Robert Vautard, un éco-actif au sommet du Giec - 12/08/2023

14/08/2023 13:45 Robert Vautard, un éco-actif au sommet du Giec – Libération
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Robert Vautard, un éco-actif au
sommet du Giec
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La biodiversité dossier

Le scientifique, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace, a été élu
coprésident du groupe 1 au sein de l’organisme intergouvernemental d’experts
du climat. Ce spécialiste des événements extrêmes, féru de montagne où il
pratique la randonnée et le deltaplane, livre à «Libé» sa feuille de route,
optimiste, pour lutter contre la crise climatique.
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par Nina Guérineau de Lamérie
publié le 12 août 2023 à 14h13
«Vous allez voir, il va y avoir une éclaircie.» Ce dimanche 6 août, l’optimisme
du météorologue Robert Vautard a même contaminé le ciel. Alors que la
bruine et les nuages offraient un matin morose, le soleil a finalement éclairé
vers midi les montagnes encerclant la Féclaz, station de ski savoyarde où il
s’est réfugié pour les vacances. Le vent froid et les 10 degrés rappelant
toutefois que, par certains endroits, la France vit un été exceptionnellement
frais. «Normalement, à cette époque on crève de chaud !» rapporte le nouveau
coprésident du groupe 1 du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat), chargé d’étudier et de quantifier la dimension
scientifique du changement climatique. Le chercheur de 60 ans, qui vit en
région parisienne le reste du temps, a succédé fin juillet à la
paléoclimatologue de renommée mondiale Valérie Masson-Delmotte, dont il
estime «énormément» le travail. «Si j’ai pu être élu, c’est grâce à ce qu’elle a
accompli lors du sixième cycle d’évaluation [un cycle dure sept ans, ndlr]. On a
la confiance des gouvernements du monde, c’est une immense responsabilité», se
félicite, humblement, le spécialiste des événements extrêmes et des
techniques permettant de les attribuer au réchauffement.
Prévisibilité de la dynamique de
l’atmosphère
Une charge d’autant plus lourde que la situation climatique se dégrade
rapidement aux quatre coins de la planète. Records de chaleur sur terre et
dans les mers, canicules interminables, incendies incontrôlables, inondations
sans précédent… «Les phénomènes extrêmes sont plus forts, plus meurtriers,
causant parfois des dizaines de milliers de morts par an. La décennie qui vient
Robert Vautard à la Féclaz (Savoie), dimanche. Le météorologue estime que «nous ne sommes pas
foutus». (Pablo Chignard/Libération)

sera encore plus difficile que la précédente», prévient le directeur de l’Institut
des sciences du climat Pierre-Simon Laplace (IPSL), en buvant un allongé au
café-boulangerie Caprice des neiges. «Mais» – parce qu’il y a toujours un
«mais» avec Robert Vautard – il ne veut pas «utiliser de termes qui feraient
peur à tout le monde. Nous ne sommes pas foutus, limiter nos émissions de gaz à
effet de serre est encore possible. Chaque degré compte». Dans ce nouveau rôle,
le féru de deltaplane a la confiance de ses pairs : «Robert Vautard a toutes les
qualités pour assumer la coprésidence du groupe 1, juge l’un de ses maîtres en
la matière, le célèbre paléoclimatologue Jean Jouzel. Il est un scientifique de
tout premier plan et est respecté par la communauté internationale.»
C’est précisément pour «servir cette cause» que le randonneur chevronné,
guitariste à ses heures perdues, a réorienté ses recherches il y a une vingtaine
d’années. Fasciné par les phénomènes naturels depuis l’enfance – «je trouvais
ça extraordinaire de mettre des chiffres derrière les nuages» –, il s’est engagé sur
la voie de la météorologie dans les années 80. Après un passage par la
prestigieuse Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm et par l’université
Pierre-et-Marie-Curie, toutes deux à Paris, le fils de deux professeurs de
mathématiques a rejoint le Laboratoire de météorologie dynamique, rattaché
à l’IPSL, en 1987. Là, il étudie la dynamique de l’atmosphère et sa prévisibilité,
la pollution atmosphérique, non loin, entre autres, de Jean Jouzel et Valérie
Masson-Delmotte.
«Je trouvais ça extraordinaire de mettre des chiffres derrière les nuages.»
— Robert Vautard a été passionné par les phénomènes naturels depuis l’enfance
Jusqu’à ce que sa vie de chercheur bascule, en 2003. Cet été-là, la métropole
est frappée par la plus longue et la plus intense vague de chaleur jamais
enregistrée depuis le début des mesures (1947). C’est aussi l’une des plus
mortelles : près de 15 000 décès sont constatés. «Ça nous a tous secoués, se

remémore Robert Vautard. A ce moment-là, je me suis dit : “Est-ce une image de
notre futur ? C’est très grave, il faut vraiment que je redirige mes recherches.”»
Depuis, le climatologue cravache, avec aujourd’hui 200 publications
internationales au compteur. L’influence du changement climatique sur la
météorologie régionale, ainsi que les techniques de détection et d’attribution
des événements extrêmes sont devenues ses spécialités. Afin de démocratiser
l’accès aux données, il met en place, avec des confrères, au niveau national et
européen, des démonstrateurs de «services climatiques» (projets fournissant
des informations, des outils ou des indicateurs afin d’éclairer les politiques
d’adaptation), et s’engage en parallèle auprès de décideurs pour les épauler
dans la planification de la nécessaire transition écologique. «La majorité a
conscience des tâches à résoudre mais ne sait pas comment s’y prendre ou ne
connaît pas les constantes de temps, notamment l’irréversibilité du changement
climatique, regrette le climatologue. Beaucoup de concepts de base ne sont pas
acquis parce qu’il n’y a pas eu de formation à l’école ou à l’université sur les
limites planétaires.» Et que dire des gouvernements qui savent, mais font le
choix de ne pas tendre vers une société plus verte ? «Il y a des politiques
climatiques qui sont mises en place dans la plupart des pays, je voudrais être
très positif là-dessus», contourne le chercheur, diplomate.
Des «facultés d’organisation hors norme»
Signe que son action intéresse, les politiques font appel ses services. De 2017 à
2021, Robert Vautard a ainsi coordonné la Convention nationale sur les
services climatiques pour le ministère de la Transition écologique. Et depuis
deux ans, il copréside le Groupe régional d’expertise sur le changement
climatique et la transition écologique en Ile-de-France (Grec). Cette nouvelle
nomination sera la dernière ligne de son très long CV, «car je n’ai pas prévu de
travailler jusqu’au bout de ma vie», souligne-t-il, en rapportant sa «fierté» de
contribuer à la science qui permet de lutter contre le dérèglement du globe.
Car le constat du Giec a beau être alarmant, l’effondrement de la biodiversité

affolant, les doutes sur l’avenir de l’humanité permanents, le climatologue
reste déterminé. Même lorsqu’il fait un résumé terrible de la situation, où il
explique qu’avec «les politiques environnementales actuelles on se dirige vers +
3°C de réchauffement à la fin de ce siècle» – ce qui signifie d’énormes
conséquences pour la santé humaine, les écosystèmes ainsi que les activités
économiques –, il ne peut s’empêcher d’ajouter : «Mais rien ne dit que les
politiques ne vont pas changer.»
Pour sûr, «Robert est un optimiste. C’est d’ailleurs grâce à lui que je le suis
aussi», confirme son confrère de l’IPSL Davide Faranda. Il est «enthousiaste
par rapport à la possibilité de maîtriser le réchauffement climatique», abonde
de son côté Jean Jouzel. Une vraie force tranquille, à l’image des sommets
alpins et glaciers pyrénéens que le scientifique affectionne tant et parcourt à
la moindre occasion. «Je vais beaucoup à la montagne, c’est indispensable à ma
santé mentale. Là je viens de passer deux jours en famille, on a fait 16 kilomètres
de randonnée», raconte le père de trois enfants, qui, parfois, part avec la
culpabilité de laisser sa pile de rapports scientifiques derrière lui.
Les Alpes, une nature brute, sauvage, dont il voit la transformation et, surtout,
la détérioration. De fait, ce monstre de boulot, «à la grande profondeur
d’analyse» et «aux facultés d’organisation hors norme», selon un autre de ses
collègues, Pascal Yiou, n’ignore rien des réalités. S’il n’est pas éco-anxieux, le
passionné de météo ne se dit pas encore éco-optimiste. «Faut pas pousser !
rigole Robert Vautard. Je dirais plutôt éco-actif, car on a du pain sur la
planche.» Les solutions sont là, rappelle-t-il. Maintenant est venu le temps de
les appliquer. D’où l’urgence d’apporter des informations sur les «nouveaux
risques que le monde encourt avec un climat réchauffé, mais aussi sur la mise en
œuvre des mesures de décarbonation». Aussi, l’enjeu pour le nouveau
coprésident est, outre la production d’un premier rapport sur l’adaptation des
villes au changement climatique – où l’intelligence artificielle sera utilisée
pour accélérer le temps d’analyse –, de rester présent dans les débats et

l’actualité. «C’est un sujet auquel je réfléchis : comment ne pas laisser un vide
alors que la synthèse sera livrée dans au moins deux ans ?» soulève le
climatologue. Pour ce faire, celui-ci entend miser sur une communication
«bienveillante» et «transparente». «Nous avons besoin d’embarquer le plus de
monde dans une transition juste, y compris nos détracteurs [comprendre les
climatosceptiques, ndlr], si on veut un monde moins dur. Nous, on apporte les
éléments, et c’est essentiel que les décideurs politiques envoient le signal d’une
transition, qui peut être accompagnée de choses positives.» Et de souligner que
sur ce point, son épouse, directrice de communication à l’Institut national des
sciences et techniques nucléaires, est son «soutien numéro 1».
«On ne peut pas vivre avec une telle
incohérence»
Pendant ce septième cycle d’évaluation, Robert Vautard souhaite aussi
modifier les pratiques internes du Giec. Car les réunions internationales
d’auteurs de la vigie du climat, nécessaires à la compréhension de la situation
climatique mondiale, polluent énormément : «A chaque rencontre, cela
représente environ 500 tonnes de CO2», pointe celui qui opère une transition
au sein de ses équipes depuis son arrivée à la tête de l’Institut Pierre-Simon-
Laplace en 2019. «On a décidé que pour des meetings financés par l’institut, on
ne prendrait que des repas végétariens. Cette action, certes symbolique, permet
de montrer qu’on n’est pas obligé d’être végétarien pour manger végétarien, et
que c’est très bon. C’est difficile parce qu’on touche aux habitudes assez
profondes. Mais on ne peut pas vivre avec une telle incohérence, écrire des
rapports sur le changement climatique et ne pas faire d’efforts nous-mêmes.»
Lui aussi s’applique ces nouvelles règles dans sa vie privée, en réduisant sa
consommation de viande, ou en préférant le vélo électrique à la voiture pour
aller travailler. Ce dernier sujet fait d’ailleurs sortir pour la première fois
Robert Vautard de son immuable volontarisme enthousiaste : «Je râle souvent
contre l’état des pistes cyclables qui ne sont pas considérées comme des voies de

circulation», se plaint-il. Avant de se reprendre en souriant : «Bon après, c’est
vrai qu’on a déjà de la chance d’en avoir.» Ou la énième preuve que le
climatologue voit toujours le verre à moitié plein.
Réchauffement climatique Giec Sécheresse Inondation
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