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EcoloObs, mercredi 17 janvier 2024 - 2024-01-17T18:00:11+01:00 3598 mots
Jean-Marc Jancovici et Jean-Baptiste Fressoz :
« Le climat est la vraie urgence politique »
L'Obs; L'Obs; L'Obs
Que peut-on encore faire pour enrayer le réchauffement climatique ?
Et que faut-il attendre de la transition énergétique ? « L'Obs » a réuni,
pour un grand entretien exclusif, l'ingénieur Jean-Marc Jancovici et
l'historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz.
Que faire contre le réchauffement climatique ? Tandis que l'année 2023 a été exceptionnelle
chaude, avec une anomalie thermique de +1,48 °C par rapport à l'ère préindustrielle, des désicions
politiques fortes se font attendre. Et voir le ministre de la Transition, Christophe Béchu, à l'avant-
dernière place de l'ordre protocolaire du gouvernement de Gabriel Attal n'est pas un signal
rassurant.
« L'Obs » a fait discuter Jean-Marc Jancovici, inventeur du « bilan carbone » et auteur à succès, très
lu dans les écoles d'ingénieurs, et l'historien Jean-Baptiste Fressoz, qui, dans l'ouvrage qu'il publie ce
mois-ci (« Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie »), déconstruit la notion de « transition »,
mot totem qui serait en train de nous égarer. Tous deux s'alarment du manque d'ambition
écologique de l'exécutif, que confirme le dernier remaniement.
L'année 2023 est la plus chaude jamais enregistrée, et les émissions mondiales de gaz à effet de
serre n'ont toujours pas commencé à décroître... Sommes-nous en train de perdre la bataille contre
le réchauffement climatique ?
Jean-Marc JancoviciNous venons de vivre une année hors norme. Non seulement 2023 dans son
ensemble bat des records, mais cela est vrai pour presque chaque jour pris isolément depuis juin. La
température moyenne mondiale quotidienne a été supérieure à celle du même jour de n'importe
quelle année passée depuis le début des relevés de température. C'est sans précédent...
Jean-Baptiste Fressoz Ce que je retiens de 2023, c'est également la déconnexion croissante entre
les discours sur la décarbonation et les réalités économiques. L'accord conclu à la COP28 de Dubaï
en est un bon exemple. Il a été qualifié d'« historique » parce qu'on y a enfin attribué aux énergies
fossiles (charbon, pétrole et gaz) la responsabilité du réchauffement. Comment ne pas s'étonner
d'une telle autosatisfaction ? Cela fait cinquante ans qu'un consensus scientifique existe sur ce lien !
Qu'il ait fallu 28 COP pour arriver à ce résultat est tout sauf rassurant.
J-M. J.Ce hiatus est aussi visible à l'échelle française. Quand on regarde les débuts du second
quinquennat d'Emmanuel Macron, on ne peut qu'être étonné. Nous avons, avec le réchauffement
climatique, un problème existentiel à gérer. Pourtant, le chef de l'Etat a décidé de se consacrer
d'abord à un problème d'« intendance », avec la réforme des retraites. Un président qui n'a pas
besoin de se faire réélire à la fin de son mandat aurait pu faire preuve de davantage de vision. Il
donne l'impression de ne pas avoir le sens de l'histoire.
J-B. F. Emmanuel Macron a manifesté un intérêt pour l'écologie pendant l'entre-deux-tours de la
présidentielle, quand il fallait séduire des électeurs de gauche. Des outils comme le secrétariat
général à la Planification écologique (SGPE), qui est directement rattaché à Matignon, ont été mis
en place dans la foulée de son élection. Mais le dernier remaniement semblerait indiquer que l'on
est déjà dans un moment de reflux... L'année 2023 montre pourtant que le climat est la
vraie urgence politique.
J-M. J.La création du SGPE est une avancée indiscutable, qui « crante » le sujet dans l'administration
française. Le réchauffement climatique est un problème systémique qu'on ne peut pas résoudre
par petits bouts pris séparément les uns des autres. Ce que fait le SGPE, c'est justement de penser
« système ». Mais il manque un souffle politique. Dans notre régime présidentiel, ce qui compte
vraiment, c'est ce que dit et fait l'Elysée. Or on ne voit pas de plan d'ensemble cohérent qui servirait
de colonne vertébrale au second mandat du chef de l'Etat, et le remaniement récent, en effet,
n'infirme pas cette conclusion.
Le grand plan, officiellement, c'est la « transition énergétique ». Jean-Baptiste Fressoz, vous estimez
qu'elle est impossible. Pourquoi ?
J.-B. F.Je ne sais pas si elle est impossible. Ce que je montre, c'est que ce concept, à première vue
séduisant, nous donne une vision faussée de la lutte contre le réchauffement climatique et produit
plus de confusion et de procrastination qu'autre chose.
Dans le livre que vous venez de publier (voir encadré ci-dessous), vous expliquez que la transition
repose sur l'idée rassurante que les énergies se substituent les unes aux autres et qu'il suffirait
d'accélérer ce processus. Or, montrez-vous, cette représentation est fausse.
J.-B. F.Oui. Il suffit de regarder l'évolution de la consommation d'énergie depuis deux siècles pour
s'en apercevoir : l'humanité n'a jamais brûlé autant de charbon, de pétrole et de gaz qu'aujourd'hui !
Les sources d'énergie ne se substituent pas les unes aux autres, elles s'accumulent et sont en
symbiose. Prenons le cas de la révolution industrielle, classiquement présentée comme une
transition du bois au charbon, en réponse à la déforestation. Pour extraire du charbon dans les
mines, il a en réalité fallu des quantités de bois astronomiques : en Angleterre, en 1900, les étais de
mines atteignaient des volumes plus importants que tout le bois de feu brûlé en 1750 ! L'arrivée
d'une nouvelle source d'énergie tend à accroître l'usage des anciennes.
Comment les historiens François Jarrige et Jean-Baptiste Fressoz bousculent la mythologie du
progrès
C'est pareil pour le pétrole : il intensifie l'exploitation forestière par l'usage de tronçonneuses, de
camions, de routes. L'histoire de l'humanité n'est pas celle de transitions successives, c'est
l'expansion symbiotique de toutes les énergies et de toutes les matières. L'argument de mon livre
n'est pas de dire : « La transition n'aura pas lieu car elle n'a jamais eu lieu », mais, en jetant un regard
nouveau sur l'histoire, de souligner l'intrication des énergies qui rend le problème du
réchauffement climatique si difficile à résoudre.
Le solaire et l'éolien deviennent très rentables, et les capacités installées croissent à toute vitesse.
Selon un rapport publié il y a quelques jours par l'Agence internationale de l'Energie (AIE), le monde
a accru l'an dernier de 50 % les capacités électriques renouvelables par rapport à 2022 ! Vous ne
pensez pas que ces énergies vont remplacer les fossiles ?
J.-M. J.En ratio, la situation s'améliore. Mais en valeur absolue, ces renouvelables s'ajoutent encore
en grande partie au reste. Et puis, il y a un angle mort : ces panneaux photovoltaïques et ces mâts
d'éoliennes sont fabriqués dans un monde qui carbure encore aux fossiles. C'est aussi pour cela que
ce n'est pas cher ! J'ai souvent demandé aux prospectivistes s'ils nous pensaient capables de
produire des éoliennes et des panneaux solaires avec... des éoliennes et des panneaux solaires.
Personne ne sait répondre à cette question. Les économistes constatent que les prix baissent et
prolongent les courbes. Mais ce n'est pas une démonstration.
J.-B. F.La croissance des énergies renouvelables est peut-être la seule bonne nouvelle du moment
que nous vivons. Le problème, c'est qu'on va utiliser cette électricité bas carbone pour reproduire à
l'identique le monde matériel dans lequel nous vivons. Le passage de la voiture thermique à la
voiture électrique était une occasion historique de changer l'objet « voiture » en disant à l'industrie
automobile : « Maintenant, vous ne faites plus que de petits modèles, comme la Citroën Ami », pour
ne pas gâcher une électricité relativement propre dans des objets très consommateurs de
matériaux (acier, cuivre, aluminium, etc.) et donc émetteurs de CO. Si on continue comme cela, les
renouvelables ne feront qu'à peine ralentir le réchauffement. Dans les années 1970, l'éolien et le
solaire étaient liés à l'écologie et porteurs d'utopie. Maintenant qu'ils sont dans une phase
industrielle ascendante, certains de leurs promoteurs les présentent, à tort, comme pouvant régler
tous nos problèmes sans que nous ayons à penser la taille de l'économie ni à questionner nos
modes de vie.
J.-M. J.Dans un monde de plus en plus contraint, fabriquer des « tanks électriques » avec des
batteries de 100 kWh est contreproductif. Avec la même quantité de matières, on pourrait plutôt
fabriquer trois petites voitures dotées d'une batterie de 30 kWh, ce qui les rendrait plus accessibles,
notamment aux « gilets jaunes » qui ont, aux yeux de certains, le mauvais goût d'habiter dans des
endroits où la voiture reste aujourd'hui essentielle. Il sera plus facile d'assurer une mobilité
démocratique motorisée si les voitures pèsent 500 kilos plutôt qu'une tonne et demie. Les gens
mettront toujours les courses dedans, iront toujours au boulot, ça ne changera pas grand-chose à
l'organisation sociale globale.
Jean-Marc Jancovici : « Il y a un risque que la démocratie ne survive pas à la fin des énergies
fossiles »
Pourquoi n'a-t-on pas fait ce choix ?
J.-M. J.Parce que ce sont les acteurs économiques et non les politiques qui dictent le tempo et les
modalités de cette « transition ». Si vous êtes un constructeur automobile, que vous savez faire de
grosses voitures, avec des marges confortables, vous allez vous débrouiller pour rendre cet objet
socialement désirable. Hélas, cette stratégie commerciale ne sert pas nos intérêts de long terme.
Dans un monde qui se décarbone, l'économie va se démondialiser parce que nous ne pourrons pas
remplacer entièrement nos flottes de camions et notre marine marchande. Ainsi, l'accès à des
ressources lointaines va devenir plus compliqué. Ce qui veut dire que pour fabriquer nos objets, le
critère qui va devenir central est la quantité de matières. Moins on aura besoin de matières pour
avoir le même service et plus on sera résilient.
J.-B. F.D'autant que la complexification croissante des objets rend le recyclage très difficile.
Aujourd'hui, un pneu contient deux fois plus de matériaux différents qu'une voiture entière
produite il y a un siècle. C'est la même chose avec le téléphone : un appareil des années 1920
contenait vingt matériaux tandis qu'un smartphone utilise cinquante métaux différents.
Pourtant, plusieurs scénarios de modélisation arrivent à la conclusion que nous pouvons
décarboner l'économie d'ici à 2050, sans soubresaut majeur. Vous n'y croyez pas ?
J.-M. J.Ces scénarios peinent à intégrer l'interdépendance des matières et des énergies. Par
exemple, les semi-conducteurs de votre smartphone sont gravés avec des lasers qui contiennent de
l'hélium. Dans la structure de coûts, l'hélium ne représente presque rien, mais dans le processus
physique, il est essentiel. C'est comme une hormone : elle ne pèse rien dans le corps, et pourtant ça
modifie tout le reste.
J.-B. F.Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, beaucoup de scénarios misent sur des
technologies qui sont pour l'instant balbutiantes, par exemple toutes celles qui concernent le
captage et le stockage du carbone. Dans certains cas, on imagine qu'on va planter l'équivalent de
deux fois la superficie de l'Inde avec des arbres à croissance rapide pour les brûler dans des
centrales à biomasse, capturer le CO à la sortie des cheminées et l'enfouir dans le sol. C'est
démiurgique. De toute manière, il est assez illusoire de croire qu'on contrôle le couvert forestier
mondial.
Il y a pourtant de bonnes nouvelles : dans une vingtaine de pays industrialisés, dont la France, les
émissions baissent depuis une dizaine d'années... N'êtes-vous pas trop défaitiste ?
J.-M. J.Tout dépend de quoi on parle. Il est maintenant clair qu'on n'arrivera pas à tenir l'objectif le
plus ambitieux de l'accord de Paris, qui est de limiter le réchauffement à +1,5 °C. Rester au-dessous
de +2 °C va être aussi très difficile. Cela implique de réduire dès maintenant les émissions mondiales
de 5 % par an, une baisse équivalente à celle connue en 2020 du fait du Covid. D'ailleurs, à mon avis,
les premières réorientations du système seront le fait de claques qu'on va prendre, et pas le résultat
d'une architecture savamment pensée et mise en oeuvre dans la joie et la bonne humeur. J'ajoute
que l'Europe va être au carrefour des crises. Elle va avoir à la fois un problème d'abondance du CO
dans l'atmosphère et un problème de rareté des ressources. La production de ses 16 premiers
fournisseurs en pétrole brut devrait être divisée par deux d'ici à 2050. Climat ou pas climat, il y aura
donc 2 à 20 fois moins de pétrole en Europe dans quelques décennies.
J.-B. F.Sur les émissions de la France, quand on inclut les importations, en réalité elles n'ont que peu
diminué depuis les années 1990. Sur la rareté des ressources, je suis peut-être moins collapsologue
que Jean-Marc. Le pic pétrolier est annoncé depuis le début du pétrole, et pour le moment,
l'industrie a toujours trouvé des moyens de sortir davantage d'hydrocarbures. En outre, le charbon
est encore abondant et peut maintenant servir à faire avancer des voitures électriques. C'est tout le
drame : il y a encore assez de combustibles fossiles pour transformer la planète en étuve. Le mur
climatique arrive bien plus tôt que celui des ressources. Et ce mur, ce sont d'abord les pays pauvres,
peu responsables du réchauffement, qui sont en train de le prendre en premier.
Vous faites même l'hypothèse que les pays riches ont très tôt fait le choix de « l'adaptation »,
estimant impossible de sortir rapidement des fossiles.
J.-B. F.En effet, les experts américains ont assez vite jugé que le monde n'éviterait pas le
doublement du CO dans l'atmosphère. Résultat, dès la fin des années 1970, à la Maison-Blanche, on
étudie les conséquences du réchauffement sur les Etats-Unis. Et la conclusion est considérée
comme rassurante : l'Amérique pourra s'adapter à une hausse importante des températures. C'est
d'un cynisme total car les mêmes experts expliquent que des zones entières de la planète, moins
bénie des dieux, devront être « déménagées ». Hélas, leur hypothèse est en train de se réaliser. Si
nous n'avons pas agi, ou trop peu, ce n'est pas, ou pas seulement, du fait des climatosceptiques et
des « marchands de doute ». Le déterminant le plus important est la résignation qui a gagné les
dirigeants des pays développés dès les années 1980.
De quelles solutions disposons-nous ?
J.-M. J.La décroissance physique est inévitable. Pour la rendre moins douloureuse, il faut la planifier.
Une partie du chemin à accomplir pour réduire nos émissions de CO s'annonce ardue. Mais il y a
aussi des choses assez faciles à faire, mais qu'on ne fait même pas, comme réduire le poids des
voitures. Pire, on a même vu le gouvernement subventionner pendant des mois le plein d'essence
de tous les Français, quel que soit leur revenu, ce qui a permis à des bourgeois de partir en vacances
en SUV grâce à de l'argent public. C'était totalement idiot ! A l'inverse, le leasing à 100 euros pour la
voiture électrique, sous conditions de ressources et de lieu d'habitation, est une très bonne mesure.
Mais il faudra aller beaucoup plus loin.
Les leviers sont connus : réduire l'usage de la voiture individuelle, limiter le nombre de vols en avion,
manger moins de viande... Il faut gérer par la sobriété l'essentiel des problèmes de consommation
individuelle et focaliser tous les efforts technologiques de décarbonation sur l'industrie. C'est là qu'il
faut mettre les ressources dont nous disposons encore. Nous allons continuer à avoir besoin
d'engrais, d'acier et de fret. Notre monde en dépend. Sans acier, nous revenons avant le Moyen Age.
Sans camion, votre cantine d'entreprise est vide au bout de trois jours. Vous comprenez mon dépit
quand je vois notre cher président ne pas s'emparer de ce genre d'ambition.
S'il ne s'en empare pas, c'est peut-être parce que la hausse de la fiscalité carbone, pour renchérir le
prix des énergies fossiles, a provoqué le mouvement des « gilets jaunes » ?
J.-M. J.Une telle politique nécessite de prendre en compte la justice sociale. En commençant, par
exemple, par réguler l'avion, qui est surtout utilisé par les plus aisés. On pourrait très bien mettre
des quotas pour réduire le trafic. Ça n'a rien de farfelu : c'est ce qu'a tenté de faire en 2023 l'aéroport
de Schiphol, aux Pays-Bas, face à des pics d'activité ingérables. La question qui se pose ensuite est
celle de la répartition : pour être juste, il faudrait attribuer à chaque personne le même nombre de
vols autorisés dans une vie, plutôt que d'augmenter le prix des billets, car cela pénalise encore les
pauvres.
Le nucléaire vous oppose. Jean-Marc Jancovici, vous estimez qu'il peut être une arme précieuse
dans la lutte contre le réchauffement climatique...
J.-M. J.Je ne fais pas du nucléaire l'alpha et l'oméga de la lutte contre le réchauffement climatique.
Simplement nous aurions tort de nous en priver, la balance avantages/inconvénients est pour moi
assez favorable. En gros, si ça nous amène 5 % de la solution, c'est bien. Mais il reste les 95 % restants
à faire. Dans le cas particulier de la France, qui a construit un parc très important, j'estime qu'il est
idiot de fermer prématurément une centrale nucléaire comme on l'a fait à Fessenheim. A mon
corps défendant, les journalistes ont fait de moi avant tout le « pro-nuke » de service. C'est mon
sparadrap du capitaine Haddock à moi.
J.-B. F.Le nucléaire occupe une place disproportionnée dans le débat public français. Le
réchauffement climatique est un problème mondial, et le nucléaire, à l'échelle de la planète, a une
faible importance car il est cher, lent et compliqué à mettre en oeuvre. Ni l'atome ni d'ailleurs les
renouvelables ne sont la solution miracle que leurs promoteurs veulent nous vendre.
La nouvelle « solution miracle » que l'on voit poindre dans la diplomatie climatique, c'est la géo-
ingénierie solaire. Pensez-vous qu'on y va tout droit ?
J.-B. F.Je ne sais pas. L'idée est d'injecter du soufre dans la stratosphère pour réfléchir une partie du
rayonnement solaire. Ainsi, vous refroidissez la Terre sans baisser la concentration en gaz à effet de
serre de l'atmosphère. Si nous ne parvenons pas à baisser nos émissions, il est probable que cette
« solution » sera tôt ou tard mise sur la table, malgré tous ses dangers et ses incertitudes. La géo-
ingéniérie peut choquer mais on a fait déjà beaucoup de choses choquantes sur la planète. Dans
l'un des premiers rapports consacrés au réchauffement climatique, en 1965, il était très
sérieusement proposé de recouvrir les océans de particules réfléchissantes afin d'en augmenter
l'albédo [la capacité à réfléchir les rayons du Soleil, NDLR]plutôt que de sortir des énergies fossiles.
En d'autres termes, on a pensé la géo-ingénierie avant la transition...
Avions, soufre, moussons : tout comprendre à la géo-ingénierie solaire avec la série
« Extrapolations »
J.-M. J.Ce tropisme pour le solutionnisme technique n'a rien d'étonnant. Quand quelqu'un
commence à comprendre la gravité de la situation et se sent dépassé, deux tentations surgissent.
La première, c'est de nier le problème. C'est pour cette raison que le climatoscepticisme ne se
combat pas par l'argumentation scientifique mais par l'action et la réponse collective. On le voit
dans les sondages : quand la classe politique dit qu'elle va s'occuper un peu sérieusement du
problème, le taux de climatosceptiques baisse. La deuxième réponse, c'est le technosolutionnisme,
qui joue le rôle du « parent protecteur » : quelque part, dans des labos, des savants qui travaillent à
nous sauver sont en train de mettre au point le grand parasol solaire en même temps que les
moyens de produire une énergie abondante. C'est la manifestation logique du désarroi devant
l'ampleur du problème et l'absence de réponse politique.
La faiblesse de la formation scientifique des politiques est parfois mise en avant pour expliquer leur
désintérêt pour le climat. Faut-il donner plus de pouvoir aux ingénieurs ?
J.-M. J.Le rôle des ingénieurs n'est pas de définir un programme politique, mais d'aider les élus à
mettre en application un projet de société qui puisse nous permettre de naviguer au mieux dans un
monde perturbé et contraint. Pour cela, il nous faut des systémiciens, des ingénieurs formés à cette
nouvelle donne. Le sont-ils ? Cette ambition ne transparaît pas dans la nouvelle feuille de route que
vient de présenter dans la presse la directrice générale de l'Ecole polytechnique. Elle parle de
concentrer les enseignements sur l'intelligence artificielle et la fusion nucléaire. « L'X » a toujours eu
pour fonction de mettre les meilleurs au service des plus grands enjeux du moment : à ses débuts,
gagner un conflit militaire ; après 1945, reconstruire les infrastructures du pays ; puis « former les
officiers de la guerre économique » au moment de la mondialisation. Le défi du siècle, selon moi, ce
n'est pas de bien figurer dans le classement de Shanghai, mais de faire cohabiter 8 milliards
d'individus avec des ressources limitées sans que cela se termine en pugilat.
J.-B. F.L'idée que les ingénieurs seraient absents des postes de commande ne tient pas. Les
polytechniciens, par exemple, peuplent l'Etat et l'administration française. En revanche, j'aimerais
que les ingénieurs aient plus de place dans l'espace public pour présenter les contraintes
techniques. Quand je discute avec les praticiens, ils ne sont pas du tout technosolutionnistes, mais
alors pas du tout ! Au contraire, ils sont horripilés par les injonctions politiques et les discours
enthousiastes sur l'« avion vert ». Les ingénieurs aéronautiques savent très bien que c'est du pipeau.
Nous avons besoin d'ingénieurs qui, à la différence des politiques, nous invitent à la modestie. Les
attentes disproportionnées sur l'innovation nous empêchent d'avoir une conversation d'adultes à
propos du changement climatique. Il faut que l'on arrête d'être fasciné par le dernier gadget. Le
problème est qu'on parle de voitures électriques et d'avions à hydrogène plutôt que de niveau de
consommation matérielle et de juste répartition.
J.-M. J.Le débat public devrait se limiter à un arbitrage entre des paris vraiment gagnables. Et je le
répète : il y en a.
BIOS EXPRESS
Chercheur au CNRS, l'historien Jean-Baptiste Fressoz vient de publier « Sans transition. Une
nouvelle histoire de l'énergie » (Seuil, 2024). Il est aussi l'auteur de « l'Evénement anthropocène »,
avec Christophe Bonneuil (Seuil, 2013).
Ingénieur et cofondateur de Carbone 4, Jean-Marc Jancovici est membre du Haut Conseil pour le
Climat et président du groupe de réflexion The Shift Project. Il a publié avec Christophe Blain « le
Monde sans fin » (Dargaud, 2021).
Cet article est paru dans L'Obs (site web)

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Jean-Marc Jancovici et Jean-Baptiste Fressoz : « Le climat est la vraie urgence politique » 17/01/2024

  • 1. EcoloObs, mercredi 17 janvier 2024 - 2024-01-17T18:00:11+01:00 3598 mots Jean-Marc Jancovici et Jean-Baptiste Fressoz : « Le climat est la vraie urgence politique » L'Obs; L'Obs; L'Obs Que peut-on encore faire pour enrayer le réchauffement climatique ? Et que faut-il attendre de la transition énergétique ? « L'Obs » a réuni, pour un grand entretien exclusif, l'ingénieur Jean-Marc Jancovici et l'historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz. Que faire contre le réchauffement climatique ? Tandis que l'année 2023 a été exceptionnelle chaude, avec une anomalie thermique de +1,48 °C par rapport à l'ère préindustrielle, des désicions politiques fortes se font attendre. Et voir le ministre de la Transition, Christophe Béchu, à l'avant- dernière place de l'ordre protocolaire du gouvernement de Gabriel Attal n'est pas un signal rassurant. « L'Obs » a fait discuter Jean-Marc Jancovici, inventeur du « bilan carbone » et auteur à succès, très lu dans les écoles d'ingénieurs, et l'historien Jean-Baptiste Fressoz, qui, dans l'ouvrage qu'il publie ce mois-ci (« Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie »), déconstruit la notion de « transition », mot totem qui serait en train de nous égarer. Tous deux s'alarment du manque d'ambition écologique de l'exécutif, que confirme le dernier remaniement. L'année 2023 est la plus chaude jamais enregistrée, et les émissions mondiales de gaz à effet de serre n'ont toujours pas commencé à décroître... Sommes-nous en train de perdre la bataille contre le réchauffement climatique ? Jean-Marc JancoviciNous venons de vivre une année hors norme. Non seulement 2023 dans son ensemble bat des records, mais cela est vrai pour presque chaque jour pris isolément depuis juin. La température moyenne mondiale quotidienne a été supérieure à celle du même jour de n'importe quelle année passée depuis le début des relevés de température. C'est sans précédent... Jean-Baptiste Fressoz Ce que je retiens de 2023, c'est également la déconnexion croissante entre les discours sur la décarbonation et les réalités économiques. L'accord conclu à la COP28 de Dubaï en est un bon exemple. Il a été qualifié d'« historique » parce qu'on y a enfin attribué aux énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) la responsabilité du réchauffement. Comment ne pas s'étonner d'une telle autosatisfaction ? Cela fait cinquante ans qu'un consensus scientifique existe sur ce lien ! Qu'il ait fallu 28 COP pour arriver à ce résultat est tout sauf rassurant. J-M. J.Ce hiatus est aussi visible à l'échelle française. Quand on regarde les débuts du second quinquennat d'Emmanuel Macron, on ne peut qu'être étonné. Nous avons, avec le réchauffement climatique, un problème existentiel à gérer. Pourtant, le chef de l'Etat a décidé de se consacrer d'abord à un problème d'« intendance », avec la réforme des retraites. Un président qui n'a pas besoin de se faire réélire à la fin de son mandat aurait pu faire preuve de davantage de vision. Il donne l'impression de ne pas avoir le sens de l'histoire. J-B. F. Emmanuel Macron a manifesté un intérêt pour l'écologie pendant l'entre-deux-tours de la présidentielle, quand il fallait séduire des électeurs de gauche. Des outils comme le secrétariat général à la Planification écologique (SGPE), qui est directement rattaché à Matignon, ont été mis
  • 2. en place dans la foulée de son élection. Mais le dernier remaniement semblerait indiquer que l'on est déjà dans un moment de reflux... L'année 2023 montre pourtant que le climat est la vraie urgence politique. J-M. J.La création du SGPE est une avancée indiscutable, qui « crante » le sujet dans l'administration française. Le réchauffement climatique est un problème systémique qu'on ne peut pas résoudre par petits bouts pris séparément les uns des autres. Ce que fait le SGPE, c'est justement de penser « système ». Mais il manque un souffle politique. Dans notre régime présidentiel, ce qui compte vraiment, c'est ce que dit et fait l'Elysée. Or on ne voit pas de plan d'ensemble cohérent qui servirait de colonne vertébrale au second mandat du chef de l'Etat, et le remaniement récent, en effet, n'infirme pas cette conclusion. Le grand plan, officiellement, c'est la « transition énergétique ». Jean-Baptiste Fressoz, vous estimez qu'elle est impossible. Pourquoi ? J.-B. F.Je ne sais pas si elle est impossible. Ce que je montre, c'est que ce concept, à première vue séduisant, nous donne une vision faussée de la lutte contre le réchauffement climatique et produit plus de confusion et de procrastination qu'autre chose. Dans le livre que vous venez de publier (voir encadré ci-dessous), vous expliquez que la transition repose sur l'idée rassurante que les énergies se substituent les unes aux autres et qu'il suffirait d'accélérer ce processus. Or, montrez-vous, cette représentation est fausse. J.-B. F.Oui. Il suffit de regarder l'évolution de la consommation d'énergie depuis deux siècles pour s'en apercevoir : l'humanité n'a jamais brûlé autant de charbon, de pétrole et de gaz qu'aujourd'hui ! Les sources d'énergie ne se substituent pas les unes aux autres, elles s'accumulent et sont en symbiose. Prenons le cas de la révolution industrielle, classiquement présentée comme une transition du bois au charbon, en réponse à la déforestation. Pour extraire du charbon dans les mines, il a en réalité fallu des quantités de bois astronomiques : en Angleterre, en 1900, les étais de mines atteignaient des volumes plus importants que tout le bois de feu brûlé en 1750 ! L'arrivée d'une nouvelle source d'énergie tend à accroître l'usage des anciennes. Comment les historiens François Jarrige et Jean-Baptiste Fressoz bousculent la mythologie du progrès C'est pareil pour le pétrole : il intensifie l'exploitation forestière par l'usage de tronçonneuses, de camions, de routes. L'histoire de l'humanité n'est pas celle de transitions successives, c'est l'expansion symbiotique de toutes les énergies et de toutes les matières. L'argument de mon livre n'est pas de dire : « La transition n'aura pas lieu car elle n'a jamais eu lieu », mais, en jetant un regard nouveau sur l'histoire, de souligner l'intrication des énergies qui rend le problème du réchauffement climatique si difficile à résoudre. Le solaire et l'éolien deviennent très rentables, et les capacités installées croissent à toute vitesse. Selon un rapport publié il y a quelques jours par l'Agence internationale de l'Energie (AIE), le monde a accru l'an dernier de 50 % les capacités électriques renouvelables par rapport à 2022 ! Vous ne pensez pas que ces énergies vont remplacer les fossiles ? J.-M. J.En ratio, la situation s'améliore. Mais en valeur absolue, ces renouvelables s'ajoutent encore en grande partie au reste. Et puis, il y a un angle mort : ces panneaux photovoltaïques et ces mâts d'éoliennes sont fabriqués dans un monde qui carbure encore aux fossiles. C'est aussi pour cela que ce n'est pas cher ! J'ai souvent demandé aux prospectivistes s'ils nous pensaient capables de
  • 3. produire des éoliennes et des panneaux solaires avec... des éoliennes et des panneaux solaires. Personne ne sait répondre à cette question. Les économistes constatent que les prix baissent et prolongent les courbes. Mais ce n'est pas une démonstration. J.-B. F.La croissance des énergies renouvelables est peut-être la seule bonne nouvelle du moment que nous vivons. Le problème, c'est qu'on va utiliser cette électricité bas carbone pour reproduire à l'identique le monde matériel dans lequel nous vivons. Le passage de la voiture thermique à la voiture électrique était une occasion historique de changer l'objet « voiture » en disant à l'industrie automobile : « Maintenant, vous ne faites plus que de petits modèles, comme la Citroën Ami », pour ne pas gâcher une électricité relativement propre dans des objets très consommateurs de matériaux (acier, cuivre, aluminium, etc.) et donc émetteurs de CO. Si on continue comme cela, les renouvelables ne feront qu'à peine ralentir le réchauffement. Dans les années 1970, l'éolien et le solaire étaient liés à l'écologie et porteurs d'utopie. Maintenant qu'ils sont dans une phase industrielle ascendante, certains de leurs promoteurs les présentent, à tort, comme pouvant régler tous nos problèmes sans que nous ayons à penser la taille de l'économie ni à questionner nos modes de vie. J.-M. J.Dans un monde de plus en plus contraint, fabriquer des « tanks électriques » avec des batteries de 100 kWh est contreproductif. Avec la même quantité de matières, on pourrait plutôt fabriquer trois petites voitures dotées d'une batterie de 30 kWh, ce qui les rendrait plus accessibles, notamment aux « gilets jaunes » qui ont, aux yeux de certains, le mauvais goût d'habiter dans des endroits où la voiture reste aujourd'hui essentielle. Il sera plus facile d'assurer une mobilité démocratique motorisée si les voitures pèsent 500 kilos plutôt qu'une tonne et demie. Les gens mettront toujours les courses dedans, iront toujours au boulot, ça ne changera pas grand-chose à l'organisation sociale globale. Jean-Marc Jancovici : « Il y a un risque que la démocratie ne survive pas à la fin des énergies fossiles » Pourquoi n'a-t-on pas fait ce choix ? J.-M. J.Parce que ce sont les acteurs économiques et non les politiques qui dictent le tempo et les modalités de cette « transition ». Si vous êtes un constructeur automobile, que vous savez faire de grosses voitures, avec des marges confortables, vous allez vous débrouiller pour rendre cet objet socialement désirable. Hélas, cette stratégie commerciale ne sert pas nos intérêts de long terme. Dans un monde qui se décarbone, l'économie va se démondialiser parce que nous ne pourrons pas remplacer entièrement nos flottes de camions et notre marine marchande. Ainsi, l'accès à des ressources lointaines va devenir plus compliqué. Ce qui veut dire que pour fabriquer nos objets, le critère qui va devenir central est la quantité de matières. Moins on aura besoin de matières pour avoir le même service et plus on sera résilient. J.-B. F.D'autant que la complexification croissante des objets rend le recyclage très difficile. Aujourd'hui, un pneu contient deux fois plus de matériaux différents qu'une voiture entière produite il y a un siècle. C'est la même chose avec le téléphone : un appareil des années 1920 contenait vingt matériaux tandis qu'un smartphone utilise cinquante métaux différents. Pourtant, plusieurs scénarios de modélisation arrivent à la conclusion que nous pouvons décarboner l'économie d'ici à 2050, sans soubresaut majeur. Vous n'y croyez pas ? J.-M. J.Ces scénarios peinent à intégrer l'interdépendance des matières et des énergies. Par exemple, les semi-conducteurs de votre smartphone sont gravés avec des lasers qui contiennent de
  • 4. l'hélium. Dans la structure de coûts, l'hélium ne représente presque rien, mais dans le processus physique, il est essentiel. C'est comme une hormone : elle ne pèse rien dans le corps, et pourtant ça modifie tout le reste. J.-B. F.Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, beaucoup de scénarios misent sur des technologies qui sont pour l'instant balbutiantes, par exemple toutes celles qui concernent le captage et le stockage du carbone. Dans certains cas, on imagine qu'on va planter l'équivalent de deux fois la superficie de l'Inde avec des arbres à croissance rapide pour les brûler dans des centrales à biomasse, capturer le CO à la sortie des cheminées et l'enfouir dans le sol. C'est démiurgique. De toute manière, il est assez illusoire de croire qu'on contrôle le couvert forestier mondial. Il y a pourtant de bonnes nouvelles : dans une vingtaine de pays industrialisés, dont la France, les émissions baissent depuis une dizaine d'années... N'êtes-vous pas trop défaitiste ? J.-M. J.Tout dépend de quoi on parle. Il est maintenant clair qu'on n'arrivera pas à tenir l'objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris, qui est de limiter le réchauffement à +1,5 °C. Rester au-dessous de +2 °C va être aussi très difficile. Cela implique de réduire dès maintenant les émissions mondiales de 5 % par an, une baisse équivalente à celle connue en 2020 du fait du Covid. D'ailleurs, à mon avis, les premières réorientations du système seront le fait de claques qu'on va prendre, et pas le résultat d'une architecture savamment pensée et mise en oeuvre dans la joie et la bonne humeur. J'ajoute que l'Europe va être au carrefour des crises. Elle va avoir à la fois un problème d'abondance du CO dans l'atmosphère et un problème de rareté des ressources. La production de ses 16 premiers fournisseurs en pétrole brut devrait être divisée par deux d'ici à 2050. Climat ou pas climat, il y aura donc 2 à 20 fois moins de pétrole en Europe dans quelques décennies. J.-B. F.Sur les émissions de la France, quand on inclut les importations, en réalité elles n'ont que peu diminué depuis les années 1990. Sur la rareté des ressources, je suis peut-être moins collapsologue que Jean-Marc. Le pic pétrolier est annoncé depuis le début du pétrole, et pour le moment, l'industrie a toujours trouvé des moyens de sortir davantage d'hydrocarbures. En outre, le charbon est encore abondant et peut maintenant servir à faire avancer des voitures électriques. C'est tout le drame : il y a encore assez de combustibles fossiles pour transformer la planète en étuve. Le mur climatique arrive bien plus tôt que celui des ressources. Et ce mur, ce sont d'abord les pays pauvres, peu responsables du réchauffement, qui sont en train de le prendre en premier. Vous faites même l'hypothèse que les pays riches ont très tôt fait le choix de « l'adaptation », estimant impossible de sortir rapidement des fossiles. J.-B. F.En effet, les experts américains ont assez vite jugé que le monde n'éviterait pas le doublement du CO dans l'atmosphère. Résultat, dès la fin des années 1970, à la Maison-Blanche, on étudie les conséquences du réchauffement sur les Etats-Unis. Et la conclusion est considérée comme rassurante : l'Amérique pourra s'adapter à une hausse importante des températures. C'est d'un cynisme total car les mêmes experts expliquent que des zones entières de la planète, moins bénie des dieux, devront être « déménagées ». Hélas, leur hypothèse est en train de se réaliser. Si nous n'avons pas agi, ou trop peu, ce n'est pas, ou pas seulement, du fait des climatosceptiques et des « marchands de doute ». Le déterminant le plus important est la résignation qui a gagné les dirigeants des pays développés dès les années 1980. De quelles solutions disposons-nous ?
  • 5. J.-M. J.La décroissance physique est inévitable. Pour la rendre moins douloureuse, il faut la planifier. Une partie du chemin à accomplir pour réduire nos émissions de CO s'annonce ardue. Mais il y a aussi des choses assez faciles à faire, mais qu'on ne fait même pas, comme réduire le poids des voitures. Pire, on a même vu le gouvernement subventionner pendant des mois le plein d'essence de tous les Français, quel que soit leur revenu, ce qui a permis à des bourgeois de partir en vacances en SUV grâce à de l'argent public. C'était totalement idiot ! A l'inverse, le leasing à 100 euros pour la voiture électrique, sous conditions de ressources et de lieu d'habitation, est une très bonne mesure. Mais il faudra aller beaucoup plus loin. Les leviers sont connus : réduire l'usage de la voiture individuelle, limiter le nombre de vols en avion, manger moins de viande... Il faut gérer par la sobriété l'essentiel des problèmes de consommation individuelle et focaliser tous les efforts technologiques de décarbonation sur l'industrie. C'est là qu'il faut mettre les ressources dont nous disposons encore. Nous allons continuer à avoir besoin d'engrais, d'acier et de fret. Notre monde en dépend. Sans acier, nous revenons avant le Moyen Age. Sans camion, votre cantine d'entreprise est vide au bout de trois jours. Vous comprenez mon dépit quand je vois notre cher président ne pas s'emparer de ce genre d'ambition. S'il ne s'en empare pas, c'est peut-être parce que la hausse de la fiscalité carbone, pour renchérir le prix des énergies fossiles, a provoqué le mouvement des « gilets jaunes » ? J.-M. J.Une telle politique nécessite de prendre en compte la justice sociale. En commençant, par exemple, par réguler l'avion, qui est surtout utilisé par les plus aisés. On pourrait très bien mettre des quotas pour réduire le trafic. Ça n'a rien de farfelu : c'est ce qu'a tenté de faire en 2023 l'aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, face à des pics d'activité ingérables. La question qui se pose ensuite est celle de la répartition : pour être juste, il faudrait attribuer à chaque personne le même nombre de vols autorisés dans une vie, plutôt que d'augmenter le prix des billets, car cela pénalise encore les pauvres. Le nucléaire vous oppose. Jean-Marc Jancovici, vous estimez qu'il peut être une arme précieuse dans la lutte contre le réchauffement climatique... J.-M. J.Je ne fais pas du nucléaire l'alpha et l'oméga de la lutte contre le réchauffement climatique. Simplement nous aurions tort de nous en priver, la balance avantages/inconvénients est pour moi assez favorable. En gros, si ça nous amène 5 % de la solution, c'est bien. Mais il reste les 95 % restants à faire. Dans le cas particulier de la France, qui a construit un parc très important, j'estime qu'il est idiot de fermer prématurément une centrale nucléaire comme on l'a fait à Fessenheim. A mon corps défendant, les journalistes ont fait de moi avant tout le « pro-nuke » de service. C'est mon sparadrap du capitaine Haddock à moi. J.-B. F.Le nucléaire occupe une place disproportionnée dans le débat public français. Le réchauffement climatique est un problème mondial, et le nucléaire, à l'échelle de la planète, a une faible importance car il est cher, lent et compliqué à mettre en oeuvre. Ni l'atome ni d'ailleurs les renouvelables ne sont la solution miracle que leurs promoteurs veulent nous vendre. La nouvelle « solution miracle » que l'on voit poindre dans la diplomatie climatique, c'est la géo- ingénierie solaire. Pensez-vous qu'on y va tout droit ? J.-B. F.Je ne sais pas. L'idée est d'injecter du soufre dans la stratosphère pour réfléchir une partie du rayonnement solaire. Ainsi, vous refroidissez la Terre sans baisser la concentration en gaz à effet de serre de l'atmosphère. Si nous ne parvenons pas à baisser nos émissions, il est probable que cette « solution » sera tôt ou tard mise sur la table, malgré tous ses dangers et ses incertitudes. La géo-
  • 6. ingéniérie peut choquer mais on a fait déjà beaucoup de choses choquantes sur la planète. Dans l'un des premiers rapports consacrés au réchauffement climatique, en 1965, il était très sérieusement proposé de recouvrir les océans de particules réfléchissantes afin d'en augmenter l'albédo [la capacité à réfléchir les rayons du Soleil, NDLR]plutôt que de sortir des énergies fossiles. En d'autres termes, on a pensé la géo-ingénierie avant la transition... Avions, soufre, moussons : tout comprendre à la géo-ingénierie solaire avec la série « Extrapolations » J.-M. J.Ce tropisme pour le solutionnisme technique n'a rien d'étonnant. Quand quelqu'un commence à comprendre la gravité de la situation et se sent dépassé, deux tentations surgissent. La première, c'est de nier le problème. C'est pour cette raison que le climatoscepticisme ne se combat pas par l'argumentation scientifique mais par l'action et la réponse collective. On le voit dans les sondages : quand la classe politique dit qu'elle va s'occuper un peu sérieusement du problème, le taux de climatosceptiques baisse. La deuxième réponse, c'est le technosolutionnisme, qui joue le rôle du « parent protecteur » : quelque part, dans des labos, des savants qui travaillent à nous sauver sont en train de mettre au point le grand parasol solaire en même temps que les moyens de produire une énergie abondante. C'est la manifestation logique du désarroi devant l'ampleur du problème et l'absence de réponse politique. La faiblesse de la formation scientifique des politiques est parfois mise en avant pour expliquer leur désintérêt pour le climat. Faut-il donner plus de pouvoir aux ingénieurs ? J.-M. J.Le rôle des ingénieurs n'est pas de définir un programme politique, mais d'aider les élus à mettre en application un projet de société qui puisse nous permettre de naviguer au mieux dans un monde perturbé et contraint. Pour cela, il nous faut des systémiciens, des ingénieurs formés à cette nouvelle donne. Le sont-ils ? Cette ambition ne transparaît pas dans la nouvelle feuille de route que vient de présenter dans la presse la directrice générale de l'Ecole polytechnique. Elle parle de concentrer les enseignements sur l'intelligence artificielle et la fusion nucléaire. « L'X » a toujours eu pour fonction de mettre les meilleurs au service des plus grands enjeux du moment : à ses débuts, gagner un conflit militaire ; après 1945, reconstruire les infrastructures du pays ; puis « former les officiers de la guerre économique » au moment de la mondialisation. Le défi du siècle, selon moi, ce n'est pas de bien figurer dans le classement de Shanghai, mais de faire cohabiter 8 milliards d'individus avec des ressources limitées sans que cela se termine en pugilat. J.-B. F.L'idée que les ingénieurs seraient absents des postes de commande ne tient pas. Les polytechniciens, par exemple, peuplent l'Etat et l'administration française. En revanche, j'aimerais que les ingénieurs aient plus de place dans l'espace public pour présenter les contraintes techniques. Quand je discute avec les praticiens, ils ne sont pas du tout technosolutionnistes, mais alors pas du tout ! Au contraire, ils sont horripilés par les injonctions politiques et les discours enthousiastes sur l'« avion vert ». Les ingénieurs aéronautiques savent très bien que c'est du pipeau. Nous avons besoin d'ingénieurs qui, à la différence des politiques, nous invitent à la modestie. Les attentes disproportionnées sur l'innovation nous empêchent d'avoir une conversation d'adultes à propos du changement climatique. Il faut que l'on arrête d'être fasciné par le dernier gadget. Le problème est qu'on parle de voitures électriques et d'avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de juste répartition. J.-M. J.Le débat public devrait se limiter à un arbitrage entre des paris vraiment gagnables. Et je le répète : il y en a. BIOS EXPRESS
  • 7. Chercheur au CNRS, l'historien Jean-Baptiste Fressoz vient de publier « Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie » (Seuil, 2024). Il est aussi l'auteur de « l'Evénement anthropocène », avec Christophe Bonneuil (Seuil, 2013). Ingénieur et cofondateur de Carbone 4, Jean-Marc Jancovici est membre du Haut Conseil pour le Climat et président du groupe de réflexion The Shift Project. Il a publié avec Christophe Blain « le Monde sans fin » (Dargaud, 2021). Cet article est paru dans L'Obs (site web)