau européen : prendre en compte dans les coûts de production le véritable impact sur l’environnement. Pour Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mon- diale et auteur en 2006 d’un rapport important sur le climat, « le changement climatique est la plus grande faillite du marché de toute l’histoire ». L’impact sur le climat de nos modes de production n’est en effet que très marginalement pris en compte dans le prix des biens et des services que nous achetons. Les services cinquante
  • 52. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 51 Marché, capitalisme, écologie écologiques n’étant pas considérés comme des biens rares, ils n’entrent pas dans le prix des facteurs de production, à la différence du travail et du capital. Mais ce qui hier était abondant (un air pur, la biodiver- sité, un climat équilibré…) est aujourd’hui devenu rare ou fragile. Intégrer cette nouvelle rareté dans les prix est incontournable pour qu’ils ne soient plus globale- ment sous-estimés. Ainsi, faire payer le carbone à son juste prix offrirait un avantage comparatif aux tech- niques les plus économes en énergie. Taxer le fuel lourd des bateaux et le kérosène des avions, qui échappent aujourd’hui à toute imposition, réduirait les transports inutiles, et de nombreuses productions se- raient sans doute relocalisées. Pour ce faire, nous dé- fendons une taxe carbone-énergie que seule l’Europe peut mettre en place de manière efficace. Nous dé- fendons également l’extension et l’approfondissement du système actuel de permis échangeables de droits à polluer achetés aux enchères. Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, l’Union européenne a mis en place le pre- mier marché réglementaire du CO2. Plus de mille en- treprises industrielles sont soumises à un quota maximum d’émissions. Si l’une d’entre elles dépasse son quota individuel, elle est tenue d’acheter le droit d’émission de CO2 d’une autre entreprise qui ne l’au- rait pas utilisé. Il s’agit bien d’un système croisant une centralisation (une instance centrale définit le quota maximum autorisé) et un marché (à l’intérieur de cette contrainte globale, les entreprises échangent entre elles). Ce système existe depuis 2005 au sein de l’Union européenne. Et il va être renforcé à partir de 2013 avec l’obligation d’acheter le droit d’émettre du CO2 dès la première tonne émise. Les sceptiques cinquante et un
  • 53. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 52 Le contrat écologique pour l’Europe diront que ce système ne fonctionne pas puisque le prix de la tonne de CO2 n’est pas assez élevé. Elle s’est échangée en moyenne en 2008 à 20 euros, quand le niveau souhaitable pour lutter vraiment contre le changement climatique se situe plutôt, selon l’OCDE, au niveau de 100 euros la tonne. Mais pourquoi le ta- rif est-il si bas ? Parce que la contrainte initiale (le quota) n’est pas assez forte. Or, cette contrainte, c’est le politique qui la fixe. Jusqu’à présent, ces quotas étaient déterminés par État membre. Résultat, chacun favorisait son industrie en lui donnant un maximum de quotas, de peur de se voir concurrencé par un voisin qui en donnerait encore plus. Dès 2013, le volume sera fixé au niveau européen par la Commission, qui, on peut l’espérer, sera moins sensible au lobbying de chaque industrie nationale. Couplé au fait que les en- treprises vont devoir acheter progressivement leurs droits à émettre du CO2 dès la première tonne émise, ce système va devenir bien plus contraignant et effi- cace11. Si ces réformes se mettent réellement en place, ce sera un exemple intéressant de planification stra- tégique qui utilise les bons côtés de la centralisation et les bons côtés du marché. Autre élément de l’intervention politique pour al- ler vers une économie de marché responsable : l’inno- vation partagée. Nous savons qu’une partie de la solution au changement climatique et à l’invention d’une économie capable, dans cinquante ans, de se passer de pétrole et de gaz passe par l’innovation et la 11. D’autres aspects doivent encore être améliorés pour rendre ce mécanisme de droits à polluer échangeables pleinement efficace, comme la limitation de la possibilité pour les entreprises européennes de s’acquitter de leurs obligations de diminution d’émissions dans les pays du Sud. cinquante-deux
  • 54. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 53 Marché, capitalisme, écologie recherche. Se pose donc la question du financement de cette recherche et du droit des brevets résultant de la recherche. Si l’on en reste à un système de marché, chaque entreprise est libre d’investir ou pas dans des technologies « vertes », et celle qui trouve, par exemple, une voiture hybride conserve la propriété du brevet, empêchant ainsi les autres d’utiliser le résultat de ses recherches. Cette solution n’est évidemment pas à la hauteur des enjeux, car il ne s’agit pas seule- ment qu’une entreprise trouve « la » solution tech- nique, encore faut-il que celle-ci se généralise rapidement à l’ensemble du secteur pour être efficace et diminuer les émissions de CO2, par exemple. Inversement, toute solution qui consisterait à mi- ser uniquement sur la recherche publique en laissant de côté les immenses moyens financiers des multi- nationales et les compétences de leurs salariés est également inefficace. D’autant qu’une fois le nouveau procédé inventé, il faudra bien des entreprises pour le produire et le généraliser. Nous proposons donc un système intermédiaire : une puissance publique (par exemple, la Commission européenne) apporte des financements en fixant un objectif de résultat aux entreprises privées d’un secteur (par exemple, mettre au point la voiture qui n’émet que 80 grammes de CO2/km, contre environ 160 en moyenne actuellement). Toutes les entreprises européennes du secteur sont invitées à participer à la recherche en lien avec des organismes et universités publics, et seules celles qui participent auront le droit par la suite d’utiliser le brevet, qui sera collectif. C’est une incitation forte à participer au projet. Une fois le résultat atteint, il est possible de créer une norme d’accès au marché qui dise : puisqu’il est cinquante-trois
  • 55. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 54 Le contrat écologique pour l’Europe techniquement possible de produire une voiture qui émet 80 grammes de CO2/km et que vous avez le droit de le faire, nous fixons à 80 grammes la limite d’émis- sion des véhicules qui seront mis sur le marché dans cinq ans. Ce mécanisme de pilotage oriente la concur- rence de manière utile et planifie les objectifs, sans pour autant que l’on nationalise tous les construc- teurs automobiles. Toutes ces réformes sont possibles, et l’Europe est vraiment le niveau pertinent pour mettre en place cette économie de marché responsable. Mais encore faut-il que siègent en force au Parlement européen des élus qui ont cette vision et cette volonté.
  • 56. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 55 CHAPITRE 3 FAIRE LE MÉNAGE DANS LA FINANCE
  • 57. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 56
  • 58. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 57 L’Europe doit adopter un paquet « Finance propre » qui mette fin à trente ans de déréglementation de la fi- nance et de soumission aux impératifs de court terme des actionnaires. D’où vient la crise financière ? Pour faire les bons choix et adopter les mesures qui empêcheront la crise financière de se reproduire, mieux vaut poser le bon diagnostic. Prenons donc le temps de comprendre les mécanismes à l’œuvre. La crise financière qui a débuté à l’été 2007 et a pris une ampleur historique à partir de l’été 2008 est la conjonction de trois phénomènes. Le premier est la dérégulation des marchés financiers sous l’effet de deux décennies d’idéologie libérale. Suppression de la réglementation publique, création de nouveaux produits financiers qui ne re- posent sur aucune contrepartie dans l’économie réelle, développement de fonds spéculatifs hébergés dans les paradis fiscaux pour contourner les règles de gestion du risque… La finance mondiale est devenue un immense casino qui tourne sur lui-même. Ce casino a vu affluer de l’argent comme jamais dans l’histoire. C’est d’ailleurs la deuxième cause de la crise, car un casino vide n’aurait pas été très dange- reux. D’où vient cet argent ? De deux sources princi- pales. La première est la financiarisation de la protection sociale. Le vieillissement démographique et la tension financière sur les systèmes de retraite par répartition ont poussé les classes moyennes des cinquante-sept
  • 59. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 58 Le contrat écologique pour l’Europe pays riches à se constituer une épargne placée soit dans des fonds de pension, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, soit dans des produits d’assurance- vie, comme en France. L’assurance-vie représentait ainsi 122 milliards d’euros en 2007. Contrairement au système par répartition (dans lequel l’argent collecté est utilisé immédiatement pour payer les retraites des retraités actuels), avec la capitalisation, l’argent des épargnants est placé sur les marchés financiers pour payer leur propre retraite dans plusieurs décennies. Les gestionnaires de cette épargne ont donc acheté en masse des actions des entreprises cotées. La de- mande étant supérieure à l’offre, leur valeur a mécani- quement augmenté. La deuxième pompe qui alimente la finance mondiale est la rente des matières pre- mières. Dès 2005, leur prix commence à augmenter. Le prix du pétrole passe de 28 dollars le baril en moyenne en 2003 à plus de 55 dollars en 2005, pour atteindre près de 150 dollars à l’été 200812. Or, même si le prix du baril augmente, son coût de production, lui, est stable, autour de 15 dollars au Moyen-Orient, par exemple. Les pays producteurs se constituent donc une rente de centaines de milliards de dollars qu’ils n’utilisent que très marginalement chez eux. Ils vont donc constituer des fonds dits « souverains », qui vont eux aussi placer leur capital sur les marchés financiers. Le troisième phénomène à l’origine de la crise fi- nancière est la stagnation des salaires et la captation par les détenteurs du capital d’une part de plus en plus importante de la valeur ajoutée produite par les entreprises. Dans tous les pays de l’OCDE, la part des 12. Source : BP. cinquante-huit
  • 60. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 59 Faire le ménage dans la finance salaires dans la valeur ajoutée a diminué, parfois mo- destement, comme en France, parfois de manière im- portante. À l’inverse, la part de la valeur ajoutée captée par les actionnaires a explosé. En 2007, ils ont reçu 74 milliards d’euros des entreprises françaises contre 46 milliards en 2001 (en euros constants pour annuler l’effet de l’inflation). Résultat : pour continuer à consommer toujours plus, les salariés ont dû s’endetter massivement. Le taux d’endettement des ménages aux États-Unis a ainsi doublé entre 1998 et 200713. En Europe, c’est l’Espagne et le Royaume-Uni qui ont connu les évolutions les plus marquées : en 2007, la dette des ménages représentait 145 % de leur revenu disponible au Royaume-Uni et 115 % en Espagne, contre 70 % en France – un record histo- rique (le taux d’endettement n’était que de 60 % deux ans plus tôt), mais qui la situe bien en dessous des niveaux atteints chez ses deux voisins. Pour s’endetter, encore faut-il que des banques acceptent de prêter. Là encore, plusieurs phéno- mènes expliquent pourquoi les ménages ont pu s’en- detter comme jamais. Il faut prendre le temps de les analyser. On retiendra les trois principaux. D’une part, l’augmentation des prix de l’immo- bilier a mis les ménages dans une position psycho- logique favorable à l’endettement : puisque la valeur de mon patrimoine augmente, je suis plus riche, je peux donc m’endetter plus. En cas de problème, au pire, je revendrai ma maison. Un raisonnement qui tient la route lorsque le problème est individuel. Mais, lorsqu’il devient collectif et que tout le monde veut vendre en même temps, les prix de l’immobilier 13. Source : Réserve fédérale. cinquante-neuf
  • 61. verts_intérieur 5/04/09 20:14 Page 60 Le contrat écologique pour l’Europe chutent et la valeur du patrimoine fond. C’est ce qui se passe depuis 2007 aux États-Unis, et en France de- puis le milieu de l’année 2008. Deuxièmement, l’accès au crédit a été encou- ragé dans certains pays européens par les pouvoirs publics. Coïncidence, ce sont ceux aujourd’hui qui souffrent le plus de la crise ! Ainsi, au Royaume-Uni ou en Islande, lorsqu’une personne souscrivait un nouveau crédit, le banquier prenait en compte non seulement ses revenus mais aussi la valeur de mar- ché de son capital, par exemple sa maison. Au plus fort de la bulle immobilière, chacun pouvait valoriser au plus haut son patrimoine et ainsi obtenir de nou- veaux crédits. En France, la loi interdit ce mode de calcul, qui repose sur une appréciation fictive du pa- trimoine. Mais un homme politique a voulu changer la loi en 2004 pour l’aligner sur le modèle anglo-saxon. Il s’agissait d’un certain Nicolas Sarkozy, alors mi- nistre des Finances. Heureusement, sa proposition n’est pas entrée en vigueur, mais une telle clair- voyance mérite d’être soulignée… Troisième raison ayant permis une ouverture ir- raisonnée des robinets du crédit, les banques ont pris plus de risque qu’elles n’auraient dû le faire car elles ont pu transformer les crédits qu’elles avaient en titres sur les marchés financiers. Concrètement, que se passe-t-il lorsqu’une banque me prête 100 000 eu- ros pour acheter un appartement ? Elle prend le risque que je ne la rembourse pas. Au-delà des dispo- sitifs de caution et d’hypothèque, les banques ont donc inventé ces dernières années des dispositifs pour partager le risque avec d’autres acteurs écono- miques et gagner encore plus d’argent sur les prêts qu’elles accordent. L’établissement qui m’a prêté de soixante