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Sommaire
Mensuel – N° 327 – Juillet 2020 – 5,70 €
8 à 15ActuAlité
Sociologie - Êtes-vousheureux?
Géographie-GéographiedelaCovid 19
16 à 21comprendre
Métamorphoses de l’épidémiologie
22 à 25entretien Avec…
Yehezkel Ben-Ari
Les 1000 premiers jours de notre cerveau
26 à 49 dossier
Les peuples premiers.
Qu’ont-ils à nous apprendre?
coordonné pAr lAurent testot
28 Peuplespremiers,autochtones,racines…
Dequiparle-t-on? lAurent testot
32 Où sont les peuples autochtones?
cArtogrAphie
34 Sont-ils sans impact sur la nature?
stéphen rostAin
36 L’origine des inégalités revue et corrigée
JeAn-FrAnçois dortier
38 Sont-ilspacifistes? christophe dArmAngeAt
40 Qu’est-ce que le chamanisme? chArles stépAnoFF
42 «Unjouren1989,lalumières’estéteinte…»
entretien Avec nAstAssJA mArtin
44 Que nous enseignent les médecines traditionnelles?
FrederikA vAn ingen
46 Comment défendent-ils leurs droits?
irène Bellier
48 Le tourisme en quête d’authenticité
JenniFer hAys
50 à 55réFérence
Burrhus Skinner. Les lois du comportement
56 lire Livre du mois, livres,
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Derek
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Nicolas
JourNet
COURRIER DES LECTEURS
N° 327
6 ScienceS HumaineS Juillet 2020
Mise au point sur «la mémoire
de l’eau»
L’article de Nicolas Gauvrit et Audrey Bedel, intitulé
«Faut-il douter de tout?», publié dans notre mensuel
n° 323 (mars 2020), a suscité une réaction critique de la
part de l’association Jacques-Benveniste
pour la recherche, qui incriminait le
paragraphe intitulé «Le mythe de la mé-
moire de l’eau» comme pouvant mettre
en doute la bonne foi du chercheur
Jacques Benveniste pour ses expé-
riences des années 1980 et suivantes.
Les auteurs de l’article et la rédaction
de Sciences Humaines s’associent pour
affirmer qu’ils n’ont nullement voulu
mettre en doute son honnêteté scien-
tifique. Le biais trompeur qu’ils entendaient souligner
était celui des médias qui, en validant prématurément les
résultats des expériences de J. Benveniste, ont accrédité
auprès du public la thèse de la «mémoire de l’eau» alors
que cette thèse allait à l’encontre des théories les mieux
établies et rencontrait une vive opposition de la part de
nombreux spécialistes. Les vérifications qui ont été me-
nées par la suite n’ont pas permis de trancher sur le fond,
c’est un fait, de sorte que le doute existe sur la reproduc-
tibilité des résultats de J. Benveniste. Mais il doit être bien
entendu que Sciences Humaines n’a en aucun cas cherché
à mettre en doute la bonne foi du chercheur, aujourd’hui
disparu, et dont la mémoire est défendue par l’association
du même nom. n N.J.
Indépendances gagnées
ou accordées?
De la part de Dominique Gentil, nous avons reçu une
remarque concernant le livre de Ian Kershaw chroniqué
dans notre numéro 325 (mai 2020):
Fidèle lecteur de Sciences Humaines,
j’ai acheté, sur votre conseil, le livre
de Ian Kershaw, L’Âge global. Le livre
est effectivement très intéressant mais
j’ai trouvé décevante l’analyse de la
décolonisation. On reste sur la doxa
habituelle: l’indépendance a été accor-
dée par les puissances coloniales.
La mobilisation du tiers-monde n’est
pas évoquée: la conférence de
Bandung en 1955 n’est pas mention-
née, ni les révoltes de Sétif (1945) en Algérie, ni celle de
Madagascar en 1947 avec sa répression et ses dizaines
de milliers de morts. Également oubliés: les révoltes
du Cameroun à partir de 1948 et jusqu’en 1971 avec
la répression féroce (les têtes coupées des «rebelles»
exposées sur les marchés, l’assassinat de Félix Moumié
par les services français à Genève en 1960), le sabo-
tage de la décolonisation en Guinée (le non-transfert des
archives), la gestion déplorable de la possibilité d’indé-
pendance au Vietnam (suite à l’attitude bornée de notre
représentant à Saïgon, Thierry d’Argenlieu, nommé par de
Gaulle), la répression féroce des Anglais au Kenya dans
les années 1950. Cordialement. n DomiNique GeNtil
Le livre de Ian Kershaw, sous-titré «L’Europe de 1950
à nos jours», est un récit des évènements politiques,
économiques et culturels survenus en Europe de l’Ouest
et de l’Est durant les 70 dernières années. Il consacre
une vingtaine de pages à la «disparition des empires» et
l’accès à l’indépendance des colonies anglaises et fran-
çaises après 1945. Je n’en fais pas la même lecture que
vous, car l’historien n’oublie pas de signaler que ces déco-
lonisations furent aussi le fruit de mobilisations civiles
ou de luttes armées souvent réprimées dans le sang. Les
morts de Sétif sont cités p. 117, la répression de la révolte
de Madagascar également, le Kenya des Mau-Maus est
évoqué p. 112, la guerre d’Indochine occupe les pages
118 et 119, celle d’Algérie les pages 120 à 123, le cas de la
Guinée est cité en page 123. La conférence Afrique-Asie
de Bandung (1955) et l’histoire violente de la décolonisa-
tion du Cameroun, il est vrai, ne sont pas évoquées. Mais
il est difficile d’en conclure que Ian Kershaw considère ces
indépendances comme une sorte de cadeau de l’Europe à
ses dernières colonies. n N.J.
Une laïcité pas assez critiquée
Monsieur Antoine Messarra, titulaire de la chaire
Unesco d’étude comparée des religions, de la média-
tion et du dialogue à l’université Saint-Joseph (Beyrouth),
nous a fait parvenir un commentaire développé en
réaction à notre dossier «Croire en Dieu aujourd’hui»
(n° 324, avril 2020). Faute de pouvoir le reproduire dans
son intégralité, je me permets d’en extraire deux points
importants.
Il oppose d’abord le principe de séparation qui gouverne
la laïcité «à la française» à celui de «distinction entre
temporel et spirituel». Citons-le: «Une approche anthro-
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Juillet 2020 ScienceS HumaineS 7
N° 327
resses
niversitaires de
ordeaux
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U
B
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pologique et pragmatique montre qu’il ne peut y avoir de
séparation entre religion et politique, mais délimitation
des frontières, aménagement des rapports, distinction entre
temporel et spirituel. Il ne peut y avoir de “séparation”
,
au sens de la séparation entre religion et État. Séparation
signifie rupture, disjonction, mur séparatif, cesser d’avoir
des relations… (Le Robert).»
Il ajoute cependant qu’il ne voit pas de «problème majeur
sur le plan constitutionnel et juridique dans la laïcité fran-
çaise aujourd’hui. Le problème est dans une mentalité fran-
çaise, athée, incroyante, anticléricale, hostile à la religion,
et qui se dit laïque».
C’est sur ce point que, selon lui, notre dossier peut être
mis en cause. En effet, tout en complimentant l’éditorial
«admirable, profond et nuancé» qui le précède, il re-
proche à nos auteurs de n’avoir pas «osé heurter une men-
talité malade d’une laïcité qui est bien gérée dans le droit
français, mais mal comprise au niveau des mentalités».
La laïcité fait l’objet de débats en France, qui exigent
chaque fois de rappeler que la «séparation» ne s’applique
pas aux religions, mais aux Églises, tandis que les pra-
tiques cultuelles sont protégées. Des zones de friction
existent, notamment dans la fonction publique, et des
«aménagements des rapports» sont mis en œuvre, signe
que le dialogue existe.
Notre dossier devait-il entrer dans les débats qui divisent
les confessions religieuses à l’intérieur d’elles-mêmes?
Car c’est de cela qu’il s’agit: favoriser certaines valeurs ou
pratiques sur la base de considérations religieuses exigerait,
pour un État prescripteur, de prendre parti entre différentes
tendances du christianisme, de l’islam et du judaïsme.
Tel n’était pas l’objet de ce dossier, ni celui de discuter les
enjeux de la laïcité, mais de souligner que, contrairement
à une prédiction souvent avancée, la foi religieuse n’avait
pas disparu de l’horizon quotidien de nombre d’habitants
de ce pays. Un constat capable de déplaire à la «mentalité»
dénoncée par notre correspondant. n N.J.
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ACTU
ÉDUCATION
N° 327
8 ScienceS HumaineS Juillet 2020
L’école au temps du coronavirus
Près d’un milliard six cents
millions d’élèves privés
d’écoleenraisonducoronavirus,
tel est le triste record enregistré
par l’Unesco à la fin du mois de
mars 2020. Rapidement, les
États concernés ont tenté de
minimiser l’impact de la suspen-
sion des cours. En France, c’est
le concept de «continuité péda-
gogique» qui est mis en avant.
Introduit par la circulaire du
13 mars, il se traduit «d’une part,
par la continuité des apprentis-
sages et, d’autre part, par le
maintien de contacts humains
entre les élèves et les profes-
seurs». Sa mise en œuvre s’est
néanmoins révélée délicate,
estime Philippe Meirieu, pro-
fesseur émérite en sciences de
l’éducation: «Il s’agit d’une cote
mal taillée entre une continuité
didactique, telle que le propose
classiquement le Cned, et une
continuité éducative où il s’agi-
rait de maintenir le contact et
stimuler l’intelligence de l’enfant
sans avancer de manière régu-
lière dans les programmes. »
En Suisse romande et en Bel-
gique francophone, où le terme
«continuité» a aussi été utilisé,
la confusion a été atténuée
par un cadrage des objectifs:
« Il ne s’agissait pas de faire
de nouveaux apprentissages
mais seulement des révisions»,
relate le psychopédagogue
Bruno Humbeeck, pour qui la
priorité était de limiter le stress
des familles. Un souci du vécu
psychologique des élèves qui a
aussi été à l’œuvre au Québec,
où deux semaines de vacances
exceptionnelles ont d’abord
été décrétées: «L’idée d’une
continuité comme si rien n’avait
changé n’a jamais été présente.
Il s’agissait au contraire d’un
temps de relâchement, pour
permettre aux familles de faire
face à la crise», analyse Chris-
tine Brabant, professeure d’édu-
cation à l’université de Montréal.
Un foisonnement
d’innovations
Au-delà de ces divergences, la
fermeture des écoles a donné
lieu à des pratiques similaires
dans les pays francophones
occidentaux, à commencer
par un maintien du lien avec
l’enfant par téléphone ou mail,
et l’envoi régulier aux familles
de propositions d’activités. La
plupart des États ont en outre
offert des ressources complé-
mentaires – «trousse pédago-
gique» hebdomadaire au Qué-
bec, activités ludo-éducatives
via la plateforme «Petit bazar»
dans le canton de Genève.
Proclamée dans de nombreux pays,
la continuité éducative a recouvert des réalités
variées. Petit tour d’horizon en francophonie.
Autre point commun, la mobili-
sation des chaînes de télévision
pour diffuser des émissions
éducatives, venue compléter
une dynamique globale de
recours aux outils numériques
– classes virtuelles et environ-
nements numériques de travail.
Cet engouement a donné lieu à
un foisonnement d’innovations
pédagogiques hétérogènes
que salue B. Humbeeck: «On
a vu plein d’enseignants s’es-
sayer à la pédagogie inversée
ou tenter des formes d’accom-
pagnement très individualisé: il
faudra faire un bilan pour capi-
taliser ce qui a bien marché.»
Mais la continuité pédago-
gique s’est aussi heurtée dans
tous ces pays à des obstacles
similaires, conduisant à une
redécouverte de l’ampleur des
inégalités sociales. Édouard
Gentaz, professeur d’éducation
à l’université de Genève, refuse
pourtant de s’en affliger: «Cette
période est un hymne à l’école
qui nous rappelle que sans
elle, l’éducation redeviendrait
un privilège réservé à ceux qui
disposent d’une chambre indi-
viduelle, d’un ordinateur, et de
quelqu’un qui accompagne les
apprentissages.» Un optimisme
que partage également P. Mei-
rieu, qui salue un regain d’intérêt
pour la relation de coéducation:
«Les parents ont redécouvert
la difficulté du métier d’ensei-
gnant; et les enseignants, le rôle
crucial des parents pour aider
leurs enfants à être autonomes
et persévérants.» n
Béatrice Kammerer
Michel
Clementz/Photo
PQR/L’Indépendant/MaxPPP
Un élève travaille chez lui
pendant l’épidémie
de Covid-19, à Perpignan.
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ACTU
ACTU
Juillet 2020 ScienceS HumaineS 9
N° 327
Des mains plus grandes qu’on croit
Les bilingues
ne sont pas
plus malins
que les autres
Parler plusieurs langues, c’est
bon pour le cerveau, selon
une méta-analyse de 2017…
démentie l’année suivante par
une autre revue de littérature
scientifique. En sciences
cognitives comme ailleurs,
produire un consensus prend du
temps. D’autant que la discipline
n’échappe pas aux effets de
mode: dès 2015, trois
chercheurs montraient que les
études concluant aux effets
bénéfiques du bilinguisme
avaient plus de chances d’être
publiées que celles qui
affirmaient l’inverse. Alors, faut-il
apprendre une deuxième langue
à son enfant pour améliorer ses
performances cognitives? Non,
d’après la dernière étude
sur le sujet. Ayant relevé des
biais dans les travaux de leurs
prédécesseurs – faible
échantillon, variables parasites,
etc. –, les chercheurs ont mené
une nouvelle série de tests
cognitifs sur plus de
11000 sujets de 18 à 87 ans,
tout en neutralisant cinq
variables (genre, âge, niveau
d’éducation, statut
socioéconomique et préférence
manuelle). Ils concluent qu’aucun
lien entre le nombre de langues
parlées et les performances
cognitives n’est significatif n h.a.
Emily Nichols et al., «Bilingualism affords
no general cognitive advantages.
A population study of executive function
in 11000 people», Psychological Science,
avril 2020.
PSYCHOLOGIE
On est toujours bien
mauvais juge de soi. Y
compris lorsqu’il s’agit de
percevoir la taille de nos
membres. Nous avons ainsi
tendance à surestimer la
dimension des membres les
moins riches tactilement, et
inversement à sous-estimer
la taille des plus sensibles,
comme la main. Les cher-
cheurs italiens ont tenté de
savoir si cette distorsion
existait déjà dans l’enfance.
78 enfants de 4 à 6 ans ont
été placés devant des
images de leur main, agran-
die ou rétrécie: ils devaient
alors désigner celle qui leur
semblait la plus proche de la
taille réelle. Résultat: ils ont
tendance à voir leur main
plus petite qu’elle est. Cette
distorsion est un peu plus
forte que dans le groupe
témoin des 78 adultes.
Comme le rappellent les
chercheurs, cette tendance
à minimiser la taille de la main
pourrait être une façon de
compenser la sensibilité plus
grande de ce membre, et
donc la plus grande «place»
qu’il occupe dans le cerveau.
Ils appellent à poursuivre les
travaux pour évaluer l’impor-
tance de cette distorsion à
d i v e r s e s é t a p e s d e
l’enfance. n
hélène Frouard
Serena Giurgola et al., «Perceptual
représentation of own hand zise
in early childhood and adulthood.
Scientific reportes», Nature, 2020.
Plus de 70 hippopotames
vivent aujourd’hui en
Colombie. Introduits illéga-
lement par le baron de la
drogue Pablo Escobar dans
les années 1980, les mam-
mifères africains ont proli-
féré sans que les pouvoirs
publics aient pu y faire quoi
que ce soit. Les animaux
auraient dû être abattus en
2009, mais le public s’y est
opposé. Pourquoi? Les hip-
popotames sont une espèce
particulièrement «charisma-
tique », contrairement aux
rats ou aux araignées ! Le
concept de « charisme »
d’une espèce animale reste
difficile à définir et surtout
très variable. Certains attri-
buts physiques (grande
taille, grands yeux, belle
fourrure…) semblent jouer
un rôle, mais l’image d’un
animal dépend toujours des
représentations sociétales.
Et ces représentations
pèsent lourdement. Mora-
lité : la régulation d’une
espèce animale ne peut se
faire sans prendre en
compte la psychologie
humaine. Les Australiens,
eux, n’ont pas eu de mal à se
mobiliser contre le crapaud
buffle… n
hugo alBandea
Ivan Jarić et al., «The role of
species charisma in biological
invasions», Frontiers in Ecology and
the Environment, avril 2020.
Stringer/Reuters
Quand les hippopotames
nous font les yeux doux
Des hippopotames dans une des anciennes propriétés de
Pablo Escobar en Colombie.
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ACTU
ACTU
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SOCIOLOGIE
N° 327
10 ScienceS HumaineS Juillet 2020
Êtes-vous heureux?
Depuis les
années 2000, les
chercheurs tentent
d’évaluer notre bonheur.
Une tâche difficile tant
ce sentiment est fugace.
Le regard que nous portons
sur le passé évolue en per-
manence, en fonction de notre
présent. Richard Easterlin,
pionnier de l’économie du
bien-être, montrait déjà dans
les années 1970 que les indi-
vidus réévaluent rétrospective-
ment leur bonheur passé en
fonction de leur situation maté-
rielle présente – par exemple
leurs revenus. Une étude
récente montre que le simple
fait d’être satisfait ou non de sa
vie à un moment donné
i n f l u e n c e a u s s i c e t t e
perception.
À partir d’une étude longitudi-
nale menée entre 1991 et 2009
auprès de 20000 citoyens bri-
tanniques, des économistes
du bonheur ont comparé le
bien-être déclaré à un ins-
tant T par les répondants et la
perception qu’ils s’en font l’an-
née suivante. Lors de chaque
vague d’entretiens, les partici-
pants ont été invités à situer
leur degré de satisfaction du
moment sur une échelle allant
de 1 à 7. Puis on leur deman-
dait s’ils se montraient plus,
moins ou également satisfaits
de leur vie par rapport à la der-
nière vague d’enquêtes. Dans
un peu plus de la moitié des
cas, le souvenir du bien-être
passé ne correspond pas à
la satisfaction que les répon-
dants avaient alors déclarée:
dans 17,3 % des cas, ils se
disent plus heureux que par
le passé, alors que leur niveau
de satisfaction n’a en réalité
pas augmenté. Les situations
inverses (les répondants rap-
portant un changement négatif
malgré un niveau de satisfac-
tion déclaré constant ou en
amélioration) sont plus rares:
7,7% des cas.
Entre nostalgie
et optimisme
Derrière cette tendance à voir
une évolution plus positive
qu’elle ne l’est en réalité se
cachent toutefois des dispa-
rités. On a tendance à sures-
timer la dégradation de son
bien-être lorsqu’on déclare un
degré de satisfaction faible.
Inversement, on surestime
l’amélioration lorsqu’on se
déclare satisfait.
Pour les chercheurs, ces
résultats ont des implications
politiques : l’illusion positive
qui place les personnes heu-
reuses sur une trajectoire plus
ascendante qu’elle l’est réel-
lement leur donne confiance
en l’avenir et les rend ouvertes
aux innovations. À l’inverse, les
personnes malheureuses qui
rêvent un passé plus heureux
qu’il l’était vraiment peuvent
être tentées d’y revenir, ce qui
pourrait en partie expliquer
leur plus grand pessimisme et
leur plus grande réticence au
changement.
L’étude menée par Alberto
Prati et Claudia Senik s’inscrit
dans un courant d’études sur le
bonheur qui connaît un boom
depuis les années 2000 : le
nombre d’articles et de livres
s’appuyant sur des enquêtes
d’opinion évaluant le bien-
être subjectif croît de façon
exponentielle. Cet intérêt pour
le bonheur ressenti est aussi
institutionnel : l’OCDE a par
exemple lancé en 2011 l’«indi-
cateur du vivre mieux», établi
selon onze critères objectifs et
subjectifs, dont la satisfaction.
La norme
des normes
En France, l’enquête de
conjoncture menée auprès
des ménages par l’Insee inclut
depuis juin 2016 un module
de questions sur le bien-être,
d’ailleurs utilisé par A. Prati
et C. Senik pour confirmer
leurs résultats. Que le bon-
heur soit devenu un objet
d’étude scientifique légitime
– il existe même un « indice
du bonheur mondial » – va
de pair avec sa consécration
comme valeur, un processus
qui s’amorce en France dans
les années 1950, s’amplifie
dans les années 1970 jusqu’à
devenir aujourd’hui la «norme
des normes ». Pour Rémy
Pawin, historien et auteur
d’une Histoire du bonheur en
France depuis 1945 (2013),
ce triomphe peut d’ailleurs
biaiser les études sur le bon-
heur: être heureux est devenu
si désirable qu’il est d’autant
plus difficile de se dire malheu-
reux devant un enquêteur! n
adèle cailleteau
Alberto Prati et Claudia Senik,
«Feeling good or feeling better?»,
HAL archives ouvertes, avril 2020.
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La France a-t-elle un pro-
blème avec son genre musi-
cal le plus populaire chez les
jeunes ? C’est la thèse que
défend le Guardian à partir de
deux actualités récentes : la
quasi-absence d’artistes hip-
hop parmi les nommés aux Vic-
toires de la musique et l’an-
nonce par le Snep, le syndicat
des industriels du disque, que
la «surexposition du répertoire
rap, hip-hop et R&B» dans les
meilleures ventes était en voie
d’être « corrigée ». Contraire-
ment à ses homologues améri-
cain ou britannique, le Snep a
arrêté de comptabiliser dans les
ventes les écoutes «gratuites»
(rémunérées par la pub) en
1 jeune sur 3 maltraité
sur Internet
Plus d’un tiers des jeunes de moins de 20 ans
déclarent avoir été insultés, harcelés ou menacés sur
Internet
à plusieurs reprises. Ce constat figure en tête d’une
enquête récemment rendue publique par l’institut
Montaigne et (curieusement) intitulée «Le péril jeune».
3000 jeunes de 11 à 20 ans, 1000 parents et autant de
citoyens panélisés ont été interrogés sur quatre aspects
critiques de la pratique du net: les cyberviolences,
les contenus choquants, les infox et l’usage des données
personnelles. Le tableau d’ensemble montre que
l’exposition déclarée par les jeunes est toujours
supérieure à ce que soupçonnent leurs parents. Ainsi,
46% des jeunes de moins de 15 ans déclarent avoir été
exposés au moins une fois à des contenus violents,
pornographiques ou racistes, ou encore incitant à des
jeux dangereux ou au terrorisme. Mais l’enquête montre
aussi qu’un quart des jeunes a proféré des insultes,
et qu’un sixième a fait circuler des rumeurs, des menaces
ou des photos offensantes. Des résultats qui montrent
l’importance de construire une éducation à Internet pour
les nouvelles générations. n
nicolaS journet
Institut Montaigne, «Le péril jeune», avril 2020.
Hommes et femmes
inégaux devant
la pénibilité au travail
La pénibilité au travail est un problème de santé publique qui
touche notamment les professionnels du tri des déchets. La
sociologue Leïla Boudra s’est intéressée à ce «sale boulot (…)
intense, répétitif, sollicitant physiquement et cognitivement». Grâce
à l’observation des chaînes de tri, elle montre que les conséquences
sanitaires sont différentes pour les hommes et pour les femmes.
Les premiers se placent assez spontanément en début de chaîne,
là où les déchets lourds et encombrants doivent être enlevés. Ils
contribuent aussi plus souvent à la manipulation des grosses
charges. Résultat: ils sont les principales victimes des accidents
du travail du secteur. Les femmes, elles, sont plus souvent en bout
de chaîne sur des postes qui réclament minutie et concentration.
Elles y sont surexposées «à des contraintes de rythme, à la répéti-
tivité des tâches et à une autonomie restreinte». Ces contraintes
peu visibles les condamnent à une moindre reconnaissance et une
plus grande invisibilité. n h.F.
Leïla Boudra, «Le tri des déchets ménagers. Inégalités de genre et santé au travail»,
Travail, genre et sociétés, n° 43, 2020/1.
La France méprise-t-elle ses artistes hip-hop?
streaming, qui dopent la popu-
larité des artistes hip-hop. Et ce
alors qu’en janvier dernier, le
média spécialisé DJBooth
sacrait Paris première ville hip-
hop du monde, avec plus de
2,6 millions d’albums vendus
en 2019 par ses artistes… Un
contraste qui, pour le quotidien
britannique, marque le fait que
le rap français constitue « la
bande-son d’une crise d’iden-
tité nationale » dans un pays
marqué par des « divisions
raciales amères». Voilà qui vient
à tout le moins confirmer l’inté-
rêt des études sur le hip-hop
français, cette «contre-culture
juvénile et banlieusarde »
– selon les mots de la socio-
logue Pauline Clech – qui est
devenue aujourd’hui un genre
musical dominant. n
jean‑marie pottier
Michael Oliver, «“You're not welcome”:
rap's racial divide in France»,
The Guardian, 22 avril 2020.
Pauline Clech, «Mobilités sociales
et rapports au pouvoir institutionnel:
une élite du hip-hop en banlieue rouge»,
Politix, n° 114, 2016/2.
Paris, 29 juin
2018. Oxmo
Puccino
en concert
à l’Olympia.
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ACTU
12 ScienceS HumaineS Juillet 2020
ACTU
ACTU
GÉOGRAPHIE
Infectiologues, épidémiologues, biologistes
travaillent activement pour comprendre
l’épidémie de Covid-19. Et si celle-ci dépendait
aussi des territoires?
Géographie de la Covid-19
Si la Covid-19 n’a épar-
gné aucun département
français, elle les a frappés de
manière très variable. Au 3 mai,
les plus touchés, dans le Grand
Est, frôlaient les 5 hospitalisa-
tions pour 1000 habitants, soit
dix à vingt fois plus que pour
les moins atteints, dans le Sud-
Ouest. Des statistiques dont
la recherche a commencé à
s’emparer pour calculer la part,
dans la pandémie, des carac-
téristiques socioéconomiques
des territoires.
Trois économistes d'universités
franciliennes, Mounir Amdaoud,
Giuseppe Arcuri et Nadine
Levratto, ont ainsi pointé une
influence aggravante de la den-
sité de population sur le nombre
d’hospitalisations et de décès
dus au virus dans les différents
départements (1). Influence
d’autant plus frappante que les
départements moins denses
ont une population plus âgée,
et donc un taux de mortalité
plus fort en temps normal.
Mais influence relative: les trois
chercheurs rappellent que la
géographie de l’épidémie reste
dépendante de ses foyers de
départ, les désormais célèbres
«clusters» qui ont ensuite conta-
miné les départements conti-
gus. Si la dense Haute-Garonne
compte beaucoup plus de cas
que l’Ariège ou le Gers voisins,
elle en compte beaucoup moins
que le Haut-Rhin, département
de même densité qu’elle mais
devenu un «cluster» après un
rassemblement évangélique mi-
février… Sur son blog, le géo-
graphe Olivier Bouba-Olga, qui
mène une analyse au quotidien
de la pandémie, estime que la
densité joue avant tout un rôle
dans un processus «cumula-
tif» de multiplication des cas,
dont la base reste avant tout les
«accidents historiques» (2).
Le type de densité
plutôt que la densité
Selon le géographe américain
Richard Florida, c’est par ailleurs
moins la densité qui compte
dans la contagion que le type
de densité (3). Cette réflexion
est aussi celle de M. Amdaoud,
G. Arcuri et N. Levratto, qui
démontrent qu'à densité com-
parable, une population qui
compte davantage d'ouvriers et
une répartition des revenus plus
inégale sera plus exposée aux
risques en raison de la poursuite
d’activité en période de confi-
nement. La comparaison entre
villes et quartiers des États-Unis
en est une bonne illustration:
San Francisco a été moins tou-
chée que New York, moins riche
et plus diverse socialement.
Et à New York, Manhattan, le
quartier le plus dense mais de
loin le plus riche, a été compa-
rativement moins frappé que
le Bronx ou Staten Island. Les
divisions raciales ont aussi joué:
à Milwaukee, une des villes les
plus ségréguées du pays, la
carte du coronavirus recoupe
pour l’instant mieux celle de la
couleur de peau que celle des
revenus (4)…
Pour penser la géographie du
coronavirus, il ne faut cependant
pas réfléchir uniquement en
termes de résidents mais aussi
de visiteurs. Aux États-Unis,
des lieux touristiques, comme
les stations de ski de l’Idaho
ou du Colorado, ont connu des
flambées virales incomparables
avec les territoires alentour. En
Espagne, une étude a relié la
dissémination du virus au retour
des étudiants madrilènes chez
leurs parents (5). En revanche,
M. Amdaoud, G. Arcuri et
N. Levratto n'ont pas identifié
de lien entre la proportion de
résidences secondaires et la
propagation du virus en France,
ce qui, écrivent-ils, amène «à
relativiser l’importance des
mouvements de population
intervenus au moment du
confinement», très médiatisés
à l’époque. n j.‑m.p.
(1) Mounir Amdaoud, Giuseppe Arcuri
et Nadine Levratto, «Covid-19: analyse
spatiale de l’influence des facteurs
socioéconomiques sur la prévalence et
les conséquences de l’épidémie dans
les départements français», laboratoire
EconomiX, avril 2020.
(2) Olivier Bouba-Olga, «La densité
favorise-t-elle l’épidémie?» (ép. 26),
blogs.univ-poitiers.fr/o-bouba-olga,
29 avril 2020.
(3) Richard Florida, «The geography of
coronavirus», citylab.com, 3 avril 2020.
(4) Joel Rast, «Milwaukee’s coronavirus
racial divide. A report on the early stages
of Covid-19 spread in Milwaukee
county», Center for Economic
Development, 21 avril 2020.
(5) Luis Orea et Inmaculada Álvarez,
«How effective has the Spanish
lockdown been to battle Covid-19?
A spatial analysis of the coronavirus
propagation across provinces»,
Fundación de Estudios de Economía
Aplicada, mars 2020.
N° 327
Andrew
Lichtenstein/Getty
New York,
avril 2020.
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ACTU
ACTU
Juillet 2020 ScienceS HumaineS 13
N° 327
HISTOIRE
La biodynamie,
une croyance bien enracinée
L’affaire Dreyfus
du pauvre
La revue Histoire de la justice
vient de publier les actes
du colloque de 2018 consacré
au thème «Punir et réparer».
Les travaux avaient notamment
abordé l’affaire Jules Durand.
En août 1910, les dockers
charbonniers du port du Havre
sont en grève. Leur leader, le
syndicaliste J. Durand, est alors
victime d’une machination:
à coup de faux témoignages
et de preuves fabriquées,
il est accusé à tort du meurtre
d’un ouvrier hostile à la grève
et est condamné à mort.
La mobilisation active
de nombreuses personnes
– syndicalistes, parlementaires,
dreyfusards etc. – lui évite
l’échafaud. Le syndicaliste sera
innocenté en 1918, mais
devenu fou, il mourra quelques
années plus tard dans un asile.
Ce scandale judiciaire
longtemps méconnu fait l’objet
d’un regain d’intérêt depuis
quelques années. Un inventaire
des sources disponibles,
présenté dans la revue, incitera
peut-être quelques historiens
à continuer les recherches sur
ce qui fut aux yeux des
contemporains «l’affaire
Dreyfus du pauvre». n h.F.
Claude Gauvard (dir.), Punir et réparer
en justice du 16e
au 21e
siècle,
La Documentation française, coll. «Histoire
de la justice», 2019.
C’est bien connu, si vous voulez que vos
cheveux soient vigoureux, il faut les
couper en Lune montante. De même que ce
sera le moment de planter vos radis. Et bien
sûr, il y a plus de naissances les soirs de
pleine Lune!
Depuis l’Antiquité, de nombreuses croyances
sont attribuées à notre unique satellite natu-
rel. Si elles perdurent toujours aujourd’hui, ce
n’est pourtant pas faute de réfutations. Dès le
17e
siècle, des agronomes comme Olivier de
Serres se sont interrogés. Et depuis qu’elles
ont été confrontées aux évaluations scienti-
fiques, ces croyances ont été systématique-
ment réfutées: non, le nombre de naissances
ne varie pas en fonction des phases de la
Lune, et on n’a trouvé aucune corrélation entre
pleine lune et taux de suicides.
Dans l’agriculture, l’influence de la Lune prend
un nouvel essor au début du 20e
siècle avec la
naissance de l’anthroposophie et son illustre
fondateur Rudolf Steiner. La modernisation
du monde agricole, la diffusion des machines
mécaniques perturbent le monde paysan;
certains souhaitent conserver une «agriculture
plus naturelle». Dans ses Cours aux agricul-
teurs (1924), R. Steiner publie ses recomman-
dations, faites de rituels (lune montante pour
les activités liées à la pousse, lune descen-
dante pour la récolte) et de diverses prépa-
rations de son invention. Telle par exemple la
«bouse de corne» fabriquée avec de la bouse
de vache, si possible gestante, insérée dans
une corne de vache puis enterrée tout un hiver
pour «capter les forces cosmiques». Ainsi est
née l’agriculture biodynamique, très en vogue
aujourd’hui, qui associe principes de R. Stei-
ner et pratiques de l’agriculture biologique.
Si les recherches scientifiques n’observent
pas de meilleurs résultats lorsque l’agricul-
ture biologique est réalisée en biodynamie,
peu importe!, conclut l’auteur de cette étude
dont on saluera à la fois la rigueur scientifique
mais aussi l’absence de tout préjugé: certes,
la biodynamie semble bien être associée à une
forme de pensée magique, mais «à l’heure
actuelle, malgré l’épandage de vessie de cerf
fermentée dans les champs, aucun risque
sanitaire lié à la consommation de produits
biodynamiques n’est identifié. Et les agricul-
teurs biodynamiques peuvent être par ailleurs
de très bons agriculteurs», ajoute-t-il. n
Flora Yacine
Jean-Jacques Ingremeau, «Cultiver avec la Lune:
superstition ou technique validée?», Science et
pseudoscience, n° 330, février 2020.
Zuma/Alamy
Le maraîcher
Aaron Dinwoodie
utilise les
techniques de
biodynamie dans
son exploitation
de Californie.
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ACTU
N° 327
14 ScienceS HumaineS Juillet 2020
ARCHÉOLOGIE
Quand les animaux font
de la préhistoire
Étudier les restes d’animaux
trouvés sur des sites
anciens d’occupation humaine
a toujours intéressé les archéo-
logues. Dans les années 1970,
les études du lien homme-ani-
mal connaissent un tournant
avec la création de laboratoires
dédiés à ces questions. En
France, François Poplin et
Jean-Denis Vigne œuvrent à
l’émergence de la discipline.
C’est avec la participation du
laboratoire qu’ils ont contribué
à fonder qu’une équipe interna-
tionale vient de perfectionner
les méthodes de datation des
os au carbone 14, afin de pou-
voir analyser des os de mammi-
fères jusqu’ici trop petits pour
être étudiés. Appliquées à
quatre sites archéologiques,
ces nouvelles techniques ont
bouleversé certaines chronolo-
gies précédemment établies.
Ainsi, à Lano, en Corse, elles
ont montré qu’un rongeur du
siècle dernier était venu se
nicher dans une strate de l’âge
du bronze, témoignant d’«une
inversion stratigraphique» sur
certaines zones du site : des
couches plus proches de la
surface étaient en fait plus
anciennes!
L’investigateur principal, Juan
Rofes, s’intéresse plus large-
ment à la recolonisation des
mammifères après la der-
nière glaciation. Par exemple,
certains types de rongeurs
peuvent témoigner d’une
société agricole et leur pré-
sence être associée à celui
d’un grenier. Comme l’explique
le bioarchéologue Antoine
Zazzo, l’un des coauteurs de
l’étude: «Les sociétés de pro-
duction composées d’éleveurs
ou d’agriculteurs sédentaires
ont quasiment totalement
remplacé les sociétés de “pré-
dation” composées de chas-
seurs-cueilleurs plus mobiles,
c’est très récent à l’échelle de
l’humanité. C’est un mode de
relation à l’environnement qui a
dominé et remplacé les autres
mais ce n’était pas le seul au
départ. Cela peut nous ame-
ner à interroger notre façon
de concevoir notre relation à
notre environnement, qui n’est
qu’une des nombreuses moda-
lités possibles.»
Possessions
symboliques
À l’autre bout du monde, en
Afrique du Sud, une équipe
s’est pour sa part penchée
sur les restes osseux de félins
nocturnes, chats sauvages,
léopards ou caracals, trouvés
dans un abri sous roche daté
du Paléolithique moyen (le
site a été occupé de -115000
à - 50 000). Elle a décou-
vert des traces de découpes
caractéristiques du retrait
Deux études récentes témoignent du dynamisme actuel
de la zooarchéologie. Une discipline qui explore les liens changeant
entre l’homme et son environnement.
des fourrures. Ces dernières
servaient à l’habillement ou
aux parures dans un contexte
où les sociétés humaines de
ces territoires commencent
à distinguer leurs identités
par des possessions symbo-
liques (œufs d’autruche gra-
vés, perles et donc fourrures).
Cette relation particulière entre
félins et groupes humains était
déjà attestée dans d’autres
régions du monde, notam-
ment en Europe, où des dents
de lion des cavernes percées
pour servir d’ornement ont été
découvertes, mais très peu de
preuves archéologiques d’une
telle relation avaient été docu-
mentées jusqu’à présent sur le
continent africain.
L’archéozoologie éclaire ainsi
divers pans des relations de
l’homme à son environnement.
Selon A. Zazzo, « étudier la
faune passée permet d’éva-
luer la perte de biodiversité.
Pour quantifier l’impact de la
prédation de l’homme sur son
environnement, il faut avoir des
référentiels. La discipline a
ainsi son rôle à jouer dans les
débats actuels sur les change-
ments environnementaux cau-
sés par les activités humaines.»
Une façon d’entrer dans notre
histoire par un trou de souris. n
chloé reBillard
Juan Rofes et al., «Detecting
stratigraphical issues using direct
radiocarbon dating from small-mammal
remains», Journal of Quaternary
Science, mai 2020.
Aurore Val et al., «Human exploitation
of nocturnal felines at Diepkloof Rock
Shelter provides further evidence for
symbolic behaviours during the Middle
Stone Age», Nature Research
Scientifics Reports, 2020.
Zooarchéologistes
sur un chantier
de fouille
à Inglewood,
Californie.
Katie
Falkenberg/The
Los
Angeles
Times/Getty
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ACTU
Juillet 2020 ScienceS HumaineS 15
N° 327
SCIENCE POLITIQUE
Donald Trump, profiteur
des deuils de guerre
Sauf grosse surprise, l’élection présidentielle américaine
du 3 novembre 2020 opposera Donald Trump à Joe
Biden. Comme Hillary Clinton, l’ancien vice-président de
Barack Obama s’était prononcé, fin 2002, en faveur de la
guerre en Irak en tant que sénateur
du Delaware. Une décision dont il a depuis admis qu’elle
constituait une «erreur». Reviendra-t-elle le hanter dans
les urnes face à un Trump qui s’est vanté d’une politique
étrangère musclée mais moins interventionniste et moins
encline aux «guerres stupides et sans fin» – selon
ses termes – que celle de ses prédécesseurs? Deux
chercheurs se sont récemment penchés sur l’impact
du bilan humain des guerres en Irak et en Afghanistan
sur le score de Trump en 2016, en comparant celui-ci avec le
score de Mitt Romney en 2012. Les républicains, qui avaient
notamment perdu du terrain dans les régions les plus
meurtries par la guerre lors des dernières années de la
présidence Bush, en ont regagné avec Trump de manière
«substantielle et significative». État par État, la progression
du candidat républicain en quatre ans a été d’autant plus
forte que la région concernée a payé un lourd tribut aux près
de 7000 morts des guerres en Afghanistan et en Irak: une
hausse d’une dizaine d’unités du taux de soldats morts dans
un État (qui tourne en moyenne autour de 20 morts pour
1 million d’habitants au niveau national) correspond
à une augmentation d’environ deux points du score
de Trump par rapport à celui de Romney. Un constat que
confirme une analyse statistique plus fine effectuée
au niveau des quelque 3000 comtés, ces subdivisions
de base de la vie politique américaine, en tenant compte
par ailleurs de leur profil plus ou moins «Trump-compatible».
Reste désormais à savoir si cet effet en faveur de Trump
se renouvellera en novembre prochain, après quatre ans
d’une présidence marquée par une alternance d’«impulsions
militaristes et isolationnistes». n j.‑m.p.
Douglas Kriner et Francis Shen, «Battlefield casualties and ballot-box defeat.
Did the Bush-Obama wars cost Clinton the White House?», PS: Political Science
& Politics, avril 2020.
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12-06-2020
Métamorphoses
de l’épidémiologie
Médecins, infirmiers, biologistes… et épidémiologistes. Depuis le début
de l’épidémie de Covid-19, les épidémiologistes ont été placés sur le devant de la
scène. Grâce à la puissance de leurs modèles mathématiques, ces professionnels
mal connus participent activement à la lutte contre cette maladie nouvelle.
16 ScienceS HumaineS Juillet 2020
N° 327
Hélène Fouard
3
0000 lits de réanimation? 100000
lits?Enmarsdernier,l’épidémiede
Covid-19 explose en France. Les
responsablesdeshôpitauxsuivent
anxieusement les prévisions élaborées
quotidiennement par les épidémiolo-
gistes. Rapidement, ces derniers sont pla-
céssouslefeudesprojecteurs.Desexpres-
sions comme « porteur sain » ou
«immunitédegroupe»entrentdansnotre
vocabulaire. Tous, nous découvrons les
subtilités d’une discipline mal connue,
l’épidémiologie. Celle-ci a pourtant une
longue et riche histoire. On en trouve les
prémices dès l’Antiquité, explique Joël
Coste, médecin et historien de la méde-
cine: «Dans le corpus hippocratique, qui
réunit des textes rédigés aux 5e
et 4e
siècles
avant notre ère, les livres des “Épidémies”
témoignent de bonnes connaissances sur
l’aspect collectif des maladies.» Les Grecs,
précise l’historien, associent avec finesse
certaines pathologies aux conditions cli-
matiquesougéographiques.C’estlecasdu
paludisme observé dans les zones maré-
cageuses, ou de nombreuses maladies
respiratoiresetdigestivesdontlecyclesuit
celuidessaisons.
Enregistrerlesmorts
Pour comprendre plus précisément ces
épidémiesmeurtrières,ilfauttoutefoisdes
données précises, notamment le nombre
de victimes. En Europe, certains pays se
Comprendre
mettentàenregistrernaissancesetdécèsà
partirdu16e
siècle.Dèsle17e
siècle,laville
deLondresyajoute«ledétaildesmaladies
et accidents» qui ont causé la mort. Voilà
qui permet à l’anglais John Graunt (1620-
1674) de mesurer pour la première fois les
picsdemortalitédusauxépidémies (1).
Mais les premiers vrais succès de l’épi-
démiologie datent du 19e
siècle – le mot
est d’ailleurs forgé à cette période. C’est
l’époque du chemin de fer, du bateau à
vapeur et de la réfrigération: le premier
navire à chambre froide (et à voiles) prend
lameren 1876.D’oùunecirculationaccrue
des hommes, des marchandises, et avec
eux des «maladies pestilentielles»: cho-
léra, fièvre jaune ou «peste d’Orient» (2).
Parallèlement,onassisteàune«avalanche
dechiffres»sansprécédent,pourreprendre
l’expression de l’épistémologue Ian Hac-
king. Brillance des étoiles, taille moyenne
des conscrits ou nombre de morts: tout se
mesure. Se développe alors une véritable
sciencedesmaladies,fondéesuruncroise-
mentastucieuxentrelesdonnéeschiffrées
de la mortalité et les enquêtes de terrain.
L’une des plus célèbres est celle de John
Snow à Londres (encadré p. 17). Comme
le notent les historiennes Anne Hardy et
Eileen Magnelo dans un dossier spécial
de Sozial und Präventivmedizin, cette
première épidémiologie est une science
fondée sur l’observation, qui utilise des
méthodes statistiques assez simples et fait
usage de beaucoup de bon sens (3). Elle
permetaufinaldefaireprogresserlesavoir
scientifique et d’affiner les stratégies de
lutte contre les épidémies, généralement
attribuéesaux«miasmes»quiflottentdans
l’air. À Bombay par exemple, un violent
épisodedepesteéclateen 1896.L’adminis-
trationparvientàlocaliserlesfoyersépidé-
miques,situésdansdesquartiersvétustes,
etlancedestravauxd’assainissementpour
yremédier (4).
LaBelleauboisdormant
Àlafindu19e
siècle,grâcenotammentaux
travaux de Pasteur, Eberth ou Koch, il est
enfinprouvéquelesmaladiesinfectieuses
sont provoquées non pas par l’environ-
nement, la mauvaise qualité de l’air ou la
pauvreté mais par de minuscules êtres
vivants, les microbes (nos actuels virus et
bactéries).Labactériologiedevientalorsle
brasarmédelaluttecontrelesépidémies:
ne suffit-il pas d’isoler le germe respon-
sable, et de protéger les populations par
une vaccination comme on sait le faire
pour la variole depuis des siècles? Peu à
peu, des maladies comme la diphtérie,
la rage ou la fièvre typhoïde cèdent du
terrain.«L’épidémiologieconnaîtalorsune
éclipse relative, explique l’historien Luc
Berlivet, elle est menacée de devenir une
sciencesubalterne,ancillaire.»Audébutdu
20e
siècle,l’undesesspécialistes,William
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Comprendre
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N° 327
Juillet 2020 ScienceS HumaineS
Roberto
Fumagalli/Marka/UIG/Getty
Wikimedia
Commons
Hamer, la comparera même à la Belle au
boisdormant,victimedusortilègejetépar
la bactériologie (5). Mais certaines mala-
diesnelivrentpassifacilementleursecret.
C’est le cas de la rougeole, dont le virus ne
seradécouvertqu’en 1954etlevaccinmis
au point dans les années 1960. De plus,
la bactériologie a bien du mal à expliquer
pourquoi les épidémies naissent ici plutôt
qu’ailleurs, telle année plutôt que telle
autre, et tuent les uns plus que les autres.
Des questions particulièrement aiguës
lors de la très grave pandémie de grippe
espagnole, une grippe H1N1 qui meurtrit
le monde en 1918-1919. Transmise par un
virus à l’époque inconnu, elle témoigne
brutalement des limites de la microbio-
logie et vient ainsi déstabiliser le modèle
bactériologique,expliqueJoëlCoste.
Lethéorèmedumoustique
Pour comprendre la dimension collec-
tive des maladies, l’épidémiologie a donc
En 1854, une épidémie de
choléra s’abat sur Londres.
Le docteur John Snow
soupçonne cette maladie
d’être due à un «poison»
circulant dans l’eau. Il se saisit
d’une carte de Londres et
reporte sur chaque immeuble
le nombre de morts. Il note,
aussi, la localisation des
différentes pompes à eau et
interroge des habitants sur
leurs habitudes quotidiennes.
Le croisement de ces
différentes données lui
permet de montrer que les
cas de choléra sont associés
à l’usage d’une des pompes à
eau. n H.F.
Center of Disease Control and
Prevention, «Principles of epidemiology,
third edition. Historical evolution
of epidemiology», octobre 2006.
www.cdc.gov/
Personnes dans une file
d'attente à l'entrée
d'un magasin d’alimentation
de Milan.
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Roosevelt est mort!
Comprendre
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Les titres de la presse au lendemain de la mort de Franklin Roosevelt,
survenue le 12 avril 1945 à la suite d'une hémorragie cérébrale.
encore de beaux jours devant elle. Une
nouvelle génération de chercheurs en est
convaincue.DélaissantlesrivesduGange
ou les taudis londoniens, ils empruntent
désormais leurs outils aux mathémati-
ciens et aux démographes. Comme l’ex-
plique l’un d’eux, Major Greenwood, cité
par l’historienne Olga Amsterdamska, les
maladies sont comme des villes: on peut
les découvrir en marchant dans la rue
et en étudiant leurs monuments les plus
illustres, ou bien par une vision globale,
en survolant la cité en aéroplane (6). C’est
ce que fait notamment Ronald Ross. Né
dans les Indes britanniques en 1857, il a
le premier compris que le paludisme (la
«malaria» des Anglais) est transmis par
des insectes, les anophèles: la découverte
lui vaut un prix Nobel en 1902. En 1911,
il établit ce qu’on appelle le «théorème
du moustique». Dans son article, paru
dans la revue Nature, il démontre par de
simples calculs qu’il suffit de faire baisser
la concentration d’anophèles en dessous
d’unseuilcritiquepourarrêterlaprogres-
sion de la maladie. Ses collègues Major
Greenwood et William Topley choisissent
pour leur part la voie de l’expérimenta-
tion animale en provoquant artificielle-
ment des épidémies dans des groupes de
souris de laboratoire. En faisant varier la
proportion de rongeurs immunisés pré-
sents dans chaque groupe, ils observent
qu’en dessous d’une certaine masse cri-
tique d’individus susceptibles de tomber
malades, l’épidémie se tarit. On retrouve
le même type de recherche dans les tra-
vaux des mathématiciens William Ker-
mack et Anderson McKendrick. Jusqu’ici,
rappellent-ils en introduction de l’article
paru en 1927 dans les Proceedings of the
Royal Society, on pensait que les épidé-
mies s’arrêtaient naturellement lorsque
toute la population était touchée, ou que
l’agent infectieux perdait de sa virulence.
Ils infirment ces théories en construisant
desmodèlesthéoriques.Ilscalculentcom-
ment évolue la proportion des individus
susceptibles de tomber malades, déjà
infectésounonconcernésparlamaladie,
qu’ilssoientmortsouimmunisés,enfonc-
tiondecertainsfacteurscommeladensité
de population ou le taux de mortalité. Ils
parviennent à prouver qu’une épidémie,
engénéral,setermineavantquetoutesles
personnes susceptibles de contracter la
maladiel’aientattrapée.
Ces raisonnements basés sur une com-
partimentation de la population en sous-
groupes fondent ce qu’on appelle encore
aujourd’hui le modèle SIR. Ils permettent
Le 12 avril 1945, le président
Roosevelt s’écroule, victime d’une
hémorragie cérébrale. Le pays est sous
le choc. L’événement met en lumière de
façon crue une évolution surprenante:
dans les pays riches, les maladies
cardiovasculaires sont devenues
la première cause de mortalité dans
le pays, détrônant les maladies
infectieuses. En France par exemple,
ces maladies cardiovasculaires tuent
«seulement» 1 Français sur 10
en 1906. Elles en abattent 1 sur 5
en 1930, et pratiquement 1 sur 2
(40%) en 1970 (1) ! L’épidémiologie
trouve là un nouveau terrain. Car, qu’il
s’agisse de choléra ou de cancer,
la question posée reste la même
qu’autrefois: comment une maladie se
diffuse-t-elle au sein de la population?
Peut-on identifier les conditions qui
expliquent sa progression? Enquêtes
de terrain et calculs statistiques sont
mobilisés pour comprendre les causes
de nouvelles maladies. Aux États-Unis,
une enquête est ainsi lancée en 1948
dans la petite ville de Framingham.
Des milliers d’habitants volontaires
sont questionnés à intervalles réguliers
sur leurs habitudes de vie et passent
– volontairement – des examens
médicaux. Les données recueillies
permettent de montrer qu’il y a un lien
statistique entre les problèmes
cardiovasculaires et l’hypertension
artérielle ou l’excès de cholestérol.
Une nouvelle épidémiologie est en train
de naître: il ne s’agit plus seulement
d’étudier la trajectoire des maladies
infectieuses, mais également les
causes – biologiques, génétiques mais
aussi sociales et comportementales –
des maladies. n H.F.
(1) Thierry Eggerickx et al., «L’évolution de la mortalité
en Europe du 19e
siècle à nos jours», Espace,
populations, sociétés, 2017/3.
Anthony
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Life
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Comprendre
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Juillet 2020 ScienceS HumaineS
de comprendre la dynamique des épi-
démies. Ce sont à eux que l’on doit par
exemple la notion d’immunité de groupe
dontonatantparlépourlaCovid-19– l’épi-
démie s’arrêtera probablement d’elle-
même lorsque 60% de la population aura
étéimmunisée.Maisàl’époque,ces«châ-
teauxdecartesmathématiques»sontpeu
accessibles aux contemporains: la maî-
triseenjouéedescalculsd’intégralesetdes
transformations de Laplace est un plaisir
auquels’adonnentpeudemédecins.
Unescienceglobalisée
Au tournant du 20e
siècle, l’épidémiologie
renforce aussi sa dimension internatio-
nale. Les États échangent leurs données
dans ce domaine, et construisent des
réseaux de surveillance. L’historienne
Céline Paillette détaille: «Les conférences
sanitaires internationales qui naissent
en 1851 se pérennisent en 1907, avec la
création de l’Office international de l’hy-
giène publique puis avec la Commission
des épidémies créée en 1920 au sein de la
Société des nations», l’OMS prenant le
relais en 1947. Voilà qui permet d’harmo-
niser les pratiques – par exemple la durée
de quarantaine des navires – mais aussi
de collecter et d’échanger des données
venantdumondeentier.L’effortestfacilité
dès 1893 par une classification interna-
tionale des maladies, fondamentale pour
homogénéiser les données. Elle conti-
nue aujourd’hui encore à représenter un
maillon essentiel de la lutte épidémique:
en avril 2020, l’OMS a publié un guide de
codage des décès dus à la Covid-19 pour
permettrel’agrégatdesstatistiquesdansle
mondeentier.Ladisciplinebénéficieaussi
depositionssolidesdanslemondeacadé-
mique et s’institutionnalise, profitant de
l’essor des politiques de santé publique
notamment aux États-Unis et en Grande-
Bretagne.AuxÉtats-Unis,souligneL. Ber-
livet,laphilanthropieaméricaine,notam-
mentlaRockefellerFoundation,«faitdela
professionnalisation de la santé publique
une de ses grandes priorités», contribuant
à créer en 1916 l’École d’hygiène et de
santépubliquedel’universitéJohns-Hop-
kins – en 2020, les cartes quotidiennes
d’évolution de la pandémie de Covid-19
produites par la Johns-Hopkins sont lar-
gement reprises par les grands journaux
comme Le Monde. La Grande-Bretagne
voit aussi émerger quelques grands pôles,
notammentàlaLondonSchoolofHygiene
andTropicalMedicine,elle-mêmeencore
trèsactiveen 2020.
Letabacdansleviseur
Après-guerre, notamment après le décès
brutal de Franklin D. Roosevelt en 1945
(encadré p. 18), les épidémiologistes com-
mencent à s’aventurer hors du domaine
infectieux. Les maladies cardiovascu-
laires ou le cancer, par exemple, entrent
dans leur orbite. Une expérience fon-
datrice est menée en Grande-Bretagne
en 1947. Suite à une augmentation du
nombre de cas de cancers du poumon, le
Medical Resarch Council enquête auprès
de divers patients, victimes ou non de
cette affection. Tous sont interrogés sur
leurs habitudes de vie (7). Les résultats
sont sans appel: les victimes de cancers
pulmonaires se distinguent des autres
patients par leur plus forte consomma-
tion de tabac. Ces résultats sont confor-
tés par une enquête prospective menée
à partir de 1951: 36000 médecins sont
suivis régulièrement. Dès 1954, au grand
dam des marchands de cigarettes, l’étude
prouve sans équivoque que le tabac est
un cancérigène majeur pour l’homme.
De son côté, le suivi de plusieurs milliers
d’Américains permet de montrer le rôle
du diabète et de l’hypertension dans les
maladies cardiovascultaires (encadré
p. 18). La nouvelle épidémiologie acquiert
là ses titres de noblesse, non sans peine:
«Dans les années 1950, souligne l’histo-
rien L. Berlivet, certains épidémiologistes
se sont élevés contre le fait qu’on puisse
parler d’épidémiologie pour autre chose
que des maladies infectieuses.» Les réti-
cencescèdentdevantlapuissancedecette
nouvelle approche qui permet de mieux
comprendrecesmaladiesdites«multifac-
torielles», et explorer leurs causes variées
– génétiques,comportementales,sociales,
etc. On parlera désormais d’épidémie de
cancer, d’obésité, de diabète. Voilà qui
devient la branche phare de l’épidémio-
logie, qui connaît alors ses «trente glo-
rieuses»selonl’expressionemployéeparle
professeurArnaudFontanetdanssaleçon
inaugurale au Collège de France en 2019.
En France, en 2020, note J. Coste, «la très
grandemajoritédeséquipesderechercheen
épidémiologie se consacre à ce type de tra-
vaux»– quecesspécialistesviennentdela
biologie, de la médecine, de la pharmacie
oudesmathématiques.
L’ombredelachauve-souris
Bienquemoinsprésente,l’épidémiologie
des maladies infectieuses continue pour
autant. Les recherches de modélisation
«sont peu visibles mais se poursuivent»,
selon L. Berlivet. Par ailleurs, les dispo-
sitifs de surveillance s’améliorent: l’OMS
metainsienplaceen 1947unmécanisme
de surveillance de la grippe. Reste, aussi,
l’importanttravailmenéparlesépidémio-
logistes «en chaussures de cuir»: arpen-
tant sans relâche l’Afrique, l’Amérique
latine, l’Asie, ils repèrent sur le terrain les
démarrages des épidémies et mettent en
placedesstratégiesdelutte– nondénuées
parfoisd’arrière-penséesgéostratégiques.
En 1980,laterriblevarioleestainsilapre-
mière maladie au monde officiellement
éradiquée. Mais l’enthousiasme est de
courte durée. Sida, Ebola, MERS-CoV:
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Santé
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Kitsa
Musayi/Picture
Allince/Getty
l’arrivée des maladies infectieuses émer-
gentes, provenant souvent d’animaux,
commelachauve-souris,réveillel’inquié-
tude. «Avec ces nouveaux virus, explique
L. Berlivet, on voit revenir sur le devant de
la scène une épidémiologie des maladies
infectieuses, avec une forte légitimité, qui
renoue d’une certaine façon avec ce qui
était pratiqué au 19e
siècle ou dans l’entre-
deux-guerres: recherche étiologique, tra-
vaildesurveillance,traçagedesréseauxde
contactsdespersonnesinfectées,etc.»
Une tradition toutefois renouvelée par
d’importantes avancées théoriques. C’est
le cas par exemple de la notion de R0
,
dont l’épidémiologiste et historien des
sciences Hans Heesterbeek relatait l’his-
toire en 2002 dans la revue Acta Biotheo-
retica. Le R0
désigne le nombre moyen de
personnes qu’infecte un malade. Présent
de façon sous-jacente dans les travaux
de l’entre-deux-guerres, il est formalisé
en 1975etestaujourd’huiunedonnéecen-
traledesmodélisationsépidémiologiques.
Son calcul est également complexifié:
lorsqu’il s’agit d’explorer l’épidémie de
sida par exemple, il paraît vite absurde
d'appréhender la population comme un
ensemble homogène. Dès l’origine, par
exemple, la communauté homosexuelle
apparaît particulièrement touchée. D’où
l’identification de sous-groupes de popu-
lation. D’autres pistes sont explorées:
recours à l’anthropologie pour mieux
comprendrelesfaçonsdontlespersonnes
se côtoient et s’infectent; volonté d’obser-
verlesvirusàl’échelleglobale,enincluant
les questions environnementales ou cli-
matiques; ou plus récemment utilisation
des outils génétiques comme l’expliquait
A. Fontanet lors de sa leçon inaugurale
auCollègedeFranceen 2019:en 2017,des
prélèvements du virus Ebola, effectués
dans divers lieux lors de l’épidémie qui
avaitéclatétroisansplustôt,ontétérepris.
Le génome du virus a été séquencé: ses
petitesvariationsontpermisdeconstruire
un«arbregénéalogique»duvirus,etdonc
de reconstituer sa diffusion sur le terrain
– la méthode a été récemment utilisée
dans l’épidémie de Covid-19 (8). Enfin, on
développe depuis quelques années des
modèles «multiagents»: plutôt que de
réfléchir à partir de «compartiments» de
population, on simule informatiquement
les interactions de millions d’individus
entreeux.Pourplusderéalisme,onajoute
parfois à l’ensemble une dose de hasard.
L. Berlivet estime d’ailleurs qu’un des
enjeux théoriques de l’actuelle épidémie
est «de savoir si cette discipline va rester
inscrite dans la tradition épidémiologiste
classique, ou bien si elle va être transfor-
mée, y compris au plan institutionnel, par
l’essor des datas sciences et de l’analyse des
systèmescomplexes».
Lesaléasdesprojections
Malgréleurfinessedeplusenplusgrande,
lesprojectionsdesépidémiologistescom-
portent nécessairement des marges d’er-
reur. C’est particulièrement vrai lorsque
les maladies sont mal connues. Lors de la
«maladiedelavachefolle»,quidébuteen
Grande-Bretagne en 1986, les premières
estimations nationales du très honorable
ImperialCollegeétaientde136000 morts,
rappelait A. Fontanet. La durée d’incu-
bation était en effet inconnue. Une fois
cette donnée améliorée, les modèles se
sont montrés beaucoup plus proches du
nombre réel de décès (177 morts). L’an
dernier, une équipe a réalisé une analyse
rétrospective des modèles utilisés lors de
l’épidémieEbolaen2014-2015:elleamon-
tré que ceux-ci étaient pertinents, mais
seulement à très courte échelle, compte
tenu des nombreuses inconnues (9).
Les mêmes questions se posent pour
la Covid-19, dont de nombreux aspects
restent dans l’ombre: combien de temps
dure l’incubation? Peut-on transmettre
lamaladieenétantasymptomatique?Les
formesgravestouchent-ellesauhasardou
non? Interviewé en mars dernier par la
revue Science, l’épidémiologiste William
Hanage, de Harvard, invitait les hommes
politiques à prendre avec précaution des
modèles qui reposent sur de nombreuses
inconnues (10). C’est un peu, concluait-il,
MOT CLÉ
épidémie
Désigne en grec ancien tout à la fois
le séjour dans un pays, l’arrivée
d’une personne, de la pluie, ou la
propagation d’une maladie.
épidémiologie
Ce terme apparaît au 19e
siècle. Né
à l’occasion des épidémies
infectieuses, il désigne aujourd’hui
l’étude de la répartition et des
déterminants des maladies dans la
population.
Beni (Congo), 1er
mai 2019. Un hygiéniste de la lutte contre Ebola.
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Comprendre
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comme si on décidait de chevaucher un
tigre sans savoir où il est, quelle taille il
fait, ou même combien exactement de
tigresonaàaffronter...
D’autrepart,lesmodèlesdépendentpour
beaucoup de la qualité des statistiques.
Or celles-ci sont toujours complexes à
construire.Onl’avuaveclalenteurmiseà
intégrercorrectementlenombredemorts
des Ehpad. Le problème se pose aussi
pour les personnes décédées à domicile:
les certificats de décès permettent-ils
d’identifier avec certitude les causes de la
mort en l’absence de test? Enfin, certains
payspeinentàteniràjourcescomptabili-
tésquotidiennes.
«Tous les modèles sont faux, mais certains
sont utiles», aimait à plaisanter le statis-
ticien George Box. Face aux projections
de mars dernier, qui évaluaient jusqu'à
300000 à 5000000 le nombre de morts
en France en l’absence de mesures de
prévention et d'endiguement, l'épidémio-
logue Simon Cauchemez concluait pour
sa part: «S’il y a une situation où je serais
heureux que les modèles se trompent, c’est
celle-là (11).» n
(1) Jean-Marc Rohrbasser, «John Graunt et les
bulletins de Londres: une statistique de la mortalité
au 17e siècle», Dix-septième siècle, n° 243, 2009/2.
(2) Pierre Corvol, Pascal Griset et Céline Paillette,
«L’épidémiologie entre le terrain des épidémies
et l’approche populationnelle, 19-20e
siècle»,
Médecine/sciences, novembre 2019.
(3) Anne Hardy et Eileen Magnello, «Statistical
methods in epidemiology: Karl Pearson, Ronald Ross,
Major Greenwood and Ausint Bradofrd Hill,
1900-1945», Sozial und Präventivmedizin, n° 47, 2002.
(4) Vanessa Caru, Des toits sur la grève. Le
logement des travailleurs et la question sociale à
Bombay (1850-1950), Armand Colin, 2013.
(5) William Hamer, «The epidemiology of
cerebrospinal fever», Proceeding of the Royal
Society of Medicine, 1917.
(6) Olga Amsterdamska, «Demarcating
epidemiology», Science, technology & Human
values, hiver 2005.
(7) Luc Berlivet «Les médecins, le tabagisme et le
Welfare State. Le gouvernement britannique face
au cancer (1947-1957)», Annales. Histoire, Sciences
Sociales, 2010/1.
(8) Kai Kupferschmidt, «Les routes du Covid-19
révélées par les gènes», Pour la science,
25 mars 2020.
(9) David Adam, «The simulations of world’s
response to Covid-19. How epidemiologists rushed
to model the coronavirus pandemic», Nature, 2 avril
2020.
(10) Martin Enserink et Kai Kupferschmidt,
Pour aller plus loin…
• «Histoire de l’épidémiologie des facteurs
de risque»
Dossier spécial, Revue d’histoire des sciences,
2011/2.
• «History of epidemiology»
Série spéciale, Sozial und Präventivmedizin, n° 46,
2001, et n° 47, 2002.
• «Histoire de l’épidémiologie. Enjeux passés,
présents et futurs»
Comité pour l’histoire de l’Inserm, Les Cahiers
du Comité pour l’histoire de l’Inserm, n° 1, 2020.
www.ipubli.inserm.fr/
• «Principles of epidemiology, third edition.
Historical evolution of epidemiology»
Center for Disease Control and Prevention
(www.cdc.gov), octobre 2006.
• «Épidémiologie»
Luc Berlivet, in Didier Fassin et Boris Hauray, Santé
publique. L’état des savoirs, La Découverte, 2010.
• De Galton à Rothman. Les grands textes
de l’épidémiologie au 20e
siècle
Alain Leplège, Philippe Bizouarn et Joël Coste,
Hermann, 2011.
«Mathematics of life and death. How disease models
shape national shutdowns and other pandemic
policies», Science, 25 mars 2020.
(11) Chloé Hecketsweiler et Cédric Peitralunga,
«Coronavirus: les simulations alarmantes des
épidémiologistes pour la France», Le Monde,
15 mars 2020.
Clapiers (Hérault),4 mai 2020. Dans un ehpad proche de Montpellier. Deux personnes viennent voir leur mère pour la première fois
depuis le debut de la crise.
IP3
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22 ScienceS HumaineS Juillet 2020
Entretien
L
atrajectoiredevieetdecarrièredeYehezkel
Ben-Ari est singulière, à l’image de ses
domaines de recherche. Après une nais-
sanceenÉgypteetdesétudessupérieuresen
Israël,c’estenFrancequ’ilfinitparposerses
valisesdechercheur.Cettebiodiversitédesculturesdans
laquelle il a baigné l’a encouragé à sortir du rang et à
innover loin des modes et des enjeux politiques. Après
s’être intéressé à l’épilepsie durant de nombreuses
années, sa nomination à la direction de l’unité de
recherche de la clinique Port-Royal lui ouvre les portes
d’un nouvel univers: celui de la biologie du développe-
mentfœtaletnéonatal.Dèslors,ils’attelleàl’analysedu
cerveau du fœtus pendant la grossesse et l’accouche-
ment. Dans la continuité, il fonde deux entreprises de
biotechnologies.L’uneapourvocationdecomprendreet
traiter l’autisme (Neurochlore) et l’autre, la maladie de
Parkinson(B&ATherapeutics).Àl’aubedeses76 ans,et
autermedequaranteannéesderecherchesenneurobio-
logie, sa fascination pour le cerveau reste intacte et son
Yehezkel Ben-Ari, père du concept
de «neuroarchéologie»,
s’est taillé une réputation
mondiale grâce à ses découvertes
sur la maturation cérébrale des
fœtus et des bébés. Selon lui, notre
santé mentale se joue en partie
in utero, dans cette période
risquée où se bâtissent les
fondations de notre cerveau.
Entretien
activitétoujoursaussibouillonnante.Ilacrééuninstitut
de recherche, l’institut Ben-Ari de neuroarchéologie,
pour déterminer comment naissent in utero nombre de
troubles neurologiques et psychiatriques. Son but:
encourager, stimuler et financer des recherches inno-
vantesdansdesdomainesimportantsdesantépublique
souventignoréesparlescircuitsclassiques.«Àl’instarde
la nature, ma carrière est faite d’expériences, de tâtonne-
ments, d’essais et d’erreurs », résume-t-il. Aussi ne
manque-t-ilpasdeciterleTalmud,selonlequel«ladiffi-
culté n’est pas de trouver la réponse, mais de poser la
bonnequestion».
Vousavezdéveloppéunconcept,la
«neuroarchéologie»,poursoulignerlelienentre
unemauvaiseconstructionducerveauinutéroet
ledéveloppementultérieurdecertainesmaladies
psychiatriquesetneurodéveloppementales.Que
savons-nousdecemécanisme?
Nous savons que le cerveau du fœtus est en pleine
construction et qu’il est extrêmement actif et vulné-
rable. En cas d’attaque (certaines mutations géné-
tiques, un stress important, une prise de certains
médicaments,laconsommationd’alcool,l’exposition
à des pesticides…), ce cerveau en plein chantier est
agressé. Son processus de construction est altéré
avecdesneurones«malconnectés/malplacés».Mon
hypothèse de départ, qui a depuis été confirmée par
desrecherchesexpérimentales,estqu’ilexisteunlien
entre ces défauts de maturation neuronale in utero
et le développement des pathologies neurologiques
et psychiatriques. J’ai proposé que ces neurones,
« mal placés/mal connectés », ne mûrissent pas,
générant des activités immatures qui perturbent les
oscillations cérébrales et les capacités intégratrices
du cerveau et qui sont la cause des syndromes. Les
signescliniquesdelamaladievontsemanifesterbien
plus tard sans que nous comprenions exactement les
Yehezkel Ben-Ari
Les 1000 premiers
jours de notre cerveau
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12-06-2020
causes de ces délais qui parfois peuvent prendre des
décennies.
Laneuroarchéologie,c’estlarecherchedescausespro-
fondes et anciennes des maladies neurologiques. Pre-
nonslamétaphoredubâtiment:sivousvousapercevez
que l’une des tours de l’édifice est penchée, vous allez
comprendre que l’un des maçons a mal travaillé. La
tour penchée viendra signifier un défaut de construc-
tion de l’édifice. De même, la maladie vient signifier
que le cerveau a subi une déviation maturative, une
altération précoce (qu’elle soit génétique ou environ-
nementale) alors qu’il était en pleine construction.
Commentenêtes-vousarrivéàdetelles
conclusions?
Avec mes collègues, j’ai découvert que les neurones
immatures ont des taux élevés de certains ions et en
particulier de chlore, ce qui vient modifier fondamen-
talement leurs activités. Ensuite, nous et beaucoup
d’autres laboratoires avons découvert que dans un
grand nombre de maladies (telles que la maladie de
Parkinson,lachoréedeHuntington,laschizophrénie,
l’autisme,l’épilepsieinfantile,leretardmental,etc.),les
neuronesaltérésparl’agressiondurantlavieintra-uté-
rine restaient bloqués dans un état immature, venant
produire des activités électriques immatures dans le
cerveaudel’adulte.Pourquoi?Carpendantlamatura-
tion cérébrale, il y a des séquences de développement
qui sont interrompues par l’évènement pathologique
inaugural. En d’autres termes, les neurones, qui sont
restés jeunes dans le cerveau adulte faute de matura-
tion, vont générer des courants électriques jeunes et
non adultes. C’est précisément là que se situe l’origine
de la maladie. C’est un peu comme si la montre s’était
cassée in utero et qu’elle était restée figée dans le
temps, conservant son immaturité en émettant toute
la vie des signaux électriques incohérents.
Ces troubles ne naissent donc pas avec l’émergence
des premiers symptômes, mais bien avant, durant la
vie intra-utérine. Cette thèse a été démontrée par de
nombreuses recherches en épidémiologie et en ima-
gerie cérébrale. On a pu par exemple constater que les
patients qui étaient atteints de la maladie génétique
de la chorée de Huntington présentaient des anoma-
Juillet 2020 ScienceS HumaineS 23
N° 327
Entretien
YEHEZKEL BEN-ARI
Chercheur en neurobiologie,
spécialiste des processus
de maturation cérébrale
et des maladies
neurodéveloppementales.
Il a fondé l’Institut
de neurobiologie de la
Méditerranée à Marseille
et dirige la fondation
et le centre Iben dédiés
à la maternité et à l’autisme.
Le professeur Ben-Ari
a reçu le Grand Prix
de recherche de l’Inserm
en 2009. Il est notamment
l’auteur de l’ouvrage
Les 1000 premiers jours
(HumenSciences, 2020).
Son blog: https://
leblogdebenari.com/
@
Partice
Latron
/
Inserm
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Entretien
lies cérébrales bien avant l’apparition des premiers
symptômes. Quand on va consulter son médecin, ça
faitdoncbienlongtempsquelamaladies’estinstallée!
Quelssontlesdangersauxquelsestexposé
lecerveauinutero?
Ces dangers sont très nombreux. Il y a tout d’abord
les pesticides, dont la toxicité a été démontrée. Des
données épidémiologiques de 2014 montrent ainsi
que l’incidence de l’autisme est plus importante
chez le bébé dont la mère vivait, pendant la gros-
sesse, à 1,5 km ou 2 km d’un champ d’épandage
de pesticides (1). Par ailleurs, certaines molécules
quotidiennement utilisées (telles que les parabens,
le triclosan, le bisphénol A, le plomb, le mercure…)
agissent comme des perturbateurs endocriniens,
venant notamment vulnérabiliser l’humain face aux
maladies (2). Celles-ci ont un impact négatif sur les
processusdematurationcérébrale,notammentdans
le cadre de leurs méfaits sur le système thyroïdien.
Toutefois, il est fort probable que d’autres méca-
nismes,outreceuxliésàlathyroïde,soientimpliqués.
Sont également incriminés les phtalates, les cosmé-
tiques, les produits ménagers (3), les anxiolytiques (4),
le stress. Les recherches menées durant ces der-
nières années soulignent la grande vulnérabilité des
réactions cellulaires et des processus spécifiques
essentiels à la maturation cérébrale face aux pro-
duits chimiques. Et ce à des seuils bien plus faibles
que ceux qui sont toxiques pour le cerveau de la
mère. Certaines molécules à des fins thérapeutiques
prises par la mère peuvent aussi avoir un impact. Par
exemple, la prise de molécules antiépileptiques par
la mère pour bloquer ses crises, pendant la grossesse,
vientaffecterlamigrationdeneuronesessentielleàla
bonne construction du cerveau, pouvant engendrer
des malformations cérébrales et des maladies neu-
rologiques et psychiatriques. Il faut savoir que la liste
des molécules et des agents qui peuvent être toxiques
pour le cerveau du fœtus ne cesse de s’accroître. Le
scandale sur la Dépakine (5) nous confirme à quel
point il est essentiel de développer une pharmacopée
spécifique de la maternité et déterminer les effets
des molécules sur la gestation. Car des molécules
peuvent ne pas avoir d’effets secondaires en dehors
de la grossesse et en avoir sur le fœtus. On sait par
ailleurs que les virus de la grippe, de la rougeole, du
cytomégalovirus augmentent le risque d’autisme et
de schizophrénie chez le nouveau-né et l’enfant (6).
Lagrossesseestdoncunepériodecritiquequidevrait
faire l’objet de mesures de protection plus affirmées
(commeparexemplel’éloignementdesourcesdepol-
lutionetdepesticides,l’absencedeconsommationde
drogues de confort, de stress excessif...).
Vousémettezquelquesréservesàl’égarddela
génétique…
La génétique a aujourd’hui tendance à imposer sa
vision de l’humain. Or, la nature tient compte en per-
manence de l’environnement. Le concept même de
«neuroarchéologie»soulignel’importancecapitalede
l’environnement dans la construction cérébrale.
Il existe très peu de mutations génétiques qui vous
font systématiquement tomber malade quoi que vous
fassiez et le plus souvent, elles ne concernent que des
maladiesrares.Laplupartdestroublespsychiatriques
ne sont d’ailleurs pas d’origine génétique, contraire-
ment à ce que l’on raconte. Il serait plus juste de parler
éventuellement de «susceptibilité génétique». Dans
l’autisme par exemple, plus de 800 mutations géné-
tiquessontaujourd’huiidentifiéesetunfaiblenombre
d’entre elles sont sine qua non associées à la maladie.
Dans la maladie de Parkinson, seulement 2% des per-
sonnes qui en souffrent ont une cause génétique, les
autres n’en ont pas (il en est de même pour la maladie
d’Alzheimer, la schizophrénie…).
De plus, identifier des mutations génétiques impli-
quéesdansdesmaladiescérébrales,commel’autisme,
a peu d’utilité sur un plan thérapeutique. D’abord, car
la grande majorité des gènes qui sont impliqués dans
certaines maladies, dont l’autisme, exercent des fonc-
tions essentielles dans le développement du cerveau
et vont donc impacter sa construction. Restaurer le
mauvais gène qui a causé la maladie s’avère quasi
impossible (il faudrait faire de la thérapie génique in
utero) afin de soigner le problème à la racine et éviter
les neurones mal placés! De plus, quand le diagnostic
d’autisme est effectué – en moyenne à 4,5 ans –, cela
fait belle lurette que les altérations cérébrales ont eu
lieuetonnepeutpasrevenirenarrièreetreconstruire
le cerveau.
Commentpeut-ontraitercesmaladiesdont
l’originesesituedesmois,desannéesvoiredes
décenniesenamont?
Bien entendu, on ne peut pas intervenir durant la vie
intra-utérine!Maisilrestepossibledetraiterlesmodi-
fications qui sont survenues à cause des agresseurs.
Deux perspectives de traitement sont envisageables.
Entretien
N° 327
24 ScienceS HumaineS Juillet 2020
(
Quand le diagnostic d’autisme est
effectué, cela fait belle lurette que les
altérations cérébrales ont eu lieu.
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Tout d’abord, dans le cas de l’épilepsie par exemple ou
des tumeurs centrales bien identifiées, on peut recou-
rir à une imagerie de très haute précision pour identi-
fier les tissus cellulaires abîmés et les supprimer avec
de la chirurgie. Et de préférence le plus tôt possible,
avant que leur comportement inadapté contamine
le reste du processus de construction, pendant les
premières années de vie. Cette chirurgie ne peut être
menéequ’aumomentoùlaplasticitéducerveauetses
capacités réparatrices sont à leur apogée.
Une seconde perspective thérapeutique est celle des
agents pharmaceutiques. Sachant que la maladie naît
du comportement électrique aberrant des cellules
immatures,l’objectifestdedévelopperdesmolécules,
des médicaments capables de bloquer uniquement
les courants immatures dans le cerveau adulte, sans
affecter le reste du cerveau. Utilisant cette stratégie,
nous sommes arrivés avec mon collègue et ami Éric
Lemonnier à traiter avec succès des centaines d’en-
fants ayant un trouble du spectre autistique (TSA) en
utilisant un agent qui restaure des taux bas de chlore
(la bumétanide). Après plusieurs essais cliniques
réussis, nous sommes en train de réaliser une phase 3
pédiatrique finale.
Vousœuvrezdoncenfaveurd’undiagnostic
précocedesmaladies?
Bien sûr, car le cerveau se débrouille très bien quand
il est petit, mais moins après. Petit, il parvient à se
modifier, à s’adapter aux agressions. Il est de très loin
l’organe le plus plastique que nous ayons.
Un exemple frappant: certains bébés naissent avec
une moitié du cerveau énorme et l’autre petite (il
s’agit du syndrome de l’hémimégalencéphalie). Si,
dans le cadre d’une neurochirurgie, en enlève la par-
tie du cerveau qui est surdéveloppée, l’autre moitié
récupère les fonctions, même celle du langage! De
la même façon, une vision défectueuse diagnosti-
quée tôt chez le bébé doit être réparée tôt avec des
lunettes afin d’éviter que le cerveau se branche avec
cette vision défectueuse comme étant la bonne. De
la même manière, l’autisme est un syndrome qui
handicape les relations sociales que nous apprenons
dans les premières années de notre vie, et doit donc
être corrigé tôt. Les 1000 premiers jours de vie d’un
enfant (soit les 270 jours de grossesse et les deux
premières années de vie) doivent faire l’objet d’une
attention toute particulière. C’est dans cet objectif
que j’ai créé un fonds d’action non lucratif (Iben) qui
aura pour but d’étudier la maternité et la maturation
cérébrale afin de comprendre comment se dérèglent
les séquences maturatives et peut-être arriver à
établir un diagnostic de l’autisme dès la naissance.
À l’inverse, plus un diagnostic est fait tard, plus la
bataille est difficile à gagner.
Au vu de ces données, on peut se poser la
question du déterminisme. Tout se jouerait
donc avant 2 ans?
Le déterminisme, ce n’est pas mon truc. C’est très
fataliste, et ça ne me ressemble pas. Je ne dis pas que
l’on peut tout guérir ou tout atténuer, non. Même si le
facteur génétique est défavorable, l’environnement
peut jouer un rôle considérable. Et puis, après tout,
qu’est-ce qui est déterminé à 100%? En matière de
développement humain, il existe encore beaucoup
d’inconnues. Une seule chose est certaine: l’ovule
fécondé en cours de gestation va donner un être
humain, et non un rhinocéros! n
ProPos recueillis Par Héloïse Junier
Entretien
Juillet 2020 ScienceS HumaineS 25
N° 327
(1) Janie Shelton et al., «Neurodevelopmental disorders and prenatal
residential proximity to agricultural pesticides. The charge study»,
Environmental Health Perspectives, octobre 2014.
(2) Andrea Gore et Sarah Dickerson, Endocrine Disruptors
and The Developing Brain. Colloquium series on the developing brain,
Morgan & Claypool, 2012.
(3) Chris Carter et Robert Blizard, «Autism genes are selectively
targeted by environmental pollutants including pesticides, heavy metals,
bisphenol A, phthalates and many others in food, cosmetics or household
products», Neurochemistry International, octobre 2016.
(4) Pierre Gressens et al., «Environmental factors and disturbances
of brain development», Seminars in Neonatology, vol. VI, n° 2, avril 2001.
(5) Yehezkel Ben-Ari, «Le scandale Dépakine: le cerveau immature n’est
pas un petit cerveau adulte». https://leblogdebenari.com/2016/09/25/
lescandaledepakine/
(6) Hai-Yin Jiang, «Maternal infection during pregnancy and risk of autism
spectrum disorders. A systematic review and meta-analysis», Brain
Behavior, and Immunity, novembre 2016.
Science
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Dossier coordonné par Laurent Testot
I
lssonttoutauplusundemi-milliardsurTerre!Des
peuplesquireprésententmoinsd’unhumainsurquinze.
Ilssontditspremierscarilsincarneraientdesmodes
devieancestraux,auxantipodesdenotrecivilisation
urbaniséeettechnicienne.
Sicesmêmespeuplessontditsautochtones,c’estpour
soulignerqueleurhistoireestmarquéeparlesspoliations:
ilsontétéexpropriésdesterresautrefoisparcouruesparleurs
ancêtres,lesépidémieslesontdécimés,leurslanguesontété
combattues,etnotreconquêtedelaplanètelesareléguésaux
margesdumonde:leGrandNord,lescollinesd’Asieaustrale,
lesjunglesetlesdésertsd’Afrique,laforêtamazonienne…
Desterritoiresfragiles,déstructurésprécocementpar
lechangementclimatique.
Maisalorsqueleurssociétéssemobilisentpourfaireentendre
leursvoix,s’adaptentàcestensions,s’ouvrentautourisme,
leschercheursquestionnentlesstéréotypes:
onlesdisaitpacifistes,égalitaires,celanevaplusdesoi.
Ondécouvrequeles«forêtsvierges»étaientdesécosystèmes
entretenusparleurshabitants.Jusqu’auchamanisme,
àlafoisfaçonglobaledepenserlasantédeshumains,
dessociétésetdesmilieux;etusageoriginaldestechniques
del’imaginationetdelacognition.
Ilnousfautdésormaisapprendreàvoirlesautochtones
nonpluscommelestémoinsd’unpassérévolu,
maiscommedespartenairesquionttantànousenseigner
surl’expériencehumaine. n
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12-06-2020
J
anvier 2020. L’aube se lève sur la
provincedeMondolkiri,Cambodge.
Un petit groupe de touristes occi-
dentauxs’assembleauprèsduguide
pour une excursion en terre bunong. Les
Bunong,ouMnong,sontdeshabitantsde
la jungle, à cheval sur la frontière entre
Cambodge et Viêtnam, un de ces rares
lieux où se découvrent encore des repré-
sentants de mammifères inconnus de la
science, cervidés nains, petits singes ou
rongeurs.Onmurmuremêmequ’yrôdent
encoredestigres,quel’onditfantômes.Le
dernier formellement identifié est tombé
souslesballesdebraconniersen2007– sa
dépouille a dû se vendre à prix d’or en
Chine.
Une histoire de violences
Pour aujourd’hui, le guide emmène les
touristes dans la «jungle». Enfin, c’est
ce qui était promis par le tour operator.
Sauf qu’il n’y a plus de jungle, au sens
d’une forêt tropicale plus ou moins sau-
En Afrique, ce sont les Pygmées qui
font face à la dépossession. Ils avaient
pourtant cru que l’interminable gri-
gnotage de leurs territoires était fini. Ils
avaient obtenu de rester dans une part
de leur forêt, sanctuarisée comme parc
naturel, en cédant une autre part pour
l’exploitation forestière – la coupe à ras
des bois ancestraux y ouvre l’espace à
une savane tout juste propre à accueillir
quelques têtes de bétail. Jusque dans le
sanctuaire, leurs modes de vie sont en
péril. Il leur est interdit d’y chasser, et
les gardes forestiers, ex-militaires de la
République démocratique du Congo,
sont complètement étrangers au vécu
des Pygmées, dont le quotidien est tissé
d’interactions pratiques et symboliques
avec la forêt. Ils les empêchent d’accéder
à ces ressources au motif qu’il s’agit de
bois protégés – ce qui leur permet de
racketter les Pygmées, mode classique
d’interaction des forces armées avec les
populationslocalesdansdesÉtatsfaillis.
vage. Un milieu de prairies jalonnées
de bois où poussent de manière anar-
chique diverses plantes, toutes issues de
cultures plus ou moins abandonnées,
des fruitiers que l’on laisse prospérer,
beaucoup de végétation invasive… La
province du Mondolkiri était boisée
pour plus de 75% de sa surface à la fin
des années 1990. À vue de photos satel-
lite, il reste moins de 25 % de forêts,
grignotées par les insatiables appétits
chinoisetvietnamienspourlaressource
enbois.Outrequelqueszonesclasséeset
effectivement protégées, la seule partie
préservéesetrouvesurlafrontière,mon-
tagneuse et inaccessible. Les Bunong?
La plupart sont devenus bûcherons.
Leur savoir de chasseurs-cueilleurs-
agriculteurs nomades, maîtres des élé-
phants,devientinutileencemondeoùle
changement climatique tend à assécher
les moussons sur l’Extrême-Orient asia-
tique,toutenlesintensifiantsurlescôtes
d’Afrique orientale.
Laurent testot
Journaliste et formateur. Dernier ouvrage paru: La Nouvelle Histoire du Monde,
éd. Sciences Humaines, 2019.
28 ScienceS HumaineS Juillet 2020
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Ces peuples sont dispersés à la surface de la Terre.
Ils sont dits premiers, témoins de modes de vie d’avant l’État;
autochtones, expropriés de leurs terres par les États;
racines, héritiers de savoirs qui pourraient nous aider…
Peuples premiers,
autochtones,
racines…
Dequiparle-t-on?
Les
peuples
premiers
Tessa
Bunney/In
Pictures
Ltd/Corbis/Getty